Note technique relative à l’incident du 31 octobre 2001 et aux retombées des incidents ruthénium survenus à Cogéma-La Hague en 2001

Note technique relative à l’incident du 31 octobre 2001 et aux retombées des incidents ruthénium survenus à Cogéma-La Hague en 2001

Note technique ACRO du 21 janvier 2002

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Résumé-Conclusion

Lors d’un incident qui eut lieu le 18 mai 2001, les mesures dans l’environnement effectuées par l’ACRO avaient conduit l’association à interroger l’Autorité de Sûreté sur la validité du système de mesure des rejets aériens de Cogéma-La Hague. En effet, nos calculs montraient que la quantité de ruthénium-rhodium 106 déposée sur l’herbe était largement supérieure à la quantité totale rejetée annoncée par l’exploitant. Une évaluation de cette quantité à l’aide d’un modèle de dispersion dans l’environnement nous avait conduit à estimer que la Cogéma avait rejeté probablement 1000 fois plus que ce qu’elle avait annoncé (14 000 MBq pour 11 MBq déclarés).

La cause en serait un dépôt dans la canne de prélèvement du système de mesure à la cheminée de rejet. Devant l’impossibilité d’évaluer le terme source lors de cet incident, l’exploitant et l’ASN proposent un terme source majorant qui correspond à la quantité mesurée en sortie d’atelier. Lors de l’incident du 18 mai, la mesure en sortie d’atelier aurait été 400 fois supérieure à celle effectuée à la cheminée (4 500 MBq contre 11 MBq). En fonctionnement de routine, les activités cumulées sur une année donneraient un facteur majorant compris entre 5 et 10 entre les deux points de mesure.

Lors de l’incident survenu le 31 octobre 2001, Cogéma-La Hague a annoncé avoir rejeté environ 15 MBq ou 219 MBq selon les communiqués ; l’exploitant ne semble pas savoir exactement ce qu’il a rejeté par ses cheminées. L’ACRO a de nouveau constaté en évidence une contamination de l’environnement en Ruthénium-Rhodium 106 sous le panache. Au total, dix échantillons d’herbe ont été collectés le 5 novembre en dix endroits différents, tous situés au sud-est de l’établissement sous les vents durant l’incident. Les mesures par spectrométrie gamma mettent en évidence la présence de 106Ru-106Rh à des niveaux variables, compris entre 24 et 726 Bq/kg frais. A l’instar des observations faites à la suite de l’incident ruthénium du 18 mai 2001, le pâturage R2 situé à environ1 km de la cheminée en direction du SSE présente la plus forte teneur. L’ordre de grandeur, plusieurs centaines de Bq/kg frais, est confirmé par des mesures de vérification effectués sur des prélèvements datés du 10 novembre. Cette contamination ne peut être imputée ni aux rejets de routine ni à une rémanence de l’incident du 18 mai. Ainsi on n’observe pas de différences notables en terme de répercussions sur l’environnement entre les deux incidents du 18 mai et du 31 octobre 2001 : les niveaux d’activité relevés au mois de novembre représentent en moyenne entre 67% et 78% de ceux mesurés en mai dernier.

Une fois de plus, lors de l’incident du 31 octobre 2001, la quantité de ruthénium-rhodium 106 déposée sur l’herbe dépasse largement le terme source mesuré à la cheminée, ce qui le rend peu plausible. Une reconstitution réaliste du terme source à l’aide du modèle de dispersion dans l’environnement nous donne une valeur 667 fois supérieure au terme source mesuré à la cheminée er 46 fois plus grande que le terme source majorant mesuré en sortie d’atelier annoncé (6 400 MBq pour 219 MBq déclarés). Ces résultats confirment que la mesure à la cheminée n’est pas fiable et qu’en conséquence, elle ne peut servir pour évaluer les quantités rejetées passées ou contemporaines. De plus, ces mêmes résultats nous conduisent à nous interroger sur la validité de la mesure en sortie d’atelier ou sur la validité des modèles de dispersion atmosphérique qui servent de référence aux études d’impact environnemental, voire sur les deux éventuellement.

Les modèles de diffusion atmosphérique utilisés par l’exploitant et l’IPSN sont très approximatifs du fait de la difficulté de faire une comparaison directe entre la contamination surfacique calculée et mesurée. L’analyse des deux « incidents ruthénium » du 18 mai et du 31 octobre 2001 montre que le terme source en sortie d’atelier, considéré comme majorant par l’exploitant, couplé au modèle de diffusion atmosphérique de référence ne permet pas d’expliquer les résultats de contamination relevée par l’ACRO. L’approche théorique sous-estime l’impact environnemental des rejets aériens. La sous-estimation est encore plus grave avec un terme source pris à la cheminée. En aucun cas, le dépôt découvert sur la canne de prélèvement ne peut à lui seul expliquer ce désaccord. Si la mesure en sortie d’atelier est fiable, les modèles de diffusion atmosphérique sous estiment probablement l’impact pour tous les radioéléments rejetés par les cheminées.

Liens sur le site ACRO

  • Note technique du 21 janvier 2002 complète au format pdf (1 Mo).
  • Communiqué de presse ACRO du 28 janvier 2002 sur les incidents ruthénium.
  • Communiqué de presse ACRO du 31 juillet 2001 sur l’incident du 18 mai 2001, avec liens vers la note technique du 24 juillet 2001 et les réponses.

Liens extérieurs

  • L’IPSN a détecté les deux incidents ruthénium à Alençon, à 200 km à vol d’oiseau au Sud Est de La Hague. Résultats ici.
  • Premier communiqué de presse de l’ASN en date du 7 novembre 2001 sur l’incident du 31 octobre 2001.
  • L’IPSN confirme que la mesure de la quantité rejetée à la cheminée de rejet n’est pas plausible, communiqué de presse du 28 janvier 2002.
  • Cogéma reconnait implicitement en annonçant une amélioration du son sytème de mesure, mais ne parle que de “précision insuffisante” sans conséquence, point presse du 28 janvier 2002.
  • L’ASN confirme les écarts constatés par l’ACRO et estime qu’ils méritent d’être expliqués, lettre à l’ACRO du 28 janvier 2002 au format pdf.

Ancien lien

Pour un contrôle renforcé du « petit nucléaire »

Par Pierre Barbey, Contrôle N°143, 15 novembre 2001


En juillet dernier, la publication d’un article dans Ouest France [1], au sujet des rejets radioactifs des hôpitaux a donné lieu à une mini polémique traditionnellement plus propre à l’industrie nucléaire. La dimension qu’a prise cette affaire (reprise par de nombreux média y compris sur le plan national..) [2] nous a, il faut bien le dire, surpris. De fait, les commentaires et questions qui nous sont parvenus nous ont permis de constater que pour nombre de nos concitoyens (et même d’observateurs) les rejets radioactifs étaient spécifiques de la seule industrie nucléaire.

Certes, il convient d’emblée de relativiser et d’indiquer clairement que les niveaux de rejets ne sont pas du même ordre de grandeur et surtout qu’ils sont très différents sur un plan qualitatif : Ce qui est une longue période en milieu hospitalier (i.e. l’iode 131 ; 8 jours) est une très courte période pour l’industrie nucléaire plus habituée à des radioéléments ayant des périodes de quelques dizaines d’années (produits de fission) à des dizaines de milliers d’années (transuraniens et certains produits d’activation).

Il n’en demeure pas moins que le contrôle du nucléaire diffus doit s’exercer avec une vigilance toute particulière. Si, pris à l’échelle individuelle, chaque installation présente en général un niveau de risque potentiel modeste (toujours par comparaison avec l’industrie), son caractère justement « diffus » en rend le contrôle plus souvent occasionnel quand il n’est pas absent. Pour illustration, rappelons que la C.I.R.E.A. [3] compte plusieurs milliers de titulaires d’une autorisation de détention de radioéléments sur le territoire national (tableau 1) :

 

Tableau n°1
1996
2000
titulaires en secteur médical (1ère section)
:
1900
1238
titulaires en secteur recherche/industrie (2ème
section) :
3900
3196
Total :
5800
4434

 
Une majeure partie de ces autorisations sont relatives aux sources scellées qui, dans des conditions normales d’emploi et de contrôle, ne sont pas vraiment problématiques pour l’environnement [4]. La partie restante concerne les sources non scellées qui, lors de leur utilisation, génèrent des déchets radioactifs ainsi que des rejets directs dans l’environnement sous la forme d’effluents (surtout liquides). On compte actuellement 1436 titulaires d’une autorisation en sources non scellées  qui se répartissent pour moitié en secteur médical et en secteur industrie/recherche.
Bien que le secteur industriel ne manque pas d’intérêt eu égard à la nature des sources mises en œuvre, nous n’évoquerons ici  que le secteur médical et le secteur de la recherche.

Le secteur médical

Au sein des hôpitaux, plus particulièrement des centres hospitalo-universitaires, plus d’une vingtaine de radio-isotopes différents (en sources non scellés) [5] sont susceptibles d’être utilisés dans les domaines du diagnostic et de la thérapie métabolique ainsi que les laboratoires d’analyses cliniques et de recherche (tableau 2). Si l’on excepte quelques isotopes (tritium, carbone 14, cobalt 57…) plus spécifiques des activités de laboratoire, la quasi totalité de ces radioéléments sont de période courte voir très courte, en tout état de cause inférieure à 100 jours. Néanmoins, les activités moyennes annuelles réceptionnées peuvent être très élevées. A titre indicatif, nous rapportons ici (tableau 2) les consommations, pour les années 1990 et 1991, des 62 établissements médicaux présents dans le bassin Seine-Normandie. Ces données renseignent fort utilement sur la nature des radioéléments employés et sur leur importance respective au sein des pratiques médicales ; cependant, compte tenu des périodes (parfois très courtes), elles ne peuvent renseigner sur le total détenu à un instant t et donc sur les rejets de ce moment-là.

Tableau 2
Consommations annuelles en sources non scellées pour 62 établissements
du bassin Seine-Normandie

Isotope
Période
Emissions
Activité réceptionnée (kBq)
1990
1991
99mTc
6,0 heures
g
, e
50 731 856 500
61 544 236 000
131I
8,0 jours
b
g
3 989 743 058
4 021 142 237
201Tl
3,0 jours
g
, e
1 878 139 100
1 887 168 532
133Xe
5,2 jours
X, g
b
, e
2 107 893 500
2 592 182 000
123I
13,2 heures
X, g
, e
181 734 750
180 815 779
67Ga
3,26 jours
g
, e
119 781 000
106 982 300
111In
2,8 jours
g
, e
103 658 000
116 164 360
32P
14,3 jours
b
88 390 975
85 625 525
186Re
3,78 jours
X, g
b
, e
70 559 000
58 763 400
51Cr
27,7 jours
g
54 246 735
63 048 000
125I
60 jours
X, g
, e
54 577 407
48 142 804
3H
12,3 ans
b
43 436 787
30 849 155
90Y
2,7 jours
b
37 666 000
41 077 000
169Er
9,4 jours
b
16 687 000
18 833 000
35S
87,5 jours
b
12 950 832
22 122 450
85Sr
64,9 jours
g
1 184 000
3 700 000
59Fe
44,5 jours
b
g
934 250
701 650
14C
5730 ans
b
507 806
2 039 026
64Cu
12,7 heures
b+
g
370 000
111 000
45Ca
163 jours
b
296 000
148 000
57Co
272 jours
g
88 113
282 014
75Se
120 jours
g
, e
24 050
11 100
Activité totale
59 494 724 863
70 824 145 332
N.B.: autres radionucléides, non mentionnés ci-dessus mais susceptibles d’être présents en milieu hospitalier : Sodium 22, Phosphore 33, Cobalt 58, Strontium 89, Samarium 153…

Sans avoir exercé un suivi régulier, l’ACRO dispose néanmoins de quelques résultats de mesures effectués à l’émissaire de structures hospitalières caennaises : le maximum enregistré en 99mTc est de 4400 Bq/L (le plus souvent autour de 1000 Bq/L). D’autres radioéléments, dont l’131I, sont également détectés à des niveaux n’excédant pas 100 Bq/L [7]. Des valeurs analogues ou plus importantes (jusqu’à 10 fois plus) ont été relevées dans d’autre villes par d’autres organismes (CRII-RAD, OPRI).

A l’origine de l’article de Ouest-France précédemment cité, la publication dans l’ACROnique du nucléaire et sur notre site internet [8] d’une étude réalisée par notre association (à la demande de l’Agence de l’Eau Seine Normandie) sur l’impact environnemental des rejets hospitaliers. Cette étude centrée sur la station d’épuration de la ville avait pour objet d’interpréter le devenir des radionucléides artificiels au sein d’une telle installation. La contamination du réseau est essentiellement due au 99mTc et à l’131I, radioéléments présents chaque jour ouvré selon un profil caractéristique de l’activité quotidienne (figure 1).

Figure 1 : Variation du flux de 99mTc (MBq/heure), mesuré dans les eaux usées à l’entrée de la station (16/06/99).

Variation du flux de 99mTc (MBq/heure), mesuré dans les eaux usées à l'entrée de la station (16/06/99).La charge totale entrante estimée pour une journée est importante, de l’ordre de 4000 MBq pour 99mTc et de 15 à 300 MBq pour 131I. La radioactivité se concentre de façon dominante dans les boues. En fin de traitement, celles-ci sont incinérées et l’on retrouve ces radioéléments (111In, 67Ga, 201Tl…) dans les cendres à l’exception de 131I (présent dans les boues) qui serait transféré dans les eaux de lavage des fumées. En sortie de station, les eaux traitées sont encore clairement marquées par le 99mTc (avec un facteur significatif de dépollution) et par l’131I (avec un facteur de dépollution plus modeste). Seul l’131I est détecté dans les sédiments de la rivière qui recueille ces eaux traitées.

En fait, ces données ne traduisent pas seulement les rejets directs effectués par les structures hospitalières mais aussi (pour une part difficile à déterminer en l’état actuel) les multiples sources diffuses constituées par les patients eux-mêmes traités en ambulatoire. Ce qui pose là un réel problème sur lequel nous reviendrons.

Le secteur de la recherche

Il conviendrait de parler de façon plus judicieuse du secteur enseignement/recherche (universités, grands organismes nationaux…), pour lequel l’emploi de sources scellées et non scellées est également important. En l’absence de donnée nationales accessibles, nous l’illustrerons en prenant l’exemple d’une université de taille moyenne. On compte dans cette université une centaine de sources scellées pour une activité totale de près de 150 GBq. Elles sont principalement utilisées dans les secteurs de l’enseignement de physique nucléaire (consacré à des travaux pratiques portant sur l’étude des propriétés physiques des radiations) mais aussi dans les laboratoires de recherche (étalonnage, calibration, détecteurs CE…). Les principaux radioéléments rencontrés sont : 241Am, 226Ra, 210Po, 60Co, 90Sr, 133Ba, 137Cs, 54Mn, 22Na, 204Tl, 63Ni… Lors de leur détention, la crainte de la perte ou du vol d’une source n’est pas à exclure. En fin d’utilisation ou au bout de 10 ans [9], elles sont destinées à être considérées comme des déchets radioactifs.
Dans le domaine des sources non scellées, on retrouve ici les isotopes classiquement employés pour le marquage de molécules (organiques et inorganiques) ou de structures cellulaires et tissulaires (tableau 3) :

Tableau 3

Protocoles expérimentaux
Radio-isotopes
radio-traceurs dans des
études métaboliques,
3H, 14C, 35S
études de prolifération
cellulaire
3H, 14C
techniques de liaison
de ligands (réceptologie),
3H, 14C, 35S, 125I
dosages radio-immunologiques,
3H, 14C, 125I
constitution de sondes
moléculaires,
35S, 32P, 33P
techniques de phosphorylation
de protéines,
32P, 33P
tests de cytotoxicité,
51Cr
techniques de iodination
de protéines,
125I
techniques de microscopie
électroniques
Sels d’uranium

Un bilan rétrospectif conduit sur 6 années dans cette université montre qu’elle a réceptionné durant cette période 629 colis de sources non scellées pour un total de 40 GBq (hors sels d’uranium), soit une centaine de sources et une activité moyenne de 6500 MBq par an.

L’envoi de déchets radioactifs (solides et liquides) n’apparaît que depuis le début des années 90. On a tout lieu de penser que jusqu’à la fin des années 80, ici comme dans d’autres universités, les rejets banalisés dans l’environnement pourraient avoir été le principal mode de gestion des déchets radioactifs.

Les contrôles étaient certes peu présents mais en outre, et contrairement aux déchets hospitaliers, ils concernent de façon dominante des radioémetteurs bêta beaucoup plus difficiles à détecter dans des échantillons de l’environnement.

Faire évoluer les mentalités

Faire évoluer les mentalités pour que les exigences de la société actuelle en matière de protection de l’environnement soient prises en compte est sans doute un premier pas indispensable.

Dans le secteur de la recherche, il y a lieu, par la formation, d’inverser cette tendance à considérer les sources irradiantes (32P, 125I..) comme « dangereuses » et par là-même à banaliser l’emploi de sources non irradiantes (3H, 14C..) mais qui sont aussi les plus dommageables pour l’environnement [10]. Les aspects économiques [11] ne militent pas vraiment en ce sens. Pour les isotopes de longue période, le fait d’intégrer (au moins en partie) le coût de l’élimination des déchets lors de l’achat de la source pourrait constituer une mesure incitative. Cette préoccupation doit être soulignée pour plusieurs raisons. D’abord, le 3H se présente ici le plus souvent sous des formes organiques (à fort tropisme pour des cibles cellulaires) et présente donc un caractère de radiotoxicité beaucoup plus élevé. Ensuite, le contrôle et la traçabilité de ces éléments sont plus difficiles (en particulier, contrairement aux déchets hospitaliers, ils ne risquent pas de déclencher les détecteurs placés à l’entrée des sites déchets de classe I).

Dans un passé récent, on a demandé au médecin de ne pas se contenter de soigner mais aussi de prendre en compte la douleur du patient. Il n’est pas insensé de lui demander aujourd’hui de réfléchir aux implications de ses pratiques hors de l’hôpital. Cela passe d’abord par une application sans faille du principe de justification (art. 3 de la directive n° 97/43/CE). Renoncer aux examens inutiles peut être un premier moyen de limiter les rejets. Modifier ou remplacer des examens existants par de nouveaux protocoles ou de nouvelles techniques moins pénalisants (en terme de dose) d’abord pour le patient et le personnel mais sans doute aussi, par contre coup, pour l’environnement.  Enfin réfléchir aussi à des procédés techniques et à des protocoles de rejets visant à augmenter le temps de rétention. Nous l’avons souligné, le secteur médical dispose d’un grand atout par rapport à l’industrie nucléaire : la courte période de ses radioéléments qui autorise une gestion sur site avant rejet banalisé. Pour autant cela ne règle pas toutes les questions et en particulier le problème du patient traité en ambulatoire et qui continue chez lui à évacuer de la radioactivité. La réponse n’est pas simple car elle implique des choix qui nécessitent des évaluations préalables :

  • retenir plus longtemps le patient à l’hôpital : on évite des doses pour son entourage et on protège mieux l’environnement mais ce sera un surcoût économique réel pour la société et le patient peut s’en trouver affecté ;
  • collecter les urines à domicile (pendant un temps fonction de la période) : on évite à coup sûr des doses pour les personnels des réseaux et des stations mais peut-être au prix d’un transfert de dose sur l’entourage du patient…

Comme on le voit, ce questionnement relève aussi du débat publique, et le réclamer ne signifie pas pour autant que nous « remettons en cause la médecine nucléaire »…

Au-delà de la réflexion nécessairement collective, il y a lieu de réglementer. En la matière, une explication de texte s’avère pour le moins nécessaire. On nous explique que les dispositions de l’arrêté du 30 octobre 1981 ne s’appliqueraient qu’à une partie restreinte des installations hospitalières. Pourtant l’article 8 [qui institue les cuves de stockage et la limite de rejet à 7 Bq/L] est placé sous le TITRE II intitulé « conditions communes exigées pour toutes les installations » (…dans lesquelles sont utilisées des radioéléments en sources non scellées). En tout état de cause, il est incohérent qu’un dispositif réglementaire régisse avec rigueur certains locaux et se montre en même temps tout à fait laxiste sur d’autres locaux de ces mêmes installations.

Des risques de déréglementation

Les mesures d’exemption s’inspirant de la Directive Euratom 96/29, et qui sont en passe d’être reprises dans les décrets à venir, risquent fort de contribuer à une déréglementation si l’on compare au système actuellement en vigueur. Ce système est bâti sur une gradation du contrôle fonction de l’activité détenue que l’on peut résumer ainsi (tableau 4) :

Tableau 4

Dispositif réglementaire actuel selon l’activité
détenue
Situation qui échappe à un contrôle réel
Procédure d’Autorisation CIREA
Procédure ICPE régime de Déclaration
Procédure ICPE régime d’Autorisation
Procédure d’Autorisation INB

Dans le projet de décret « population », la procédure d’Autorisation [CIREA/OPRI] se confond avec la procédure de Déclaration à partir de valeurs limites (Tableau A – annexe II). La 2ème colonne du tableau ci-dessus disparaît donc de fait.

En clair, pour illustration, si l’on prend l’exemple de quelques radionucléides très présents dans les secteurs recherche et hôpitaux (laboratoires), les situations comparatives sont les suivantes :

 Tableau 5
Exemples de valeurs limites (activité totale détenue) pour quelques radionucléides (en sources non scellées) selon la nature du dispositif

 

 

Tritium
P32
P33
I125
I129
Limite pour l’application
du décret n° 86-1103 impliquant la procédure d’autorisation
CIREA
5 MBq
0,5 MBq
0,5 MBq
0,05 MBq
5 MBq
Limite pour la déclaration
ICPE (rubrique 1710)
370 MBq
37 MBq
37 MBq
37 MBq
370 MBq
Limite [12] proposée
par la Directive n°96/29 et reprise par le projet de décret
« population »
1000 MBq
0,1 MBq
100 MBq
1 MBq
0,1 MBq

 

 

 

 

 

Coefficient de dose efficace
engagée [13] (en nSv/Bq)
18.10-3
2,4
0,24
15
110
L.A.I. [14] (ingestion)
en Bq
3.109
2.107
2.108
1.106
0,2.106

Sur le 1er exemple cité, celui du tritium, on constate un facteur 200 entre le dispositif actuel et la proposition de la Directive européenne. Retenir la valeur de la Directive serait donc un net retour en arrière. Concrètement, cela signifie que nombre de laboratoires  utilisant moins de 1 GBq de tritium pourraient donc échapper à tout dispositif réglementaire et par conséquent à tout contrôle (alors que cette frontière est actuellement fixée à 5 MBq). Fait d’autant plus grave, que ces établissements mettent en œuvre du tritium sous forme de molécules marquées et les utilisateurs, en l’absence de données réglementaires, font comme s’il s’agissait de tritium libre qui  est manipulé. Il serait donc en outre utile que la réglementation relative au dispositif de déclaration/autorisation prenne en compte cette distinction tritium libre / molécules tritiées [15].

A l’instar du Tritium, on observe  avec le 33P ce même facteur 200 entre le dispositif actuel et la proposition de la Directive européenne. L’exemple du couple 32P/33P (tableau 5 – colonnes 2-3) est également présenté pour illustrer la nécessité de prendre les valeurs de la directive avec précaution. Pour ces 2 isotopes bêta de courte période, il y a un facteur 1000 entre leur valeur d’exemption alors que les coefficients de dose engagée, proposés par cette même directive, ne s’écartent que d’un facteur 10. Comme les modes d’incorporation  de deux isotopes d’un même élément ne sont pas différents, cette discordance n’est pas compréhensible.

Enfin, mais cette fois à l’opposé, la directive propose à juste titre une valeur nettement plus restrictive pour ce qui concerne l’129I. Cette valeur est cohérente avec les coefficients de dose engagée des isotopes de l’iode, alors que le dispositif national en vigueur souffre d’une réelle discordance entre les valeurs limite (application du décret et déclaration) et les valeurs des L.A.I. propres aux isotopes de l’iode (tableau 5 – colonnes 4-5).

De notre point de vue, les valeurs d’exemption de la Directive Euratom 96/29 peuvent être retenues dès lors qu’elles sont plus restrictives que le dispositif actuellement en vigueur ; lorsqu’elles sont plus laxistes, il convient de conserver celles de notre système actuel. La France a tout le loisir de faire mieux que le contenu de la Directive européenne.


Liens

Sur notre site

Autres sites

  • Le dossier de la revue contrôle n°143 dont est extrait l’article.

[1] Ouest France du 21 juillet 2001.

[2] A.F.P. du 24 juillet, France 3 des 25 et 26 juillet ; Libération du 8 août 2001…

[3] Commission Interministérielle des RadioEléments Artificiels.

[4] Cependant, au terme de leur utilisation, elles deviennent un réel problème environnemental puisqu’elles constituent alors des déchets radioactifs.

[5] Données année 2000 – source CIREA.

[6] Des sources scellées sont bien évidemment également détenues au sein des hôpitaux ; sur ce point, on se reportera à l’article de G. KALIFA dans ce même numéro de Contrôle.

[7] Valeur-guide fixée par la récente circulaire DGS/2001-323 du 09 juillet dernier.

[8] L’ACROnique du nucléaire n° 53 ? 2ème trimestre 2001 ; Rapport disponible en ligne ici.

[9] Conditions Particulières d’Autorisation instaurées par la CIREA en mars 1990.

[10] Dans le cas de l’Université prise en exemple, par une politique volontaire d’information des utilisateurs, il a été possible de réduire par un facteur 3 les activités réceptionnées en 14C en l’espace de quelques années.

[11] L’acquisition d’une source de 37 MBq de 3H peut être de l’ordre de 2000 F ; alors que son élimination (sous forme de déchets liquides) sera de l’ordre de 5000 F si elle est opérée selon la voie réglementaire…

[12] Valeurs d’exemption – art. 3 alinéa 2 – tableau A de l’annexe I.

[13] Directive n°96/29 ? annexe III ; tableau C: Valeurs pour les travailleurs ? voie ingestion.

[14] Décret n° 86-1103 ? annexe IV (valeurs pour les travailleurs ? voie ingestion).

[15] Les fiches radiotoxicologiques publiées par l’INRS et l’OPRI suggèrent un “ facteur d’abaissement” de 50 (il ne s’agit que de recommandations…).

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Résultats d’analyse pour l’étude du GON, La reproduction des oiseaux marins de la Hague et du Nez-de-Jobourg : Recherche des causes du déclin

Résultats d’analyse pour l’étude du GON, La reproduction des oiseaux marins de la Hague et du Nez-de-Jobourg : Recherche des causes du déclin

Groupe Radio-écologie Nord-Cotentin : l’ACRO ne signera pas le rapport sur le calcul d’incertitude

ACROnique du nucléaire n°54, septembre 2001


L’émotion suscitée par les travaux de J.F. Viel avaient conduit le gouvernement à créer le Comité Nord-Cotentin. Des représentants de l’ACRO ont participé aux travaux du Groupe de Radio-écologie (GRNC) de ce comité dont le premier rapport a été rendu public le 7 juillet 1999 et avaient émis des réserves sur les résultats obtenus (Voir l’ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999 et notre dossier en ligne).

Une de nos principales critiques est qu’il s’agissait d’un calcul moyen basé sur de nombreux paramètres dont on n’était pas sûr. Comme en radioprotection, nous proposions de faire un calcul enveloppe, c’est à dire que chaque paramètre soit choisi de façon pessimiste et non moyenne.

A la suite de ce premier travail, l’IPSN a initié un Groupe de Travail Incertitude (GTI) en son sein afin d’évaluer l’incertitude sur le nombre de cas de leucémies calculé à partir des modèles de transfert dans l’environnement des rejets des installations nucléaires de la région. Il s’agit de déterminer, pour chacun des paramètres importants, comme par exemple le régime alimentaire ou la proportion de produits locaux susceptibles d’être contaminés, de combien ils peuvent varier. Une fois cette première étape franchie, il faut étudier l’influence de la variation de ces paramètres sur le résultat final. C’est ce qu’on appelle un calcul d’incertitude.

Ce travail a ensuite été confirmé par une lettre de mission des ministres de l’environnement et de la santé au cours de l’été 2000 et il a donc été décidé d’ouvrir ce groupe de travail aux exploitants et à des représentants du mouvement associatif. L’ACRO a été invitée à y participer au début de l’année 2001. Ainsi, lorsqu’il a été décidé d’associer des membres du mouvement associatif, le travail était déjà très avancé. Une partie des paramètres entrant dans le modèle a donc été rediscutée en présence des nouveaux membres, mais cela ne suffit pas pour s’approprier l’étude. Contrairement à la première phase des travaux du GRNC, l’ACRO n’a pas participé à toutes les étapes et les réflexions. Dans ces conditions, le représentant de l’ACRO pense ne pas pouvoir signer le rapport et il lui a paru plus honnête de le dire dès maintenant.

Le travail accompli est difficile et important et nous attendons avec beaucoup d’intérêt les résultats des calculs. Cependant, ni le terme source des rejets aériens ni les paramètres entrant après les modes de vie (facteurs de doses…) n’ont été discutés, ce qui est regrettable. Le mode de calcul de l’incertitude était déjà fixé et ne pouvait plus être changé car le code informatique était déjà écrit par une entreprise extérieure. Dans de telles conditions, l’apport du mouvement associatif ne pouvait donc être que limité.

Des réserves sur une partie du travail ne servent à rien car elles sont largement ignorées par les exploitants dans leur présentation des résultats. Par exemple, dans ses réserves concernant le rapport de 1999, l’ACRO “pense que [les modèles aériens] utilisés par le Comité ne peuvent en l’état devenir des références”. Cela n’a pas empêché Anne Lauvergeon, PDG de la Cogéma, de déclarer au journal Le Monde du 29 octobre 1999 que “pour éviter toute contestation, nous retenons une méthodologie de mesure qui a reçu l’approbation des ministères de l’environnement et de la santé, des associations écologistes et vertes, de Cogema et d’EDF. Il s’agit de celle définie dans le cadre de l’étude [du GRNC].” Dès lors, il ne reste que la solution de ne pas signer le nouveau rapport en espérant que la contribution de l’ACRO aura tout de même été utile.

David Boilley
Représentant de l’ACRO dans le GTI

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Un problème de santé publique : le radon

Combat Nature n°134, août 2001


Gaz radioactif naturel, le radon peut poser des problèmes de santé lorsqu’il s’accumule dans les habitations. Facile à détecter et à éliminer, il devrait être plus systématiquement recherché.


Le radon provient de la désintégration de l’uranium 238 présent dans des proportions diverses dans les roches, principalement dans le granit (voir la chaîne de désintégration ci-contre). C’est un gaz rare, c’est à dire sans activité chimique, qui peut donc migrer dans le sol. Ayant une durée de vie courte (3,8 jours), la plus grande partie se désintègre dans le sol ou dans l’atmosphère sans nuisance. En cas de pénétration dans les habitations, il a tendance à s’accumuler dans les parties basses car il est plus lourd que l’air. Une exposition prolongée au radon peut alors avoir des conséquences pour la santé.

La principale source de radon dans les maisons provient d’émanations du sol et/ou de formations rocheuses souterraines. Les concentrations élevées sont généralement associées aux roches granitiques, volcaniques, aux schistes et à des roches sédimentaires contenant du quartz. Ainsi le centre de la France, la Bretagne, les Vosges, les Alpes ou la Corse sont particulièrement exposés. Mais même en Champagne, où les terrains sont surtout calcaires ou argileux, des valeurs étonnamment élevées ont été détectées. Le radon provenant du socle sous-jacent a, par conséquent, traversé toutes les couches sédimentaires dont les fameuses argiles du Callovo-Oxfordien, où l’ANDRA espère enfouir des déchets nucléaires… Dans une même région, deux maisons voisines peuvent avoir des concentrations très différentes en fonction du terrain sur lequel elles sont bâties (présence de failles ou fissures), le mode de construction et l’aération. En hiver, les concentrations sont généralement plus élevées qu’en été, ainsi que la nuit par rapport au jour. A proximité des mines d’uranium, de dépôts uranifères ou de phosphates, l’exposition peut être très élevée. Surtout si, comme c’est parfois le cas, des résidus miniers uranifères ont été utilisés comme matériau de construction. Ce n’est qu’à partir de 1983 que leur utilisation à été limitée aux remblais routiers.

Lors de son étude sur l’augmentation de leucémies chez les jeunes à La Hague, le professeur Viel a mis en évidence une Dépistage obligatoire du radon corrélation avec le fait d’habiter dans une maison en granit. Mais ce sont surtout les risques de cancer du poumon qui sont à craindre. En effet, le rayonnement alpha émis par le radon et certains de ses descendants, est constitué d’un noyau d’hélium qui est facilement arrêté par les tissus pulmonaires. Pour les fumeurs, les risques sont beaucoup plus grands. Des enquêtes épidémiologiques ont mis en évidence une corrélation entre l’exposition au radon dans les mines et l’apparition de cancers du poumon chez les mineurs. Aux Etats-Unis, selon l’agence pour la protection de l’environnement (EPA), le radon serait à l’origine de 7 000 à 30 000 morts par an. Parce qu’il est facile à détecter, cette agence recommande que chaque maison soit contrôlée.

Pour cela, un détecteur ad hoc (voir fiche technique) doit être placé de 15 jours à quelques mois dans la pièce suspectée ou dans celle où l’on passe le plus de temps. Cela permet de connaître la concentration moyenne en radon dans l’air pendant la période de mesure. Le résultat est exprimé en becquerel par mètre cube (Bq/m3), le becquerel correspondant à une désintégration par seconde. Les pouvoirs publics, après avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, ont émis les recommandations suivantes (circulaire DGS/DGUHC n°99/46 du 27 janvier 1999) :

  • 1000 Bq/m3 : seuil d’alerte justifiant la prise rapide de mesures conséquentes ; possibilité de fermeture dans la cas d’un bâtiment public.
  • 400 Bq/m3 : seuil de précaution au dessus duquel il est souhaitable d’entreprendre des mesures correctrices simples.
  • 200 Bq/m3 : valeur guide à ne pas dépasser pour les bâtiments à construire.

Aux Etats-Unis, l’EPA recommande de maintenir un niveau moyen inférieur à 148 Bq/m3 et rappelle que même en dessous de cette limite, le radon est nocif. En cas de dépassement de ces limites, il est donc souhaitable d’entreprendre des travaux pour limiter le radon, soit en l’évacuant par ventilation ou en l’empêchant d’entrer. Souvent, des mesures très simples suffisent, mais, contrairement au Canada, aucune subvention d’Etat n’est prévue en cas de coûts élevés.

Les autorités françaises sont donc plus réservées que les américaines et il n’y a pas de dépistage systématique. Seule une circulaire émet quelques recommandations qui ne sont pas toujours respectées. Un Atlas du radon, créé récemment par l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), présente des statistiques sur les mesures effectuées. Mais, certaines valeurs extrêmes ont été volontairement écartées. Selon un des responsables de la radioprotection au sein de cet institut (Le Figaro du 19 février 2001) : ” Nous ne voulons pas rentrer dans la logique du pire, car c’est contre-productif. Le stress, lui aussi, est pathogène “. C’est à cause de ce genre d’attitude des autorités que l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, a été créée à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Dotée d’un laboratoire indépendant d’analyse de la radioactivité, elle a pour but de permettre au citoyen de s’approprier la surveillance de son environnement. La mesure du radon, simple et bon marché, est un des services proposés.

Invisible, inodore, le gaz radon passe inaperçu. Bien que posant des problèmes de santé publique, il ne constitue pas non plus une des priorités des autorités sanitaires. Il serait pourtant prudent, surtout pour les personnes habitant dans des régions où des niveaux élevés existent, de contrôler leur maison et/ou leur lieu de travail. L’IPSN estime que 75 000 habitations de notre pays se situent au-delà du seuil d’alerte de 1000 Bq/m3.

Agrément radon pour la mesure dans les établissement recevant du public :

Dans le cadre des textes réglementaires récents concernant la gestion du risque radon dans les lieux accueillant du public, l’ACRO dispose d’un agrément relatif aux mesures de radon effectuées en vue d’un dépistage ou d’un contrôle pour vérifier les niveaux d’activité en radon définis en application de l’article R.1333-15 du code de la santé publique (niveau N1).

Cet agrément délivré par la « Commission Nationale d’agrément des organismes habilités à procéder aux mesures d’activité volumique du radon dans les lieux ouverts au public » est publié au Journal Officiel n° 200 du 28 août 2004 page 15448 et prend effet au 15 septembre 2004 pour une durée de 12 mois.
Le radon provient de la désintégration de l’uranium 238 présent dans des proportions diverses dans les roches, principalement dans le granit (voir la chaîne de désintégration ci-contre). C’est un gaz rare, c’est à dire sans activité chimique, qui peut donc migrer dans le sol. Ayant une durée de vie courte (3,8 jours), la plus grande partie se désintègre dans le sol ou dans l’atmosphère sans nuisance. En cas de pénétration dans les habitations, il a tendance à s’accumuler dans les parties basses car il est plus lourd que l’air. Une exposition prolongée au radon peut alors avoir des conséquences pour la santé.

La principale source de radon dans les maisons provient d’émanations du sol et/ou de formations rocheuses souterraines. Les concentrations élevées sont généralement associées aux roches granitiques, volcaniques, aux schistes et à des roches sédimentaires contenant du quartz. Ainsi le centre de la France, la Bretagne, les Vosges, les Alpes ou la Corse sont particulièrement exposés. Mais même en Champagne, où les terrains sont surtout calcaires ou argileux, des valeurs étonnamment élevées ont été détectées. Le radon provenant du socle sous-jacent a, par conséquent, traversé toutes les couches sédimentaires dont les fameuses argiles du Callovo-Oxfordien, où l’ANDRA espère enfouir des déchets nucléaires… Dans une même région, deux maisons voisines peuvent avoir des concentrations très différentes en fonction du terrain sur lequel elles sont bâties (présence de failles ou fissures), le mode de construction et l’aération. En hiver, les concentrations sont généralement plus élevées qu’en été, ainsi que la nuit par rapport au jour. A proximité des mines d’uranium, de dépôts uranifères ou de phosphates, l’exposition peut être très élevée. Surtout si, comme c’est parfois le cas, des résidus miniers uranifères ont été utilisés comme matériau de construction. Ce n’est qu’à partir de 1983 que leur utilisation à été limitée aux remblais routiers.

Lors de son étude sur l’augmentation de leucémies chez les jeunes à La Hague, le professeur Viel a mis en évidence une corrélation avec le fait d’habiter dans une maison en granit. Mais ce sont surtout les risques de cancer du poumon qui sont à craindre. En effet, le rayonnement alpha émis par le radon et certains de ses descendants, est constitué d’un noyau d’hélium qui est facilement arrêté par les tissus pulmonaires. Pour les fumeurs, les risques sont beaucoup plus grands. Des enquêtes épidémiologiques ont mis en évidence une corrélation entre l’exposition au radon dans les mines et l’apparition de cancers du poumon chez les mineurs. Aux Etats-Unis, selon l’agence pour la protection de l’environnement (EPA), le radon serait à l’origine de 7 000 à 30 000 morts par an. Parce qu’il est facile à détecter, cette agence recommande que chaque maison soit contrôlée.

Pour cela, un détecteur ad hoc (voir fiche technique) doit être placé de 15 jours à quelques mois dans la pièce suspectée ou dans celle où l’on passe le plus de temps. Cela permet de connaître la concentration moyenne en radon dans l’air pendant la période de mesure. Le résultat est exprimé en becquerel par mètre cube (Bq/m3), le becquerel correspondant à une désintégration par seconde. Les pouvoirs publics, après avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, ont émis les recommandations suivantes (circulaire DGS/DGUHC n°99/46 du 27 janvier 1999) :

1000 Bq/m3 : seuil d’alerte justifiant la prise rapide de mesures conséquentes ; possibilité de fermeture dans la cas d’un bâtiment public.
400 Bq/m3 : seuil de précaution au dessus duquel il est souhaitable d’entreprendre des mesures correctrices simples.
200 Bq/m3 : valeur guide à ne pas dépasser pour les bâtiments à construire.

Aux Etats-Unis, l’EPA recommande de maintenir un niveau moyen inférieur à 148 Bq/m3 et rappelle que même en dessous de cette limite, le radon est nocif. En cas de dépassement de ces limites, il est donc souhaitable d’entreprendre des travaux pour limiter le radon, soit en l’évacuant par ventilation ou en l’empêchant d’entrer. Souvent, des mesures très simples suffisent, mais, contrairement au Canada, aucune subvention d’Etat n’est prévue en cas de coûts élevés.

Les autorités françaises sont donc plus réservées que les américaines et il n’y a pas de dépistage systématique. Seule une circulaire émet quelques recommandations qui ne sont pas toujours respectées. Un Atlas du radon, créé récemment par l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), présente des statistiques sur les mesures effectuées. Mais, certaines valeurs extrêmes ont été volontairement écartées. Selon un des responsables de la radioprotection au sein de cet institut (Le Figaro du 19 février 2001) : ” Nous ne voulons pas rentrer dans la logique du pire, car c’est contre-productif. Le stress, lui aussi, est pathogène “. C’est à cause de ce genre d’attitude des autorités que l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, a été créée à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Dotée d’un laboratoire indépendant d’analyse de la radioactivité, elle a pour but de permettre au citoyen de s’approprier la surveillance de son environnement. La mesure du radon, simple et bon marché, est un des services proposés.

Invisible, inodore, le gaz radon passe inaperçu. Bien que posant des problèmes de santé publique, il ne constitue pas non plus une des priorités des autorités sanitaires. Il serait pourtant prudent, surtout pour les personnes habitant dans des régions où des niveaux élevés existent, de contrôler leur maison et/ou leur lieu de travail. L’IPSN estime que 75 000 habitations de notre pays se situent au-delà du seuil d’alerte de 1000 Bq/m3.

Pour faire une analyse radon : un détecteur peut être envoyé par la poste avec une simple notice d’utilisation. La méthode de mesure retenue par l’ACRO est conforme à la norme AFNOR NF M 60-766 et est bon marché (20 euros HT par analyse + frais de port).
Pour en savoir plus : l’ACROnique du nucléaire n°44 de mars 1999 consacre un dossier au radon, 4 euros, frais de port inclus.
Liens :
– Dépistage obligatoire du radon, plaquette de présentation
– La mesure du radon, fiche technique extraite de l’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999
– L’atlas radon de l’IPSN
– Le radon dans l’habitat par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
– Ministère de la santé du Canada, avec un guide à l’usage des propriétaires
– L’aide financière canadienne pour faire face au radon
– La liste des publications sur le radon de l’Environment Protection Agency, Etats-Unis (en anglais)
Textes de référence :
Articles R.1333-15 et R.1333.16 du code de la santé publique.
Arrêté du 15 juillet 2003 relatif aux conditions d’agrément d’organismes habilités à procéder aux mesures d’activité volumique de radon dans les lieux ouverts au public.
Arrêté du 23 octobre 2003 portant nomination à la Commission nationale d’agrément des organismes habilités a procéder aux mesures d’activité volumique du radon dans les lieux ouverts au public.
Circulaire DGS/SD 7 D n°2001-303 du 20 juillet 2001 relative à la gestion du risque lié au radon dans les établissements recevant du public (ERP).

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La Hague : danger zéro ?

David Boilley, Cahier de l’ACRO n°2, juin 2001


La COGEMA a dépensé 23 millions de francs pour tenter de faire croire que ses rejets radioactifs dans l’environnement étaient sans danger sur la santé. Pourtant des études officielles montrent que le doute persiste quant à l’impact de ces rejets.


Le Groupe COGEMA a investi 23 millions de francs dans une campagne de communication car il “considère le public comme un interlocuteur avec lequel un dialogue serein doit être engagé”. Le lancement a été assuré par la présidente du groupe, Anne Lauvergeon, dans une interview qu’elle a donnée au journal Le Monde [1] du 29 octobre 1999. Après avoir insisté sur la nouvelle politique de transparence du groupe, elle explique :

“Dans le passé, des polémiques sont nées des effets supposés des rejets de La Hague et de la centrale nucléaire de Flamanville, sur la santé des populations du Nord-Cotentin. Des études, démenties depuis, ont fait craindre une hausse des leucémies, du fait de nos activités dans cette région. Les inquiétudes ont été telles que nous ne pouvons pas les ignorer. Nous allons donc lancer un concept nouveau : ” Le zéro impact pour la santé “, en agissant sur le niveau des rejets de nos activités. Pour cela, nous retenons les critères des experts internationaux, en particulier ceux de la CIPR (Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants). Pour eux, à 30 microsieverts ? unité qui mesure les conséquences biologiques de la radioactivité sur l’organisme ? par personne et par an, il n’y a pas de risque pour la santé. Nous nous engageons donc à ce que les activités de La Hague produisent moins de 30 microsieverts par personne et par an, pour les populations ayant le maximum d’exposition. C’est une première mondiale. Personne ne s’est fixé sur ce standard très exigeant. Pour comparaison, le standard européen est de 1 000 microsieverts par personne et par an. Pour éviter toute contestation, nous retenons une méthodologie de mesure qui a reçu l’approbation des ministères de l’environnement et de la santé, des associations écologistes et vertes, de Cogema et d’EDF. Il s’agit de celle définie dans le cadre de l’étude dirigée par Annie Sugier.”

Cette argumentation a été reprise dans de nombreux autres documents de la compagnie et sur son site internet. Interrogée par l’ACRO sur le prétendu seuil d’innocuité sur lequel se base toute l’argumentation de la COGEMA, la CIPR, par l’intermédiaire de son secrétaire scientifique, Jack Valentin, est formelle : “La CIPR ne prétend pas qu’il n’y a pas de risque pour la santé en dessous de 30 microsieverts. Une telle affirmation serait en contradiction avec l’hypothèse de la publication n°60 et de nombreux autres rapports d’une relation linéaire et sans seuil entre la dose et les effets à faible dose. Mon impression est qu’il y a eu une incompréhension de la position de la CIPR.” [2] Concernant la méthodologie utilisée dans l’étude dirigée par Annie Sugier pour calculer la dose subie par la population, elle a fait l’objet de réserves de la part de l’ACRO et du GSIEN [3] et la CRII-Rad [4] a refusé de signer le rapport. Dans ses réserves, l’ACRO “pense que [les modèles aériens] utilisés par le Comité ne peuvent en l’état devenir des références”[5]. A quelles associations écologistes et vertes la COGEMA fait-elle allusion ?

La publication de résultats d’études sur une augmentation du taux de leucémies à La Hague avait effectivement fortement inquiété la population et avait conduit les Ministres de la Santé et de l’Environnement à mettre en place le Comité Nord-Cotentin dont les conclusions sont adaptées par la COGEMA. Le ton avait été donné avant même la fin des travaux par une fuite savamment organisée : Le Point du 2 juillet 1999 titrait “La Hague : danger zéro”. Ces mensonges ont ensuite été repris par l’industrie nucléaire allemande et japonaise. Il est donc nécessaire de faire connaître ces travaux.

C’est à la suite de l’émotion suscitée par la publication des travaux de J.F. Viel [6] concernant l’existence d’une augmentation du nombre de leucémies chez les moins de 25 ans dans La Hague et le lien suggéré avec la fréquentation des plages et la consommation de produits marins, que le Comité Nord-Cotentin a été mis en place en 1997. Alfred Spira de l’INSERM est chargé de mener les recherches en épidémiologie ; Annie Sugier de l’IPSN est nommée pour présider le Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, dont le rapport a été rendu public le 7 juillet 1999 [7].

En octobre 1997, Alfred Spira, qui a travaillé avec « l’Association du registre des cancers de la Manche », présente les premiers résultats d’une étude portant sur les années 93-96 [8]. Aucun cas de leucémie supplémentaire n’a été enregistré sur cette période, ce dont tout le monde se réjouit. J.F. Viel avait observé 4 cas dans un rayon de 10 km autour de l’usine, alors que 1,4 cas étaient attendus entre 78 et 92. Cette incidence est statistiquement significative. Sur la période 78-96 qui inclut les deux études, 2,07 cas sont attendus et la sur-incidence de 4 cas n’est plus statistiquement significative. Cette “dilution” est utilisée pour affirmer que la hausse du taux de leucémie a été démentie. Mais en 1998, un nouveau cas est enregistré et l’incidence redevient significative… Dans une nouvelle étude publiée en juillet 2001 [9] la même équipe montre que c’est chez les 5-9 ans qu’il y a le plus fort excès : 3 cas observés entre 1978 et 1998 pour 0,47 cas attendus, soit un ratio de 6,4.

Les missions du Groupe Radioécologie consistaient en l’évaluation du “risque de leucémie attribuable [aux seules sources de rayonnement ionisants] […] pour les jeunes (0 – 24 ans) du canton de Beaumont-Hague” et ne pourrait être “confondu[e] avec un calcul global de l’impact sanitaire lié aux installations nucléaires du Nord-Cotentin.” En effet, les radiations peuvent engendrer de nombreux autres cancers et la contamination radioactive liée à ces rejets est détectée bien au-delà du canton de Beaumont-Hague. Pour les rejets d’éléments à vie longue, vient s’ajouter le détriment au patrimoine génétique des générations futures. Il est donc malhonnête de s’appuyer sur ces travaux, dont l’objectif était limité, pour prétendre que les rejets radioactifs des installations nucléaires du Nord-Cotentin sont sans danger.

L’une des originalités de ce travail est qu’il a été fait en collaboration avec quelques représentants d’associations : ACRO, CRII-Rad et GSIEN. Mais cette ouverture ne doit pas masquer le déséquilibre du Groupe. Sur la cinquantaine d’experts qui ont participé, seuls 6 venaient du “mouvement associatif”, les autres représentaient soit les exploitants du nucléaire, soit les instances de contrôle. Par ailleurs, les moyens des bénévoles ne sont pas comparables à ceux des exploitants. Pour faire un véritable travail de contre expertise et vérifier toutes les étapes du calcul, il aurait fallu pouvoir s’y consacrer à plein temps pendant les deux années. Cela ne posait aucun problème aux exploitants qui envoyaient jusqu’à trois personnes par groupe de travail, c’était impossible pour nous. Malgré un énorme investissement humain, la contribution des associations à ce travail reste modeste.

Au delà de la mauvaise foi des exploitants, cette étude risque de n’être réduite qu’à un seul chiffre, le nombre de cas de leucémies calculé par le groupe. Même faible, 0,0020, ce nombre n’est pas nul et il doit être assorti d’un calcul d’incertitude qui n’a pas été fait. “Du fait de cette réserve, certains membres du groupe considèrent ne pas pouvoir à ce stade conclure qu’il est peu probable que les rejets […] contribuent à l’incidence de leucémies observée.” Créé en période de crise, le Comité a dû travailler dans l’urgence, même si les travaux ont duré deux ans, et de nombreux points restent obscurs.

D’une manière générale, l’expertise exige des scientifiques qu’ils expriment des convictions qui vont bien au-delà de leur savoir. Certains protagonistes les transforment souvent en positions tranchées afin de couper court à tout débat. Il parait donc important d’expliquer la méthodologie utilisée, et d’insister sur ses hypothèses et ses limites.

Le groupe a tenté de connaître de manière exhaustive la quantité de chaque radioélément rejeté dans l’environnement au cours des 30 premières années de fonctionnement de l’usine Cogéma. En se basant sur des calculs et des mesures dans les rejets, 39 éléments ont été ajoutés à la liste, portant à 72 le nombre de radioéléments identifiés. La modélisation de leur dispersion dans l’environnement a ensuite été comparée à une compilation de 500.000 mesures de radioactivité. Même si de nombreux paramètres demeurent approximatifs, ce travail a permis d’avoir une certaine confiance dans le comportement moyen des radioéléments dans l’eau de mer, à l’exception notable de l’environnement immédiat du point de rejet. En revanche, pour les rejets atmosphériques, les exploitants et les autorités de sûreté utilisaient jusqu’alors un modèle qui ne peut pas toujours être appliqué pour les rejets de l’usine de retraitement de La Hague et qui avait tendance à sous-estimer les retombées à proximité de l’usine. Le groupe a donc dû “bricoler” un modèle alternatif qui n’a pas pu être validé par des mesures dans l’environnement.

Un individu vivant à proximité d’une installation nucléaire rejetant dans l’environnement des radioéléments subit des rayonnements ionisants qui pourront avoir un impact sur sa santé. Les voies d’atteintes sont multiples et la dose reçue par cet individu ne peut pas être mesurée directement et doit donc être reconstituée à partir de modèles mathématiques. La population locale est irradiée par le rayonnement ambiant et contaminée par son alimentation, mais aussi en respirant et en se baignant. Il faut additionner toutes ces contributions pour obtenir la dose moyenne reçue sur une année. Pour estimer le nombre de cas de leucémies attendu, il faut sommer toutes les doses reçues au cours de la vie des individus de la cohorte étudiée. Là encore, l’effet des radiations sur la santé est mal connu et est basé sur une extrapolation de ce qui a été observé chez les survivants de Hiroshima et Nagasaki qui ont subi une irradiation forte et soudaine, et non une contamination continue.

On voit donc que la dose calculée dépend de nombreux paramètres parfois mal connus. Jusqu’à présent, les études d’impact des exploitants et des autorités de contrôle étaient basées sur un jeu de paramètres issus de la littérature scientifique internationale et sur des modes de vie moyens nationaux. Un des efforts du Groupe a été de tenir compte des spécificités locales. Mais de nombreux paramètres n’ont pas pu être recalés sur des données locales et demeurent entachés d’une grande incertitude qui se reporte sur le calcul de dose final.

Le groupe a tenté d’évaluer l’influence du mode de vie des riverains sur la dose reçue et s’est basé sur les rejets réels pour faire son étude [10]. Un adulte moyen vivant dans le canton de Beaumont-Hague a reçu une dose de 5 microsieverts en 1996 et de 18 microsieverts en 1985, année où les rejets marins ont été les plus importants. Pour un groupe de pêcheurs utilisé par Cogéma dans ses études d’impact pour estimer la dose des individus les plus exposés, ces chiffres deviennent 8 en 1996 et 41 microsieverts en 1985. Mais si les mêmes pêcheurs pêchaient aux Huquets, comme l’a suggéré l’ACRO, qui est une zone de pêche située à 1,7 km du point de rejet, la dose passe à 226 microsieverts en 1985. Un enfant qui mange un crabe pêché à proximité de la canalisation de rejet reçoit 313 microsieverts. Des agriculteurs vivant sous le vent de l’usine et consommant des produits locaux ont reçu une dose de 59 microsieverts en 1996. Il serait intéressant de connaître précisément de quelles “populations ayant le maximum d’exposition” parle la Présidente de la COGEMA. Pour garantir l’innocuité des rejets radioactifs il aurait fallu tenir compte de tous les comportements possibles comme cela se fait habituellement en radioprotection. Il est important de souligner que le calcul du nombre de leucémies repose sur une démarche dite réaliste qui ne considère que les individus moyens. Par exemple, pêcher à proximité du point de rejet n’a pas été considéré comme “réaliste” par les exploitants, bien que cela soit possible.

Les doses à la moelle osseuse dues aux rejets de routine et accidents (hors situations pénalisantes) ont été utilisées pour évaluer un nombre de cas de leucémies. Les résultats obtenus s’expriment en terme de probabilité. Ainsi, le nombre de cas attendus liés aux installations nucléaires calculé par le Groupe est de 0,0020 et la probabilité (ou le nombre de « chances ») d’avoir un cas est de 0,1%. Mais en multipliant la dose obtenue par 35 (ce qui n’est pas aberrant compte tenu des incertitudes), la probabilité d’observer un cas devient supérieure à 5%, ce qui est généralement considéré comme significatif par les statisticiens.

Dans de telles conditions, il est difficile de donner une conclusion tranchée et le doute persiste quant à l’impact des rejets radioactifs. “En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement” [11].


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[1] Les journalistes du Monde n’ont pas pris la peine de vérifier l’information et semblent donc avoir participé au lancement d’une campagne publicitaire. Sur le rôle du Monde, lire Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ? l’esprit frappeur, 1999. (lire l’article en entier, lien direct).

[2] La lettre de la CIPR est publiée dans l’ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000.

[3] GSIEN, Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire, 2, rue François Villon, 91400 Orsay, tél 01 60 10 03 49, fax. 01 60 14 34 96. Edite la Gazette nucléaire.

[4] CRII-Rad, Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité, 471, av. Victor Hugo, 26000 Valence, tél. 04 75 41 82 50, fax 04 75 81 26 48, http://www.criirad.org.

[5] Sauf indications contraires, les citations sont extraites du rapport du groupe radioécologique du Comité Nord Cotentin (lien direct).

[6] J. F. Viel, La santé publique atomisée, La Découverte. Voir aussi Polémiques sur les leucémies à La Hague, l’ACROnique du nucléaire n°36, mars 1997

[7]Le rapport complet en 6 volumes peut-être commandé à l’IPSN ou partiellement consulté en ligne à l’adresse suivante : http://www.ipsn.fr/nord-cotentin. L’ACRO y a consacré un dossier dans sa revue trimestrielle, l’ACROnique du nucléaire, n°47, décembre 1999.

[8] En juillet 1998, Alfred Spira et Odile Bouton remettent un rapport intitulé « Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé » où ils présentent les résultats de leurs travaux et des propositions d’action. (Ce rapport est publié à La Documentation Française, 1998.)

[9] A-V Guizard et al, Journal of Epidemiology and Community Health n°55, juillet 2001.

[10] Le standard européen de 1000 microsieverts par an et par personne ne constitue en aucun cas un seuil d’innocuité mais conduit à un taux de cancers calculé considéré comme socialement inacceptable. Cette limite englobe toutes les contributions à la dose. Pour une seule source, la CIPR recommande de ne pas dépasser 300 microsieverts. En radioprotection, il faut s’assurer que le comportement le plus pénalisant induit un risque inférieur à cette limite. Les résultats de calculs présentés ici sont basés sur des rejets réels et un comportement réaliste.
[11] Charte de la Terre, Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, Rio de Janeiro, Brésil, 1992.

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Départs médiatiques et arrivées secrètes à l’usine Cogema de La Hague

Extrait de la revue de presse de l’ACROnique du nucléaire n°53, juin 2001


Bras de fer entre la COGEMA et Greenpeace à propos d’un convoi maritime à destination du Japon de combustible Mox fabriquée à l’usine Belgonucléaire de Dessel (Belgique). L’association estime cette cargaison à haut risque, car elle renferme 220 kg de plutonium, de quoi fabriquer une vingtaine de bombes atomiques. Le plutonium contenu dans le MOX n’est pas de qualité militaire, rétorque Claude Jaouen, directeur adjoint de COGEMA sans plus d’arguments. Pourtant, lors de ces missions, les navires sont lourdement armés. En juillet 1999, lors d’un précédent voyage, le Pacific Pintail et le Pacific Teal étaient équipés de canons de 30 mm et accompagnés de commandos de marine. Au Japon aucun réacteur n’est autorisé à fonctionner avec ce type de combustible.

La police est intervenue à Cherbourg pour déloger des manifestants de Greenpeace qui bloquaient l’accès à la gare maritime. Les manifestants ont été appréhendés et un abri de parpaings qu’ils avaient construit sur la voie a été déblayé à l’aide d’un bulldozer. Trois militants, ont été interpellés et mis en examen pour “mise en danger de la personne humaine, destruction de biens publics et obstruction à la circulation ferroviaire”. Une autre action menée parallèlement par Greenpeace à Valognes, toujours dans la Manche, se poursuivait au même moment. L’organisation écologiste a été assignée en référé au tribunal de Cherbourg par la Cogema et Transnucléaire, sa filiale transport. Les plaignants ont réclamé 100.000 F par infraction constatée si des militants s’approchent à moins de 300 m des bateaux et moins de 100 m du convoi terrestre. Le second référé, déposé par les sociétés BNFL et PNTL, homologues britanniques, à qui Cogema a confié la charge du transport de MOX, concerne Greenpeace international, Greenpeace France et Yannick Rousselet, et demande, selon les mêmes termes, 350.000 F par infraction constatée. (AFP, 13, 14, 15 et 17 janvier 2001 et Libération, 15 janvier 2001)

Le combustible Mox a finalement rejoint directement la gare maritime de Cherbourg sans passer par Valognes le 16 janvier. Les conteneurs étaient protégés par un important dispositif de sécurité, réparti le long du parcours et encadrant le convoi. Le dispositif était composé notamment du policiers du RAID, d’unités du Groupement d’intervention de la police nationale, d’un Elément Léger d’Intervention (ELI) de la gendarmerie mobile, des renseignements généraux, des commandos marine et d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS). Pendant ce temps, trois militants de Greenpeace étaient toujours enchaînés à la grille d’entrée routière du terminal ferroviaire de Valognes. Le lendemain, les militants de Greenpeace ont tenté d’empêcher l’arrivée à Valognes d’un convoi de combustibles nucléaires usés en provenance de la centrale de Borselle aux Pays-Bas. (AFP, 16, 17 et 18 janvier 2001)

Coup d´éclat de Greenpeace le 19 janvier à Cherbourg : malgré un important dispositif militaire, trois canots pneumatiques de l´organisation ont réussi à rentrer dans le port à 9 h 30, lâchant quatre plongeurs qui ont brandi des écriteaux dénonçant le Mox avant d´être appréhendés. Le tribunal de cette ville a, le 17 janvier, enjoint l´association écologiste de ne pas approcher du cargo à quai sous peine d´une amende de 350 000 F. L´association aura néanmoins effectué un baroud d´honneur, ridiculisant les forces armées gardant l´entrée du port. (Le Monde, 20 janvier 2001) Les 14 militants de Greenpeace arrêtés à Valognes lors de l’arrivée du convoi en provenance des Pays-Bas ont été condamnés à des peines d’amendes variant entre 5.000 et 10.000 francs, mais relaxés du chef de mise en danger de la vie d’autrui. L’avocat de la Cogema avait demandé 50.000 francs de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par la compagnie et le substitut du procureur de Cherbourg avait requis 12 mois de prison avec sursis et 5.000 francs d’amende à l’encontre des militants de l’organisation écologiste. Trois des prévenus ont été condamnés pour “dégradation de biens publics” et à des amendes de 10.000 francs chacun. Ils devront également verser environ 40.000 francs de dommages et intérêts, notamment à la Cogema et à la mairie de Valognes. Les onze autres prévenus, condamnés pour “entrave à la circulation ferroviaire”, ont écopé d’amendes de 5.000 francs chacun. (AFP, 2 février 2001)

« En règle générale les organisations militantes ne sont pas très argentées, explique Bruno Rebelle, Directeur de Greenpeace France. L’essentiel de leurs ressources est affecté à l’action de terrain, au lobbying, à l’élaboration de dossiers techniques solides, base indispensable des interpellations qu’elles conduisent. Aussi leurs réserves financières sont rarement confortables. Les autorités et les capitaines d’industrie, qui sont souvent la cible de ces organisations, ont vite compris qu’il y avait là un point de faiblesse qu’ils pouvaient tourner à leur avantage. Le 16 janvier 2001, Greenpeace est une nouvelle fois condamnée à l’amende avant même d’avoir effectivement entravé les activités de la Cogéma – Compagnie générale des matières nucléaires -. Cette fois le tribunal va bien au delà de la sanction demandée, en portant la peine d’amende de 100.000 FF à 350.000 FF. L’organisation écologiste rappelle que l’article 5 du Code de procédure pénale stipule que “le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement ce qui est demandé”. On peut, dès lors, s’interroger, face à une telle position : la justice n’outrepasse-t-elle pas sa mission en protégeant les intérêts privés de l’industrie nucléaire au dépend de la préservation de la liberté d’expression et de contestation ? »

Sydney : un convoi transportant une cargaison de déchets nucléaires dans les rues de Sydney a été escorté par la police jusqu’à un bateau à destination de la France, en dépit des protestations d’organisations écologistes. Cela a aussi irrité la Nouvelle-Zélande. Le ministre des Affaires étrangères a estimé que son pays n’avait pas reçu d’informations suffisantes ajoutant “que la Nouvelle-Zélande voulait un système spécifique de notification, l’application des plus grandes mesures de sécurité possibles ainsi que l’assurance de compensations éventuelles”. Il a également indiqué que “son pays était opposé à tout passage de bateaux contenant des matériaux nucléaires près de ses côtes”. Il a précisé qu’il n’était pas envisagé que ce bateau y passe. La cargaison de combustible MOX en provenance de Cherbourg et à destination du Japon, doit en revanche traverser la mer de Tasmanie pendant la saison des cyclones dans cette région. (AFP, 23 janvier 2001) Le combustible irradié australien envoyé en France est issu d’un réacteur de recherche. Il s’agit de 360 “éléments combustibles usés”, transportés dans cinq emballages de 20 tonnes chacun, sur 1.300 éléments prévus. Un premier transport a déjà eu lieu entre novembre 1999 et janvier 2000. Le contrat de retraitement de ces matières a été avalisé par un échange de lettres entre les gouvernements français et australien daté du 27 août 1999, mais les usines de la Hague ne sont pas autorisées à retraiter ce combustible d’un type particulier. Son entreposage en France pourrait donc être assimilé à un stockage. Or, la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs n’autorise la présence en France de déchets étrangers que s’ils sont destinés au retraitement : son article 3 dispose en effet que ” le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement. ” Même sans autorisation, la COGEMA affirme que le combustible usé sera retraité et conditionné par l’usine de La Hague, avant d’être renvoyé en Australie “pour entreposage et stockage définitif”. (Le Monde, 6 mars 2001 et AFP 9 mars 2001)

Allemagne : Selon un communiqué de presse de Matignon, le Premier ministre français et le chancelier allemand se sont mis d’accord sur la reprise des transports des déchets nucléaires entre les deux pays. “Un premier retour de déchets vitrifiés vers l’Allemagne aura lieu à la fin du mois de mars ou début avril. Alors pourra reprendre le cours normal des transports vers la France des combustibles usés provenant des centrales nucléaires allemandes, qui seront traités à La Hague (Manche), puis réexpédiés vers l’Allemagne”, précise le communiqué en citant un accord établi “sur la base des conclusions du groupe de travail mis en place à la suite du sommet de Vittel en novembre dernier.” Il a été convenu que d’autres transports seraient organisés chaque année, au rythme minimum de deux transports par an”. (AFP, 1er février 2001) Cogéma se réjouit parce l’Allemagne représente 20 % du chiffre d’affaires de La Hague. Celle-ci doit encore livrer 2 000 tonnes de combustibles à retraiter. Soit près des deux tiers de l’activité industrielle du site normand dont le niveau de charge n’est plus aussi florissant que par le passé. (Ouest-France 2 février 2001)

Transports secrets

Pendant l’été 2000, la France a accueilli dans la plus grande discrétion quatre transports de déchets nucléaires allemands vers La Hague. Selon Wise-Paris, ces importations découlent d’un contrat signé en octobre 1997 entre la Cogema et DWK, un consortium de compagnies allemandes d’électricité. Il prévoyait d’évacuer et de retraiter un stock de rebuts de Mox restant à l’usine d’Hanau (dans le Hesse), une usine de fabrication de Mox à l’arrêt depuis 1991. Les autorités allemandes ont autorisé une série de quinze transports avant le milieu de l’année 2001. Onze resteraient donc à effectuer. La Cogema ne dément pas ces informations mais précise qu’il s’agit de combustible neuf, au sens où il n’a pas été irradié et qu’elle va le retraiter, comme elle le fait pour les rebuts de l’usine française Melox. En fait, le statut des matériaux importés est très discutable. Ils ont été façonnés à partir d’un stock de rebuts de fabrication de Mox, comprenant environ 840 kg de plutonium, et accumulés dans l’usine de Hanau entre 1969 et 1991, ainsi que d’environ 60 kg de plutonium liquide provenant d’un réacteur de recherche de Karlsruhe, également arrêté. Son directeur, Helmut Rupar, indique au Monde que le matériel en cause “constitue un déchet qui ne peut être utilisé comme combustible. Il comprend beaucoup d’impuretés, surtout de l’américium.” Le plutonium 241 se décompose en effet, sur une période assez courte (quatorze ans) en américium 241, un élément qui présente une radioactivité alpha et gamma importante, et qui n’a pas d’utilisation. L’affaire est d’autant plus étonnante que la Cogema n’a pas reçu l’autorisation de retraiter ces matériaux dans ses usines de la Hague. Rappelons que la loi de 1991 interdit le stockage de déchets nucléaires étrangers en France. (Le Monde, 14 février 2001) Suite à cette affaire, la Cogéma se retrouve assignée en référé par Didier Anger, conseiller régional Vert de Basse-Normandie et le CRILAN (Comité de réflexion, d’information et de lutte anti-nucléaire). Leur avocat s’appuie sur une lettre d’André-Claude Lacoste, directeur de la sûreté des installations nucléaires qui assure que “la Cogema n’est actuellement pas en possession d’une autorisation de traiter les lots d’assemblages en provenance de Hanau”. Selon lui, ce traitement éventuel “nécessiterait de la part de la DSIN une autorisation spécifique”, mais “la Cogema n’a pas à ce jour demandé l’autorisation de traiter le lot d’assemblages”. (Le Monde, 6 mars 2001) Lors de l’audience en référé, la Cogema a notamment insisté sur l’irrecevabilité du CRILAN en tant qu’association agréée pour se pourvoir en justice. Elle a été suivi par le tribunal, le comité n’ayant pas dans ses statuts l’autorisation de se pourvoir en justice pour ce cas précis. Didier Anger a lui aussi été débouté sur la forme. (AFP, 20 et 21 mars 2001)

Depuis plusieurs années, près de cinquante tonnes de combustible Mox irradié allemand sont stockées à la Hague sans autorisation de retraitement. Utilisé depuis une dizaine d’années dans les réacteurs nucléaires allemands et français, ce mélange d’uranium et de plutonium permet de recycler une partie du plutonium issu de l’usine de la Hague mais, après son irradiation, il est beaucoup plus chaud et beaucoup plus radioactif que le combustible standard à l’uranium, déjà considéré comme très dangereux. Ces 48,8 tonnes de Mox usé allemand entreposées dans les piscines de la Hague représentent une quantité importante : à titre de comparaison, il s’agit du tiers du Mox usé d’EDF entreposé dans les mêmes conditions (158,9 tonnes). Il est constitué de 112 “assemblages” : 50 sont parvenus à la Hague entre novembre 1988 et la fin de l’année 1991 et 62 entre début 1992 et février 1998. Cette information a été fournie par la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) au Monde, qui a été alerté par une publication du Gesellschaft für Anlagen und Reacktorsicherheil (GSR), l’équivalent allemand de la DSIN. Les experts ne cachent pas que ce retraitement, s’il devait se produire un jour, n’interviendrait pas avant plusieurs dizaines d’années.

De toute façon, l’établissement de la Cogema, à la Hague, n’a pas l’autorisation de retraiter le Mox irradié. Ses deux usines les plus modernes, UP2800 et UP3, ne retraitent que le combustible usé à base d’uranium. Apparemment, ce retraitement n’est en outre pas souhaité par la Cogema : dans une lettre adressée le 20 septembre 1999 à Dominique Voynet, la ministre de l’environnement, la PDG de la Cogema, Anne Lauvergeon, retirait les combustibles particuliers, dont le Mox, de sa demande de modification des décrets sur le fonctionnement de ces deux usines, indiquant qu’une “demande d’autorisation” serait déposée le moment venu. Depuis, aucune demande n’a été faite ni ne semble devoir l’être prochainement.

Une autre voie théorique de retraitement du Mox irradié allemand pourrait être la troisième usine de La Hague, UP2400, “déclarée” en 1964 et dont le cadre juridique est très lâche. Cependant, elle est âgée de près de quarante ans, a connu plusieurs incidents de fonctionnement et ne traite depuis 1994 que des quantités faibles de déchets nucléaires. La DSIN ne dissimule pas son souhait de voir fermer UP2400 le plus tôt possible. L’usine est d’ailleurs à l’arrêt depuis 1998 et son redémarrage éventuel imposerait peut-être une nouvelle enquête publique. Le décret n° 63-1228 sur les installations nucléaires exige en effet une nouvelle procédure d’autorisation des usines nucléaires quand elles n’ont pas été exploitées pendant deux ans.

En raison de ces difficultés, il est probable que les 50 tonnes de Mox allemand stockées à l’usine de la Hague ne seront jamais retraitées. S’agit-il pour autant d’un “déchet” radioactif, c’est-à-dire d’une “substance radioactive pour laquelle aucun usage n’est envisagé”, comme le précise la Règle fondamentale de sûreté du 24 septembre 1982 ? Pour Marie-Hélène Lagrange, de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), “des combustibles usés qui ne sont pas destinés au retraitement sont des déchets.” Dans cette logique, les Mox irradiés allemands stockés à la Hague sont des déchets.

Pour Christian Bataille, député (PS), rapporteur de la loi de 1991 sur les déchets radioactifs, “le stockage en France de Mox allemand bafoue l’esprit de la loi”. Et d’ajouter, “il ne faut accepter en France que du combustible dont le retraitement est programmé. Les autorités et les parlementaires ne veulent en aucun cas stocker en France du combustible non retraité d’origine étrangère. Or il est clair que le retraitement du Mox irradié n’est pas rentable. On est en situation de surabondance de combustible tant en France qu’en Allemagne.” Le texte de 1991 ne contient malheureusement aucune sanction en cas d’infraction et n’a pas reçu de décrets d’application. (Le Monde, 6 mars 2001)

En 1994, la loi allemande a changé, autorisant soit le retraitement soit l’enfouissement des combustibles irradiés. Les compagnies ont donc renégocié leurs contrats avec COGEMA et BNFL. Selon des experts proches des agences de sûreté nucléaire qui ont vu les contrats, les nouveaux termes autorisent ces compagnies à entreposer leur combustible irradié dans les usines de retraitement de La Hague et de Sellafield pendant 25 ans avant de décider si elles le feront retraiter ou non. Si elles ne le font pas retraiter, le combustible irradié sera rapatrié en Allemagne, des frais d’entreposages seront payés, mais aucune pénalité n’est prévue. Ces contrats concernent le combustible irradié produit jusqu’en 2005 avec une possible extension jusqu’en 2015. (The Bulletin of the Atomic Scientists, mai/juin 2001).

Bras de fer juridique

Dans ce contexte de révélations en chaîne, l’arrivée de nouveaux combustibles étrangers, que la Cogema n’est pas autorisée à retraiter, est une provocation. Avant même l’arrivée du combustible nucléaire australien, la Cogema a assigné en référé Greenpeace devant le TGI de Cherbourg. Elle demande de “faire interdire à Greenpeace ainsi qu’à toute personne se réclamant du mouvement Greenpeace de s’approcher à moins de 100 m des convois de combustible australien et ce sous astreinte de 500.000 F par infraction constatée”. Greenpeace a retourné le référé en demandant à la Compagnie de prouver qu’elle avait bien l’autorisation de retraiter ces combustibles étrangers. Devant le tribunal de Cherbourg l’avocat de Cogema, a fourni les termes du contrat signé en 1999 avec l’Australie. L’industriel peut transporter, recevoir et entreposer les combustibles étrangers mais il n’est nullement autorisé à les retraiter. Ce dont convient la Cogema : “Nous ne solliciterons l’autorisation qu’après l’extension [en cours] du décret de 1974.” Ce décret, fort peu précis, donnait une autorisation globale de retraitement à la première usine de la Hague UP2 400. En sommeil depuis 1998, elle est inapte à retraiter les nouveaux combustibles sans lourdes modifications. Cogema espère donc de nouvelles autorisations de retraitement pour ses unités plus modernes, UP2 800 et UP3. (AFP, 13 mars et Ouest-France 14 mars 2001)

La Cogema a été déboutée et condamnée à produire les documents réclamés par Greenpeace. Le tribunal a considéré qu’elle et sa filiale transport, Transnucléaire, n’avaient pas fait la preuve qu’il y aurait perturbation du convoi en provenance d’Australie et l’a condamnée par contre à produire les pièces réclamées par l’organisation écologiste. La Cogema devra donc fournir à Greenpeace les “dispositions parapluie” prises entre la compagnie et son client australien, ANSTO, le 15 octobre 1999, ainsi que les annexes à la demande d’autorisation formulée à la direction de surveillance des installations nucléaires (DSIN) du 2 février 2000, le tout sous peine de 100.000 F d’astreinte par document et par jour sous un délai de huit jours maximum. Le calendrier de retraitement des déchets australiens, réclamé par Greenpeace, n’a par contre pas été demandé par le tribunal, la Cogema ayant fait la preuve de l’impossibilité de fournir ce document, aucun calendrier n’existant officiellement. (AFP, 14 mars 2001)

Le même jour Greenpeace a déposé au tribunal de Cherbourg un référé d’heure à heure à l’encontre de la Cogema pour empêcher le débarquement des combustibles australiens considèrant leur arrivée des déchets comme illégale. Ce type de combustible, composé d’uranium naturel enrichi à 23%, n’a jamais été retraité dans les usines Cogema à La Hague. Le lendemain, le tribunal de Cherbourg donne gain de cause à Greenpeace et assujettit son interdiction d’une astreinte de 100.000 F par élément de combustible radioactif qui aurait été déchargé sur le territoire français, renouvelable par période d’une semaine tant que ces combustibles irradiés n’auront pas quitté le territoire français ou n’auront pas reçu les autorisations nécessaires à leur retraitement. La Cogema a fait appel en affirmant sans vergogne que “tous les combustibles entrant sur le site de La Hague sont destinés à y être traités et en aucun cas stockés, ce qui serait contraire aux règles régissant le fonctionnement de l’établissement et la loi du 30 décembre 1991” ! (AFP, 14 et 15 mars 2001) La cour d’appel de Caen a cassé le jugement du tribunal des référés de Cherbourg et débouté Greenpeace en autorisant le débarquement des déchets australiens. (AFP, 3 avril 2001)

Greenpeace a déposé une assignation à jour fixe dans laquelle elle attaque la Cogema sur le fond du dossier et réclame 150.000 F de dommages et intérêts, “l’interdiction de toute nouvelle importation de combustible usé australien” sur le sol français et que la Cogema produise les autorisations nécessaires au retraitement de ces combustibles en conformité avec l’article 3 de la loi Bataille de 1991. Si ces autorisations ne sont pas fournies par la Cogema, Greenpeace demande à ce que les combustibles australiens repartent vers leur pays d’origine dans les deux mois sous peine d’une astreinte de 100.000 F par semaine et par élément de combustible entreposé sur le territoire français. (AFP, 17 avril 2001) Le jugement a été mis en délibéré au 25 juin, date à laquelle le tribunal décidera s’il est compétent ou non pour juger l’affaire sur le fond, ou si celle-ci relève du tribunal administratif de Caen. (AFP, 21 mai 2001)

Comble de malchance, l’une des deux usines de retraitement, l’unité UP2-800 a connu à la même période un incident majeur sur le plan technique. Elle a été stoppée le 21 février et n’a redémarré que le 12 avril. Une fuite a été découverte dans l’atelier de cisaillement des combustibles irradiés qui est entièrement hermétique où nul homme ne peut survivre plus de quelques minutes. Une fissure de quelques millimètres sur une goulotte de transfert de l’atelier de cisaillement vers l’atelier de dissolution bloque tout le système de retraitement. L’autre usine, UP 3, étant en révision, tout le site de la Hague est en panne. Ses salariés redoutent même le chômage technique. (Ouest-France 14 mars 2001, Le Monde, 16 mars 2001 et AFP 12 avril 2001) L’activité de retraitement de la Cogema constitue environ 50 % de son chiffre d’affaires et ses clients sont de plus en plus réticents à recourir à ses services. L’intérêt économique a été jugé très discutable par le rapport Charpin-Dessus-Pellat, remis au premier ministre en juillet 2000. C’est pour assurer le fonctionnement de cette usine que la Cogema cherche à multiplier les commandes de combustibles non standard, tels que les rebuts de Mox de l’usine de Hanau (Allemagne) ou les combustibles irradiés australiens. Ce type de matières représente des volumes assez faibles, mais leur dangerosité impose des opérations de retraitement spécifiques. Cette opération induit donc un chiffre d’affaires plus élevé que lorsqu’il s’agit de combustibles issus des réacteurs produisant de l’électricité. On compte environ deux cent cinquante réacteurs nucléaires de recherche dans le monde, dont un grand nombre va bientôt fermer, sans que leurs exploitants aient toujours une vision claire du devenir de leurs combustibles usés. La proposition de la Cogema est donc attractive. (Le Monde, 16 mars 2001).

Dans ce contexte, la tension est montée d’un cran. Lors de l’audience du 20 mars, les repésentants du CRILAN ont dû accéder au Tribunal de sous protection policière car des travailleurs de la COGEMA ont tenté d’en bloquer l’accès. (Libération, 20 mars 2001)

Epilogue

Au total, l’Allemagne doit encore rapatrier l’équivalent de 166 emballages de type “Castor” contenant des déchets hautement radioactifs, dont 127 en provenance de La Hague et 39 en provenance de Sellafield, assure le ministère de l’Environnement allemand. Sachant qu’un transport de déchet comprend en général six emballages Castor, il faudrait encore 14 ans, à raison de deux transports par an, pour rapatrier la totalité du stock de déchets allemands à l’étranger. Etant donnée l’ampleur des manifestations provoquées, chaque transport mobilise des dizaines de milliers de policiers. (AFP, 23 mars 2001) A cela s’ajoutent les déchets faiblement et moyennement radioactifs oublié par les autorités et la presse. Malgré ces retours difficiles, cinq emballages (24 t) de combustible usé allemands sont arrivés à La Hague après avoir fait face à de nombreuses petites manifestations tout au long du trajet. La Cogema espère accueillir une dizaine de convois similaires cette année. (AFP, 11 avril 2001) Le Réseau Sortir du Nucléaire dénonce à ce propos un marché de dupe.

Au Japon, les garde-côtes ont mobilisé des hélicoptères et des avions tandis que la police a mis à disposition environ 300 hommes pour surveiller la centrale lors de l’arrivée du combustible Mox accueilli par un millier de manifestants. (AFP, 24 mars 2001 et Libération, 26 mars 2001) Le premier chargement de combustible Mox, arrivé au Japon en septembre 1999, attend dans la piscine de la centrale de Fukushima en compagnie du combustible irradié. Tout un symbole… Ce nouveau chargement a rejoint, lui aussi, une piscine de déchets.


Lire aussi le communiqué de presse de l’ACRO sur le sujet : Cogéma ou la politique du fait accompli.

Ancien lien

Enquêtes publiques à La Hague

(mis à jour le 14 juin 2001)

 

L’ACRO propose différents documents relatifs aux enquêtes qui ont eu lieu à La Hague au printemps 2000 :

De nombreux autres textes sont disponibles en ligne, consulter notre index thématique


Objet des enquêtes :

Etablissement COGEMA de La HagueDevant faire face à une baisse des commandes, la COGEMA souhaite augmenter la capacité de retraitement de ses deux usines afin de pouvoir en fermer une si nécessaire. Elle demande aussi à être autorisée à retraiter des combustibles plus irradiés, combustibles MOx ou provenant de réacteurs de recherche.Ces demandes doivent être accompagnées d’une étude de danger et d’impact environnemental de ces nouvelles activités. La COGEMA n’a pas demandé de révision de ses autorisations de rejets, mais le gouvernement compte les réduire autoritairement à l’issue des enquêtes publiques. Il est donc important de donner aussi son avis sur ce sujet.” Ouverture de 3 enquêtes publiques conjointes relatives aux demandes de modification des décrets du 12 mai 1981 modifiés, autorisant la création de l’usine de traitement de combustibles irradiés UP3-A (INB 116), de l’usine de traitement de combustibles irradiés UP2 800 (INB 117) et de la station de traitement des effluents liquides et des déchets solides STE3 (INB 118). 

Ces 3 installations nucléaires de base sont exploitées par COGEMA sur le site de la Hague, dans les communes d’Omonville La Petite, Jobourg, Digulleville et Herqueville. 

Les 3 demandes présentées par le président-directeur général de COGEMA visent à modifier les autorisations en vigueur, respectivement des INB 116, 117 et 118, en vue d’adapter les conditions des installations pour répondre aux évolutions attendues de la nature des combustibles et aux besoins de traitement d’autres types d’effluents et de déchets particuliers.

Période d’enquête : du 2 février 2000 au 3 avril 2000 inclus.”

Centre de Stockage de déchets radioactifs de la Manche à DigullevilleAyant reçu son dernier “colis” en juin 1994, l’ANDRA a du mal à fermer son centre de stockage. La précédente demande de passage en phase de surveillance ayant été rejetée en 1995 par les autorités, elle doit refaire la procédure d’enquête publique qui est accompagnée cette fois d’une demande d’autorisation de rejets dans l’environnement.“Ouverture de 2 enquêtes publiques conjointes relatives aux demandes d’autorisation présentées par le directeur général de l’ANDRA concernant le centre de stockage de déchets radioactifs de Digulleville.

La 1ère de ces demandes vise à obtenir l’autorisation de passage en phase de surveillance de l’INB 66; la 2nde est relative à l’autorisation de procéder à des rejets d’effluents liquides pour cette même INB.

Période d’enquête : du 2 février 2000 au 3 avril 2000 inclus.”


 Ancien lien

Etude préliminaire de la répartition de l’iode 129, effectuée en 1998, dans l’environnement de l’usine de retraitement de La Hague à l’aide d’une mousse terrestre : Homalotecium sericeum.

Etude ACRO (octobre 1999) dont les principaux résultats ont été repris dans l’ACROnique du nucléaire n°52, mars 2001.


Cette étude a été effectuée dans le cadre d’une convention passée entre l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (A.C.R.O.) et la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (D.S.I.N.). Elle constitue, pour l’année 1998, une extension au programme de surveillance mené par l’A.C.R.O. sur le plateau de La Hague. En effet, l’A.C.R.O. n’effectue des mesures régulières que pour le milieu aquatique continental et dispose de peu de données pour les autres écosystèmes. Avec le présent travail, des données nouvelles sont fournies sur les teneurs en iode 129, radioélément caractéristique du retraitement, observable chez un bio-indicateur atmosphérique reconnu de longue date et couramment utilisé pour traduire la qualité de l’air. Si l’ensemble des résultats permet d’établir une cartographie des teneurs en iode 129 dans La Hague, ce travail n’en constitue pas moins une démarche préliminaire destinée à alimenter la réflexion sur ce thème. Cette étude est un élément nécessaire pour définir une stratégie applicable à un travail de plus grande envergure qui permette de préciser la manière dont se répartit l’iode 129 “atmosphérique” dans la région de La Hague. En second lieu, elle constitue un support à la mise en place d’une future surveillance radiologique de l’air à l’aide de bio-indicateurs.

Les travaux du Groupe Radioécologique du Comité Nord Cotentin (cf dossier de l’ACROnique du nucléaire n°47) ont montré qu’en 1996, la dose efficace totale moyenne reçue par la population vivant dans les environs de l’usine COGEMA de La Hague est due principalement aux rejets dans l’atmosphère. Ces calculs de dose reposent sur un modèle  de rejet atmosphérique très approximatif qui n’a pas pu être validé par une comparaison avec des mesures dans l’environnement.

Un des éléments majeurs en terme de dose facilement détectable dans l’environnement est l’iode 129. Produit de fission présent dans les combustibles irradiés, il est presque entièrement rejeté dans l’environnement lors du retraitement. Les autres isotopes radioactifs de l’iode sont soit produits en faible quantité ou ont des durées de vie suffisamment courtes pour qu’il n’y ait pas d’accumulation. Celle de l’iode 129 est de 15,7 millions d’années.

Ce travail présente les résultats d’une étude sur la répartition (cartographie) de ce radioélément autour de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague à l’aide de 18 échantillons de mousses terrestres utilisées comme bio-indicateurs.


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L’uranium

Fiche technique de l’ACROnique du nucléaire n°52, mars 2001.


L’uranium naturel est l’élément chimique le plus lourd que l’on trouve dans la nature ; il est constitué de trois isotopes radioactifs, l’uranium 234, l’uranium 235 et l’uranium 238 dans les proportions suivantes : 0,0055%, 0,720% et 99,2745%. L’uranium 235 est le plus fissible et présente donc un intérêt énergétique et militaire. La plupart des réacteurs nucléaires utilisent de l’uranium dit enrichi car il a une proportion d’uranium 235 plus forte que dans l’uranium naturel. Elle est de 3,5% actuellement en France et pourrait monter jusqu’à 5% dans l’avenir. Pour faire une bombe, il faut monter à un taux d’enrichissement supérieur à 90%. Les résidus de ce processus industriel, qui contiennent très peu d’uranium 235 (0,3% en moyenne) sont appelés uranium appauvri. C’est donc un sous-produit de l’industrie nucléaire disponible en très grande quantité et bon marché.

L’enrichissement est un processus complexe car tous les isotopes de l’uranium ont les mêmes propriétés chimiques : seule leur masse diffère légèrement. En France, c’est par diffusion gazeuse que se fait le tri à l’usine Eurodif de Marcoule [1] – opération très coûteuse en énergie, puisque sa consommation en électricité représente l’équivalent de la production de trois réacteurs nucléaires. L’usine alimente une centaine de réacteurs, dont environ la moitié pour l’exportation. L’uranium appauvri issu de la fabrication de ce combustible étranger reste en France. Pour mille deux cent tonnes (métal lourd) de combustible enrichi consommé par an en France, on fabrique près de 8000 tonnes d’uranium appauvri. D’où des stocks importants : plus de 210.000 tonnes en France et dix fois plus aux Etats-Unis pour la filière civile sont classées comme stocks stratégiques et non comme déchets. La conversion chimique de l’uranium après l’enrichissement n’est pas sans danger et a conduit à Tokaï-mura au Japon, en 1999, à un grave accident [2].

L’uranium appauvri qui sort de l’usine d’enrichissement n’est que très partiellement utilisé par l’industrie nucléaire, qui le mélange à du plutonium pour faire du combustible Mox. Pour le reste, les débouchés étant rares, c’est un résidu bien encombrant. Une autre source de résidu d’uranium provient du retraitement des combustibles irradiés.

Dans un réacteur nucléaire, une partie de l’uranium 235 fissionne, il libère de l’énergie et donne alors naissance à de nouveaux éléments chimiques de masse moindre appelés produits de fission. Une faible partie absorbe un neutron pour donner de l’uranium 236. L’uranium 238 fissionne plus difficilement et donne plutôt de l’uranium 239 quand il est heurté par un neutron. Ce dernier se désintègre rapidement par rayonnements bêta en neptunium 239, puis en plutonium 239. Les isotopes plus lourds de l’uranium subissent un processus similaire. La séparation de l’uranium du combustible irradié dans les usines de retraitement n’est pas parfaite et il reste des traces de nombreux autres éléments radioactifs présents dans le combustible, dont du plutonium. Bien que plus riche que l’uranium naturel, l’uranium de retraitement est refusé par l’usine Eurodif en vue d’un ré-enrichissement car trop radioactif. En France, une petite partie de la production de l’usine Cogéma de La Hague est envoyée en Russie pour fabriquer des combustibles très spéciaux destinés à des réacteurs de recherche. Sur 24.000 tonnes d’uranium de retraitement produites (dont 17.000 pour le compte de la France), moins de 10% ont été ” recyclées ” [3]. Le reste est un résidu plus toxique que l’uranium appauvri, mais la distinction entre les deux n’est pas toujours faite. Selon la loi française, l’uranium de retraitement issu des combustibles étrangers ne doit pas être stocké en France au-delà des contraintes techniques, mais à notre connaissance aucun renvoi n’a eu lieu. A Bessine dans le Limousin, la COGEMA a été autorisée à stocker 199 900 tonnes d’oxyde d’uranium appauvri ; la présence d’uranium 236 laisse penser que de l’uranium de retraitement y est aussi stocké.

La double toxicité de l’uranium

Les différents isotopes de l’uranium présents dans ces résidus de l’industrie nucléaire sont tous des émetteurs alpha avec des périodes très longues, données dans le tableau ci-dessous ; ils donnent du thorium qui est lui même radioactif… La chaîne de désintégration de l’uranium 238, le plus abondant, est donnée ci-contre. Lors de l’extraction du minerai, l’uranium est séparé de ses descendants, tous présents dans la nature. C’est surtout en cas de contamination que l’uranium est dangereux. Le rayonnement alpha peut être arrêté par une feuille de papier, il est donc facile de s’en protéger. Par contre, lors d’une contamination (ingestion ou inhalation) les tissus humains sont très affectés par l’importante énergie rayonnée. C’est aussi, comme tous les métaux lourds, un toxique chimique.

isotope U234 U235 U236 U238
période 245.500 ans 73.800.000 ans 23.420.000 ans 4.468.000.000 ans

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ” les effets de l’uranium appauvri sur la santé sont complexes car ils sont liés à la forme chimique du composé qui pénètre dans l’organisme. Les effets peuvent être chimiques et/ou radiologiques. On ne dispose que d’informations limitées sur les effets sanitaires et environnementaux de l’uranium sur la santé et l’environnement. […] En ce qui concerne les effets radiologiques de l’uranium appauvri, le tableau se complique puisque la plupart des données connues concernent les effets sur la santé de l’uranium naturel ou enrichi. Les effets sur la santé dépendent des modalités (ingestion, inhalation, contact ou lésions) et du niveau d’exposition, ainsi que des caractéristiques de l’uranium appauvri (taille et solubilité des particules).” [4]

” L’organisme humain contient en moyenne 90 mg d’uranium provenant de l’absorption naturelle d’aliments, d’air et d’eau. On en trouve environ 66 % dans le squelette, 16 % dans le foie, 8 % dans les reins et 10 % dans les autres tissus.”[5] Afin de rassurer la population, il est souvent affirmé que l’uranium appauvri est environ 40% moins radioactif que l’uranium naturel que l’on trouve partout dans l’environnement. En effet, la période de l’uranium 238 étant beaucoup plus longue que celle de l’uranium 235, il se désintègre moins vite et est donc moins radioactif, mais dans la nature, on ne trouve pas de l’uranium pur. Le minerai extrait des mines françaises ne contient que 0,5% d’uranium et celui des mines canadiennes, les plus riches, entre 4 et 8%. Quant à l’écorse terrestre, elle contient en moyenne 3g d’uranium par tonne. L’uranium appauvri est donc beaucoup plus radioactif que notre environnement. Et l’uranium de retraitement, du fait de la présence d’impuretés radioactives, est encore plus radiotoxique.

L’activité massique de l’uranium 238 pur peut être aisément calculée à partir de sa période : 12.400.000 Bq/kg. Mais le thorium 234 obtenu se désintègre rapidement (24 jours de période) en protactinium 234 puis en uranium 234 (1,2 minute de période) par émissions bêta successives. L’uranium 234 a ensuite une période radioactive très longue, on peut donc estimer dans un premier temps que la chaîne s’arrête là. En fait, pour calculer l’activité de l’uranium appauvri, c’est à dire le nombre de désintégrations par seconde, il faut aussi tenir compte de ces deux descendants, ce qui donne une activité environ trois fois supérieure : 37.300.000 Bq/kg. En ajoutant la contribution des autres éléments présents, on arrive à 39.000.000 Bq/kg pour l’uranium appauvri. Pour calculer la radioactivité du site de Bessine, la Cogéma ne tient compte que de l’uranium et ignore ses descendants, évitant ainsi que le site soit classé en Installation Nucléaire de Base (INB) dont la législation est plus stricte. Ce mode de calcul a reçu la bénédiction du conseil d’Etat, malgré l’avis défavorable de la commission d’enquête publique…[6]

L’ingestion d’un gramme d’uranium 238 conduit à une dose de 0,57 mSv et l’inhalation à 99 mSv [7]. Pour le plutonium dont on trouve des traces dans l’uranium de retraitement, ces doses sont de un à trois million de fois plus élevées. L’ingestion de1,8 g d’uranium 238 par an ou l’inhalation de 0,01 g/an conduit à la limite annuelle pour la population qui est de 1 mSv par an. Dans la pratique, il faut aussi tenir compte d’autres voies d’exposition à la radioactivité du fait qu’il peut y avoir à la fois ingestion et inhalation. Ces chiffres sont donc des limites supérieures à ne pas atteindre.

Pour ce qui est de la toxicité chimique, l’OMS explique que ” l’uranium entraîne des lésions rénales chez l’animal de laboratoire et certaines études font apparaître qu’une exposition à long terme pourrait avoir des conséquences sur la fonction rénale chez l’être humain. Les lésions observées sont les suivantes : modifications nodulaires de la surface des reins, lésions de l’épithélium tubulaire et augmentation de la glycémie et de la protéinurie.”[8]

“Par ingestion orale : Le niveau de risque minimum est lié à cette ingestion par voie orale et pour une introduction de 1 µg d’uranium par kilo de poids et par jour. Autrement dit, pour un individu pesant 70 kg, le risque minimal chronique correspond à une dose de 26 mg par an (ATSDR 1977)[9]. Zamora 1998 [10] a présenté une étude sur les effets chimiques induits par une ingestion chronique d’uranium appauvri dans l’eau de boisson. Ce groupe humain a bu de l’eau contenant de l’uranium appauvri à la dose de 2 à 781 µg/litre (ce qui correspond à une dose comprise entre 0.004 et 9 µg/kg de poids et par jour ). Sa conclusion est: “ces investigations sont en faveur, à condition qu’il s’agisse d’une période chronique importante d’ingestion d’uranium, d’une interférence sur la jonction rénale”.

Par inhalation : Stokinger et al en 1953 [11] ont étudié les inhalations chroniques d’uranium appauvri sur des chiens. Cela a montré qu’une concentration d’uranium de 0.15 mg/m3 dans l’air ne produit pas d’effet observable. C’est à partir de cette expérimentation que l’on a déduit ce que l’on appelle le risque minimal par inhalation chez les humains et qui a été estimé à 1 µg/m3 et à partir duquel on a fait dériver dans un premier temps toutes les valeurs minimales acceptables en ce qui concerne ce radiotoxique.”[12]

 


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Renseignements techniques sur d’autres sites :


[1] A l’origine, l’un des actionnaires de l’usine d’enrichissement Eurodif de Marcoule était l’Iran du Chah, ce qui n’a pas été sans poser de problème quand le pays est passé sous la coupe des Ayatollahs. Le contentieux entre les deux pays a duré de nombreuses années et serait à l’origine d’enlèvements de Français au Liban et de la vague d’attentats à Paris dans les années 1985-1986. Il est difficile de croire que seul un problème financier ait bloqué la résolution du conflit, il est fort probable que la France s’était engagée à fournir de l’uranium suffisamment enrichi pour avoir un intérêt militaire. Elle aurait finalement cédé… Sur cette affaire, voir Dominique Lorentz, Une guerre, mai 1997, et Affaires atomiques, février 2001, édition des Arènes.

[2] ” Tokaïmura : un grave accident qui devait arriver “, l’ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999.

[3] X. Coeytaux, ” Recyclage des matières nucléaires, mythes et réalités “, WISE-Paris, avril 2000.

[4] OMS, Aide-Mémoire N° 257, janvier 2001.

[5] Ibidem

[6] B. et R. Belbéoch, janvier 2001. (ici) Une revue de presse est aussi disponible ici.

[7] Ces chiffres ont été calculés à partir des coefficients de dose pour l’adulte de l’uranium 238 (4,5E-8 Sv/Bq pour l’ingestion et 8E-6Sv/Bq pour l’inhalation) donnés par la directive européenne EURATOM 96/29 publiée au JOCE N° L159 du 29 juin 1996. Pour l’inhalation, ce coefficient dépend de la propention de l’uranium à être éliminé et donc de sa forme chimique. Nous avons retenu ici le coefficient qui correspond aux formes oxydées des poussières produites par les armes. C’est aussi le coefficient le plus pessimiste.

[8] OMS, Aide-Mémoire N° 257, janvier 2001.

[9] ATSDR 1997: US agency for toxic substances and disease registry, toxicological profile for uranium draft for public comment, p350, septembre 1997

[10] Zamora ML Tracy, BL Zieltnski, JM Meyerhof, DP Moss MA Chronic ingestion of uranium in drinking water toxicological sciences, 43, n°1, p68/77, mai 1998.

[11] Stokinger et al 1 953 in Jacob 1 997 Umweltbundesamt texte 43/97 Berlin lO-Henge -Napoli MH, Ansburlo E, Chazel V et al: Interaction uranium-cellule cible, exemple de la transformation de particules d’U04 dans le macrophage alvéolaire – Radioprotection, 32, n°5, p625/636 1997

[12] Dr. A. Behar, Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire, extrait de Médecine et Guerre nucléaire volume 4 n° 4 (1999) (article)

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