Deuxième mission du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin : les réserves des représentants de l’ACRO

juillet 2002


Dès la création du GRNC en 1997, l’ACRO a été invitée à participer à ses travaux. Cette première mission a concerné le volet radiologique. L’association s’est fortement impliquée par l’engagement de bénévoles (pour les différents groupes de travail et le comité plénier) mais aussi en exploitant les données (mesures) de notre laboratoire. En juillet 1999, nous avons signé le rapport final dans les termes clairement exprimés dans sa conclusion nuancée et précisés dans une annexe au rapport où nous exposions nos critiques  [1]. Si nous portons un regard globalement positif sur la démarche méthodologique construite collectivement, nous ne saurions cautionner la valeur du risque obtenue au terme de l’estimation.

Durant l’année 2000, les Ministres de tutelle ont demandé à la Présidente du GNRC de poursuivre les travaux d’évaluation de l’impact sanitaire des installations nucléaires du Nord Cotentin en particulier par un calcul d’incertitude qui devrait encadrer le résultat estimé du risque de leucémie en lien avec les rejets radioactifs et, par ailleurs par une évaluation des conséquences des rejets chimiques tant pour la population que pour l’environnement. C’est ce qui est appelé la « mission 2 » pour laquelle l’ACRO fut à nouveau sollicitée.

A ce stade, il est utile de rappeler la réponse apportée par notre association. Plusieurs membres de l’ACRO (quatre au total) participeront aux travaux dans le cadre de cette nouvelle mission mais ils ne pourront engager qu’eux-mêmes et non pas l’association dans son ensemble. Très clairement, nous ne voulons pas être de nouveau pris dans le piège grossier de certaines « une » provocatrices [« La Hague sans danger ! »…] et mensongères [caution du mouvement associatif…].
Concernant l’évaluation de l’incertitude sur le nombre de cas de leucémies calculé à partir des modèles de transfert dans l’environnement des rejets des installations nucléaires de la région, l’IPSN avait inscrit cette thématique dans ses programmes de recherche et l’a engagée au sein d’un groupe de travail interne. Ce travail a ensuite été confirmé par une lettre de mission des ministres de l’environnement et de la santé au cours de l’été 2000 et il a donc été décidé d’ouvrir ce groupe de travail aux exploitants et à des représentants du mouvement associatif. L’ACRO a été invitée à y participer au début de l’année 2001.

Ainsi, lorsqu’il a été décidé d’associer des membres du mouvement associatif, le travail était déjà très avancé. Il leur a été proposé de rediscuter les intervalles de variation d’une partie des paramètres entrant dans les modèles et c’est tout. Cela ne suffit pas pour se considérer acteur de l’étude. En conséquence, dès le mois de juin 2001, la présidente du GRNC a été informée que nous ne signerons pas un tel document que nous considérons plutôt comme un « rapport IPSN ».

Sur le fond, nous reconnaissons la difficulté et l’ampleur du travail accompli. Il est cependant important de noter que l’étude ne porte que sur moins de la moitié du risque théorique associé aux rejets radioactifs. Dans un premier temps, seuls les rejets de routine ont été pris en compte. Or, pour les incidents, l’erreur pourrait être beaucoup plus élevée. La seule prise en compte de 11 mesures de strontium 90 « oubliées » lors de la première mission, a conduit le GRNC à réévaluer d’un facteur 7 la dose collective reçue lors du percement de la conduite en 1979/80. Autre exemple plus récent, lors des incidents ruthénium de 2001, l’action de surveillance de l’ACRO a permis d’observer que l’incertitude sur le terme source était de trois ordres de grandeur (c’est à dire d’un facteur 1000).

Les limites de l’étude doivent être soulignées. Elle s’attache pour l’essentiel à l’impact environnemental des rejets de routine et aux modes de vie et refuse d’aborder tout ce qui touche aux effets sur la santé des rayonnements. C’est pourtant là encore une partie sujette à de larges approximations qui retentissent directement sur cette marge d’incertitude.

Sur ce chapitre, le travail fait par le GTI ne permet pas de conclure quant à l’innocuité des rejets radioactifs. Il n’en demeure pas moins important, car il donne une idée de l’ampleur de l’impact environnemental théorique des rejets de routine. Ainsi le travail effectué pourrait être très facilement transposé aux calculs de dose effectués par l’exploitant dans son dossier soumis à enquête publique en 2000.
Les conséquences des rejets chimiques des installations nucléaires ont été évaluées par un comité et ses sous-groupes de travail élargis pour la circonstance à de nombreux spécialistes institutionnels du risque chimique. Ce renouvellement partiel a permis un travail particulièrement enrichissant qui aboutit à une double évaluation, d’une part, de l’impact sanitaire et, d’autre part, de l’impact environnemental.

Sur cette question, il ne serait pas pertinent d’évoquer ici telle ou telle remarque ou critique particulière  [2] que nous avons pu émettre au cours de ces deux années de travail car rien n’indique qu’elles puissent modifier les conclusions actuelles. Notons cependant que le bilan des rejets chimiques potentiels des sites industriels du Nord-Cotentin est incomplet. Autant Cogéma, EDF et Andra se sont efforcés de reconstituer leurs produits entrants et leurs rejets chimiques dans l’environnement, autant l’arsenal de Cherbourg, pourtant gros contributeur de rejets chimiques dans le Nord-Cotentin, n’a pas effectué de recherches approfondies  [3].
Plus fondamentalement, nous voulons souligner là encore les limites des études qui ne devront pas être omises lors de la présentations des résultats et qui apparaissent bien exprimées dans le corps des rapports détaillés (notamment dans le rapport sanitaire). Peut-être plus encore  que pour le volet radiologique, nous sommes ici dans un domaine de la toxicologie où les connaissances demeurent encore très fragmentaires voir pauvres  [4] dès lors que l’on se situe dans un contexte d’exposition environnementale à un niveau faible et chronique (ce qui est le cas pour des rejets de routine). Cela doit inciter à la plus grande prudence du propos car les informations sont ici en cours de réévaluation permanente : une substance classée simplement « nocive » aujourd’hui peut être reclassée demain comme « cancérogène avéré ».

En matière de métrologie (les mesures dans l’environnement), les données collectées sont également très pauvres contraignant le GRNC à construire des modèles de dispersion bien théorique et d’autant plus approximatifs (difficulté à les caler sur des mesures…). De ce point de vue, le travail conduit par le sous-groupe « Mesures dans l’environnement », qui avait pour objectif de proposer un programme de mesures chimiques dans l’environnement, apparaît tout particulièrement pertinent.
En conclusion, nous voulons d’abord souligner l’importance et l’ampleur du travail accompli ces deux dernières années. Comme pour le volet radiologique, le volet chimique n’a pas permis d’apporter la preuve d’une relation de cause à effet entre les rejets effectués dans l’environnement et un éventuel impact sanitaire. Cependant, et comme nous l’avions souligné en juillet 1999, l’absence de preuve d’une telle relation ne constitue pas pour autant la preuve de son inexistence. Nous prenons acte des résultats présentés dans le contexte des connaissances scientifiques du moment ainsi que des limites des études.
Il nous semble important d’insister sur ce contexte et de ne jamais présenter tel ou tel résultat comme définitivement acquis mais plutôt comme une donnée provisoire du moment sujette à une remise en cause constamment dès lors que des données nouvelles émergent. Et c’est peut-être là une des démarches la plus originale du GRNC d’accepter ce questionnement, de reconsidérer ses propres travaux et de procéder à des réévaluations.

Pierre Barbey
David Boilley
André Guillemette
Gilbert Pigree


[1] Notre principale réserve porte sur la démarche “réaliste” retenue par le Comité pour la reconstitution des doses reçues par la cohorte et le risque qui en découle. Nous continuons à penser qu’en matière de radioprotection, toute évaluation d’impact sanitaire doit être menée de façon conservatrice car en l’absence de la mesure précise de l’incertitude liée au calcul “réaliste”, seule la démarche “enveloppe” garantit qu’elle contient la vraie valeur de l’impact. Lire les réserves concernant la mission 1.
[2] Comme par exemple la non prise en compte de la consommation des eaux de surface par les espèces animales.
[3] Nous aurions en effet souhaité que l’arsenal de Cherbourg puisse, comme les autres exploitants, communiquer au GRNC :
– le descriptif des différentes activités de l’établissement pouvant engendrer le rejet de produits chimiques,
– la liste des produits chimiques (y compris les peintures et additifs..) entrants et leur consommation annuelle,
– l’estimation des produits chimiques rejetés dans l’environnement (notamment pour la période 1966-1985).
[4] Pour illustration, si l’on dispose d’informations sur la toxicité aiguë des substances chimiques pour 50% d’entre elles, il n’existe encore que très peu de données, 14%, sur leur toxicité chronique [données 1998].


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