Pollution au plutonium à La Hague révélée par l’ACRO : chronologie des évènements

Chronologie pour suivre ce dossier

Dans le cadre de son Observatoire Citoyen de la Radioactivité dans l’Environnement, l’ACRO effectue une surveillance régulière de la pollution radioactive autour des installations nucléaires de La Hague, ce qui lui a permis, en 2016, de mettre en évidence une pollution inhabituelle dans la zone du Ru des Landes, avec la présence notable d’américium-241 et de plutonium, particulièrement toxiques. Areva, devenue Orano, s’est engagée à reprendre les terres contaminées. Si, en décembre 2022, aucun travail d’assainissement n’a encore été mené, des vaches continuent à y paître. Mais les travaux sont pour bientôt, promis…

L’ACRO reste vigilante et continue les investigations sur ses fonds propres.
Elle a besoin de votre soutien : adhérez ou faites un don.

Voici une chronologie des informations publiées sur cette pollution :

10 octobre 2016 : l’ACRO alerte sur une pollution à l’américium autour du ruisseau des Landes à la Hague

Dans le cadre de son Observatoire Citoyen de la Radioactivité dans l’Environnement, l’ACRO effectue une surveillance régulière de la pollution radioactive autour des installations nucléaires de La Hague qui lui a permis de mettre en évidence, au niveau du Ruisseau des Landes, dans les sédiments et mousses aquatiques, du cobalt-60, de l’iode-129, du césium-137 et de l’américium-241.
La présence de ces quatre radionucléides artificiels, et plus particulièrement l’américium-241, est totalement anormale puisque ce ruisseau ne constitue pas un exutoire réglementaire des eaux pluviales recueillies sur le site d’Areva. La campagne de prélèvements ACRO du 17 septembre 2016 montre également que la tache de contamination par l’américium n’est pas localisée en un seul point, MAIS concerne toute la zone humide autour de la source.
Des travaux sont en cours non loin de cette zone, sur le site nucléaire, autour du silo 130 afin d’en garantir l’étanchéité et d’en améliorer la surveillance par ajout de piézomètres. Est-ce que la pollution observée en 2016 est la continuité des fuites de la Zone Nord-Ouest ou est-ce une nouvelle contamination due aux travaux en cours ? Qui va décontaminer la zone extérieure ?

-> Lien direct vers le communiqué de l’ACRO.

24 janvier 2017 : Areva reconnait la pollution et s’engage à nettoyer la zone.

“AREVA la Hague va mettre en œuvre un plan d’action en vue de reprendre et conditionner les terres marquées en américium 241 dans la zone située au nord-ouest du site. L’usine de la Hague renforce également son programme de surveillance environnementale en planifiant une campagne semestrielle de prélèvements supplémentaires dans la zone en question […]
Les mesures effectuées dans les échantillons de terres et de boues ont mis en évidence un marquage en américium 241, avec une valeur haute de 8 becquerels par kilo de terre humide.”

Areva ne donne pas le détail de ses résultats de mesure.

-> Lien direct vers le communiqué d’Areva.

26 janvier 2017 : l’ACRO publie de nouveaux résultats obtenus qui confirment ses premières analyses et de surcroît, montrent des niveaux de contamination encore plus importants en certains endroits.

Suite aux premières constatations, l’ACRO a décidé de continuer les investigations sur ses fonds propres afin de mieux cerner l’étendue des pollutions observées ainsi que leurs origines. Deux campagnes de prélèvement ont été réalisées les 17 octobre et 16 novembre dernier au cours desquelles ont été collectés une quarantaine d’échantillons. Outre l’américium-241, d’autres éléments radioactifs sont mesurés comme le césium-137, le cobalt-60, l’iode-129. Des mesures des isotopes du plutonium et de strontium-90 sont également en cours.
L’ACRO réitère sa demande que toute la lumière soit faite sur l’origine, l’étendue et l’impact de cette pollution, avec accès à toutes les données environnementales. En attendant, elle continue ses investigations.

-> Lien direct vers le communiqué de l’ACRO.

2 mars 2017 : l’ACRO publie de nouveaux résultats d’analyse qui confirment la présence de strontium et de plutonium

“L’ACRO a confié à un laboratoire d’analyse suisse accrédité le soin d’effectuer des analyses complémentaires sur des échantillons de sol prélevés autour du ruisseau des Landes à la Hague. Les résultats confirment la présence de strontium-90 et de plutonium – deux éléments particulièrement radiotoxiques –  à des niveaux significatifs : jusqu’à 212 Bq/kg de matière sèche pour le strontium et jusqu’à 492 Bq/kg de matière sèche pour les seuls plutoniums 239 et 240 (239+240Pu).”

-> Lien direct vers le communiqué et les résultats.

Areva a réagi immédiatement en publiant son propre communiqué :

“AREVA la Hague a engagé son plan d’actions afin d’analyser et traiter les marquages historiques dans les terres à proximité de la source du ruisseau des Landes, dans la zone située au nord-ouest du site. Une équipe projet a ainsi été mise en place […].
Par ailleurs, les contrôles réalisés dans les échantillons de terre confirment la présence d’un marquage en plutonium, avec une valeur moyenne de l’ordre de 20 becquerels par kilo de terre prélevée, dans la zone la plus marquée (soit environ 200 becquerels par kilo de terre sèche).”

Areva ne publie pas le détail de ses résultats de mesure.

-> Lien direct vers le communiqué d’Areva.

10 mars 2017 : l’ACRO demande l’accès à toutes les données environnementales relatives à la pollution radioactive de la zone du Ru des Landes

“La Charte de l’environnement, adossée à la Constitution et de la convention européenne d’Aarhus, le Code de l’environnement, article L125-10, garantit à toute personne le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les exploitants d’une installation nucléaire de base. Les articles L124-1 et suivants, quant à eux, garantissent le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues, reçues ou établies par les autorités et établissements publics.
L’ACRO a donc saisi Areva, l’ASN, l’IRSN et le Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, afin d’obtenir la publication de toutes les données relatives à la pollution radioactive dans la zone du Ru des Landes à La Hague.”

-> Lien direct vers le communiqué de l’ACRO.

Areva et l’IRSN nous ont envoyé leurs données depuis, mais pas pour les prélèvements les plus récents.

14 mars 2017 : l’IRSN publie un état des lieux de sa surveillance de cette zone depuis 1996

“Des mesures réalisées par l’IRSN en octobre 2016 confirment celles publiées par l’ACRO […]. L’IRSN a réalisé de nouvelles campagnes de prélèvements, notamment début 2017, qui devrait permettre de disposer de meilleurs éléments de caractérisation locale et peut-être d’établir un lien entre certains événements passés et les observations actuelles.”

Les résultats de ces nouvelles campagnes ne sont pas publics.

-> Lien direct la note d’information de l’IRSN.

20 avril 2017 : avis de l’IRSN relatif à la présence de radioactivité artificielle au nord-ouest de l’établissement AREVA-NC de La Hague (publié en mai 2017)

“A la suite de mesures réalisées en 2016 par l’association ACRO indiquant la présence d’américium, de césium, de plutonium et de strontium à proximité de la source du ruisseau des Landes, dans la zone de bocage située au nord-ouest de l’établissement AREVA NC de La Hague, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à AREVA NC d’expliciter les origines possibles de ces contaminations et les voies de transfert susceptibles de les expliquer, de préciser les risques sanitaires associés et d’examiner la nécessité de compléter son programme de surveillance de l’environnement.
Par lettre citée en référence, l’ASN demande l’avis et les observations de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la note technique transmise par AREVA NC en décembre 2016, en réponse à cette demande.”

La note technique d’Areva n’est pas publique. Mais l’IRSN précise :

“Dans la note technique transmise en décembre 2016, AREVA NC cite comme origine possible du marquage de la source du ruisseau des Landes, des transferts de radionucléides par les eaux souterraines à partir des fosses bétonnées non étanches de la ZNO. En outre, selon l’étude d’impact réalisée dans le cadre de la demande de démantèlement complet de l’usine UP2-400, un marquage global de cette zone est également attribué aux rejets intervenus lors de l’incendie du silo 130 […].
En conclusion, en l’état actuel des connaissances, l’IRSN considère que les contaminations observées dans la zone située au nord-ouest de l’établissement de La Hague sont à relier à plusieurs évènements pour lesquels des modes de transfert différents sont à considérer […].
Il est toutefois à souligner que tous les marquages en américium 241 et en plutonium constatés, s’agissant notamment des singularités observées en amont et aval de la résurgence de la nappe, ne sont à ce jour pas clairement expliqués.
Par ailleurs, l’IRSN considère que les phénomènes de transfert identifiés ci-dessus pourraient conduire, bien que les entreposages à l’origine des contaminations soient actuellement vides, à une augmentation progressive du marquage au niveau de la source du ruisseau des Landes, qui apparaît comme une zone d’accumulation des contaminants.”

-> Lien direct vers l’avis de l’IRSN.

13 septembre 2017 : la pollution au plutonium du Ru des Landes a les honneurs du Canard Enchaîné

5 octobre 2017 : Areva propose de reprendre 25 m3 de terres contaminées sur 40 m2

Pas de détail sur le site Internet d’Areva. Si tout le monde convient que le Ru des Landes est une « Zone à dépolluer » (ZAD), l’ACRO demande :

  • que l’étendue de la pollution soit bien caractérisée car cette surface nous semble réduite ;
  • que les mécanismes de transfert soient bien étudiés pour éviter de nouveaux apports ;
  • que l’impact sanitaire soit étudié de manière pluraliste à partir de 1974.

Janvier 2018 : l’IRSN met en ligne son avis sur le plan de dépollution d’Areva

L’IRSN a mis en ligne son avis n°2017-00376 daté du 4 décembre 2017 relatif à la contamination du Ru des Landes et à la surveillance après travaux (lien direct). Le dossier Areva n’est toujours pas public, mais indiquerait un marquage, en plutonium, américium 241 et strontium 90, des eaux de la nappe alimentant la résurgence. Ce qui signifie que les fuites continuent. L’exploitant prévoit donc un captage des eaux de la nappe pour éviter toute nouvelle contamination des terres au niveau de la résurgence.

Janvier 2019 : Bilan 2015-2017 de l’état radiologique de l’environnement français

Le bilan 2015-2017 de l’état radiologique de l’environnement français (lien direct) publié par l’IRSN rend compte, à partir de la page 309, de la pollution radioactive au Ru des Landes en prenant en compte nos mesures.

Autrement, on attend toujours la consultation promise par l’ASN sur le plan de dépollution proposé par Orano.

Décembre 2020 : L’université de Lausanne et l’ACRO montrent, dans une publication scientifique, que la pollution au plutonium est probablement antérieure à 1983

Les analyses complémentaires effectuées par l’université de Lausanne confirment que l’usine de retraitement est bien à l’origine de cette pollution et permettent de la dater approximativement. Les éléments détectés dans l’environnement suggèrent que le combustible usé traité, à l’origine de cette pollution, est ancien. Lien vers la publication scientifique.

Septembre 2022 : L’ASN autorise enfin Orano à procéder aux opérations d’assainissement des sols à proximité du ruisseau des Landes

Presque 6 ans après la première alerte de l’ACRO, l’ASN, dans sa décision n° CODEP-CAE-2022-0046581, autorise Orano à procéder aux opérations d’assainissement des sols à proximité du ruisseau des Landes. Espérons qu’il ne faudra pas attendre 6 années de plus pour que les travaux soient réalisés. Dans le nucléaire, la gestion des déchets et des pollutions s’inscrit dans le temps long…

L’ACRO va maintenir sa vigilance et sa surveillance radiologique du site. Elle a besoin de votre soutien pour cela.

Septembre 2023 : Orano a débuté les travaux de dépollution, sept ans après la première alerte de l’ACRO

Communiqué de presse OCRE

Orano La Hague peut rejeter 840 fois plus de tritium que Fukushima.
Venez prélever avec l’ACRO

ACRO, Communiqué du 29 août 2023

L’ACRO commence demain sa campagne de prélèvements le long des côtes Normandes avec son réseau de préleveurs volontaires. Le programme est en ligne ici : C’est ouvert à tous.
Les échantillons seront ensuite analysés dans le laboratoire de mesure de la radioactivité de l’association, qui est agréé par l’Autorité de sûreté nucléaire et les résultats publiés sur notre site (acro.eu.org).

Les rejets d’Orano La Hague sont les plus élevés au monde et peuvent être détectés jusqu’en Mer du Nord. Certains radioéléments, comme l’iode-129 ou le carbone-14, pourraient pourtant être filtrés. Et pour le tritium, de l’hydrogène radioactif difficile à filtrer, l’autorisation annuel de rejet en mer est 840 fois plus élevée qu’à Fukushima (18 500 Tera becquerels par an contre 22 TBq/an).
L’Observatoire citoyen de la radioactivité dans l’environnement, créé par l’ACRO il y 25 ans, permet un suivi des rejets des installations nucléaires de la région dans le temps et dans l’espace. Sur de nombreuses stations, l’ACRO est la seule à faire des contrôles.

Pour en savoir plus :
Observatoire OCRE : https://www.acro.eu.org/lassociation/o-c-r/
Rejets en mer au japon (article ACRO) : https://fukushima.eu.org/debut-du-rejet-en-mer-de-leau-contaminee-traitee-a-la-centrale-de-fukushima-dai-ichi/

Nucléaire : un « cycle » du combustible grippé – Note d’information

Fierté française, le « recyclage » des combustibles nucléaires usés, affiche une piètre performance après 56 ans de développements industriels. En effet, seul le plutonium, soit moins de 1% de la masse des combustibles usés, repasse en réacteur sous forme de combustible Mox. Et ces combustibles Mox ne sont pas retraités après irradiation et s’entassent dans les piscines de La Hague proches de la saturation. Comme le plutonium a une forte valeur énergétique, cela permet de réduire d’un peu moins de 10% la consommation de combustibles à l’uranium naturel enrichi.

Mais, ces dernières années, un changement de procédé à l’usine Mélox a grippé le « cycle » car les pastilles de combustibles Mox qui y sont produites n’ont pas l’homogénéité requise. Les rebuts sont renvoyés à La Hague, sans solution pour le moment. Et là aussi cela sature.

Une étude des données publiées tous les ans par l’ANDRA dans ses inventaires de déchets et matières radioactifs permet d’avoir une idée de l’ampleur du problème. Plongeons-nous dans les chiffres.

Pour en savoir plus, lire la note d’information de l’ACRO :

D’où vient l’uranium importé en France ? Note d’information

Depuis 2001, année de la fermeture de sa dernière mine, la France importe tout son uranium. Pour savoir d’où il vient et en quelle quantité, il faut prendre en compte toute la chaîne de transformations chimiques et nucléaires entre la mine et le réacteur, qui est complexe, et retracer ensuite les échanges commerciaux. Car l’uranium voyage beaucoup et change de pavillon en cours de route. Et le manque de transparence n’aide pas…

Pour en savoir plus, lire la note d’information de l’ACRO.

Résumé :

Depuis 2001, année de la fermeture de sa dernière mine, la France importe tout son uranium. D’où vient-il ? Difficile de répondre car, entre les mines et les réacteurs, l’uranium voyage beaucoup pour subir un ensemble de transformations chimiques et nucléaires, et change alors de pavillon. Aux Etats-Unis, l’administration publie un rapport annuel complet sur les flux d’uranium et les coûts associés. Euratom publie des données au niveau européen. Mais rien de tel en France et il faut fouiller sur internet pour trouver des données, malheureusement incomplètes.

L’uranium naturel est composé essentiellement de deux isotopes, l’uranium-238 et l’uranium-235 auxquels s’ajoutent des traces d’uranium-234. Seul l’uranium-235 est fissible, mais sa teneur naturelle n’est que de 0,72%. Or, la grande majorité des réacteurs nucléaires de production d’électricité utilisent un combustible dont la teneur en uranium-235 a été enrichie entre 3 et 5%. Il faut donc séparer physiquement les deux principaux isotopes de l’uranium naturel après une série de conversions chimiques, pour obtenir, d’un côté, de l’uranium enrichi à partir duquel le combustible est fabriqué et de l’uranium appauvri qui a très peu de débouchés. L’enrichissement est donc une étape stratégique pour l’industrie nucléaire avec seulement 4 acteurs majeurs : Rosatom en Russie couvre 46% de la production mondiale ; Urenco, avec des usines au Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas et Etats-Unis, détient 30% des parts de marché ; Orano, avec une usine en France, 12% et CNNC en Chine, 11%. Ce dernier ne fournit que la Chine, dont le marché est fermé. Le marché russe est aussi fermé aux enrichisseurs occidentaux, mais Rosatom fournit aussi l’occident, en plus du marché national.

In fine, les assemblages de combustible utilisés par EDF sont fabriqués par sa filiale Framatome, dans ses usines françaises et allemandes et par Westinghouse, dans ses usines en Suède et au Royaume-Uni.

Orano, exploite des mines d’uranium situées au Canada, Kazakhstan, Niger et Ouzbékistan et a des participations dans d’autres mines dont il n’est pas l’exploitant. Mais la compagnie enrichit de l’uranium provenant de presque tous les pays producteurs d’uranium et fournit une soixantaine de clients dans le monde. D’après Le Monde, quatre pays, à savoir le Kazakhstan (20,1 %), l’Australie (18,7 %), le Niger (17,9 %) et l’Ouzbékistan (16,1 %), lui ont fourni les trois quarts de l’uranium naturel importé entre 2005 et 2020.

Entre 1956 et 2003, le parc nucléaire français a eu besoin de 173 837 tonnes d’uranium naturel, soit 11,5% de la demande mondiale, selon le « Red book » de l’OCDE. EDF s’approvisionne auprès d’Orano, qui lui fournit actuellement 40 % de son combustible, d’Urenco et de Tenex, la filiale de Rosatom. Entre 2009 et 2012, années pour lesquelles des données précises sont disponibles, Tenex a enrichi 28% de l’uranium consommé par EDF. Même après l’invasion de l’Ukraine, EDF continue ses achats en Russie, selon le Canard Enchaîné (7/12/2022), alors qu’elle pourrait se fournir ailleurs.

Sans la Russie, impossible de réutiliser une partie de l’uranium récupéré lors du retraitement des combustibles usés. Et, pour sauver le mythe du recyclage, l’industrie nucléaire est prête à s’assoir sur la résolution du parlement européen qui « invite les États membres à mettre un terme à toute collaboration avec la Russie dans le domaine nucléaire, en particulier avec Rosatom et ses filiales ».


Mise à jour du 13 mars 2023

Le 11 mars, Greenpeace a publié un rapport sur les flux d’uranium entre la Russie et la France qui vient compléter notre travail. Il a eu un plus grand impact médiatique que le nôtre…

Dans sa réponse aux médias, EDF ne nie pas l’importation d’uranium enrichi en provenance de Russie tout en opposant le “caractère confidentiel” du détail de ses approvisionnements. Elle précise cependant qu’elle n’a pas “augmenté sa part d’enrichissement de son uranium naturel non russe réalisé en Russie en 2022 par rapport à 2021”.

Et comme l’uranium n’est pas concerné par les sanctions européenne, la compagnie a beau jeu d’affirmer appliquer “strictement toutes les sanctions internationales et/ou les restrictions liées à la non-obtention d’autorisations administratives requises, tout en respectant les engagements contractuels pris”. Et donc elle ne va pas rompre ses contrats avec la Russie, même si son partenaire occupe la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia. Les 16 engagements Responsabilité Sociétale d’Entreprise d’EDF, qui incluent « l’éthique et les droits humains », ne pèse pas bien lourd, comme nous l’avions déjà souligné.

L’ACRO déplore la volonté du gouvernement d’affaiblir le contrôle en sûreté nucléaire et radioprotection

Le 8 février 2023, le gouvernement a annoncé vouloir démanteler l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’expert officiel. L’expertise passerait sous la tutelle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et la recherche retournerait au CEA, comme c’était le cas au siècle dernier. La décision a été prise à huis-clos, sans la moindre concertation, officiellement lors du Conseil de Politique Nucléaire qui s’est tenu à l’Elysée le 3 février dernier, mais annoncée plus tard. Cette instance, créée en 2008 par Nicolas Sarkozy, réunit des ministres, le chef d’état-major des armées, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique autour du président de la République. Mais, elle n’inclut pas les ministres en charge du travail, de la santé ou de l’environnement…

La ministre de la Transition énergétique a demandé au président de l’ASN, au directeur général de l’IRSN, et à l’administrateur général du CEA, de lui proposer, d’ici fin février, les premières mesures et une méthode de travail permettant de mettre en œuvre ces orientations, avant une feuille de route plus détaillée en vue de la loi de finances 2024. Voir la lettre de mission.

Pourquoi cette décision, prise sans concertation, est inquiétante ?

La recherche et l’expertise se nourrissent mutuellement. En les séparant, le gouvernement va entraîner une perte de compétence et, in fine, affaiblir l’expertise. Ce doit être le but recherché suite aux déboires à répétition de l’EPR de Flamanville, de Melox et à la fragilité du parc nucléaire vieillissant. Et, sous la tutelle du CEA, la part de la recherche dédiée à la sûreté, à la radioprotection et à l’environnement risque de diminuer.

En plaçant l’expertise au sein de l’ASN, il y a un risque que cette dernière cherche à influencer l’avis technique. La séparation des deux acteurs, comme c’est le cas actuellement, oblige à un dialogue approfondi et permet aussi une plus grande transparence dans le processus.

Rappelons que le système actuel est issu des travaux présidés par le député Le Déaut, missionné par le premier ministre en 1998, qui avait mené une large concertation. Dans son rapport il soulignait :

  • Il faut garder une distinction entre, d’une part le niveau de l’autorité, d’autre part l’expertise.
  • Un expert en sûreté ne peut pas dépendre d’un exploitant ni d’un grand organisme de recherche promoteur du nucléaire. Il faut séparer administrativement l’IPSN (Institut de protection et de sécurité nucléaire) du CEA (Commissariat à l’énergie atomique).

La décision du gouvernement ne repose sur aucun audit ou étude qui viendrait étayer ce changement majeur de la gouvernance du pays le plus nucléarisé au monde. Sacrifier la sûreté pour gagner quelques mois sur la construction des futurs EPR n’a aucun sens alors que les retards actuels sont techniques et non procéduriers. Le communiqué gouvernemental ne contient ni le mot « concertation » ni le mot « transparence ». Des concepts sans importance, sans doute…

Le fonctionnement de l’IRSN doit être réformé en l’ouvrant plus au monde académique et aux parties prenantes en acceptant une plus grande pluralité d’approches. Il y a aussi la nécessité de garantir la liberté académique à ses chercheurs qui ne sont pas libres de publier ou de parler aux médias. Nous n’oublions pas le licenciement d’une chercheuse de cet institut en 2020, car ses résultats de recherches ne plaisaient pas à sa hiérarchie. En réaction, l’ACRO avait démissionné du Comité d’Orientation des Recherches de l’IRSN où elle siégeait depuis une dizaine d’années. Enfin, sur certains domaines non soumis au secret, il y a nécessité de voir émerger d’autres acteurs, aussi bien en recherche qu’en expertise.

Le sort que promet le gouvernement à l’IRSN va aggraver la situation. L’ACRO, organisme indépendant et citoyen œuvrant à toujours plus de transparence, ne peut que déplorer cette politique gouvernementale, tant sur le fond que sur la forme.


Dans un nouveau communiqué publié le 23 février, le gouvernement répond indirectement aux critiques et inquiétudes nombreuses qui se sont exprimées de tous les côtés en corrigeant sa copie :

  • les compétences en matière de recherche et d’expertise en sûreté nucléaire en radioprotection, en protection et surveillance de l’environnement seront maintenues ensemble au sein de la future autorité de sûreté ;
  • les rôles exécutifs respectivement du contrôle et de l’expertise resteront séparés du rôle de décision et de pilotage stratégique ;
  • l’information, la transparence et le dialogue technique avec la société devront être garanties.

Cependant, le gouvernement va se contenter d’amender son projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires alors que le sujet aurait mérité une loi à lui tout seul en se donnant le temps de la réflexion et de la concertation. Le gouvernement veut donc réformer autoritairement par décrets, au mépris de la démocratie.

Une réforme du contrôle ne changera rien aux retards et aux surcoûts de l’EPR de Flamanville, aux déboires de Mélox, à la saturation inquiétante des entreposages de combustibles nucléaires et au vieillissement des installations actuelles.


Le samedi 25 février, le gouvernement a déposé un premier amendement à son projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, confirmant ainsi sa volonté de passer en force. Il n’a mené aucune consultation des parties prenantes alors qu’il reste de nombreux problèmes à régler.

Tout tient dans une phrase : “L’Autorité de sûreté nucléaire exerce des missions d’expertise et de recherche dans les domaines de la sûreté nucléaire, de la radioprotection ainsi que des actions de sécurité civile en cas d’accident radiologique”. Le reste, et l’autre amendement, concernent surtout le statut des futurs agents. L’IRSN ne faisait pas que de l’expertise et de la recherche : que deviendront ses autres activités ? Qu’en est-il de son expertise sur la sécurité ? Et toujours pas un mot sur la gouvernance du nouvel organisme, ni sur la transparence ou la démarche d’ouverture.

La seule justification apportée par le gouvernement est que “le présent projet de loi vise à accélérer et sécuriser les projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires”, sans expliquer comment EDF ira plus vite grâce à cette loi. L’EPR de Flamanville a plus de dix ans de retard !

Notons que deux autres amendements, visant à maintenir une séparation entre l’ASN et l’IRSN, ont été déposés par le groupe “socialistes et apparentés”, ainsi que par le groupe “Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires”.


L’ACRO appelle les députés à voter CONTRE les amendements du gouvernement entraînant la fusion de l’ASN et de l’IRSN car l’impact de cette réforme n’a pas encore été évaluée. De nombreux points restent flous. Par exemple :

  • la partie expertise du futur ensemble pourra-t-elle publier ses avis avant la prise de décision comme c’est le cas actuellement ?
  • quel est le sort promis à toute la partie de l’IRSN en charge de l’expertise des installation nucléaires secrètes ?

Une réforme de la sûreté et de la radioprotection ne peut se faire qu’APRES avoir mené de larges consultations avec tous les acteurs et parties prenantes. Les amendements actuels sont prématurés et ne garantissent pas une évolution favorable de l’organisation de l’expertise et du contrôle.


Merci aux députés qui, le 15 mars, ont adopté un amendement maintenant la séparation entre l’ASN et l’IRSN. Le gouvernement a, le lendemain, a déposé un autre amendement – retiré dans la journée – modifiant les finalités du rapport étudiant une fusion des deux organismes.

Lors du débat parlementaire, selon Ouest-France, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a répondu à l’ancienne ministre Barbara Pompili : « Tu sais parfaitement que cette réforme et cette interrogation étaient engagées déjà il y a quelques mois, on ne va pas rentrer dans ce débat-là. » Si tel est le cas, pourquoi avoir agi en secret sans la moindre consultation des principaux intéressés ?

Il faut lancer des assises pour discuter de l’expertise et du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et panser les plaies ouvertes par le projet brutal du gouvernement.

Contamination systématique au tritium de l’eau de la Seine et de l’eau du robinet à Choisy le Roy

A la demande du Réseau sortir du nucléaire, l’ACRO a fait un suivi de la contamination en tritium de l’eau de la Seine et de l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH) à Choisy-le-Roy, de mai à juillet 2022. Il ressort que tous les échantillons sont contaminés à des niveaux qui varient de 10,4 à 22,1 Bq/L.

De telles concentrations sont largement supérieures aux niveaux naturels qui sont actuellement de l’ordre de 1,5 Bq/L en moyenne en France. Le tritium détecté à Choisy-le-Roy provient donc des rejets de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine où un seul réacteur était en fonctionnement à cette époque. Il convient de noter qu’aucune concentration ne dépasse la valeur guide de 100 Bq/L prise en référence par la réglementation française pour la qualité des eaux de boisson.

Ce suivi fait écho à la carte de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine que nous avions publiée en 2019 à partir de données transmises par le ministère de la santé. Nous alertions sur les risques en cas d’accident grave : comment se ferait l’alimentation en eau potable en cas de dépassement des niveaux maximaux admissibles ? Deux millions de personnes dépendent de l’usine de potabilisation de Choisy-le-Roi.

Des plans “ORSEC eau potable” existent maintenant, mais ils sont secrets.

Voir le rapport d’analyse avec tous les résultats.

Acronique #136 : mars 2022

Au sommaire :

  • Edito
  • Le projet de piscine d’entreposage centralisé à La Hague : quelle concertation ?
  • Cahier d’acteurs piscine nucléaire
  • Le projet piscine EDF et le retraitement
  • Le collectif Piscine Nucléaire Stop
  • Enquête publique sur le démantèlement de la centrale de Brennilis
  • Réadhésion 2022
  • Commentaire ACRO sur le rapport IRSN Tritium dans la Loire
  • Tchernobyl et l’invasion en Ukraine
  • Tchernobyl par la preuve – Vivre avec le désastre et après
  • Revue de presse

Saturation des entreposages de combustibles usés : une situation alarmante

En octobre 2018, l’ACRO avait alerté sur le risque de saturation de entreposages de combustibles nucléaires usés à partir d’un rapport que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) rechignait à rendre public. Puis, l’association avait saisi la CADA car la version finalement publiée était noircie à 10% environ. Nous avions eu partiellement gain de cause, mais la plupart des chiffres sont restés secrets, car, derrière ces problèmes de gestion des déchets, c’est la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays qui est en jeu.

La saturation devrait intervenir à l’horizon 2030 et comme une dizaine d’années sont nécessaires pour construire un nouvel entreposage, l’arrêté du 23 février 2017 établissant les prescriptions du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs imposait à EDF de déposer « avant le 31 décembre 2020 auprès du ministre chargé de la sûreté nucléaire une demande d’autorisation de création pour une nouvelle installation d’entreposage de combustibles usés, ou une demande de modification substantielle s’il s’agit de l’extension d’une installation existante. » On sait déjà que cette demande ne sera pas déposée avant 2023 et la compagnie n’a pas pour habitude de finir ses chantiers dans les temps. La piscine centralisée qu’elle souhaite construire à La Hague, n’ouvrira, au mieux, qu’en 2034, si elle se fait…

Ce retard est très critique et l’ASN a imposé à EDF de trouver des alternatives. Le plan B est d’augmenter la densité des entreposages existants. Le projet de densification vise à augmenter d’environ 30%, à terme, les capacités d’entreposage de trois des piscines de l’établissement de La Hague (C, D et E) par l’usage de nouveaux paniers d’entreposages plus compacts et par la réduction de la distance entre chaque panier. Orano prévoit une mise en œuvre à partir de 2024. Pour l’ASN, cette parade doit être temporaire et ne sera autorisée qu’au « juste besoin ».

Et, si cela ne suffisait pas suite à des retards supplémentaires dans la construction d’un nouvel entreposage, le plan C est de retirer des combustibles anciens des piscines pour les entreposer à sec. La réalisation d’un entreposage à sec correspond à un nouveau type d’installation dont le référentiel de sûreté reste à définir. Orano et EDF devraient déposer auprès de l’ASN un projet plus abouti cette année. Bref, ils ne sont pas prêts !

L’entreposage à sec est une pratique très répandue dans les autres pays car le refroidissement est passif. Mais la température des combustibles est plus élevée que sous eau, favorisant ainsi les relâchements radioactifs. Les combustibles doivent donc être mis dans un emballage étanche. L’intérieur se contamine, rendant toute reprise difficile. C’est contradictoire avec le dogme de l’industrie nucléaire française qui prétend pouvoir retraiter tous ses combustibles… même si elle n’a pas de solution technique pour cela. Le blocage face à l’entreposage à sec est donc essentiellement idéologique et l’industrie nucléaire espère y échapper.

EDF veut aussi consommer plus de MOx pour désengorger les piscines existantes en allant piocher des combustibles usés dans les stocks pour les retraiter. Elle doit soumettre à l’ASN le projet de passer ponctuellement les recharges en MOx de 12 à 16 assemblages dans les réacteurs de 900 MWe capables de recevoir ce combustible. A plus long terme (environ 2032), EDF travaille sur un projet de « moxage » des réacteurs de 1300 MWe, avec une première étape d’essais envisagée à Paluel 4 en 2024. Mais cela nécessite que les usines de retraitement et de fabrication de MOx puissent suivre, ce qui n’est pas le cas actuellement ! Ainsi, le moxage des réacteurs de 1300 MWe a plutôt pour but de justifier la prolongation du retraitement et d’enclencher la construction d’une nouvelle usine afin de remplacer celles actuelles après 2040.

Face au problème de saturation actuel, l’IRSN estime, dans son avis à l’ASN n° 2022-00049, daté du 4 mars 2022, que, parmi les trois parades présentées, la densification semble être la seule solution dont la mise en œuvre est compatible avec le calendrier imposé par les besoins d’entreposage.

Car, en cas d’aléa, la saturation peut advenir plus rapidement, comme nous l’avons expliqué dans notre cahier d’acteur de la concertation sur le projet de piscine centralisée à La Hague. Et les aléas sont nombreux : les chiffres prédisant une saturation à l’horizon 2030 ne sont plus d’actualité.

Les déboires de Mélox

Les combustibles à l’uranium naturel enrichi (UNE) qui sortent actuellement des centrales nucléaires françaises sont entièrement retraités après une dizaine d’années en piscine. En fonctionnement « nominal », il n’y a plus d’accumulation, comme ce fut le cas par le passé. Le plutonium extrait de ces combustibles sert à fabriquer des combustibles MOx qui, eux, ne sont pas retraités et qui s’accumulent. Toujours en fonctionnement nominal, ils couvrent 10% des besoins des centrales nucléaires françaises.

Mais l’usine Mélox de Marcoule, dans le Gard, qui fabrique ces combustibles MOx, connaît des déboires depuis 2015. Sa production a été divisée jusqu’à deux et EDF a dû remplacer des combustibles MOx par des combustibles à l’uranium naturel enrichi (UNE) dans ses réacteurs. Or, si l’on fabrique moins de MOx, il faut moins retraiter pour ne pas accumuler du plutonium, proliférant. Et si l’on retraite moins, les combustibles UNE s’accumulent aussi, accélérant ainsi la saturation des piscines… Les chiffres sur l’état des stocks étant secrets, il est difficile d’en dire plus.

Les combustibles MOx rebutés, qui ne peuvent pas être mis en réacteurs faute d’avoir atteint la qualité suffisante, s’accumulent aussi. Avec un taux de rebuts inférieur à 13%, ils peuvent être remis dans le circuit. Le surplus s’entasse à La Hague, dans un autre entreposage qui arrive aussi à saturation. Décidément ! Et le problème va perdurer puisqu’Orano ne dispose pas d’unité ayant une capacité industrielle à traiter l’ensemble des rebuts de MOx. C’est ballot !

Comme l’explique Reporterre (2 mai 2022), l’uranium appauvri utilisé dans la fabrication du MOx provenait d’une installation basée à Pierrelatte dans la Drôme, selon le procédé par « voie humide », mais fermée à la suite d’un « examen décennal non concluant ». La nouvelle poudre provient d’une autre installation d’Orano, située à Lingen, en Allemagne et est obtenue selon le procédé par « voie sèche ». L’homogénéité des pastilles de combustible est plus difficile à obtenir et n’atteint pas toujours la qualité requise. Par conséquent, alors qu’historiquement, Melox expédiait entre 5 et 10 tonnes de rebuts par an vers le site Orano la Hague, depuis 3 ans, du fait des difficultés de production, ces quantités ont cru et sont désormais comprises entre 15 à 20 tonnes par an, selon la présentation de la compagnie devant le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) du 8 mars 2022. Le plan d’actions entrepris par Orano en 2019 pour réduire les rebuts à Marcoule n’a pas encore produit de résultats positifs puisque les bilans de production des années 2020 et 2021 sont très inférieurs à ce qui était attendu. Cela pousse l’IRSN à estimer qu’il est difficile de se prononcer, à ce stade, sur un calendrier d’amélioration de la production de l’usine MELOX.

La procédure par voie sèche a aussi entraîné une forte contamination de l’usine qui est devenue beaucoup plus irradiante pour le personnel. Cela rend aussi toute opération de maintenance plus complexe à mettre en œuvre alors que les pannes d’équipements y sont fréquentes. Le retour de la procédure par voie humide dans les années à venir ne résoudra donc pas tous les problèmes. La réduction de l’exposition du personnel est un des défis auxquels doit faire face Orano.

A La Hague, Orano prévoit de nouveaux entreposages pour les rebuts, afin d’atteindre 1 300 emplacements supplémentaires et, ainsi, d’augmenter de 20% les capacités actuelles.

Une usine de retraitement vieillissante

Les usines de retraitement de La Hague ne sont plus toutes jeunes. Ce sont les évaporateurs de produits de fission qui lâchent actuellement car ils se corrodent plus vite que prévu. Ils doivent être remplacés.

Suite à une fuite, Orano a dû mettre à l’arrêt une de ces deux usines de retraitement de La Hague de septembre à décembre 2021. Elle fonctionne à nouveau, mais avec seulement deux des trois évaporateurs, ce qui réduit sa capacité de traitement… Des évaporateurs sont en construction dans deux nouveaux bâtiments. Les travaux de terrassement ont débuté en 2016 et la mise en service est prévue en mars 2023 et mars 2024 pour les usines UP3 et UP2-800 respectivement. Les raccordements vont entraîner un arrêt de chaque usine pendant quelques mois, ce qui conduira à une augmentation de la quantité des combustibles usés entreposés en piscine et donc une accélération de la saturation.

Une situation alarmante

L’autorité de sûreté nucléaire a demandé aux exploitants d’estimer la date de saturation en cas de situation particulièrement dégradée et le résultat est alarmant. Pour les entreposages de MOx rebuté, la saturation aurait pu intervenir dès avril 2022, alors que les nouveaux entreposages devaient être prêts pour mai 2022. Le pire n’a pas eu lieu.

Et pour les piscines de combustibles usés, la saturation pourrait arriver dès 2024. La nouvelle piscine d’EDF, prévue pour 2034 a donc juste dix ans de retard, avant même le lancement du chantier. Et le plan B, à savoir la densification des piscines existantes, ne pourra être mis en œuvre qu’à partir de 2024… Là encore, le calendrier est tendu.

A ces problèmes s’ajoutent les difficultés du parc nucléaire : d’un côté, certains réacteurs de 900 MWe font l’objet d’arrêts prolongés pour les travaux en lien avec leur quatrième visite décennale, ce qui réduit aussi l’utilisation de MOx. A l’inverse, les problèmes de corrosion, qui imposent l’arrêt de plusieurs réacteurs non moxés, devraient ralentir le remplissage des piscines et permettre de gagner du temps. Il est donc difficile de faire des prévisions précises sur la date de saturation, mais la situation demeure inquiétante.

Une fois la saturation atteinte, il y a un risque de devoir mettre à l’arrêt des réacteurs nucléaires. L’arrêt complet du parc pourrait être atteint en 14 mois en cas d’arrêt prolongé du retraitement ou de la fabrication de MOx. Comme au Japon, après la catastrophe nucléaire à Fukushima, où le nucléaire fournissait 30% de l’électricité. Mais c’est 70% en France ! Cette « fragilité inédite du système de production nucléaire français » inquiète en plus haut lieu, car l’Autorité de sûreté nucléaire ne veut pas avoir à arbitrer entre la sûreté nucléaire et la garantie de l’approvisionnement électrique.

A noter que toutes les analyses imposées aux exploitants concernant les risques sur l’approvisionnement électrique ne prennent pas en compte des retards supplémentaires pour la piscine centralisée alors que le projet est très contesté et qu’EDF aura fort probablement des retards supplémentaires.

Quelles parades ?

Dans son avis à l’ASN n° 2022-00049, daté du 4 mars 2022, l’IRSN souligne les risques liés à la saturation des entreposages en fonction de différents scénarios, mais ne donne aucun chiffre, ni aucune date. Il faut le croire sur parole. Il note aussi que, malgré la réduction de production de combustibles MOx, les exploitants n’ont pas baissé le flux de traitement des assemblages combustibles usés compte-tenu de la faible marge disponible dans les piscines d’entreposage d’assemblages combustibles usés, ce qui a conduit à une production de plutonium supérieure au besoin. Et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui doit veiller à la prolifération, ne dit rien ?

L’IRSN émet quatre recommandations : il veut un échéancier précis sur les parades face à la saturation des entreposages, ainsi qu’un suivi régulier pour pouvoir réagir à temps en cas d’aléa ou de retard sur un projet. Il demande aussi aux exploitants de mettre à jour l’impact de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui prévoit l’arrêt progressif des réacteurs les plus anciens qui consomment du MOx. Enfin, Orano doit présenter des solutions de traitement des rebuts de MOx.

Quant au Haut comité à la transparence, où l’ACRO siège, il va effectuer un suivi régulier des difficultés rencontrées ces dernières années, de l’évolution du calendrier de saturation et des projets proposés par les exploitants (synthèse de la 60e réunion plénière du Haut comité du 8 mars 2022).

Mais, comme en 2016, l’analyse effectuée par les exploitants en 2020 sur les difficultés potentielles liées à la gestion du combustible nucléaire n’est pas publique alors que l’approvisionnement électrique du pays est en jeu. Cette situation est inacceptable.

Projet de dépotoir radioactif à Chalk River au Canada : mise à jour de l’expertise du projet par l’ACRO

En 2018, l’ACRO avait été sollicitée par ICI Radio-Canada Télé et par la Communauté métropolitaine de Montreal pour apporter son expertise sur le projet de dépotoir radioactif à Chalk River au Canada. Situé à 200 kilomètres en amont de la région Ottawa-Gatineau, le complexe nucléaire de Chalk River sert, depuis les années 1950, de laboratoire pour le développement de l’industrie nucléaire canadienne. Un lieu “d’élimination” de déchets radioactifs est projeté sur le site d’un milieu humide à proximité de la rivière des Outaouais présentant ainsi des risques de contamination en cas de fuite. Cette rivière est une importante source d’eau potable pour une grande partie des habitants du Grand Montréal.

Le processus de consultation des parties prenantes se poursuit et les Laboratoires nucléaires canadiens (le promoteur) ont revu leur copie : ils n’envisagent plus que d’y stocker des déchets de faible activité, excluant ainsi les déchets de moyenne activité initialement inclus.

Dans ce contexte, la Communauté métropolitaine de Montréal a de nouveau sollicité l’ACRO afin de prendre en compte les évolutions du projet. Nous avons mis à jour notre rapport d’expertise qui a été soumis par la Communauté à la Commission Canadienne de Sûreté Nucléaire. Une audience publique aura lieu du 30 mai au 3 juin 2022.

Lire l’avis de la Communauté métropolitaine de Montréal accompagné du rapport d’expertise de l’ACRO mis à jour.

Liens externes :

Une animation du dépotoir nucléaire proposé à Chalk River.

 

Faire front au Rassemblement (Front) national

Publié initialement le 27 avril 2017 et remis à jour en 2022

Sans démocratie, il n’y a pas d’expertise indépendante. De nombreuses associations tentent, au quotidien, de faire progresser le débat public, l’expression citoyenne ou les droits humains fondamentaux. Ce travail difficile est aujourd’hui menacé au niveau national, après l’avoir été par les mairies acquises par le Front national.

Marine Le Pen, candidate à la fonction suprême, représente un parti ouvertement xénophobe et nationaliste ; elle méprise la solidarité nationale et internationale et ignore la protection de l’environnement. Ce sont les valeurs qui guident l’action de notre association qui sont donc menacées.

Rien ne permet de justifier un vote pour un parti qui nie les droits humains si durement acquis. Il est inquiétant de voir certaines thèses de l’extrême droite reprises plutôt que combattues. Il est effrayant de penser que l’arme nucléaire puisse tomber entre des mains extrémistes.

L’ACRO n’a pas pour mission de s’immiscer dans le débat électoral, mais il y a péril en la demeure. Comme en 2002 et 2017, elle appelle donc, à titre exceptionnel, chaque citoyen à penser aux valeurs démocratiques au moment de passer dans l’isoloir et rappelle, d’autre part, que le combat pour la démocratie ne se limite pas au vote.

Voir la version PDF