L’EPR n’est pas justifié

Contribution de l’ACRO au débat public sur l’EPR, octobre 2005
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Contribution de l’ACRO au débat sur les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue
Débat sur l’EPR : le secret est inacceptable, communiqués de presse du 17 octobre 2005


Pour une autre politique énergétique

Nous sommes convaincus, comme beaucoup, que le défi énergétique sera un des défis majeurs du 21ième  siècle avec l’épuisement des ressources en pétrole et la menace du réchauffement climatique. En ne produisant que de l’électricité, le nucléaire ne peut avoir qu’un impact mineur sur ces problèmes. Tant que les autorités se limiteront à penser en moyens de production réduits à une « alternative infernale » – nucléaire ou effet de serre- et non en utilisation de l’énergie, elles seront incapables de répondre au défi. La priorité de toute politique énergétique doit être la réduction de la consommation. Cela est proclamé par les pouvoirs publics et soutenu par les associations de protection de l’environnement, mais sans effets notables. Nous aurions donc préféré un large débat sur les économies d’énergie avec, à la clé, des mesures concrètes et des mesures réglementaires qui ne sont pas forcément populaires. Cela aurait été l’occasion de mettre en œuvre une expérimentation d’un véritable processus de démocratie participative beaucoup plus ambitieux que le débat actuel, afin de trouver une synergie entre les moyens techniques, individuels et collectifs à mettre en œuvre pour une meilleure utilisation de l’énergie qui ne soit pas source de conflit.  Malheureusement, il n’y en a que pour l’EPR qui, en servant d’alibi, va à l’encontre de la nécessité de réduire notre consommation. Il va aussi renforcer la dépendance de la production électrique à une mono-industrie, alors qu’il est plus sûr stratégiquement et économiquement de diversifier les sources.

Le débat proposé n’est pas un débat énergétique, mais plutôt d’ordre industriel sur la pertinence de construire un « démonstrateur » d’EPR à Flamanville. C’était déjà une des conclusions des trois Sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie en 2003 : « il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. ». Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin, a dans ce même rapport clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » En effet, s’il y avait une urgence à produire de l’électricité, EdF aurait proposé un réacteur éprouvé du « palier N4 », comme il en existe déjà 4 en France et non un « démonstrateur » à tester.

Chantage à l’emploi

Les industriels veulent une « vitrine à l’exportation ». Le projet finlandais devrait être suffisant. Pour AREVA, « en l’absence de nouvelles commandes, l’ingénierie française serait privée de la taille critique, des moyens et des motivations nécessaires pour maintenir notre supériorité technologique ». Alors pourquoi sous-traiter au Japon la construction des éléments les plus techniques du réacteur EPR finlandais, si « les équipes se dispersent, les savoir-faire s’estompent, les expériences acquises se diluent » comme le proclame la SFEN ? Le manque de travail n’est-il pas entretenu artificiellement pour faire du chantage à l’emploi ? La région n’est pas en reste en proclamant que « d’une durée de 6 ans et d’un coût de 3 milliards d’euros, [le chantier de l’EPR] devrait générer près de 2000 emplois sur la période ». Comme 2000 personnes à 2000€/mois pendant six ans coûtent (en multipliant par 2 pour tenir compte des charges) environ 500 millions d’euros, soit moins de 20% de que ce devrait coûter la construction de l’EPR, il doit sûrement y avoir une meilleure façon de créer des emplois avec 3 milliards d’euros. Et, une fois en service, ce prototype n’emploierait plus que 400 personnes.

C’est malheureusement un classique dans nos sociétés de surabondance que d’entretenir le sentiment de rareté et de guerre, maintenant économique, pour maintenir un statu quo social et des aides publiques. Il n’est question que de « parts de marché à conquérir », « retard français » ou « maintien de notre avance dans la compétition internationale » entraînant une surproduction et un gaspillage. Alors que la richesse atteinte permettrait à tous de mener une vie harmonieuse avec une organisation sociale différente, les défis écologiques imposent de mener une vie plus sobre, mais plus épanouie, car libérée de nombreuses peurs. Là où de nombreuses associations de protection de l’environnement raisonnent en service public de l’énergie pour satisfaire les besoins primordiaux de l’humanité, les industriels ne rêvent qu’à produire plus en externalisant leurs nuisances. L’incompréhension est totale.

Pour le respect des principes fondamentaux

Mais un réacteur nucléaire n’est pas un produit industriel banal, c’est une installation à risques. Outre la possibilité d’un accident majeur, y compris suite à un attentat, l’EPR émettra des rejets radioactifs dans l’environnement, contribuera à l’irradiation des travailleurs du nucléaire et produira des déchets pour lesquels aucune solution n’est proposée. A tout cela, s’ajoute la nouvelle ligne à très haute tension et ses nuisances. L’EPR a beau être plus sûr, plus performant, plus… que ses prédécesseurs, ses risques viennent s’ajouter à ceux du parc nucléaire existant et pèseront sur les générations futures.

Ethiquement, nos sociétés ne devraient engager des processus industriels à risques que dans la mesure où ceux-ci n’affectent que ceux qui en ont fait le choix – en admettant qu’il y ait eu acceptabilité sociétale – mais aucunement les générations futurs sur le très long terme, afin d’inscrire dans les faits le principe de responsabilité introduit par le philosophe Hans Jonas. Même si elle n’est pas la seule, l’industrie nucléaire est antinomique avec ce principe à cause des déchets dangereux qu’elle lègue à nos descendants pour des siècles, voire des millénaires.  Face aux risques, d’autres principes fondamentaux ont maintenant un cadre légal naissant en France qu’il nous paraît important d’appliquer.

La Charte de l’environnement, adossée à la constitution, stipule dans son article 5 le principe de précaution : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage ainsi qu’à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques encourus. » Puisque les déchets nucléaires pourraient affecter de manière grave et irréversible l’environnement, est-il raisonnable d’en produire plus ? Le principe de précaution impose plutôt d’attendre d’avoir une solution pour ces déchets avant de se lancer dans la construction d’un nouveau réacteur. De plus, les accords de Sintra de la convention OSPAR pour la protection de l’Atlantique Nord imposent que les rejets radioactifs en mer tendent vers zéro. Les rejets de l’EPR vont venir s’ajouter à ceux des autres installations nucléaires.

Les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité, ont aussi un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique – Partie Législative [première partie.- Protection générale de la santé – livre III.- Protection de la santé et environnement – titre III.- Prévention des risques sanitaires liés aux milieux – chapitre III . – Rayonnements ionisants]  dans son 1er article, stipule le principe de justification institué par la CIPR : « 1° Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. » Nous demandons donc que la loi soit appliquée et que l’on justifie l’EPR par rapport à une autre politique énergétique axée sur la sobriété. Nous avons la conviction qu’augmenter la surcapacité de production d’EdF dans un monde où l’ouverture à la concurrence  ne va que contribuer à réduire ses parts de marché en France, ne peut se faire qu’au préjudice d’une véritable politique de maîtrise de la consommation de l’énergie.

C’est pour ces raisons que l’ACRO a pris position contre la construction du réacteur EPR à Flamanville ou ailleurs.

ACRO
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L’ACRO a été créée à la suite de la catastrophe de Tchernobyl pour permettre au citoyen de s’approprier la surveillance de son environnement, mais aussi de pouvoir peser sur les choix technoscientifiques. Dotée d’un laboratoire financé par le soutien des adhérents, la vente d’analyses et des subventions publiques, l’ACRO effectue des mesures de radioactivité gamma et bêta, ainsi que des mesures de radon. L’ACRO siège aussi dans de nombreuses commissions officielles. L’association publie une revue trimestrielle d’information, l’ACROnique du nucléaire, organise des conférences publiques et tente de répondre à de nombreuses demandes de renseignements.

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Débat sur l’EPR : le secret est inacceptable

Communiqué de presse de l’ACRO, 17 octobre 2005


Comme de nombreuses autres associations, l’ACRO se retire du débat sur l’EPR suite au refus des autorités d’assurer la tansparence en terme de sûreté nucléaire, alors que dans d’autres pays ces informations sont accessibles. Il nous parait indispensable d’éclairer pleinement le citoyens (et en particulier les populations riveraines d’installations nucléaires) sur la globalité et l’exhaustivité des risques – y compris les risques externes – auxquels ils seront confrontés au quotidien.

L’ACRO s’est donné pour mission de permettre à chacun de peser sur les choix technoscientifiques liés au nucléaire. C’est à ce titre, qu’elle s’est engagée dans les débats publics lancés par la Commission Nationale de Débat Publique sur les sujets sensibles des déchets nucléaires et du projet de réacteur EPR. L’association a participé à plusieurs tables rondes et a produit des « cahiers d’acteurs » comme contribution pour alimenter les réflexions, conformément à notre démarche associative et citoyenne habituelle. Sans pourtant être dupe sur la portée réelle de ces débats, nous pensons que toute occasion est bonne à prendre pour tenter d’aller vers plus de démocratie participative, c’est-à-dire une démocratie réelle impliquant les citoyens dans tous les processus de décision et le plus en amont possible.

Déjà inquiète à l’origine par la précipitation d’EdF à lancer ses appels d’offre, certaines déclarations gouvernementales et le vote du parlement sur le choix de l’EPR antérieurement à l’ouverture des débats publics, l’ACRO constate aujourd’hui que le secret est opposé pour l’accès à certaines sources d’informations. Le nucléaire continue d’être un monde à part à la fois quant à la gestion des risques mais aussi quant à la possibilité pour des citoyens de porter un regard indépendant sur cette maîtrise des risques. Ce n’est malheureusement pas nouveau et l’incapacité de nos gouvernants à sortir de leurs tiroirs le projet de loi sur la transparence nucléaire en est une illustration.

Dans ces conditions, l’ACRO vient de décider de se retirer officiellement de son engagement à participer aux débats publics. Les membres de notre association pourront continuer à être présents s’ils le souhaitent mais ils ne s’y exprimeront qu’à titre personnel. Nous avons apprécié la qualité de nos relations avec les CPDP et constaté que leur volonté de mener un réel débat public et citoyen est entière. Mais force est de constater une fois de plus qu’il y a « un Etat dans l’Etat » qui est peu démocratique.


Communiqué de presse de Global Chance et du GSIEN, 17 octobre

Dans le cadre des deux débats organisés par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) relatifs, l’un à l’implantation d’un réacteur nucléaire EPR à Flamanville et l’autre à la gestion des déchets et matières nucléaires, le Gouvernement a adressé une réponse négative à la demande d’expertise indépendante complémentaire sur la question de la sécurité des installations et activités nucléaires, et de sa protection par le “secret défense”, formulée à l’initiative de la CNDP.
Devant cette “fin de non recevoir”, la plupart des associations environnementales porteuses d’interrogations et inquiétudes légitimes de nos concitoyens ont annoncé leur décision de ne plus participer à ces débats.

Le refus d’information des pouvoirs publics comme le départ de ces protagonistes essentiels du débat vident de sens et d’utilité la poursuite des débats.
Nous avons jusqu’ici participé activement en tant qu’experts indépendants à la préparation de ces débats comme à leurs premières manifestations dont nous avons vivement apprécié l’organisation et la qualité.

Nous portons aussi à l’actif de la CNDP une avancée sur la levée du secret industriel. En effet, par une convention signée entre elle, EDF et le GSIEN, il a été possible de consulter des parties du rapport provisoire de sûreté de l’EPR et d’avoir des réunions de travail avec les spécialistes d’EDF, de l’IRSN et de la DGSNR.

C’est pourquoi ce refus d’expertise complémentaire sur les risques nous interpelle, car rien ne le justifie. Nous décidons, donc, devant ce “blocage” du dialogue par décision gouvernementale, d’interrompre toute participation à ces débats.

Signataires :
Benjamin Dessus, Bernard Laponche, experts de Global Chance,
Yves Marignac, directeur de WISE-Paris,
Monique Sené, Raymond Sené, experts du GSIEN
Michèle Rivasi, fondatrice de la  CRII-RAD
Pierre Barbey et David Boilley, conseillers scientifiques de l’ACRO


Contribution de l’ACRO au débat sur les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue
Contribution de l’ACRO au débat sur l’EPR

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Ces déchets nucléaires dont on ne sait que faire

Contribution de l’ACRO au débat public sur les déchets nucléaires à vie longue et de haute activité, septembre 2005
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Contribution de l’ACRO au débat sur l’EPR
Débat sur l’EPR : le secret est inacceptable, communiqués de presse du 17 octobre 2005


Aucun pays, à ce jour, n’a trouvé de solution pour le devenir des déchets nucléaires qui, pour certains d’entre eux, demeureront toxiques pendant des millions d’années, et dont la gestion pose d’énormes problèmes à l’industrie nucléaire. L’enjeu est double : épurer le passif – des déchets sont parfois entreposés dans de mauvaises conditions et portent atteinte à l’environnement – et proposer des filières d’évacuation dès la source pour tous les déchets à venir, en y associant une traçabilité la plus exhaustive possible.

De la mine à la centrale électrique ou l’usine de retraitement, chaque étape de la chaîne du combustible fournit son lot de déchets, généralement classés selon leur radioactivité et leur durée de vie. Seuls ceux faiblement radioactifs et de période courte (inférieure à trente ans) ont trouvé un site d’accueil définitif : ils sont stockés en surface, dans l’Aube, à Soulaines-Dhuys. Ce centre a pris le relais de celui de la Manche, qui a reçu son dernier colis en 1994 et ne satisfait pas aux règles de sûreté des stockages actuels. Pâtissant d’une gestion passée empirique, il contient des radioéléments à vie longue et des fuites portent atteinte à l’environnement. Le centre de l’Aube, huit fois plus grand pour deux fois plus de déchets, sert de vitrine à l’Agence Nationale des Déchets Radioactifs (ANDRA). Le stockage n’y est prévu que pour trois cents ans.

Cette solution est cependant trop onéreuse et inadaptée pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers accumulées pendant les quarante années d’extraction de minerai en France. Si ces résidus sont très faiblement radioactifs, ils ont l’inconvénient de contenir des radioéléments à vie longue : 75 380 ans de période pour le thorium 230. Par ailleurs, l’un des descendants de l’uranium – le radon – est un gaz toxique, ce qui rend le stockage ou l’entreposage difficile. Ces types de déchets sont généralement entreposés dans d’anciennes mines à ciel ouvert ou dans des bassins fermés par une digue, en attendant une meilleure solution qui éviterait les risques de dispersion des radioéléments par érosion ou suintement. Ce problème est maintenant déplacé dans les pays producteurs puisque l’uranium est entièrement importé. Au Gabon, les résidus ont été déversés directement dans le lit de la rivière Ngamaboungou jusqu’en 1975 par la Comuf, filiale de la Cogema.

D’autres déchets très faiblement radioactifs (TFA), issus du démantèlement des installations nucléaires, vont aussi poser un problème d’envergure. Ainsi, en France, il va falloir trouver une solution à moindre coût pour les 15 millions de tonnes attendus. Pour une partie de ce volume, un « recyclage » est prévu et la possibilité d’établir des seuils de libération a été introduite par la législation d’origine européenne permettant alors de les considérer légalement comme des déchets non radioactifs. Pour les déchets dépassant les seuils, le centre de stockage en surface de Morvilliers dans l’Aube vient d’entrer en exploitation.

Un débat limité

Le débat proposé ne concerne que les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue. Tous les autres échappent à la loi Bataille et au « débat démocratique » proposé. Il serait temps que la représentation nationale s’inquiète du devenir de tous les déchets après avoir consulté la population. Son incapacité à sortir des limbes le projet de loi sur la « transparence nucléaire » ne permet pas d’être optimiste.

En ce qui concerne les déchets les plus toxiques et à vie longue, dont les volumes sont beaucoup plus faibles, un consensus international semble se dégager en faveur de leur enfouissement, même si l’avancement des recherches dépend beaucoup de considérations politiques locales. L’argument généralement avancé est la protection des générations futures, la barrière géologique devant retenir les éléments toxiques pendant des millions d’années sans intervention humaine. Cette interprétation suppose une certaine défiance envers la capacité de nos successeurs à faire face aux dangers provoqués par les déchets nucléaires. Paradoxalement, les opposants à l’enfouissement brandissent aussi la protection générations futures pour justifier de leur opposition, avec comme soucis de leur laisser la possibilité d’intervenir facilement sur le stockage en cas de problème, et comme hypothèse optimiste qu’elles sauront mieux que nous gérer ces déchets. C’est aussi leur laisser un pouvoir de décision en faveur de la gestion des risques : les centres de stockage souterrains sont conçus pour que l’exposition des générations futures satisfasse aux normes de radioprotection actuelles, normes qui seront fort probablement modifiées dans l’avenir. L’affirmation de l’ANDRA, après seulement quelques mois de recherche, que le site de Bure peut accueillir des déchets pendant des millions d’années est peu crédible scientifiquement.

Le mythe du recyclage

En France, outre le stockage en profondeur, la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs prévoit l’étude de la séparation des éléments radioactifs les plus nocifs à long terme, celle de leur transmutation, ainsi que « l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets ».  La séparation et la transmutation proposées par la loi sont parfois présentées comme un recyclage des déchets radioactifs pouvant constituer une solution de rechange au stockage définitif. Elles concernent plutôt les combustibles irradiés issus d’une éventuelle prochaine génération de réacteurs, mais pas les déchets accumulés actuellement. La séparation de certains radioéléments du combustible irradié nécessite des opérations chimiques complexes. Les recherches en cours visent essentiellement à améliorer les capacités de retraitement de l’usine de la Hague. La transmutation, quant à elle, nécessite l’utilisation d’un parc complet de réacteurs nucléaires innovants ; d’autres pays se sont aussi lancés dans ce type de recherches dont certains résultats ne sont pas sans intérêts militaires.

Si ces recherches aboutissaient, un système nucléaire vaste et complexe serait à créer pour remplacer des isotopes peu radioactifs à vie longue par des isotopes très radioactifs à vie courte. Faut-il exposer les travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain pour protéger les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? Sans compter le risque d’accident beaucoup plus grand sur un site industriel que dans un centre de stockage. L’industrie nucléaire peine déjà à recycler le plutonium et l’uranium extraits des combustibles usés. Le retraitement, technologie d’origine militaire, est aussi une opération très polluante et onéreuse. Un retraitement poussé ne ferait qu’augmenter ces coûts, d’autant plus que la convention internationale OSPAR impose de faire tendre vers zéro les rejets dans l’Atlantique Nord d’ici 2020. L’exposition aux rayonnements ionisants engendrée par cette pratique n’a jamais été justifiée par les avantages économiques, sociaux ou autres par rapport au détriment qu’ils sont susceptibles de provoquer, comme l’impose pourtant la réglementation. Comment alors justifier des opérations plus complexes ? De plus, dans la mesure où il conduit à vitrifier les résidus, le retraitement rend difficile la reprise ultérieure des déchets soit parce qu’une matrice meilleure aura été trouvée, soit pour une séparation plus poussée. Le choix du retraitement, jamais débattu, ferme des options de gestion aux générations futures.

Pour un stockage réversible

Pour les déchets accumulés jusqu’à maintenant, ne restent donc que le stockage souterrain ou un entreposage en surface à plus ou moins long terme. Dans tous les pays, l’industrie nucléaire semble pencher vers une « évacuation géologique », même si l’on en est qu’au stade des études. Le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) dans une formation saline du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis fait figure de pionnier avec son premier colis de déchets reçu en mars 1999. Il est destiné aux déchets transuraniens issus de la recherche et production d’armes nucléaires. L’entreposage en surface, quant à lui, semble avoir la préférence des écologistes, pour son caractère réversible. Dans l’hypothèse d’un stockage profond, à la fermeture du site, l’étanchéité du site impose de fermer l’accès définitivement, les éventuels colis défectueux ne pouvant alors être repris qu’à l’issue de travaux miniers lourds. Avant, durant la phase d’exploitation, le centre de stockage souterrain est réputé réversible.

La notion de réversibilité, qui découle du principe de précaution, est récurrente dans le débat sur les déchets. Elle est surtout proclamée comme argument d’acceptabilité mais pas appliquée au retraitement par exemple. Au-delà des slogans, la réversibilité implique de garder plusieurs options ouvertes afin de pouvoir revenir sur certains choix. En effet, la reprise d’un stockage défectueux nécessite d’avoir une solution meilleure. Pour limiter le coût humain et financier lié à la multiplication des options – « l’énergie nucléaire doit rester compétitive ! » – une hiérarchisation s’impose entre les options a priori prometteuses pour lesquelles des développements technologiques lourds sont nécessaires et celles pour lesquelles un effort modéré de Recherche et Développement devrait suffire à maintenir l’option ouverte. Cette démarche impose aussi de garder les déchets sous la main, si jamais une solution meilleure était trouvée. C’est le cas en particulier des combustibles usés qui contiennent des éléments pouvant peut-être intéresser les générations futures. A partir du moment où nos descendants sont supposés avoir les capacités de surveiller en surface une partie des déchets – les plus toxiques –, pourquoi d’autres déchets doivent absolument être enfouis ?

Pour le retour des déchets étrangers

L’hypothèse d’un stockage à l’étranger dans des pays moins regardants séduit les autorités qui doivent faire face à une forte contestation de leurs populations. En France, l’article 3 de la loi de décembre 1991 stipule que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ». Mais des déchets étrangers, issus du retraitement, auraient dû être renvoyés dans leur pays d’origine depuis longtemps. Et les contrats allemands, qui prévoient l’hypothèse d’un non-retraitement sans pénalité, transforment de fait l’usine de La Hague en centre d’entreposage international. Malheureusement, on attend toujours les décrets d’application pour que la loi Bataille puisse être respectée… Le retour dans leur pays d’origine des tous les déchets – y compris les déchets technologiques et de démantèlement – est un impératif éthique.

La gestion des déchets radioactifs nécessite des choix collectifs problématiques impliquant une perspective temporelle inhabituelle : comment prendre des décisions pour les générations et sociétés lointaines ? Trop reporter les décisions pourrait être préjudiciable. Les déchets existent et demandent une gestion rigoureuse dès leur production. Mais des considérations à court terme concernant par exemple la poursuite ou non du programme nucléaire viennent interférer et risquent d’emporter les décisions. En effet, pour pouvoir obtenir l’assentiment de la population, il faut absolument pouvoir prétendre avoir une solution pour les déchets. Un compromis prudent pourrait être réalisé à travers une approche séquentielle de la décision, avec des échéances régulières sans que soit fixée a priori une limite temporelle à ce processus afin de garantir la liberté de choix de nos descendants. Surtout, un dialogue continu avec les citoyens est nécessaire pour légitimer ces choix, pas seulement quand les autorités veulent relancer le nucléaire.

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L’ACRO en Biélorussie : point sur les actions menées depuis un an

ACROnique du nucléaire n°70, septembre 2005
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 Depuis plus d’un an, l’ACRO s’est engagée, avec d’autres partenaires, aux côtés des habitants des territoires contaminés biélorusses. L’objectif est d’accompagner des projets visant à améliorer les moyens de surveillance et d’information sur le volet radiologique et d’y apporter notre expérience de laboratoire citoyen, en travaillant « avec » la population locale.

La situation en Biélorussie
La Biélorussie est le territoire qui a subi la plus grande partie des retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl (70 % du terme source). Cette contamination concerne un quart de son territoire et près de 2 millions de personnes. Les territoires contaminés sont classés suivant 4 niveaux en fonction des densités de contamination des sols. La gestion nationale des conséquences de l’accident de Tchernobyl (aide financière, politique de relogement, etc.) dépend ensuite du statut d’appartenance du territoire considéré.

Tableau
1 :
Définition des zones de contamination (loi
Biélorusse de 1991)

Zones Densité
de
contamination des sols en Ci/km2
Cs-137 Sr-90 Pu-238,
239,
240
Zone 1 : contrôle
radiologique périodique
1 –  5 0,15 – 0,5 0,01 – 0,02
Zone 2 : droit de migration 5 –  15 0,5 – 2 0,02 – 0,05
Zone 3 : droit au relogement 15 –
40
2 – 3 0,05 – 0,1
Zone 4 : relogement obligatoire
et immédiat
> 40 > 3 > 0,1

Note : 1 Ci / km2 (1 Curie par kilomètre carré) = 37 109 Bq / km2 (37 Milliards de Becquerels par kilomètre carré)

L’évolution de la situation radiologique des sols dépend de la nature des radionucléides présents, de leurs périodes de décroissance radioactive, de leur mobilité dans l’écosystème et des caractéristiques du sol. Actuellement, sur l’ensemble des radionucléides rejetés par la centrale de Tchernobyl, le césium 137 (Cs-137) est l’élément radioactif majoritairement présent sur le territoire biélorusse. Le strontium 90 (Sr-90),
également rejeté, reste plus localisé  dans la zone proche de la centrale de Tchernobyl, au sud de la Biélorussie (région de Gomel). Présent en plus faible quantité que le césium, cet isotope radioactif pose cependant des problèmes du fait de sa radiotoxicité élevée et de la difficulté à le mesurer.

Note: le strontium 90 est un élément radioactif, émetteur
de rayonnement Bêta pur. Sa période radioactive est de 28,5 ans. Sa mesure est plus difficile que pour le césium et nécessite une séparation chimique préalable et un appareillage adapté. Compte tenu de ses caractéristiques chimiques et physiques, le strontium est un contribuant majeur de l’impact sanitaire. Proche du calcium, le strontium se fixe préférentiellement sur les os.

Les isotopes du plutonium (Pu-238, 239 et 240) ont été localisés essentiellement dans la zone proche de la centrale de Tchernobyl. Ces isotopes fortement toxiques chimiquement et radiologiquement sont heureusement peu mobiles et entrent peu dans la chaîne alimentaire. Leur mesure est encore plus difficile que celle du strontium et nécessite de posséder des appareillages sophistiqués.

Les principales zones de contamination touchent les régions du sud du pays (régions de Gomel et Brest) et l’est du pays (région de Mogilev). Les forêts, très nombreuses en Biélorussie, sont fortement contaminées du fait de leur propriété à concentrer les polluants déposés sur le sol. La caractéristique des sols, les événements climatiques (inondations, sécheresse …) sont autant d’éléments qui peuvent faire fluctuer les cartes de contamination d’un secteur. Du fait de la particularité physique des polluants radioactifs, l’échelle de temps apporte également des changements sur la répartition des éléments radioactifs sur le territoire. Ainsi, l’iode 131 majoritairement présent dans les premiers jours qui ont suivi l’accident, et responsable des maladies de la thyroïde, a-t-il maintenant quasiment disparu compte tenu de sa période de décroissance radioactive relativement courte (8 jours). A l’inverse, de nouveaux radioéléments apparaissent. C’est le cas de l’américium 241 issu de la désintégration du Plutonium 240 ; sa présence maximale est prévue pour 2060.

Même si l’on ne doit pas négliger l’irradiation externe dans certains endroits, ou l’inhalation de poussières dans les zones les plus touchées, l’impact sur les hommes se fait essentiellement au travers des produits d’alimentation.

La Biélorussie, comme ses pays voisins (Russie et Ukraine), a mis en place une surveillance et des normes concernant les circuits officiels de commercialisation (cf tableau 2).

Tableau 2 : Exemples des concentrations maximales admissibles pour le Cs137 établies en  Biélorussie pour les produits alimentaires et l’eau de boisson (norme RDU-99 de 1999, en cours actuellement).

Produits Concentration
maximale
admissiblepour le Cs-137 (Bq/Kg)
Eau de boisson 10
Lait et produits laitiers 100
Viande de bœuf et de mouton 500
Viande de porc 180
Poisson 180
Pommes de terre 80
Fruits 40
Champignons frais / secs 370/2500
Pain 40

Note : Bq/kg = becquerel par kilogramme

Mais l’essentiel des produits consommés dans les régions rurales est issu de l’autoproduction et échappe donc au contrôle officiel. A cela, s’ajoute les produits de la cueillette, de la pêche ou de la chasse qui contribuent fortement à l’ingestion de radioactivité. En effet, les produits « sauvages » sont souvent fortement contaminés. Même si ces habitudes traditionnelles sont déconseillées ou même interdites dans le pays, les consignes ne sont bien souvent pas respectées par nécessité (il faut bien se nourrir), par lassitude (comment rester vigilant après deux décennies ?), par fatalisme et enfin tout simplement par goût (la soupe aux champignons est un plat traditionnel).

Les zones d’exclusion (> 40 Ci/km2) sont, en principe, interdites à la population. Dans le périmètre interdit des 30 Km autour de la centrale de Tchernobyl, 119 villages ont ainsi été évacués. Une fois par an, une autorisation est donnée pour retourner au village abandonné afin de pouvoir fleurir les tombes de ses proches. Une politique de relogement permet encore à des familles installées avant 1986 de quitter les zones contaminées (statut des zones 3) ; On note par contre l’arrivée dans les territoires de nouveaux occupants (issus des républiques de l’ex-URSS, Kazakhstan, Azerbaïdjan, etc.). Ainsi le village de Strevitchi (statut entre 15 et 40 Ci/Km2) dans le district de Khoyniki compte actuellement plus de 13 nationalités différentes. Après 1986, les deux tiers de la population sont partis et maintenant seul un quart de sa population actuelle est originaire du village.

La situation du district de Bragin
La région où nous intervenons se trouve à l’extrême sud-est du pays, auprès de la frontière ukrainienne. La population du district est actuellement de 17 000 habitants ; plus de la moitié (56%) ont quitté le district après la catastrophe de Tchernobyl. Le district est bordé au sud et à l’ouest par les limites de la zone d’exclusion ; après la catastrophe, 18% du territoire a été relégué en zone interdite (zone > 40 Ci/km2).
La population, essentiellement rurale, vit majoritairement dans des territoires contaminés de 5 à 15 Ci/km2. Les ressources économiques du district sont faibles, avec peu d’entreprises locales et une agriculture d’état (kolkhozes) terriblement marquée par la contamination (Cs-137, Sr-90). L’exploitation des forêts pose également des problèmes, du fait de la contamination du bois ; les chaufferies collectives des villages ont ainsi dû renoncer à cette ressource énergétique peu onéreuse et abondante, les alternatives restant faibles dans une région où les hivers sont rudes et longs. La peur des incendies de forêt, dont les conséquences radiologiques peuvent être très graves, oblige cependant un entretien des zones sylvestres à l’intérieur et à l’extérieur de la zone d’exclusion. De nombreux villages connaissent des problèmes en eau potable avec des taux importants en fer, issus, en partie, des canalisations mises en place après l’accident alors que les puits collectifs n’étaient plus exploitables car contaminés. Sur le volet sanitaire, les taux de morbidité sont en hausse chez les enfants et on note un « rajeunissement » de certaines maladies, comme par exemple des cas de cataracte chez des jeunes. Les services médicaux souffrent d’un manque de personnel compétent et d’infrastructures adaptées pour le soin et la prévention. Comme dans les autres districts des territoires contaminés, les enfants scolarisés sont envoyés un mois en sanatorium deux fois par an. Une aide économique pour le transport est attribuée aux familles en fonction du statut du village (en fonction de la densité de contamination établie par l’administration).

Les objectifs du projet
Le projet a pour but de mettre en place une surveillance radiologique au service de la population et de favoriser l’accès à la mesure et à l’information sur la situation locale au niveau des villages.

Concrètement, il s’agit d’ouvrir ou de remettre en service des postes de mesures dans les principaux villages du district, de lancer des campagnes de mesures de la contamination interne des enfants scolarisés (anthropogammamétrie), de mettre en place un observatoire de la situation radiologique au niveau des villages, de favoriser l’organisation de lieux d’échanges (réunions publiques,  cercles de rencontre), et d’information (affichage public des résultats des mesures) et de développer des actions pédagogiques dans les écoles.

Dans quatre écoles du district la mise en place d’ateliers permet aux élèves d’acquérir, par la pratique, les connaissances nécessaires pour développer une culture pratique de protection radiologique, exploitable au quotidien. Au-delà de l’acquisition de connaissances et de savoir faire, la question de la transmission d’une « mémoire » de l’accident est également abordée.

La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux mêmes, via l’association « Rastok Gesni » (Pousse de Vie), créée récemment et qui regroupe maintenant une vingtaine de bénévoles actifs : mères de famille, personnel de santé, enseignants.

Cette  initiative se développe dans le cadre du programme international, CORE qui fédère les projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie (voir la présentation du programme en fin d’article).

Participent à ce projet : Rastok Gesni (ONG Biélorusse locale), BELRAD (Institut Biélorusse de mesure radiologique indépendant), BB-RIR (Institut National Radiologique Biélorusse, filiale de Brest, basée a Pinsk), Hôpital de Bragin, CEPN (Centre d’Etude sur l’évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire) qui a travaillé pendant plusieurs années dans le cadre du projet ETHOS en Biélorussie sur le district de Stolyn, PSF (Patrimoine Sans Frontière) qui travaille sur le volet « mémoire » de l’accident (projets « villages perdus », « contes : raconte moi ton nuage »), le LASAR (Laboratoire d’Analyse Socio-Anthropologique du Risque) laboratoire universitaire de Caen, qui mène depuis plusieurs années des travaux sur la Biélorussie, coordinateur de l’ouvrage « les silences de Tchernobyl » et organisateur de la première université d’été sur Tchernobyl à Kiev.

Les financeurs :
Le volet « mise en place d’une surveillance radiologique sur le district de Bragin » est financé par le Ministère des Affaires Etrangères Suisse, via le SDC (Agence Suisse pour le Dévelopement et la Coopération, financeur du projet) qui travaille depuis plus de deux ans maintenant dans les territoires contaminés de Biélorussie sur le volet essentiellement sanitaire (www.chernobyl.info). Le financement, ici, est destiné à la dotation de matériel, mise à niveau des locaux, formation et salaire des dosimétristes, campagnes de mesures anthropogammamétriques, soutien de l’association locale et coût des missions.
Le volet « éducatif » sur le district de Bragin est financé par le Ministère des Affaires Etrangères français, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). Les financements sont destinés à l’achat de matériel et de fournitures pour les écoles, matériel de détection, salaire des animatrices locales, et coût des missions.

Etat d’avancement des actions

Mise en place de centres locaux de mesures ouverts à la population
Le projet a concrètement débuté en février 2004 avec l’organisation d’une table ronde réunissant les partenaires du projet, les professionnels locaux de la santé et de l’enseignement ainsi que les autorités du district.
Les centres locaux de mesures ont été installés ou rénovés à partir d’avril 2004 jusqu’à novembre 2004 dans les localités de : Bragin (au centre épidémiologique), Krasnoye (au dispensaire du village),  Mikoulitchi (dans la maison du conseil de village), Dublin (dans l’école),  Krakovitchi (dans l’école) et à Komaryn (au centre vétérinaire). L’équipement comprend un spectromètre gamma qui permet le dosage rapide du césium 137 dans les produits, des dosimètres pour la mesure du rayonnement gamma et bêta ambiant, et un ordinateur avec imprimante. Le personnel affecté à ces centres, choisi localement, a suivi une formation spécialisée à l’institut BELRAD au cours des premiers mois du lancement du projet. Afin de se conformer à la législation nationale, une demande d’accréditation a été déposée et obtenue au mois d’avril 2005 pour chacun des centres. Certains problèmes d’ordre « technique » (sécurisation des locaux, délai d’arrivée du matériel) ont retardé l’avancement du travail. Malgré cela, plus de 200 mesures ont déjà été réalisées dans les localités de Krasnoye et Komaryn.

Comment fonctionnent les centres de mesures ? Il est important que les centres soient facilement accessibles à l’ensemble de la population du village. Les gens apportent leur produit (pommes de terre, lait, baies, gibier, etc.) au radiamétriste qui effectue aussitôt la mesure. Le résultat rendu est toujours accompagné d’explications sur sa signification en termes de contamination interne si le produit est consommé, le danger sanitaire potentiel, en apportant une comparaison avec les valeurs habituellement observées au niveau du village ou du district. Les produits « sensibles » nécessitant un contrôle régulier sont les produits laitiers, la viande, dont la contamination dépend directement de l’état radiologique des fourrages (en hiver) et des pâturages (en été), les produits de la cueillette, de la pêche ou de la chasse.

Notre accompagnement, consiste essentiellement en une aide technique, et avec la collaboration de nos partenaires, nous menons une réflexion avec les dosimétristes sur les moyens à mettre en place pour favoriser la diffusion de l’information et faire comprendre à chacun l’intérêt d’apporter ses produits à mesurer. Le travail avec les écoles reste, certainement, le meilleur moyen de toucher une large partie de la population. Les enfants sont, en effet, de bons vecteurs de diffusion de l’information et représentent, de surcroît, la cible la plus sensible aux problèmes d’exposition radiologique. C’est pour cette raison, qu’il nous est apparu essentiel de mener en parallèle des actions pédagogiques dans les écoles du district. Deux radiamétristes travaillent déjà avec les écoles de Komaryn et de Krasnoye en ouvrant leur centre de mesure aux élèves qui apportent et mesurent eux-mêmes des produits recueillis dans leur voisinage.

Campagnes de mesures anthropogammamétriques sur l’ensemble des enfants scolarisés dans le district, réalisées en avril et en novembre 2004.
Trois campagnes de mesures ont déjà été réalisées par l’Institut BELRAD (mars et novembre 2004 et avril 2005). La mesure est réalisée à l’aide d’un fauteuil derrière lequel est fixé un détecteur (cristal d’Iodure de sodium) qui permet de quantifier le taux de Césium présent dans l’organisme. La mesure dure quelques minutes et l’enfant repart avec le résultat et une information sur ce qu’il signifie. Tout l’équipement (fauteuil anthropogammamétrique, ordinateur) est déplacé d’école en école afin de limiter les déplacements des enfants et de toucher le maximum de personnes.

Les données anthropogammamétriques sont essentielles à chacun pour pouvoir connaître sa contamination interne ou celle de ses enfants. Ces résultats sont également importants pour évaluer la situation radiologique des villages et cerner en premier lieu les situations alarmantes. Après la première campagne réalisée en avril 2004, Tatiana, la Présidente de Pousse de Vie, a beaucoup travaillé avec les familles dont les enfants présentaient des taux de contamination élevés. L’objectif est de comprendre l’origine principale de la source de contamination, puis de voir avec les parents comment trouver un moyen de remédier au problème en trouvant une solution durable. Les cas les plus difficiles sont souvent les familles les plus socio économiquement défavorisées où il n’existe que peu d’information et où les marges de manœuvre sont excessivement réduites. Les champignons ou le gibier braconné, présentant souvent des taux en césium importants sont bien souvent les causes des fortes contaminations internes, surtout à l’automne. Cependant, la contamination étant cumulative, l’ingestion quotidienne de quantités plus réduites peut également amener un taux de contamination interne final important. Lorsque le lait de la vache est incriminé, la solution peut consister à changer son lieu de pâturage afin de réduire sa contamination.

Les résultats des campagnes de mesures montrent une contamination généralisée de l’ensemble des enfants du district. Majoritairement le taux mesuré se situe en dessous de 30 Bq/kg (soit un total de 900 Becquerels pour un enfant pesant 30 Kg). Des cas plus critiques ont été mesurés avec des taux de contamination dépassant les 100 Bq/kg jusqu’à 2700 Bq/kg dans un cas. Il est important de préciser qu’il n’existe pas de seuil d’innocuité et toute présence, même minime de radioactivité d’origine anthropogénique dans l’organisme a une probabilité non négligable d’engendrer de graves conséquences sur l’organisme et sur la santé.

Note : Pour un résultat d’anthropogammamétrie de 2000 Becquerels en césium 137 dans le corps entier plusieurs scénarios d’intoxication sont possibles. L’origine de la contamination peut être due, par exemple : soit à l’ingestion de 200 g de champignons contaminés à 10 000 Bq/kg , quelques jours avant la mesure ; soit à l’ingestion quotidienne d’un demi-litre de lait contaminé à 80 Bq/L (cas d’un enfant).

Parrainage et accompagnement de l’association locale « Rastok Gesni » (Pousse de vie).
La création d’une association est peu courante en Biélorussie. Pousse de Vie, représente en quelque sorte notre homologue en Biélorussie et nous sommes fiers de parrainer cette nouvelle organisation. Notre accompagnement s’effectue principalement sur le volet méthodologique même s’il reste important  de prendre en compte toutes les spécificités locales et le manque d’habitude de ce type d’engagement bénévole en Biélorussie. L’association Pousse de Vie compte une vingtaine de membres actifs, issus essentiellement du milieu médical et enseignant. Un système de parrainage a été mis en place pour accueillir les nouvelles recrues. L’action de Pousse de Vie s’effectue également dans le cadre du projet « Mother & Child » lancé par l’office de coopération suisse (SDC) et visant a réaliser des réunions ouvertes aux futures et jeunes mères pour donner une information sanitaire préventive. Ainsi dix cercles de rencontre sont menés par 10 membres de l’association et tournent de village en village. Même si Tatiana reconnaît qu’il est difficile de motiver les gens sur du bénévolat, la présidente de Pousse de Vie a beaucoup d’espoir sur l’existence et la mission de son association. Elle reconnaît qu’au travers de son ONG, son discours a plus d’impact auprès des gens et des autorités. Sa légitimité est également essentielle puisque son discours provient du « terrain » ; comme la plupart des gens avec qui Tatiana travaille, avec qui elle partage la vie, elle a vécu dans sa « chair » la catastrophe de Tchernobyl, et a « choisi » de rester dans son village avec son mari et ses deux enfants. Infirmière de  métier, son combat quotidien est d’améliorer les conditions de vie des gens autour d’elle. « C’est à nous de définir les critères pour vivre ici et créer les conditions de notre survie ». Après une année de visites régulières de notre part nous avons été heureux d’accueillir Tatiana chez nous au mois d’avril dernier. La rencontre avec les autres membres de l’ACRO fut, bien entendu, riche dans les deux sens.

Lancement de cercles de travail (ateliers) avec les élèves de 4 écoles du district.
Depuis septembre 2004 et dans le cadre du programme CORE, quatre écoles ont lancé des ateliers ouverts aux élèves permettant l’acquisition des notions de base et des connaissances nécessaires sur la radioactivité, ses conséquences sur la santé et sur les principes de la radioprotection. Chaque atelier est dirigé par un ou deux enseignants et accueille une quinzaine d’enfants.
Chaque école a établi son propre programme d’activité. En général, le travail a débuté par une approche théorique, basée sur l’étude des cartes de contamination dans le district, l’apprentissage des notions de base de physique avec l’aide des plus grands élèves et l’utilisation des supports pédagogique existant sur le sujet.

Dans l’école de Mikoulichi, le travail s’est ensuite porté sur l’étude des résultats des anthropogammamétries réalisées par l’institut BELRAD. La particularité de cette école est d’accueillir des enfants de trois villages différents. On aurait constaté que certains élèves des villages considérés comme « propres » présentaient une contamination interne plus importante que d’autres. Le travail des élèves a donc consisté à essayer de comprendre cette situation par une double approche : celle de l’analyse des produits consommés (connaissance des régimes alimentaires, de la provenance des produits, du taux de contamination des produits, etc.) puis celle, plus pratique, de la réalisation de cartes de contamination. Pour réaliser ce dernier travail, certains parents travaillant dans les services forestiers ont proposé leur aide. Les enfants ont effectué des mesures de radioactivité ambiante à l’aide des dosimètres. L’école, elle-même, est située sur une zone de 15 à 40 Ci/km2, et il existe des taches de contamination relativement importantes autour de l’établissement. Une synthèse des résultats a permis de réaliser un « passeport » de la situation de l’école. Les détecteurs ont également été prêtés aux enfants afin qu’ils réalisent des mesures chez eux. La responsable de l’atelier note un problème principalement chez les familles défavorisées.

Dans l’école de Komaryn, le travail des élèves s’est centré principalement sur les aspects de la « mémoire » de l’accident de Tchernobyl, basé sur le recueil des témoignages des aînés. La responsable de l’atelier a été très surprise du degré de motivation des jeunes enfants, l’intérêt qu’ils ont montré à s’impliquer dans ce travail révélant une réelle envie de leur part de connaître l’histoire de l’accident au travers de ceux qui l’ont vécu. Ce travail a été réalisé en collaboration avec la maison de la culture de Komaryn impliquée sur un autre projet lié à la mémoire de Tchernobyl avec l’association française Patrimoine sans Frontière.

Après un an de fonctionnement, le bilan du travail réalisé dans les quatre écoles est positif. Les enseignants responsables des ateliers reconnaissent l’intérêt d’un tel travail avec les élèves. Les enfants sont motivés et même plutôt enthousiastes à mener ce travail, essentiellement dans les activités pratiques. L’utilisation de l’ordinateur, la valorisation de leur travail est une motivation supplémentaire pour eux.

Le bilan, plus global, sur le fonctionnement des cercles semble plus difficile à faire du fait du manque de recul. Le travail est basé sur une implication bénévole des enseignants, et la charge de travail est souvent très importante pour mener a bien les actions. Les problèmes de financement (retard des versements prévus pour soutenir les actions), de logistique, ont constitué autant d’éléments qui ont pu rendre difficile le lancement des ateliers cette année. Les enseignants ont également souligné un besoin en supports pédagogiques, ressources d’information (carte locale de la contamination en césium). Selon l’avis général il faut poursuivre l’expérience à condition que les moyens soient mis en place pour soutenir le travail. C’est pour cette raison que l’ACRO a répondu à un appel d’offre de la Commission Européenne dans le cadre des projets TACIS. Le projet, visant à promouvoir ce travail dans les écoles va ainsi bénéficier, nous l’espérons, dès la rentrée prochaine (septembre 2005), d’un soutien financier qui devrait permettre une dotation plus importante en matériel et des moyens supplémentaires permettant un meilleur accompagnement des enseignants dans leur tâche.

Commentaires sur notre action

Le travail que nous menons en Biélorussie nous semble utile et porteur de sens pour une association comme la nôtre née des conséquences de Tchernobyl. Notre engagement est cependant difficile car il n’est bien évidemment pas « normal » d’habiter dans un territoire si contaminé. Le fait, bien réel, est pourtant que des gens (2 millions de personnes) vivent là bas et qu’il n’est pas réaliste de déporter une telle population  (pour aller où  et avec quels moyens ?). Doit-on pour autant les ignorer ?

18 ans après la catastrophe, il nous est apparu important de nous engager aux cotés des habitants des territoires contaminés de Biélorussie, dont le sentiment d’abandon est grand et de leur apporter notre expérience de laboratoire citoyen, en travaillant « avec » la population et en accompagnant leurs projets pour tenter d’améliorer leurs conditions de vie. De plus, il nous parait essentiel, au moment où la communauté internationale semble avoir oublié Tchernobyl, de témoigner de la situation rencontrée là-bas. A l’heure où le nucléaire est présenté comme la solution « écologique » aux problèmes énergétiques, que l’on vient de décider de prolonger la durée de vie de nos centrales, il est certainement bon de rappeler les risques encourus. Quelle démocratie survivrait à un nouveau désastre comme celui-ci, économiquement et politiquement parlant ? Quel parent peut souhaiter vivre cette crainte permanente pour la santé de ses enfants, de recevoir régulièrement les résultats de son anthropogammamétrie, et de devoir deux fois par an l’envoyer en cure dans un sanatorium ? Quel habitant accepterait de quitter sa maison, son village, sa région ? Quel pays accepterait à nouveau d’abandonner une partie de son territoire en no man‘s land ? C’est, bien évidemment, la question de l’acceptabilité du risque qui apparaît ici, et toutes ces questions, en connaissance de cause, devraient aider à guider un choix citoyen, à condition que la question soit véritablement posée.

Présentation du programme CORE
Le programme international CORE regroupe des projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie et basés sur 4 thèmes :
•    la santé,
•    la mise en place de moyens de mesure de la radioactivité,
•    l’éducation et la transmission intergénérationnelle et internationale de la mémoire,
•    l’aide économique sur le volet essentiellement agricole.

L’idée est de permettre une synergie et une complémentarité entre les différentes actions menées. Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la vie dans les territoires contaminés mais de contribuer à améliorer les conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle-même. Ainsi, pour être retenus et labellisés, les projets doivent prendre en compte les dimensions locales, nationales et internationales. Concrètement, la demande doit être locale, l’habilitation nationale et les partenariats internationaux.

Une déclaration de principe a été signée par 23 institutions internationales gouvernementales et non gouvernementales comme les Nations Unies (PNUD), l’UNESCO, la Commission Européenne, les états français, italien, allemand, suisse, britannique, suédois, tchèque, lituanien (liste non exhaustive). En France une douzaine d’organisations sont partenaires de l’un des projets.

Le programme CORE ne possède pas de fonds de financement et chaque projet doit chercher un financement propre.

Pour en savoir plus : http://www.core-chernobyl.org.

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Tchernobyl : les malades imaginaires de l’AIEA

Communiqué de presse du 14 septembre 2005


Dans des rapports qui viennent d’être rendus publics, le Forum Tchernobyl, regroupant l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) et d’autres agences de l’ONU, a la prétention de faire un bilan de « l’ampleur réelle » de la catastrophe de Tchernobyl : « une cinquantaine de membres des équipes d’intervention décédés des suites du syndrome d’irradiation aiguë, neufs enfants morts d’un cancer de la thyroïde et 3940 décès en tout dus à un cancer radio-induit. » L’AIEA, qui a longtemps limité à 31 morts le nombre total des victimes se surpasse…

Pour obtenir des chiffres aussi bas, les organisations internationales ont limité à « 200 000 [les] membres des équipes d’intervention entre 1986 et 1987 » alors que le nombre de liquidateurs est estimé par elles à 600 000. De même, seulement « 270 000 habitants des zones les plus contaminées » sont pris en compte alors que 5 millions de personnes vivent officiellement dans des territoires contaminés. Radiés des listes d’irradiés pour un tour de passe-passe comptable ? Pas seulement.

« La plupart des travailleurs chargés d’assurer le retour à la normale et ceux qui vivent dans les zones contaminées ont reçu des doses d’irradiation à l’organisme entier relativement faibles, comparables aux niveaux du fond naturel de rayonnement et inférieures aux doses moyennes que reçoivent les gens qui vivent dans certaines parties du monde où le fond naturel de rayonnement est élevé. […] Pour la majorité des cinq millions d’habitants des zones contaminées, les expositions se situent dans la limite de dose recommandée pour le public. » Ils ne sont donc pas pris en compte dans les études, même si les normes internationales considèrent qu’il y a pas de seuil d’innocuité aux effets sur la santé des radiations ionisantes. L’AIEA vient donc d’introduire subrepticement un seuil et met la barre très haut en considérant les « doses moyennes que reçoivent les gens qui vivent dans certaines parties du monde où le fond naturel de rayonnement est élevé. » C’est inacceptable, car en toute logique le Forum Tchernobyl conclut que « dans les zones où l’exposition des êtres humains est faible, aucune mesure corrective n’est nécessaire. » Autant supprimer les normes de radioprotection !

Prétendre donner « des réponses définitives » sur « l’ampleur réelle de l’accident » relève de l’escroquerie. Tchernobyl est une catastrophe en devenir. L’ACRO, née à la suite de cette catastrophe en réponse à la dissimulation et aux mensonges institutionnels, œuvre actuellement en Biélorussie auprès des personnes vivant dans les territoires contaminés : nous pouvons témoigner que la santé de nombreux enfants est gravement altérée. Les conséquences sur la santé des radiations ionisantes sont encore mal connues car les seules connaissances se basent sur les survivants de Hiroshima et Nagasaki qui ont subi une irradiation forte et brève, pas une contamination continue. Les estimations de l’AIEA limitées aux personnes les plus exposées pourraient très bien être complètement erronées.

Ces études ignorent la dégradation générale de l’état de santé des populations vivant dans les territoires contaminés, rabaissées au rang de malades imaginaires : « l’impact de Tchernobyl sur la santé mentale est le plus grand problème de santé publique que l’accident ait provoqué à ce jour. […] Les personnes concernées ont une perception négative de leur état de santé, sont convaincues que leur espérance de vie a été abrégée. » L’ACRO, pourtant habituée à la propagande de l’industrie nucléaire, avait rarement lu des propos aussi abjects. « Cela a suscité chez elles […] des réactions totalement irresponsables se manifestant […] par l’abus d’alcool et de tabac et par le vagabondage sexuel non protégé. » On est en plein délire réactionnaire pour tenter de concilier une croyance idéologique en l’innocuité de la radioactivité et le délabrement sanitaire des territoires contaminés que même l’AIEA ne peut plus ignorer.

« Au final, le message du Forum Tchernobyl est rassurant ». C’était là le but recherché, au mépris des victimes de la catastrophe. Les bombardements de Hiroshima et Nagasaki ont incité l’humanité à réfléchir sur la prolifération de l’arme nucléaire et à tenter d’en limiter la prolifération. De même, les conséquences de Tchernobyl questionnent sur le développement de cette industrie à haut risque.

«  Tchernobyl » est un mot que nous aimerions effacer de notre mémoire. […] Pourtant, il y a deux raisons contraignantes pour lesquelles cette tragédie ne doit pas être oubliée. Premièrement, si nous oublions Tchernobyl, nous augmentons le risque de telles catastrophes technologiques et environnementales dans l’avenir. […] Deuxièmement, plus de sept millions de nos semblables n’ont pas le luxe de pouvoir oublier. Ils souffrent encore, chaque jour, de ce qui est arrivé il y a quatorze ans. Ainsi, l’héritage de Tchernobyl est pour nous, pour nos descendants et pour les générations futures. » Ces mots sont de Kofi Annan, il y a 5 ans…

Références :
•    « Tchernobyl : l’ampleur réelle de l’accident. 20 ans après, un rapport d’institutions des Nations Unies donne des réponses définitives et propose des moyens de reconstruire des vies », communiqué de presse commun de l’AIEA, OMS et PNUD du 5 septembre 2005
•    « Chernobyl a continuing catastrophe », United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, March 2000

Note :
Depuis presque 2 ans l’ACRO, s’est engagée au côté des habitants des territoires contaminés, avec d’autres partenaires, locaux et internationaux, à accompagner des projets émergeants ayant pour but d’améliorer la prévention contre les risques qu’engendrent les contaminants radioactifs encore présents comme le césium-137, le strontium-90 ou le plutonium. La particularité de son approche, qui fait également sa force, est de travailler directement avec les populations concernées, adultes et enfants. Les ressources déployées s’articulent autour de la surveillance des niveaux de la radioactivité chez l’homme et dans son environnement mais également de l’information. Des membres de l’ACRO séjournent régulièrement, de Stolin à Bragin en passant par Tchécherks ; parfois non loin de la zone d’exclusion.

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Lettre ouverte à la DGSNR

ACROnique du nucléaire n°69, juin 2005


L’ACRO a interpellé, par courrier en date du 23/05/05, la DGSNR. Vous trouverez ci-dessous une copie quasi conforme ce de courrier ; nous avons seulement explicité les sigles pour une meilleure compréhension. La réponse peut être téléchargée ici


Objet : Sûreté des stockages liquides des produits de fission aux usines de retraitement de la Hague

Monsieur le Directeur Général,

A la lecture de l’Inventaire géographique des déchets radioactifs, édition 2004, publié par l’ANDRA, nous sommes surpris d’apprendre que sur le site de l’usine de retraitement de la Hague le volume des solutions de produits de fission à vitrifier était de 1162 m3 en juillet 2003 (brochure n° 2, page 33).

Cette donnée, absente des inventaires précédents publiés par l’ANDRA, et non communiquée dans les états de résidus de fin de cycle fournis périodiquement par Cogéma à la CSPI (Commission Spéciale et Permanente d’Information près de l’établissement Cogéma de La Hague), est en totale contradiction avec les informations publiques sur le “traitement en ligne” des produits de fission et aux données qui nous avaient été fournies par les autorités de sûreté lorsque nous avions débattu de l’accident de référence des usines UP3 et UP2-800 en CSPI en 1985 et en 1992.

1-     En 1991, M. Henry, Département Sûreté Cogéma, a donné un exposé à Euratom, cet exposé a été communiqué au CHSCT (Comité Hygiène Sécurité et Conditions de Travail) de Cogéma la Hague le 5/11/91 :
L’accident de référence des usines UP3 et UP2-800 est la mise en ébullition des cuves de stockage des produits de fission suite à une perte totale des moyens de refroidissement des cuves.
Le volume de produits de fission (PF) considéré dans l’évaluation de cet accident est de 240 m3 par usine (pour 800 t de combustible).
Cette hypothèse de 240 m3 et perte prolongée des systèmes de refroidissement puis ébullition sur 2 cuves de stockage de produits de fission (2 x 120 m3) a été confirmée à la CSPI par le chef du département de protection de l’environnement et des installations nucléaires par lettre DPEI / 92-149 du 27 avril 1992 [ 1].

2-     Lors de la réunion de CSPI du 15/06/92, M. Niel représentant la DSIN (Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires) a déclaré que le volume de PF était au 1er janvier 1991 de 1200 m3, on en comptait 930 m3 en juin 1991, il nous informait que la DSIN s’attachait à vérifier que les produits générés par le procédé soient traités en ligne “le principe du traitement en ligne est un principe clairement affiché”.
Par note technique jointe au courrier référencé 900 ML/FT du 9 décembre 1992 de Monsieur le Préfet de la Manche, la DSIN précisait :
III- La gestion des produits de fission
Après avoir culminé aux environs de 1070 m3 jusqu’en 1990-91 (soit de l’ordre de la moitié de la capacité d’entreposage [ 2]), le volume des solutions de produits de fission entreposées a été ramené à 724 m3 en juin 1992. Il est prévu que ce volume soit abaissé à 445 m3 au 1/07/93 pour être stabilisé au niveau de 400 m3 à partir de 1994.

Quels problèmes ont amené la non réalisation d’un fonctionnement attendu : 1162 m3 de produits de fission (PF) stockés sous forme liquide en 2003 au lieu des 400 m3 de stock tampon prévus à partir de 1994 ?

3-    Le non refroidissement des solutions de produits de fission dimensionnant l’accident de référence des usines de la Hague n’est pas uniquement théorique. Comme les accidents de Tchernobyl et de Three Miles Island pour les réacteurs nucléaires, l’accident de Kychtym en septembre 1957 dans le sud de l’Oural a démontré la potentialité et le dimensionnement d’un accident sur un site de retraitement.
L’accident de Kychtym est survenu après défaillance du système de refroidissement d’un réservoir contenant quelques dizaines de m3 de déchets de haute activité, les rejets ont contaminé un territoire encore évacué aujourd’hui de 100 km de long par 8 km de large, dans cette “zone d’exclusion” les données de contamination en strontium 90 s’expriment en millicuries par m2 (37 millions de Bq/m2).
Des incidents entraînant l’arrêt de l’alimentation des vecteurs de réfrigération / agitation  / dégazage des cuves de produits de fission pouvant conduire à ce type d’accident “hautement improbable” se sont déjà produits sur le site de retraitement de la Hague :

– 15 avril 1980 : Incendie du poste moyenne tension du site provoquant l’arrêt de l’alimentation électrique par le réseau EDF.
Impossibilité d’utiliser les groupes de secours internes principaux, les pupitres de ces groupes étant eux aussi mis hors d’usage.
La perte des fonctions électriques a duré 3 heures.
– vendredi 13 février 1970, 22 h : suite à d’importantes chutes de neige, la presqu’île du Cotentin est entièrement privée d’électricité, toutes les lignes s’effondrent sous le poids de la neige, plus de téléphone, les poteaux électriques et téléphoniques sur la chaussée s’additionnent aux congères et au verglas pour rendre les routes impraticables.
Le courant industriel ne sera rétabli que le mercredi 18 février au matin.
Que s’est-il passé sur le site de retraitement de la Hague durant ces 5 jours de 1970 ? L’usine fonctionne depuis 1966.

4-     L’accident de Kychtym [ 3,4,5], longtemps ignoré jusqu’au milieu des années 1980 est décrit par Paul Boué dans “Accidents nucléaires en URSS”, dictionnaire de l’écologie, Encyclopaedia Universalis, édition 2001.
A partir des références 3,4 et 5 et d’un document plus récent publié par Nénot J.C. [ 6] cette publication donne une activité initiale du stockage de Kychtym estimée à 20 millions de curies (740000 TBq [7]) tous radionucléides confondus, un rejet de 5 millions de curies (185000 TBq ) pour le seul strontium 90, ce radionucléide représente 50 % des radionucléides rejetés, soit une contamination initiale estimée à 10 millions de curies (370000 TBq).

L’accident de référence exposé par M. Henry en 1991 à Euratom envisageait une mise en ébullition de 480 m3 de produits de fission d’une activité moyenne de 79 TBq/l avec une teneur en strontium 90 de 21%, soit un terme source potentiel en strontium 90 de 7,96 millions de TBq (pour 480 m3). Mais pour évaluer le rejet, la fiche de calcul pondère ce terme source par 2 coefficients :
– un facteur d’entraînement sortie cuve de 3,3.10-6
– un facteur de transfert cuves / cheminées de 4,4.10-2

En tenant compte du stockage réel de 1162 m3 de fin 2003, le rejet théorique potentiel de strontium 90 serait  de 2,79 TBq.

Comparé aux 185000 TBq de Kychtym, ce rejet théorique de strontium 90 n’est guère crédible : l’accident de Kychtym concernait “quelques dizaines de m3” de produits de fission issus du retraitement de combustibles plutonigènes, donc à faible taux de combustion, alors que l’accident potentiel des usines de la Hague concerne aujourd’hui de l’ordre de 1200 m3 de produits de fission issus de combustibles à taux de combustion élevés, 37000 à 40000 MWj/t, taux moyens annuels de 2001 à 2003 [ 8] (voir tableau de synthèse en annexe).

Considérer un accident “hautement improbable” dont on maîtrise totalement le rejet est difficilement recevable : nous l’avons vu au § 3, une situation pré-accidentelle s’est déjà produite au moins 2 fois sur le site de la Hague.
La réduction d’un facteur 1,45.10-7 du rejet par rapport au terme source [ 9] demande à être justifiée, si l’on veut bien prendre en compte le retour d’expérience de Kychtym.

Comme il l’a été envisagé avec les piscines de stockage des combustibles usés après les attentats du 11 septembre 2001 aux USA, qu’adviendrait-il si la cible d’un attentat était les ateliers de stockage des produits de fission concentrés au centre du site au sud de la cheminée d’UP2-800, facilement localisables en littérature ouverte ?

Dans l’attente des informations pouvant répondre à nos interrogations, veuillez agréer Monsieur le Directeur Général l’expression de nos sentiments respectueux.

Jean Claude AUTRET,
Président de l’ACRO

Copies :

– Madame Annie SUGIER, Présidente du GRNC
– DRIRE de Basse-Normandie
– CSPI
– Cogéma
– ANDRA

[1] M. Devillers de l’IPSN, auditionné par la CSPI sur l’accident de référence pour ces 2 usines donnait 240 m3 pour 800t/an (CSPI du 17 juin 1985), dans son exposé Euratom de 1991 M. Henry considérait lui aussi 240 m3 pour 800 t/an, soit 480 m3 pour les 2 usines.
[2] Dans les dossiers d’enquêtes publiques de modifications des installations de Cogéma la Hague en janvier 2000, la capacité maximale de stockage de produits de fission liquides pour les 2 usines est de 1400 m3.
[3] Medvédev J., Désastre nucléaire en Oural, 1988, éditions Isoète.
[4] AIEA, Circulaire d’information INFCIRC/368 du 3 août 1989.
[5] Nénot J.C., La situation autour des sites nucléaires de l’Oural, Médecins et rayonnements ionisants – 1993 – n° 6.
[6] Nénot J. C., L’Oural nucléaire, bilan de 50 ans d’une gestion désastreuse, le Mouvement médical, Revue Pratique, Paris, 1994.
[7] TBq : Tera becquerel = 1012 becquerel = mille milliards de becquerel.
[8] Medvedev J. donne une puissance calorifique des solutions de PF de Kychtym de 60 W/l pour les premiers mois après retraitement, 16 W/l après un an de stockage et 2 W/l au bout de 10 ans. M. Henry dans son exposé Euratom de 1991 prend une base de puissance calorifique de 8 W/l (12,5 W/l pour Devillers en 1985), ce qui semble faible en regard des données russes sur le retraitement de combustibles à faible taux d’irradiation.
[9] Terme source : Quantité d’un polluant spécifique émis ou rejeté dans un milieu particulier comme l’air ou l’eau à partir d’une source donnée.


Annexe :

Comparaison des données sur l’accident de Kychtym et des hypothèses dimensionnant l’accident de référence des usines de la Hague

accident de Kychtym référentiel Hague
terme source 740000 TBq 91,8
millions de TBq [a]
rejet total 370000 TBq 13,33 TBq [b]
rejet Sr-90 185000 TBq 2,79 TBq [b]
dose maximale
50 ans
8600 mSv [c] 27 mSv [c]
portée
de l’impact
100 km 1,5 km
[a] 1162 m3 de solutions de PF en 2003 à teneur moyenne de 79 TBq/l (Henry, exposé Euratom, 1991)
[b] Hypothèse de l’accident de référence (Henry, exposé Euratom, 1991)
[c] Dose cumulée pour 50 ans d’exposition dans la zone d’impact maximal

Pour Kychtym 10180 personnes ont été évacuées 18 mois après l’accident, elles ont reçu une dose efficace moyenne de 690 mSv (170 mSv en externe, 520mSv en interne : AIEA, INFCIRC/368 du 3 août 1989), la moitié de la dose efficace était due à l’ingestion de 90Sr, soit 260 mSv. Le dépôt de 90Sr perdure, la dose « 50 ans » si les populations n’avaient pas été évacuées aurait été de l’ordre 8,6 Sv (260 mSv / 18 x12 x 50 =  8666 mSv).

Rappel : Les effets déterministes sont établis à partir du seuil de 1 Sv.

Ancien lien

Un conte sur de petits radionucléides pour de petits enfants

Ecrit par Valentina Nikolayevna Koverda (de Komaryn – région de Gomel – République Bélarus). ACROnique du nucléaire n°69, juin 2005.


Un jour, d’une grande cheminée d’une centrale nucléaire sortirent en trombe de petits radionucléides. Ils étaient si nombreux dans cette cheminée et si serrés qu’ils se disputaient et se bagarraient sans cesse. Alors, quand enfin ils quittèrent leur cheminée, ils partirent dans tous les sens. Le vent, qui souflait fort ce jour là, les emporta et les dispersa partout aux alentours de la centrale nucléaire et même bien au-delà, sur toute la terre.

Les uns furent dispersés au-dessus des forêts, d’autres au-dessus des champs, et certains se noyèrent en tombant dans les rivères. C’est à partir de ce moment, que chacun commença à vivre sa propre vie.

Ces êtres étaient petits, mais d’une nature très méchante, car ils avaient vécu dans les sous-sols pendant très longtemps sans lumière et sans soleil. Une fois libérés, ils pouvaient donner libre cours à leur méchant caractère et se venger des hommes qui les avaient retenus au tréfonds de la terre.

Les petits radionucléides qui étaient tombés dans les forêts se faufilèrent dans les champignons et les baies, ceux dispersés par dessus les champs choisirent les tiges du blé  et se glissèrent dans les épis, pour se cacher à l’intérieur des grains. Ceux qui avaient atterri dans les potagers pénétrèrent directement dans les têtes des choux. Enfin, ceux qui  étaient tombés dans l’eau descendirent profondément dans la vase pour s’y cacher. Ils attendaient la venue d’une jolie carpe, et lorsque celle ci ouvrait sa bouche, ils sautairent aussitôt dans ses ouïes et ses entrailles.

« Eh bien – diras-tu – qu’ils y restent ».

Mais non, mon cher petit ami, le malheur c’est que si ces petits radionucléides méchants se sont installés dans les champignons et les baies, dans les grains de blé, s’ils se sont cachés dans les choux et les carottes, c’est pour attendre :
– Que tu viennes dans la forêt pour récolter des baies et des champignons dans ta corbeille, pour en manger à la maison ;
– Que tes parents rentrent le blé, et les légumes du potager et fassent de bons gâteaux que tout le monde en mange avec du lait de la vache revenant des pâturages ;
– Que ta mamie fasse frire la jolie carpe et la donne a manger à ses petits-enfants bien-aimés.

Les petits radionucléides vont alors sauter dans ta bouche, et après ils vont pénétrer à l’intérieur de ton corps. Et ils se mettront à creuser-bêcher :
– dans l’estomac ils feront des creux,
– dans les intestins ils perceront de petits trous,
– dans la thyroïde ils se rouleront en petits boules

C’est comme ça qu’ils veulent voler tes forces, ta mémoire et te blanchir les joues.

Quel malheur, mon petit ami !

Les médecins vont te prescrire des potions amères, les infirmières vont te piquer avec des aiguilles bien pointues, tes parents ne te laisseront plus sortir au grand air et ils te coucheront dans le lit sous un tas de couvertures.

Alors, ça te plaît ?

Je vais te dire un secret pour que tu saches comment faire  avec ces petits radionucléides méchants et ils n’auront que ce qu’ils méritent.
– Premièrement, souviens toi bien que ces radionucléides sont tes pires ennemis,
– Deuxièmement, ne les laisse pas s’approcher de toi et évite d’aller dans les endroits où ils sont installés.
– Troisièmement, chaque fois que tu veux manger une pomme ou une carotte du jardin, chaque fois que tu veux boire du lait de vache ou te régaler avec des baies des bois, n’oublie surtout pas de vérifier si les radionucléides ne se sont pas cachés à l’intérieur,
– Enfin, avant de te mettre à table, lave toi les mains avec du savon.

Je sais que tu es bien sage, mon petit ami et que tu as bien retenu mes conseils. A toi, d’être le plus malin afin que ces petits radionuléides si méchants ne fassent de mal ni à toi ni à tes parents. Et maintenant, va vite raconter à tes amis, tes proches, ce que je t’ai conté aujourd’hui afin qu’ils le sachent et qu’ils fassent controler plus souvent les aliments dans un laboratoire pour voir si il n’y a pas de méchants radionucléides dans ce qu’ils mangent.

Ancien lien

Feuilleton EPR

Parce que le gouvernement met plus d’ardeur à imposer le réacteur nucléaire connu sous le sigle « EPR » qu’à sortir des limbes le projets de loi sur la transparence nucléaire, parce que son implantation à Flamanville dans la Manche doit faire l’objet de deux consultations, nous vous proposons, sous forme de feuilleton, des informations sur ce projet. De plus, la réglementation française imposant que toute nouvelle pratique induisant une exposition aux rayonnements ionisants soit justifiée par son intérêt économique et social, nous allons tenter de rechercher l’utilité de l’EPR.

  1. Ensemble Pour le Réacteur
  2. Encore Plus Rassurant
  3. Electeurs Parfaitement Représentés
  4. Emplois Pour la Région
  5. Evitons le Péril du Réchauffement
  6. Exportons la Production du Réacteur
  7. Erigeons des Pylônes Remarquables
  8. Epilogue : notre Position sur le Réacteur


Ensemble Pour le Réacteur

ACROnique du nucléaire n°68, mars 2005

AU NOM DE L’E.P.R., DU FRIC ET DE L’ESPRIT SAIN ?

Tombé du ciel
Le choix de Flamanville qui a finalement été retenu pour l’implantation de l’E.P.R. (European Pressurized Reactor) a fait déborder d’enthousiasme et de frénésie une marmite d’élus en effervescence depuis quelques temps. L’unité artificielle des élus de tous bords, excepté des Verts (cf. « la Manche Libre et la tête de J-F. Legrand » du 01/10/04) a été déterminante pour faire pencher le fléau de la balance vers la pointe de la Hague sud. C’est un argument de façade et nous découvrirons peut-être plus tard d’autres raisons qui ne sont pas présentables actuellement.

En tout état de cause, le choix s’est fait sans débat autour d’un argumentaire solide et contradictoire. Il n’y a pas eu de consultation publique à l’échelle nationale. La Ministre de l’Industrie de l’époque, Nicole Fontaine annonce le choix de l’E.P.R. en plein débat sur l’avenir énergétique, ce qui décrédibilise ce dernier ainsi que ceux qui l’ont initié. La dissimulation aux parlementaires d’un rapport de la DGSNR (Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection) sur l’E.P.R. (cf. journal « le Monde » du 21/10/01) est encore un acte de cette comédie dont le vrai scénario s’écrit et se joue en dehors de la scène publique.

Au niveau local, tout le monde politique en appelle à l’E.P.R. sans présenter le moindre argument technique. Ce n’est absolument pas cela qui est avancé, on ne s’embarrasse pas du dossier. Les consultations locales se résument à quelques micro trottoirs : « c’est bien pour les jeunes » dit le boucher sur le marché. « C’est positif pour la région, par les temps qui courent… » ajoute un maire d’une commune limitrophe (cf. « la Presse de la Manche » du 21/10/04). Les avis donnés ne concernent que l’emploi.

En effet, la nouvelle arrive comme un ballon d’oxygène dans un climat social assez plombé. De nombreuses entreprises ont fermé leurs grilles ou sont parties sous d’autres cieux. On en est là vingt ans seulement après les grands chantiers porteurs pareillement de tous les espoirs. Il y a depuis, une avancée du désert industriel dans la région (cf. le film documentaire de T. Dunand et D. Guillemois : « Cotentin 1960-2000, une histoire industrielle »). L’E.P.R., à n’en pas douter, n’est qu’un point d’eau dans ce désert, point qui se tarira vite selon des sources prenant naissance à la Cogéma. Les responsables des offices de tourisme vont devoir encore faire appel à toute leur imagination et « ramer dur » pour donner une bonne image de la région. La photo va être de plus en plus difficile à prendre si l’on veut éviter de cadrer les sites nucléaires.

L’image d’une région et d’une population très hospitalières avec les installations nucléaires sous toutes ses formes n’est pas bien assumée quoiqu’en montrent les reportages de la presse locale. La violence avec laquelle on brise les miroirs qui renvoient les images lorsqu’elles pointent les risques potentiels liés à ces activités sont là pour nous le rappeler. Que ce soit Greenpeace et le tuyau des Moulinets, le Pr. Viel et ses hypothèses sur la santé, F. Zonabend et ses études sur la presqu’île qu’elle attribue au nucléaire … entre autres exemples. Il reste donc à prouver que les habitants du Nord-Cotentin, dans leur conviction silencieuse, soient très fiers de cette couche que l’on rajoute à l’aire nucléaire locale.

(Re)Tombées du ciel !
Ah, les retombées financières !!! On va gagner des millions … Il va y avoir de quoi générer du rêve, comme au loto. Mais « tout c’qui vyint d’fllot, s’en r’va d’marée » (tout ce qui vient avec le flot, repart avec la marée – expression normande). Là aussi, il y aura du désappointement. Il y a, en effet, fort à parier que l’argent ira à l’argent. Des communes riches qui ne savent pas quoi faire de leurs rentes (mais qui rechignent à la partager) vont être encore plus riches. D’autres nouveaux riches ont dépensé sans compter, comme des enfants gâtés et les retombées seront alors bienvenues et tomberont pile dans les trous creusés ou à venir.

Socialement, les conséquences seront aussi incertaines et l’espoir créé autour de ces emplois risque de n’être qu’illusion. Les entreprises chargées de la construction, avec l’ouverture des marchés européens seront, pour une bonne part, étrangères à la région. Une partie de l’EPR finlandais est construite au Japon. Qu’en sera-t-il pour le réacteur normand ? L’emploi technique spécifique au domaine nucléaire sera, lui, fourni par AREVA et Siemens en régulant en interne ces emplois. Au delà des dividendes escomptées, il y a déjà les 55 millions envolés pour le Conseil Général qui en a fait don par l’exonération de la taxe professionnelle. Faire ce geste gracieux pour que l’on installe des lignes et des pylônes à travers la campagne du département, merci du cadeau. « EDF vous doit plus que la lumière », il y a aussi les fils et les poteaux !

Tombés sur la tête
Si l’on aborde le sujet de l’environnement et de sa préservation, il est intéressant d’introduire les éoliennes dans le débat. Les paradoxes et les contrastes que l’on observe alors dans les discours nous laissent pantois et cois ! On constate, d’une part, un engouement frénétique des élus pour l’EPR et sa lignée à haute tension, un silence de la grande majorité de la population sur ce sujet et par ailleurs une levée de boucliers de ces mêmes élus bien souvent et d’une partie importante des riverains contre l’implantation de parcs éoliens en mer ou sur la côte. Les nuisances sont mises en avant pour refuser les moulins à vent. Une éolienne ça fait du bruit et ça gâche la vue. Une usine nucléaire, les pylônes et les câbles sur des centaines de kilomètres, ça ne se voit pas, ça ne s’entend pas … dans les discours. Lorsque l’on fait part de cet oubli, il est parfois répondu « ah oui, mais ça, c’est utile. Il en faut ».

Le parc éolien en mer, les pêcheurs n’en veulent pas. Une délégation d’élus et de professionnels monte au ministère pour protester et des dizaines de manifestants à chaque réunion font part de leur refus. Soit. Mais les rejets en mer de la canalisation de la Hague, les rejets aériens que l’on retrouve dans les ruisseaux et sur la côte, le tritium renvoyé devant Flamanville ? ? ? Ni vu, ni connu. Silence sur les V.H.F. ! Le milieu maritime fait le dos rond et les dauphins se réchauffent dans les eaux du cap, dans le meilleur des mondes.

Il est difficile de comprendre ce refus. L’acceptation des installations nucléaires est assez bien cernée. Lorsque l’on pose le problème du danger, la réponse est toujours décalée. On entend emploi, argent, économie. B. Cazeneuve, maire de Cherbourg dit dans le film « Silence sur l’atome » de S. Tézé : « les gens acceptent et n’ont pas peur car ils savent ce que c’est … ils vivent tous les jours avec ». Les visites jusqu’en 2001 de l’usine Cogéma par les familles a certes ouvert un univers qui leur était inconnu. Lorsqu’ils racontent cette découverte, les visiteurs sont éblouis par cette vitrine qui en met plein la vue. Mais trop de lumière aveugle et les connaissances réelles sont réduites. La réalité du travail et des relations sociales est méconnue. J. Aubert, dans le même film souligne que les personnels de l’usine de la Hague ont deux vies distinctes : le travail et la vie domestique et qu’il y a très peu d’interférences. Hors usine, ils ne parlent pas du travail.

Je pense qu’il y a donc plutôt un déni du risque et un refoulé nécessaire pour vivre près des installations, comme le montre un paysan voisin des sites de la Hague interrogé par le réalisateur de « Silence sur l’atome » … « on n’y pense pas tous les jours au danger, sinon on s’en irait ». Le rejet des éoliennes est difficile à saisir car il est sous-tendu certainement par plusieurs motivations. Il y a bien sûr le refus classique des riverains. Mais il trouve là une amplification qui les dépasse. Le terrain se prête à ce refus. Les éoliennes, production énergétique alternative, sont peut-être ressenties comme l’illustration d’une menace qui pèse sur le programme nucléaire, en particulier le retraitement. Cela trouve une résonance spécifique pour bon nombre du personnel de la Cogéma. Il n’y avait qu’à voir, lors d’un débat à l’IUT de Cherbourg en 2004, quelle virulence – voire plus –  déployaient les représentants syndicaux de la Cogéma à l’encontre des programmes éoliens et solaires. Les éoliennes, à leur vue, symbolisent « l’écolo » et sont alors perçues comme une provocation sur les hauteurs d’une presqu’île qui doit être vouée au nucléaire exclusivement.

Ces manifestations de refus sont aussi relayées par les élus, trop heureux d’enfourcher ce cheval de bataille anti-écologiste. A la tête de l’escadrille, on trouve le plus zélé d’entre tous : C. Gatignol, député de Valognes. L’E.P.R. sous le bras, il pourfend, jusque dans les ministères, les commissions à l’assemblée et les manifestations locales, ces éoliennes sources de tous les maux et inutiles (cf. Ouest-France du 27/12/04). Selon lui, l’ADEME (Agence de Maîtrise de l’énergie) « trompe les gens, propage de fausses informations ». Il conclut « la France a-t-elle besoin d’énergie éolienne ? sans conteste non ! ». M. Gatignol en fait beaucoup. Ses revers électoraux successifs ne semblent pas le faire douter… alors laissons-le en faire trop.
Ces prises de position contradictoires, de bonne et surtout de mauvaise foi, sont l’illustration de ce qui se joue dans le Nord-Cotentin. Il serait peut-être utile que des chercheurs étrangers à ce champ de bataille viennent lucidement l’observer et essayer de comprendre car, sur place, nous sommes comme (des) hagards, déboussolés, à la recherche du Nord.

Pierre PARIS
Antenne ACRO Nord-Cotentin

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Encore Plus Rassurant

ACROnique du nucléaire N°69 de juin 2005

Les ministres successifs nous l’ont assuré, l’EPR est dix fois plus sûr que les réacteurs actuels. Est-ce à dire que les réacteurs actuels ne sont pas si sûrs ? « Même si la sûreté des réacteurs aujourd’hui en exploitation en France est jugée satisfaisante, l’ASN considère que tout projet de nouvelle génération de réacteur électronucléaire doit atteindre un niveau de sûreté supérieur ». Pourquoi ? Dans sa fiche de présentation du projet, dont est tirée cette citation, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) ne l’explique pas. Son Directeur, dans une lettre du 28 septembre 2004 adressée au PDG d’EdF, exige que « le risque de fusion du cœur [soit] réduit de manière significative ». Pas simplement « amélioré ». Pourquoi une telle exigence si les réacteurs actuels sont satisfaisants ? Ces documents, disponibles sur le site Internet de l’ASN, ne contiennent pas la réponse.

L’explication vient de calculs faits dans les années 90 par l’IPSN (Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, l’ancêtre de l’IRSN) sur la probabilité de l’occurrence d’un accident grave comme à Tchernobyl ou Three Miles Island. Ces études ont abouti à l’évaluation qu’il y a une chance sur 100.000 environ qu’un accident de fusion du cœur dû à des défaillances internes ait lieu. Ce chiffre est par réacteur et par an. Si on multiplie par 50 réacteurs fonctionnant pendant 40 ans, on arrive à quelques pourcents de chance, ce qui n’est pas anodin. Evidemment, ce chiffre évolue avec l’âge du réacteur et l’on ne peut pas multiplier par le nombre d’années aussi simplement. Mais, les corrections apportées par EdF pour réduire cette probabilité n’ont pas réussi à contrecarrer la prise en compte d’autres scénarios d’accident et le vieillissement des installations. Ainsi, la probabilité d’occurrence d’une fusion du cœur n’aurait pas baissé autant que l’on aurait pu l’espérer, selon la confidence d’un expert de l’IRSN. Mais impossible d’avoir des chiffres plus précis, l’ASN ne souhaitant pas communiquer sur un sujet pouvant « effrayer » les populations. Ainsi, la règle fondamentale de sûreté impose les calculs probabilistes sans donner de chiffres !

L’EPR 10 fois plus sûr signifie que la probabilité de l’occurrence d’une fusion du cœur ne doit pas dépasser une chance sur 1.000.000 par réacteur et par an. Il est louable de vouloir faire beaucoup mieux, mais la sûreté des populations nécessite de considérer le parc nucléaire dans son ensemble. Pour que la construction de l’EPR, complètement inutile d’un point de vue énergétique car EdF est en surcapacité de production, contribue à une amélioration de la sûreté des populations, il faudrait qu’elle s’accompagne de l’arrêt des réacteurs les plus dangereux.

Il est regrettable de réduire à un simple slogan la sûreté des réacteurs. Si les promoteurs de l’EPR veulent convaincre de l’intérêt de leur réacteur comme l’impose le principe de justification*, il faut qu’ils nous proposent des scénarios globaux avec la publication de tous les chiffres concernant la sûreté. C’est seulement dans ces conditions qu’un débat pourra avoir lieu.

De même, le fait que l’EPR ait un rendement supérieur au parc actuel et donc produise relativement moins de déchets nucléaires n’a un intérêt que si les réacteurs les plus anciens sont arrêtés. Dans la configuration actuellement prévue, l’EPR ne fera qu’augmenter la production totale de ces déchets pour lesquels aucune solution satisfaisante n’existe.

* Le principe de justification : La réglementation française impose que toute nouvelle pratique induisant une exposition aux rayonnements ionisants soit justifiée par son intérêt économique et social. Dit autrement, toute nouvelle exposition n’est acceptable que si elle procure un bénéfice aux personnes exposée ou à la société.

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Electeurs Parfaitement Représentés

ACROnique du nucléaire N°69 de juin 2005

Pour justifier la construction de l’EPR, comme l’impose la réglementation, le gouvernement a organisé un Débat National sur les énergies. Mais, contrairement aux attentes, les trois sages chargés de piloter le Débat avaient conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. » Depuis, il n’y a pas eu de débat sur la politique industrielle de la France. Et l’EPR est devenu officiellement un « démonstrateur » pour pouvoir maintenir un savoir faire et « l’option nucléaire ouverte » quand les centrales actuelles seront arrivées en bout de course. Deuxième manque de chance pour la stratégie de communication des autorités, la Finlande a commandé en décembre 2003 un réacteur EPR prétendument fiable qui va précéder le « démonstrateur ». Bien qu’aucun argument justificatif supplémentaire n’ait été apporté, les Députés ont voté, en première lecture en juin 2004, la loi sur l’énergie préconisant la construction du réacteur.

De plus, selon Le Monde du 21 octobre 2004, « Alain Schmitt, directeur adjoint à la DGSNR (direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, le service du ministère de l’industrie qui joue le rôle de gendarme du nucléaire), l’indique clairement : “Le gouvernement voulait que l’examen de la loi au Parlement ait lieu avant que nous publiions notre prise de position.” Ainsi, la position prise par la DGSNR sur la sûreté d’un nouveau réacteur EPR a été cachée aux députés qui examinaient, au printemps [2004], le projet de loi sur l’énergie. Un des principaux sujets de cette loi était le lancement du réacteur EPR. » Et d’ajouter que « la discussion parlementaire s’est déroulée en mai sans que les députés aient d’autres éléments techniques sur le réacteur que des éléments généraux et tous favorables. Le “débat sur l’énergie”, qu’avait lancé en 2003 la ministre de l’industrie d’alors, Nicole Fontaine, avait été mené sans dossier précis sur l’EPR. Or le document que publie la DGSRN avait été établi en octobre 2000 lors de l’assemblée plénière du groupe permanent d’experts sur les réacteurs. »

C’est en octobre 2004 qu’EdF annonce avoir choisi la Normandie d’en Bas contre la Normandie d’en Haut pour l’implantation du réacteur. Elle a par ailleurs, saisi la Commission Nationale de Débat Public (CNDP) qui a, dans son avis du 1er décembre 2004, décidé qu’elle organisera un débat, « considérant que le débat national sur les énergies organisé par le Gouvernement au 1er semestre 2003 et les avis du Comités des Sages qui l’ont conclu ont fait apparaître une controverse sur le projet de réacteur de type EPR ; que le débat public a précisément pour but, non de trancher une controverse, mais d’approfondir et d’en éclairer les termes, après avoir assuré l’information et l’expression du public ». (Voir http://www.debatpublic.fr/) Elle a de plus considéré « certes que la loi d’orientation sur l’énergie, votée en première lecture en juin 2004 arrête les principes fondamentaux en la matière ; que cependant elle renvoie pour leur mise en œuvre à une programmation pluriannuelle des investissements dont la date d’approbation est à la discrétion du Gouvernement ; qu’ainsi le débat public est en mesure d’éclairer préalablement la décision d’investissement. »

Dans la nuit du 29 au 30 mars, les députés ont voté en deuxième lecture le projet de loi sur l’énergie qui, selon l’AFP, « donne le feu vert au lancement du réacteur nucléaire de 3e génération, EPR ». L’article 1er ter stipule que « le deuxième axe de la politique énergétique est de diversifier le futur bouquet énergétique de la France. […] L’Etat se fixe donc trois priorités. La première est de maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020. […] L’Etat appuie donc les démarches d’Electricité de France visant à construire un réacteur européen à eau pressurisée : l’EPR. » Les députés n’ont donc pas besoin d’être « éclairés » par le débat supposé avoir assuré « l’expression du public ». Leur dévotion au projet va jusqu’au soutien public. En effet, l’article 1er quater stipule que « la politique de recherche doit permettre à la France d’ici 2015, d’une part, de conserver sa position de premier plan dans le domaine de l’énergie nucléaire et du pétrole et, d’autre part, d’en acquérir une dans de nouveaux domaines en poursuivant les objectifs suivants : […]
–    le soutien à l’industrie nucléaire nationale pour la mise au point et le perfectionnement du démonstrateur EPR, en particulier dans le domaine des combustibles nucléaires innovants. »

Ce texte a été remanié depuis par le Sénat, sans rien changé sur le fond pour l’EPR. Pendant ce temps, le projet de loi sur la transparence nucléaire s’est perdu dans les méandres du pouvoir.

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Emplois Pour la Région

ACROnique du nucléaire N°69 de juin 2005

Dans « Reflets » n°51 daté de mars-avril 2005, le magazine de la région Basse-Normandie, il est écrit sous le titre évocateur« Méga chantier » : « EDF choisit le site de Flamanville pour la construction, à partir de 2007, du premier EPR (European Pressurized water reactor), réacteur nucléaire de 3ième génération destiné à remplacer les 58 autres actuellement en production en France. D’une durée de 6 ans et d’un coût de 3 milliards d’euros, ce chantier devrait générer près de 2000 emplois sur la période ». Notre épisode sur la sûreté aurait fait mouche et EDF s’apprêterait-elle à fermer ses 58 réacteurs ? Non ! C’est plutôt que les élus locaux rêvent déjà d’autres tranches dans l’avenir, en remplacement des réacteurs actuels, avec l’emploi comme dernier argument. Mais, en service, ce prototype nucléaire n’emploierait plus que près de 400 personnes.

Ce qui se passe en Finlande est instructif car l’on a en quelque sorte un « démonstrateur de démonstrateur » ! Or, le conglomérat japonais, Mitsubishi Heavy Industries, a annoncé le 18 mars 2004 qu’il fournirait la cuve du réacteur (Genshiryoku Sangyou Shimbun, 25 mars 2004). Les travaux ont commencé à Kobé au Japon et la cuve devrait être livrée fin 2006. Quant aux générateurs de vapeur, ils sont aussi en cours de construction… au Japon par Japan Steel Works ! (Nucleonics Week, 18.11.2004) Ainsi les éléments clés du fleuron de la technologie française seront fabriqués au Japon car il n’y a plus la capacité industrielle en France. Dommage qu’un débat sur la politique industrielle n’ait pas eu lieu ! En sera-t-il de même pour l’EPR normand s’il est onfirmé ? Selon l’usine nouvelle (26 mai 2005), il faudra plusieurs années de recherche pour mettre au point les capacités de production en France, car les concepteurs du projet EPR ne se sont pas attardés sur les questions de faisabilité industrielle. Un tel investissement ne peut être rentable que si le carnet de commande était plein, ce qui n’est pas le cas, même si les industriels rèvent tout haut de s’équiper pour contruire 50 réacteurs de par le monde avec le soutien de l’Etat.

Ce n’est donc pas très glorieux en termes d’emplois. Comme 2000 personnes à 2000€/mois pendant six ans coûtent (en multipliant par 2 pour tenir compte des charges) environ 500 millions d’euros, soit moins de 20% de que ce devrait coûter la construction de l’EPR, il doit sûrement y avoir une meilleure façon de créer des emplois avec 3 milliards d’euros. A titre de comparaison, le dossier de candidature de Paris au JO fait apparaître 43000 emplois pérennes créés pour 4,2 millions d’euros d’investissement supplémentaires à ceux déjà prévus de toutes façons par la mairie ! (Capital, avril 2005) Dans l’étude commandée par Greenpeace, « Eole ou pluton », le cabinet d’étude « Détente » étudie le cas d’école où cette somme était investie entièrement dans l’éolien et montre que cela produirait beaucoup plus d’emplois et d’énergie ! Bien entendu, un scénario plus intéressant serait d’investir cette somme dans des actions variées incluant les économies d’énergie pour lesquelles il y a un potentiel immense. En Allemagne, c’est l’emploi qui a été l’argument décisif pour ne pas renouveler le parc nucléaire…

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Evitons le Péril du Réchauffement

ACROnique du nucléaire N°70 de septembre 2005

C’est une ritournelle classique : nous n’aurions le choix qu’entre les risques associés au nucléaire et le péril du réchauffement climatique. C’est en tout cas la conclusion que Nicole Fontaine, alors Ministre de l’Industrie, a tirée du débat sur l’énergie qu’elle a organisé en 2003 : « c’est bien entre [ces] deux inconvénients qu’il nous faudra choisir ».

Les chiffres donnés par Benjamin Dessus et Hélène Gassin dans leur livre « So Watt ? » paru cette année aux éditions de l’Aube permettent de se sortir de cette « alternative infernale » : « Le secteur de la production mondiale d’électricité repose aujourd’hui à 65% sur les énergies fossiles (en particulier le charbon), 17% sur le nucléaire et 18% sur les énergies renouvelables. Il contribue à 40% des émissions de gaz carbonique (CO2) du système énergétique et autour de 20% des émissions totales de gaz à effet de serre mondiales ». Le « recours systématique au nucléaire pour toute installation nouvelle ou pour le renouvellement des centrales à charbon ou au gaz en fin de vie conduirait, compte tenu des prévisions d’augmentation des besoins d’électricité (un doublement d’ici 2030 selon l’Agence internationale de l’énergie), à construire chaque année l’équivalent du parc nucléaire mondial actuel, 400 centrales environ, plus d’une par jour. » Il apparaît donc que le développement du nucléaire ne permet pas d’échapper à une politique volontariste de réduction des gaz à effet de serre. Serions-nous donc condamnés au nucléaire et à l’effet de serre ?

Un débat sur l’énergie ne peut pas être limité aux moyens de production. En effet, avant de choisir entre deux « inconvénients », une réflexion s’impose sur l’utilisation de cette énergie. Et là, un consensus apparaît sur la nécessité de limiter notre consommation. Le premier des trois axes principaux de la politique énergétique présentée dans le livre blanc sur les énergies du Ministère de l’Industrie (7 novembre 2003) précise que « la politique de l’énergie doit d’abord s’appuyer sur la relance d’une véritable politique de maîtrise et d’efficacité énergétiques ». Mais, cette politique se limite actuellement à des incitations fiscales totalement insuffisantes devant l’enjeu. Le scénario Négawatt pour un avenir énergétique sobre, efficace et renouvelable  (http://www.negawatt.org/) montre, sur la base des technologies actuelles, qu’il serait possible de diviser par 2 environ la demande d’ici 2050 par rapport à un scénario qui prolonge la tendance actuelle. Cela revient à stabiliser la consommation au niveau de 1994. En Europe, d’autres études similaires sont arrivées à des conclusions proches. Mais il y a urgence à agir de façon énergique ! Certains choix structurels, comme l’EPR, pourraient tuer cette volonté de réduire notre consommation d’énergie en servant d’alibi.

L’argument « EPR=Evitons la Pénurie des Ressources » d’hydrocarbure n’a jamais été évoqué par les promoteurs du réacteur. C’est symptomatique d’une volonté de donner une image d’abondance et d’énergie « propre » au nucléaire, à l’encontre d’une politique efficace d’économie d’énergie. Rassurés, les consommateurs peuvent continuer à consommer sans vergogne pour soutenir la croissance. Combien de fois avons-nous entendu que grâce à ses 80% d’électricité d’origine nucléaire, la France était « vertueuse » ? La construction de l’EPR constitue donc un frein à une véritable politique énergétique. De plus, l’investissement colossal qu’il représente pourrait faire économiser beaucoup plus d’énergie que sa production, si cet argent était investi dans des mesures d’économie, qui, elles, créeraient des emplois…

Le réchauffement climatique est une aubaine pour l’industrie nucléaire qui a trouvé là un moyen de « verdir » l’image d’une activité à risque. Dans le cahier collectif d’acteurs du débat public, les administrations expliquent que « grâce à la part prédominante du nucléaire, filière non émettrice en CO2, le contenu en CO2 de l’électricité produite en France est d’environ 20 g de carbone émis par kWh, à comparer à 134 g pour l’Allemagne, 115 g pour l’Espagne ou 82 g pour la Belgique ». Soit, mais l’électricité nucléaire ne représente que 17% de l’énergie finale, comme le rappelle Global Chance dans ce même cahier. Ce sont les transports qui y contribuent le plus. Il est donc réducteur, voire malhonnête de la part des administrations, de ne considérer que l’électricité. D’un point de vue éthique, ce sont les émissions de CO2 par habitant qui sont à comparer entre pays. Le protocole de Kyoto sur les changements climatiques, impose que les émissions globales ne dépassent pas un niveau donné. On attend donc d’une administration qu’elle présente des chiffres globaux avec un scénario avec EPR et un sans EPR et en prenant en compte la pénurie de pétrole bon marché.

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Exportons la Production du Réacteur

ACROnique du nucléaire N°70 de septembre 2005
Toutes les citations et les chiffres de cet épisode sont tirés du cahier collectif d’acteurs publié pour le débat sur l’EPR. Et disponible sur son site Internet.

Selon les chiffres officiels de l’administration, en 2004, 78% de l’électricité produite en France était d’origine nucléaire. 11,3% de cette électricité a été exportée. D’un point de vue énergétique, il est inutile de construire un nouveau réacteur dont la production sera exportée, mais pas les déchets. D’autant plus que la France s’est engagée à produire 21% de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2010 et à promouvoir les économies d’énergie. Et, dans un contexte de libéralisation du marché de l’électricité, la part produite par EdF pour le marché national ne peut que diminuer.

L’enjeu est plutôt d’ordre industriel, car dans une logique purement énergétique, il serait plus économique de construire un réacteur éprouvé du « palier N4 », comme il en existe déjà 4 en France, donnant officiellement « satisfaction ». L’EPR à Flamanville a donc pour but officiel de tester ses capacités pour pouvoir, en 2015, décider du renouvellement du parc actuel et aussi offrir une vitrine à l’exportation. Pour faire ses calculs de coûts, l’administration se base sur une série de 10 réacteurs EPR, d’où le terme « tête de série » donné au réacteur et certains promoteurs rêvent tout haut dans la presse d’en exporter 50… Notons qu’historiquement les exportations françaises de réacteurs sont inférieures à 10 unités car les pays hôtes préfèrent développer une compétence nationale. Si le contexte était si favorable, comment expliquer que BNFL, le concurrent britannique d’AREVA veuille vendre sa filiale Westinghouse ? Pour la SFEN (Société Française d’Energie Nucléaire), « cela renforcera les chances de la France de nouer des partenariats commerciaux sur ce marché concurrentiel et confortera sa position de leader dans un des rares secteurs de haute technologie où elle fait la course en tête ». Cocorico. Aller chercher le nationalisme, c’est bien la preuve que l’EPR manque d’arguments convaincants.

Le ministère de l’industrie admet que le nucléaire est « le plus compétitif pour une production en base, c’est-à-dire une production constante tout au long de l’année ». Soit de l’ordre de 50% de la consommation d’électricité, et donc moins que les 78% actuels. Selon Global Chance, « l’analyse d’une large fourchette de scénarios d’évolution des besoins d’électricité en France montre que l’échéance raisonnable d’introduction de moyens de production de base ou de semi-base dans le parc de production électrique se situe dans la période 2026-2033 et non pas 2015-2020 comme l’affirment les partisans de l’EPR. » Et donc, il n’y a aucune urgence à construire l’EPR. C’est confirmé par l’association « Sauvons le Climat », animée par des physiciens nucléaires, pour qui « la réalisation de l’EPR permettrait d’arrêter, avec un peu d’avance, un ou deux des plus anciens réacteurs français ou, plus probablement, de ne les faire produire qu’en hiver ». Etant donné le coût d’une telle hypothèse, il est peu probable qu’EdF la retienne. La production électrique de l’EPR est donc pour l’exportation.

L’EPR servirait de « vitrine à l’exportation », mais il n’y a pas eu besoin de vitrine pour en vendre un à la Finlande. Face au coût exorbitant du « prototype » et aux risques encourus, il devrait être possible de monter une collaboration poussée avec la Finlande pour profiter de son retour d’expérience. Pour AREVA, « en l’absence de nouvelles commandes, l’ingénierie française serait privée de la taille critique, des moyens et des motivations nécessaires pour maintenir notre supériorité technologique ». Alors pourquoi sous-traiter au Japon la construction des éléments les plus techniques du réacteur finlandais, si « les équipes se dispersent, les savoir-faire s’estompent, les expériences acquises se diluent » comme le proclame la SFEN ? Les arguments avancés sont peu convaincants. Ce qui est sûr, c’est que l’EPR à Flamanville va renforcer la dépendance d’une région à une quasi mono-industrie et va à l’encontre de la volonté affichée par les autorités de diversifier les moyens de production de l’électricité.

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Erigeons des Pylônes Remarquables

ACROnique du nucléaire N°70 de septembre 2005

« Accepteriez-vous de vivre dans une maison sous une ligne Très Haute Tension ? » Voilà la question de confiance posée à Jean Bizet, sénateur de la Manche, par un participant au colloque « Quels impacts des lignes électriques Très Haute Tension ? » organisé à St-Lô le 28 mai dernier par la Confédération Paysanne. « Oui, si ma maison est survolée » a répondu le sénateur. On aura compris que la maison de Jean Bizet doit actuellement être épargnée par les couloirs de lignes et c’est tant mieux pour la famille Bizet et éventuellement ses animaux. En Effet,  même dévoué à la cause nucléaire, comment nier plus longtemps les effets des lignes Très Haute Tension (THT) et, plus largement, des champs électromagnétiques ?

Construire un EPR à Flamanville, soit, mais comme la consommation d’électricité n’est pas locale, il faut bien évacuer le courant produit. C’est la tâche du Réseau de Transport d’Electricité (RTE). Pour cela, il sera nécessaire de construire un couloir de lignes THT sur une longueur de 150 à 200 kilomètres. Un pylône tous les 500 m environ, 80 m d’emprise au sol [1]. Quand on sait qu’à 500 m d’une THT des effets peuvent être induits, c’est entre 15 000 et 20 000 hectares qui peuvent être touchés par ce couloir de ligne supplémentaire. D’un coût estimé entre 180 et 220 millions d’euros (estimation basse car on évoque déjà une majoration de 20 à 30 %), ce projet doit faire l’objet d’un débat public… ultérieur à la décision gouvernementale. Oublions un instant ces curiosités chronologiques et l’impact de 300 ou 400 pylônes dans le paysage pour s’intéresser à la partie la moins visible, à savoir les champs électromagnétiques.

Tant qu’on reste faiblement exposé à des champs électromagnétiques, il est assez aisé d’en parler avec distance, voire même un certain détachement. Les choses se gâtent lorsqu’une ligne THT bien réelle survole votre ferme et vos animaux.
1989 – St-Laurent de Terregatte, sud Manche : Serge Provost [2] et son fils sont producteurs de lait avec 70 vaches laitières. Leur exploitation est survolée par une ligne THT (2 x 400 000 volts depuis 1992) qui transporte le courant produit à la centrale de Flamanville (120 kilomètres au nord) vers les départements voisins. 4 mois après la mise sous tension de la ligne, M. Provost rencontre des problèmes avec ses animaux : induration des mamelles, taux de leucocytes élevés, 12 avortements spontanés, sans cause apparentes survenus entre 4 et 6 mois de gestation. Les analyses sanguines des animaux révèlent un excès d’urée ou de phosphore et un manque de cuivre. Débute alors un marathon judiciaire qui durera plus de 10 ans pour aboutir à ce que M. Provost et son fils abandonnent leur métier et leur troupeau. Dans l’entre-fait, Serge Provost aura beaucoup appris sur les champs électromagnétiques et sur les méthodes d’EDF qui n’hésita pas à couper le courant dans la ligne le jour d’une expertise judiciaire !

Le cas des Provost n’est hélas pas un cas isolé. Les géobiologues qui interviennent sur des exploitations agricoles d’élevage en savent quelque chose [3]. Les animaux sont beaucoup plus sensibles que les êtres humains à l’exposition aux champs électrique et magnétique (voir encadré en fin d’article).
Le développement de l’électricité a engendré un quadrillage du territoire. Outre les pertes du réseau, la mise à la terre des différentes installations (lignes MT, THT, transformateurs, antenne de téléphonie mobile…) peut générer des courants vagabonds. Suivant la configuration du terrain qu’ils traversent (fissures ou failles géologiques, cours d’eau souterrains…), ces courants vont être potentialisés. Si une habitation ou des bâtiments d’élevage se trouvent sur leur parcours, des répercussions peuvent avoir lieu. La mise à la terre des installations agricoles chère au Sénateur Bizet ne règle pas tous les problèmes. Des études géobiologiques au cas par cas sont nécessaires. A proximité d’une THT (jusqu’à 500 m), des courants peuvent être induits [4] dans les tubulures d’une salle de traite par exemple. A partir de 6 milliampères, des baisses de production et des pathologies apparaissent chez les bovins et ovins [5]. Les effets des champs électromagnétiques ne sont pas réservés aux seuls animaux d’élevage mais peuvent affecter les êtres humains agriculteurs ou pas (maux de tête à répétition, perte de sommeil, dépression,  cancer du sein, leucémie…).

« Toutes les choses sont dites ». Pour Pierre Le Ruz, docteur en physiologie, directeur de recherches et expert européen des champs électromagnétiques, et son confrère Roger Santini, les effets des champs électromagnétiques sont connus et ne peuvent être tus plus longtemps. Ces chercheurs alertent, avec d’autres scientifiques depuis 1992 [6], sur la dangerosité des champs électromagnétiques d’Extrêmement Basse Fréquence (EBF [7]), en particulier sur l’augmentation du risque de leucémie chez l’enfant exposé à ces champs. Mais… tout le monde n’est pas de cet avis.

Le lecteur un peu familier des sujets traitant du nucléaire et de la santé des populations aura sans doute noté la ressemblance des termes « champs d’Extrêmement Basse Fréquence » et les « faibles doses des rayonnements ionisants ». Nous allons le voir, la ressemblance ne s’arrête pas là. Dans le milieu nucléaire, si les effets des faibles doses et le principe de linéarité sans seuil [8] sont admis par la plupart des instances internationales, ils demeurent des sujets controversés. Quelques professeurs de haut vol, membres des académies de Médecine ou des Sciences de surcroît, remettent en cause ce principe de linéarité sans seuil. Georges Charpak, Maurice Tubiana, André Aurengo sont de ceux-là. Si seulement nous pouvions admettre que les faibles doses radioactives sont absolument sans effet, l’avenir serait radieux à l’ombre des installations nucléaires ! Pour les exploitants tout d’abord. Mais ce n’est pas le cas.  Président de la commission qui porte son nom, chargée de faire la lumière sur les conséquences des retombées du nuage de Tchernobyl en France, André Aurengo fait également partie d’un groupe d’experts [9] rattaché au Conseil Supérieur d’Hygiène de Publique de France qui a remis le 8 novembre 2004 à la Direction Générale de la Santé (DGS) un rapport sur les extrêmement basses fréquences (EBF).

Dans leur rapport à la DGS, le groupe d’experts indique que l’implication des champs électriques EBF dans le risque de cancer a été écartée car, selon eux : «  les champs électriques EBF sont atténués par les parois des habitations et par la peau. Ils ont été peu étudiés. La quasi totalité des études les concernant sont négatives ». Pierre Le Ruz et Roger Santini [10] n’ont pas manqué de réagir en soulignant « l’existence d’incohérences, d’insuffisances et d’omissions » du rapport remis à la DGS. Outre le fait, omis par les auteurs du rapport, que les enfants sont exposés à des champs présents dans leur environnement (électroménagers, appareils électriques…), des études scientifiques montrent  que dès 10 V/m, le champ électrique EBF augmente significativement le risque de leucémie chez l’enfant. Chez l’adulte, le champ électrique EBF augmente aussi de façon significative le risque de leucémie, dès une moyenne annuelle, de 345 V/m et le risque de tumeur du cerveau chez les travailleurs d’EDF dès une moyenne annuelle de 387 V/m. De plus, dans les études citées par R. Santini et P. Le Ruz, l’existence d’une relation de type dose-effet [11], établie ou probable, est rapportée pour le champ électrique EBF. Il serait trop long ici de détailler le manque de rigueur du rapport à la DGS. On peut toutefois préciser que, contrairement à ce que le rapport affirme, des études présentent les mécanismes permettant d’expliquer les effets cancérogènes des extrêmement basses fréquences. Forts du résultat de ces études, Santini et Le Ruz affirment qu’il n’est plus acceptable que des enfants et des adultes continuent d’être exposés à des champs électriques d’Extrêmement Basse Fréquence supérieurs à 10V/m et ou à des champs d’induction magnétique EBF supérieurs à 0,2 microTesla.

Qu’en est-il des normes actuelles ? En l’absence de la preuve de l’innocuité des champs électromagnétiques, on pourrait imaginer que le principe de précaution s’applique et que le parlementaire légifère en ce sens en prenant en compte les effets à long terme. Imaginons…
La recommandation du Conseil de l’Europe indique une valeur de 100 microTeslas [12] pour le public afin d’éviter tout effet nocif pour le système nerveux central [13]. C’est celle retenue par les parlementaires français. Les normes européennes et françaises sont plus sévères pour la protection des matériels (de l’ordre de 0,5 microTesla pour un ordinateur). Sans doute davantage pétris de précaution, les parlementaires européens avaient décidé d’une limite à 0,25 microTesla pour le public. En juillet 2001, l’OMS a classé les champs magnétiques 50/60Hz dans le groupe 2b « cancérogènes possible pour l’homme » en raison du risque statistique de leucémie pour l’enfant exposé à un champ supérieur à 0,4 microTesla.

On aimerait volontiers afficher l’absence d’hésitation du sénateur Bizet à la question de vivre ou non sous une ligne très haute tension. Cependant, trop d’éléments invitent à relativiser les propos les plus optimistes. Du côté des experts et des académies, les errements du passé (amiante, dioxines) ou les approximations du présent (OGM) invitent là encore à prendre leur avis et leur indépendance avec précaution. Pour imposer l’EPR, il aura d’abord fallu enterrer les conclusions du Débat National sur les énergies sensé donner de la pluralité et de l’ouverture à un sujet qui en manque. Le corollaire de l’EPR – le couloir de lignes THT- présente lui aussi des risques qui ne peuvent rester cantonnés éternellement hors du champ des préoccupations de santé publique.

Grégory Grisel
Antenne Nord-Cotentin

(1)    …et 2874 euros par pylône et par an de taxe versée aux communes. Quant aux postes électriques (zone de séparation ou de regroupement des lignes), c’est environ 250 000 euros que se partageront la commune, la communauté de communes, le département et la région qui les « supportent ». De quoi aiguiser les appétits.
(2)    Serge Provost est par ailleurs cofondateur de l’association « Animaux sous tension » (Animaux sous tension,  Kerangoarec, 29300 ARZANO).
(3)    Voir en particulier le chapitre « Géobiologie et élevages » rédigé par Luc Leroy, géobiologue, dans l’ouvrage collectif « la géobiologie et vous  – guide pratique – Apprendre à gérer l’harmonie ! », Editions Mosaïque.
(4)    La fréquence des courants dont il est fait état ici est de 50Hz. Les champs électriques et magnétiques à de fréquence plus élevée (ordinateurs, téléphones portables…) sont également à considérer avec attention en ce qui concerne leurs effets sur la santé.
(5)    Certains pays (Québec, Canada) imposent des zones d’exclusion d’exploitation agricoles sous les couloirs de lignes.
(6)    La  connaissance des effets des champs électromagnétiques n’est pas nouvelle. Dès 1965, J-P. Maschi lance l’alerte d’un lien possible entre sclérose en plaques et contrainte électromagnétique. Il fût radié de l’Ordre des Médecins.
(7)    Les EBF sont des fréquences inférieures à 1kiloHz (kHz) soit 1000 Hz. Le courant électrique 50Hz entre dans cette catégorie.
(8)    Le principe de linéarité sans seuil signifie que pour toute dose absorbée, aussi petite soit-elle, il y a un effet biologique. Quoique décriée, cette hypothèse pourrait être sous-estimée comme l’indiquent de récents travaux portant sur l’effet « bystander ou non-cible ». Voir le dossier « l’impact des faibles doses de radioactivité sur l’organisme humain » ACROnique du Nucléaire n°69, juin 2005.
(9)    Rapport à la DGS : A. Aurengo, J. Clavel, R. de Sèze, P. Guénel, J. Joussot-Dubien, B. Veyret – « champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence et santé » – 8 novembre 2004, 61 pages.
(10)    Extrêmement Basses Fréquences : commentaires sur le rapport à la DGS d’un groupe d’experts rattachés au Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France par Roger Santini et Pierre Le Ruz, 21 mai 2005.
(11)    Relation dose-effet : plus l’exposition (la dose, les champs électromagnétiques dans le cas présent) augmente, plus les effets augmentent (risque de cancer pas exemple). Cette relation peut être linéaire ou pas, avec ou sans seuil.
(12)    Recommandation du Conseil de l’Europe 12 juillet 1999 cité par P. Le Ruz.
(13)    Guère mieux loti, le monde du travail voit s’appliquer des valeurs de 10 kV/m pour le champ électrique et 500 microTeslas pour le champ magnétique.

Le champ électrique : il est lié à la tension, c’est-à-dire aux charges électriques. Il se mesure en volt par mètre (V/m). Il diminue avec la distance. Toutes sortes d’obstacles (arbres, cloisons…) peuvent le réduire, voire l’arrêter. Sous une ligne THT, le champ électrique peut atteindre 3000 V/m.

Le champ magnétique : il est lié au mouvement des charges électriques, c’est-à-dire au passage d’un courant. Lui aussi diminue rapidement en fonction de la distance, mais aucun écran efficace et peu coûteux ne peut agir comme protection. Il se mesure en Tesla (T) et généralement en microTesla (µT). Une autre unité, le Gauss (G) est également employée ; 1 milliGauss (mG) = 0.1 µT

La combinaison de ces deux champs conduit à parler de champ « électromagnétique ». Tous les champs se caractérisent également par une fréquence, c’est-à-dire un nombre d’oscillations dans un temps donné. Cette fréquence se mesure en Hertz (Hz). Le réseau électrique fonctionne à la fréquence de 50Hz.

Source : colloque « Quels impacts des lignes électriques très haute tension ? » Confédération Paysanne, St-lô, 28 mai 2005

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Epilogue : notre Position sur le Réacteur

Nous vous invitons à lire, en guise d’épilogue, notre contribution écrite au débat national concernant le réacteur EPR. Cette contribution reprend certains points développés dans ce feuilleton. Vous pouvez aussi consulter notre contribution au débat national sur les déchets nucléaires.

Contribution de l’ACRO au débat sur l’EPR
Contribution de l’ACRO au débat sur les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue

Ancien lien

Bilan radiologique autour de CYCERON

ACROnique du nucléaire n°68, mars 2005


Le centre de recherchebiomédicale CYCERON, situé à Caen dans le Calvados, utilisant la technologie de Tomographie par Emission de Positons (TEP), a commandé à l’ACRO une étude d’impact précédent des travaux d’agrandissement. Nous publions ici les principaux résultats de cette étude.


Les recherches et les investigations biomédicales réalisés au sein de l’établissement  CYCERON nécessitent au préalable la production d’éléments radioactifs (15O, 11C ou 18F). Cette opération est assurée en interne à l’aide d’un cyclotron, un dispositif qui permet d’accélérer les particules (ions). Dotées d’une énergie (ou vitesse) suffisante, les particules frappent ensuite une cible. Par suite d’interaction des particules avec les éléments constitutifs de la cible, ces derniers initialement stables deviennent instables, donc radioactifs. Ce mode de production est très courant, particulièrement dans les secteurs de la recherche et conduit à la production de radionucléides appelés produits d’activation.
Après quoi, ces produits d’activation  sont transférés vers le laboratoire de chimie dont la vocation est d’assurer la synthèse des molécules radioactives nécessaires à l’exploration in vivo et de préparer les injections qui seront faites ultérieurement aux patients

Dans le cadre du fonctionnement normal de l’installation, des rejets d’effluents radioactifs gazeux sont régulièrement effectués, principalement par le biais de deux cheminées. Ces rejets font l’objet d’un contrôle interne et sont réglementés.

Si les radionucléides fabriqués ont une période physique inférieure à 2 heures, d’autres produits d’activation mais de période physique beaucoup plus longue sont également formés, leur création est involontaire. Dans les rejets d’effluents radioactifs gazeux, ces radionucléides « parasites »  peuvent coexister avec les premiers et entraîner un marquage durable de l’environnement, variable selon les compartiments étudiés (eau, terre, végétaux, etc.).

C’est dans ce contexte que l’ACRO a réalisé fin 2003 un bilan radiologique pour le compte de CYCERON autour de ses installations caennaises.

A cet effet, trois démarches complémentaires ont été retenues.
•    inventorier les radionucléides émetteurs gamma présents dans différents compartiments de l’environnement
•    vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû au rayonnement gamma.
•    vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû aux neutrons émis lors d’une session de production de radionucléides à l’aide du cyclotron.

LES RADIONUCLEIDES EMETTEURS GAMMA

La première approche a consisté à inventorier les radionucléides émetteurs gamma présents dans différents compartiments de l’environnement jugés comme intéressant par rapport aux dépôts atmosphériques (secs et humides), voie privilégiée de contamination. Deux types de compartiments ont alors été échantillonnés pour analyse :
➢    Ceux qui constituent un vecteur potentiel d’atteinte à l’homme parce qu’ils participent au processus de contamination de la chaîne alimentaire ou d’irradiation externe. La nature des compartiments sélectionnés dépend alors des processus d’échanges des radionucléides dans le milieu terrestre et des potentialités qu’offre le site (présence ou non de cultures par exemple).
➢    Ceux connus de longue date pour leur aptitude à révéler la présence de radionucléides à l’état de traces dans l’atmosphère. Par définition, ils ne permettent pas d’évaluer les transferts à l’homme mais sont d’excellents outils dans le cadre d’une approche qualitative visant à cibler les éventuels polluants radioactifs devant faire l’objet d’une attention particulière. Ils se dénomment bioindicateurs et les plus connus sont les lichens. Le choix d’échantillonner un bioindicateur plutôt qu’un autre repose alors principalement sur les potentialités qu’offre le site (comme l’abondance par exemple) mais aussi sur la facilité d’identification.

Considérant les potentialités environnementales offertes par le site, l’accessibilité par le public et l’intensité estimée des dépôts, les investigations ont portée sur trois zones :
•    En premier sur les 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON en raison de l’accessibilité du lieu par le public et de l’existence (théorique) de dépôts plus importants qu’ailleurs.
•    La zone agricole située au nord a également fait l’objet de contrôle en raison de son utilisation à des fins de production de denrées alimentaires.
•    Enfin sur une zone située sous les vents dominants à l’extérieur des limites cadastrales de CYCERON en raison de la possibilité d’y prélever un bio indicateur atmosphérique.

S’intéressant aux actuelles répercussions du fonctionnement passé de l’installation, l’analyse était donc centrée sur les produits d’activation d’une période physique suffisamment longue pour avoir induit un marquage durable de l’environnement. Tenant compte des contraintes métrologiques, il ne pouvait s’agir que de radionucléides ayant une période physique au moins égale à 8 jours.
Par ailleurs, aucune analyse spécifique de radionucléides émetteurs bêta pur n’a été faite en l’absence d’informations précises sur le terme source. De même, aucune mesure de la grandeur bêta total n’a été retenue en raison de la variabilité des concentrations dans le temps et l’espace, laquelle rend l’interprétation de ces grandeurs délicates lorsque les mesures sont ponctuelles comme cela était le cas.

Les prélèvements

Les prélèvements effectués pour cette évaluation se répartissent en trois étendues distinctes

➢    La première étendue concerne les 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON en raison de l’accessibilité du lieu par le public et de l’existence (théorique) de dépôts plus importants qu’ailleurs. Bien qu’il existe des restrictions d’usage, ce campus est accessible au public tous les jours ouvrés de la semaine entre 8h et 18h. En conséquence, tout un chacun peut accéder librement à un moment de la journée à proximité des bâtiments constituant l’installation.

Pour cette étendue, l’échantillonnage concerne cinq endroits distincts répartis en deux zones :

1.    le bassin d’orage (zone 1)
Ce bassin d’orage, situé au nord, est le point de collecte et d’infiltration dans le sol par percolation des eaux météoriques précipitées à la fois sur la totalité du site de CYCERON et sur une partie du GANIL (Grand Accélérateur National d’Ions Lourds, laboratoire de physique nucléaire). Il va donc recueillir les radionucléides rejetés dans l’atmosphère et piégés par les eaux de pluie. Dès lors, les eaux infiltrées constituent un vecteur de contamination du sous-sol mais également des terres agricoles situées non loin.

Les prélèvements réalisés le 18/11/03 ont concerné :
•    les eaux
•    des végétaux aquatiques, lentilles d’eau, en l’absence de sédiments et comme bioindicateurs de la qualité des eaux du bassin d’orage.

2.    l’environnement immédiat des bâtiments de CYCERON dans la limite de 100 mètres autour des émissaires de rejets gazeux (zone 2)
Considérant la rose des vents mais également l’absence de trajectoires résiduelles d’écoulements d’air, 4 endroits distincts ont été retenus et sont distribués à partir de la direction des vents dominants (NE) avec un pas d’environ 90° par rapport à ce même axe. Tenu compte des contraintes d’urbanisation, il n’a pas été possible de prélever à une même distance des émissaires de rejets (cheminées). Aussi, les lieux de prélèvements se situent-ils à environ 75±15 m des cheminées.

Les prélèvements réalisés entre le 18/11/03 et le 05/12/03 ont concerné :
•    le couvert végétal (herbe), sur une superficie de 2 m²
•    les sols, sur une profondeur comprise entre 0 et 10 cm.

➢    La seconde étendue concerne la zone agricole située au nord des émissaires de rejets gazeux en raison de son utilisation à des fins de production de denrées alimentaires.
Le plateau sur lequel est implanté CYCERON était anciennement utilisé pour des activités agricoles. Avec l’urbanisation grandissante de ces dernières décennies, il ne subsiste plus que des terres agricoles au Nord de l’installation.
S’il n’y a apparemment plus d’élevage, les observations in situ confirment en revanche l’exploitation de terrains (proches de l’installation) à des fins de culture, notamment celle du maïs. En conséquence, il existe des potentialités d’atteinte à l’homme par la contamination de denrées entrant dans la chaîne alimentaire.

Pour cette étendue, l’échantillonnage concerne une seule zone :

1.    la parcelle exploitée située la plus proche de CYCERON, en l’occurrence à environ 300 mètres au NNE de l’installation (unique zone).

Les prélèvements réalisés le 13/10/03 et le 05/12/03 ont concerné :
•    le maïs, prélevé de manière à obtenir un échantillon représentatif de la parcelle cultivée
•    les sols, sur une profondeur comprise entre 0 et 10 cm, en un seul point.

➢    La troisième étendue concerne une zone située sous les vents dominants à l’extérieur des limites cadastrales de CYCERON en raison de la possibilité d’y prélever un bioindicateur atmosphérique.
Les observations faites sur le terrain ont montré qu’il n’existe pas de bioindicateurs atmosphériques sous les vents dominants dans les limites cadastrales. C’est pourquoi, les investigations ont été étendues dans cette direction. Néanmoins, il n’a pas été possible d’inventorier de mousses terrestres et de lichens faute de biodisponibilité. Dans ce contexte, les aiguilles de pins ont été choisies.

1.    la zone sélectionnée se situe en contrebas du talus NE, à la limite extérieure de  CYCERON et à la croisée avec le parking de l’entreprise SIEMENS. Elle est orientée NE par rapport aux émissaires de rejets et se situe à environ 100 mètres de ces derniers.

Les prélèvements réalisés le 18/11/03 ont concerné un bioindicateur atmosphérique : des aiguilles de pins.

 cyceron1

Commentaire des résultats

Seules les analyses faites sur les sols mettent en évidence la présence, à des niveaux significatifs, d’une radioactivité d’origine artificielle. Dans le cas présent, celle-ci est constituée exclusivement de 137Cs (césium-137), un produit de fission de période physique de 30 ans.

La présence de césium 137 n’est pas due aux activités de CYCERON, le cyclotron ne pouvant être à l’origine de la création de produits de fission.

En fait, la présence de 137Cs dans des environnements non influencés par les activités industrielles liées au cycle du combustible résulte de certaines actions passées de l’homme, principalement des essais atmosphériques de l’arme atomique et de l’accident survenu à la centrale ukrainienne de Tchernobyl en avril 1986. Tous ces évènements ont été à l’origine d’une dissémination très importante de radionucléides sous la forme d’aérosols, lesquels ont contaminé de grandes étendues.
Bien que la majorité des radionucléides mis en jeu au cours de ces émissions aient aujourd’hui disparu, certains, comme le 137Cs (un émetteur β-γ), subsistent encore de nos jours en raison de leur longue demi-vie qui limite leur élimination par décroissance physique. De plus, dans le cas du  césium-137, sa forte affinité avec les constituants du sol limite les transferts aux eaux de ruissellement et par là-même la décontamination des sols.

Il est donc courant d’observer du 137Cs. Dans les sols et les sédiments de surface, les niveaux varient généralement dans l’ouest de la France, de quelques becquerels à une dizaine de becquerels par kilogramme de matière sèche.
Dans le cas présent, les niveaux observés sont conformes sauf pour les sols des stations 1.2.A et 1.2.C. où ils sont inférieurs à 0,6 Bq/kg sec. Ces faibles valeurs pourraient s’expliquer par le fait qu’il s’agit là de terres de remblais qui ont pu provenir de couches plus profondes (donc moins contaminées) obtenues lors des opérations d’excavation nécessaires à la création du bassin d’orage.

Concernant la radioactivité d’origine naturelle, les résultats obtenus n’appellent pas à formuler de commentaires particuliers en ce sens qu’ils sont conformes à ceux attendus : les résultats sont semblables à ceux observés pour des matrices identiques prélevées en d’autres endroits de la région.

En conclusion, les mesures faites par spectrométrie gamma suggèrent que les activités passées de CYCERON n’ont pas été à l’origine d’un marquage, à des niveaux significatifs et par des radionucléides émetteurs gamma, durable de l’environnement (décelable sur une période égale ou supérieure à 8 jours).

Rayonnement gamma ambiant

La seconde approche consiste à vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû au rayonnement gamma. On cherche ainsi à mettre en évidence toute augmentation du rayonnement ambiant, laquelle pourrait avoir comme origine possible :
➢    une accumulation localisée de radionucléides, déposés ou en suspension dans l’air, à la suite de rejets avec les effluents gazeux ;
➢    l’existence d’une source d’irradiation à l’intérieur des bâtiments.

En relation avec la première des origines, l’étendue concernée par les investigations a été définie de manière à intégrer la totalité des 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON car il s’agit de la zone la plus sensible aux dépôts atmosphériques .

A cet effet, il a été procédé à un balayage du site à l’aide d’un appareil portatif adapté à la mesure des rayonnements gamma : un scintillateur plastique du type DG5.

Commentaire des résultats

Indépendamment du fonctionnement de l’installation, on observe une augmentation du rayonnement gamma ambiant uniquement à proximité du local à déchets radioactifs. Elle résulte a priori de l’entreposage, à cet endroit, d’éléments de l’ancien cyclotron.
L’augmentation induite est modérée puisqu’à 5 mètres au plus dans l’axe le plus concerné par l’irradiation, les valeurs enregistrées n’excèdent pas le bruit de fond.

En relation avec le fonctionnement de l’installation, une augmentation du rayonnement gamma ambiant peut être observée – et ceci de façon fluctuante – en plusieurs endroits des 3 ha où est implanté CYCERON. Deux causes distinctes sont à considérer :

➢    le relâchement de radionucléides dans l’atmosphère avec les effluents gazeux ;

Dans ce premier cas, l’augmentation induite est géographiquement disséminée autour des bâtiments (effet « taches ») dans des proportions qui peuvent être très variables d’un endroit à l’autre mais qui semblent s’atténuer avec l’éloignement par rapport à l’installation.
Du fait de la très courte période des radionucléides rejetés et de l’importance jouée par les conditions météorologiques sur la distribution spatiale des radionucléides émis, une situation radiologique observée ne se répète pas d’un jour sur l’autre. Il existe une grande variabilité des niveaux dans le temps, que les mesures faites dans le cadre de ce travail ne permettent pas de cerner.
Durant la semaine d’investigations, la plus forte valeur mesurée en relation avec cette origine a excédé d’environ 11 fois le bruit de fond. C’est à seulement quelques mètres des bâtiments qu’a été obtenu ce résultat comme tous ceux qui sont significativement élevés. Aux limites cadastrales, rares sont les anomalies qui ont pu être notées durant la même période.

➢    le rayonnement de source(s) radioactive(s) située(s) à l’intérieur des bâtiments.

Dans ce second cas, l’augmentation induite dépend vraisemblablement de manipulations particulières opérées à l’intérieur des bâtiments ; lesquelles ne sont pas effectuées tous les jours et en tout instant d’une journée donnée. Par définition, l’anomalie n’existe que le temps des manipulations.

Après arrêt de l’installation (48h au minimum), on n’observe aucune augmentation du rayonnement gamma ambiant sur les 3 ha où est implanté CYCERON, hormis à proximité du local à déchets radioactifs (voir le premier paragraphe).
Le relâchement de radionucléides avec les effluents gazeux ne conduit donc pas à un marquage durable de l’environnement qui aurait pour conséquence d’entraîner une surexposition.

Mesures neutrons

La troisième approche consiste à vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû aux neutrons émis lors d’une session de production de radionucléides à l’aide du cyclotron, l’évaluation a été réalisé à l’aide d’un appareil portatif spécifique.

cyceron2

Deux campagnes de mesures ont été réalisées :

➢    le 20/11, autour de la casemate et à hauteur d’homme ;
➢    le 21/11, sur le toit de la casemate.

Commentaire des résultats

Les mesures faites durant une séquence de fonctionnement du cyclotron (production de 18FDG (= 18F-fluoro-désoxy-glucose.) mettent en évidence :
➢    l’absence de surexposition significative autour de la casemate à hauteur d’homme ;
➢    une augmentation très nette du rayonnement neutron ambiant (d’environ 20 fois le bruit de fond) exclusivement sur le toit de la casemate.

Ancien lien