L’ACRO dans le paysage nucléaire français

ACROnique du nucléaire n°68, mars 2005


Le réseau Sortir du nucléaire a publié un texte intitulé « la désinformation nucléaire » où il prétend que les timides ouvertures vers la société civile ont pour : « seul objectif de faire accepter par les populations le nucléaire et ses risques. » Il y voit là une menace : « Nous devons déjouer les pièges tendus par le lobby nucléaire – en particulier, ne surtout pas collaborer à ses pseudos concertations – et organiser la résistance citoyenne ». L’ACRO qui participe à de nombreuses instances de concertation est directement visée par ce texte qui a reçu de nombreuses autres  critiques. Une deuxième version, publiée en janvier 2005, met encore en cause l’ACRO, pour sa participation au programme CORE en Biélorussie sous la rubrique explicitement intitulée « MANIPULER ET INSTRUMENTALISER DES ASSOCIATIONS ».  Ces attaques étant offensantes, il nous a paru important de faire une mise au point.


 

L’ACRO et ses missions

L’ACRO a été fondée dans une région fortement nucléarisée, en réponse à la désinformation et à la carence en moyens de contrôle indépendant et fiable de la radioactivité. Ces problèmes locaux ont pris une importance nationale suite à la catastrophe de Tchernobyl qui a fait de tous les Européens des riverains d’une installation nucléaire. La volonté de minimiser l’impact sanitaire des rejets dans l’environnement des installations nucléaires et des retombées de Tchernobyl apparu comme délibéré à de nombreux citoyens. Ainsi, l’ACRO a pour but principal de permettre à chacun de s’approprier la surveillance de son environnement au moyen d’un laboratoire d’analyse fiable et performant et de s’immiscer dans un débat techno scientifique par l’accès à l’information. En effet, un discours basé sur un état de conscience, une intuition ou même le simple bon sens ne suffit pas pour être entendu par les décideurs, qu’ils soient technocrates ou élus. C’est pour cela que l’association utilise les mêmes outils scientifiques que la techno-science officielle pour faire avancer le débat. 18 ans plus tard, l’association est encore présente, ce qui représente une prouesse permanente. En effet, il nous est impossible de dire si les finances permettront à l’ACRO d’exister dans 6 mois. La gestion au jour le jour occupe une grande part de l’activité des élus de son conseil d’administration.

Nous avons brisé un monopole d’Etat sur la surveillance de la radioactivité dans l’environnement. Même si le paysage nucléaire français a changé, et l’association aussi, les principes qui régissent nos actions sont toujours les mêmes. Nous sommes le seul laboratoire d’analyse français à rendre accessible au public tous ses résultats de mesure de radioactivité dans l’environnement. Ce qui caractérise cette démarche par rapport à la surveillance institutionnelle et réglementaire, c’est notre travail « avec » la population et non « pour » elle. Ainsi, l’ACRO effectue une surveillance citoyenne des installations nucléaires du Nord-Cotentin : c’est la population locale qui organise et effectue les prélèvements qui sont analysés dans le laboratoire. Le but est d’arracher aux seuls experts les questions qui nous concernent pour en faire un enjeu politique.

L’expertise citoyenne

Pour pouvoir fonctionner, nous faisons, entre autres, appel à des soutiens financiers publics car un laboratoire incontestable avec cinq permanents compétents coûte cher, même si ceux-ci ne sont pas rétribués à leur juste valeur. Les ressources sont diversifiés afin de maintenir une indépendance et sont toujours insuffisants. Outre une trentaine de mairies qui nous subventionnent sans contre-partie, la plupart des soutiens sont liés à un ou plusieurs contrats d’étude particuliers où souvent, un co-financement est exigé. La motivation des bailleurs est variée : certains élus préfèrent l’ACRO en se disant que les résultats ne seront pas contestés par la population ; certaines administrations sont plutôt attirées par le coût des analyses (comme pour le radon) ; d’autres, comme le Ministère de l’Ecologie, voient dans notre action une mission de service public qu’ils veulent soutenir. Ces financements ne sont pas pérennes et doivent être régulièrement renégociés. Surtout, ils ne suffisent pas à couvrir tous les coûts engendrés par l’activité associative : sans un engagement bénévole important, il y a longtemps que l’ACRO aurait cessé d’exister. Mais c’est aussi cette dimension citoyenne qui fait peur aux pouvoirs publics. Le soutien est donc réduit au strict minimum. Le laboratoire effectue des analyses pour des particuliers (moins d’une dizaine par an, hélas), des associations et des études pour des associations ou des collectivités locales. Ce travail nous permet de faire fonctionner le laboratoire, d’accroître nos compétences et surtout d’aller investiguer des zones qui échappent aux contrôles officiels.

Les compétences du laboratoire sont reconnues officiellement par un agrément obtenu à la suite d’un essai inter-laboratoires annuel auquel nous nous soumettons. C’est important, car, contrairement aux exploitants, l’ACRO n’a pas droit à l’erreur. C’est surtout par l’expérience accumulée au long des années que nous pouvons étayer nos arguments et être entendus car on ne s’improvise pas expert. Ainsi, notre action se situe dans le long terme, même si la gestion de l’ACRO se fait souvent au jour le jour. Malheureusement, nos capacités de mesures sont encore limitées et plusieurs radio-éléments importants en termes de santé publique échappent à notre vigilance.

Toutes nos études font l’objet d’un article dans notre revue, « l’ACROnique du nucléaire » et sont mises en ligne sur notre site Internet : https://www.acro.eu.org. Nous sommes intransigeants sur le respect de ces conditions de diffusion, ce qui nous vaut parfois de perdre des contrats. De plus, nous ne travaillons pas pour les exploitants nucléaires. L’information, et non la communication, occupe également une part importante de notre activité. Nous essayons de rendre accessible tous nos travaux et de vulgariser les débats techno-scientifiques liés au nucléaire. L’enjeu est de s’approprier les problèmes, de ne pas subir les termes dans lesquels ils sont généralement posés, mais de parvenir à les formuler plus lisiblement. Néanmoins, nous devons toujours fonder nos arguments pour dépasser les simples slogans, même si cela n’est pas médiatique. Ainsi, c’est à la demande d’associations riveraines de projets d’enfouissement de déchets nucléaires que nous avons beaucoup travaillé sur cette thématique. Nous sommes fréquemment sollicités pour des interventions publiques par d’autres associations ou collectifs, mais aussi par les pouvoirs publics. Dans ce dernier cas, il n’est pas toujours facile de savoir, a priori, si l’invitation sert à donner une apparence démocratique à un débat ou s’il y a une réelle volonté d’entendre un son de cloche différent. D’autant plus que c’est souvent les deux ! Mais dans tous les cas, il nous apparaît important d’apporter notre point de vue à une audience qui parfois peut déboucher sur des prises de décision. Il en est de même pour les articles écrits dans des revues officielles.

Le réseau national de mesure

La mise en place récente d’un réseau national de mesure assorti d’une obligation à rendre public ses résultats d’analyse pour être agréé nous apparaissait comme un grand pas en faveur de la transparence, si effectivement toutes les données recueillies sont accessibles, et pas seulement des valeurs moyennes. Nous avons donc accepté la demande du Ministère de l’Ecologie de siéger dans la commission qui délivre les agréments et comptons transmettre nos résultats à ce réseau.

Malheureusement, cet arrêté imposant la publication des résultats d’analyse a été attaqué par la CRII-Rad qui y a renoncé depuis longtemps. Elle a eu gain de cause et les exploitants ne sont plus soumis qu’à la publication des résultats d’analyses réglementaires. Outre la situation étrange où se retrouve la CRII-Rad, en devenant le seul laboratoire à garder ses résultats d’analyse confidentiels, le réseau se trouve amputé de toutes les données faites hors du cadre réglementaire comme à la suite d’incidents ou accidents. Lors des travaux du Groupe Radioécologie Nord Cotentin qui a fait une analyse rétrospective de 30 années de rejets radioactifs dans l’environnement, il est apparu que les accidents ou incidents passés représentaient environ la moitié de la dose moyenne reçue par la population locale et que leur impact était difficile à évaluer avec les seules données réglementaires. De même, sans les quelques données ACRO, il n’aurait pas été possible d’évaluer la dose liée à l’ingestion de produits marins péchés à proximité de l’émissaire de rejet.

La démarche participative

D’une manière plus large, l’ACRO accepte les gestes d’ouverture des autorités en participant à de nombreuses instances de concertation. Nous ne sommes pas dupes de la volonté gouvernementale qui n’arrive pas à sortir des limbes son projet de loi sur la transparence sur le contrôle des installations nucléaires. Mais, parfois, des efforts en faveur d’une prise en compte des questions de la population méritent d’être soutenus. Bien sûr, ces instances de concertation mises en place ne sont pas toutes utiles. La Commission de Surveillance du Centre de Stockage de la Manche, par exemple, ronronne doucement. Il est quasiment impossible de modifier l’ordre du jour qui consiste essentiellement à écouter le rapport annuel de l’ANDRA et de la DRIRE. Heureusement, d’autres CLI fonctionnent mieux : certaines d’entre-elles commandent des expertises indépendantes et donnent la parole à tous leurs membres. On peut aussi citer le cas de la commission Tchernobyl présidée par le Pr. Aurengo dont le fonctionnement est catastrophique et dont il ne sortira très probablement rien. En aurait-il été autrement en l’absence de l’ACRO ? Nous pourrons au moins témoigner de l’incurie et de l’inanité de cette commission ! En revanche, nous pensons que notre participation au Groupe Radio-écologie Nord Cotentin a été très profitable. Outre le fait que toutes les mesures réglementaires dans l’environnement et les modèles d’impact sanitaire soient devenus publics, nous y avons acquis des compétences nouvelles qui nous ont permis de mettre en évidence la défaillance des contrôles de Cogéma pour le ruthénium radioactif. Nous avons obtenu que les modes de vie locaux soient pris en compte dans l’évaluation, ainsi que les produits les plus contaminés. Les travaux du GRNC ont conduit à une réévaluation des autorisations de rejet pour Cogéma qui sont devenues beaucoup plus précises et contraignantes.

Parce que nous nous battons pour plus de transparence sur l’impact des activités liées au nucléaire et de démocratie sur les choix technologiques, nous avons pour principe d’étudier et souvent d’accepter les ouvertures faites dans ce sens par les autorités en participant à de nombreux groupes pluralistes, même si elles nous apparaissent souvent bien timides et que le fonctionnement des commissions reste à améliorer. Cette prise en compte du tiers-secteur scientifique est encore nouvelle en France et nous devons expérimenter les procédures de consultation mise en place avant de les rejeter. C’est un travail bénévole difficile et délicat que nous assumons du mieux que nous pouvons, même s’il comprend le risque de faire des erreurs ou de voir notre position mal interprétée.

Notre participation aux instances de concertation nous a valu de nombreuses attaques : « le lobby nucléaire tenterait  d’associer des associations à la gestion du nucléaire pour désamorcer la vigilance ou la colère des populations mises en danger. » Il est vrai que toutes ces structures sont là pour accompagner des installations nucléaires en place ou ayant un travail rétrospectif à faire. Comme souvent pour les activités à risque, la justification même de l’activité ne peut y être débattue.  Penser que l’on peut y obtenir la remise en question du nucléaire serait très naïf. Faut-il pour autant ne pas y aller ? La décision est prise au cas par cas par le conseil d’administration de l’ACRO et l’expérience montre que nous y acquérons des informations et compétences qui permettent de renforcer notre vigilance. Sans notre participation au GRNC (Groupe radioécologie Nord-Cotentin) nous n’aurions jamais pu montrer que Cogéma sous-estimait d’un facteur 1000 ses rejets en ruthénium radioactif.

A contrario, deux exemples récents de concertation concernaient la justification d’une nouvelle installation. Il s’agit de la « mission granite » qui avait pour but de trouver un site d’implantation d’un « laboratoire » souterrain pour l’enfouissement des déchets nucléaires et le débat sur l’énergie pour l’EPR. Dans les deux cas, le débat était biaisé. Pour ce qui est de la mission granite, son échec était évident car le « débat » était limité aux seuls sites concernés. Comment dialoguer sereinement avec comme épée de Damoclès l’implantation du projet près de chez soi ? Ce n’est qu’une fois que l’échec de la mission granite était patent que nous avons accepté de participer à deux réunions avec comme thème : Non pas le sauvetage de la mission, mais, quel débat mettre en place pour la gestion des déchets nucléaires (les principales conclusions sont reprises dans l’encadré en fin d’article). Il nous paru important que cet échec ne puisse pas être imputé à la population souvent qualifiée d’irresponsable par les pouvoirs publics et à ses prétendues peurs irrationnelles, mais bien aux initiateurs du débat. A noter qu’à contrario, le débat sur l’énergie lancé pour justifier le projet de réacteur EPR, qui est loin d’être un modèle à suivre, a abouti à la conclusion : « Qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. »

Les territoires contaminés par Tchernobyl

Récemment, nous avons débuté un projet humanitaire en Biélorussie, où la situation sanitaire des populations est désastreuse, dans le cadre d’un programme international CORE. Notre projet a pour but de mettre en place une surveillance, par la population, de la contamination et de développer la promotion d’une culture radiologique pratique. L’action est essentiellement tournée vers les enfants, les mères de famille et les femmes enceintes. Il s’agit concrètement de mettre du matériel de mesure (dosimètres et radiamètres) à la disposition des citoyens et de pratiquer des mesures régulières (2 fois par an) de la contamination interne des enfants scolarisés dans les écoles du district. Le soutien logistique est assuré par l’institut indépendant BELRAD dirigé par le Professeur Nesterenko (mise en service ou rénovation des postes de mesure et formation des dosimétristes). L’institut assure également les opérations de mesures anthropogammamétriques avec des laboratoires ambulants. La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux-mêmes, via une toute jeune association locale « Pousse de Vie » qui regroupe des personnels de santé, des enseignants et de simples citoyens préoccupés par la situation sanitaire de leur district. Encore une fois, notre travail ne consiste pas à  travailler « pour » les habitants  mais « avec » eux afin qu’ils puissent poursuivre ce projet en toute autonomie.

Le programme international CORE regroupe des projets menés sur quatre des districts les plus contaminés de Biélorussie. Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la réhabilitation des territoires contaminés mais de contribuer à l’amélioration des conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle-même. Il est utile de préciser que CORE ne possède aucun fonds propre et que chaque projet doit trouver son propre financement. Pour notre action dans le district le plus isolé et le plus contaminé de Biélorussie, le financeur est le ministère des affaires étrangères suisse, qui mène déjà sur place des actions humanitaires tournées vers la santé. Les dépenses concernent essentiellement les achats de matériel (achats de dosimètres, de postes de mesure pour doser le césium dans les aliments, achats d’ordinateurs, salaires des dosimétristes, campagnes de mesure de la contamination interne des enfants…). A l’exception de nos frais de mission qui sont pris en charge par les autorités Suisses et le ministère des affaires étrangères français, notre participation génère un coût non négligeable pour l’ACRO avec la mise à disposition d’un salarié qui prépare et part quatre fois par an en mission avec un bénévole, ainsi que le coût des analyses diverses réalisées sur des échantillons prélevés sur place. Nous avons donc sollicité un financement européen pour pouvoir continuer cette activité dans de meilleures conditions et pour diversifier nos soutiens.

Nos actions en Biélorussie nous valent des critiques virulentes. Certaines organisations qui officient sur le terrain comme l’ACRO, dans le cadre du programme CORE, sont accusés de : « Rester finalement sourdes et aveugles devant la gravité sanitaire causée par la radioactivité, surtout chez les enfants, les victimes les plus vulnérables. Ce Programme refuse d’appliquer un moyen simple et peu coûteux pour protéger les centaines de milliers d’enfants malades et mourants dans les territoires contaminés du Belarus […] : distribuer à grande échelle aux enfants contaminés les adsorbants prophylactiques à base de pectine préconisés par le professeur Nesterenko, » Et d’expliquer que « des mesures, réalisées [sur des enfants qui séjournent en sanatorium à l’extérieur des territoires] par l’Institut Belrad du Pr Nesterenko, ont montré qu’avec 3-4 cures [de pectine] dans l’année, on obtient une diminution de la charge en Césium-137 au-dessous de la limite que le Pr Bandajevsky considère comme cause de dommages tissulaires irréversibles, soit 30 Bq/kg de poids. » Pourtant ce texte est ambigu car il rendrait la catastrophe presque acceptable puisqu’un traitement permettrait aux enfants d’être en dessous d’un prétendu seuil. Malheureusement pour ces enfants, dès que la cure cesse et qu’ils retournent chez eux, ils se rechargent en césium au-dessus de cette limite. C’est pourquoi la prévention qui tend à limiter l’ingestion d’aliments contaminés est indispensable. De plus, il n’est pas sûr que la pectine élimine les autres contaminants.

Conclusion

En conclusion, il est important de rappeler que l’ACRO est entre les mains de ses adhérents par le fonctionnement démocratique inhérent à toute structure associative avec une voix par personne. Alors que de nombreuses associations se contentent de donateurs qui n’ont pas le droit de vote, l’ACRO estime important d’avoir des adhérents qui exercent un contrôle de ses activités. L’association s’est donné comme mission première de tenter de répondre aux préoccupations de la population ou le plus souvent de ses représentants que sont les associations ou parfois les élus qui nous sollicitent. Nos actions peuvent donc apparaître opportunistes du fait de l’évolution des demandes qui nous sont faites, mais nous y répondons toujours avec rigueur scientifique et transparence.

Nous sommes sur un chemin qui n’est pas balisé. C’est par la pratique que nous organisons une démarche originale pour apprendre à vivre dans une société du risque en transformant en enjeu politique et citoyen des problèmes posés en termes uniquement technoscientifiques. L’engagement du citoyen dans la vie de la société revêt diverses formes qui peuvent être syndicale, politique, associative. Toutes ont des atouts et des limites. Une société démocratique implique la pluralité des opinions et des actions.

 


Encadré : Conclusions  de la rencontre de la mission Granite avec quelques associations, une fois son échec patent

•    Le groupe de travail considère que l’implantation de laboratoires de qualification est « prématurée dans la mesure où le processus de recherche scientifique et technique, de réflexion et de concertation préalable à la définition d’une politique nationale de gestion des déchets radioactifs n’est pas terminé »
•    « Le statut de laboratoire souterrain est considéré comme ambigu » dans la mesure où rien n’indique s’il s’agit d’un laboratoire de recherche ou d’un laboratoire de qualification dont la vocation est d’être transformés en site de stockage définitif. Il observe que : « la loi du 30 décembre 1991 ne comporte aucune précision concernant le rôle exact de la collectivité territoriale, des associations locales de riverains et de la population concernée dans l’éventuel processus de décision pouvant conduire à qualifier le site de recherche comme site de stockage. »
•    Concernant la question de la concertation, le groupe de travail note que la loi prévoit une concertation préalable à l’installation d’un laboratoire souterrain avec les élus et la population des sites concernés.  Il observe que cette forme de concertation est insuffisante, qu’il est « nécessaire de mener une concertation avec la population à l’échelle nationale sur la politique de gestion des déchets radioactifs dans son ensemble, en resituant celle-ci dans le contexte de la politique énergétique, ceci préalablement au réexamen de cette question par le Parlement en 2006. »
•    Le groupe de travail observe que : « la participation des citoyens au débat démocratique suppose la construction, la validation et la diffusion d’une base d’information crédible et d’origine pluraliste concernant les déchets radioactifs et leur gestion qui puisse être partagée entre tous les acteurs du débat au plan national et territorial. Il est donc proposé que soit prise en charge par une instance nationale crédible une mission de concertation à l’échelle de la collectivité nationale avec la population, les élus et les associations sur la politique de gestion des déchets radioactifs en replaçant celle-ci dans le contexte de la politique énergétique ».
•    Il recommande la création des conditions d’existence et de pérennité d’une expertise associative forte et diversifiée qui participe au développement et à la validation d’une base d’information scientifique et technique commune entre les acteurs du débat tant au niveau national qu’au niveau local. Cette pérennité passe par l’instauration de sources durables de financement locales et nationales de l’expertise associative qui lui permette de préserver son indépendance. Il recommande le renforcement du recours à l’expertise indépendante et contradictoire dans le cadre des instances locales de concertation et la diversification des pôles d’expertise par l’ouverture des budgets de recherche engagés dans la loi de 1991 pour mobiliser les compétences universitaires et internationales notamment.

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Projet SAGE

ACROnique du nucléaire n°69, juin 2005


L’objectif du projet SAGE est de contribuer au développement de stratégies et  de conseils afin de les mettre en place en Europe de l’Ouest en cas d’incident ou d’accident nucléaire ayant des conséquences radiologiques à long terme. Le but principal de ce projet est la création d’un guide sur la protection et le contrôle des radiations.
Le projet SAGE est essentiellement développé pour tirer les leçons et les retours d’expérience de la gestion quotidienne de la situation radiologique dans les territoires contaminés en Biélorussie. Ce projet a commencé en octobre 2002 et s’est achevé en mars 2005 par la réunion d’un groupe de travail européen qui est chargé d’en présenter au public les conclusions, de discuter des différentes possibilités d’appliquer concrètement ces stratégies et ces conseils et de préparer les recommandations pour les possibilités de développement au niveau européen.
Ce projet était animé par 5 équipes de recherche provenant de différentes institutions :
BB-RIR, l’institut Belrad, le CEPN, le GSF et le NRPB. Ce groupe bénéficiait également de la coopération active de l’IRSN et du Comité Biélorussie-Tchernobyl. La compétence de ce groupe de travail recouvre de nombreux domaines comme la protection contre les radiations, l’évaluation des risques et des doses, la radioécologie, le contrôle de l’environnement, l’économie, la gestion sociale des risques, la « contre-mesure » après l’accident, la politique du risque.


la position de l’ACRO

L’ACRO a accepté d’être consultée dans le cadre du projet ouest-européen SAGE. Elle a participé dans ce groupe de travail qui réunissait des représentants des structures institutionnelles et associatives, à une réflexion collective sur la gestion à long terme des conséquences d’une contamination durable de l’environnement. Ce travail est basé sur les retours de l’expérience vécue à l’heure actuelle par les habitants des territoires contaminés de Biélorussie, proches de la zone d’exclusion délimitée autour de la centrale de Tchernobyl.

Notre implication dans l’élaboration du guide SAGE, se résume à une simple consultation. Le fond même du guide qui sera remis aux commanditaires et les sujets qui ont été débattus au sein du groupe dépassent largement les missions que notre association s’était données. En aucun cas, l’ACRO ne peut être considérée comme coauteur de ce guide. L’objet de ce document, les incertitudes sur sa destination et son exploitation futures, l’absence de données suffisantes et, plus largement, de connaissance pour examiner avec lucidité le problème posé, la non-exhaustivité des radioéléments considérés dans le cadre de ce travail, sont autant d’éléments qui peuvent rendre ce fascicule parfaitement inadapté en cas de crise post-accidentelle.

Nous reconnaissons, cependant que ce travail a le mérite de souligner les carences notables en matière d’informations et d’études sur l’impact réel d’un accident nucléaire majeur. Il permettra aussi de sensibiliser en Europe Occidentale, non pas la population toute entière mais les instances de décision des états membres de l’Union Européenne représentées dans le cadre de ce travail, à la problématique que représente la contamination à long terme d’un territoire et à l’importance de prendre en compte ce risque potentiel en amont. Ce travail a aussi permis de souligner la nécessité d’associer la société civile et de mettre le citoyen au centre de la réflexion.

Favoriser une telle prise de conscience (collective et individuelle) ne pourra se faire qu’à partir d’une meilleure information sur le sujet, relayée par des formations adaptées des professionnels qui seront amenés à intervenir sur les plans de la prévention, de la surveillance et de la protection sanitaire. Cet exercice a également renforcé les avis sur l’importance de la pluralité des sources d’information et la nécessité de développer les moyens d’information et d’investigation.

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Surveillance radioécologique 2001-2003 de l’environnement marin du chantier de démantèlement de l’ancienne conduite de rejets en mer Cogéma-La Hague

Surveillance 2001-2003 de l’environnement marin du chantier de démantèlement de l’ancienne conduite de rejets en mer Cogéma-La Hague

Appel à une journée d’action pour la recherche

Communiqué de presse du 19 février 2005

Les organisations signataires, réunies le 16 février 2005, ont fait le bilan des rencontres qui ont eu lieu entre les différentes organisations et les ministres de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Au vu de ces discussions, il apparaît clairement que le texte du projet de L.O.P.R.I (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Recherche et l’Innovation), rendu public en janvier et qualifié de “brouillon” par F. d’Aubert, reste entièrement d’actualité pour le gouvernement qui a déjà anticipé sa mise en application.

Les quelques précisions apportées le 11 février lors de la conférence de presse du ministre annonce à laquelle le succès de la journée d’action du 4 février n’est pas étrangère – ne remettent nullement en cause la philosophie générale de ce projet : celui-ci programme l’extension de la précarité de l’emploi et le pilotage de la recherche publique et de l’Enseignement supérieur par les entreprises privées dans le cadre des lois du marché, en totale contradiction avec les conclusions des états généraux de la recherche et avec les besoins de la société. Les seuls chiffres disponibles sur des questions cruciales (emploi statutaire, importance respective des missions et budgets de l’ANR, des organismes et des universités) restent, à ce jour, inchangés par rapport au texte initial et très loin des exigences et propositions de la communauté scientifique.
Ce projet ignore le rôle premier de la recherche qui doit être la production et la transmission de connaissances librement accessibles à tous. Il réduit les besoins de la société à l’innovation industrielle et marchande à laquelle sont affectés les deux-tiers des financements nouveaux prévus par le projet. Il ignore la production de bien publics – expertise plurielle et indépendante, innovations à but non lucratif ou pour des besoins sociétaux non solvables – à laquelle d’autres acteurs sociétaux que les entreprises doivent être associés.

Les organisations signataires considèrent ce projet comme une base inacceptable pour définir les grandes lignes de l’avenir du système de recherche français. Elles demandent qu’un nouveau projet soit élaboré en s’appuyant sur les propositions de la communauté scientifique exprimées à Grenoble, complétés par les syndicats, et sur une prise en compte de la totalité des besoins de la société.

Les organisations signataires demandent à être associées, ensemble, à ce processus de négociation sous la forme d’une discussion réelle qui devrait se tenir le plus rapidement possible en présence des ministres et de tous acteurs concernés.

Pour marquer leur détermination, elles appellent à préparer dès maintenant une journée d’action d’ampleur nationale, avec initiatives dans toutes les régions, le mercredi 9 mars 2005.

Les organisations syndicales et associations :
Sauvons la Recherche, SNCS-FSU, SNESUP-FSU, SNTRS-CGT, FERC-SUP-CGT, SGEN-CFDT-CNRS, SGEN-CFDT-INSERM, UNEF, CGT-IFREMER, CFDT-CEA, FÉDÉRATIONS SUD ( de l’Énergie, Education, Recherche-EPST), SNASUB-FSU, SNPTES-UNSA, CFTC-INRA, A&I-UNSA, CJC, Sup’recherche-UNSA, Droit-d’entrée,
Fondation Sciences Citoyennes, Aides, Attac, Aitec, Les Amis de la Terre France, Greenpeace France, Réseau Cohérence (développement durable), Réseau Action Climat France, Agir Pour l’Environnement, ACRO.

Impact environnemental des usines de La Hague : “Nous y étions presque !”

ACROnique du nucléaire n°69, juin 2005

Impact environnemental des usines de La Hague, Contrôle n°162, janvier 2005

Les lichens intégrateurs de tritium et de carbone 14

Résumé paru dans ACROnique du nucléaire n°67, décembre 2004


L’ACRO a collaboré à une étude pilotée par l’observatoire mycologique sur les potentialités des lichens comme bio-indicateurs pour l’étude de la concentration atmosphérique en tritium et carbone 14. Ces travaux ont fait l’objet de publications scientifiques dans des revues internationales.
Nous présentons ici un résumé de ces études et vous pouvez télécharger un article en français plus conséquent sur ce sujet avec tous les tableaux de résultats :Les lichens intégrateurs de tritium et de carbone 14, article complet par Olivier Daillant.


L’hydrogène et le carbone sont deux principaux constituants de la matière vivante. L’hydrogène et le carbone radioactifs sont donc des éléments importants à prendre en compte en terme de santé publique. Ces deux radio-éléments existent dans la nature, mais sont aussi rejetés par les installations nucléaires. Les lichens qui sont connus comme bio-indicateurs pour de nombreux polluants, pourraient être aussi intéressants pour évaluer l’impact des rejets atmosphériques car ils ne sont pas en contact avec le sol.

Les sites concernés par cette étude sont l’usine de La Hague, le centre militaire de Valduc et la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain. Par ailleurs, des prélèvements ont été faits en Bourgogne, dans le Morvan et à Vienne en Autriche, loin de toute installation nucléaire.

Le Tritium
Isotope radioactif de l’hydrogène avec une demi-vie de 12,3 ans, le tritium est présent dans l’environnement sous forme d’hydrogène tritié (HT), d’eau tritiée (HTO) ou liés à des atomes de carbone, on parle alors de tritium organiquement liés (OBT). Dans ce dernier cas, le tritium n’est pas facilement échangeable, contrairement aux deux autres cas.
Le tritium est produit dans la haute atmosphère par le rayonnement cosmique auquel s’ajoutent les retombées des essais nucléaires atmosphériques. Mais, ce qui domine, ce sont les rejets des installations nucléaires.

Le carbone 14
Il est aussi créé par les rayonnements cosmiques dans la haute atmosphère. Avec une demi-vie de 5730 ans, il est connu pour son utilisation en datation. En Suisse (Site de l’autorité sanitaire suisse : www.suer.ch) et en Allemagne, il est considéré comme l’élément entraînant l’exposition principale des populations riveraines des centrales nucléaires. On le retrouve aussi dans les rejets de l’usine de retraitement de La Hague.

Le tritium et le carbone 14 sont tous les deux des émetteurs bêta purs, ce qui signifie que leur détection nécessite un protocole complexe. Les mesures ont été faites en Autriche et en Allemagne.

Résultats
Pour le carbone 14, les résultats sont généralement donnés en comparaison avec la teneur habituelle en carbone 14 naturel afin de pouvoir détecter une pollution éventuelle. Quant au tritium, seule la partie organiquement liée est mesurée ici. Les résultats peuvent être exprimés par rapport à la masse de matière sèche, comme  on le fait généralement pour les autres éléments ou en becquerel par litre d’eau issue de la combustion. Dans ce cas, on est plus près des méthodes d’analyses. A noter que la concentration en tritium naturel dans les eaux n’est que de quelques becquerels par litre.

Les résultats des analyses sont présentés dans le document complet.

Commentaires
Aux abords de la centrale du Bugey, la contamination en tritium est légèrement supérieure au bruit de fond naturel. A La Hague, elle peut atteindre 5 à 8 fois ce bruit de fond. Mais c’est à Valduc que les concentrations sont les plus élevées. Cela s’explique par les activités militaires qui provoquent d’importants rejets en tritium. Mais les concentrations obtenues ne peuvent être dues uniquement aux rejets récents. Les lichens ont intégrés du tritium beaucoup plus ancien correspondant à des rejets historiques qui ont dû être très importants. En effet, la période biologique d’élimination du tritium dans les lichens est de l’ordre d’un an. Ce résultat a été obtenu en transplantant des lichens de Valduc vers une zone a priori non influencée par des rejets tritiés. Cela signifie que les concentrations en tritium dans les autres végétaux ont dû être aussi très élevées par le passé. Pour ce qui est du carbone 14 trouvé dans les lichens à La Hague, les niveaux obtenus correspondent à ceux généralement mesurés dans les autres végétaux.

Conclusion
Cette étude montre l’intérêt des lichens comme bio-indicateur de la contamination atmosphérique en tritium et carbone 14. Comparés à la plupart des autre végétaux, ils présentent plusieurs avantages : une activité continue presque tout au long de l’année et un métabolisme lent permettant une intégration à long terme. De plus, si les lichens sont soigneusement choisis, ils ne sont pas concernés par un éventuel transfert sol-lichen.

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Radioactivité : quand réduire les dépenses impose de modifier les seuils

Communiqué de presse du 20 octobre 2004


Tous les 15 ans, la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) édite un rapport particulier contenant ses recommandations en matière de radioprotection, lesquelles servent de référence pour l’élaboration de la réglementation dans la plupart des pays, dont l’Union Européenne.

Le prochain rapport, attendu pour 2005, est en cours de préparation depuis 5 ans et l’ACRO participe aux travaux dans le cadre d’un groupe de travail initié en France par la SFRP, une société savante.

Au cours de la dernière réunion de travail, des dispositions majeures, jusqu’à lors jamais apparues, ont été discutées. Le projet a pris une nouvelle dimension que l’ACRO a jugé suffisamment inquiétante pour affirmer son désaccord total, encourager les citoyens à s’impliquer et communiquer aussi bien au plan national que local sur cette problématique. D’autant que l’ACRO se demande si la CIPR n’a pas été l’objet de pressions pour proposer de telles recommandations.

L’une des principales dispositions, inacceptable et à haut risque, est la possibilité d’introduire dans les futures réglementations des niveaux d’exclusions.

Si cette proposition est maintenue, cela signifierait en clair que des produits, des aliments par exemple, contenant des niveaux de plutonium-239 significatifs pour la santé seraient estampillés « non radioactifs » de façon réglementaire !

Cela signifierait également qu’en cas d’accident, celui-ci pourrait ne pas être géré en tant que tel si les niveaux de contamination dans l’environnement sont inférieurs aux seuils d’exclusion.

En conséquence, l’ACRO demande le retrait, au sein des futures recommandations de la CIPR, de tous les éléments susceptibles de conduire à :

  1. une banalisation du risque ;
  2. des niveaux d’exposition significatifs pour les populations ;
  3. des contaminations de l’environnement qui ne seraient plus considérées en tant que telles ;
  4. exonérer les responsabilités

L’ACRO demande également aux citoyens de s’impliquer dans les débats actuels et de faire état de ses observations en ligne jusqu’au 31/12/04 sur le site de la CIPR à l’adresse suivante :
http://www.icrp.org/remissvar/remissvar.asp


Lire :

Ancien lien

Futures recommandations CIPR-2005

Appel à mobilisation

Le 17 octobre 2004


La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) publie chaque année des documents (les Annales de la CIPR) mais, environ tous les 15 ans, elle publie un rapport particulier contenant ses recommandations en matière de radioprotection. Celles-ci constituent le socle pour des dispositions réglementaires que la plupart des pays, dont l’Union Européenne, reprennent à leur compte. Le dernier document de cette nature (la CIPR-60) a été publié en 1990 et a représenté une avancée significative en raison notamment de l’abaissement des valeurs limites de doses tant pour les travailleurs (par un facteur de 2,5) que pour le public (par un facteur 5) prenant ainsi en compte l’acquis de nouvelles connaissances.

Le prochain rapport, attendu pour 2005, est en cours de préparation depuis plus de 5 ans. Fait nouveau qui mérite d’être souligné, la CIPR, d’habitude enfermée sur elle-même, a décidé de s’ouvrir vers les milieux de la radioprotection pour recevoir des contributions et elle a récemment mis en ligne sur son site Internet une version préliminaire de ce fameux rapport dans le but de recueillir les commentaires de tout un chacun. Le projet contient des dispositions inquiétantes à nos yeux et nous encourageons donc une contribution citoyenne aux futures recommandations.

Télécharger la version préliminaire en anglais du rapport de la CIPR au format pdf (760 ko) : http://www.icrp.org/icrp_rec_june.asp
Argumentaire de trois pages à télécharger et diffuser.
Diaporama d’une présentation publique, ACRO et GSIEN.


En France, la Société Française de Radioprotection (SFRP), sollicitée par la CIPR, a constitué un groupe de travail en ce sens. Un membre de l’ACRO a participé à ses travaux. Lors de la dernière réunion de ce groupe (sept. 2004), des dispositions inquiétantes, jusqu’à lors jamais apparues, ont été discutées. Le projet a pris une nouvelle dimension que l’ACRO a jugée suffisamment alarmante pour affirmer son désaccord total et encourager les citoyens à s’impliquer.

Certes, des avancées telles que la prise en compte de l’environnement nous semblent positives mais nos propos ont d’abord été dans le sens de sauvegarder des acquis majeurs de la radioprotection qui, dans des textes et déclarations initiales apparaissaient pour le moins malmenés : il en est ainsi
– du principe de justification [1] que certains souhaitent voir disparaître puisqu’il n’est pas ou peu appliqué dans les faits…,
– de la notion de « dose collective »,
– et même, plus grave, de la limite de 1 mSv pour le public dont certains annonçaient déjà l’abandon au profit d’une notion nouvelle de « dose maîtrisable » !

Nous avons également marqué nos plus vives réserves sur une nouvelle échelle de gestion du risque radiologique qui se veut être une simplification d’un « système devenu très compliqué ». En appuyant cette échelle sur le niveau ambiant de l’exposition naturelle, on risque de glisser vers un concept pervers « ce n’est pas dangereux puisque c’est le niveau naturel ». Au départ, le président de la CIPR proposait la valeur de 30 µSv comme niveau d’exposition non significatif (« trivial risk ») à partir duquel on pourrait alors définir des « niveaux d’exemption » et des « niveaux de libération ». Bref, en clair, ce qui est radioactif cesse tout d’un coup de l’être et devient banalisable. Et il n’a pas fallu attendre longtemps pour que l’ACRO découvre dans un dossier d’enquête publique cette référence au seuil de 30 µSv présenté comme un seuil d’innocuité par Cogéma La Hague (qui avait bien sûr calculé que l’impact de son installation sur les populations était inférieur à ce seuil fatidique…). Cette démarche est incohérente avec les propos que la CIPR tient elle-même depuis 1990 selon laquelle la relation « dose / effet » serait une relation de type « linéaire et sans seuil ». En clair, toute dose (même petite) est susceptible de produire un détriment sanitaire.

Le document préliminaire que la CIPR vient de mettre en ligne conserve cette orientation même si le seuil bas de l’échelle de gestion du risque est maintenant proposé à 10 µSv [2]. Cela ne change pas pour autant notre critique car c’est le principe même d’instituer un seuil que nous contestons. Ce sera la porte ouverte à une déréglementation et à bien des dérives. Certes, nous admettons qu’un niveau d’exposition de 10 µSv peut être qualifié, en l’état actuel de nos connaissances, de très faible niveau d’exposition et donc de risque tout aussi faible. Mais la rad ioprotection ne peut être traitée uniquement sous un angle scientifique ou technique. Parce que l’ACRO est une association indépendante de tous et qui s’inscrit dans une démarche citoyenne au service de la population nous militons pour que les aspects sociétaux soient aussi pris en compte. Dès lors que nous nous situons dans un domaine où la connaissance scientifique rencontre ses limites, l’objectivité des risques perd son sens mais la perception des risques ne peut être ignorée. Ce n’est donc pas un seuil miracle qui réglera le problème mais l’engagement des populations concernées qui, au travers d’un dialogue honnête et équitable, sont habilitées à exprimer une éventuelle acceptabilité des risques et le niveau de cette acceptabilité [3].

Ces dérives qui nous inquiètent ne relèvent pas de craintes irrationnelles. En fait, elles apparaissaient en filigrane dans un texte du président de la CIPR de 1999 où Roger Clarke souligne l’importance dans les décennies à venir du démantèlement des installations nucléaires, du coût d’autant plus élevé que l’on poussera loin la décontamination et des risques croissant de procédures judiciaires contre lesquels il faudrait se prémunir en instituant des seuils [4]. Roger Clarke reconnaît implicitement l’existence de « pressions ». La question qui se pose est de savoir si lui-même et surtout la CIPR (groupe d’experts scientifiques indépendants…) y sont sensibles.

La réponse vient de nous apparaître dans le document préliminaire à la CIPR-2005 au travers d’un chapitre instituant un domaine où les sources seraient exclues du champ des présentes recommandations. Et là, les seuils en question sont clairement exprimés au sein d’un tableau qu’il nous paraît essentiel de porter à la connaissance du public en raison de la gravité de ce que la CIPR propose ici :

Tableau 10. Niveaux d’exclusions
recommandés
Radionucléides Niveau d’exclusion (en concentration)
Emetteurs alpha artificiels 10 Bq / kg
Émetteur bêta artificiel 100 Bq / kg
238U, 232Th 1.000 Bq / kg
40K 10.000 Bq / kg
Nous reproduisons intégralement le tableau du rapport de la CIPR-2005 (chap.8) mais en ayant préalablement pris le soin d’écarter une méthode détestable qui vise à berner le lecteur peu assidu en exprimant les concentrations en Bq/g ce qui est aberrant comme référence pondérale quand on parle d’environnement, de denrées alimentaires ou de matériaux de construction ! Mais cela présente l’avantage de réduire l’activité en Bq par un facteur 1000…

Lorsque nous parlons de situation grave, nous pesons nos mots.

D’abord, il convient d’expliquer que dans la sémantique en radioprotection, la notion de « niveau d’exclusion » est pire que la notion de « niveau d’exemption », laquelle n’écarte pas le maintient d’un certain niveau de contrôle.

Ensuite, il faut rappeler que des « recommandations » de la CIPR deviennent (quelques années plus tard) des dispositions réglementaires reprises dans tous les pays. Si ces propositions étaient maintenues, cela signifierait en clair que de façon réglementaire, des produits (par exemple des aliments..) contenant 10 Bq/kg de plutonium 239 ou 100 Bq/kg de Strontium 90 (deux corps radioactifs artificiels très radiotoxiques) seraient estampillés « non radioactifs » !… On comprend que les coûts des démantèlements nucléaires vont pouvoir être revus à la baisse. Poussons plus loin le raisonnement et interrogeons-nous à partir d’un cas d’école. Si le convoi de 140 kg de Plutonium qui vient de traverser la France avait connu un accident entraînant la dispersion atmosphérique d’une partie de son contenu en oxyde de Pu. A considérer qu’une zone importante soit contaminée mais à des niveaux inférieurs à 10 Bq de Pu par kg de terre, devra-t-on considérer que cet accident n’en est plus un et qu’il n’y aurait pas lieu d’intervenir s’agissant d’une contamination inférieure au seuil d’exclusion ?

De telles propositions sont inacceptables car elles conduiraient à des niveaux d’exposition significatifs (scénarios de modes alimentaires ou de réutilisation dans des matériaux de construction…), car elles tendent à la banalisation du risque, enfin parce qu’elles visent à exonérer de leurs responsabilités les exploitants nucléaires, les politiques et les institutions qui ont poussé au développement de vastes programmes nucléaires sans chercher au préalable à en peser toutes les conséquences en particulier sur le long terme. Ainsi, l’heure est grave également pour la CIPR car elle devra déterminer si elle reste une instance indépendante se préoccupant de radioprotection ou si elle s’oriente vers un soutien à des choix énergétique et économique.

Quant aux propositions de seuils pour les corps radioactifs naturels, ils ne sont pas plus acceptables même si le problème est ici d’une autre nature. Non pas que la radioactivité « naturelle » serait moins nocive que la radioactivité « artificielle » mais parce qu’elle est une constante de notre environnement ambiant quotidien et qu’il n’est pas humainement envisageable de décontaminer la Terre. On vit donc avec. Pour autant le « naturel renforcé » par les pratiques humaines doit être contrôlé et évalué. Ce qui pêche donc dans les propositions de la CIPR ce sont les valeurs de niveaux d’exclusion affichées. Ces valeurs sont 100 à 1000 fois supérieures aux niveaux de radioactivité naturelle non perturbés que la CIPR rappelle par ailleurs dans ce même chapitre en s’appuyant sur les données du rapport UNSCEAR-2000.

L’ACRO adressera à la CIPR son point de vue d’association indépendante et citoyenne. Elle invite tous ceux qui partagent nos craintes à intervenir en ce sens auprès de la CIPR à partir d’un bulletin que la CIPR propose à tout un chacun de rédiger en ligne jusqu’au 31 décembre 2004. Comme indiqué précédemment, il est vraisemblable que la CIPR ait été l’objet de pressions pour recommander ces seuils d’exclusions. A nous tous de peser également dans l’intérêt des populations vivant à proximité de sites nucléaires et des générations à venir.


[1] Ce premier principe (institué par la CIPR) signifie que toute pratique mettant en œuvre des sources de rayonnements ionisants doit préalablement être justifiée par une évaluation mettant en regard les avantages et les détriments qu’elle procure. Clairement, ce principe (maintenant inscrit dans la réglementation française) n’a jamais été imposé à l’industrie nucléaire…

[2] Hasard du calendrier, on notera sans malice que Cogéma La Hague qui nous affirmait il y a 2 ans être « en dessous de 30 µSv », nous annonce aujourd’hui un impact sanitaire pour le public « inférieur à 10 µSv »…

[3] L’action de l’ACRO en tant qu’association est focalisée sur la surveillance et le contrôle de la radioactivité dans l’environnement. Le risque radiologique est donc notre préoccupation quotidienne. Pour autant, parce que c’est l’essence même de notre démarche citoyenne, nous tiendrions le même raisonnement en regard d’autres catégories de risques spécifiques comme par exemple le risque chimique.

[4] « Un sujet est particulièrement d’actualité : le démantèlement d’installations nucléaires, de vieux réacteurs ou d’usines d’armement. Ces opérations indispensables nécessitent des dépenses considérables, et certains estiment que trop d’argent est et sera dépensé pour descendre jusqu’à de faibles niveaux de contamination résiduelle. Si les sols contaminés ne sont pas nettoyés, le public s’en émeut et, dans certains pays, intentera des procès en dénonçant le risque excessif pour l’environnement. Ces préoccupations ont incité certains à faire pression en faveur d’un seuil dans le rapport dose-effet, en vue de réduire les dépenses.
Il est vrai que notre discipline est de plus en plus souvent jugée par les tribunaux plutôt qu’au sein des académies scientifiques nationales. La question du seuil sera tranchée par un juge ou un jury dont l’opinion devra être forgée sur l’existence ou non d’un risque à de faibles doses de rayonnement. La question se pose avant tout pour l’exposition du public, et non pour l’exposition professionnelle, et il conviendrait peut-être, compte tenu du manque persistant de preuves scientifiques tangibles, d’envisager une approche nouvelle de la protection. »

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