ACROnique du nucléaire n°95 – décembre 2011
Dès la découverte des rayons X, par Wilhelm Conrad Röntgen en 1895, et celle de la radioactivité, par Henry Becquerel en 1896, les conséquences néfastes des radiations ionisantes vont se révéler très vite.
En 1928, le 2nd Congrès international de Radiologie donne naissance au « Comité international de protection contre les Rayons X et le Radium » qui deviendra par la suite la Commission Internationale de Protection Radiologique, l’actuelle CIPR dont les recommandations inspirent très largement les réglementations nationales et internationales. A l’issue de ce congrès seront promulguées les premières restrictions concernant les professions médicales.
Les premières recommandations de la CIPR seront publiées en 1934. C’est cette même année (en décembre 1934) que seront édictés, en France, les premiers textes réglementaires en radioprotection où seront promulguées les premières valeurs limites d’exposition pour les travailleurs.
Celles-ci ne cesseront d’évoluer dans le sens d’une réduction de ces valeurs en relation avec l’acquisition des nouvelles connaissances sur l’action des radiations. Les valeurs limites sont aujourd’hui réduites d’un facteur 30 par rapport à celles instituées à l’origine (voire d’un facteur 50 par rapport aux premières restrictions).
Après avoir défini des limites par jour, puis par semaine, plus tard par trimestre, les limites d’exposition furent ensuite fixées sur un pas de temps annuel, y compris pour le public[1].
Une nouvelle étape importante apparait en 1990 avec la publication de la CIPR-60 qui recommandera (pour simplifier) un nouvel abaissement des limites réglementaires d’un facteur 2,5 pour les travailleurs et d’un facteur 5 pour le public[2].
Depuis cette avancée majeure de 1990, d’autres évolutions se profilent soulignant que, par certains aspects, le risque radio-induit demeure sous-estimé.
Le risque Radon réévalué
C’est d’abord la réévaluation du risque lié à l’exposition au radon domestique. Sur la base d’une approche épidémiologique – déduite des données issues des mineurs extrayant l’uranium – la CIPR proposait un coefficient de risque que les modèles dosimétriques contredisaient. Mais la démonstration directe d’une relation causale entre radon domestique et cancer du poumon sera apportée vers 2005 avec la publication de trois grandes études épidémiologiques de grande envergure qui apportent des résultats très cohérents.
La CIPR a donc dû réviser sa copie. Dans un projet de nouvelles recommandations (juillet 2010), elle proposerait des facteurs de conversion en dose – du risque radon exprimé en dose efficace – qui correspondent à un risque plus que doublé (augmentation de 2,26 pour le public et de 2,35 pour les travailleurs). Dès lors, la commission propose un abaissement par un facteur 2 de ses valeurs de référence pour les niveaux de radon dans les habitations, se rapprochant ainsi des récentes propositions de l’OMS.
Le risque de cataracte réévalué
La cataracte fut une des pathologies radio-induite identifiée très tôt et démontrée expérimentalement dans les années qui ont suivi la découverte des rayons X. On les décrivit aussi chez des travailleurs exposés à des neutrons autour des premiers cyclotrons (1949) et chez les survivants d’Hiroshima et Nagasaki vers la même époque.
Mais l’idée communément admise était qu’il fallait de fortes expositions aux radiations, de l’ordre de 2 à 10 Gy (gray) selon la nature et le mode d’exposition. Dés lors, l’induction de la cataracte radio-induite est classée parmi les effets déterministes (retardés) ce qui signifie qu’elle ne peut apparaître qu’au-delà de certains seuils de dose (> 2 Gy en exposition aigüe, 4 Gy en exposition fractionnée et plus encore en exposition chronique).
Mais ces dernières années, des publications dans le champ de l’épidémiologie exposent des résultats qui remettent en cause cette vision optimiste et suggèrent des seuils de dose nettement plus faibles pour l’apparition des cataractes. De plus, ces études portent sur des populations aussi diverses que les astronautes, les pilotes de lignes, les survivants d’Hiroshima-Nagasaki[3], des patients ayant subi un scanner céphalique, des personnels en radiologie (tout particulièrement en radiologie interventionnelle), les « liquidateurs » de Tchernobyl, des enfants de la région de Tchernobyl…
Bref, l’existence même d’un seuil n’est plus vraiment une certitude dans la mesure où cette pathologie pourrait être plus le résultat d’une altération cellulaire, notamment génomique (conduisant à un effet stochastique) que d’un dommage tissulaire (effet déterministe).
Des données scientifiques récentes ont conduit la CIPR – fin avril 2011 – à revisiter le risque radio-induit pour certains effets déterministes, en particulier le cristallin. Désormais, la Commission considère que le seuil de dose absorbée au cristallin doit être maintenant fixé à 0,5 Gy (mais toujours classé comme effet déterministe).
Elle en tire comme recommandation qu’il faut maintenant réduire fortement les limites réglementaires d’exposition concernant le cristallin. En particulier, pour les expositions professionnelles, la CIPR recommande une limite de dose équivalente au cristallin de 20 mSv par an (pouvant être moyennée sur 5 ans mais sans dépasser 50 mSv sur une année).
Déjà, le projet de Directive-cadre européenne vient de prendre en considération ces recommandations. Dès lors, avec la transposition de cette future directive UE, les limites réglementaires devraient, à minima, évoluer comme indiqué dans le tableau ci-dessous :
Evolution attendue des limites réglementaire pour le cristallin
Public |
Travailleurs (catégorie A) |
|
Limite de dose |
15 |
150 |
Limite de dose |
15 |
20 |
Commentaires
Si la CIPR a eu une attitude exemplaire en 1990 (avec la parution de la CIPR-60), elle apparait aujourd’hui en retrait d’avancées nécessaires pour une meilleure prise en compte des données scientifiques dans le système actuel de protection radiologique. Celles-ci portent en particulier sur la révision du facteur d’efficacité de dose et de débit de dose mais aussi sur les facteurs de pondération des radiations, notamment pour les émetteurs bêta de faibles énergies ou encore les rayons X de faibles énergies.
Il convient aujourd’hui d’aller vers un abaissement généralisé de toutes les limites réglementaires tant pour les travailleurs que pour le public. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question d’actualité.
Le 6 novembre 2011
Pierre Barbey
Conseiller scientifique de l’ACRO
[1] Les premières recommandations CIPR pour des limites pour le public seront proposées au milieu des années 1950. Elles se traduiront dans la réglementation française en 1966 (décret du 20 juin 1966). [2] Ces nouvelles limites réglementaires seront transposées en droit français dans différents textes parus en 2001, 2002 et 2003. [3] Réévaluation publiée en 2004.