Secret défense : Lettre ouverte à l’attention des pouvoirs publics

19 mai 2006

Au moment où le pouvoir politique marque sa volonté de rappeler le respect dû au secret défense en faisant interpeller Stéphane Lhomme, il est regrettable qu’il ignore les conclusions d’un très sérieux groupe de travail mis en place par la Commission Nationale du Débat Public, sur les obstacles à l’accès à l’information dans le domaine du nucléaire et sur les voies possibles pour progresser vers une véritable transparence. Les débats publics sur les déchets nucléaires et le futur réacteur EPR à Flamanville, qui viennent de s’achever, ainsi qu’une enquête menée à cette occasion sur les pratiques en matière de transparence dans divers pays occidentaux, démontrent la nécessité de pouvoir accéder aux documents d’expertise pour permettre une véritable démocratie participative en accord avec la Convention d’AARHUS ratifiée par la France.

Ces travaux ont montré l’intérêt d’une concertation sur ces questions et fait émerger des pistes de réflexions. Cette voie doit être poursuivie pour construire un dialogue argumenté sur des sujets complexes, touchant à un domaine aussi sensible que l’avenir énergétique, et pour éviter la radicalisation des positions à laquelle on assiste.

Il ne suffit pas de ratifier des conventions ou de voter des lois pour que la transparence se fasse.

Des personnalités ayant participé aux débats publics déchets et EPR :

Pierre Barbey – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
David Boilley – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
Jean-Claude Delalonde – Président de l’Association Nationale de CLI
Benjamin Dessus – CNRS
Danielle Faysse – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Bernard Laponche – Expert indépendant, Global Chance
Yves Marignac – Directeur de Wise-Paris
Jean-Luc Mathieu – Membre de la Commission Nationale du Débat Public et président de la Commission Particulière du débat public EPR
Michèle Rivasi – Présidente du CRIIREM (fondatrice de la CRIIRAD)
François Rollinger – Représentant CFDT au CSSIN
Monique Sené – Présidente du Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie
Annie Sugier – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Françoise Zonabend – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR

Comment un autocrate, le Pr Aurengo, a trahi une démarche participative

Communiqué du 5 mai 2006 sur « le rapport sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France »
Rapport rédigé par André Aurengo et transmis, le 18 avril 2006, aux Ministres de la Santé et des Solidarités et de l’Écologie et du Développement durable.


Le groupe de travail, présidé par André Aurengo, avait été constitué à la demande des Ministres chargés de l’Environnement et de la Santé, de deux gouvernements successifs : tout d’abord Messieurs Yves Cochet et Bernard Kouchner puis confirmé par Monsieur Jean-François Mattei et Madame Roselyne Bachelot en 2002. Ce groupe de travail était chargé, principalement, d’établir à partir des données existantes une cartographie de la contamination du territoire français, suite à l’accident de Tchernobyl, et devait réunir « de la manière la plus ouverte possible les experts et les acteurs intéressés par cette question ».

De fait, M. Aurengo, dont les positions en faveur du nucléaire sont notoires, (tendant toujours à minorer les effets des radiations en général, et, en particulier les conséquences de Tchernobyl) avait réussi à composer un groupe de travail relativement pluraliste : si des institutionnels tels que l’IRSN étaient représentés, étaient également présents des médecins, des représentants d’associations et des journalistes.

En réalité, ce groupe a toujours eu un fonctionnement scandaleux ; quelques réunions ont eu lieu en 2003, une en 2004, aucune en 2005… En 2006, un certain nombre de participants croyaient la commission morte et enterrée. Ces réunions organisées de façon totalement aléatoires n’étaient pas, pour la plupart, précédées d’ordre du jour ni ne donnaient lieu à un compte rendu. Elles étaient totalement soumises au bon vouloir de M. Aurengo qui a profité de cette commission pour régler ses comptes avec l’IRSN. Il l’accusait d’avoir, dans sa dernière carte, donné une vision trop pénalisante de la contamination post Tchernobyl en France. Un comble !

Les membres de la commission n’ont jamais donné aucun mandat à M. Aurengo.

C’est après les dernières réunions qui furent houleuses qu’il a renoncé à réunir cette commission. M. Miserey, journaliste, avait donné sa démission. L’ACRO avait également menacé de le faire devant l’inanité des travaux, la partialité affichée par M. Aurengo et le manque de moyens donnés à la commission : là où il aurait fallu un travail de contre-expertise d’envergure, il n’y avait même pas de quoi payer les frais de route des participants !

M. Aurengo a donc œuvré, seul, au sein de l’IRSN, sous prétexte d’agir dans le cadre des travaux du groupe de travail. Pourtant il n’avait aucun mandat particulier pour agir ainsi, ni gouvernemental ni de son groupe. L’argumentaire selon lequel, il aurait été pris par le temps nous paraît totalement fallacieux. La commission existait depuis 3 ans, mais elle est devenue fantôme par la volonté de son président, seul habilité à la convoquer. Souhaitait-il avoir les mains libres et s’en servir comme paravent pour produire un énième rapport personnel sur les conséquences de Tchernobyl ? Probablement, et ce serait une grave imposture.
La mission gouvernementale a été totalement trahie : Le sens de ce travail reposait sur sa pluralité. Un des objectifs recherché par les pouvoirs publics était, entre autres, d’avoir un rapport sur Tchernobyl, un peu moins contesté que d’habitude.

Le Pr Aurengo a donc rédigé seul ce rapport. Il a été remis aux Ministres le 18 avril 2006. Les membres de la commission n’en ont eu connaissance que le 24 avril au matin par un courrier électronique accompagné du dit rapport. Le courrier du Pr Aurengo, aux membres de la commission explique que ce rapport a été rédigé « en son nom propre, […] avec l’accord des Ministres et dont j’assume toute la responsabilité ». Or, comble de la malhonnêteté cela n’apparaît aucunement dans le rapport qui est voué à être rendu public.

Nous sommes associés de fait à ce rapport remis aux Ministres par M. Aurengo. Ainsi l’amalgame entre ce document et le travail de la commission paraît évident au public. Nous apparaissons comme coauteurs, bien malgré nous. Seule une lettre privée, qui par ailleurs nous congédiait, explique notre non-implication dans ce travail. La fourberie est manifeste.

Pour une démarche participative de qualité : La pluralité, la transparence, la tolérance d’opinions divergentes sont nécessaires. M. Aurengo n’en a que faire ! Du mandarinat à l’autocratie, il a largement franchi le pas et dans ses certitudes n’a que faire de l’avis d’autrui. Ce n’est pas avec ce genre de conduite que la parole publique retrouvera un minimum de crédibilité quand il s’agit de nucléaire, en général et de Tchernobyl en particulier.

Nous sommes scandalisés et tenons à dénoncer les manœuvres honteuses orchestrées par le Pr Aurengo.
Nous demandons au gouvernement de ne pas tenir compte de ce rapport.

Ce communiqué est signé par les membres, du groupe de travail « sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France », suivants :
Pierre-Jacques Provost, journaliste
Michel Deprost, journaliste
Pour l’ACRO : Sibylle Corblet Aznar, Jean-Claude Autret

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Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Le projet de loi sur les déchets nucléaires est inacceptable

Communiqué de presse commun ACRO et GSIEN du 28 mars 2006


Le projet de loi présenté le 22 mars en conseil des ministres ignore les conclusions du débat sur les déchets nucléaires et est donc inacceptable pour l’ACRO et le GSIEN. Pourtant, le représentant du Ministère de l’Industrie concluait le dernier débat à Lyon en insistant sur la nécessité de solutions « réversibles » et son « refus d’être piégé dans des solutions sans alternatives » avant de déclarer : « la copie qui va sortir de chez nous est différente de ce que nous aurions fait il y a quatre mois »… On a failli le croire.

Dès l’article 1er, la définition de « déchets radioactifs [qui] s’entend de matières radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue » est trop restrictive et ouvre la porte à de nombreux abus. En effet, sous prétexte que certaines matières sont hypothétiquement recyclables, elles ne sont pas considérées comme déchets, même si dans les faits, elles ne sont pas recyclées et ne le seront jamais. Nous proposons donc plutôt de considérer comme déchet radioactif, toute matière radioactive non utilisée dans un délai à fixer. Cela va au-delà des problèmes de taxe, car seuls les « déchets » étrangers sont interdits de stockage en France. Nous souhaiterions aussi qu’il soit interdit de stocker à l’étranger des déchets français.

Les solutions proposées à l’article 2 sont aberrantes. Ni le traitement, ni le conditionnement des combustibles usés ne réduisent la quantité de déchets radioactifs. Généraliser le traitement est absurde car le plutonium s’accumule actuellement « sur les étagères », comme presque la totalité de l’uranium de retraitement. Par ailleurs, la vitrification en fin de procédé est irréversible dans le sens où elle interdit toute reprise ultérieure des verres. Ce choix technologique est en contradiction avec la continuation des recherches sur la séparation-transmutation.

Ce même article décide du « stockage en couche géologique profonde » alors qu’aucune garantie scientifique ne permet d’affirmer que cette solution soit réalisable. Dans son dernier rapport, la Commission Nationale d’Evaluation précise que « les conditions d’une éventuelle décision finale de réalisation d’un stockage [souterrain] ne sont pas encore réunies. » Par ailleurs, le débat national sur les déchets a montré un fort rejet de cette solution par la population. Quant à la réalisation d’un « prototype d’entreposage pérennisé » recommandé par la Commission Nationale de Débat Public (CNDP), il n’est pas rendu obligatoire par la loi. Les études et recherches sur l’entreposage « pour répondre aux besoins, notamment en termes de capacité et de durée » du projet de loi ne sont pas celles pointées lors du débat.

Par ailleurs, nous pensons que les efforts de recherche sur l’axe séparation-transmutation sont trop onéreux par rapport aux espoirs potentiels de cette solution. Comment justifier l’exposition des travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain sans protéger pour autant les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? En effet, « la CNE considère, dans son dernier rapport, que finalement la séparation-transmutation répond au principe de précaution de la charte de l’environnement plutôt qu’à la recherche d’une diminution du risque réel dû à la présence en profondeur des déchets. » Surtout, cette voie nécessite de prendre pour option de continuer le nucléaire sans prendre la mesure sur la quantité de déchets qui en résultera.

Si nous saluons la prise en compte des autres déchets dans la loi avec des échéances précises, nous regrettons que les solutions demandées ne soient pas expertisées par la commission nationale d’évaluation ni débattues par le public.

Le public est le grand oublié de ce projet de loi, même si au niveau européen et international (convention d’Aarhus) son avis doit être pris en compte. Si une Commission Locale d’Information et de Suivi est prévue pour le « laboratoire souterrain », rien n’est prévu pour les centres où l’entreposage doit être étudié. De même, nous demandons que pour le plan national de gestion des matières nucléaires et déchets transmis tous les trois ans au Parlement soit organisé une véritable consultation du public. Cela signifie que tous les autres rapports demandés aux exploitants soient aussi rendus publics. Enfin, la commission nationale d’évaluation devrait être ouverte à la société civile pour tenir compte de l’avis des citoyens.

ACROAssociation pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
138, rue de l’Eglise
14200 Hérouville St Clair
https://acro.eu.org
tél : 02 31 94 35 34
GSIENGroupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire
2 rue François Villon
91400 Orsay
tél : 01 60 10 03 49

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Secret et accès à l’information

Conclusions et constats partagés du groupe de travail mis en place par les commissions particulières de débat public sur l’EPR et les déchets nucléaires
Position de l’ACRO
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CONCLUSION  •  CONSTATS PARTAGES

Les difficultés rencontrées sur le thème du secret au cours des deux débats publics sur le nucléaire, concernant le projet de réacteur EPR d’une part et la gestion des déchets nucléaires d’autre part, ont fait de l’accès à l’information un thème majeur du débat, approfondi notamment dans le cadre d’un groupe de travail et de deux réunions publiques, l’une commune aux deux débats le 14 novembre 2005 à Caen et la seconde dans le débat EPR le 30 janvier à Dunkerque.
Les travaux menés au sein du groupe de travail, enrichis des réflexions apportées par d’autres acteurs au cours des débats, font apparaître un certain nombre de conclusions fortes. A travers les constats partagés et les divergences parfois profondes, les points suivants ressortent des échanges :

•    La confiance des citoyens dans la capacité d’accès à l’information sur le nucléaire civil doit être renforcée

1.    Un « conflit d’exigences » existe entre le pluralisme et l’exhaustivité nécessaires au débat public et le respect de secrets liés à la sécurité dans le domaine du nucléaire civil.
Cette question revêt, dans le triple contexte d’un manque de confiance du public, de l’après 11 septembre et de choix à venir sur le renouvellement des équipements nucléaires, une importance majeure. Sa « résolution » passe par une clarification de la délimitation et de la justification de l’ensemble des secrets et par la réflexion sur les mécanismes susceptibles d’apporter l’information au public dans le respect de leurs limites.

2.    La confiance des citoyens dans les informations qui leur sont accessibles est un élément essentiel pour leur participation aux débats sur les risques auxquels ils se sentent exposés.
La faiblesse de la confiance placée par les citoyens dans les informations disponibles, en particulier dans celles données par l’Etat, sur les questions ayant trait aux affaires nucléaires civiles est un obstacle majeur à la démocratisation des choix dans ce domaine.

3.    La démarche de « transparence », comprise comme la mise à disposition du public d’une information choisie par ses détenteurs, apparaît nécessaire mais non suffisante pour résoudre ce problème.
La construction de la « confiance » renvoie à l’existence de dispositifs liant l’accès du public aux informations à sa demande, la capacité d’expertise nécessaire au traitement pluraliste de ces informations et la reconnaissance de ce pluralisme dans les processus de décision – perçue comme un facteur d’amélioration des décisions.

•    L’existence de secrets protègeant les industriels et les intérêts de la Nation apparaît d’autant plus légitime qu’ils sont bien délimités

4.    L’accès à l’information est légitimement borné par la protection d’intérêts privés ou publics. Un consensus existe, dans son principe, sur l’édiction de règles juridiques qui empêchent de livrer au public des informations couvertes :

•    les unes par les secrets industriel et commercial nécessaires à la protection de certains intérêts des entreprises,
•    les autres par le secret de défense nationale, élément parmi d’autres, de la protection d’intérêts vitaux de la Nation.

5.    Ces secrets doivent toutefois, conformément à une évolution très forte du droit international, constituer des exceptions aussi limitées que possibles à une règle d’accès à l’information.
Bien que ce principe soit inscrit dans le droit français, le sentiment de faible information dans le domaine du nucléaire civil tient aussi à la difficulté d’obtenir des informations sur des points qui ne sont pas explicitement couverts par les secrets. L’existence de cette zone grise, ou de secret « par omission », semble un obstacle culturel français rencontré également dans d’autres domaines.

6.    Il importe donc, sur les questions de sûreté et de sécurité (et par extension de risques pour les personnes et pour l’environnement) liées aux activités nucléaires civiles, de distinguer trois questions :

•    la frontière, c’est-à-dire les critères et les procédures délimitant les informations couvertes par un secret des informations en principe publiques;
•    le « dehors », c’est-à-dire les règles et les pratiques rendant réellement disponible l’information théoriquement accessible ;
•    le « dedans », c’est-à-dire les dispositifs de restitution susceptibles d’apporter au public de la confiance dans le degré de protection sans rompre la confidentialité nécessaire des informations.

7.    Il convient par ailleurs de bien distinguer l’analyse du périmètre des secrets selon les domaines d’application, les intérêts protégés et les autorités qui les traitent :

•    dans le domaine de la sûreté, c’est-à-dire de la protection contre les circonstances accidentelles, on rencontre essentiellement :
– le secret industriel, qui s’applique de façon bien délimitée à la protection de la conception et du savoir-faire sur des éléments précis du système technique,
– et le secret commercial, qui s’applique de façon plus subjective à des informations sensibles en termes concurrentiels ;
•    dans le domaine de la sécurité, c’est le secret défense qui s’applique aux dispositions de tous ordres prises pour la protection contre le détournement des matières nucléaires et contre les actes de malveillance en fonction des différents types de menaces considérées;
•    un problème spécifique apparaît sur des questions qui se trouvent à l’intersection des deux domaines, c’est le cas notamment de la résistance des installations aux chutes d’avion.

•    Le respect du secret industriel et commercial ne s’oppose pas à une plus grande ouverture sur les dossiers de sûreté nucléaire

8.    Le périmètre du secret industriel et commercial fait moins question qu’une utilisation extensive qui peut en être faite. La pratique suggère en effet un écart entre l’information réellement couverte par ce secret et l’information réellement mise à disposition du public par les opérateurs et les pouvoirs publics.

9.    L’accès à l’information pourrait dans ce domaine être fortement amélioré par une évolution des pratiques visant à limiter la confidentialité aux seules informations réellement protégées. Il s’agirait par exemple d’établir le rapport de sûreté comme un document public dont certaines parties seulement demeureraient confidentielles.
De même, une évolution vers une attitude plus positive en général des détenteurs de ces informations vis-à-vis de demandes spécifiques du public semble souhaitable.

10.    La voie de l’expertise pluraliste, expérimentée dans le cadre du débat public à travers une première investigation d’éléments du rapport préliminaire de sûreté par des experts indépendants, devrait être confortée. L’élargissement de l’accès d’experts indépendants mandatés par des organismes reconnus, sous accord de confidentialité, aux dossiers des opérateurs est une étape importante à franchir.
D’autres pistes de réflexion sont proposées concernant la composition des groupes d’experts chargés d’appuyer les autorités sur les dossiers de sûreté ou la mise en débat des avis de ces groupes.

11.    Plus largement, de telles évolutions passent probablement par la mise en place de règles elles-mêmes plus transparentes pour l’instruction des demandes d’information, la justification des refus et les procédures de recours. De plus, un rôle renforcé des lieux de dialogues territoriaux que sont les CLI et leur fédération nationale paraît souhaitable.
La loi sur la transparence nucléaire en préparation devrait permettre d’établir un tel cadre, que des décrets d’application pourraient préciser.

•    Le secret de défense est un élément indispensable de la sécurité nucléaire mais son rôle et sa limite restent sujets à débat

12.    Le périmètre du secret défense reste l’objet de débats, voire d’incompréhension. Si sa délimitation thématique est spécifiquement établie par l’arrêté du 26 janvier 2004, il paraît beaucoup plus facile d’avoir une vision concrète de cette limite de l’intérieur que de l’extérieur, ce qui constitue un obstable majeur à la discussion entre personnes « habilitées » ou non. En matière de sécurité nucléaire, le secret est, au même titre que les dispositifs de protection physique, un élément de ce que l’on désigne comme la « défense en profondeur » : de ce fait, caractériser le secret revient pour les autorités à en affaiblir la portée, donc à réduire l’efficacité de la protection qu’il apporte.
Sa fonction même confère au périmètre du secret défense un caractère fluctuant : ainsi, les secrets à préserver peuvent évoluer dans le temps en fonction de l’évaluation des menaces crédibles. De plus, l’agrégation d’informations non secrètes isolément peut constituer une information secrète.

13.    Cette vision du secret défense appliqué à la sécurité nucléaire se heurte à la demande de clarification de son rôle dans l’ensemble des dispositifs de protection. Ce problème se pose particulièrement à la frontière entre sûreté et sécurité : la protection d’une installation nucléaire contre la chute d’avion de ligne (parmi différents scénarios d’attaque terroriste de grande ampleur) recouvre plusieurs aspects, dont la résistance propre de l’installation qui est une problématique de sûreté.
Il existe sur ce plan un conflit entre l’usage extensif du secret comme instrument de réduction de l’efficacité d’actes de malveillance et la possibilité de garantir explicitement pour le public un degré de résistance de l’installation à des scénarios déterminés.

14.    Face à cette difficulté, il apparait d’abord souhaitable que le Gouvernement procède dans ce domaine à une explication plus systématique sur la démarche globale de sécurité, qui reste mal connue. Le document annexe à la lettre du Ministre de l’industrie à la CNDP du 12 octobre 2005, en plaçant la question de la sécurité de l’EPR dans un contexte global, en fournit un premier exemple.
La mise à disposition systématique du public du rapport annuel au Parlement du Bureau sécurité et contrôle des matières nucléaires et sensibles (BSCMNS) du service du Haut fonctionnaire de défense du MINEFI, dont le rapport 2004 a été rendu public dans le cadre du débat, est également un élément très important d’information du public.
Dans le même registre, certains suggèrent que l’édition d’un guide précisant la nature des documents susceptibles d’être classifiés dans le domaine du nucléaire civil et les raisons de cette classification pourrait améliorer la compréhension du rôle du secret dans la sécurité nucléaire. Les divergences sur ce point illustrent la difficulté du sujet : pour certains membres du groupe, un tel guide risquerait, pour englober dans une approche générale l’ensemble des situations envisageables, d’étendre le périmètre du secret au-delà de ce qui est strictement nécessaire ; pour d’autres il constituerait, même dans ce cas, un élément susceptible d’améliorer la confiance.

15.    Au-delà, une réflexion reste à mener, sous l’égide des pouvoirs publics, sur des formes d’expertise collégiale susceptibles de renforcer la confiance du public dans le domaine de la sécurité nucléaire. Il s’agirait notamment d’apporter un éclairage sur les choix de conception qui déterminent les rôles respectifs du secret et d’autres dispositifs dans la protection globale des installations nucléaires, et la garantie que le secret ne couvre pas des défaillances vis-à-vis d’objectifs affichés.
Cette réflexion se heurte à la limitation de l’accès aux informations couvertes par le secret défense aux personnes remplissant la double condition d’être habilitées et de justifier par leur fonction d’un « besoin d’en connaître ».

16.    Les conditions dans lesquelles il peut être fait appel à la Commission consultative du secret de la défense nationale apparaissent très restrictives. L’élargissement des conditions de sa saisine pour renforcer l’accès des citoyens au recours sur l’application du secret de défense dans le domaine du nucléaire pourrait être étudié.

17.    Sur un plan plus large, le Gouvernement pourrait s’interroger sur l’évolution des lois et règlements concernant le secret de défense. Une étude menée par un juriste spécialiste du droit de l’environnement suggère que celui-ci devrait être adapté pour mieux prendre en compte les évolutions du droit français et international. Le Groupe, dont certains membres ne partagent pas cette analyse, ne prend pas position, à ce sujet, sur le fond.

Position de l’ACRO

Communication de l’ACRO à la CPDP-EPR, 16 mars 2006

L’ACRO n’a pu participer qu’en tant que simple spectateur au groupe de travail sur l’accès à l’information, car les méthodes de fonctionnement de ce groupe étaient incompatibles avec la temporalité associative. En effet, il n’est pas possible à un bénévole, qui doit prendre un jour de congé pour se rendre à une réunion à Paris, de décider soudainement d’une réunion pour le lendemain. Nous n’avons donc pas pu contribuer à l’élaboration de la liste des questions. Le bénévole n’a que ses soirées et week-end pour travailler sur les dossiers. Il n’est pas possible de valider pour le soir même la liste de questions reçue le matin par mail. Il est de plus regrettable qu’il ait fallu que le représentant de l’ACRO démissionne pour que les organisateurs de ce groupe de travail acceptent de décaler d’une heure le début des réunions afin qu’il puisse venir de province le matin même.

Sur le fond, le secret défense est supposé constituer la première barrière contre les agressions extérieures. Cette barrière est très fragile : pour les transports, Greenpeace a montré comment, avec un peu d’organisation, on pouvait facilement la contourner. En revanche, le secret pose une limite à l’exercice la démocratie. Nous pensons que l’intérêt démocratique, avec une réelle implication citoyenne sur des sujets qui touchent au bien commun qu’est l’environnement, est supérieur à la prétendue sécurité apportée par le secret. Nous ne sommes donc pas satisfaits par les réponses apportées par le haut fonctionnaire de défense du MINEFI.

Nous retenons que le principal mérite de ce groupe de travail aura été d’éclairer l’état des lieux. L’ACRO fait sienne les conclusions du groupe de travail.

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  • Télécharger le rapport complet du groupe de travail (3,5 Mo)
  • Dossier de l’ACROnique du nucléaire n°72 de mars 2006 sur le sujet

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Le nouveau visage de la dissuasion, 10 ans après la fin des essais nucléaires

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


Le 19 janvier 2006, dans un discours à l’Ile Longue, le président de la république a étendu les « intérêts vitaux » de la France qui devaient être défendus par l’arme nucléaire : « L’intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté constitueront toujours le coeur de nos intérêts vitaux. Mais ils ne s’y limitent pas. […] Par exemple, la garantie de nos approvisionnements stratégiques… ». L’arme nucléaire pour garantir l’accès au pétrole ? Avec une telle logique, chaque pays va légitimement vouloir se doter de cette arme. Mais le président veut aussi utiliser l’arme nucléaire pour convaincre les autres pays de s’en passer. Sont aussi visés, les « Etats qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d’utiliser, d’une manière ou d’une autre, des armes de destruction massive ».

De plus, l’arme nucléaire passe du statut d’arme absolue à celui d’arme ultime. « L’ultime avertissement restaure le principe de la dissuasion, indique-t-on de source militaire. On ne peut pas offrir le choix au chef de l’Etat entre l’apocalypse et rien du tout. [1] » Ce changement vise à rendre crédible la détermination et signifie des armes plus petites, avec un pouvoir de destruction plus limité. Devant les députés de la Commission de la défense, Michèle Alliot-Marie expliquait, le 25 janvier, qu’«un adversaire potentiel pourrait penser que la France, compte tenu de ses principes, hésiterait à utiliser l’entière puissance de son arsenal nucléaire contre des populations civiles. Notre pays a assoupli ses capacités d’action et a désormais la possibilité de cibler les centres de décision d’un éventuel agresseur». En cas d’utilisation en Iran par exemple, pays implicitement visé, la riposte terroriste serait telle que cette option est difficilement envisageable.

La nouvelle doctrine vient de donner raison a posteriori à tous ceux qui dénonçaient le programme de recherche lancé en 1991 : sous couvert d’étude du vieillissement des armes nucléaires, il s’agissait bien de mettre au point de nouvelles armes nucléaires en violation du traité de non-prolifération [2]. Selon Libération du 9 février 2006, « il s’agit de rechercher une «amélioration dans le domaine des frappes», indique-t-on de source militaire. De deux façons : des bombes pourraient être tirées à haute altitude pour créer une «impulsion électromagnétique» et détruire les systèmes de communication et les ordinateurs de l’adversaire ; et le nombre des têtes nucléaires à bord des missiles a été réduit pour augmenter leur portée et leur précision. ».

Certes, le président a réaffirmé qu’« en aucun cas, il ne saurait être question d’utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d’un conflit », mais l’évolution de notre doctrine tend à légitimer celle des Etats-Unis et l’accès à la bombe de pays sentant leurs intérêts vitaux menacés comme l’Iran. Au lieu de concourir à la réduction des arsenaux nucléaires, en accord avec le traité de non-prolifération, la France vient de donner des arguments à tous les pays proliférants.

Avec la fin de la guerre froide, la dissuasion nucléaire a fait son temps : les scénarios de crise sont essentiellement d’ordre économique et les terroristes hors d’atteinte. La principale menace militaire est la prolifération. Et cela prolifère partout ! Les grandes puissances soucieuses d’interdire le nucléaire des autres ne seront légitimes à le faire qu’après avoir abandonné leur propre nucléaire.

Depuis la fin de la guerre froide, les occasions n’ont pas manqué de parvenir à un programme de désarmement nucléaire, mais les grandes puissances ont manqué le coche. Il est temps de retirer ce dossier des seules mains du président de la république.

[1] Libération, 9 février 2006
[2] Voir à ce sujet le dossier l’ACROnique du nucléaire n°46, de septembre 1999 : «Vers une quatrième génération d’armes nucléaires ? »

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Surveillance citoyenne de la radioactivité en Normandie

Synthèse des résultats d’analyse gamma du premier semestre 2004 du Réseau cItoyen de Veille, d’Information et d’Evaluation RadioEcologique (RIVIERE)
ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


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Les résultats présentés par la suite s’inscrivent dans la continuité de précédentes évaluations réalisées depuis 1997 à l’échelle du bassin Seine-Normandie et depuis 1988 dans la région de la Hague. Le but de ce travail est de renseigner sur l’état du milieu aquatique naturel par rapport à la pression qu’exercent l’industrie nucléaire civile et militaire mais également (et plus largement) les utilisateurs de radioactivité. Limitée à l’analyse des radionucléides émetteurs gamma comme le césium-137, l’évaluation concerne les eaux marines du littoral normand (entre Cancale et le Tréport), les principaux cours d’eau qui les alimentent comme la Seine ou l’Orne et enfin les écosystèmes aquatiques (influencés ou susceptibles de l’être) dans la région de la Hague, non loin des usines de retraitement et du centre de stockage de déchets nucléaires (CSM).

Il est nécessaire de bien mesurer la portée de ce travail. Il s’agit avant tout de veille environnementale et non sanitaire. Le travail n’est pas structuré pour répondre sur le plan de la santé même si des éléments d’information peuvent être retirés pour alimenter une telle réflexion, notamment à travers l’analyse des mollusques. Après quoi, ce suivi n’est pas exercé dans l’absolu, c’est-à-dire avec pour objectif d’analyser toutes les contributions possibles et leur répercussions sur l’ensemble des compartiments de l’environnement, quelque soit l’échelle de temps et d’espace. Des polluents majeurs comme les isotopes du plutonium ou le carbone-14 ne sont pas recherchés faute de moyens. Enfin, on cherche à obtenir une vue générale de la pression exercée par les activités humaines et plus particulièrement à connaître la tendance des niveaux de la radioactivité : est-on dans une phase d’augmentation ou pas ?

La méthodologie choisie s’appuie sur l’expérience du laboratoire dans ce domaine, plus d’une quinzaine d’années, et sur les pratiques usuelles d’organismes d’expertises (comme l’IRSN). Par ailleurs, les normes existantes (particulièrement celles de la série M60-780) sont mises à profit.

D’une manière générale, l’approche consiste à effectuer des prélèvements in situ d’échantillons (indicateurs) biologiques et inertes pour rendre compte de la qualité du milieu aquatique ; aucune analyse des eaux n’est donc réalisée. Les échantillons collectés subissent traitement et analyse au laboratoire pour in fine, révéler les radionucléides émettant un rayonnement gamma, qu’ils aient une origine naturelle ou artificielle. Mais par la suite, seuls les résultats concernant la radioactivité artificielle sont présentés.

Les indicateurs de l’environnement utilisés pour réaliser ce suivi sont de nature différente. En milieu marin, l’algue brune appartenant à l’espèce Fucus serratus (varech commun) et le mollusque du genre Patella sp. (bernique ou patelle) constituent les bioindicateurs systématiquement prélevés en plus des vases collectées dans les avants ports. En milieu aquatique terrestre ou dulcicole, ce sont les mousses aquatiques du genre Fontinalis sp. (mousses des fontaines) qui sont échantillonnées comme bioindicateurs en plus des sédiments.
Tous ces indicateurs, réputés de longue date pour ce genre d’évaluation, facilitent la détection des radioéléments et offrent l’avantage de couvrir un large spectre de polluants. Par ailleurs, de longues séries de résultats et de nombreux éléments de comparaison sont disponibles dans la littérature.

La fréquence des prélèvements dépend du lieu et de l’indicateur analysé. Dans les sédiments par exemple, l’analyse est annuelle en raison du délai de latence connu. A contrario, les analyses seront semestrielles dans les végétaux aquatiques comme les algues ou les mousses.

Résultats obtenus pour l’année 2004 dans les cours d’eau

Dans les environs des installations nucléaires de la Hague, comme à plus grande distance, c’est avant tout du césium-137(137Cs) qui est mis en évidence dans les cours d’eau. Hormis dans la Sainte-Hélène, cours d’eau connu pour être perturbé par les activités nucléaires, les concentrations mesurées en césium-137, de l’ordre de quelques becquerel par kilogramme de matière sèche (Bq/kg sec) sont comparables et témoignent des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, notamment des essais nucléaires atmosphériques des années 50-60. La variabilité des concentrations en césium-137 est essentiellement due à la texture même des sédiments ; la proportion de particules fines et la quantité de matière organique, facteurs influant, différent d’un lieu à l’autre.

Dans la région de la Hague, un excès de radioactivité artificielle est visible mais circonscrit uniquement à la Sainte-Hélène. Il transparaît d’abord dans le césium-137, lequel dépasse les niveaux usuels d’un facteur 10, puis dans la présence d’autres radioéléments comme le cobalt-60 (60Co) ou le ruthénium-rhodium 106 (106RuRh). On note également la présence d’iode-129 (129I). Ces polluants trouvent leur origine principalement dans les rejets gazeux des usines de retraitement présentes : retombés sur le sol des 300ha que comptent les usines, ces radioéléments sont ensuite entraînés avec les eaux de ruissellement dont l’un des exutoires est le cours d’eau Sainte-Hélène.

En aval de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, là encore il y a une légère augmentation de la radioactivité artificielle, circonscrite aux environs immédiats des réacteurs. Toutefois deux origines doivent être distinguées. Si le cobalt-58 (58Co) provient des rejets d’effluents liquides de la centrale, en revanche l’iode-131 (également présent dans d’autres cours d’eau très éloignés) traduit des contributions d’origine médicale (diagnostic ou thérapie ambulatoire).
Pour conclure, les niveaux mesurés sont voisins de ceux relevés lors des semestres précédents sauf dans le cas de l’iode-131. Ce radioélément artificiel introduit dans l’environnement principalement par les patients est à l’origine de situations radiologiques très contrastés d’un semestre à l’autre. Enfin, on peut signaler que les concentrations relevées autour des installations nucléaires de la Hague et de Nogent-sur-Seine ne sont pas les stigmates d’un incident passé mais la résultante de rejets en fonctionnement normal.

Sédiments du cours d’eau Ste-Hélène (Hague)
Date 20 mars 2004 20 mars 2004 23 juin 2004 26 juin 2004
Localisation La Brasserie
Station (code) ST10 ST12 STB ST10
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 6,3 ± 2,0 < 0,5 < 0,6 3,3 ± 1,6
137Cs 55,6 ± 7,1 60,3 ± 7,1 48,0 ± 5,7 56,7 ± 7,1
241Am 4,3 ± 1,5 0,79 ± 0,44 < 1,1 < 2,5
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau de La Hague
Date 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 20 mars 04 20 mars 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04
Ruisseau Les Landes Les Combes Les Roteures Herquemoulin Le Moulin Moulin Vaux La Vallace Les Delles Le Grand Bel La Vallace Vautier
Station (code) LAN COM ROT HER1 MP VAU VAL2 DEL GB21 VAL1 VAU
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,3 < 0,5 < 0,6 < 0,6 < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,4
137Cs 4,9 ± 0,6 5,6 ± 0,8 4,5 ± 0,7 8,4 ± 1,1 7,8 ± 1,1 5,0 ± 0,7 3,6 ± 0,6 4,7 ± 0,7 2,0 ± 0,4 4,4 ± 0,7 3,4 ± 0,5
241Am < 0,5 < 0,9 < 1,1 < 1,0 < 1,2 < 1,0 < 1,0 < 1,2 < 1,0 < 1,0 < 0,7
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau hors Hague
Date 16 mars 04 15 mars 04 15 mars 04 16 mars 04 27 mai 04 27 mai 04
Rivière La Sarthe La Touques La Risle L’Orne La Seine La Seine
Localisation aval Alençon (61) aval Lisieux (14) aval Brionne (76) aval Argentan (61) Nogent (10) Marnay (10)
Station (code) SAR TOU RIS ORN aval CNPE amont CNPE
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,4 < 0,5 < 0,6 < 0,5 < 1,9 < 0,4
137Cs 0,5 ± 0,2 1,7 ± 0,4 0,8 ± 0,3 1,1 ± 0,3 3,2 ± 1,0 0,6 ± 0,2
241Am < 0,8 < 0,9 < 0,9 < 0,8 < 1,5 < 0,6
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau influencés par des INB
Date 22 mars 04 22 mars 04 23 juin 04 27 mai 04
Rivière Ste
Hélène
La Seine
Localisation Déversoir (50) La Brasserie(50) La Brasserie Nogent (10) Marnay (10) Varennes (77)
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
58Co < 4,6 < 4,2 < 6,0 18,2 ± 2,5 < 4,2 < 3,2
60Co < 5,0 11,5 ± 2,9 8,2 ± 3,8 < 2,0 < 3,9 < 2,9
106Ru-Rh 87 ± 45 < 81 < 120 < 33 < 72 < 53
129I identifié dans tous les échantillons non identifié
131I < 4,7 < 4,7 < 6,7 6,0 ± 1,3 4,6 ± 2,8 < 4,5
137Cs 18,6 ± 3,8 31,6 ± 4,9 18,9 ± 4,8 < 2,0 < 4,4 < 3,3
241Am < 5,5 6,3 ± 2,7 < 8,8 < 2,0 < 4,0 < 3,1
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau non influencés par des INB
Date 16 mars 04 15 mars 04 15 mars 04 7 avril 04
Rivière La Sarthe La Touques La Risle La Sienne La Sélune La Vire
Localisation aval Alençon (61) aval Lisieux (14) aval Brionne (76) aval Villedieu (50) aval St Hilaire (50) aval Vire (50)
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
58Co < 4,7 < 3,0 < 3,7 < 5,5 < 4,8 < 4,3
60Co < 5,0 < 3,4 < 3,7 < 6,0 < 4,6 < 4,6
106Ru-Rh < 83 < 55 < 65 < 106 < 81 < 78
129I < 4,0 < 3,5 < 4,8 < 7,9 < 5,9 < 5,5
131I 277 ± 42 4,9 ± 2,0 < 6,2 < 5,7 < 5,0 < 5,1
137Cs < 4,7 < 3,6 < 3,9 < 6,7 < 5,1 < 4,9
241Am < 4 < 3,4 < 3,7 < 6,6 < 4,4 < 4,7

Résultats obtenus pour le premier semestre 2004 en milieu marin

Entre Granville et Saint-Valéry-en-Caux, soit le long de plus de 500 km de côtes, quatre radioéléments sont systématiquement détectés : cobalt-60, iode-129, césium-137 et américium-241. A proximité de l’émissaire de rejets en mer des usines de retraitement de la Hague, le niveau de la radioactivité artificielle augmente, notamment avec la présence de ruthénium-rhodium 106. Hormis pour le césium-137 dont une proportion plus ou moins importante provient des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, tous ces radioéléments trouvent leur origines dans les rejets en mer des usines cités ci-dessus.
La situation radiologique est très voisine de celle observée les semestres précédents. On peut donc parler d’état stationnaire, lequel, rappelons-le, s’est nettement amélioré au fil des années si on prend en référence la situation radiologique constatée au milieu des années 80. Soulignons également que l’impact des rejets des centrales nucléaires côtières n’est pas perceptible.

Algues brunes (fucus serratus) prélevées du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Baie d’Ecalgrain (50) Fermanville (50) St Vaast la Houge (50) Port en Bessin (14) Fécamp (76) St Valéry en Caux (76)
Localisation plage plage plage plage port plage port plage
Activité
des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 0,9 ± 0,4 1,5 ± 0,4 3,3 ± 0,6 1,5 ± 0,4 1,3 ± 0,4 1,0 ± 0,4 0,5 ± 0,3 1,2 ± 0,4
106Ru-Rh < 8,7 < 7,8 16,8 ± 4,7 < 7,9 < 8,4 < 8,2 < 8,4 < 8,3
129I identifié dans tous les échantillons, mais non quantifié
137Cs < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,5 0,62 ± 0,27 < 0,5 < 0,6 < 0,6
Sédiments marins (vase) prélevés du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Fermanville (50) St Vaast la Houge (50) Port en Bessin (14) La Havre (76) St Valéry en Caux (76)
Localisation port
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 1,7 ± 0,4 2,8 ± 0,5 4,7 ± 0,9 1,1 ± 0,3 7,7 ± 1,1 3,3 ± 0,5 3,5 ± 0,6
106Ru-Rh < 11 < 7,4 < 15 < 7,8 < 9,0 < 4,7 < 7,6
129I non recherché
137Cs 1,6 ± 0,4 1,3 ± 0,3 2,1 ± 0,6 1,2 ± 0,3 8,0 ± 1,1 10,0 ± 1,2 4,8 ± 0,7
241Am 10,6 ± 5,3 1,1 ± 0,4 4,5 ± 1,1 1,2 ± 0,4 2,6 ± 0,6 1,0 ± 0,3 1,2 ± 0,4
Patelles prélevées du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Baie d’Ecalgrain (50) Fermanville (50) Port en Bessin (14) St Valéry en Caux (76)
Localisation plage
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,6 0,86 ± 0,3 0,69 ± 0,33 1,3 ± 0,3 0,83 ± 0,39 < 0,5
106Ru-Rh < 7,9 < 7,8 12,7 ± 5,0 10,4 ± 3,5 < 11 < 8,3
110mAg < 0,5 < 0,5 < 0,5 < 0,4 < 0,6 < 0,5
129I non recherché
137Cs < 0,5 < 0,5 < 0,5 0,35 ± 0,19 0,77 ± 0,31 0,45 ± 0,24

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L’expertise et la transparence

Exposé de Madame Monique Sené du GSIEN, réalisé à la réunion du 14 novembre 2005 à Caen, commune aux deux CPDP déchets nucléaires et EPR
ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


En 1974, au démarrage du programme civil de construction de réacteurs, des scientifiques lancèrent un appel connu sous le nom « Appel des 400 », dont la conclusion était : « Il faut qu’un vrai débat s¹instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation.
Nous appelons la population à refuser l¹installation de ces centrales tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences.
Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs, techniciens…) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l¹opinion. » L’existence d’un groupe de scientifiques analysant les dossiers et répondant aux questionnements des citoyens nous avait été imposée par la difficulté d’obtenir les dossiers et parce que « seul le débat contradictoire peut nous préserver contre l’erreur et la persévérance dans l’erreur découlant d’une information unilatérale et complaisante », comme nous l’avions souligné.

Il est certain qu’en 30 ans l’expertise plurielle s’est au moins imposée quant à sa nécessité. Par contre en ce qui concerne son application, il reste à faire admettre que :
• l’ouverture d’un dossier doit être complète (sous contrat d’accès si nécessaire). Se borner à vouloir un questionnaire précis sur des sujets aussi vastes et complexes que la problématique déchets ou la sûreté de l’EPR ne permet pas une expertise de qualité. Pour une telle analyse, il faut pouvoir accéder au dossier, aux documents constitutifs dudit dossier. Ensuite il faut pouvoir discuter, redemander des pièces supplémentaires.
• le temps de l’expertise ne peut, donc, être trop raccourci sinon il n’est pas possible de consulter les dossiers, poser des questions, analyser les réponses puis reposer des questions.
• l’expertise peut être de plusieurs natures :

  1. cohérence du dossier en lui-même : les données de la première page ne doivent pas contredites dans les pages suivantes.
  2. crédibilité du dossier : les données s’appuient sur des études, sur des calculs et ne sont pas des croyances.
  3. validité des données : en général l’expertise plurielle aura des difficultés à atteindre ce niveau car elle devrait alors avoir des moyens de calculs, de recherche suffisants. Cependant, le Comité Scientifique de l’ANCLI  pourrait se fixer ce but, au moins sur certains dossiers particulièrement sensibles…

• l’expertise doit être menée AVANT pour figurer au même plan que les dossiers du pétitionnaire (enquêtes publiques ou débats publics). Sinon, il s’agit d’un leurre car l’expertise plurielle demandée par des citoyens du site ne sera jamais considérée au même niveau que celles des instances officielles.
Et cette attitude tue la gouvernance locale. Il est toujours aussi difficile de faire comprendre que la démocratie représentative doit s’appuyer sur la démocratie participative.

Expert, contre-expert

Notre formulation de l’époque : « Il est inquiétant que ceux qui poussent ces projets soient en même temps juges et parties » est toujours d’actualité. Pour éclairer une décision portant sur une usine ou tout autre objet technique, il faut bien sûr disposer d’un minimum de données. Or, si elles sont fournies seulement par le futur exploitant, et sans dossiers complémentaires, à savoir les analyses explicatives des divers ministères (santé, équipement, environnement, autorités de contrôles) et celles des experts associatifs, la démarche n’est pas crédible.

Je n’en veux pour preuve que l’analyse du dossier de rejets de la Hague (2000), examiné avant sa mise en enquête publique par un groupe émanant pour partie du Groupe radioécologie du Nord Cotentin. Ce fut grâce aux interventions énergiques de la présidente Annie Sugier que cette analyse figura dans le dossier d’enquête publique. Le débat public (2002) mené à propos de l’implantation de CEDRA : installation de reprise de déchets et d’entreposage à Cadarache, en est un autre exemple. Tout d’abord, les présentations techniques étaient le fait du seul CEA. Ensuite, le questionnement des associations n’a pu avoir une expression reconnue qu’à la 9e et avant dernière réunion. Le débat s’instaurait mal et ce d’autant plus que les associations faisaient le forcing. Il a été difficile de le mener à bien. Ce débat était de toute façon, illusoire : CEDRA était en enquête publique juste à la fin du débat.

Le retour d’expérience sur ces débats permet de se rendre compte de la nécessité de l’expertise plurielle mais comment et surtout à quel moment ? Il permet aussi d’affirmer que, même si c’est le futur bénéficiaire de l’installation projetée qui paie les débats, il ne peut être le seul à présenter les dossiers. Ce retour d’expérience a servi pour le débat déchets et pour le débat EPR.

Expertise plurielle certes mais laquelle :
À propos des déchets

  1.  Le CLIS de Bure commandite une expertise payante du dossier ANDRA à l’IEER (Institute for Energy and Environmental Research, USA). Or, la légitimité de cette demande a été contestée dans le rapport de l’OPCST  (mars 2005) non seulement dans les formes (l’appel d’offre serait non conforme) mais aussi dans le choix (l’institut choisi spécialiste sur d’autres questions (prolifération, plutonium) et non en la géologie). Or le CLIS a fait un appel d’offre en bonne et due forme, mais aucun spécialiste français n’a osé affronter les certitudes de l’ANDRA et du CEA. Quant à l’expertise, elle a été particulièrement difficile puisque l’ANDRA n’a pas accepté le dialogue et n’a pas ouvert les dossiers. Et pourtant l’IEER avait appel aux compétences de géologues reconnus (aux USA !!) et leur rapport est tout à fait pertinent. Et après, on s’étonnera que les associations quittent le CLIS ! Qui peut s’arroger le droit de ne pas respecter un choix de commission, effectué dans les règles, et au nom de quel principe ?
  2. Toujours dans le rapport de l’OPECST (mars 2005), un paragraphe est le suivant “Pourquoi un deuxième laboratoire en formation géologique profonde n’est pas nécessaire” ? Ce paragraphe ratiocine sur l’article 4 de la loi de 1991 : le pluriel de “laboratoires” inscrit dans cette loi pourrait entraîner à des dépenses insensées parce qu’on serait obligé de faire des recherches dans tous les types de terrain. Et pourquoi pas ?

La mise en sauvegarde de notre environnement doit être assurée. Les budgets correspondants doivent être assurés. En conséquence prétendre à la seule aune de coût non justifié qu’un laboratoire suffit, et qu’un autre est inutile parce que l’expérience internationale suffira, n’est pas de la compétence des seuls auteurs d’un tel rapport. De plus, cette affirmation a grand besoin d’être étayée, car chaque site présente des caractéristiques particulières. En conséquence, si les expérimentations réalisées sur plusieurs sites permettent de tester des modèles : un site ne renseigne que sur lui-même (failles, sismicité, hydrogéologie, etc.)
Le 30 juin 2005, lors d’une réunion de bilan scientifique l’ANDRA a, aussi, assuré n’avoir pas besoin d’un autre laboratoire. Outre qu’il n’est pas de son ressort d’affirmer qu’un seul laboratoire répond aux attentes de la nation, il n’est pas évident ni convaincant de faire des comparaisons entre “BURE et BURE”.

Plurielles, certes mais encore ?

À cette fameuse réunion du 30 juin, il n’y avait aucun expert n’ayant pas d’attache officielle. Ils étaient soit membres du CEA, de l’ANDRA, de l’IRSN soit en contrat avec les dites institutions d’où un mutisme généralisé. Quel dialogue ? Quelle restitution des recherches puisque seuls les chefs de projets se sont exprimés ? Nous n’avons pas encore appris à donner une information scientifique qui sache avouer ses limites, qui sache faire le point. Notre information se ridiculise car elle n’est que propagande.

Où est l’expertise plurielle ? Le regard extérieur ?
Et revenons au rapport de l’OPECST. Les journées organisées pour faire le bilan des recherches, ont été marquées par le même manque d’ouverture. Ne s’exprimaient que les grands instituts : CEA, ANDRA, IRSN. L’IEER n’a pas été invitée et n’a pas pu dialoguer. La Commission Nationale d’Evaluation a fait des remarques, des observations, émis des réserves, mais tout ceci est insuffisant pour les citoyens. Ils ne peuvent faire confiance à un dossier auquel ceux qui ne sont pas du sérail (et à qui ils ont confié une analyse) ne peuvent accéder.

Comment mener une expertise plurielle ?

Les experts associatifs manquent toujours de temps et de moyens. Comment mener des expertises sans finances et en des délais trop courts ? Les CLI et l’ANCLI qui les unit, devraient pouvoir jouer un rôle de premier plan dans cette approche :

  1.  En rassemblant les compétences présentes sur chaque site pour en faire bénéficier tous les autres au sein d’un comité scientifique qui sera disponible pour toutes les CLI.
  2. En finançant des expertises plurielles, nécessaires aux CLI, avec la participation d’experts de son Comité Scientifique et en s’appuyant sur des dossiers de l’IRSN avec qui un accord de coopération existe.
  3. En faisant un suivi des installations et en exigeant l’accès aux documents pour pouvoir comprendre le fonctionnement d’une installation; intervenir dans le suivi des incidents. En un mot exercer une vigilance pour aider à une sûreté de qualité et donc une sécurité accrue des populations.
  4. En permettant à tous les acteurs de se rencontrer, de se confronter, de poser des questions et d’obtenir des réponses.
    Les CLI et l’ANCLI seront (sont déjà ?) des interlocuteurs incontournables si la pluralité des points de vue y est respectée. Il faut aussi que leur indépendance soit garantie par une composition plurielle et qu’un financement leur soit assuré.

Conclusion

L’accès à l’information n’est pas suffisant si cette information ne peut pas être analysée de façon plurielle et en ayant le temps nécessaire à cette analyse. Il est bon que les divers instituts (CEA, ANDRA, IRSN, ministères) se concertent et fassent des rapports, mais ce n’est pas suffisant. Les citoyens sont en droit d’exiger qu’un extérieur au sérail se penche sur les dossiers.

L’OPESCT affirme que « seul le Parlement a la légitimité pour conduire un débat sur la question d’intérêt national de la poursuite des études sur des installations liées à la gestion des déchets radioactifs ». Certes, mais sans avoir entendu les populations, sans écouter leurs questions, sans accepter de leur répondre, la démocratie représentative a-t-elle peur de la démocratie participative ? Pourquoi les citoyens sont-ils bâillonnés ? La démocratie représentative est-elle si sûre de tout savoir ? La décision, prise en 2004 pour 2020 (?), d’avoir un recours important au nucléaire repose-t-elle sur une connaissance de tous les aspects du dossier ? Ou bien cède-t-on aux groupes de pression (AREVA et EDF) ?

Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle. En 1977, dans l’annexe 23 du rapport de la Commission des finances dit rapport Schloesing, il était déjà relevé que la Commission PEON (Production d’Electricité d’Origine Nucléaire) qui avait conseillé le recours massif au nucléaire était constituée en grande partie de représentants d’EDF et d’industriels du secteur. « Cette composition en elle-même fait problème. On n’imagine pas que la politique des constructions scolaires soit, pour l’essentiel, élaborée par les entreprises du bâtiment » écrivait le rapporteur. L’histoire bégaie.

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Secret nucléaire et droit à l’information

ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


Lors du débat national sur le réacteur EPR, l’affirmation par le réseau sortir du nucléaire qu’il possède « un document confidentiel défense […] interne à EdF qui reconnaît que le réacteur EPR est aussi vulnérable que les réacteurs actuels à un crash suicide style 11 septembre 2001 » a été censurée parce qu’il est illégal d’affirmer posséder un document classé et de proposer de le diffuser.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que les débats publics se heurtent aux secrets militaires et commerciaux. Alors que les citoyens sont invités à se prononcer sur l’opportunité d’implanter un réacteur EPR à Flamanville, comment justifier le refus d’accéder à certains documents lui permettant de se faire une opinion ? Où est la limite entre les exigences de transparence, démocratie d’un côté et sécurité nationale de l’autre ? Comment garantir que le recours au secret ne permet pas de cacher des failles inavouables ? que le Président de la République en personne a récemment, lors de ses vœux aux forces vives de la Nation le 6 janvier 2006, exprimé son souhait de renforcer encore la transparence dans ce domaine.

Les Commissions Particulières de Débat Publique (CPDP) consacrées à l’EPR et aux déchets nucléaires ont tenté de faire le point en réunissant un groupe de travail sur l’accès aux documents. L’ACRO y était invitée. Cela a consisté en quelque réunions à Paris et une restitution au public à Dunkerque le 30 janvier à laquelle nous n’avons pas été invités à intervenir.

Les finalités de ce groupe de travail n’étaient pas claires. Officiellement, « il s’inscrit dans une perspective plus large d’analyse du « conflit d’exigences » reconnu par tous entre le pluralisme et l’exhaustivité de la concertation et les secrets préservant les intérêts des industriels et de la Nation ». Pour le Haut Fonctionnaire Défense du Ministère de l’Industrie « il n’entre pas dans les attributions ni le mandat de la Commission de travailler sur le fondement ou les modalités de mise en œuvre de la réglementation relative à la protection du secret de la défense nationale, qui relèvent de la responsabilité, d’une part, du Législateur et, d’autre part, du Gouvernement ». Mais les CPDP ont invité un juriste à « mener une réflexion juridique sur les fondements du droit d’accès à l’information en matière d’environnement » qui a fait des propositions de réforme… D’une manière générale, le but des CPDP est de faire un état des lieux, non de préconiser.

D’un point de vue pratique, le fonctionnement de ce groupe de travail ne respectait pas la temporalité associative. Pour un bénévole qui n’a que ces soirées et week-end pour travailler les dossiers, avoir à valider un document reçu le matin pour le soir même est impossible. De même, les réunions doivent être programmées suffisamment à l’avance pour pouvoir s’organiser. Ce ne fut pas toujours le cas et notre participation n’a été que partielle. Ce n’est qu’à la suite de la démission du représentant de l’ACRO que la CPDP a accepté de commencer ses réunions une heure plus tard afin de pouvoir venir le matin même. C’est assez pitoyable pour une commission supposée favoriser le dialogue…

Sur le fond, le groupe de travail a surtout permis de mesurer le fossé existant entre les protagonistes. Pour les représentants du Haut Fonctionnaire Défense, tout est parfait. Mais, comme une sorte d’aveux, les seules preuves de « la politique de transparence voulue par le Gouvernement dans le domaine nucléaire » qu’ils aient trouvées est que le « projet de loi relatif à la transparence nucléaire qui renforcera le droit d’accès à l’information sera soumis au Sénat les 7, 8 et 9 février 2006. » Il a été reporté sine die, une fois de plus… Cela ne fait que 8 ans qu’il dort dans les cartons… Et d’ajouter, « que le Président de la République en personne a récemment, lors de ses vœux aux forces vives de la Nation le 6 janvier 2006, exprimé son souhait de renforcer encore la transparence dans ce domaine. » Sic ! Pour couronner le tout, ils se sont même interrogés oralement sur les raisons pour lesquelles ils devaient rendre des comptes devant la CNDP et aux citoyens, alors qu’il ne leur était demandé qu’une explication des procédures. A l’opposé, les associations présentes (Global Chance, GSIEN et ACRO) militent pour plus de démocratie participative, avec tout ce que cela implique en termes de transparence.

A noter aussi que la CPDP a commandité une comparaison internationale sur le périmètre du secret qui devrait être a priori intéressante. Mais à l’heure où cet article est écrit, ces conclusions ne sont pas connues. Tous les documents relatifs aux travaux de ce groupe ont vocation à être publics. Nous prenons le parti de ne reprendre ici qu’un texte de Monique Sené, présidente du GSIEN (Groupe de Scientifique pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) qui met en perspective les enjeux de ce travail et des extraits des textes de Michel Prieur, Professeur émérite agrégé de droit à l’Université de Limoges.

Il est encore trop tôt pour savoir si ce travail aura fait avancer les choses. Les discussions ont surtout tenté de clarifier les antagonismes, car ni EdF, ni les fonctionnaires défense n’ont le pouvoir de changer la réglementation. Le pouvoir politique, seul habilité à changer la réglementation et les pratiques, aura été le grand absent de ces débats.

A lire,

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Alerte à la grippe contestataire

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°71, décembre 2005


Dans une interview au “Point” du 13 octobre 2005, Christian Frémont, préfet de région chargé par le premier ministre de coordonner l’action des pouvoirs publics pour accueillir le projet de réacteur ITER, explique que : « d’éventuelles oppositions doivent être traitées le plus en amont possible ». Comme on traiterait une maladie ou des parasites… Et en guise de traitement pour ce qui concerne la route à grand gabarit nécessaire à l’acheminement des pièces du réacteur depuis le port de Fos, « le gouvernement envisage une loi permettant d’alléger certaines procédures. » On ne s’attaque qu’aux symptômes en les rendant moins voyants, mais avec un risque certain de radicalisation. Il faut plus qu’une aspirine pour soigner le pays de la grippe contestataire.

Pour l’EPR, les autorités ont essayé de traiter les oppositions bien en amont. Dès 2003, elles ont organisé un grand débat national sur l’énergie pour relancer le nucléaire. Un traitement miracle pour Nicole Fontaine, alors ministre de l’industrie, qui se félicitait dans son discours de clôture le 24 mai à Paris, du « grand dialogue démocratique, inédit à ce jour sur un sujet essentiel pour notre avenir commun » qu’elle avait organisé. Et d’ajouter qu’elle se réjouissait « que cette expérience de démocratie participative ait tenu ses promesses ». Mais les trois Sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie ont conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin, a dans ce même rapport clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » La maladie semble contagieuse en atteignant même le soignant, malgré le boycott d’associations anti-nucléaires.

Le 8 octobre 2003, le député du Rhône, Jean Besson, chargé de relayer le Débat auprès de la représentation nationale publie un rapport où il estime que « l’époque où les décisions étaient prises dans un cercle restreint sur la base de rapports d’experts est révolue ». « Il faut prendre le temps d’expliquer, d’écouter les arguments opposés et, si possible, d’emporter l’adhésion. » S’exposer ainsi à l’opposition est priori très risqué. Qu’on se rassure, le député, prétendument représentant de la population, n’a consulté, en dehors des débats, que des élus, officiels et industriels (à la seule exception de Greenpeace), pour finalement conclure « qu’il est raisonnable d’envisager le démarrage d’un démonstrateur ».

La population, toujours pas convaincue, a encore besoin d’un traitement et donc un nouveau débat imposé par la loi est organisé. Mais plus question de prendre des risques ! Le gouvernement, soutenu par la majorité de la représentation nationale, a déjà inscrit l’EPR dans la loi sur l’énergie du 13 juillet 2005, tout comme ITER. Pour que les choses soient claires, le Premier Ministre, Dominique de Villepin, a déjà conclu, avant même que le débat ne démarre : « Conformément à la loi du 13 juillet dernier et au vu des conclusions du débat public en cours, EDF construira le premier réacteur EPR à Flamanville. »

Pourquoi débattre alors, si tout est décidé ? Pour Bernard Bigot, Haut Commissaire à l’Energie Atomique, sur France Culture le 22 octobre 2005, il s’agit de « construire progressivement une relation de confiance », après avoir expliqué que pour les déchets nucléaires, « il est légitime que l’opinion publique nationale puisse prendre connaissance de ces différentes options et éventuellement exprime sa faveur en direction de l’une ou l’autre d’entre elles. » Aucune place à l’opposition.

Lors des préparatifs, la Commission du Débat Public a su se mettre à l’écoute des associations, même les plus opposées au nucléaire en leur permettant de s’exprimer équitablement. C’en était trop pour le fonctionnaire de défense qui a censuré l’affirmation par le Réseau Sortir du Nucléaire qu’il possède « un document confidentiel défense […] interne à EdF qui reconnaît que le réacteur EPR est aussi vulnérable que les réacteurs actuels à un crash suicide style 11 septembre 2001. » L’évocation même de ce document est donc interdite. Le compromis proposé par la commission du débat d’autoriser un panel d’experts indépendants à accéder à l’ensemble des documents pouvant permettre de répondre aux questions exprimées lors des débats publics a reçu une fin de non-recevoir. Conséquence logique, toutes les associations indépendantes de l’industrie nucléaire se sont retirées des débats en cours.

Est-ce par peur d’une épidémie d’opposition que le gouvernement a bloqué un débat sans enjeu ? Il semble vouloir affaiblir les débats publics et la Commission Nationale chargée de les organiser.

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