Alerte à la grippe contestataire

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°71, décembre 2005


Dans une interview au “Point” du 13 octobre 2005, Christian Frémont, préfet de région chargé par le premier ministre de coordonner l’action des pouvoirs publics pour accueillir le projet de réacteur ITER, explique que : « d’éventuelles oppositions doivent être traitées le plus en amont possible ». Comme on traiterait une maladie ou des parasites… Et en guise de traitement pour ce qui concerne la route à grand gabarit nécessaire à l’acheminement des pièces du réacteur depuis le port de Fos, « le gouvernement envisage une loi permettant d’alléger certaines procédures. » On ne s’attaque qu’aux symptômes en les rendant moins voyants, mais avec un risque certain de radicalisation. Il faut plus qu’une aspirine pour soigner le pays de la grippe contestataire.

Pour l’EPR, les autorités ont essayé de traiter les oppositions bien en amont. Dès 2003, elles ont organisé un grand débat national sur l’énergie pour relancer le nucléaire. Un traitement miracle pour Nicole Fontaine, alors ministre de l’industrie, qui se félicitait dans son discours de clôture le 24 mai à Paris, du « grand dialogue démocratique, inédit à ce jour sur un sujet essentiel pour notre avenir commun » qu’elle avait organisé. Et d’ajouter qu’elle se réjouissait « que cette expérience de démocratie participative ait tenu ses promesses ». Mais les trois Sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie ont conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin, a dans ce même rapport clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » La maladie semble contagieuse en atteignant même le soignant, malgré le boycott d’associations anti-nucléaires.

Le 8 octobre 2003, le député du Rhône, Jean Besson, chargé de relayer le Débat auprès de la représentation nationale publie un rapport où il estime que « l’époque où les décisions étaient prises dans un cercle restreint sur la base de rapports d’experts est révolue ». « Il faut prendre le temps d’expliquer, d’écouter les arguments opposés et, si possible, d’emporter l’adhésion. » S’exposer ainsi à l’opposition est priori très risqué. Qu’on se rassure, le député, prétendument représentant de la population, n’a consulté, en dehors des débats, que des élus, officiels et industriels (à la seule exception de Greenpeace), pour finalement conclure « qu’il est raisonnable d’envisager le démarrage d’un démonstrateur ».

La population, toujours pas convaincue, a encore besoin d’un traitement et donc un nouveau débat imposé par la loi est organisé. Mais plus question de prendre des risques ! Le gouvernement, soutenu par la majorité de la représentation nationale, a déjà inscrit l’EPR dans la loi sur l’énergie du 13 juillet 2005, tout comme ITER. Pour que les choses soient claires, le Premier Ministre, Dominique de Villepin, a déjà conclu, avant même que le débat ne démarre : « Conformément à la loi du 13 juillet dernier et au vu des conclusions du débat public en cours, EDF construira le premier réacteur EPR à Flamanville. »

Pourquoi débattre alors, si tout est décidé ? Pour Bernard Bigot, Haut Commissaire à l’Energie Atomique, sur France Culture le 22 octobre 2005, il s’agit de « construire progressivement une relation de confiance », après avoir expliqué que pour les déchets nucléaires, « il est légitime que l’opinion publique nationale puisse prendre connaissance de ces différentes options et éventuellement exprime sa faveur en direction de l’une ou l’autre d’entre elles. » Aucune place à l’opposition.

Lors des préparatifs, la Commission du Débat Public a su se mettre à l’écoute des associations, même les plus opposées au nucléaire en leur permettant de s’exprimer équitablement. C’en était trop pour le fonctionnaire de défense qui a censuré l’affirmation par le Réseau Sortir du Nucléaire qu’il possède « un document confidentiel défense […] interne à EdF qui reconnaît que le réacteur EPR est aussi vulnérable que les réacteurs actuels à un crash suicide style 11 septembre 2001. » L’évocation même de ce document est donc interdite. Le compromis proposé par la commission du débat d’autoriser un panel d’experts indépendants à accéder à l’ensemble des documents pouvant permettre de répondre aux questions exprimées lors des débats publics a reçu une fin de non-recevoir. Conséquence logique, toutes les associations indépendantes de l’industrie nucléaire se sont retirées des débats en cours.

Est-ce par peur d’une épidémie d’opposition que le gouvernement a bloqué un débat sans enjeu ? Il semble vouloir affaiblir les débats publics et la Commission Nationale chargée de les organiser.

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