Secret nucléaire et droit à l’information

ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


Lors du débat national sur le réacteur EPR, l’affirmation par le réseau sortir du nucléaire qu’il possède « un document confidentiel défense […] interne à EdF qui reconnaît que le réacteur EPR est aussi vulnérable que les réacteurs actuels à un crash suicide style 11 septembre 2001 » a été censurée parce qu’il est illégal d’affirmer posséder un document classé et de proposer de le diffuser.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que les débats publics se heurtent aux secrets militaires et commerciaux. Alors que les citoyens sont invités à se prononcer sur l’opportunité d’implanter un réacteur EPR à Flamanville, comment justifier le refus d’accéder à certains documents lui permettant de se faire une opinion ? Où est la limite entre les exigences de transparence, démocratie d’un côté et sécurité nationale de l’autre ? Comment garantir que le recours au secret ne permet pas de cacher des failles inavouables ? que le Président de la République en personne a récemment, lors de ses vœux aux forces vives de la Nation le 6 janvier 2006, exprimé son souhait de renforcer encore la transparence dans ce domaine.

Les Commissions Particulières de Débat Publique (CPDP) consacrées à l’EPR et aux déchets nucléaires ont tenté de faire le point en réunissant un groupe de travail sur l’accès aux documents. L’ACRO y était invitée. Cela a consisté en quelque réunions à Paris et une restitution au public à Dunkerque le 30 janvier à laquelle nous n’avons pas été invités à intervenir.

Les finalités de ce groupe de travail n’étaient pas claires. Officiellement, « il s’inscrit dans une perspective plus large d’analyse du « conflit d’exigences » reconnu par tous entre le pluralisme et l’exhaustivité de la concertation et les secrets préservant les intérêts des industriels et de la Nation ». Pour le Haut Fonctionnaire Défense du Ministère de l’Industrie « il n’entre pas dans les attributions ni le mandat de la Commission de travailler sur le fondement ou les modalités de mise en œuvre de la réglementation relative à la protection du secret de la défense nationale, qui relèvent de la responsabilité, d’une part, du Législateur et, d’autre part, du Gouvernement ». Mais les CPDP ont invité un juriste à « mener une réflexion juridique sur les fondements du droit d’accès à l’information en matière d’environnement » qui a fait des propositions de réforme… D’une manière générale, le but des CPDP est de faire un état des lieux, non de préconiser.

D’un point de vue pratique, le fonctionnement de ce groupe de travail ne respectait pas la temporalité associative. Pour un bénévole qui n’a que ces soirées et week-end pour travailler les dossiers, avoir à valider un document reçu le matin pour le soir même est impossible. De même, les réunions doivent être programmées suffisamment à l’avance pour pouvoir s’organiser. Ce ne fut pas toujours le cas et notre participation n’a été que partielle. Ce n’est qu’à la suite de la démission du représentant de l’ACRO que la CPDP a accepté de commencer ses réunions une heure plus tard afin de pouvoir venir le matin même. C’est assez pitoyable pour une commission supposée favoriser le dialogue…

Sur le fond, le groupe de travail a surtout permis de mesurer le fossé existant entre les protagonistes. Pour les représentants du Haut Fonctionnaire Défense, tout est parfait. Mais, comme une sorte d’aveux, les seules preuves de « la politique de transparence voulue par le Gouvernement dans le domaine nucléaire » qu’ils aient trouvées est que le « projet de loi relatif à la transparence nucléaire qui renforcera le droit d’accès à l’information sera soumis au Sénat les 7, 8 et 9 février 2006. » Il a été reporté sine die, une fois de plus… Cela ne fait que 8 ans qu’il dort dans les cartons… Et d’ajouter, « que le Président de la République en personne a récemment, lors de ses vœux aux forces vives de la Nation le 6 janvier 2006, exprimé son souhait de renforcer encore la transparence dans ce domaine. » Sic ! Pour couronner le tout, ils se sont même interrogés oralement sur les raisons pour lesquelles ils devaient rendre des comptes devant la CNDP et aux citoyens, alors qu’il ne leur était demandé qu’une explication des procédures. A l’opposé, les associations présentes (Global Chance, GSIEN et ACRO) militent pour plus de démocratie participative, avec tout ce que cela implique en termes de transparence.

A noter aussi que la CPDP a commandité une comparaison internationale sur le périmètre du secret qui devrait être a priori intéressante. Mais à l’heure où cet article est écrit, ces conclusions ne sont pas connues. Tous les documents relatifs aux travaux de ce groupe ont vocation à être publics. Nous prenons le parti de ne reprendre ici qu’un texte de Monique Sené, présidente du GSIEN (Groupe de Scientifique pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) qui met en perspective les enjeux de ce travail et des extraits des textes de Michel Prieur, Professeur émérite agrégé de droit à l’Université de Limoges.

Il est encore trop tôt pour savoir si ce travail aura fait avancer les choses. Les discussions ont surtout tenté de clarifier les antagonismes, car ni EdF, ni les fonctionnaires défense n’ont le pouvoir de changer la réglementation. Le pouvoir politique, seul habilité à changer la réglementation et les pratiques, aura été le grand absent de ces débats.

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