Secret et accès à l’information

Conclusions et constats partagés du groupe de travail mis en place par les commissions particulières de débat public sur l’EPR et les déchets nucléaires
Position de l’ACRO
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CONCLUSION  •  CONSTATS PARTAGES

Les difficultés rencontrées sur le thème du secret au cours des deux débats publics sur le nucléaire, concernant le projet de réacteur EPR d’une part et la gestion des déchets nucléaires d’autre part, ont fait de l’accès à l’information un thème majeur du débat, approfondi notamment dans le cadre d’un groupe de travail et de deux réunions publiques, l’une commune aux deux débats le 14 novembre 2005 à Caen et la seconde dans le débat EPR le 30 janvier à Dunkerque.
Les travaux menés au sein du groupe de travail, enrichis des réflexions apportées par d’autres acteurs au cours des débats, font apparaître un certain nombre de conclusions fortes. A travers les constats partagés et les divergences parfois profondes, les points suivants ressortent des échanges :

•    La confiance des citoyens dans la capacité d’accès à l’information sur le nucléaire civil doit être renforcée

1.    Un « conflit d’exigences » existe entre le pluralisme et l’exhaustivité nécessaires au débat public et le respect de secrets liés à la sécurité dans le domaine du nucléaire civil.
Cette question revêt, dans le triple contexte d’un manque de confiance du public, de l’après 11 septembre et de choix à venir sur le renouvellement des équipements nucléaires, une importance majeure. Sa « résolution » passe par une clarification de la délimitation et de la justification de l’ensemble des secrets et par la réflexion sur les mécanismes susceptibles d’apporter l’information au public dans le respect de leurs limites.

2.    La confiance des citoyens dans les informations qui leur sont accessibles est un élément essentiel pour leur participation aux débats sur les risques auxquels ils se sentent exposés.
La faiblesse de la confiance placée par les citoyens dans les informations disponibles, en particulier dans celles données par l’Etat, sur les questions ayant trait aux affaires nucléaires civiles est un obstacle majeur à la démocratisation des choix dans ce domaine.

3.    La démarche de « transparence », comprise comme la mise à disposition du public d’une information choisie par ses détenteurs, apparaît nécessaire mais non suffisante pour résoudre ce problème.
La construction de la « confiance » renvoie à l’existence de dispositifs liant l’accès du public aux informations à sa demande, la capacité d’expertise nécessaire au traitement pluraliste de ces informations et la reconnaissance de ce pluralisme dans les processus de décision – perçue comme un facteur d’amélioration des décisions.

•    L’existence de secrets protègeant les industriels et les intérêts de la Nation apparaît d’autant plus légitime qu’ils sont bien délimités

4.    L’accès à l’information est légitimement borné par la protection d’intérêts privés ou publics. Un consensus existe, dans son principe, sur l’édiction de règles juridiques qui empêchent de livrer au public des informations couvertes :

•    les unes par les secrets industriel et commercial nécessaires à la protection de certains intérêts des entreprises,
•    les autres par le secret de défense nationale, élément parmi d’autres, de la protection d’intérêts vitaux de la Nation.

5.    Ces secrets doivent toutefois, conformément à une évolution très forte du droit international, constituer des exceptions aussi limitées que possibles à une règle d’accès à l’information.
Bien que ce principe soit inscrit dans le droit français, le sentiment de faible information dans le domaine du nucléaire civil tient aussi à la difficulté d’obtenir des informations sur des points qui ne sont pas explicitement couverts par les secrets. L’existence de cette zone grise, ou de secret « par omission », semble un obstacle culturel français rencontré également dans d’autres domaines.

6.    Il importe donc, sur les questions de sûreté et de sécurité (et par extension de risques pour les personnes et pour l’environnement) liées aux activités nucléaires civiles, de distinguer trois questions :

•    la frontière, c’est-à-dire les critères et les procédures délimitant les informations couvertes par un secret des informations en principe publiques;
•    le « dehors », c’est-à-dire les règles et les pratiques rendant réellement disponible l’information théoriquement accessible ;
•    le « dedans », c’est-à-dire les dispositifs de restitution susceptibles d’apporter au public de la confiance dans le degré de protection sans rompre la confidentialité nécessaire des informations.

7.    Il convient par ailleurs de bien distinguer l’analyse du périmètre des secrets selon les domaines d’application, les intérêts protégés et les autorités qui les traitent :

•    dans le domaine de la sûreté, c’est-à-dire de la protection contre les circonstances accidentelles, on rencontre essentiellement :
– le secret industriel, qui s’applique de façon bien délimitée à la protection de la conception et du savoir-faire sur des éléments précis du système technique,
– et le secret commercial, qui s’applique de façon plus subjective à des informations sensibles en termes concurrentiels ;
•    dans le domaine de la sécurité, c’est le secret défense qui s’applique aux dispositions de tous ordres prises pour la protection contre le détournement des matières nucléaires et contre les actes de malveillance en fonction des différents types de menaces considérées;
•    un problème spécifique apparaît sur des questions qui se trouvent à l’intersection des deux domaines, c’est le cas notamment de la résistance des installations aux chutes d’avion.

•    Le respect du secret industriel et commercial ne s’oppose pas à une plus grande ouverture sur les dossiers de sûreté nucléaire

8.    Le périmètre du secret industriel et commercial fait moins question qu’une utilisation extensive qui peut en être faite. La pratique suggère en effet un écart entre l’information réellement couverte par ce secret et l’information réellement mise à disposition du public par les opérateurs et les pouvoirs publics.

9.    L’accès à l’information pourrait dans ce domaine être fortement amélioré par une évolution des pratiques visant à limiter la confidentialité aux seules informations réellement protégées. Il s’agirait par exemple d’établir le rapport de sûreté comme un document public dont certaines parties seulement demeureraient confidentielles.
De même, une évolution vers une attitude plus positive en général des détenteurs de ces informations vis-à-vis de demandes spécifiques du public semble souhaitable.

10.    La voie de l’expertise pluraliste, expérimentée dans le cadre du débat public à travers une première investigation d’éléments du rapport préliminaire de sûreté par des experts indépendants, devrait être confortée. L’élargissement de l’accès d’experts indépendants mandatés par des organismes reconnus, sous accord de confidentialité, aux dossiers des opérateurs est une étape importante à franchir.
D’autres pistes de réflexion sont proposées concernant la composition des groupes d’experts chargés d’appuyer les autorités sur les dossiers de sûreté ou la mise en débat des avis de ces groupes.

11.    Plus largement, de telles évolutions passent probablement par la mise en place de règles elles-mêmes plus transparentes pour l’instruction des demandes d’information, la justification des refus et les procédures de recours. De plus, un rôle renforcé des lieux de dialogues territoriaux que sont les CLI et leur fédération nationale paraît souhaitable.
La loi sur la transparence nucléaire en préparation devrait permettre d’établir un tel cadre, que des décrets d’application pourraient préciser.

•    Le secret de défense est un élément indispensable de la sécurité nucléaire mais son rôle et sa limite restent sujets à débat

12.    Le périmètre du secret défense reste l’objet de débats, voire d’incompréhension. Si sa délimitation thématique est spécifiquement établie par l’arrêté du 26 janvier 2004, il paraît beaucoup plus facile d’avoir une vision concrète de cette limite de l’intérieur que de l’extérieur, ce qui constitue un obstable majeur à la discussion entre personnes « habilitées » ou non. En matière de sécurité nucléaire, le secret est, au même titre que les dispositifs de protection physique, un élément de ce que l’on désigne comme la « défense en profondeur » : de ce fait, caractériser le secret revient pour les autorités à en affaiblir la portée, donc à réduire l’efficacité de la protection qu’il apporte.
Sa fonction même confère au périmètre du secret défense un caractère fluctuant : ainsi, les secrets à préserver peuvent évoluer dans le temps en fonction de l’évaluation des menaces crédibles. De plus, l’agrégation d’informations non secrètes isolément peut constituer une information secrète.

13.    Cette vision du secret défense appliqué à la sécurité nucléaire se heurte à la demande de clarification de son rôle dans l’ensemble des dispositifs de protection. Ce problème se pose particulièrement à la frontière entre sûreté et sécurité : la protection d’une installation nucléaire contre la chute d’avion de ligne (parmi différents scénarios d’attaque terroriste de grande ampleur) recouvre plusieurs aspects, dont la résistance propre de l’installation qui est une problématique de sûreté.
Il existe sur ce plan un conflit entre l’usage extensif du secret comme instrument de réduction de l’efficacité d’actes de malveillance et la possibilité de garantir explicitement pour le public un degré de résistance de l’installation à des scénarios déterminés.

14.    Face à cette difficulté, il apparait d’abord souhaitable que le Gouvernement procède dans ce domaine à une explication plus systématique sur la démarche globale de sécurité, qui reste mal connue. Le document annexe à la lettre du Ministre de l’industrie à la CNDP du 12 octobre 2005, en plaçant la question de la sécurité de l’EPR dans un contexte global, en fournit un premier exemple.
La mise à disposition systématique du public du rapport annuel au Parlement du Bureau sécurité et contrôle des matières nucléaires et sensibles (BSCMNS) du service du Haut fonctionnaire de défense du MINEFI, dont le rapport 2004 a été rendu public dans le cadre du débat, est également un élément très important d’information du public.
Dans le même registre, certains suggèrent que l’édition d’un guide précisant la nature des documents susceptibles d’être classifiés dans le domaine du nucléaire civil et les raisons de cette classification pourrait améliorer la compréhension du rôle du secret dans la sécurité nucléaire. Les divergences sur ce point illustrent la difficulté du sujet : pour certains membres du groupe, un tel guide risquerait, pour englober dans une approche générale l’ensemble des situations envisageables, d’étendre le périmètre du secret au-delà de ce qui est strictement nécessaire ; pour d’autres il constituerait, même dans ce cas, un élément susceptible d’améliorer la confiance.

15.    Au-delà, une réflexion reste à mener, sous l’égide des pouvoirs publics, sur des formes d’expertise collégiale susceptibles de renforcer la confiance du public dans le domaine de la sécurité nucléaire. Il s’agirait notamment d’apporter un éclairage sur les choix de conception qui déterminent les rôles respectifs du secret et d’autres dispositifs dans la protection globale des installations nucléaires, et la garantie que le secret ne couvre pas des défaillances vis-à-vis d’objectifs affichés.
Cette réflexion se heurte à la limitation de l’accès aux informations couvertes par le secret défense aux personnes remplissant la double condition d’être habilitées et de justifier par leur fonction d’un « besoin d’en connaître ».

16.    Les conditions dans lesquelles il peut être fait appel à la Commission consultative du secret de la défense nationale apparaissent très restrictives. L’élargissement des conditions de sa saisine pour renforcer l’accès des citoyens au recours sur l’application du secret de défense dans le domaine du nucléaire pourrait être étudié.

17.    Sur un plan plus large, le Gouvernement pourrait s’interroger sur l’évolution des lois et règlements concernant le secret de défense. Une étude menée par un juriste spécialiste du droit de l’environnement suggère que celui-ci devrait être adapté pour mieux prendre en compte les évolutions du droit français et international. Le Groupe, dont certains membres ne partagent pas cette analyse, ne prend pas position, à ce sujet, sur le fond.

Position de l’ACRO

Communication de l’ACRO à la CPDP-EPR, 16 mars 2006

L’ACRO n’a pu participer qu’en tant que simple spectateur au groupe de travail sur l’accès à l’information, car les méthodes de fonctionnement de ce groupe étaient incompatibles avec la temporalité associative. En effet, il n’est pas possible à un bénévole, qui doit prendre un jour de congé pour se rendre à une réunion à Paris, de décider soudainement d’une réunion pour le lendemain. Nous n’avons donc pas pu contribuer à l’élaboration de la liste des questions. Le bénévole n’a que ses soirées et week-end pour travailler sur les dossiers. Il n’est pas possible de valider pour le soir même la liste de questions reçue le matin par mail. Il est de plus regrettable qu’il ait fallu que le représentant de l’ACRO démissionne pour que les organisateurs de ce groupe de travail acceptent de décaler d’une heure le début des réunions afin qu’il puisse venir de province le matin même.

Sur le fond, le secret défense est supposé constituer la première barrière contre les agressions extérieures. Cette barrière est très fragile : pour les transports, Greenpeace a montré comment, avec un peu d’organisation, on pouvait facilement la contourner. En revanche, le secret pose une limite à l’exercice la démocratie. Nous pensons que l’intérêt démocratique, avec une réelle implication citoyenne sur des sujets qui touchent au bien commun qu’est l’environnement, est supérieur à la prétendue sécurité apportée par le secret. Nous ne sommes donc pas satisfaits par les réponses apportées par le haut fonctionnaire de défense du MINEFI.

Nous retenons que le principal mérite de ce groupe de travail aura été d’éclairer l’état des lieux. L’ACRO fait sienne les conclusions du groupe de travail.

Liens

  • Télécharger le rapport complet du groupe de travail (3,5 Mo)
  • Dossier de l’ACROnique du nucléaire n°72 de mars 2006 sur le sujet

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