ACROnique du nucléaire n°68, mars 2005
Le centre de recherchebiomédicale CYCERON, situé à Caen dans le Calvados, utilisant la technologie de Tomographie par Emission de Positons (TEP), a commandé à l’ACRO une étude d’impact précédent des travaux d’agrandissement. Nous publions ici les principaux résultats de cette étude.
Les recherches et les investigations biomédicales réalisés au sein de l’établissement CYCERON nécessitent au préalable la production d’éléments radioactifs (15O, 11C ou 18F). Cette opération est assurée en interne à l’aide d’un cyclotron, un dispositif qui permet d’accélérer les particules (ions). Dotées d’une énergie (ou vitesse) suffisante, les particules frappent ensuite une cible. Par suite d’interaction des particules avec les éléments constitutifs de la cible, ces derniers initialement stables deviennent instables, donc radioactifs. Ce mode de production est très courant, particulièrement dans les secteurs de la recherche et conduit à la production de radionucléides appelés produits d’activation.
Après quoi, ces produits d’activation sont transférés vers le laboratoire de chimie dont la vocation est d’assurer la synthèse des molécules radioactives nécessaires à l’exploration in vivo et de préparer les injections qui seront faites ultérieurement aux patients
Dans le cadre du fonctionnement normal de l’installation, des rejets d’effluents radioactifs gazeux sont régulièrement effectués, principalement par le biais de deux cheminées. Ces rejets font l’objet d’un contrôle interne et sont réglementés.
Si les radionucléides fabriqués ont une période physique inférieure à 2 heures, d’autres produits d’activation mais de période physique beaucoup plus longue sont également formés, leur création est involontaire. Dans les rejets d’effluents radioactifs gazeux, ces radionucléides « parasites » peuvent coexister avec les premiers et entraîner un marquage durable de l’environnement, variable selon les compartiments étudiés (eau, terre, végétaux, etc.).
C’est dans ce contexte que l’ACRO a réalisé fin 2003 un bilan radiologique pour le compte de CYCERON autour de ses installations caennaises.
A cet effet, trois démarches complémentaires ont été retenues.
• inventorier les radionucléides émetteurs gamma présents dans différents compartiments de l’environnement
• vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû au rayonnement gamma.
• vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû aux neutrons émis lors d’une session de production de radionucléides à l’aide du cyclotron.
LES RADIONUCLEIDES EMETTEURS GAMMA
La première approche a consisté à inventorier les radionucléides émetteurs gamma présents dans différents compartiments de l’environnement jugés comme intéressant par rapport aux dépôts atmosphériques (secs et humides), voie privilégiée de contamination. Deux types de compartiments ont alors été échantillonnés pour analyse :
➢ Ceux qui constituent un vecteur potentiel d’atteinte à l’homme parce qu’ils participent au processus de contamination de la chaîne alimentaire ou d’irradiation externe. La nature des compartiments sélectionnés dépend alors des processus d’échanges des radionucléides dans le milieu terrestre et des potentialités qu’offre le site (présence ou non de cultures par exemple).
➢ Ceux connus de longue date pour leur aptitude à révéler la présence de radionucléides à l’état de traces dans l’atmosphère. Par définition, ils ne permettent pas d’évaluer les transferts à l’homme mais sont d’excellents outils dans le cadre d’une approche qualitative visant à cibler les éventuels polluants radioactifs devant faire l’objet d’une attention particulière. Ils se dénomment bioindicateurs et les plus connus sont les lichens. Le choix d’échantillonner un bioindicateur plutôt qu’un autre repose alors principalement sur les potentialités qu’offre le site (comme l’abondance par exemple) mais aussi sur la facilité d’identification.
Considérant les potentialités environnementales offertes par le site, l’accessibilité par le public et l’intensité estimée des dépôts, les investigations ont portée sur trois zones :
• En premier sur les 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON en raison de l’accessibilité du lieu par le public et de l’existence (théorique) de dépôts plus importants qu’ailleurs.
• La zone agricole située au nord a également fait l’objet de contrôle en raison de son utilisation à des fins de production de denrées alimentaires.
• Enfin sur une zone située sous les vents dominants à l’extérieur des limites cadastrales de CYCERON en raison de la possibilité d’y prélever un bio indicateur atmosphérique.
S’intéressant aux actuelles répercussions du fonctionnement passé de l’installation, l’analyse était donc centrée sur les produits d’activation d’une période physique suffisamment longue pour avoir induit un marquage durable de l’environnement. Tenant compte des contraintes métrologiques, il ne pouvait s’agir que de radionucléides ayant une période physique au moins égale à 8 jours.
Par ailleurs, aucune analyse spécifique de radionucléides émetteurs bêta pur n’a été faite en l’absence d’informations précises sur le terme source. De même, aucune mesure de la grandeur bêta total n’a été retenue en raison de la variabilité des concentrations dans le temps et l’espace, laquelle rend l’interprétation de ces grandeurs délicates lorsque les mesures sont ponctuelles comme cela était le cas.
Les prélèvements
Les prélèvements effectués pour cette évaluation se répartissent en trois étendues distinctes
➢ La première étendue concerne les 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON en raison de l’accessibilité du lieu par le public et de l’existence (théorique) de dépôts plus importants qu’ailleurs. Bien qu’il existe des restrictions d’usage, ce campus est accessible au public tous les jours ouvrés de la semaine entre 8h et 18h. En conséquence, tout un chacun peut accéder librement à un moment de la journée à proximité des bâtiments constituant l’installation.
Pour cette étendue, l’échantillonnage concerne cinq endroits distincts répartis en deux zones :
1. le bassin d’orage (zone 1)
Ce bassin d’orage, situé au nord, est le point de collecte et d’infiltration dans le sol par percolation des eaux météoriques précipitées à la fois sur la totalité du site de CYCERON et sur une partie du GANIL (Grand Accélérateur National d’Ions Lourds, laboratoire de physique nucléaire). Il va donc recueillir les radionucléides rejetés dans l’atmosphère et piégés par les eaux de pluie. Dès lors, les eaux infiltrées constituent un vecteur de contamination du sous-sol mais également des terres agricoles situées non loin.
Les prélèvements réalisés le 18/11/03 ont concerné :
• les eaux
• des végétaux aquatiques, lentilles d’eau, en l’absence de sédiments et comme bioindicateurs de la qualité des eaux du bassin d’orage.
2. l’environnement immédiat des bâtiments de CYCERON dans la limite de 100 mètres autour des émissaires de rejets gazeux (zone 2)
Considérant la rose des vents mais également l’absence de trajectoires résiduelles d’écoulements d’air, 4 endroits distincts ont été retenus et sont distribués à partir de la direction des vents dominants (NE) avec un pas d’environ 90° par rapport à ce même axe. Tenu compte des contraintes d’urbanisation, il n’a pas été possible de prélever à une même distance des émissaires de rejets (cheminées). Aussi, les lieux de prélèvements se situent-ils à environ 75±15 m des cheminées.
Les prélèvements réalisés entre le 18/11/03 et le 05/12/03 ont concerné :
• le couvert végétal (herbe), sur une superficie de 2 m²
• les sols, sur une profondeur comprise entre 0 et 10 cm.
➢ La seconde étendue concerne la zone agricole située au nord des émissaires de rejets gazeux en raison de son utilisation à des fins de production de denrées alimentaires.
Le plateau sur lequel est implanté CYCERON était anciennement utilisé pour des activités agricoles. Avec l’urbanisation grandissante de ces dernières décennies, il ne subsiste plus que des terres agricoles au Nord de l’installation.
S’il n’y a apparemment plus d’élevage, les observations in situ confirment en revanche l’exploitation de terrains (proches de l’installation) à des fins de culture, notamment celle du maïs. En conséquence, il existe des potentialités d’atteinte à l’homme par la contamination de denrées entrant dans la chaîne alimentaire.
Pour cette étendue, l’échantillonnage concerne une seule zone :
1. la parcelle exploitée située la plus proche de CYCERON, en l’occurrence à environ 300 mètres au NNE de l’installation (unique zone).
Les prélèvements réalisés le 13/10/03 et le 05/12/03 ont concerné :
• le maïs, prélevé de manière à obtenir un échantillon représentatif de la parcelle cultivée
• les sols, sur une profondeur comprise entre 0 et 10 cm, en un seul point.
➢ La troisième étendue concerne une zone située sous les vents dominants à l’extérieur des limites cadastrales de CYCERON en raison de la possibilité d’y prélever un bioindicateur atmosphérique.
Les observations faites sur le terrain ont montré qu’il n’existe pas de bioindicateurs atmosphériques sous les vents dominants dans les limites cadastrales. C’est pourquoi, les investigations ont été étendues dans cette direction. Néanmoins, il n’a pas été possible d’inventorier de mousses terrestres et de lichens faute de biodisponibilité. Dans ce contexte, les aiguilles de pins ont été choisies.
1. la zone sélectionnée se situe en contrebas du talus NE, à la limite extérieure de CYCERON et à la croisée avec le parking de l’entreprise SIEMENS. Elle est orientée NE par rapport aux émissaires de rejets et se situe à environ 100 mètres de ces derniers.
Les prélèvements réalisés le 18/11/03 ont concerné un bioindicateur atmosphérique : des aiguilles de pins.
Commentaire des résultats
Seules les analyses faites sur les sols mettent en évidence la présence, à des niveaux significatifs, d’une radioactivité d’origine artificielle. Dans le cas présent, celle-ci est constituée exclusivement de 137Cs (césium-137), un produit de fission de période physique de 30 ans.
La présence de césium 137 n’est pas due aux activités de CYCERON, le cyclotron ne pouvant être à l’origine de la création de produits de fission.
En fait, la présence de 137Cs dans des environnements non influencés par les activités industrielles liées au cycle du combustible résulte de certaines actions passées de l’homme, principalement des essais atmosphériques de l’arme atomique et de l’accident survenu à la centrale ukrainienne de Tchernobyl en avril 1986. Tous ces évènements ont été à l’origine d’une dissémination très importante de radionucléides sous la forme d’aérosols, lesquels ont contaminé de grandes étendues.
Bien que la majorité des radionucléides mis en jeu au cours de ces émissions aient aujourd’hui disparu, certains, comme le 137Cs (un émetteur β-γ), subsistent encore de nos jours en raison de leur longue demi-vie qui limite leur élimination par décroissance physique. De plus, dans le cas du césium-137, sa forte affinité avec les constituants du sol limite les transferts aux eaux de ruissellement et par là-même la décontamination des sols.
Il est donc courant d’observer du 137Cs. Dans les sols et les sédiments de surface, les niveaux varient généralement dans l’ouest de la France, de quelques becquerels à une dizaine de becquerels par kilogramme de matière sèche.
Dans le cas présent, les niveaux observés sont conformes sauf pour les sols des stations 1.2.A et 1.2.C. où ils sont inférieurs à 0,6 Bq/kg sec. Ces faibles valeurs pourraient s’expliquer par le fait qu’il s’agit là de terres de remblais qui ont pu provenir de couches plus profondes (donc moins contaminées) obtenues lors des opérations d’excavation nécessaires à la création du bassin d’orage.
Concernant la radioactivité d’origine naturelle, les résultats obtenus n’appellent pas à formuler de commentaires particuliers en ce sens qu’ils sont conformes à ceux attendus : les résultats sont semblables à ceux observés pour des matrices identiques prélevées en d’autres endroits de la région.
En conclusion, les mesures faites par spectrométrie gamma suggèrent que les activités passées de CYCERON n’ont pas été à l’origine d’un marquage, à des niveaux significatifs et par des radionucléides émetteurs gamma, durable de l’environnement (décelable sur une période égale ou supérieure à 8 jours).
Rayonnement gamma ambiant
La seconde approche consiste à vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû au rayonnement gamma. On cherche ainsi à mettre en évidence toute augmentation du rayonnement ambiant, laquelle pourrait avoir comme origine possible :
➢ une accumulation localisée de radionucléides, déposés ou en suspension dans l’air, à la suite de rejets avec les effluents gazeux ;
➢ l’existence d’une source d’irradiation à l’intérieur des bâtiments.
En relation avec la première des origines, l’étendue concernée par les investigations a été définie de manière à intégrer la totalité des 3 hectares du campus Jules HOROWITZ où est implanté CYCERON car il s’agit de la zone la plus sensible aux dépôts atmosphériques .
A cet effet, il a été procédé à un balayage du site à l’aide d’un appareil portatif adapté à la mesure des rayonnements gamma : un scintillateur plastique du type DG5.
Commentaire des résultats
Indépendamment du fonctionnement de l’installation, on observe une augmentation du rayonnement gamma ambiant uniquement à proximité du local à déchets radioactifs. Elle résulte a priori de l’entreposage, à cet endroit, d’éléments de l’ancien cyclotron.
L’augmentation induite est modérée puisqu’à 5 mètres au plus dans l’axe le plus concerné par l’irradiation, les valeurs enregistrées n’excèdent pas le bruit de fond.
En relation avec le fonctionnement de l’installation, une augmentation du rayonnement gamma ambiant peut être observée – et ceci de façon fluctuante – en plusieurs endroits des 3 ha où est implanté CYCERON. Deux causes distinctes sont à considérer :
➢ le relâchement de radionucléides dans l’atmosphère avec les effluents gazeux ;
Dans ce premier cas, l’augmentation induite est géographiquement disséminée autour des bâtiments (effet « taches ») dans des proportions qui peuvent être très variables d’un endroit à l’autre mais qui semblent s’atténuer avec l’éloignement par rapport à l’installation.
Du fait de la très courte période des radionucléides rejetés et de l’importance jouée par les conditions météorologiques sur la distribution spatiale des radionucléides émis, une situation radiologique observée ne se répète pas d’un jour sur l’autre. Il existe une grande variabilité des niveaux dans le temps, que les mesures faites dans le cadre de ce travail ne permettent pas de cerner.
Durant la semaine d’investigations, la plus forte valeur mesurée en relation avec cette origine a excédé d’environ 11 fois le bruit de fond. C’est à seulement quelques mètres des bâtiments qu’a été obtenu ce résultat comme tous ceux qui sont significativement élevés. Aux limites cadastrales, rares sont les anomalies qui ont pu être notées durant la même période.
➢ le rayonnement de source(s) radioactive(s) située(s) à l’intérieur des bâtiments.
Dans ce second cas, l’augmentation induite dépend vraisemblablement de manipulations particulières opérées à l’intérieur des bâtiments ; lesquelles ne sont pas effectuées tous les jours et en tout instant d’une journée donnée. Par définition, l’anomalie n’existe que le temps des manipulations.
Après arrêt de l’installation (48h au minimum), on n’observe aucune augmentation du rayonnement gamma ambiant sur les 3 ha où est implanté CYCERON, hormis à proximité du local à déchets radioactifs (voir le premier paragraphe).
Le relâchement de radionucléides avec les effluents gazeux ne conduit donc pas à un marquage durable de l’environnement qui aurait pour conséquence d’entraîner une surexposition.
Mesures neutrons
La troisième approche consiste à vérifier, à l’extérieur des bâtiments, le niveau d’exposition dû aux neutrons émis lors d’une session de production de radionucléides à l’aide du cyclotron, l’évaluation a été réalisé à l’aide d’un appareil portatif spécifique.
Deux campagnes de mesures ont été réalisées :
➢ le 20/11, autour de la casemate et à hauteur d’homme ;
➢ le 21/11, sur le toit de la casemate.
Commentaire des résultats
Les mesures faites durant une séquence de fonctionnement du cyclotron (production de 18FDG (= 18F-fluoro-désoxy-glucose.) mettent en évidence :
➢ l’absence de surexposition significative autour de la casemate à hauteur d’homme ;
➢ une augmentation très nette du rayonnement neutron ambiant (d’environ 20 fois le bruit de fond) exclusivement sur le toit de la casemate.
Ancien lien