Tchernobyl : une catastrophe en devenir

timbres commémoratifs du Bélarus
timbresPar Laurent Bocéno, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand du Laboratoire d’Analyse Sociologique et Anthropologique du Risque (LASAR) de l’Université de Caen. ACROnique du nucléaire n°41, juin 1998.


Ayant effectué récemment, en décembre 1997, un voyage en Bélarus dans le cadre d’un contrat de recherche européen sur les conséquences de Tchernobyl, il nous apparaît important d’évoquer ici la situation des populations les plus affectées par l’explosion du réacteur n°4 de la centrale ukrainienne, au moment où des informations sur les répercussions, en France, du passage du “nuage” nous rappellent l’incidence planétaire de cet évènement.


Loin d’être un accident circonscrit dans le temps et dont on pourrait aujourd’hui dresser un bilan définitif, il convient au contraire de le considérer comme une tragédie sans fin dont les effets proporement catastrophiques commencent seulement à se manifester. Reconnaître que “les populations du Bélarus, de l’Ukraine et de la Russie, dans une certaine mesure, se ressentent encore de ces conséquences”, comme s’y résolvent les experts de l’OCDE [ 1], est un doux euphémisme pour signifier la durabilité et la gravité des séquelles engendrées par l’accident survenu il y a douze ans.

L’observation de la situation d’une région contaminée du Bélarus laisse penser qu’on a bien là affaire à une bombe à retardement dont les effets se déploient dans tous les registres de la société. “La catastrophe est un arbre qui pousse”, telle est l’image employée par certaines personnes interrogées pour signifier l’aggravation qu’elles perçoivent de la situation. L’absence de limites spatiales, et surtout temporelles, aux effets de l’accident ne permet pas d’établir et d’évaluer le moment qui en marquera la fin, la capacité du nucléaire à coloniser l’avenir trouvant dans les conséquences à long terme des catastrophes une de ses manifestations les plus douloureuses. Face à la banalisation dont fait l’objet cette catastrophe, il nous semble nécessaire de livrer dans ce journal quelques témoignages et analyses relatifs à notre expérience de terrain, alors même que la centrale de Tchernobyl continue de constituer une menace pour les populations, l’état du sarcophage ainsi que celui du dernier réacteur encore en fonctionnement étant jugés fortement préoccupants par les spécialistes en sûreté nucléaire.

Complexité de la situation post-catastrophique

Les retombées radioactives dues à l’accident survenu le 26 avril 1986 en Ukraine ont contaminé durablement un territoire essentiellement rural, équivalent à un quart de la France. Environ quatre millions de personnes vivent aujourd’hui en zone contaminée, en Russie et dans les nouveaux États indépendants (N.E.I.) du Bélarus et d’Ukraine. Le cas du Bélarus est particulièrement révélateur du caractère véritablement catastrophique de la situation dans la mesure où de toutes les Républiques de l’ancienne Union Soviétique, c’est celle qui est proportionnellement la plus touchée avec 23% de son territoire contaminé, où vivent plus de deux millions de personnes, soit un cinquième de la population totale. Par ailleurs, l’ensemble des problèmes que connaissent à des degrés divers ces Républiques s’y trouve concentré. Les conséquences sanitaires et psychiques de l’irradiation et de la contamination [ 2] se combinent en effet avec l’existence de nombreuses sources de pollutions d’origines agricole et industrielle, mais aussi avec la crise politique et idéologique qu’a entraîné le démantèlement de l’URSS, l’effondrement des secteurs industriel (diminution de 80% des marchés liés à l’industrie de l’armement soviétique) et agricole (abandon de nombreuses productions, baisse de 50% de la main d’œuvre agricole, gel des terres les plus contaminées), l’inflation des problèmes économiques et sociaux (non paiement des salaires par l’État, décompositions familiales, suicides, alcoolisme, carences alimentaires…), la dégradation générale de la santé des personnes et surtout, l’instauration d’un régime totalitaire depuis 1994, basé sur la coercition, la menace et la peur.

Tous ces problèmes sont étroitement intriqués et il est impossible de rendre compte des conséquences de Tchernobyl sans les appréhender simultanément. Le découpage de la réalité post-catastrophique en fonction des multiples disciplines concernées et de la division du travail entre les chercheurs s’avère sans réel fondement pour les ” victimes de Tchernobyl “, les habitants des zones contaminées qui subissent en bloc ces conséquences dans leurs multiples dimensions : le territoire dans lequel ils vivent est contaminé, leur santé et celle de leurs enfants est atteinte ou menacée, et aux problèmes psychologiques – stress et anxiété – qu’ils éprouvent s’ajoute l’accumulation des pénuries liées à la crise sociale, politique et économique que traverse le Bélarus.

Faire face à la contamination

La présence durable de la contamination radioactive dans une large partie du pays confronte les habitants à un risque résiduel et persistant. Que le risque associé à la présence de radionucléides dans l’environnement et l’alimentation soit dénié ou occulté, qu’il soit pris en compte et favorise éventuellement l’adoption de mesures protectrices ou qu’il soit exacerbé et suscite une inquiétude profonde chez certaines personnes, la contamination apparaît comme une donnée de la vie quotidienne, une présence qui conditionne les rapports pratiques et symboliques que les personnes entretiennent avec le milieu ” naturel “. Toutefois, le caractère permanent, tout au moins à l’échelle d’une génération, de la contamination et les difficultés éprouvées tant par les scientifiques que par la population à identifier précisément ses effets sur la santé contribuent à atténuer la vigilance de personnes qui disent s’être habituées, sinon physiquement du fait d’une immunisation de leur organisme, du moins psychologiquement en raison même de la durabilité de la situation radiologique due à l’accident. Nous avons en effet pu constater, au cours de notre enquête, que les pratiques de radioprotection étaient extrêmement limitées et en régression, ceci pour de multiples raisons dont on ne citera ici que les principales.

Tout d’abord, la réalité du danger n’a été révélée aux populations de la région où nous nous sommes rendus (district de Kastiokovitchi, à 250 Km au nord de Tchernobyl), au travers des mesures de relogement, que quatre ans après l’accident. Ensuite, les insuffisances des dispositifs publics de gestion post-accidentelle mis en oeuvre à partir de 1991, après l’accès du Bélarus à l’indépendance, et l’absence de moyens disponibles pour mettre en pratique des solutions viables et durables témoignent de l’impuissance des responsables politiques et scientifiques à ” liquider ” les conséquences de l’accident, objectif irréalisable et par ailleurs incompatible avec le caractère irréparable et irréversible que revêt, pour les populations touchées, la situation post-catastrophique qui les contraint à vivre dans un environnement irrémédiablement dégradé. Enfin, il existe actuellement une volonté politique de réhabilitation des territoires contaminés qui rejoint le désir d’une partie de la population de vivre ” normalement “, comme avant l’accident. Cette volonté politique, en ce qu’elle vise essentiellement le redéploiement de l’activité économique et le redémarrage de la production agricole, conduit à une relativisation de la problématique de radioprotection qui risque de s’avérer dommageable à long terme sur le plan sanitaire. La reprise, par les habitants des zones contaminées, de leurs anciennes habitudes de vie et l’adoption de comportements de déni de réalité répondent à l’aspiration globalement partagée d’en finir avec plusieurs années d’efforts et de sacrifices consentis et de retrouver des conditions de vie moins contraignantes sur le plan de la protection radiologique. La politique de l’actuel gouvernement conforte ces attitudes en tentant de banaliser la catastrophe et de nier la réalité des risques encourus.

L’alimentation comme premier souci

On assiste en fait, au milieu des ruines des bâtiments abandonnés suite à la contamination et aux mesures de relogement, dans des villages aux allures parfois fantomatiques, à la réémergence de pratiques paysannes qui constituent pour les habitants une condition sine qua non de la survie collective. La grave récession économique que connaît le pays depuis quelques années amène la population à se détourner du circuit public d’approvisionnement, la nourriture étant excessivement chère et souvent peu abondante dans les magasins d’État. Nous avons ainsi rencontré une jeune femme médecin qui, pour combler le déficit du salaire qu’elle perçoit de l’État [ 3], cultivait un jardin potager, possédait une vache, deux porcs, et des volailles. Ceci ne procédait pas, comme en France, d’un choix esthétique ou d’un quelconque désir de nature, mais bien d’une impérieuse nécessité économique. Une autre personne interrogée nous a avoué parcourir tous les mois jusqu’à 1000 Km en autocar pour s’approvisionner auprès de ses parents, à l’autre bout du pays. Le recours au mode de production domestique, aux solidarités locales et, en particulier, familiales, se révèle en effet indispensable à la survie quotidienne dans un contexte de pénurie. En milieu urbain, les difficultés sont d’autant plus importantes que les individus ne disposent pas de parcelle cultivable ou de parents résidant en zone rurale et susceptibles de leur procurer un complément, voire parfois l’essentiel de leurs besoins alimentaires. Ainsi, loin d’avoir un comportement suicidaire, des personnes restent dans les territoires contaminés où elles possèdent des lopins de terre et les cultivent pour nourrir leurs familles qui résident en zone ” propre “.

Le problème de l’autoproduction

La préoccupation quotidienne consiste ainsi, pour beaucoup, à se procurer de la nourriture qui provient donc en grande partie de l’autoproduction. La limite première de cette dynamique tient dans le fait que les habitants consomment des denrées alimentaires issues de leurs jardins et des forêts, et sont donc contaminées. Ils se chauffent, en outre, avec du bois contaminé et amendent leur terre avec de la cendre radioactive. Ils nourrissent aussi les chevaux, qui constituent bien souvent leur seul moyen de locomotion, avec du foin contaminé, le crottin contaminé étant intégralement utilisé. Le cycle de l’autoconsommation constitue donc un facteur aggravant dans la mesure où la contamination y est sans cesse ” recyclée “. C’est donc l’impossible mise en pratique d’une théorie selon laquelle on pourrait vivre sur un territoire contaminé pour autant qu’on ne s’alimente qu’avec des produits sains, alors qu’une part importante de l’alimentation de la population bélarusse provient de sols contaminés, comme les champignons qui constituent un mets très prisé dans une alimentation de survie.

Il n’est de toute façon plus question, pour ceux qui sont restés, de mobilité, de voyage, de fuir, de penser une quelconque trajectoire sociale ou professionnelle car ils sont assignés à (sur)vivre dans une zone contaminée : la politique de relogement a été stoppée et ils n’ont pas les moyens de partir [ 4]. Les relations familiales et de voisinage constituent, dans ce sens, l’ultime condition d’une vie sociale, tous les espaces intermédiaires entre l’individu et l’État ayant été liquidés : l’association n’existe pas, pas plus que les lieux de rencontre.

Discrédit des autorités

Le silence mensonger, évoqué plus haut, des autorités soviétiques les premières années qui ont suivi l’accident a durablement, sinon définitivement, ébranlé la confiance de la population envers les responsables politiques, aujourd’hui encore soupçonnés de subordonner la protection des habitants à la faisabilité économique des mesures envisageables. Les décisions en matière de radioprotection résultent de fait autant de choix politiques que de considérations d’ordre strictement scientifiques. On en donnera simplement deux exemples : le choix, d’abord, de la définition de zones très fortement contaminées (plus de 40 Ci/km) à faiblement contaminées (entre 1 et 5 Ci/km) et l’élaboration de cartes de contamination qui prennent en compte un élément radioactif (le césium 137) alors que les spécialistes reconnaissent l’existence de divers cocktails de radioéléments irrégulièrement répartis sur le territoire ; ou encore le choix du déplacement de populations de zones très contaminées vers d’autres zones moins contaminées.

De la même façon il n’est accordé aucune crédibilité aux contrôles et informations officiels. Ainsi, le recours aux services des laboratoires de contrôle radiologique de l’environnement et de l’alimentation, pourtant gratuits, est quasiment inexistant. Même si la pénurie alimentaire ne permet pas aux familles de se débarrasser des vivres dont la contamination est supérieure aux normes bélarusses, c’est surtout parce qu’ils ne font pas confiance aux responsables scientifiques, trop liés aux autorités, que les habitants ne contrôlent plus la nourriture issue de la production privée ou des activités de cueillette et qu’ils ne respectent plus les nombreuses interdictions qui régissent aujourd’hui encore la vie en zone contaminée. Dès lors, il apparaît indispensable de diversifier et décentraliser la production des informations concernant la situation radiologique dans la mesure où certaines sources sont systématiquement tenues en suspicion. Assurer et promouvoir la pluralité des activités de contrôle et d’expertise se révèle alors vraisemblablement comme un moyen incontournable, pour les autorités, de retrouver la confiance des populations – problème qui n’est pas, loin s’en faut, spécifique aux pays de l’ex-URSS – et semble en tout cas un élément essentiel pour une démocratisation effective des dispositifs de gestion du risque radiologique. La fiabilité des informations constitue donc une condition liminaire à l’accès des habitants des zones contaminées à l’autonomie et à la responsabilité, afin qu’ils puissent exercer réellement leur capacité de choix.

Sortir de l’impasse

La mise en place de stratégies de développement local qui visent à favoriser la possibilité, pour ces personnes, de vivre une vie dans des conditions satisfaisantes et qui ne soit pas simplement une survie surveillée, nécessite que le risque encouru ne soit pas dénié et que les conséquences actuelles et à venir de l’accident ne fassent pas l’objet d’évaluations qui ne sont trop souvent que des dissimulations. Aussi convient-il, si l’on veut contribuer un tant soit peu à la ” régénération ” de la vie dans les territoires contaminés et à l’autonomie des personnes qui y résident, de dénoncer systématiquement les tentatives de minimisation de l’appréciation des conséquences de ce qui apparaît pourtant bien comme la plus grave catastrophe industrielle et technologique qu’a connue le monde moderne, pour l’instant. Que la vérité quant à l’impact de l’accident de Tchernobyl ne soit pas réduite à la clandestinité constitue le préalable indispensable à une gestion démocratique des risques nucléaires, tant en Bélarus que dans les pays occidentaux.

Les scientifiques et autres intervenants dans l’appréhension et la gestion des conséquences de Tchernobyl doivent par ailleurs être attentifs à l’expression et l’invention des savoirs sociaux, ainsi qu’aux singularités culturelles et aux formes d’intégration de la catastrophe dans l’ordre de l’imaginaire et du symbolique. C’est en cela que l’approche socio-anthropologique peut se révéler féconde. Et si l’acceptabilité d’un risque présumé est liée, entre autre, à la légitimité scientifique des normes, celles-ci ne peuvent se prescrire sans s’articuler à une philosophie du devenir.


Résultats d’analyses de la radioactivité effectuées par l’ACRO pour le compte du LASAR dans le cadre de son étude  

Produit Césium 134 Césium 137 Expression
Miel
3,6 ± 0,8
280 ± 50
Bq/kg frais
Plat cuisiné :
Champignons + gras de porc
10,5 ± 1,3
830 ± 93
Bq/kg frais
Tourbe de chauffage
1,8 ± 0,5
132 ± 18
Bq/kg frais
Lait de ferme
25,9 ± 2,4
Bq/L
Lait UHT
4,4 ± 0,6
Bq/L
Gras de porc
0,8 ± 0,3
Bq/kg frais
Pommes
10 ± 2
Bq/kg frais
Vodka

Seuls les isotopes du Césium (134 et 137) ont été recherchés.Les prélèvements ont été effectués par le LASAR lors de leur étude en Bélarus (décembre 1997). Tous les aliments (sauf la vodka) sont contaminés en 137Cs. Quand le 134Cs est aussi présent, le rapport 137Cs / 134Cs est proche de 80, c’est une signature de l’accident de Tchernobyl. Les activités en césium 137 retrouvées dans le plat cuisiné (830 ± 93Bq/kg frais) (gras de porc + champignons) sont supérieures aux normes d’importation. Cette préparation culinaire ne pourrait donc pas être vendue en France. On s’aperçoit que le gras de porc seul a une activité très faible par rapport au plat cuisiné. On peut donc en conclure que ce sont les champignons qui ont un taux de radioactivité élevé. En ce qui concerne l’activité retrouvée dans l’échantillon de miel (280 ± 50 Bq/kg frais) elle est importante pour un tel produit.


[ 1] Cf Agence pour l’Energie Atomique de l’OCDE, Tchernobyl, Dix ans déjà, Impact radiologique et sanitaire, Paris, 1996.
[ 2] Il est impossible, de ce point de vue, d’obtenir des données officielles fiables. Il convient par ailleurs d’être circonspect quant aux estimations proposées par les agences internationales selon lesquelles, rappelons-le, seuls 31 morts sont attribuables à l’accident. Nous avons pu constater qu’environ un enfant sur deux, dans les écoles que nous avons visitées sur un mode aléatoire et sans prévenir, souffrait de problèmes de santé graves (affections thyroïdiennes, problèmes cardio-vasculaires,…). Tous les habitants de la zone, et en particulier les enfants, souffrent, globalement, d’un affaiblissement de l’organisme et des défenses immunitaires qui engendre de multiples pathologies.
[ 3] Les salaires (en moyenne 300 FF par mois) ne permettent pas de nourrir une famille de quatre personnes plus de 10 à 15 jours. Les compensations dérisoires (environ 6 FF par mois) octroyées pour vivre en territoire contaminé ne sont plus versées. L’inflation a en outre englouti toute l’épargne populaire.
[ 4] Le problème consiste à trouver simultanément un emploi et un logement, devenus rares aujourd’hui. La pénurie de logements permet à l’État de gérer les flux de populations entre les régions. Il faut attendre en moyenne dix ans pour se voir attribuer un véritable logement, soit l’équivalent, en France, d’une H.L.M. C’est par ce biais, et celui de la création programmée d’emplois dans la région où nous nous sommes rendus, que les autorités incitent la population à retourner vivre en zone contaminée. Signalons aussi que les jeunes cadres achevant leur formation, médecins ou enseignants, sont mutés d’office dans les territoires contaminés.

Ancien lien

Superphénix devient Phénix

Editorial de l’ACRonique du nucléaire n°40, mars 1998

Superphénix a été arrêté le 24 décembre 1996 pour être transformé en ” laboratoire de recherche pour étudier la transmutation des déchets nucléaires ” bien que le rapport Castaing (96) estimait qu’il n’y avait pas beaucoup à attendre de sa transformation en ” incinérateur “. Le combustible devait être changé et un nouveau cœur est prêt. Il s’agissait d’une décision importante car tout espoir de production d’énergie à partir du plutonium était abandonné ; mais pour les associations locales, cette fonction de recherche pour Superphénix n’était pas prévue par l’enquête publique qui avait eu lieu quelques années auparavant. Elles saisissent donc le Conseil d’Etat qui, le 28 février 1997, annule le décret du 11 juillet 1994 permettant son redémarrage. Doit-on refaire l’enquête ? Cette question va déchirer l’ancienne majorité et le changement de gouvernement permet une réponse claire le 19 juin 1997, Superphénix ne redémarrera pas. Il s’agit d’une décision courageuse mais très fragile, même si elle est confirmée par un comité inter-ministériel le 2 février 1998. Faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). La mise hors service du réacteur est très compliquée et n’a jamais été prévue, il y en a pour plusieurs années.  Pourtant faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). Pour que cet arrêt soit irrévocable, même à la suite d’un changement de gouvernement, il faudrait détruire immédiatement le cœur de remplacement, comme le suggère le GSIEN.

L’abandon de Superphénix ne plaît pas à tout le monde. Nous comprenons les sentiments des employés directs et indirects de la centrale. Car même si le démantèlement doit générer plus d’emplois, ce n’est pas pour tout de suite. Mais à entendre certains commentateurs, c’est comme si c’était la fin de l’énergie nucléaire en France, alors qu’au fond, EDF doit être bien contente d’en finir avec Superphénix qui ne lui apportait que des ennuis et une mauvaise image. Le remplacement par Phénix permet d’étudier la transmutation afin de faire croire à une solution alternative au stockage des déchets et rend les laboratoires souterrains plus acceptables pour la population. Alors pourquoi tant de pleurs ? La décision très proche de renouveler le parc électronucléaire français et de continuer ou non le retraitement n’a pas encore été prise. Le démantèlement risque de nuire à l’image de ce type d’énergie. Pour Brennilis, la partie la plus difficile des opérations – qui a entraîné des pollutions – s’est passée sans regard extérieur, et les parties moins radioactives sont maintenant démantelée à grand renfort de publicité. Pour Superphénix, cela risque de se passer autrement.

Le réacteur, utilisé comme producteur de courant ou consommateur de plutonium servait aussi l’alibi au retraitement du combustible irradié. Les contrats étrangers de l’usine de la Hague se terminent en 2000. Vont-ils être renouvelé ? Le dernier transport de combustible irradié en provenance du Japon vient d’avoir lieu. Si le retraitement du combustible étranger s’arrête, jusqu’à quand va-t-on continuer à retraiter le combustible français ? Ces questions, ne sont malheureusement pas apparues durant le débat car les enjeux sont beaucoup plus importants.

Lors du comité inter-ministériel du 2 février 1998, il a été aussi décidé de créer une instance de contrôle indépendante. Enfin ! Sa composition, type de fonctionnement… ne seront connus que durant l’été 1998. Nous espérons qu’il sera tenu compte des laboratoires indépendants comme l’ACRO dans le nouveau paysage nucléaire français.

Ancien lien

Notions de base de radioactivité

Notions de base de radioactivité (extrait de l’ACROnique du nucléaire n°37, juin 1997)

L’atome

Toute la matière qui nous entoure est constituée d’atomes, élément de base de petite taille (de l’ordre de l’Angström ou 0,000 000 000 1 m) qui permet de construire notre univers. On compte 92 atomes naturels ayant chacun des propriétés qui leurs sont propres. Ces atomes peuvent se combiner entre eux, reliés par les liaisons chimiques de diverses natures.

noyau

Chaque atome est constitué d’un noyau autour duquel il y a un nuage d’électrons. Le noyau est chargé positivement et les électrons négativement, de façon à ce que l’ensemble soit neutre. Le noyau est environ 100.000 fois plus petit que l’atome et regroupe pratiquement toute la masse. C’est le cortège d’électrons qui va donner à l’atome ses propriétés chimiques, à savoir sa capacité à se lier à d’autres atomes pour former des structures complexes. On a l’habitude de dire que les électrons “gravitent” autour du noyau, il s’agit là d’une image qui a ses limites. Une description précise nécessite la mécanique quantique.

Chaque atome peut être caractérisé par son nombre d’électrons et à chaque nombre, on associe un nom. Ainsi un atome avec un noyau possédant une charge positive et autour duquel il y a un électron est appelé hydrogène et est représenté par le symbole H. Pour deux charges, il s’agit de l’hélium (He) et ainsi de suite jusqu’à l’uranium, qui a 92 charges. Au-delà, il existe d’autres atomes qui ont été créés par l’homme et que l’on nomme artificiel. Le plutonium, avec 94 charges, en est un exemple.

Il y a donc une correspondance entre le nombre de charges et les propriétés des atomes. L’hydrogène a tendance à pouvoir se lier avec l’oxygène pour former de l’eau, alors que l’hélium ne se lie pas avec d’autres atomes.

Si on arrache un ou plusieurs électrons à un atome ou si on lui en rajoute, on obtient un corps chargé positivement ou négativement, suivant le cas. On l’appelle alors un ion. Ses propriétés chimiques sont modifiées.

Le noyau

Le noyau possède un nombre donné de charges positives qui permet de lui donner le nom de l’atome correspondant. Les particules qui donnent la charge au noyau sont appelées proton. Chaque proton porte une charge positive élémentaire. Le noyau d’hydrogène est constitué d’un proton, celui d’hélium, de deux protons… A ces particules, s’ajoutent des particules neutres appelées neutrons.

Ensembles, les protons et les neutrons, de masse et taille semblables, forment la masse du noyau. On appelle nucléons, les particules du noyau, qui peuvent être indifféremment un proton ou un neutron. Un noyau est donc caractérisé par deux nombres, le nombre de protons, appelé généralement Z et le nombre total de nucléons appelé A. Z donne donc le nombre de charges et donc permet d’identifier l’atome correspondant. Deux noyaux qui ont le même nombre de charges et qui correspondent donc au même atome, mais qui ont un nombre de nucléons (et donc de neutrons) différents, sont appelés isotopes.

Exemple : un atome constitué de 6 électrons et donc 6 protons (Z=6) est appelé carbone. Mais on trouve dans la nature, du carbone ayant 6 ou 8 neutrons, ce qui fait un nombre total de 12 ou 14 nucléons (A=12 ou 14). Si on veut préciser de quel isotope on veut parler, on dira carbone 12 (noté  12C) ou carbone 14 (noté  14C).

Dans la nature, le nombre de neutrons est généralement au moins égal au nombre de protons. Il est possible de fabriquer des noyaux trop riches ou déficients en neutrons, qui vont se désintégrer en un autre noyau. Cette désintégration s’accompagne d’un rayonnement, on parle donc alors de noyau, isotope ou élément radioactif. Si le noyau ne se désintègre pas spontanément, on parle d’élément stable.

Les protons et les neutrons sont eux aussi constitués d’une structure interne, ils sont constitués de quarks. Mais nous arrêterons là pour la description de l’infiniment petit.

La radioactivité

La radioactivité accompagne une transformation du noyau de l’atome. Avant la transformation, on parle de noyau père, après, de noyau fils. Il peut y avoir plusieurs transformations successives avant d’arriver à un noyau stable. On parle alors de chaîne de désintégration. Lors d’un désintégration, il y a émission d’un ou plusieurs types de rayonnements.

On observe trois types de rayonnements émis :

Rayonnement alpha :

alphaC’est une particule composée de deux protons et de deux neutrons extrêmement liés entre eux (noyau d’hélium) et animée d’une grande vitesse. L’émission alpha (α) ne concerne que les noyaux lourds présentant un excès de protons (en général A>200). Le noyau fils possède donc deux protons et deux neutrons en moins. Exemple, la désintégration du radium en radon :
226Ra -> 222Rn +α
Le rayonnement alpha étant constitué d’une particule lourde, il est très peu pénétrant, une simple feuille de papier peut l’arrêter.

betaRayonnement bêta :

C’est une particule, électron (β-) ou positron (β+), animée d’une grande vitesse. Il accompagne la transformation d’un neutron en proton (β-), ou d’un proton en neutron (β+). Exemple, la désintégration du tritium en hélium :  3H -> 3He + β. L’électron ou le positron étant des particules légères, le rayonnement β est beaucoup plus pénétrant. Comme les particules sont chargées, elles interagissent facilement avec la matière. Il faut une feuille métallique de quelques cm d’épaisseur pour arrêter ce rayonnement.

Rayonnement gammA :

C’est un rayonnement électromagnétique analogue à celui de la lumière mais beaucoup plus énergétique. On parle de photons gamma (γ). Leur émission suit généralement une désintégration alpha ou bêta et correspond à un réarrangement des nucléons à l’intérieur du noyau fraichement transformé.gamma

Le photon étant une particule sans masse, elle est très pénétrante et n’étant pas chargée, elle interagit peu avec la matière. Il faut une épaisseur de béton de plusieurs dizaines de cm pour l’atténuer.

La désintégration des noyaux suit une loi exponentielle décroissante en fonction du temps. Au bout d’un certain temps, appelé période ou demi-vie (T1/2), la quantité d’un radio-élément donné est divisée par deux. Au bout de deux période, il n’en restera plus d’un quart, après trois périodes, un huitième, après 10 périodes, un millième… Sachant que les périodes observées en fonction des atomes étudiés vont de temps infiniment cours aux millions d’années, c’est une grandeur indispensable pour appréhender les problèmes de radioactivité.

periode

L’activité d’un radioélément correspond au nombre de noyaux qui se désintègrent par unité de temps. L’unité de mesure est le becquerel (Bq) et correspond à une désintégration par seconde. L’ancienne unité est le curie (Ci). Un curie correspond à l’activité d’un gramme de radium et vaut 37 000 000 000 Bq.

Effets des rayonnements sur la matière et sur l’Homme

Les effets des rayonnements sur la matière sont très compliqués car ils dépendent du rayonnement étudié et du matériau concerné. Comme il est impossible de formaliser ces interactions rayonnement-matière au cas par cas, on étudie généralement l’énergie déposée dans le matériau pour quantifier. On parle alors de dose absorbée. On défini donc le gray (Gy) comme une unité d’énergie (joule) déposée par kilogramme de matière : 1Gy = 1J/kg. Plus l’énergie déposée est grande, plus le rayonnement a interagi avec la matière. Le rad correspond à l’ancienne unité : 1 Gy = 100 rad.

Quand la matière sous rayonnement est composée de tissus humains, on essaye de tenir compte de la nature du rayonnement en fonction des dommages probables qu’il peut créer. On affecte un coefficient multiplicatif WR qui dépend de la nature du rayonnement et qui tient compte de la différence irradiation/contamination. Par exemple, dans le cas d’une contamination, WR est choisi égal à 1 pour les rayonnements gamma et à 10 pour les rayonnements alpha. On parle alors d’équivalent de dose absorbée et l’unité est le sievert (Sv) : 1Sv = 1Gy*k. L’ancienne unité était le rem : 1Sv = 100rem.

Ensuite, pour considérer le détriment global des rayonnements sur le corps entier, on pondère à nouveau par un second facteur (WT) prenant en compte la sensibilité du ou des tissu(s) ou organe(s) touché(s). On parle alors de dose efficace ; son unité de mesure est également le sievert (Sv).

Pour en savoir plus sur le sujet, nous vous renvoyons au dossier que nous avons déjà consacré aux rayonnements et la santé (numéros de l’ACROnique du nucléaire).

Il est clair que la mesure directe de la dose ou de l’équivalent de dose est très difficile. On a donc recours à des approximations.

Récapitulatif des grandeurs et unités

GRANDEURS UNITES EQUIVALENCES DEFINITIONS
L’ACTIVITE
Becquerel
(Bq) 


Curie

(Ci)

1 Bq = 27.10-12 Ci  =  27 pCi
1 Ci = 37 109 Bq
Connaître l’activité d’une matière
radioactive revient à déterminer le nombre de radionucléides
de la dite substance qui ce désintègre par unité de
temps. 


L’ancienne unité était le Curie (symbole
Ci) c’est à dire le nombre de désintégration par seconde
dans un gramme de radium 226, soit 37 milliards.

DOSE ABSORBE
Gray
(Gy)


Rad

(rad)

Gy = 1 joule / kg
= 100 rad


1 rad = 0,01 Gy

 

 

Quantité d’énergie absorbée par
la matière vivante ou inerte et par unité de masse. La conversion
du Bq au Gy n’est pas directe car la désintégration d’un
atome de césium ou d’iode ne libère pas la même énergie
et tous les rayonnements ne sont pas forcément absorbés.


L’ancienne unité était le Rad

 DOSE EQUIVALENTEDOSE EFFICACE
Sievert
(Sv)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rem

(rem)

1 Sv = Gray * k
= 100 rems


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 rem = 0,01 Sv

 

 

La dose équivalente essaye de tenir compte chez
l’homme des dommages radiologiques occasionnés. Une même dose
de rayonnement ne provoque pas les mêmes dommages, suivant qu’il
s’agit d’irradiation ou de contamination, de rayonnement alpha, bêta ou gamma et suivant la nature des tissus touchés. Pour exprimer ces différences d’effets biologiques, des coefficients sont
affectés par le législateur aux rayonnements puis en fonction des tissus touchés (dose efficace). Par exemple,
en contamination, la dose en gray est multipliée par 1 s’il s’agit
de rayons gamma.


L’ancienne unité était le Rem


Lire aussi

Tables et caractéristiques des éléments

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Polémiques sur les leucémies à la Hague

COMMENTAIRES A.C.R.O.

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°36, mars 1997


Janvier 1997. Une nouvelle polémique éclate en Normandie sur les risques de leucémies autour des installations nucléaires du Nord-Cotentin. L’origine en est la publication, dans une revue scientifique internationale, des résultats d’une enquête épidémiologique conduite par D. POBEL et J.F. VIEL. L’A.C.R.O., qui ne s’est pas mêlée au concert de déclarations en tout genre, a choisi d’exprimer ses commentaires dans son journal ” l’ACROnique du nucléaire “.


I – LES TRAVAUX DE JEAN FRANCOIS VIEL

J.F. VIEL, professeur de médecine à l’hôpital de Besançon, est un spécialiste en épidémiologie. Auteur de travaux sur le radon  (1), il s’est aussi intéressé aux leucémies chez l’enfant dans la région de La Hague.

  • En 1990, il publie, avec Sylvia RICHARDSON, une première étude  (2) portant sur la mortalité par leucémies (en distinguant 3 groupes d’âge entre 0 et 24 ans) dans un rayon de 35 km autour de lâusine de retraitement. De 1968 à 1986, un seul décès est observé à proximité de l’installation nucléaire. Les auteurs concluent à l’absence de situation anormale. De ce point de vue, ils rejoignent les conclusions de deux autres études de mortalité  (3,4) (même si les périodes et les distances diffèrent). Il est bien évident quâune étude de mortalité (enregistrer des décès) n’est qu’un reflet très limité dâune maladie étudiée au sein dâune population. Même si cet argument est moins fort pour les cancers de l’enfant, il est beaucoup plus informatif de procéder à des études de morbidité (enregistrer une maladie), d’autant plus qu’environ 50 % des leucémies peuvent être soignées actuellement.
  • En 1993, avec plusieurs collaborateurs, J.F. VIEL publie une première étude de morbidité  (5) en s’intéressant à l’incidence des leucémies dans la même population. Pour la période 78-90, les auteurs notent 3 cas de leucémie, dans un rayon inférieur à 10 km, alors que 1,2 cas sont attendus (référence au registre du Calvados). Cependant, les tests statistiques conduisent à considérer cette sur-incidence comme non significative.
  • En 1995, D. POBEL et J.F. VIEL procèdent à une réévaluation de l’incidence des leucémies dans la même région toujours pour les moins de 25 ans  (6). Ils mettent en ?uvre 3 modèles d’approche statistique qui pointent une zone de sur-incidence, cette fois significative, à proximité même de l’usine de retraitement. Pour la période 78-92, dans un rayon de moins de 10 km, 4 cas de leucémie sont observés contre 1,4 attendus soit un rapport 2,8 fois plus élevé (Rapport des Incidences Standardisées). Cette étude, comme toute étude de cohorte, a pour objectif de mettre en évidence des excès de leucémie dans une région donnée, sans préjuger d’un lien éventuel avec les radiations. La suite logique, dans une démarche de recherche en épidémiologie, est de tenter d’identifier un (ou des) facteur(s) étiologique(s) (causes de la maladie) lorsquâun excès significatif est observé.
  • Grâce à un financement de l’Inserm et de la Ligue Nationale contre le Cancer, et à la collaboration de 33 médecins locaux, ce travail a pu être mené par D. POBEL et J.F. VIEL qui viennent de publier les résultats d’une étude ” cas-contrôle ” (7). Dans ce type d’étude, les auteurs procèdent à une même enquête, d’une part, auprès du groupe des jeunes malades (ici 27 cas diagnostiqués entre 78-93) et, parallèlement, auprès d’un groupe témoin étroitement apparié (ici 192 jeunes). Un questionnaire très fouillé (conditions et mode de vie des parents et des enfants, exposition des parents à des facteurs de risques, exposition à des champs électromagnétiques, exposition anténatale ou postnatale à des infections virales, à des rayons X,…..) doit permettre d’identifier d’éventuels facteurs de risque. Les auteurs observent une relation significative avec la fréquentation des plages, soit par les mères lorsqu’elles étaient enceintes (risque multiplié par 4,5) soit par les enfants eux-mêmes (risque multiplié par 2,9). Une 3ième relation significative est observée avec la fréquence de consommation de produits de la mer (risque multiplié par 3,7). Enfin, une 4ième association est établie avec le fait de vivre dans une maison en granit (lien suggéré avec le radon domestique).

II – INCOMPREHENSIONS ET POLEMIQUES INUTILES

La publication des travaux de J.F. VIEL dans le British Medical Journal (B.M.J.) a donné lieu à un déferlement de commentaires, certains utiles au débat, d’autres à la limite de l’insulte. Ceux qui, bien souvent sans avoir lu l’étude, ont participé activement à cette levée de boucliers, ont beaucoup plus contribué à la dramatisation du problème soulevé que la publication de l’étude elle-même. Nous mesurons aujourd’hui l’importance du travail d’information, une des missions de lâA.C.R.O., qui reste à faire. On a ainsi pu voir, sur un plateau de télévision, un représentant des pêcheurs lancer à J.F. VIEL cet argument massue ” mon fils mange dupoisson depuis vingt ans et il n’a pas de leucémie… “. C’est en fait la notion même de risque qui est à expliquer. Dans la tête d’un certain nombre de nos concitoyens, il n’existe que le ” tout ou rien “, le ” blanc ou noir “. Une autre réaction  (8) d’intérêt vient d’un couple ayant eu à répondre au questionnaire et qui s’étonne : ” dans le questionnaire, on ne nous parlait pas du tout du nucléaire “. Contrairement à l’idée reçue par ce couple, il démontre que le questionnaire a été mené correctement car, en dehors de l’exposition professionnelle des parents, établir a priori un lien possible avec le nucléaire aurait constitué un biais qui aurait entaché l’objectivité du questionnaire. Enfin, un certain nombre de déclarations mettent en cause le caractère scientifique de l’étude publiée et réclament une ” expertise “. C’est méconnaître la procédure qui conduit à une publication scientifique et qui impose justement au préalable cette expertise par un comité de lecture (” referees “ ou ” reviewers “). Mais la palme revient sans doute à ceux qui nâont vu là qu’un ” coup médiatique “ visant à attirer les regards sur le départ des déchets nucléaires japonais (sic !).

III – LE DEBAT DE FOND

Mais qu’en pense l’A.C.R.O., nous demande-t-on ? Notre association fait avant tout un travail de terrain. Si nous n’avons pas participé à cette grande messe médiatique à chaud, nous n’en avons pas moins engagé un travail d’explication, de vive voix, auprès de familles légitimement inquiètes. Nous l’avons fait à notre manière, c’est-à-dire sans dramatiser mais aussi sans banaliser. A nos sympathisants et amis, nous avons expliqué que, en dehors d’une situation accidentelle, il n’y avait pas lieu de quitter La Hague. A fortiori, la réponse a été la même auprès de ceux qui, désireux d’y passer des vacances, nous ont téléphoné. En fait, beaucoup de choses peuvent être dites très simplement. 1°) J.F. VIEL est professeur de médecine, spécialiste en épidémiologie. Il a acquis cette fonction (de même que certains de ses collaborateurs) en se présentant à des concours où il a été jugé sur ses ” titres et travaux “. Ainsi, ses compétences sont reconnues par ses pairs.

2°) La récente étude en cause est publiée par un journal de très bon niveau international, après avoir été expertisée de manière anonyme et indépendante par des personnalités scientifiques  (9). Qu’elle donne cependant lieu à une ” controverse scientifique “ est une chose normale et saine  (10), dès lors que les procès dâintention sont exclus. De ce point de vue, l’autocritique publique  (11) présentée par Jacqueline CLAVEL de l’Inserm devrait contribuer à reprendre le débat nécessaire avec plus de sérénité.

3°) La décision des Ministres de l’Environnement et de la Santé de constituer un groupe d’experts indépendants (parmi lesquels J.F. VIEL) dont la mission sera de faire le point sur ces cas de leucémies en Nord-Cotentin et d’établir une sorte de cahier des charges pour la poursuite du suivi épidémiologique est une excellente initiative.

4°) L’épidémiologie, malgré le grand intérêt de cette discipline, n’est pas une science exacte. Ce type d’étude (cas-témoin) conduit à émettre une hypothèse plus ou moins forte d’un lien de causalité entre un ou des facteurs et une maladie. La conclusion de D. POBEL et J.F. VIEL est qu’il existe quelques arguments convaincants pour considérer un lien de causalité entre les leucémies chez les jeunes et l’exposition aux radiations environnementales reçues lors d’activités récréatives sur les plages.

5°) L’excès de leucémies observé dans La Hague n’est pas une exception. D’autres études, principalement en Grande-Bretagne, ont montré également un excès de leucémies :

  • près de l’usine de retraitement de Sellafield (par un facteur 10),
  • près de l’usine de retraitement de Dounreay
  • près des centres atomiques militaires d’Aldermaston et de Burghfield et du centre de recherche nucléaire de Harwell
  • au voisinage de la centrale nucléaire de Hinkley Point (pour les 10 premières années)

Pour être complet, il convient de préciser que d’autres études menées autour de sites nucléaires dans plusieurs pays n’ont pas permis d’observer de situation anormale et, qu’à lâinverse, un excès de décès par leucémie a été enregistré autour de ” sites potentiels ä (12). La recherche des facteurs de risque, là où un excès est observé, ne conduit pas toujours au même résultat. Les résultats de J.F. VIEL rejoignent ceux obtenus par J.D. URQUHART (pour Dounreay) mais diffèrent de ceux de M.J. GARDNER  (13) (risque lié à l’exposition des pères d’enfants malades travaillant dans l’usine de Sellafield).

6°) Dans toute étude épidémiologique de cette nature, des biais sont possibles même si les chercheurs font tout pour les éliminer. Ici, les auteurs reviennent largement dans leur discussion sur ces biais possibles qui ne peuvent, selon eux, affecter leur conclusion. L’A.C.R.O. n’a nullement l’intention (ni les compétences) de rentrer dans ce débat technique et nous attendrons le rapport du groupe d’experts.

7°) Cependant, nous contestons les affirmations de l’exploitant selon lesquelles une relation de cause à effet, entre les radiations environnementales et les cas de leucémies, est impossible et ” absurde” (14). Nous le faisons en nous limitant à quelques remarques là encore très simples.

  • Que des leucémies puissent être induites par des radiations ionisantes est un acquis scientifique aujourd’hui incontestable. On le sait depuis 90 ans quand, en 1906, un premier bilan des cancers radio-induits (essentiellement cancers de la peau et leucémies) a été établi. La relation a été très largement confirmée depuis par de nombreuses études (survivants d’Hiroshima-Nagasaki, patients traités pour spondylarthrite ankylosante, radiologistes anglais et radiologistes américains….).

Tableau n°1

AUTORISATIONS ACTUELLES DE REJETS
Radioéléments 
La Hague
Flamanville
Ratio Hag./ Fla.
Bêta-Gamma (hors [3H])
1 700 000 GBq
1 100 GBq
1545
Tritium ([3H])
37 000 000 GBq
80 000 GBq
462
Alpha
1 700 GBq
Interdit
REJETS EFFECTIFS pour l’année 1994
Radioéléments 
La Hague
Flamanville
Ratio Hag./ Fla.
Bêta-Gamma (hors [3H])
70 200 GBq
8 GBq
8775
Tritium ([3H])
8 090 000 GBq
30 000 GBq
270
Alpha
97,3 GBq
Interdit

 

Nota : Pour le lecteur qui continue à raisonner en Curies (Ci), il convient de diviser chacun de ces chiffres par 37 pour connaître les valeurs en Ci.

  • Une usine de retraitement est une installation très particulière qui génère des rejets bien supérieurs à une installation nucléaire classique telle un réacteur. Le tableau n°1 présente les données comparatives des rejets en mer de l’usine de retraitement et des 2 réacteurs nucléaires de Flamanville (situés à 16 km au sud). Ainsi, pour 1994, comparativement aux 2 réacteurs EDF, les installations COGEMA ont rejeté en mer 8775 fois plus d’émetteurs bêta-gamma, 270 fois plus de Tritium ; les installations Cogéma ont, de plus, rejeté 97,3 GBq d’émetteurs alpha ; les centrales EDF n’ont pas d’autorisation de rejet pour ces émetteurs alpha.
  • L’exploitant COGEMA déclare que ces rejets actuels ont été fortement réduits et qu’ils induisent une contamination de l’environnement qui ne représenterait qu’environ 1% de la radioactivité naturelle  (15). Outre le fait que la radioactivité naturelle ne peut être considérée comme un seuil d’innocuité, et que, par ailleurs, il conviendrait peut-être de considérer des points de reconcentration de la radioactivité (points chauds), acceptons pour lâinstant les données de l’exploitant. Dans ces conditions, on pourra s’interroger dans 5, 10 ou 15 ans sur les effets éventuels de cette contamination actuelle. En effet, le problème doit être pris à rebours, car les leucémies observées par J.F. VIEL portent sur la période 1978 à 1993. Il convient donc (prenant en compte un temps de latence de l’ordre de 5 ans pour les leucémies radio-induites) de savoir quels ont pu être les niveaux de contamination depuis le début des années 70. Le profil chronologique des rejets publié par l’exploitant lui-même montre clairement que durant les années 80, les niveaux de rejets étaient 17 fois supérieurs à ceux d’aujourd’hui pour les émetteurs bêta-gamma et 7,5 fois supérieurs pour les émetteurs alpha.


Tableau n°2

Eléments Sable (02/82) – Moulinets Algues (02/82) – Moulinets Patelles (02/82) – Moulinets Tourteau (3/82) – Herqueville
Ruthénium 106 490 Bq / kg 1085 Bq / kg 530 Bq / kg 217 Bq / kg
Cérium 144 180 205 39 17
Cobalt 60 12 3,0 2,2
Césium 137 58 5,0 2,9 3,3
Césium 134 4,1 0,3 0,3
Antimoine 125 21 0,5 3,4
Argent 110m 2,1 9,1 4,4
Zinc 65 3,5 3,0 1,9
Zirconium 95 1,7
Nobium 95 3,9
Europium 154 1,9
Europium 155 7,8
Potassium 40 340 192 65 53

 

A cette pollution chronique, sont venues s’ajouter des pollutions accidentelles. Sans les reprendre toutes, nous voulons rappeler les ruptures de la canalisation de rejets en mer et tout particulièrement celle découverte en décembre 79. Nous ne disposons que des valeurs du 1er trimestre 82 rapportées à l’époque par l’exploitant auprès de la C.S.P.I.  (16) qui venait d’être constituée. Les mesures effectuées en spectrométrie gamma révèlent la présence de jusqu’à 8 radionucléides artificiels contre un seul naturel (le K40). Le sable de plage, élément connu pour ne retenir que faiblement les corps radioactifs (contrairement aux sédiments fins), montre une contamination artificielle de la plage de Sciotot à l’Anse du Brick avec un maximum dans l’Anse des Moulinets (tableau n°2). Les algues, les patelles, les tourteaux (tableau n°2) et divers coquillages indiquent également des niveaux de contamination élevés de 2 à 10 fois les valeurs de potassium 40 (radioactivité naturelle). A cette date, le commentaire de l’exploitant est le suivant : ” ces anomalies radioactives, propres à l’Anse des Moulinets depuis les fuites de conduite de rejet observées en janvier 1980, se sont considérablement résorbées “. On est en droit de se demander quel était le niveau de contamination 2 ans plus tôt, au 1er trimestre 1980 ! Selon des propos du directeur de l’époque, ces niveaux de contamination atteignaient jusqu’à 100 fois les valeurs enregistrées avant l’accident …. Précisons que les mesures rapportées ici ne portent que sur les émetteurs gamma. Il serait particulièrement utile de connaître les valeurs des émetteurs bêta, comme le Strontium 90, élément très radiotoxique qui se fixe principalement dans les os (c’est-à-dire là où se forment les cellules sanguines) et celles des émetteurs alpha, corps les plus radiotoxiques (dont certains, comme le Plutonium, se fixent aussi de manière privilégiée sur les os).

L’exposition humaine potentielle ne se limite pas au seul milieu marin. Elle doit être appréciée dans sa globalité face à toutes les sources cumulées dâexposition. Soulignons à cet égard que, 1 an après la rupture de la canalisation, c’est l’incendie du silo 130 qui a conduit à une libération importante de radioactivité par voie atmosphérique, notamment en Césium 137 et en Strontium 90. Un an après cet incendie, on observe encore les conséquences à travers les mesures en spectrométrie gamma de l’herbe (tableau n°3) et les mesures de Sr90 relevées dans le lait collecté chez la plupart des sociétaires (tableau n°4). Dans cette même période, rappelons que les nappes phréatiques (profondément contaminées à partir des fuites du Centre de Stockage de l’ANDRA) relarguent du Tritium en grande quantité dans les rivières avoisinantes  (17). On observera le chiffre record de 52 000 Bq par litre dans la Ste Hélène en octobre 1982 ! Ces pollutions, ainsi que celles observées au Nord-ouest du site COGEMA, expliquent en partie les concentrations en Tritium (de 350 à 500 Bq/l), là encore mesurées dans le lait des vaches (tableau n°4).


Tableau n°3

HERBE (01/82) N-O site (ext.)
Ruthénium 106 313 Bq / kg
Cérium 144 405
Césium 137 344
Césium 134 26
Cobalt 60 4
Béryllium 7 93
Potassium 40 34

Tableau n°4

LAIT(02/82) (Bq/L) ramassage

Lieu

Cs137

Sr90

Tritium

K40

S1

<
0,37

1,92

480

54

S2

2,30

2,60

440

37

S3

1,40

2,40

370

55

S4

0,41

1,50

440

32

S5

<
0,37

1,68

410

34

S6

<
0,37

1,90

360

38

 

S’il est clairement établi que des leucémies peuvent être induites par les radiations  (18), du point de vue d’un risque lié à l’environnement il est essentiel de s’interroger sur une possible ” relation dose / effet “. La pollution radioactive chronique et les pollutions accidentelles qui s’y sont ajoutées ont pu conduire, en certains lieux et à certaines périodes, à des niveaux d’équivalent de dose tout à fait significatifs notamment pour les très jeunes enfants plus sensibles à l’action des radiations.

En conséquence, nous ne prétendons pas apporter ici une preuve de relation de cause à effet, mais compte-tenu des données non exhaustives brièvement rapportées et parce que le nombre de cas de sur-incidence est faible, nous considérons que l’existence d’un lien avec ces contaminations radioactives de toutes origines ne peut être a priori écartée.

IV – EN CONCLUSION

  1. Il nous semble essentiel d’appuyer trois orientations fortes.Renforcer la poursuite des études épidémiologiques. La constitution du groupe d’experts est une bonne chose. Il convient que ce travail ait une suite et que le registre des cancers, piloté par l’A.R.C.M  (19), soit pérennisé et étroitement associé.
  2. Les exploitants, COGEMA et ANDRA, se grandiraient en faisant acte de transparence. Il est souhaitable que toutes les mesures effectuées depuis le début du fonctionnement des installations soient confiées à une commission indépendante qui, mettant en oeuvre des modèles établis, emploierait ces données pour établir une estimation des doses intégrées pour divers groupes à risques. La C.S.P.I. pourrait être le siège dâune telle élaboration.
  3. A côté des structures officielles et de celles des exploitants, l’A.C.R.O. a su démontrer qu’elle joue un rôle incontournable et bénéficie d’un grand capital de confiance de la part de la population. Nos moyens d’information et notre potentiel d’investigation doivent être renforcés. L’A.C.R.O. a engagé une mutation profonde pour développer son laboratoire ; il est essentiel que les pouvoirs publics, les collectivités locales et territoriales y apportent un appui conséquent.

Mise à jour de juin 2001 :

L’augmentation du taux de leucémies chez les jeunes observée par J.F. Viel a ensuite été confirmée par d’autres études menées par Alfred Spira de l’INSERM et l’A.R.C.M.. Sur la période 1978-1998, 5 cas ont été observés dans le canton de Beaumont-Hague sur 2,3 cas attendus, soit un ratio de 2,17. C’est chez les 5-9 ans que l’incidence est la plus forte : 3 cas observés pour 0,47 attendus, soit un ratio de 6,4.  (20)


Références

(1) J.F. Viel, International Journal of Epidemiology, 22, 4, 1993
(2) J.F. Viel, S.T. Richardson, British Medical Journal, 300,1990
(3) M. Dousset, Health Physics, 56, 1989
(4) C. Hill, A. Laplanche, Nature, 347, 1990
(5) J.F. Viel et al, Cancer Cause and Control, 4, 1993
(6) J. F. Viel, D. Pobel, A. Carre, Stat Med 1995;14:2459-72 (résumé en ligne). Cet article a été vulgarisé par Sciences et Vie de décembre 1995.
(7) D. Pobel, J.F. Viel, British Medical Journal, 314, 1997 (lire l’article ainsi que les réactions et la réponse de l’auteur)
(8) La Presse de la Manche du 17/01/1997
(9) La rédaction du B.M.J. a rendu publique cette procédure d’expertise (Le Monde du 23/01/1997)
(10) Après la publication (en 1990) de l’étude de Gardner et al, également dans le B.M.J., cette revue s’était fait l’écho pendant de nombreuses semaines de commentaires scientifiques souvent contradictoires, mais toujours enrichissants.
(11) “Je n’aurai sans doute pas dû laisser entendre que la publication de Mr Viel dans les colonnes du B.M.J. n’avait pas fait l’objet d’une relecture scientifique. […] je regrette d’avoir formulé trop vite à la presse française des critiques” déclare Mme Clavel, qui néanmoins maintient certaines de ses critiques. (Le Monde du 23/01/1997).
(12) Il s’agit de sites où la construction d’une centrale a été envisagée, mais non réalisée au moment de l’étude.
(13) Voir l’ACROnique du nucléaire n°13, juin 1991
(14) La Presse de la Manche du 10/01/1997
(15) Le comité de l’Académie des Sciences américaines spécialisé dans l’étude des effets biologiques des radiations (BEIR) estimait que la radioactivité naturelle pourrait être responsable d’environ 6 000 morts par cancers par an (soit grossièrement le double, si on prend en compte les cancers non mortels) parmi la population des Etats Unis. Ces données datant de 1973, elles pourraient être réévaluées en tenant compte les modèles actuels plus pessimistes.
(16) Commission Spéciale et Permanente d’Information près de l’Etablissement de la Hague, placée sous la tutelle du Ministère de l’Industrie et instituée en novembre 1981. L’ACRO y siège.
(17) Voir l’ACROnique du nucléaire n°23, 28, 31 et 32 au sujet du centre de stockage.
(18) A l’exception des leucémies lymphoïdes chroniques.
(19) Association pour le Registre des Cancers dans la Manche.
(20) A-V Guizard et al, Journal of Epidemiology and Community Health n°55, juillet 2001.


Liens

Articles dans l’ACROnique du nucléaire

Articles du British Medical Journal group

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L’ANDRA porte plainte contre l’ACRO

ACROnique du nucléaire n°33, juin 1996


Suite à la publication par l’ACRO de documents internes à l’ANDRA révélant la présence massive du plutonium sur le Centre de Stockage de la Manche (CSM) et de graves atteintes à l’environnement, l’Agence Nationale des Déchets Radio-Actifs (ANDRA) n’a rien trouvé mieux que de porter plainte contre l’association et son conseiller scientifique. Quel peut être le rôle du citoyen fasse à une entreprise qui viole délibérément la loi française ?


Rappelons les faits. Avec près de 530.000 m3 de déchets radioactifs, le CSM saturé est remplacé par le Centre de Stockage de l’Aube (CSA) qui prend le relais. Une enquête publique a été ouverte en octobre-novembre 1995 pour examiner la demande de fermeture du site déposée par l’ANDRA. Sur les 7 kg de documents présentés au public par l’Agence dans le cadre de cette enquête, le contenu radiologique du site tenait en une seule page. Rien sur les graves pollutions des environs révélées par l’ACRO. Dans un rapport publié à l’époque, l’Association dénonçait les violations des règles fondamentales de sûreté commises sur le CSM.

Des documents internes à l’ANDRA reçus anonymement nous ont permis de découvrir que nous sous-estimions largement l’ampleur des dégâts et que l’Agence avait volontairement menti par omission dans le document d’enquête publique. Ainsi, dans les cinq derniers mois d’activité du CSM, il aurait été stocké dans des fûts ordinaires non enrobés plus de plutonium que ce que le CSA, huit fois plus grand, est autorisé à recevoir durant toute son existence. De nombreux autres éléments très radio-toxiques ont aussi été stockés dans des propostions qui dépassent largement les quantités autorisées. L’eau des nappes phréatiques que l’on savait déjà très polluée en tritium, est impropre à la consaommation. Par endroit, la contamination dépasse de trois fois les limites sanitaires françaises, pourtant très laxistes. Certaines structures d’accueil en béton, supposées retenir les eaux de percolation, sont déjà fissurées et laissent s’échapper du tritium et d’autres radio-éléments.

Qu’aurait dû faire l’ACRO ? Renvoyer les documents à leur propriétaire ou alerter le citoyen consulté sur l’avenir du centre de stockage ? L’ANDRA avait délibérément menti à la population, aux élus, aux autorités de sûreté et à la Commission Hague. Les documents ne contenant aucune information touchant le secret industriel, commercial ou militaire, mais uniquement des informations qui auraient dû être dans le dossier d’enquête publique, nous avons donc convoqué la presse à une conférence pour informer la population de l’état réel du site de la Hague. Les commissaires enquêteur ont demandé l’accélération de la fermeture du site. Pourtant, ils venaient d’être désavoués par le gouvernement qui, à la suite des révélations de l’ACRO, a décidé, en décembre 1995, de mettre en place un groupe d’experts indépendants chargé de faire l’état du CSM. Quant à l’ANDRA, pourtant responsable (mais pas coupable ?) de la situation désastreuse du CSM, elle préfère se donner une image verdie en annonçant la construction d’une éolienne sur le site et attaquer l’ACRO en justice.

Nous sommes bien décidés à nous battre jusqu’au bout pour faire progresser la vérité. Pour cela, nous avons besoin du soutien du plus grand nombre, afin de faire face aux frais engendrés par un tel procès et pour pouvoir poursuivre notre mission de contrôle de l’environnement. Il en va de la survie de l’association et de toute surveillance indépendante des installations nucléaires de la Hague.


Mise à jour de mars 1999
Deux représentants de l’ACRO ont été entendus par la gendarmerie en 1996. Depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de la plainte.


Merci à la Cour européenne des droits de l’Homme
ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999

” C’est à l’unanimité que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la justice française et a donné raison au “Canard” dans l’affaire Calvet. […] L’arrêt que vient de prendre la Cour européenne est une belle décision de principe qui va désormais s’imposer aux magistrats français “. Bonne nouvelle pour l’ACRO qui voit du même coup la plainte de l’ANDRA pour recel de documents volés avec plus de sérénité. Cet arrêt sort les journalistes et les associations ” du piège infernal dans lequel la justice française tenait à les enfermer : pas de preuve ? Diffamation ! Des preuves ? Receleur ! “

(Les citations sont extraites du Canard Enchaîné du 27 janvier 1999)

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L’état de l’environnement dans la Hague

Silence n°197, novembre 1995


La presqu’île de la Hague est située au Nord du Cotentin, à l’Ouest de Cherbourg, dans le département de la Manche. Elle abrite l’usine de retraitement de la Hague mais également des zones de stockage de déchets radioactifs. Depuis 1986, l’ACRO, association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, fait un suivi de l’état de l’environnement. Pas rassurant.


L’ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest), née à suite de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, vient de publier un rapport (1) alarmant sur la contamination autour de l’usine de retraitement des déchets nucléaires, gérée par la COGEMA (2), et le Centre de Stockage de la Manche (CSM), géré par l’ANDRA (3). Perdue tout au bout de la presqu’île du Cotentin, à la pointe de La Hague, l’usine COGEMA (4) extrait le plutonium des déchets nucléaires français et étrangers. Parmi ses clients, elle compte le Japon, l’Allemagne, la Suisse et la Hollande. Attenant, le Centre de Stockage de la Manche (5) accueillait tous les déchets faiblement radioactifs, mais déjà plein, il doit être fermé pour 300 ans, ce qui correspond à un stockage de courte durée (6). L’ACRO, équipée d’un laboratoire d’analyse, surveille de façon régulière l’environnement dans cette région et tente d’informer la population sur la situation. C’est qu’il y a fort à faire car une véritable politique du secret est menée par les exploitants, et les autorités locales ne jouent pas leur rôle de contre-pouvoir. Qu’ont-ils de honteux à cacher ?

Dans des documents à diffusion restreinte, contenant des tables de contamination des nappes phréatiques, on trouve des résultats intéressants pourtant. De février 1982 à février 1986, les teneurs en tritium (7) varient entre 140 000 Bq/l et 440 000 Bq/l (8) selon les piézomètres (9) les plus marquants, où les prélèvements ont été faits. A titre de comparaison, on trouve habituellement moins de 1 Bq/l de tritium dans l’eau ; il provient des essais nucléaires atmosphériques. Il  est déjà notoire que l’usine COGEMA de la Hague soit l’usine nucléaire la  plus polluante d’Europe par ses rejets autorisés dans la mer. Avec un total de 38 920 TBq (38,9 1015 Bq) d’effluents liquides par an, principalement du tritium, la COGEMA rejette dans la mer environ 1 400 fois plus que la centrale de Gravelines en fonctionnement normal (10). Apparemment cela ne suffit pas car les nappes et les rivières, pour lesquelles ni l’ANDRA ni la COGEMA n’ont d’autorisations de rejets, servent aussi d’exutoire.

Secret nucléaire

Jusqu’en mars 1986, les mesures de contamination au niveau des piézomètres étaient régulièrement communiquées aux membres de la Commission Hague (11);  soudainement une partie de ces informations est devenue secrète : tous les résultats internes aux sites COGEMA et ANDRA disparaissent sans aucune explication. Sur 70 piézomètres, 31 deviennent classés “secret nucléaire”. Que s’est-il passé, à cette époque, qui pourrait  expliquer un tel comportement? Tchernobyl, bien-sûr, est une hypothèse vraisemblable. Il semblerait que les exploitants aient eu peur que les Français, découvrant l’état de l’industrie nucléaire à l’Est, aient commencé à se poser des questions sur ce qui  se passait chez nous. C’est vrai qu’il n’y a pas de quoi être fier au vu des contaminations ! L’image de marque du nucléaire français, sûr et propre, risquait  d’en prendre un coup. A partir de janvier 1988, les résultats au niveau du piézomètre 702, sur la commune de Digulleville disparaissent aussi, pour ne réapparaître qu’en avril 1991, après demande insistante de la Commission Hague. Comme par hasard, c’était le piézomètre le plus contaminé en dehors du site et sa contamination ne cessait d’augmenter depuis 1987.

La limite sanitaire, à savoir la limite entre l’inacceptable et le tolérable (12) et non la limite d’inoffensivité (13), est de 270 000 Bq/l. Cette limite est parfois dépassée au niveau des nappes phréatiques ; il y a donc de quoi être inquiet. Il serait intéressant d’étudier ce que l’on trouve dans l’eau du robinet des villages des alentours, “rien” affirment en choeur les exploitants. Peut-on avoir confiance ? Aussi bien la COGEMA que l’ANDRA, publient des bulletins d’information qui contiennent les résultats de leur surveillance. Ainsi, dans le numéro de décembre 1989 de la COGEMA, on peut noter que du lait est légèrement contaminé en tritium, avec une valeur maximale pour le mois, de 20 Bq/l. Cet effort de transparence est louable, car la population des environs est en droit de protester, arguant qu’elle aimerait du lait non contaminé. Cependant, si on va fouiller dans les résultats de surveillance laitière remis à la Commission Hague pour ce même mois, on y trouve une valeur de 180 Bq/l de tritium dans le lait. Une erreur de frappe, sûrement ? Pas du tout ! l’ACRO a relevé 29 erreurs en cinq ans qui vont toutes dans le même sens : sous estimer la pollution. Quant à l’ANDRA, avec un tout nouveau bulletin trimestriel, elle semble suivre la même voie ; on relève déjà une erreur sur les contaminations des nappes phréatiques. De quoi perdre toute confiance en ce que peuvent prétendre les exploitants. Qu’ont-ils à gagner à tricher ? Ont-ils peur de la réaction des consommateurs qui auraient pu découvrir jusqu’à 480 Bq/l de tritium dans le lait ?

Pollutions radioactives

Pour savoir ce qui se passe maintenant, il faut donc se tourner vers le seul laboratoire indépendant qui surveille régulièrement ce site, à savoir l’ACRO. Le bilan publié dernièrement ne nous permet malheureusement pas d’être optimiste. On y retrouve pêle-mêle, du tritium, encore, mais aussi d’autres pollutions radioactives dans des lieux où la COGEMA et l’ANDRA n’ont aucune autorisation de rejet.

La rivière Ste Hélène, déjà célèbre pour sa pollution,  est toujours aussi contaminée. Cette rivière prend sa source sur le site de stockage et va directement se jeter dans la mer.  En 1991, l’ACRO avait tiré la sonnette d’alarme après avoir détecté du césium (Cs137) à des taux atteignant  près de 4 000 Bq/kg de sédiments secs (on trouve habituellement moins de 10 Bq/kg, dus aux essais nucléaires et à Tchernobyl) et la COGEMA lui avait publiquement ri au nez : “comme toujours l’ACRO multiplie tous ses résultats par dix pour se faire de la publicité”. Il a fallu un essai inter-laboratoires (14) pour que la COGEMA mesure les mêmes taux, admette la pollution et s’engage à faire des travaux. Une canalisation oubliée entre le site de la COGEMA et celui de l’ANDRA  serait la cause de cette pollution (il est inquiétant de noter que le site de l’ANDRA est là pour 300 ans et qu’après 20 ans les exploitants ont déjà des trous de mémoire…). Aujourd’hui, avec des contaminations en Cs137 atteignant 2 000 Bq/kg,  force est de constater que la pollution de la Ste Hélène est toujours aussi alarmante. On trouve aussi dans les sédiments d’autres  radioéléments artificiels tels que le césium134, le cobalt60 et le rhodium106, qui ne sont pas présents dans d’autres uisseaux de  la région, le Grand Bel ou la rivière du Moulin entre autres.  Qu’a fait la COGEMA pour remédier à cette pollution ? remué un peu de  terre, bétonné la source du ruisseau… et rien de plus.

Des mesures sur les mousses aquatiques montrent que l’eau de la Ste Hélène est contaminée en césium et cobalt. L’ACRO y détecte aussi systématiquement du tritium, à des taux voisins de 500 à 600 Bq/l. A titre de comparaison, dans le Rhône, en aval de toutes les installations nucléaires, dont le centre de Marcoule qui a des autorisations de rejet, on trouve entre 11 et 26 Bq/l en tritium (15). Dans la Hague, l’origine du tritium est incertaine, mais il est fort probable qu’il vienne directement des nappes phréatiques que l’on sait très polluées. Il est ensuite rejeté dans la mer (10 à 20 Ci par an, selon les estimations de l’ACRO), après avoir traversé villages et pâturages.

Les risques dans la chaîne alimentaire

L’impact sanitaire de cette pollution persistante est difficile à évaluer. Des mesures faites par l’ACRO chez des particuliers tendent à montrer qu’il y a de quoi être inquiet. Ainsi, dans le puits et le lavoir d’une ferme de Digulleville, on trouve du Cs137 dans les sédiments à des taux qui dépassent les valeurs habituelles et du tritium dans l’eau à des teneurs atteignant 500 Bq/l. L’abreuvoir d’un champ proche est autant exposé à la pollution et le tritium de l’eau bue par les vaches se retrouve dans le lait avec un taux de transfert de l’ordre de 80%, commençant là son voyage dans la chaine alimentaire. Même la COGEMA est forcée d’avouer que le lait peut être aussi contaminé. Le tritium est retrouvé dans l’eau du lait, mais aussi dans les graisses, le lactose et la caséïne avec des périodes biologiques variant de 4 à 300 jours. Sachant qu’aucune dose d’irradiation n’est inoffensive, il parait important qu’une étude sanitaire de grande envergure soit menée sur toute la Hague. Au vu de cette pollution et de la politique d’information des exploitants, c’est à un véritable travail d’investigation que l’ACRO doit se livrer. Jouant un rôle de détective, l’association a eu accès à des documents internes faisant état d’accidents sur le site de la Hague. L’ANDRA a reconnu du bout des lèvres l’accident de 1976 qui aurait conduit à une fuite dans le sous-sol de 1 850 000 GBq (50 000 Ci) de tritium mais refuse d’admettre celui de 1980 lors duquel, selon une note intérieure ANDRA, l’activité bêta des eaux de drainage a été multipliée par 5 000 (principalementdu Cs137 semble-t-il). Combien d’autres accidents de ce type n’ont jamais été révélés publiquement  par les exploitants ? Difficile de le savoir avec des exploitants refusant la transparence. Quant aux populations des environs, pas de problème vu que les installations nucléaires sont sûres!

Pour une commission d’enquête

L’ACRO somme donc les exploitants de publier les résultats de toutes les mesures effectuées, y compris sur le site. Une fois l’état des lieux établi, il conviendra de mener une étude de faisabilité sur la décontamination active des nappes phréatiques. Pour ce qui est du Centre de stockage en particulier, elle somme les autorités de sûreté et l’autorité publique d’assumer leur rôle de surveillance en mettant sur pied une commission d’enquête indépendante incluant des membres de la Commission Hague dont la mission sera de faire toute la lumière sur le passé du site et de faire un bilan de l’état actuel. Cette commission devra rendre son rapport avant la fermeture du site 16). Pour le moment, mise à part une reconnaissance tacite des résultats de l’ACRO et une dénonciation publique, les exploitants se renferment dans leur mutisme. Les autorités locales ne semblent pas réagir et la presse nationale, susceptible d’aider à changer les choses, ne semble pas très intéressée par ce qui se passe là-haut, tout au bout de la  presqu’île du Cotentin. Donc en attendant, pour pouvoir faire pression, il faut continuer le travail de surveillance autour des sites entrepris par les laboratoires indépendants. L’ACRO, dotée d’un détecteur gamma et d’un détecteur bêta a besoin de renouveler son matériel et de le complèter avec un équipement plus performant, afin de pouvoir continuer son travail de surveillance et d’information. Une souscription (17) est donc lancée.

David BOILLEY

(1) rapport publié dans l’ACROnique
du nucléaire
numéro 28 ; ce rapport est aussi disponible
en anglais. (retour)

(2) COGEMA : Compagnie Générale de
Matières Nucléaires (retour)

(3) ANDRA : Agence Nationale des Déchets
Radio-Actifs (retour)

(4) pour en savoir plus, cf rapport WISE-Paris,
COGEMA
La Hague : les techniques de production des déchets
, déc.
94. (retour)

(5) Pour en savoir plus cf l’ACROnique du nucléaire
numéros 23 et 24. (retour)

(6) D’après le contenu radiologique du site,
nous avons calculé qu’il faudra attendre au moins 800 ans. (retour)

(7) Le tritium (H3), est issu de la fission ternaire
de l’uranium 235 au sein des réacteurs nucléaires. C’est
un émetteur bêta pur. (retour)

(8) Le béquerel (Bq) correspond à
une  désintégration par seconde. Compter le nombre de
désintégrations par seconde dans un litre d’eau dues au tritium
permet de connaitre la quantité de tritium dans cette eau. Le curie
(Ci) est l’ancienne unité, il correspond à l’actvité
d’un gramme de radium et vaut 37 milliards de Bq. (retour)

(9) Appareils servant à mesurer la pression
qui plongent dans les nappes phréatiques et au niveau desquels sont
faits des prélèvements d’eau. (retour)

(10) rapport WISE, op. cit. (retour)

(11) Commission Spéciale et Permanente d’Information
(CSPI), dite aussi “Commission Hague”. Elle est composée d’élus,
de syndicalistes, d’associatifs et de scientifiques. (retour)

(12) Martine Deguillaume,  La dignité
antinucléaire
, éd. Lucien Souny (retour)

(13) Pour tout savoir sur les effets biologiques
des radiations, voir l’ACROnique du nucléaire numéro
27 (retour) (article disponible
en ligne)

(14) cf l’ACROnique du nucléaire
numéro 16. (retour)

(15) Lambrechts, Foulquier, Pally, Synthèse
des connaissances sur la radioécologie du Rhône
, rapport
de l’IPSN (retour)

(16) Une  enquête publique a eu lieu
du 2 octobre au 30 novembre en vue du passage en phase de surveillance.
(retour)

(17) 800 000 F doivent être réunis
pour remplacer le détecteur à scintillation liquide trop
ancien et non adapté aux mesures dans l’environnement par un nouveau
à bas bruit de fond. Vos dons, à envoyer à l’ordre
de l’ACRO-souscription, peuvent être déduits des impôts.
(retour)

Ancien lien

Les rayonnements et la santé

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°27, décembre 1994

INTRODUCTION


Pour beaucoup de gens, les problèmes économiques semblent être fondamentaux pour juger de l’acceptabilité de l’énergie nucléaire. En réalité, ces problèmes devraient être secondaires. Il faut (il aurait fallu) partir de cette question : Quels sont les dangers de l’énergie nucléaire?
C’est le problème de l’acceptabilité qui est posé.

– Si le danger est nul ou très faible, on peut adopter l’énergie nucléaire, et les aspects économiques concernant la rentabilité ou la compétitivité vis à vis des autres sources d’énergie sont essentiels. Le problème de l’acceptabilité ne se pose pas.

– Par contre, si le danger est considérable, c’est à dire s’il affecte des populations entières, des millions de personnes pendant une période très longue (par exemple les déchets, les radioéléments relâchés en Biélorussie qui, pendant quelques siècles vont polluer les terres agricoles et endommager le patrimoine génétique), alors, les problèmes économiques n’ont guère de sens en ce qui concerne l’acceptabilité.

Il faut d’abord envisager les coûts sanitaires avant les coûts économiques. Le coût économique du réacteur détruit à Tchernobyl était acceptable pour l’URSS mais évacuer toutes les personnes qui vivaient en zone contaminée s’est révélé impossible financièrement. De même la perte des terres agricoles qui représentent 20% du territoire de Biélorussie ne peut être assumée économiquement par cette République. Qui va supporter les coûts? les populations. Il est évident que le coût économique tel qu’on le présente généralement masque le vrai problème du nucléaire. Les dangers proviennent essentiellement des effets biologiques du rayonnement: effets cancérigènes et effets génétiques.

Après quelques notions de base sur l’irradiation, la contamination, la concentration organique des radioéléments et leur action biologique, nous vous présenterons 2 exemples de conséquences des radiations sur la santé: les leucémies à Sellafield et la pathologie thyroïdienne radio-induite.


Tout d’abord, que sont les rayonnements ionisants ?

Ils comprennent les rayonnements alpha, bêta et gamma de la radioactivité, les neutrons éjectés lors de
réactions atomiques, les faisceaux d’électrons réalisés dans un accélérateur de particules et, dans un autre domaine, la frange la plus énergétique des rayons x appelés les rayons x “durs”, produit dans un tube cathodique et utilisés en radiologie médicale. Il s’agit donc d’une famille de rayonnements définis ni par leur provenance, ni par leur nature, mais par leurs effets sur la matière.

Le terme de rayonnement ionisant signifie précisément rayonnement capable d’ioniser, ce qui signifie qu’il contient suffisamment d’énergie pour déplacer des électrons dans la matière où il se déplace. Ainsi, par perte ou par gain d’électrons, il transforme des atomes (neutres), en ions (chargés électriquement).
Un ion ainsi créé aura des caractéristiques légèrement différentes de celles de l’atome de départ, et cette modification peut être suffisante pour changer son comportement chimique vis à vis des autres atomes.

I L’IRRADIATION

Définition

L’irradiation est le fait de recevoir des rayons d’une source qui les émet autour d’elle. Ce qui caractérise une source radioactive est qu’il est impossible de l’arrêter. Il n’y a donc que deux manières
de se protéger de ce type de source:

  • La première consiste à placer un écran entre soi et la source pour absorber les rayonnements. C’est très efficace en ce qui concerne les rayonnements alpha et bêta qui peuvent facilement
    être arrêtés complètement. Les rayonnements gamma, en revanche, ne sont jamais arrêtés en totalité. Il
    faut placer un écran de plomb épais ou de béton de largeur considérable pour en arrêter la plus grande partie.
    Mais il en reste toujours un peu au-delà de l’écran. C’est pourquoi, en irradiation externe, les rayons gamma sont les plus dangereux.(Pour mémoire relire Notions de Base )
  • La deuxième manière de se protéger est d’augmenter la distance entre soi et la source. Comme la source irradie dans toutes les directions, l’intensité du rayonnement décroît selon l’inverse du carré de la distance.

Effets des irradiations

L’irradiation touche en général le corps entier. C’est le phénomène le mieux étudié. Ses conséquences sont bien connues en ce qui concerne les fortes doses. Elles peuvent être rapidement mortelles si elles se comptent en dizaine de sievert. Pour les faibles doses, la fréquence des cancers et des malformations en fonction de la dose reçue est encore discutée.  Mais, ce qui est sûr, c’est que même si l’irradiation est totalement terminée, elle peut laisser des traces dans l’ADN (acide désoxyribonucléique) des cellules qui pourront se manifester sous forme de cancer jusqu’à plusieurs dizaine d’années après cette irradiation, ou de malformation d’origine génétique dans les générations suivantes.

Au cours d’une irradiation, on peut mesurer la dose reçue si l’on dispose d’un dosimètre. Mais, une fois l’irradiation terminée, il n’est pas toujours possible de mettre en évidence une irradiation passée. Ainsi, lors d’accidents d’irradiation, les informations déduites des analyses biologiques sont imprécises et les systèmes de modélisation ne sont pas toujours réalisables en pratique.

Par ailleurs, dans de nombreuses autres situations (source inconnue, irradiation chronique, irradiation ancienne non mesurée, etc.), il est évident qu’aucun moyen n’est possible pour quantifier les doses reçues. C’est pourquoi, du fait des temps de latence fort longs, il est souvent impossible de mettre en relation l’apparition d’un cancer ou d’une malformation chez un individu avec une irradiation passée.
Cela n’a été possible qu’à l’échelle collective, de façon statistique, par exemple à l’occasion de “l’expérience grandeur nature” qu’ont représenté les explosions d’HIROSHIMA et NAGASAKI.

Certains tissus de l’organisme sont particulièrement sensibles à l’irradiation; ce sont ceux qui se renouvellent le plus vite, donc, où les divisions cellulaires sont les plus nombreuses. Il s’agit des cellules qui, dans la moelle osseuse, donneront naissance aux cellules sanguines, ou de la muqueuse de l’intestin, par exemple. Il s’agit aussi des cellules sexuelles. Chez l’homme, les cellules souches des spermatozoïdes (qui se forment en près de 2 mois et demi) sont extrêmement radio sensibles. Chez la femme, il n’y a pas de production de nouvelles cellules sexuelles. Celles qui pourront donner des enfants à naître sont toutes présentes dans l’ovaire, à l’état d’ovocytes, depuis le cinquième mois de la vie embryonnaire de la femme. S’il n’y a pas de division cellulaire des cellules sexuelles chez la femme, il faut cependant les considérer comme hautement fragiles, car tous les toxiques susceptibles d’atteindre l’ADN s’additionneront sur la même cellule depuis avant la naissance de la femme jusqu’à l’âge d’une éventuelle grossesse. Les testicules, et tout particulièrement les ovaires, doivent donc être considérés comme des organes à protéger, en priorité, de toute irradiation par des rayonnements ionisants. Cela implique par exemple l’utilisation de caches en plomb placés entre la source et ces organes lors d’irradiations, en radiologie médicale, chaque fois qu’il n’est pas strictement indispensable de voir sur la radio la région de ces organes.

De même, il est nécessaire de veiller à la protection du personnel des hôpitaux contre l’irradiation, d’autant plus qu’il s’agit souvent de femmes jeunes. Il existe des vitres plombées dans les services de radiologie et des tabliers de plomb pour les cas où l’on est obligé de s’approcher de la source. Bien évidemment, le problème se pose également pour les travailleurs du nucléaire.

II LA CONTAMINATION

Définition

La contamination consiste à entrer en contact avec des particules radioactives. On devient alors porteur de la source qui émet ses rayonnements à partir de l’endroit du corps où elle se trouve. Elle peut se situer à la surface du corps, sur la peau; on parle alors de contamination externe. Elle peut se situer à l’intérieur du corps. La particule radioactive pénètre – soit par l’air, dans les poumons – soit par le tube digestif – soit par une plaie. Elle peut ensuite être transportée par le sang jusqu’à tous les organes. Lorsque la source se trouve à l’intérieur du corps on parle de contamination interne. La source continue évidemment à émettre ses rayonnements qui sont reçus en permanence par les tissus environnants. C’est pourquoi certains parlent d’irradiation interne. C’est exact, mais nous pensons que ce terme entretient la confusion entre irradiation et contamination.

La contamination reste en effet très différente de l’irradiation et ceci pour plusieurs raisons:

Tout d’abord les moyens de s’en protéger n’existent pas. On ne peut glisser un écran de plomb à l’intérieur de l’organisme!

Les rayonnements alpha provoquent de nombreuses ionisations dans les tissus voisins et sont alors les plus dangereux. Les rayonnements bêta ont un parcours un peu plus long mais ils transmettent également leur énergie sous forme d’ionisation dans les tissus du corps. Les rayonnements gamma produisent aussi des ionisations, mais ils ne sont pas totalement arrêtés et irradient à l’extérieur du corps. La personne fortement contaminée devient une source d’irradiation pour les autres.

Nous avions vu que la deuxième façon de limiter l’irradiation était de s’éloigner. Si l’on est contaminé; c’est impossible on est porteur de la source. Si la contamination est faible, l’irradiation qu’elle provoque pour les autres est extrêmement faible.
De même la dose reçue par l’ensemble du corps de  la personne contaminée peut être vraiment très faible. Mais, en fait, les effets biologiques sont à étudier à l’échelle des tissus voisins de la source, immédiatement en contact avec elle.

Par ailleurs, à dose globale équivalente, un rayonnement reçu au quotidien semble plus dangereux qu’un flash d’irradiation en ce qui concerne  l’accumulation des lésions cellulaires.
Ces réalités ne sont pas toujours prises en compte dans les discours officiels.

La deuxième grande différence avec l’irradiation externe est que le phénomène reste actif dans le temps. La source continue d’émettre et de provoquer des ionisations autour d’elle.
Une source très faible peut ainsi provoquer des effets importants au bout d’un certain temps. Bien sûr, s’ajoutera ensuite un temps de latence avant l’apparition d’un cancer, par exemple. Pour se protéger, on parle beaucoup de décontamination. Nous allons voir que les résultats que l’on peut en attendre sont souvent très limités. Enfin la notion d’organe cible en contamination mérite que l’on s’y arrête.

La décontamination

La décontamination est un mot qui fait rêver: c’est tout simplement supprimer la contamination. Il s’agit en fait, le plus souvent, de méthodes artisanales et limitées qui ne sont efficaces que dans un nombre restreint de cas et devant des accidents de faible ampleur. Puisque l’on ne peut pas arrêter une source radioactive, l’objectif de la décontamination est de retirer la source de la zone contaminée. Si la contamination est externe c’est possible par lavage, par exemple ou en collant les poussières
à l’aide d’un papier adhésif. Mais il faut savoir que l’eau de lavage ou les autres produits utilisés deviennent alors des déchets radioactifs à gérer comme tels. Si une petite région du corps est contaminée les résultats de ces techniques sont très intéressants, mais, s’il y a une contamination de l’environnement on est très vite dépassé par l’ampleur. Autour de TCHERNOBYL, il s’agissait de décontaminer non seulement les humains mais aussi les maisons, les champs, les arbres… On a lavé des maisons à la lance, mais toute l’eau de lavage aurait du être gérée comme déchet radioactif: c’était impossible.
Dans la campagne, on a déversé par hélicoptère des aérosols collants pour fixer les particules radioactives au sol dans la zone interdite et empêcher que le vent ne les emporte.
Il ne s’agissait pas de supprimer la contamination comme a pu le laisser croire l’information diffusée par les médias, mais d’en limiter la propagation.
Si la contamination humaine est interne on essaie de déplacer les particules radioactives par différents mécanisme chimiques. L’efficacité dépend de la précocité du traitement, mais les résultats sont en règle générale très limités. On n’a pas les moyens d’aller chercher des particules fixées dans les tissus biologiques.

III FIXATION ET CONCENTRATION ORGANIQUE

La circulation d’une particule radioactive dans l’organisme n’est pas laissée au hasard.
Selon la nature chimique de la source, elle est intégrée aux réactions chimiques à l’intérieur des cellules (au métabolisme). Ainsi, l’organisme utilisera l’iode radioactif au même titre que l’iode non radioactif. Comme l’iode est fixé par la glande thyroïde pour entrer dans la composition de l’hormone thyroïdienne, l’iode radioactif se trouvera également fixé par la thyroïde. La thyroïde joue un rôle actif de concentration de l’iode, y compris de l’iode radioactif.
Le phénomène peut se produire de même pour des particules non habituellement présentes dans le corps, mais dont la structure atomique fait qu’elles peuvent être confondues par l’organisme avec des substances présentes habituellement. C’est le cas du césium qui est confondu avec le potassium (et même capté préférentiellement par rapport au potassium) et diffusé à l’intérieur de toutes les cellules, mais est largement concentré dans les muscles. C’est encore le cas du strontium qui est confondu avec le calcium et fixé dans les os.

On est donc amené à définir pour chaque corps une période biologique, indépendante de la période radioactive, qui représente le temps au bout duquel la moitié de la substance qui a pénétré dans l’organisme est rejetée à l’extérieur dans les urines, les selles, la sueur. Cette période biologique peut être courte ou longue, proche ou éloignée de la période radioactive. Vous en trouverez quelques exemples dans le tableau ci dessous.

Période radioactive Période biologique
iode 131 8 jours jusqu’à 120 jours pour l’iode captée par la thyroïde
césium 137 30 ans de 50 à 150 jours
strontium 90 28 ans 8 à 30 ans (selon les auteurs)
plutonium 239 24000 ans 40 ans dans le foie;100 ans dans les os (CIPR, davantage pour certains auteurs)
ruthénium 106 1 an de 20 à 170 jours (modèles animaux)

Les organes fixant la contamination ne correspondent pas nécessairement aux tissus les plus radiosensibles (c’est-à-dire fragiles à l’irradiation) cités plus haut. Toutefois, le cas du strontium 90 est une conjonction frappante: la période radioactive est moyenne et correspond à peu près à la période biologique qui, elle, est longue puisque le strontium est fixé dans un tissu à renouvellement lent, l’os. L’os est en revanche au contact direct de la moelle osseuse, qui, elle, est à reproduction rapide et fabrique les globules du sang particulièrement radiosensibles. Certains se demandent s’il n’y a pas là un facteur des cancers du sang (leucémies) qui prennent une place de plus en plus importante. Il est tout à fait curieux de constater que personne ne s’empresse de faire des recherches sur ce sujet…

Ce phénomène de concentration biologique est retrouvé dans un certain nombre de situations et peut prendre des proportions très importantes: les chaînes alimentaires. Le phénomène de fixation-concentration biologique d’un radio nucléide peut se produire à répétition dans différents organismes pour aboutir finalement dans l’assiette de l’homme. C’est ce que l’on appelle les chaînes alimentaires. Par exemple: terre- plantes- vaches- lait- homme; ou mer- plancton- poisson- poisson carnassier- homme.

Si le phénomène de concentration se répète à chaque étape, les doses présentes en bout de chaîne alimentaire, dans l’assiette de l’homme, n’ont rien à voir avec la dilution de départ de la pollution.
On connaît, par exemple, le phénomène de concentration de l’iode dans le lait. On sait par ailleurs que la Corse a été assez fortement touchée par les retombées de Tchernobyl. En ce qui concerne l’iode 131 radioactif, on aurait pu protéger la population sans inconvénient économique important puisque, du fait de sa courte période (8 jours), il aurait suffit de transformer toute la production du moment en lait UHT à consommer plus tard pour se protéger de l’iode 131 concentré dans le lait. On n’a rien fait pour ne pas affoler la population. On sait aujourd’hui que des enfants corses ont des problèmes thyroïdiens mis en évidence par le Dr Lefauconnier qui, avec la CRII RAD, incrimine le nuage de Tchernobyl.

IV L’ACTION BIOLOGIQUE DES RADIATIONS IONISANTES

Le fait que les radiations sont dangereuses n’est pas discutable.
Les radiodermites dues aux rayons X, la cancérisation de ces lésions et d’autres tissus sensibles, les mutations génétiques ont été découvertes, si l’on peut dire, “à l’épreuve du feu”. En effet le premier Kg de Radium a fait, d’après certaines estimations, une centaine de morts parmi les chercheurs qui l’ont manipulé, dont Marie Curie elle-même; par ailleurs, une grande partie des connaissances sur les effets humains des radiations atomiques est due à l’étude de la mortalité après les explosions d’Hiroshima et de Nagasaki.
Elle a montré, hormis les effets immédiats de l’explosion, une augmentation des cancers et des malformations congénitales chez les survivants, qui se fait encore sentir aujourd’hui.

De même, en Angleterre en 1953, c’est après avoir vu la mortalité par leucémies des enfants de 3 ans augmenter subitement qu’on a pu incriminer la pratique, nouvelle à l’époque, des radios de bassin chez la femme enceinte et interdire celles-ci pour éviter celles-là.

Le débat actuel ne porte donc pas sur le principe de la toxicité des radiations, mais sur les relations dose – effet. Si beaucoup reste à découvrir, il faut reconnaître que, depuis le début du siècle, tous les progrès des connaissances vont dans le sens d’une toxicité plus grande que celle évaluée antérieurement.
Que se passe t’il dans les tissus lors d’une irradiation ?
Dans les tissus vivants, les réactions chimiques sont très nombreuses, constituant le métabolisme cellulaire. Les molécules les plus grosses seront logiquement des cibles privilégiées pour le rayonnement, puisqu’elles occupent davantage d’espace. Parmi elles, une molécule clef de la vie biologique est l’ADN (acide désoxyribonucléique) qui compose le noyau de chaque cellule et qui porte le code génétique définissant l’ensemble des caractéristiques innées de l’individu: c’est le centre de commande de la vie biologique.

Une petite erreur de code produite par l’ionisation d’un atome se traduira par une modification de la réaction déterminée par ce code, pouvant alors modifier des caractéristiques importantes de la cellule. Les effets biologiques de cette transformation seront différents selon que la cellule touchée est une cellule ordinaire de l’organisme:
cellule somatique, ou une cellule sexuelle: cellule reproductrice.
S’il s’agit d’une cellule somatique. Celle-ci peut devenir aberrante et incontrôlable et donner naissance à un tissu étranger, envahissant et dévastateur, qu’on appelle un cancer.
Les cellules les plus sensibles aux rayonnements sont celles qui se multiplient le plus vite, par exemple les cellules de la peau ou celles de la moelle osseuse qui fabriquent les cellules du sang. C’est pourquoi les cancers radio induits sont le plus souvent des cancers de la peau ou des cancers du sang, parmi lesquels les plus connus sont les leucémies.

Pour les effets cancérigènes, les données sont relativement sûres. Des désaccords subsistent dans la polémique scientifique mais ils ne dépassent guère un facteur 3 à 4 sur l’importance de l’effet. Jusqu’à présent les études n’ont porté que sur l’effet des irradiations externes. Pour l’effet des contaminations internes, les données expérimentales fiables sont quasi inexistantes. Tchernobyl nous montre que les effets cancérigènes les plus importantes proviendront de la contamination interne.
Si la cellule touchée est une cellule reproductrice, cellule du testicule ou cellule de l’ovaire, la modification de l’ADN peut être source d’anomalie génétique. Dans le cas où cette cellule est fécondée, l’anomalie génétique (ici aberration chromosomique) peut provoquer un avortement précoce, c’est-à-dire dans les premières semaines de la grossesse, et, du fait de sa précocité, l’avortement peut passer totalement inaperçu, se manifestant éventuellement par des règles un peu tardives et un peu plus abondantes qu’à l’ordinaire. C’est ce qui arrive le plus fréquemment en cas d’anomalie génétique importante, touchant les chromosomes. Mais quelquefois la grossesse peut se maintenir et aboutir à la naissance d’un enfant porteur de malformation congénitale.

Il se peut également que l’anomalie soit très localisée, touchant sélectivement un gène et constituant alors une mutation génétique. Les plus fréquentes de ces mutations sont dites récessives, ce qui signifie qu’elles sont présentes mais, cachées par le gène dominant normal, ne se manifestent pas. Elles constituent cependant une anomalie héréditaire transmise selon les lois de la génétique. Elles sont susceptibles d’apparaître et de provoquer une maladie après une ou plusieurs générations, au hasard des rencontres des stocks génétiques paternels et maternels. Il faut ajouter qu’il existe des possibilités,
encore mal connues, de reconnaissance des gènes anormaux et de réparation de ces gènes par la cellule elle-même.

En ce qui concerne l’effet du rayonnement sur le patrimoine génétique nous ne connaissons presque rien. Essentiellement des expériences faites sur des animaux de laboratoire. Les effets génétiques pourraient bien être la composante majeure des conséquences d’un accident nucléaire grave, mais ce “détriment” est un
détriment vicieux, pervers, parce qu’il peut être relativement faible dans les premières générations et augmenter au cours du temps parce que certains défauts du patrimoine génétique vont se propager dans les générations futures suivant des mécanismes mal connus.

Après avoir étudié l’effet du rayonnement sur les molécules, nous allons nous intéresser aux conséquences sur les populations. Nous n’examinerons ici que le problème des cancers radio-induits.

  1. Ces cancers sont absolument identiques aux cancers “naturels”. Il n’est donc pas possible de les identifier parmi l’ensemble des cancers, de déclarer radio induit  un cancer observé sur un individu donné même si celui-ci a été irradié (et inversement).
  2. Pour la même irradiation, l’induction de cancer dépendra fortement des individus, en particulier du système immunitaire.
  3. Pour un groupe assez important d’individus irradiés, on pourra observer un accroissement de la fréquence des cancers qui dépendra du niveau de l’irradiation.
  4. L’apparition clinique de ces cancers ne se fera qu’après un temps de latence très long, de 2 ans pour les leucémies à plusieurs décennies pour les autres cancers.

Ces propriétés interdisent toute approche individuelle pour l’étude expérimentale des effets cancérigènes du rayonnement, ainsi que pour la fixation du risque par les systèmes de radioprotection. Seule, une approche statistique a un sens, mais à condition de disposer de données de mortalité parmi une cohorte suffisamment importante numériquement, et pendant une très longue période. Dans une société nucléaire, les statistiques de mortalité deviennent des matériaux stratégiques qu’il est dangereux de laisser dans le domaine public !!

Lorsqu’une population a été irradiée, le bilan de la mortalité par cancers radio induits dans cette cohorte ne peut se faire que de deux façons:

  • soit collecter les données de mortalité pendant plus de 30 ans ou mieux, jusqu’à la disparition de la cohorte. Dans ce cas, le risque ne sera connu qu’après la mort de ceux qui l’auront subi;
  • soit évaluer les niveaux d’irradiation et fonder le bilan sur le facteur de risque établi par des études antérieures dont on peut garantir la qualité. Le risque est connu avant l’extinction de la population concernée mais l’estimation des doses reçues (ou qui seront reçues) est difficile et source de controverse quant aux modèles retenus pour l’effectuer, en particulier lorsqu’il s’agit d’une irradiation par contamination interne, par inhalation de poussières radioactives, ou par ingestion d’aliments obtenus sur des territoires contaminés.

Voici deux exemples d’études statistiques sur l’effet des rayonnements.

V LES LEUCEMIES DE SELLAFIELD

En 1983, en Grande-Bretagne, une controverse éclate au sujet de taux de cancers et de leucémies surélevés, chez les enfants, dans le voisinage de SELLAFIELD (une usine de retraitement des combustibles irradiés). Une commission d’enquête officielle confirme les faits sans pour autant fournir une explication précise. En février 1990, Martin GARDNER établit une relation fortement significative entre la sur-incidence de leucémies et l’irradiation (avant la conception) des pères employés à l’usine.
L’auteur suggère que l’irradiation des pères pourrait entraîner des mutations, au niveau de leur cellules reproductrices, responsables de l’apparition des leucémies chez les enfants. C’est la première fois qu’un tel résultat est observé chez l’Homme. Pourtant celui-ci est en parfaite cohérence avec les conclusions des expériences conduites par Taisei NOMURA sur prés de 25.000 souris.

Si les études épidémiologiques formulent l’hypothèse d’une relation de cause à effet sans la prouver, la biologie moléculaire doit pouvoir apporter des réponses aux questions soulevées.
Les mécanismes d’altération du patrimoine génétique par les rayonnements ionisants commencent à être bien connus.
Mais, aujourd’hui, la découverte de “gènes potentiels du cancers” (oncogènes) et de “gènes protecteurs” (anti-oncogènes)nous laisse entrevoir en pointillé le cheminement qui, à partir d’agents physiques (radiations) ou chimiques, pourra conduire à plus ou moins long terme à des dérèglements graves du fonctionnement cellulaire. Si les cellules atteintes sont les cellules reproductrices, c’est alors la descendance qui supportera le fardeau des mutations induites, chez les parents, par l’exposition professionnelle ou par des facteurs de l’environnement.

Pour l’ensemble du dossier voir l’ACROnique du nucléaire n°13.

VI PATHOLOGIE THIROIDIENNE MORPHOLOGIQUE RADIO INDUITE PAR DE FAIBLES DOSES
D’IRRADIATION CERVICALE: APPORT D’UNE ENQUÊTE EPIDEMIOLOGIQUE DE
COHORTE.

L’étude a porté sur une population de 396 patients irradiés pour un angiome cutané (tumeur bénigne d’origine vasculaire) dans l’enfance (recul moyen 22 ans) par de faibles doses de radiations ionisantes (< 1 Gy), à proximité de la thyroïde.
Plusieurs études épidémiologiques ont établique:

  • Le risque de nodule ou de cancer thyroïdien est, pour une même dose, plus important lorsque l’irradiation survient dans l’enfance ou chez une femme; ce risque peut se manifester très longtemps après.
  • Pour des irradiations à fort débit, entre 100µ Gy et au moins 10 Gy, la relation entre le risque et la dose délivréeà la thyroïde est linéaire.
  • Aucune augmentation significative du risque de tumeurs thyroïdiennes
    n’a été observée après administration d’activité diagnostique ou thérapeutique d’iode 131.

En revanche le devenir des sujets irradiés des îles Marshall après l’explosion de Bikini, suggère que les isotopes de l’iode à demi vie brève ont un effet tumorigène plus important que l’iode 131, ce qui est attribué à un débit de dose plus élevé.

Le recrutement.

A l’institut Gustave Roussy plus de 5000 enfants porteurs d’un angiome cutané ont été traités entre 1941 et 1973 par différentes techniques de radiothérapie ayant des débits de dose très variables. Parmi les 1137 patients irradiés qui ont répondu, 396 enfants (305 filles et 91 garçons) ont eu leur thyroïde exposée en raison soit de la proximité de l’angiome (moins de 5 cm pour une irradiation bêta pure), soit
du type d’irradiation (gamma ou x); 95 % d’entre eux ont été irradiés au cours de leur première année.

La dosimètrie.

Disposant pour chaque patient d’un dossier technique de l’irradiation, il a été possible de calculer la dose délivrée à la thyroïde. Il est a noter que ces doses sont faibles puisque 98 % d’entre elles sont inférieures à 1 Gy.
Les traitements ont été regroupés en 2 catégories :

  • courte durée et fort débit, de  quelques secondes à quelques minutes;
  • longue durée et débit plus faible, de 30 mn à quelques heures.

Les résultats

Les 396 patients de cette cohorte ont été surveillés en moyenne 22 ans. Au terme d’un bilan clinique et scintigraphique, 38 patients étaient porteurs d’une anomalie morphologique thyroïdienne.

ANOMALIE MORPHOLOGIQUE OBSERVEE DANS UNE COHORTE DE 396 PATIENTS
IRRADIES DANS L’ENFANCE POUR UN ANGIOME CUTANE
Longue durée
Faible débitN=178
Courte durée
Fort débitN=103
Association des deux types
N=115
SexeGarçon/Fille
45/133
24/79
22/93
Année de traitementMédianeExtrèmes
1962
1943-1972
1968
1955-1973
1964
1946-1973
Dose thyroïdeMoyenneExtrème
0,094
<0,00001-2,01
0,075
<0,00001-2,74
0,084
<0,00001-0,87
Débit de dose thyroïdemoyenne (Gy/s)
5 10-6
138 10-6
5 10-6
Goitre observé
8
8
8
Nodule observé
1
4
9

Chez 24 d’entre eux, il s’agissait d’un goitre simple, soit un taux d’incidence de 30 pour 1000 personnes par an et par gray. Aucune influence du sexe n’a été observée. 14 enfants ont
développé un nodule thyroïdien unique (treize bénins et un cancer papillaire). Le taux d’incidence est de 1,8 pour 1000 personnes par an et par Gy. Le risque de nodule était trois fois plus élevé parmi les femmes. Pour ces deux anomalies morphologiques, le risque augmentait avec la dose : le risque relatif par gray était de 3 pour les nodules et de 4 pour les goitres.
Le débit de dose n’affecte pas le risque de goitre, en revanche le risque de nodule était augmenté dans le groupe de sujets irradiés avec un fort débit.

Conclusion

Cette étude épidémiologique rétrospective
portant sur 396 enfants irradiés pour un angiome cutané apporte
des informations sur les séquelles thyroïdiennes à long
terme de faibles doses de radiation ionisante (< 1 Gy ).

  • Elle souligne le rôle du débit de dose dans l’apparition des nodules thyroïdiens. Il existe une augmentation significative du risque de leur apparition, uniquement pour des irradiations de courte durée et à fort débit.
  • Quant à la relation dose thyroïde / goitre, les auteurs la rapproche des observations effectuées dans les régions à haut niveau de radioactivité naturelle. “Il est intéressant de noter que le contenu en iode de ces thyroïdes irradiées est significativement abaissé et que cette diminution est significativement liée à la dose totale reçue par la thyroïde.
    L’extrême radiosensibilité du tissu thyroïdien de ces enfants, dont la grande majorité a été irradiée
    dans la première année de leur vie, pourrait expliquer l’apparition de ces goitres”.

Source

“Médecine et science” Août Septembre 1993

Les auteurs :  P.Fragu, INSERM-  F.de Vathaire, INSERM –
P.François, service de  radiologie Toulouse -M.F. Avril, dermatologie
– I. Gustave Roussy.


Pour en savoir plus, se reporter à:

  • La Radioactivité et le Vivant.
    les effets biologiques du rayonnement. par Roger Belbéoch.  page 15 à 19  novembre 1990.
  • Santé et Rayonnement.
    Effets cancérigènes des faibles doses de rayonnement. GSIEN/CRII-RAD janvier 1988.

Liens

Articles dans l’ACROnique du nucléaire

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