La Hague, fille aînée du nucléaire

David Boilley, S!lence, janvier 2002, remis à jour le 27 mars 2002.


Presqu’île au bout de la presqu’île du Cotentin, La Hague est aujourd’hui plus connue pour ses installations nucléaires que pour la beauté de ses paysages. L’usine de retraitement des combustibles irradiés est la plus célèbre. Fleuron de la technologie nationale que nous exportons jusqu’au Japon, elle fait la fierté de la plupart des élus locaux qui sont aussi satisfaits par la manne financière qu’elle leur procure. Un centre de stockage de déchets radioactifs fermé depuis 1994, la jouxte. Pour le CEA, qui en a eu la tutelle durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets »[1]. L’arsenal de Cherbourg, où sont fabriqués nos sous-marins nucléaires, n’a pas à rougir. En effet, la force océanique stratégique se voit confier la majeure partie des armes nucléaires stratégiques françaises. Depuis août 2000, Le Redoutable, qui a effectué sa dernière plongée en 1991, a commencé une nouvelle vie en étant le pôle d’attraction de la future cité de la mer de Cherbourg. Enfin, les deux réacteurs de Flamanville, à 20 km à vol d’oiseau vers le Sud viennent renchérir un département dont les deux tiers de la taxe professionnelle vient du nucléaire. Sans aucun doute, la région participe au rayonnement de la France dans le monde.

Arrières-pensées militaires

Le retraitement des combustibles irradiés pour en extraire du plutonium est une technologie militaire qui a été civilisée afin de la rendre acceptable et exportable. Pas un pays ne s’y est intéressé sans arrières-pensées militaires. En exportant cette technologie dans de nombreux pays, la France est au cœur du processus de prolifération [2]. « Pour palier une hypothétique défaillance de l’usine chimique d’extraction du plutonium [militaire] de Marcoule, il a été décidé de construire au Cap de La Hague une deuxième unité de traitement des combustibles irradiés ; elle servira d’usine de secours et permettra aussi d’y séparer une fraction du plutonium produit dans les réacteurs E.D.F. » [3]. La première usine de Marcoule est arrêtée depuis 1992 et est en cours de démantèlement. Il y a actuellement trois usines de retraitement à La Hague, dont une est quasiment arrêtée depuis 1994. Pour Robert Galley, à l’origine du choix de l’implantation, « le site de La Hague présentait une particularité unique en France […], s’il y avait un incendie […] 270° de vents portraient vers la mer » [4]. La population locale ne sera jamais consultée et les élus locaux avertis dans la nuit qui précède l’annonce à la presse [5]. Malheureusement pour l’exploitant, lors de l’incendie du silo en 1981, les radio-éléments ne se sont pas arrêtés au grillage de l’usine [6]. En février 1970, suite à une panne générale d’électricité dans le Nord-Cotentin, on a frôlé une catastrophe qui aurait pu avoir des conséquences bien au-delà de la Normandie. Mais même en fonctionnement normal, les rejets de l’usine ne sont pas sans inquiéter la population.

Le Centre Manche

Le Centre de Stockage de la Manche où sont entassés 527 000 m3 de déchets faiblement radioactifs est aussi une source d’inquiétudes [7]. Pour Christian Kernaonet, un ingénieur de l’ANDRA, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, maintenant à la retraite, la tranche n°1 doit être reprise car elle menace de s’effondrer : « Durant des années, on a entassé des milliers de fûts métalliques, comme ça, les uns sur les autres, sur une hauteur de dix à quinze mètres ! Pour que cela tienne, on les a maintenus avec une armature faite de blocs de béton et on a rajouté par dessus une couche de terre et d’argile. Assez rapidement, on s’est posé des questions, sans que cela filtre à l’extérieur. Dès 1974-1975, donc quatre ou cinq ans après avoir démarré, on a découvert qu’il y avait des effondrements. Parfois, à la suite d’un week-end où il avait beaucoup plu, on découvrait des affaissements d’un diamètre de sept-huit mètres et de quatre mètres de profondeur. Parfois plus… Logiquement des fûts s’étaient effondrés. D’autres avaient dû éclater sous le poids. [… Le problème, c’est qu’] on a contruit le site dans dalle et sans drainage, et juste au dessus de la nappe phréatique. Une vraie connerie ! » [8]. C’est donc pour « la sécurité des générations futures » qu’il s’est opposé à la fermeture du site : « En ressortant les fûts de la tranche 1, on se serait honoré d’avoir agi par précaution. Sans attendre qu’un groupe écolo quelconque nous fasse péter l’affaire à la figure ». La surveillance du site prévue par l’ANDRA repose essentiellement sur les eaux de percolation récupérées au niveau des drainages. Le problème, c’est que la tranche 1 n’a pas de drainage et les eaux de percolation vont directement dans la nappe phréatique. Si un problème sérieux est détecté aux exutoires, il sera trop tard ! De plus, les nappes phréatiques étant déjà fortement contaminées par les « incidents » passés, seul un incident majeur pourrait être détecté. Or, au nord du site, la contamination en tritium des eaux souterraines augmente continuellement sans que l’ANDRA ne fournisse aucune explication. Est-ce dû à un apport du Centre Manche ? La volonté de l’exploitant, des autorités et des responsables locaux est de laisser le Centre en l’état. A l’heure où la réversibilité des centres de stockages en profondeur est en débat, le Centre Manche fournit un intéressant cas d’étude. La décision de fermer est-elle réversible ? L’ACRO, Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, réclame en vain la création d’un groupe de travail ad hoc ouvert aux associations intéressées, incluant Monsieur Kernaonet, qui serait chargé d’étudier l’état de Centre Manche afin de faire des recommandations sur son avenir, puis de les soumettre à la population locale.

Depuis 1995, l’ANDRA tente d’obtenir la fermeture officielle du site et sans la vigilance des associations locales, les déchets seraient définitivement enterrés avec leurs problèmes. Il y a là près de 100 kg de plutonium et des tonnes de métaux lourds ! Lors d’une première enquête publique en 1995, l’ANDRA embauche Pierre Boiron comme expert pour servir d’interlocuteur au président de la commission d’enquête, Jean Pronost. Il se trouve que ce sont deux amis… Malheureusement pour eux, l’ACRO a montré, grâce à des documents internes reçus anonymement, que la réalité du Centre était très éloignée de ce qui était présenté dans le dossier soumis à enquête. Les autorités ont demandé à l’ANDRA de revoir sa copie et une nouvelle enquête publique a eu lieu en 2000. Le président de la nouvelle commission d’enquête était… Pierre Boiron ! Après une tentative de recours à l’amiable du CRILAN, infructueuse, les associations ont boycotté la procédure. Toute décision prise à l’issue de cette enquête est attaquable en justice car cette nomination viole la loi Bouchardeau sur les enquêtes publiques.

Des rejets sous surveillance ?

En 1994, les usines de retraitement ont rejeté en mer 8775 fois plus de radioactivité bêta-gamma (hors tritium) que les deux réacteurs voisins de Flamanville. Ces rejets marquent tout le littoral Normand et peuvent être suivis jusqu’en mer du Nord [9]. En terme d’impact sur la population locale, ce sont les rejets aériens qui dominent actuellement. Si certains radio-éléments comme le tritium (isotope de l’hydrogène) ou le krypton qui est un gaz rare, sont rejetés parce que difficiles à stocker, l’iode 129, quant à lui, est pratiquement entièrement rejeté dans l’environnement parce qu’il s’agirait de la meilleure façon de gérer ce déchet qui a une durée de vie de 17 millions d’années.

La compagnie sait-elle exactement ce qu’elle rejette ? Aussitôt informée de l’incident de rejet atmosphérique qui a eu lieu le 18 mai 2001 à l’usine COGEMA de la Hague, l’ACRO a effectué une campagne de prélèvements autour du site. Les résultats d’analyse ont mis en évidence une contamination importante de l’environnement en ruthénium rhodium 106, radioéléments artificiels, et ont conduit l’ACRO à interroger l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la validité du système de mesure des rejets aériens de la Cogéma. En effet, ses calculs montraient que la quantité de ruthénium-rhodium déposée sur l’herbe était largement supérieure à la quantité totale rejetée annoncée par l’exploitant. Une évaluation de cette quantité à l’aide d’un modèle de dispersion dans l’environnement l’avait conduit à estimer que la Cogéma avait rejeté probablement 1000 fois plus que ce qu’elle avait annoncé (14 000 MBq pour 11 MBq déclarés). Dans une lettre reçue à l’ACRO le 24 octobre 2001, l’ASN répond qu’en fonctionnement courant « ce facteur a dû être proche de trois pour la période 1999-2000 et de quatre-cent lors de l’incident » [10]. Un incident similaire qui a eu lieu le 31 octobre a permis à l’ACRO de montrer que le système de mesure de l’autre cheminée de rejet était également défaillant. Les relevés trimestriels publiés par l’exploitant ne font pas apparaître les contaminations anormalement élevées en ruthénium-rhodium détectées à l’issue des ces incidents. Par le passé, l’ACRO avait déjà épinglé la Cogéma sur sa « transparence » : en épluchant 5 années de publication de sa plaquette grand public, elle avait relevé 29 « erreurs » qui tendaient toutes à sous estimer la pollution [11]. Ce goût du secret en matière d’environnement peut cacher des lacunes plus graves : les mesures dans l’environnement du carbone 14 et de l’iode 129 rejetés en grande quantité par l’usine de la Hague ne datent respectivement que de 1996 et 1991. Pourtant ces deux radioéléments contribuent de façon significative à la dose subie par la population.

Le rôle de l’ACRO

Les rejets des installations nucléaires sont soumis à différents contrôles de la part de plusieurs organismes officiels et des exploitants eux-mêmes. L’intérêt de ces mesures de la radioactivité en matière de santé publique est évident. Pourtant, la population directement concernée n’est pratiquement pas informée des résultats de cette surveillance. Il est impossible à un citoyen d’obtenir des données exhaustives sur les mesures faites près de chez lui, tout ce qu’il peut espérer, ce sont des moyennes. C’est pourquoi, l’ACRO, depuis sa création après la catastrophe de Tchernobyl, effectue une surveillance citoyenne régulière de l’environnement local et s’engage à publier toutes ses données. L’association a dû subir de nombreuses pressions et des mises en cause publiques pouvant aller jusqu’au dépôt de plainte de la part des exploitants, mais après quinze ans de fonctionnement et de batailles, la fiabilité de son laboratoire d’analyse n’est plus remise en cause. C’est très important, car si les exploitants peuvent sous-estimer sans vergogne l’impact de leurs rejets, l’ACRO n’a pas le droit à l’erreur pour rester crédible. Le laboratoire est maintenant accrédité d’une qualification technique délivrée par le Ministère de la santé.

Gérer un laboratoire d’analyse fiable avec un personnel qualifié est très contraignant pour une association et cela coûte très cher. Les seuls dons ne suffisent pas et l’association doit trouver des partenaires, comme les agences de l’eau, des commissions locales d’information ou des collectivités territoriales qui financent certaines de ses études. Malgré tout, l’ACRO se dit indépendante car sans l’implication de nombreux bénévoles, elle ne pourrait pas exister. Le manque chronique de ressources peut parfois être dramatique pour l’association qui a failli mettre la clé sous la porte en septembre 2000. C’est pourquoi, le soutien financier et l’implication d’un plus grand nombre d’adhérents est indispensable à sa survie.

La Hague : danger zéro ?

La publication par le Professeur Viel d’études épidémiologiques mettant en évidence une augmentation du nombre de leucémies chez les jeunes vivant autour de l’usine de retraitement de La Hague et la relation significative avec la fréquentation des plages soit par les mères pendant leur grossesse (risque multiplié par 4,5) ou par les enfants eux-mêmes (risque multiplié par 2,9) a suscité une forte émotion dans la région [12]. Comme souvent, c’est le donneur d’alerte qui a été mis en cause plutôt que le pollueur. D’autres études sont venues conformer cette augmentation depuis [13]. Constitué de manière spontanée à la suite des travaux de Jean-François Viel, le collectif des Mères en Colère milite pour une information objective, transparente et indépendante. Elles tentent par tous les moyens, pétitions, manifestations et participation aux commissions officielles, d’établir un dialogue avec tous les représentants des industries concernées afin de réfléchir collectivement aux moyens de répondre aux inquiétudes sociales et environnementales suscitées par cette industrie qui fait vivre des milliers de familles et toute une région, au mépris des sentiments de rejet d’une frange de la population. Leurs interventions ont permis d’apporter une note d’humanité, de sensibilité et de réalisme dans un contexte où les décisions économiques et politiques sont prises par des hommes, en faisant abstraction de tous les problèmes environnementaux et psychologiques que peut entraîner une telle mono-industrie. Pour les Mères en Colère, le risque engendré par le retraitement n’est pas acceptable dans la mesure où il porte préjudice à l’environnement et à la santé de leurs enfants. Ce combat demande beaucoup d’énergie et d’abnégation, mais les échanges entre femmes ont permis d’exprimer une anxiété qui était latente dans beaucoup de foyers. Il y a un besoin de s’exprimer sur ce sujet tabou, alors qu’une sorte de loi du silence s’est instaurée au fil des années, imposée par des impératifs économiques. Le Collectif des Mères en Colère répond à cette attente des femmes qui vivent dans cette région en devenant leur porte-parole, ce qui impose de leur être fidèles.

La création, par les Ministres de l’environnement et de la santé, du comité Nord-Cotentin chargé de faire un bilan rétrospectif de 30 années de rejets dans l’environnement par les installations nucléaires de la région, constitue une avancée notable. L’ACRO, qui ne cesse de réclamer une transparence totale en matière d’environnement, n’avait d’autre choix que d’y participer activement. La première partie des travaux, publiée en 1999, est limitée aux seules leucémies et ne permet pas de lever le doute sur l’impact des rejets radioactifs et chimiques. Ce n’était pas sa mission [14]. Pour rassurer, la COGEMA a tenté de « lancer un concept nouveau : ” Le zéro impact pour la santé “, en agissant sur le niveau des rejets de nos activités » explique sa PDG. « Pour cela, nous retenons les critères des experts internationaux, en particulier ceux de la CIPR (Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants). Pour eux, à 30 microsieverts – unité qui mesure les conséquences biologiques de la radioactivité sur l’organisme – par personne et par an, il n’y a pas de risque pour la santé. »  Le problème, c’est que la CIPR a démenti : « Une telle affirmation serait en contradiction avec l’hypothèse de la publication n°60 et de nombreux autres rapports d’une relation linéaire et sans seuil entre la dose et les effets à faible dose. Mon impression est qu’il y a eu une incompréhension de la position de la CIPR. » [16] L’enjeu est grand, car si chaque radiation reçue a un impact, la législation impose que les pratiques entraînant une exposition aux rayonnements ionisants soit justifiées « par leurs avantages économiques, sociaux ou autres par rapport au détriment sanitaire qu’ils sont susceptibles de provoquer » [17].

Retraiter ou pas retraiter ?

Economiquement, la filière plutonium n’est pas rentable comme l’a montré le rapport du Commissariat au plan signé par le Haut-Commissaire à l’Energie Atomique [18]. Mais peu importe si le « recyclage » du plutonium peut avoir un intérêt écologique. L’Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE a montré que si l’on retraitait tous les combustibles irradiés et recyclait tout le plutonium extrait, on ferait une économie d’uranium de 21% [19]. Etant donnée la surproduction d’électricité nucléaire en France, il y a des moyens plus simples pour économiser les ressources de la planète ! Surtout que dans les faits, seuls les deux tiers du combustible usé qui sort des centrales françaises est retraité et seulement 50% environ du plutonium extrait a été « recyclé ». Quant à l’uranium, qui est aussi extrait lors du retraitement, le taux de « recyclage » est inférieur à 10%. [20]

Dénoncé depuis toujours par les associations écologistes, le retraitement fait partie des dogmes qui ont fait leur temps, même dans certains milieux nucléocrates. Au niveau international, il est aussi sur la sellette. La déclaration de Sintra (Portugal, 1998) de la réunion ministérielle de la convention OSPAR [21] engage les états signataires à faire en sorte que « les rejets, émissions et pertes de substances radioactives soient, d’ici l’an 2020, ramenés à des niveaux tels que, par rapport aux niveaux historiques, les concentrations additionnelles résultant desdits rejets, émissions et pertes soient proches de zéro. » Cette contrainte a conduit à la déclaration de Copenhague (Danemark, 2000) demandant la mise « en œuvre l’option ” non-retraitement ” (par exemple par entreposage à sec) pour la gestion des combustibles nucléaires usés dans des installations appropriées ». La France et la Grande-Bretagne, seuls pays concernés, se sont abstenus. Si ces deux pays s’accrochent au retraitement, c’est pour garder un savoir faire et une structure industrielle indispensables à long terme au niveau militaire. L’exception américaine avec arrêt du retraitement il y a 25 ans environ ne doit pas faire illusion : il est maintenant officiellement reconnu que la Grande-Bretagne a fourni 5,4 tonnes de plutonium aux Etats-Unis entre 1958 et 1979 en échange de tritium et d’uranium enrichi [22]. Se sont-ils aussi fourni ailleurs ? Le plan Bush sur l’énergie prévoit la relance du retraitement.

En commandant le 28 juillet 2000 un quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération, Le Terrible, et surtout en développant un nouveau missile, le M51, aussi prévu pour 2008, la France viole le traité de non-prolifération dont l’article 6 stipule : « chacune des parties au traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous contrôle international strict et efficace ». Article, hélas, sans aucune échéance précise ni mesure contraignante. [23] Une campagne d’interpellation, « Dites NON au quatrième sous-marin nucléaire ! » a été lancée par le MAN, Stop-Essais et le Mouvement de la Paix [24].

La fermeture des usines de retraitement n’est pas sans créer de problèmes sociaux. La baisse de l’activité de l’usine est mise sur le dos des écologistes. L’accueil réservé à la tête de liste des verts aux élections européennes, qui a été obligé de passer sous les fourches caudines syndicales par la direction de l’usine, laisse présager le pire. Mais l’arrêt du retraitement ne signifie pas l’arrêt de l’activité, car les déchets nucléaires demeurent. En particulier, de grandes quantités doivent être reprises pour être conditionnées.

Non-retour à la case départ ?

Actuellement, la moitié de l’activité du centre de La Hague est destinée aux combustibles étrangers, avec pour principaux clients, l’Allemagne et le Japon, pays qui possèdent toute la technologie nécessaire à la fabrication de l’arme nucléaire. Au Japon, le plutonium de La Hague, « recyclé » sous forme de combustible MOx, attend dans les piscines de déchets nucléaires l’autorisation d’être « brûlé ». Tout un symbole… Mais verra-t-on un jour le retour de tous les déchets étrangers vers leur pays d’origine ? L’article 3 de la loi de décembre 1991 stipule que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ». En fait, cet article est déjà violé car on entrepose à la Hague des déchets technologiques faiblement ou moyennement radioactifs, issus du retraitement, qui auraient pu être renvoyés dans leur pays d’origine depuis longtemps. Sans parler des déchets des premiers contrats étrangers de la Cogema, pour lesquels il n’existe aucune clause de retour. A la place, la Cogema espère renvoyer 5 % de déchets vitrifiés supplémentaires, plus compacts, et garder les autres types, plus volumineux. Les quotas de radioactivité devraient être respectés, mais pas ceux de volume. BNFL, le concurrent britannique, offre déjà officiellement ce service… Un tri similaire a déjà commencé : sur le centre de stockage de la Manche, les déchets technologiques stockés sont dix fois plus volumineux que ceux en attente d’un renvoi éventuel [25].

En 1994, la loi allemande a changé, autorisant soit le retraitement soit l’enfouissement des combustibles irradiés. Les compagnies ont donc renégocié leurs contrats avec COGEMA et BNFL. Selon des experts proches des agences de sûreté nucléaire qui ont vu les contrats, les nouveaux termes autorisent ces compagnies à entreposer leur combustible irradié dans les usines de retraitement de La Hague et de Sellafield en Grande-Bretagne pendant 25 ans avant de décider si elles le feront retraiter ou non. Si elles ne le font pas retraiter, le combustible irradié sera rapatrié en Allemagne, des frais d’entreposages seront payés, mais aucune pénalité n’est prévue. Ces contrats concernent le combustible irradié produit jusqu’en 2005 avec une possible extension jusqu’en 2015 [26]. D’usine de retraitement, le site est en train de devenir un centre d’entreposage international, Cogéma allant jusqu’à accepter des déchets australiens pour lesquels elle n’a aucune autorisation de retraitement. La loi de 1991 ne contient malheureusement aucune sanction en cas d’infraction et n’a pas reçu de décrets d’application. L’ACRO condamne cette politique du fait accompli.

Avant même l’arrivée du combustible nucléaire australien, la Cogéma a assigné en référé Greenpeace devant le tribunal de grande instance de Cherbourg et demande de « faire interdire à Greenpeace ainsi qu’à toute personne se réclamant du mouvement Greenpeace de s’approcher à moins de 100 m des convois de combustible australien et ce sous astreinte de 500.000 F par infraction constatée ». Cette affaire montre le peu de cas que la compagnie fait de la liberté d’expression et de manifestation. Mais Greenpeace a retourné le référé en demandant à la Compagnie de prouver qu’elle avait bien l’autorisation de retraiter ces combustibles étrangers. S’en est suivi un bras de fer juridique où l’association a obtenu une interdiction du débarquement des déchets australiens. La Cogema a fait appel et a obtenu gain de cause auprès de la cour d’appel de Caen. Greenpeace a de nouveau déposé une assignation à jour fixe dans laquelle elle attaque la Cogema sur le fond du dossier. L’affaire est en cours. Mais ce sont surtout les actions spectaculaires de l’organisation qui ont permis que les médias s’intéressent à La Hague et qui marquent l’opinion. Ainsi à la même époque, à cause de la présence d’une poignée de militants de Greenpeace, le départ de combustibles MOx vers le Japon était accompagné d’un dispositif composé notamment de policiers du RAID, d’unités du Groupement d’intervention de la police nationale, d’un Elément Léger d’Intervention (ELI) de la gendarmerie mobile, des renseignements généraux, des commandos marine et d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS). Malgré cela, le 19 janvier 2001, trois canots pneumatiques de l´organisation ont réussi à rentrer dans le port de Cherbourg, lâchant quatre plongeurs qui ont brandi des écriteaux dénonçant le MOx avant d´être appréhendés [27].

Au total, l’Allemagne doit encore rapatrier l’équivalent de 166 emballages de type “Castor” contenant des déchets hautement radioactifs, dont 127 en provenance de La Hague et 39 en provenance de Sellafield, selon le ministère de l’Environnement allemand. Sachant qu’un transport de déchet comprend en général six emballages Castor, il faudrait encore 14 ans, à raison de deux transports par an, pour rapatrier la totalité du stock de déchets allemands à l’étranger. A cela s’ajoutent les déchets faiblement et moyennement radioactifs oubliés par les autorités et la presse quand elles parlent du sujet. Malgré ces retours difficiles, la Cogéma espère accueillir une dizaine de convois de combustibles irradiés allemands par an. Le Réseau Sortir du Nucléaire dénonce à ce propos un marché de dupe. Aucun retour n’est prévu pour l’instant vers la Belgique, les Pays-Bas, la Suède…

Un régime de complaisance ?

Pendant l’été 2000, la France a accueilli dans la plus grande discrétion quatre transports de déchets nucléaires allemands vers La Hague. Il s’agit d’un stock de rebuts de MOx restant à l’usine d’Hanau (dans le Hesse), une usine de fabrication de Mox à l’arrêt depuis 1991. Suite à cette affaire, la Cogéma se retrouve assignée en référé par Didier Anger, conseiller régional Vert de Basse-Normandie et le CRILAN. Leur avocat s’appuie sur une lettre d’André-Claude Lacoste, directeur de la sûreté des installations nucléaires qui assure que “la Cogema n’est actuellement pas en possession d’une autorisation de traiter les lots d’assemblages en provenance de Hanau”. Mais lors de l’audience en référé, la compagnie a notamment insisté sur l’irrecevabilité du CRILAN en tant qu’association agréée pour se pourvoir en justice. Elle a été suivi par le tribunal, le comité n’ayant pas dans ses statuts l’autorisation de se pourvoir en justice pour ce cas précis. Didier Anger a lui aussi été débouté sur la forme. Le CRILAN a depuis changé ses statuts et peut se pourvoir en justice. Devant faire face à des manifestations violentes d’employés de la Cogéma, c’est sous protection policière que les représentants du CRILAN ont dû accéder au Tribunal lors de l’audience du 20 mars 2001 [28].

La création du CRILAN témoigne d’un désir d’une partie des habitants du Nord-Cotentin et d’ailleurs de lutter contre la nucléarisation forcenée de la presqu’île. L’association veille particulièrement à la légalité des décisions prises, au respect des lois et a entamé, pour ce faire, des luttes juridiques contre EDF, l’ANDRA et la Cogéma. En particulier, le 11 janvier 1999, elle a obtenu la mise en examen de la Cogéma pour mise en danger de la vie d’autrui. Les plaintes, déposées contre X en janvier 1994, portaient sur le non-retour des déchets étrangers. Mais le plus dure reste à faire, obtenir le débat en audience publique. La lutte juridique n’est pas une fin en soi, elle permet seulement de mettre en évidence que le nucléaire n’a jamais fait bon ménage avec l’état de droit [29].

Nucléaire et démocratie

Si le nucléaire est insoluble dans la démocratie, c’est particulièrement flagrant dans le Nord-Cotentin. Dans les années 1980 on doit à la CFDT, fortement impliquée dans les problèmes de société à cette époque, la vulgarisation à grande échelle des problèmes posés par l’ensemble de la filière [30]. Localement le syndicat du site de la Hague, majoritaire sur l’établissement, dénonce les conditions de travail dans les zones contaminées dans un film choc : “Condamnés à réussir” et informe les populations locales des incidents du site ayant un impact hors usine sur l’environnement. Cette époque est révolue et de nos jours, seules quelques associations militantes tentent d’organiser un débat public sur un sujet encore tabou. Lors de crises, elles deviennent les boucs-émissaires par lesquels le mal est arrivé. Et les industriels n’hésitent pas, par syndicats, associations complaisantes ou politiques interposés à jeter l’opprobe sur les contestataires. Pourtant, la contestation est légitime car contrairement aux risques naturels, les risques techno-scientifiques résultent de choix effectués par une poignée d’individus, alors que c’est l’ensemble de la population qui trinque en cas de problèmes. Toute crainte est qualifiée d’irrationnelle par les experts assermentés. A qui appartient la charge de la preuve ? Aux contestataires qui doivent prouver l’existence du risque ou à l’industrie et à l’administration qui doivent prouver et non affirmer l’absence de danger ? Et comment contester quand on a plus ou moins participé – ou profité comme parent d’un travailleur du nucléaire – à la construction ou au fonctionnement de la cage dans laquelle on est enfermé et que l’on est complice du mal qui peut toucher ses propres enfants ? En forçant le débat sur des questions excessivement complexes et en le portant sur la place publique, les associations citées font un travail héroïque. Pour certains militants locaux, sans elles, il ne serait pas possible de vivre dignement à La Hague [31].


[1] Le Commissariat à l’Energie Atomique, Découvertes Gallimard/CEA, 1995

[2] Lire à ce sujet Affaires atomiques, Dominique Lorentz, Les Arènes, 2001.

[3] L’aventure atomique, Bertrand Goldschmidt, Fayard, 1962. L’auteur a été un des dirigeants du CEA.

[4] In Atomes crochus, Rémi Mauger, FR3, 2000

[5] Lire La presqu’île au nucléaire, Françoise Zonabend, Odile Jacob, 1989

[6] Il faudra attendre 1999 pour qu’un bilan rétrospectif de l’impact cet accident soit réalisé et rendu public : Estimation des doses et du risque de leucémie associé, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, Rapport du groupe de travail n°4, Annexe 11, 1999. http://www.ipsn.fr/nord-cotentin

[7] Le C.S.M., Centre Sans Mémoire ?, hors série n°1 de l’ACROnique du nucléaire, décembre 1999. Entièrement consacré au Centre Manche.

[8] Toutes les citations sont extraites d’une interview à France-Soir du 17 avril 2000

[9] Voir Qualité radiologique des eaux marines et continentales du littoral normand, rapport d’étude ACRO/Agence de l’eau Seine-Normandie de juillet 1999 et l’ACROnique du nucléaire n°50, septembre 2000 (4 euros).

[10] Tous les détails de cette affaire sont ici.

[11] L’état de l’environnement dans la Hague, ACROnique du nucléaire n°28, mars 1995 et Silence n°197, novembre1995.

[12] Voir La santé publique atomisée, J.F. Viel, La Découverte, 1998.

[13] Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé, Alfred Spira et Odile Bouton, La Documentation Française, 1998 ; A-V Guizard et al, Journal of Epidemiology and Community Health n°55, juillet 2001.

[14] Travaux du groupe radio-écologie Nord-Cotentin : le doute subsiste sur les leucémies, ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999. L’intégralité de ces travaux est disponible auprès de l’IPSN ou en ligne http://www.ipsn.fr/nord-cotentin

[15] Interview de Anne de Lauvergeon, PDG de la COGEMA, dans Le Monde du 26 octobre 1999.

[16] Lire La Hague Danger zéro ?, David Boilley, Cahier de l’ACRO n°2, juin 2001.

[17] Directive EURATOM 96/29 publiée au JOCE n° L 159 du 29/06/1996 p. 0001 ? 0114 (à télécharger au format pdf). Cette directive aurait dû être traduite en droit français avant le 13 mai 2000.

[18] Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire, rapport au gouvernement de J.M. Charpin, B. Dessus et R. Pellat, juillet 2000. Une synthèse et critique par B. Laponche a été publiée dans La Gazette nucléaire n°185/186 d’octobre 2000 (GSIEN, 2, rue François Villon, 91 400 Orsay, tél. : 01 60 10 03 49, fax. : 01 60 14 34 96).

[19] Les incidences radiologiques des options de gestion du combustible nucléaire usé, une étude comparative, AEN/OCDE, 2000. Les calculs de l’étude montrent que si la dose collective de la population vivant autour des mines et de ses travailleurs pourrait ainsi être réduite de 21%, c’est largement compensé par la dose reçue par la population vivant autour de l’usine de retraitement et ses travailleurs. Comme dans les faits seule une partie du plutonium est « recyclé », l’option retraitement est défavorable en terme de dose.

[20] Le recyclage des matières nucléaires : mythes et réalités, WISE Paris, mai 2000, http://www.wise-paris.org. (Télécharger le rapport au format pdf)

[21] Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est, http://www.ospar.org

[22] Plutonium and Aldermaston ? an historical account, UK Ministry of Defence (2000).

[23] La France et la prolifération nucléaire, les sous-marins nucléaires de nouvelle génération, Bruno Barrillot, observatoire des armes nucléaires françaises (Lyon) 2001, http://www.obsarm.org.
Voir aussi, Vers une quatrième génération d’armes nucléaires ?, David Boilley, ACROnique du nucléaire n°46, septembre 1999.

[24] MAN, 114 rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 45 44 28 25, fax. 01 45 44 57 12, http://manco.free.fr/ ;
Stop Essais, 114 rue de Vaugirard, 75006 Paris ;
Mouvement de la Paix, 139 bd Victor Hugo, 93400 St Ouen, tél. 01 40 12 09 12, fax : 01 40 11 57 87, http://www.mvtpaix.org

[25] Ces déchets nucléaires dont on ne sait que faire, David Boilley, Le Monde Diplomatique, janvier 1998 et Manière de voir n°38, mars-avril 1998.

[26] Plutonium. Can Germany swear off?, Mark Hibbs, The Bulletin of the Atomic Scientists, mai/juin 2001.

[27] Lire Départs médiatiques et arrivées secrètes à l’usine Cogema de La Hague, extrait de la revue de presse de l’ACROnique du nucléaire n°53, juin 2001

[28] Ibidem

[29] Lire Nucléaire et état de droit n’ont jamais fait bon ménage…, Paulette Anger, l’ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000.

[30] Voir le Dossier électronucléaire, Sciences, Points Seuil, éditions de 1975 et 1980.

[31] Lire à ce sujet les actes des troisièmes rencontres ACRO, nucléaire et démocratie, publiées dans l’ACROnique du nucléaire n°42, septembre 1998. En particulier, Est-il raisonnable d’avoir peur du nucléaire ?, par Yves Dupont et L’épidémiologie, entre science et pouvoir, par Jean-François Viel.

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Les associations face aux violations du droit de l’environnement : quelques repères pour des actions efficaces

Fiche technique parue dans l’ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000


La France est un Etat de droit, membre de la Communauté européenne. Le citoyen dispose de différentes voies díaction pour défendre ses droits issus de la législation nationale ou communautaire. Face à ce dédale, il est possible de distinguer les procédures qui permettent aux particuliers ou aux associations d’informer les autorités publiques de l’existence d’irrégularités (A) et les actions en justice proprement dites (B). Donnons quelques exemples :

A) Les voies d’action non-contentieuses

Souvent mal connues, ces procédures présentent l’avantage d’être peu formalistes, gratuites et de constituer des moyens de pression qui peuvent s’avérer efficaces, tout particulièrement au niveau européen.

1. Au niveau européen

Il est toujours possible d’adresser un dossier aux députés européens pour les sensibiliser sur tel ou tel problème. Il convient de connaître les commissions parlementaires dans lesquelles ils siègent pour cibler au mieux les envois. (Parlement européen, Rue Wierter B1049 Bruxelles, Belgique).

Il existe également des procédures clairement prévues par le droit communautaire.

a) La pétition au Parlement européen

“Tout citoyen de l’Union a le droit de Pétition au Parlement européen (article 21 du traité instituant la Communauté européenne)”. La pétition doit porter sur un domaine d’action de la Communauté et mettre en évidence une violation du droit communautaire.

Cette pétition est rédigée par une association ou un individu, sous la forme qui lui semble la plus appropriée (libre de forme). Il ne faut pas se méprendre sur le sens du mot pétition. Une seule signature suffit. Ce qui compte, c’est la qualité des arguments : “La directive européenne xxx dit que Sa transposition en droit français dit que Nous constatons que” La pétition devra uniquement permettre d’identifier le pétitionnaire et être signée sous peine d’irrecevabilité. Il est cependant possible de demander que le dépôt de la pétition reste confidentiel.

La commission des pétitions examine la recevabilité de la demande et peut faire des propositions, voire même demander à la Commission européenne d’entreprendre une enquête sur les violations dénoncées. La pétition est à adresser au Bureau des pétitions du Parlement Européen, rue Belliard,97-113, B-1047 Bruxelles, Belgique

b) Le recours au médiateur

“Tout citoyen de l’Union peut s’adresser au médiateur, conformément aux dispositions de l’article 21 du traité instituant la Communauté européenne”. Le médiateur intervient à la suite d’une requête d’une association ou d’un particulier, quand l’action des institutions communautaires a été insuffisante ou défaillante, par exemple absence ou refus d’information, irrégularités ou omissions administratives. Le recours est libre de forme, il doit simplement être signé. Le requérant peut, là aussi, demander la confidentialité. Les requêtes sont à adresser à Monsieur le Médiateur Européen, 1 avenue du Président Robert Schuman, BP 403, 67001 Strasbourg cedex.

c) La plainte à la Commission européenne

Tout citoyen ressortissant de l’Union européenne peut déposer une plainte pour informer la Commission européenne de l’absence ou de la mauvaise application du droit communautaire dans un état membre. Si la Commission donne suite à la plainte, elle peut engager des poursuites contre l’Etat membre fautif. La Commission doit, en effet, s’assurer qu’il n’y a pas infraction à la législation européenne dans les différents états de la Communauté. L’Etat en cause peut être condamné à la suite d’une procédure devant la Cour de justice. La plainte est à adresser au Secrétariat Général de la Commission Européenne, rue de la loi, 200 B-1049 Bruxelles, Belgique

d) En conclusion

Ces trois actions sont faciles et peu formalistes. Elles valent la peine d’être entreprises. Ces procédures sont, de plus, gratuites (juste le prix des timbres), et durent environ un an. Pour augmenter les chances de succès, il est recommandé de se mettre en relation avec un député européen qui pourra surveiller le bon déroulement de la procédure. Enfin, il faut ajouter que les fonctionnaires européens sont souvent très accessibles et qu’il ne faut pas hésiter à les contacter. Vous pouvez trouver des informations utiles sur toutes les institutions communautaires, la législation en vigueur, les textes en discussion au parlement et bien d’autres choses sur le serveur de l’Union européenne : http://europa.eu.int./

2. En France

Il est également possible

  • de saisir le médiateur de la République,
  • d’informer les autorités administratives des dysfonctionnements constatés,
  • d’introduire un recours gracieux devant l’autorité administrative qui a adopté un acte,
  • de faire un recours hiérarchique auprès du supérieur de líauteur de líacte contesté.

Là également ces procédures sont autant de moyens díinformation et de pression susceptibles, parfois, de contribuer à débloquer des situations tendues ou d’incompréhension.

B) Actions en justice proprement dites

Un des grands principes de la justice en France est le principe de gratuité (on ne paie pas les juges). Il peut y avoir des droits de timbres. En revanche, les auxiliaires de justice (avocats, avoués devant la Cour d’appel, etc…) sont payés par les requérants.

Limitons-nous à préciser ce qu’il faut entendre par “se constituer partie civile”. Cette démarche, en effet, est peu coûteuse car il n’est pas obligatoire d’être représenté par un avocat.

Se porter partie civile devant la juridiction pénale en cas d’atteinte au droit de l’environnement

Les associations peuvent déposer une plainte auprès du doyen des juges d’instruction, accompagnée d’une demande expresse de constitution de partie civile et réclamer des dommages et intérêts. Les règles de forme sont souples, mais la plainte ne peut pas être anonyme.

Se porter partie civile présente deux intérêts :

  • d’une part, cela permet d’avoir accès au dossier d’instruction (mais seulement par l’intermédiaire d’un avocat), l’association devenant en effet partie au procès du fait de sa constitution de partie civile. Elle peut ainsi être entendue par le juge d’instruction.
  • d’autre part, cela interdit au parquet de classer la plainte sans suite et l’oblige à faire instruire l’affaire. Une restriction cependant, il faut que la constitution de partie civile soit jugée recevable.

Quelles sont les associations susceptibles d’agir ?

En principe, ce sont les associations agréées de protection de l’environnement (voir encadré). La loi leur reconnait le droit de se constituer partie civile pour les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et nuisances.

Si l’association n’est pas agréée, tout n’est pas perdu : elle peut demander réparation du préjudice direct qu’elle a subi. L’expérience montre que les décisions sont de plus en plus souvent favorables aux associations.

Les conséquences de la procédure

La procédure engagée permettra, à la suite de la condamnation pénale de l’auteur de la violation du droit de l’environnement, au même tribunal de statuer sur la demande en dommages et intérêts de l’association et ainsi de l’indemniser.

En revanche, en cas de relaxe de la personne poursuivie, la juridiction pénale ne peut pas statuer sur la demande en réparation. L’association devra alors s’adresser au juge civil (tribunal d’instance ou de grande instance) s’il y a eu un préjudice direct.

Le coût de la procédure

Une association qui dépose une plainte avec constitution de partie civile peut se voir réclamer le dépôt d’une consignation qui peut atteindre plusieurs milliers de Francs, liée aux éventuels frais à payer à l’issue d’une procédure. Elle en est dispensée si elle a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle (voir encadré) ou en cas de ressources insuffisantes.

Le recours au Tribunal Administratif

Fiche technique parue dans l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000


Les atteintes à l’environnement peuvent être le fait de particuliers ou d’entreprise à líencontre desquels les actions peuvent être engagées devant les tribunaux judiciaires, mais elles peuvent aussi avoir pour origine l’action ou l’inaction de l’administration. Ainsi les décisions prises par un préfet ou un maire peuvent être contestées devant le tribunal administratif (TA).

Le recours en annulation (ou recours pour excès de pouvoir)

Il s’agit de demander au TA d’annuler totalement ou partiellement un acte administratif dont on conteste la légalité.
Conditions à respecter pour que le recours soit recevable :

  • Il doit être déposé dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’arrêté contesté (affichage en mairie ou sur le terrain, avis dans les annonces légales des journaux)
  • Il faut que l’acte en cause fasse grief à l’auteur du recours. Ainsi le tribunal rejettera le recours contre un arrêté d’ouverture d’enquête publique car ce n’est qu’une mesure préparatoire (donc qui ne fait pas grief). De même, un recours contre l’avis d’un commissaire-enquêteur est irrecevable car ce n’est qu’un avis, ce n’est pas une décision administrative.
  • Il faut que le requérant ait un ” intérêt à agir “, c’est-à-dire que la personne ou l’association qui attaque l’acte administratif soit directement concernée par l’illégalité dont elle demande l’annulation. Exemple : l’ACRO ne peut pas demander l’annulation du permis de construire d’un immeuble à Paris car cela n’a rien à voir avec son objet social et ne fait pas d’ombre à ses bureaux !

Comment présenter le recours au tribunal

  • L’avocat n’est pas obligatoire.
  • La requête (ou mémoire) est rédigée sur papier libre ; elle doit comporter les nom et adresse de son auteur et être signée.
  • Il faut y coller un timbre fiscal de 100F.
  • Il faut préciser quel est l’acte administratif attaqué et joindre une copie.
  • Il faut exposer les raisons juridiques pour lesquelles on considère que la décision est illégale : une formalité prévue par la loi n’a pas été respectée avant la signature de l’arrêté, le fonctionnaire qui a signé l’arrêté n’avait pas reçu délégation de signature du préfet, l’autorisation accordée est contraire à une loi ou un décret, etc

Comment se déroule la procédure

  • Elle est essentiellement écrite : les échanges d’arguments se font uniquement par le biais des mémoires.
  • L’audience est publique, mais il n’est pas obligatoire d’y assister.
  • Le juge rapporteur expose l’affaire. Le commissaire du gouvernement (il n’est pas le représentant du gouvernement ou de l’administration) propose au tribunal, en toute indépendance, la solution qui lui paraît correcte.
  • Les parties présentes doivent se contenter de dire qu’elles s’en tiennent à leurs dépositions écrites ; les plaidoiries et les effets de manche d’avocat sont inutiles !
  • Après délibéré, le tribunal, qui n’est pas obligé de suivre les conclusions du commissaire du gouvernement, prononcera l’annulation totale ou partielle de l’acte attaqué ou rejettera la requête.
  • Le juge ne peut pas substituer un autre acte à celui qu’il a annulé ; il ne peut pas accorder une autorisation à la place de l’autorité administrative compétente.

Le dépôt d’un recours en annulation n’est pas suspensif c’est-à-dire que le bénéficiaire de l’autorisation par exemple peut entreprendre les travaux ou l’exploitation de son usine malgré ce recours. Pour pallier cet inconvénient, il est possible de demander au TA un sursis à exécution.

La demande de sursis à exécution

C’est une procédure d’urgence. Si le sursis à exécution est accordé par le juge, la décision attaquée est provisoirement suspendue jusqu’à ce que le TA se prononce sur le recours en annulation.

Conditions à remplir :

  • La demande de sursis à exécution doit obligatoirement être accompagnée d’un recours en annulation.
  • Pour obtenir le sursis, deux conditions doivent être réunies : il faut démontrer que l’exécution de l’acte attaqué aurait des conséquences difficilement réparables et il doit y avoir des moyens sérieux de nature à justifier l’annulation.

Le recours au tribunal administratif est une procédure très accessible pour les particuliers et les associations car peu formaliste et peu coûteuse. Précisons que le recours en annulation d’un décret ou d’un arrêté ministériel doit être déposé directement auprès du Conseil d’Etat. L’intervention d’un avocat est obligatoire.

Pour connaître toutes les subtilités de la justice administrative et avoir des exemples de recours, nous vous conseillons un petit livre très bien fait : ” la justice administrative en pratique “, la documentation française, 29 quai Voltaire 75344 Paris cedex 07 : 50F.

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L’ANDRA porte plainte contre l’ACRO

ACROnique du nucléaire n°33, juin 1996


Suite à la publication par l’ACRO de documents internes à l’ANDRA révélant la présence massive du plutonium sur le Centre de Stockage de la Manche (CSM) et de graves atteintes à l’environnement, l’Agence Nationale des Déchets Radio-Actifs (ANDRA) n’a rien trouvé mieux que de porter plainte contre l’association et son conseiller scientifique. Quel peut être le rôle du citoyen fasse à une entreprise qui viole délibérément la loi française ?


Rappelons les faits. Avec près de 530.000 m3 de déchets radioactifs, le CSM saturé est remplacé par le Centre de Stockage de l’Aube (CSA) qui prend le relais. Une enquête publique a été ouverte en octobre-novembre 1995 pour examiner la demande de fermeture du site déposée par l’ANDRA. Sur les 7 kg de documents présentés au public par l’Agence dans le cadre de cette enquête, le contenu radiologique du site tenait en une seule page. Rien sur les graves pollutions des environs révélées par l’ACRO. Dans un rapport publié à l’époque, l’Association dénonçait les violations des règles fondamentales de sûreté commises sur le CSM.

Des documents internes à l’ANDRA reçus anonymement nous ont permis de découvrir que nous sous-estimions largement l’ampleur des dégâts et que l’Agence avait volontairement menti par omission dans le document d’enquête publique. Ainsi, dans les cinq derniers mois d’activité du CSM, il aurait été stocké dans des fûts ordinaires non enrobés plus de plutonium que ce que le CSA, huit fois plus grand, est autorisé à recevoir durant toute son existence. De nombreux autres éléments très radio-toxiques ont aussi été stockés dans des propostions qui dépassent largement les quantités autorisées. L’eau des nappes phréatiques que l’on savait déjà très polluée en tritium, est impropre à la consaommation. Par endroit, la contamination dépasse de trois fois les limites sanitaires françaises, pourtant très laxistes. Certaines structures d’accueil en béton, supposées retenir les eaux de percolation, sont déjà fissurées et laissent s’échapper du tritium et d’autres radio-éléments.

Qu’aurait dû faire l’ACRO ? Renvoyer les documents à leur propriétaire ou alerter le citoyen consulté sur l’avenir du centre de stockage ? L’ANDRA avait délibérément menti à la population, aux élus, aux autorités de sûreté et à la Commission Hague. Les documents ne contenant aucune information touchant le secret industriel, commercial ou militaire, mais uniquement des informations qui auraient dû être dans le dossier d’enquête publique, nous avons donc convoqué la presse à une conférence pour informer la population de l’état réel du site de la Hague. Les commissaires enquêteur ont demandé l’accélération de la fermeture du site. Pourtant, ils venaient d’être désavoués par le gouvernement qui, à la suite des révélations de l’ACRO, a décidé, en décembre 1995, de mettre en place un groupe d’experts indépendants chargé de faire l’état du CSM. Quant à l’ANDRA, pourtant responsable (mais pas coupable ?) de la situation désastreuse du CSM, elle préfère se donner une image verdie en annonçant la construction d’une éolienne sur le site et attaquer l’ACRO en justice.

Nous sommes bien décidés à nous battre jusqu’au bout pour faire progresser la vérité. Pour cela, nous avons besoin du soutien du plus grand nombre, afin de faire face aux frais engendrés par un tel procès et pour pouvoir poursuivre notre mission de contrôle de l’environnement. Il en va de la survie de l’association et de toute surveillance indépendante des installations nucléaires de la Hague.


Mise à jour de mars 1999
Deux représentants de l’ACRO ont été entendus par la gendarmerie en 1996. Depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de la plainte.


Merci à la Cour européenne des droits de l’Homme
ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999

” C’est à l’unanimité que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la justice française et a donné raison au “Canard” dans l’affaire Calvet. […] L’arrêt que vient de prendre la Cour européenne est une belle décision de principe qui va désormais s’imposer aux magistrats français “. Bonne nouvelle pour l’ACRO qui voit du même coup la plainte de l’ANDRA pour recel de documents volés avec plus de sérénité. Cet arrêt sort les journalistes et les associations ” du piège infernal dans lequel la justice française tenait à les enfermer : pas de preuve ? Diffamation ! Des preuves ? Receleur ! “

(Les citations sont extraites du Canard Enchaîné du 27 janvier 1999)

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