Le nucléaire japonais une nouvelle fois secoué

Revue de presse japonaise.

ACROnique du nucléaire n°81, juin 2008


Le lundi 16 juillet 2007 à 10h13 un tremblement de terre d’une magnitude de 6,8 a secoué la province de Niigata au Nord-Ouest du Japon. Il fut suivi par de nombreuses répliques, dont certaines très fortes. De nombreux dégâts matériels et 11 morts sont à déplorer. Lors d’un séisme d’une telle magnitude, il est difficile de tenir debout et dans de nombreux autres pays, il y aurait eu beaucoup plus de victimes et de dégâts matériels. Niigata avait déjà été touchée en octobre 2004 par un tremblement de terre de magnitude 6,8, qui avait fait 65 morts et plus de 3.000 blessés. Il s’agissait du séisme le plus meurtrier au Japon depuis la secousse de magnitude 7,3 qui avait dévasté Kobe en 1995, tuant plus de 6.400 personnes.

Rapidement, plusieurs chaînes de télévision ont cessé leurs programmes habituels pour se consacrer uniquement aux conséquences du séisme. Des images prises par hélicoptère étaient diffusées en boucle et très regardées en ce jour férié. Parmi elles, celles du transformateur en feu de l’un des réacteurs de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa ont particulièrement inquiété. Alors que la presse était déjà sur place et que tout le pays était prévenu, personne n’intervenait pour tenter d’éteindre l’incendie. La centrale semblait déserte. Il faudra attendre 2h pour que le feu soit maîtrisé. Que s’est-il passé dans la plus grande centrale nucléaire du monde ? L’opérateur, Tokyo Power Electric Compagny (TEPCO), avait été au cœur d’un scandale en 2003 pour avoir caché des fissures dans cette même centrale et falsifié les rapports de sûreté. (ACROnique du nucléaire n° 59, décembre 2002) En mars, les Japonais avaient déjà appris, ahuris, que cette société avait caché au pays une série d’incidents nucléaires survenus dans ses centrales au cours des vingt dernières années. Un de ces accidents était survenu en 1993 dans une centrale nucléaire gérée par TEPCO à Fukushima. Le second s’était produit en 2000 dans la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, touchée par le tremblement de terre. Les dirigeants de la société ont expliqué qu’à chaque fois, ils avaient réussi à «gérer la situation». En clair : à éviter le stade critique d’une réaction en chaîne incontrôlée. (Libération.fr, 17 juillet 2007)

Lors du séisme, 3 réacteurs sur 7 étaient déjà à l’arrêt pour maintenance. Les quatre autres se sont arrêtés automatiquement, comme il se doit. Dès le lendemain, la presse écrite s’est félicitée de la bonne tenue des réacteurs nucléaires. Juste une petite fuite radioactive de liquide de refroidissement est à déplorer dans le réacteur n°6 déjà à l’arrêt. 1200 litres rejetés en mer, qui n’auraient eu aucun impact sur l’environnement. Une centaine de fûts de déchets faiblement contaminés (sur 22 000 entreposés) ont en outre été renversés et le contenu de certains d’entre eux s’est répandu. Une contamination pouvant atteindre 0,5 Bq/cm2 (5 000 Bq/m2) a été rapportée.

Deux jours après le séisme, TEPCO a fini par admettre une cinquantaine de dysfonctionnements et de dommages concernant la sûreté. Bref, que des problèmes a priori mineurs et tout semblerait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, s’il n’y avait eu cet incendie qui a marqué tout le pays. “Je reconnais qu’il y a eu une certaine inefficacité dans nos mesures” de lutte anti-incendie, s’est excusé le président de TEPCO, Tsunehisa Katsumata, après s’être fait morigéner par le ministre de l’Economie et de l’Industrie, Akira Amari. La lenteur avec laquelle fût réglé l’incident “pourrait amener les gens à ne plus faire confiance à l’énergie nucléaire”, s’est inquiété le ministre. Le renforcement de la sûreté de la centrale pourrait prendre plus d’un an et a fait chuter de 4 % puis de 6% le cours de l’action de TEPCO dans les deux jours qui ont suivi le séisme.

Plus de 40% des habitations de Kashiwazaki et Kariwa qui ont été inspectées sont dangereuses et pourraient s’effondrer en cas de répliques. 10 000 personnes ont été évacuées dans une centaine d’abris et l’on dénombre 350 habitations détruites. Des dizaines de milliers de foyers ont été privés de gaz et d’électricité. Les trains ont recommencé à circuler le 31 juillet à Niigata. Mais à cette date, seulement 15% des habitations de Kashiwazaki-Kariwa ont du gaz. A la mi-août 2007, les victimes du tremblement de terre ont commencé à emménager dans des logements provisoires. Jusqu’à cette date, 780 personnes étaient encore réfugiées dans des gymnases, des écoles ou d’autres abris proposés par les autorités. 1182 foyers sont prévus jusqu’à la fin août.

Un an plus tard, si la vie a repris un cours quasi-normal, la centrale est toujours fermée et personne ne sait quand elle pourra redémarrer. Ni même si elle le pourra… Que s’est-il passé ?

Un risque d’incendie sous-estimé

Bien que chaque réacteur ait sa brigade incendie, l’équipe du réacteur n°3 a découvert qu’il n’y avait pas d’extincteur chimique disponible et qu’il n’y avait pas assez de pression pour utiliser les lances à incendie. Ils ont donc décidé d’appeler les pompiers, mais la porte de la salle avec la ligne directe était bloquée par des objets tombés lors des secousses. Ils ont donc utilisé le numéro public.

Le feu s’est déclenché immédiatement après le séisme, à 10h13. Les pompiers, prévenus 14 minutes plus tard, ont immédiatement décidé d’envoyer 9 véhicules de secours comme prévu pour un incendie dans une centrale nucléaire. Mais il n’y avait plus de véhicules ou de pompiers disponibles. Ils étaient tous appelés ailleurs. La caserne a donc demandé à TEPCO d’éteindre le feu par elle-même. A 11h, les pompiers ont finalement pu envoyer un véhicule spécialisé dans les incendies chimiques avec 5 hommes à bord qui étaient en congé ce jour-là. Ils sont arrivés 30 minutes plus tard et il leur faudra 10 minutes pour éteindre le feu. Puis 3 autres véhicules avec 12 hommes ont été envoyés car le commandement des pompiers était incapable d’évaluer la situation suite à des problèmes de communication. Ces trois véhicules sont arrivés à 12h30 quand le feu était éteint. Pendant tout ce temps-là, les pompiers ont reçu 130 appels au secours. Ils n’étaient manifestement pas préparés à faire face à une situation aussi complexe et ont donc l’intention de revoir leur organisation.

TEPCO a eu de la chance car le feu aurait pu être beaucoup plus grave. Il y a deux ans, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) avait déjà prévenu la compagnie que le dispositif de prévention et de lutte contre les incendies était insuffisant. Suite à une inspection effectuée en novembre 2004, l’organisation internationale avait publié un rapport en juin 2005 dans lequel elle déplorait

  • qu’il n’y ait pas d’équipe de prévention des incendies ;
  • que certains pompiers volontaires de la centrale ne soient pas entraînés et que d’autres ne participent pas aux inspections régulières ;
  • que le comité incendie ne se soit pas réuni depuis 2 ans.

Suite à ce rapport, TEPCO avait organisé un exercice avec les pompiers municipaux et l’AIEA avait considéré le problème réglé lors de son inspection de mai 2007… Il s’agissait du quatrième feu de l’année. « On ne peut pas démentir que le feu aurait pu prendre dans plusieurs transformateurs » a avoué un représentant de la compagnie. Plusieurs étaient endommagés et de l’huile a fui de 5 autres transformateurs endommagés par le séisme.

L’incendie du transformateur serait dû à la consistance du sol, révélant ainsi un nouveau point faible des centrales nucléaires. Le support du transformateur s’est enfoncé dans le sol de 50 cm et est entré en contact avec la partie électrique, causant ainsi un court-circuit ou un échauffement. Il semblerait que le système de protection incendie ait aussi été endommagé par le tremblement de terre : le sol sous un réservoir de fioul s’est enfoncé de 1,6 m, endommageant les tuyaux d’adduction d’eau.

M. Suda, le sous-chef de la prévention des incendies des pompiers, a eu très peur lors du feu du transformateur. En observant la scène, il n’a jamais imaginé qu’un tremblement de terre puisse causer tant de dégâts. Si du fioul avait fui d’une canalisation souterraine, le désastre aurait été bien plus grand et il n’aurait pas été possible d’éteindre l’incendie. Son rapport à la mairie de Kashiwazaki a convaincu les autorités locales à demander l’arrêt de la centrale. Les sept réacteurs ont été arrêtés par la loi sur la prévention des incendies car les réservoirs de fioul qui servent à alimenter les générateurs de secours ne sont pas sûrs. C’est la première
fois au Japon que cette loi s’applique à une centrale nucléaire.

Suite à l’incendie non maîtrisé, le Ministère de l’Industrie a interrogé les opérateurs du nucléaire sur leurs capacités d’intervention : le résultat est plutôt inquiétant. Seulement la moitié des 10 opérateurs a une ligne directe vers les pompiers et de quoi éteindre un incendie chimique. Aucun n’a d’équipe propre en astreinte 24h/24 h.

TEPCO a promis d’équiper ses 3 centrales (17 réacteurs) de système d’extinction des feux d’origine chimique et d’organiser ses propres secours.

Quant à la fuite de liquide de refroidissement de la piscine d’entreposage des combustibles irradiés, elle ne sera découverte qu’à 12h50. Il faudra encore 6 heures pour réaliser que le liquide était radioactif. Le rejet dans la mer du Japon ne sera rapporté qu’à 20h28 le jour même. D’autres piscines de déchets ont aussi débordé, inondant ainsi les étages supérieurs du bâtiment des réacteurs. L’estimation de la quantité de radioactivité rejetée en mer est passée de 60 000 à 90 000 becquerels.

L’opérateur a reconnu que la radioactivité a fui pendant 3 jours de la centrale, et ce sont les inspecteurs gouvernementaux qui ont trouvé la fuite d’iode au niveau d’une cheminée du réacteur n°7. Le système de ventilation n’a pas été arrêté comme prévu. Dans un communiqué de presse daté du 19 juillet, TEPCO reconnaît une fuite en Mer du Japon provenant du réacteur n°6 : 90 000 Bq et une fuite d’iode, de chrome et de cobalt gazeux et particulaires du réacteur n°7 (environ 400 MBq). Mais ce serait sans conséquence pour la santé et l’environnement… Les inspecteurs ont découvert plus tard que les gaines des systèmes de ventilation conduisant à la cheminée de rejet ont été déplacées par le tremblement de terre. Si les réacteurs concernés avaient été en fonctionnement, cela aurait conduit à d’autres fuites radioactives.

Les annonces de fuite de radioactivité risquent de menacer la saison touristique de la province de Niigata. 5 jours après le tremblement de terre, 48 000 annulations ont été enregistrées. Le club de foot italien de Catane a annulé sa venue au Japon. Les 12 plages de Kashiwazaki sont désertes alors que l’an dernier elles ont attiré plus d’un million de visiteurs. Les anti-nucléaires japonais rencontrés se désolaient que les rejets légaux de l’usine de retraitement des combustibles irradiés qui doit démarrer en 2008, n’aient pas droit au même traitement médiatique. Ils sont pourtant beaucoup plus élevés.

Des vagues de plus d’un mètre

L’eau s’est échappée de la piscine d’entreposage du combustible usé, elle a ensuite fui en suivant des câbles électriques et des gaines de climatisation. Plus d’1,2 m3 se sont ainsi retrouvés en dehors de la zone contrôlée avant d’atteindre la mer. Un officiel a avoué n’avoir jamais imaginé que de l’eau de la piscine puisse inonder une autre partie du réacteur car il y a plus d’un mètre entre le niveau de l’eau et le bord de la piscine. Les six autres piscines ont aussi débordé, mais sans fuite en dehors de la zone contrôlée.

La piscine du réacteur n°3 contient aussi du combustible MOX dans lequel du plutonium est mélangé à de l’uranium en préparation du programme « pluthermal » qui consiste à brûler du plutonium dans les réacteurs. C’est pourquoi elle est surveillée en permanence par des caméras. Ce n’est pas le cas des autres piscines. Des vagues de plus d’un mètre ont été provoquées par le séisme. Les images prises toutes les 6 secondes par une caméra de sécurité, montrent que des bulles blanchâtres sont apparues au milieu de la piscine, avant de donner des vagues. L’eau n’étant qu’à 40 cm du bord, les vagues ont provoqué un débordement. Plus de 30 minutes après la fin de la secousse, les vagues persistaient. L’eau des bassins d’entreposage du combustible a débordé dans les 7 réacteurs.

La secousse a aussi provoqué la rupture d’un tuyau d’amenée d’eau et l’inondation du sous-sol d’un des réacteurs. L’eau est arrivée jusqu’au 5ième sous-sol en zone contrôlée. Plus de 2000 tonnes d’eau ont pénétré dans un réservoir contenant des eaux usées, provoquant son débordement et une inondation avec 48 cm d’eau. L’inondation a apparemment endommagé les pompes qui envoient l’eau contaminée vers un système de filtration. Jamais les ingénieurs de TEPCO n’auraient pu imaginer cela.

Quatre inondations en zone contrôlée ont été découvertes par TEPCO le 26 juillet 2007. Selon l’exploitant, les 30 tonnes d’eau seraient de l’eau de pluie qui se serait infiltrée après les fortes précipitations de la veille. L’eau serait passée par des fissures provoquées par le séisme, mais ne serait pas radioactive. Les serviettes en papier qui ont servi à éponger la zone seront néanmoins stockées comme déchet radioactif car elles proviennent de la zone contrôlée. L’inspection du cœur du réacteur n’a pu commencer qu’après avoir décontaminé la zone.

Deux employés ont été éclaboussés par de l’eau radioactive lors du tremblement de terre quand l’eau de la piscine de combustibles irradiés du réacteur n°1 a débordé. D’autres employés ont eu leurs chaussures et chaussettes mouillées par les inondations des réacteurs n°1, 5 et 6. Certains d’entre eux ont dit que l’eau est entrée en contact avec la peau. L’eau était cependant très faiblement radioactive. Ce n’est que 3 semaines après le séisme que TEPCO en a fait l’annonce, car le sous-traitant aurait tardé à lui transmettre l’information.

Il faudra attendre le 26 juillet pour que TEPCO admette que le cœur des réacteurs ait pu être endommagé. La grue du réacteur n°6 qui sert à soulever le couvercle de la cuve venait d’être vérifiée avant le séisme. Son axe de rotation est maintenant endommagé, mais il n’y aurait aucun risque qu’elle tombe sur le cœur du réacteur. Tant que cette grue de 310 tonnes n’est pas réparée, il n’est pas possible d’inspecter le cœur du réacteur.

TEPCO a finalement commencé à inspecter le cœur du réacteur n°7 à l’automne 2007. Le couvercle a été soulevé en vue de retirer le combustible du réacteur et le transférer dans une piscine adjacente. La compagnie a commencé par inspecter les barres de contrôle qui sont formées d’un matériau qui absorbe les neutrons pour contrôler ou arrêter la réaction en chaîne. Lors du tremblement de terre, toutes les 205 barres de contrôle de 4 m de long ont bien été insérées dans le cœur pour arrêter le réacteur. Après avoir retiré 106 barres, les employés ont découvert qu’une barre restait bloquée. La raison n’est pas encore connue, mais on peut penser à une déformation due au séisme.

Des failles dans les études sismiques

L’épicentre du séisme a été localisé à 2 km au large de Kashiwazaki, 17 km sous la mer du Japon. Une des puissantes répliques, avec une magnitude de 5,8 avait son épicentre à terre. Les experts de l’Agence de météorologie ont analysé la distribution des répliques et ont découvert que la faille en mer se prolonge jusque sous la centrale, à une profondeur de 20 km. Or une des conditions préalables à la construction d’une centrale, est de ne pas être située sur une faille…

Quand TEPCO a inspecté les fonds marins avant la construction de la centrale, elle a repéré 4 failles, mais a aussitôt conclu qu’elles n’étaient pas actives… La compagnie a reconnu que c’était bien une de ces zones qui est à l’origine du tremblement de terre. Quelle est donc la fiabilité de ses études ? L’exploitant a annoncé qu’il allait refaire une étude détaillée du fond marin à proximité de la centrale endommagée afin d’étudier les failles et leurs mouvements passés. En 2005, suite à une plainte déposée par des opposants, la haute cour de Tokyo avait jugé qu’il n’était pas nécessaire de fermer la centrale de Kashiwazaki-Kariwa car il n’y avait pas de faille active à proximité du complexe nucléaire… Le ministère de l’économie a fini par admettre le 25 juillet qu’il n’avait pas inspecté suffisamment les failles avant d’autoriser la construction de la centrale. Une commission indépendante, présidée par le Prof. Haruki Madarame de l’université de Tokyo a été chargée d’étudier la résistance des réacteurs aux séismes.

La nouvelle expertise rendue publique à l’automne 2007 a découvert 4 nouvelles failles sous marines à proximité de la centrale. Un responsable de TEPCO a affirmé que la compagnie avait fait du mieux qu’il était possible à l’époque et qu’elle était consciente qu’il lui fallait réévaluer les failles avant que le séisme ne frappe durement la centrale. Puis au cours de l’hiver 2007, TEPCO a fini par admettre qu’elle savait depuis 2003 qu’il y avait des failles actives faisant une vingtaine de kilomètres de long près de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa qui pouvaient conduire à des séismes d’une magnitude 7. Elle a aussi révélé l’existence d’autres failles de 20 à 40 km à proximité de la centrale, pouvant provoquer un tremblement de terre encore plus puissant, d’une magnitude 7 à 7,5. Il y aurait une autre faille de 9 km pouvant provoquer un séisme d’une magnitude de 6,5. Les nouvelles données ont été transmises à l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, mais n’ont pas été rendues publiques. La centrale risque donc d’être fermée pour au moins un à deux ans.

TEPCO a donc sous-estimé les failles qui courent à proximité de la centrale endommagée. La compagnie avait annoncé avoir détecté des failles au niveau de 15 points d’observation sur 42 dans les années 70 et 80 et avait ensuite demandé l’autorisation d’y construire une centrale nucléaire. Cependant, les nouvelles expertises et l’évaluation des données ont montré que les failles touchaient 27 points d’observation ! La longueur totale des failles atteint maintenant 20 km, contre 7 à 8 km auparavant. « Il est naturel de penser que les failles sont connectées quand elles apparaissent dans une même zone. C’est le bon sens et c’est dans les manuels scolaires ! » s’est exclamé Takashi Tanaka, un professeur à l’Institut Technologique de Hiroshima. Et d’ajouter que le gouvernement a une lourde responsabilité en ne détectant pas ces erreurs. Un des responsables de l’autorité de sûreté accepte la critique en admettant que leur évaluation n’était pas suffisante, mais affirme avoir fait de son mieux avec les connaissances de l’époque. « Si TEPCO avait été capable d’estimer correctement l’alignement de cette faille en étudiant les fonds sous-marins, elle aurait pu prévoir un tel séisme », a déclaré un membre du laboratoire national des failles actives.

Le plus inquiétant, c’est que la centrale n’avait pas été prévue pour faire face à un séisme d’une telle intensité. Les centrales ont été conçues pour résister à une secousse limite qui est supposée n’être jamais atteinte, 6,5 dans le cas de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa. Or le séisme du 16 juillet était d’une magnitude de 6,8… En septembre 2006, pour la première fois en 28 ans, l’autorité japonaise de sûreté nucléaire a décidé de réviser les standards avec une amplitude de référence implicite de 6,8[1]. Le Citizens’ Nuclear Information Center, organisation antinucléaire japonaise basée à Tokyo, pense qu’en attendant, il faut arrêter d’urgence les réacteurs qui ne satisfont pas aux nouvelles exigences. Dans un éditorial, le quotidien Asahi appelle à la révision de la sûreté des 55 centrales japonaises et se demande si les nouvelles règles ne sont pas déjà obsolètes.

Les sismographes installés près du réacteur ont enregistré des secousses au moins deux fois plus élevées que ce qui a été prévu pour le réacteur. Une accélération Nord-Sud de 267-311 gals a été enregistrée, alors que le maximum prévu était de l’ordre de 167-274 gals. Le Gal, tiré du nom du physicien et astronome Galilée, est une unité de mesure de l’accélération. Un Gal correspond à une accélération d’un centimètre par mètre par seconde carrée (1 cm/s2). Les secousses ont atteint 322-680 gals dans la direction Est-Ouest. Le réacteur n°1 a subi les plus fortes accélérations (311 gals N-S et 322 gals E-O). Sur les 7 réacteurs l’accélération verticale a atteint les 205-488 gals, contre 273 gals prévus pour 6 d’entre eux.

Quelques jours plus tard, d’autres données toujours préliminaires annoncées par TEPCO ont mis en évidence une accélération horizontale de 2058 gal, soit environ 2,5 fois plus que ce qui avait été prévu. Cela est probablement la plus forte accélération jamais enregistrée dans un réacteur nucléaire. Des détecteurs de 5 réacteurs ont enregistré des accélérations supérieures à 1000 gal. La turbine du réacteur n°1 a subi une accélération 6,8 fois plus forte que prévu. Un sismographe à proximité de la grue endommagée a enregistré une accélération de 1541 gal, ce qui aurait pu décrocher la grue et endommager le réacteur.

TEPCO a avoué que les enregistrements de 63 sismographes sur 97 de la centrale de Kashiwasaki-Kariwa ont été perdus suite au séisme. Les sismographes étaient supposés transmettre en ligne à Tokyo leurs données, mais suite au séisme, les lignes téléphoniques ont été saturées et les données perdues pendant 30 à 90 minutes. Cela risque de limiter sérieusement l’étude de l’impact du séisme sur la centrale.

Une catastrophe imminente ?

La région de Niigata à Kobe est particulièrement sujette aux tremblements de terre de forte intensité. Le dernier séisme vient renforcer cette idée qu’il y a de nombreuses failles actives dont certaines n’ont pas encore provoqué de secousses. Il f aut donc se préparer à d’autres catastrophes. Parmi ces problèmes rencontrés lors de ce séisme, certains sont similaires à ceux observés à la centrale de Shika lors du tremblement de terre de la péninsule de Noto. Le complexe nucléaire japonais ne tire pas volontiers les leçons de ce qui s’est passé ailleurs. Il faudra attendre le 22 juillet pour que Tokyo accepte le principe d’une inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dans la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa. Le Japon est le pays nucléarisé qui a le plus à craindre des séismes. La technologie a été importée de pays où ce risque est nettement moindre. Est-elle bien adaptée au Japon ? Si une barre de contrôle du réacteur devait être endommagée par une secousse tellurique, il deviendrait plus difficilement contrôlable. L’implémentation de mesures anti-sismiques a un coût que les compagnies ne sont pas toujours prêtes à assumer.

Dans un point de vue publié dans l’Asahi Shimbun du 11 août 2007, Katsuhiko Ishibashi, professeur au centre de recherche pour la sûreté et la sécurité urbaine, de l’université de Kobe déclare : « J’avais prévenu qu’un grand tremblement de terre allait frapper la région du Chuetsu près de Kashiwazaki, dans la province de Niigata et averti que les centrales nucléaires étaient fondamentalement vulnérables.

La secousse d’une magnitude de 6,8 du 16 juillet a causé des dommages considérables à la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa exploitée par TEPCO, prouvant que j’avais raison. Durant ces 40 dernières années au cours desquelles le Japon a construit des centrales nucléaires, l’activité sismique a été, heureusement ou malheureusement, relativement calme. Pas une installation n’a été touchée par une forte secousse. Le gouvernement, ainsi que l’industrie nucléaire et le monde académique, se sont tous habitués à sous-estimer les risques potentiels causés par les séismes de grande magnitude.

Cependant, depuis l’époque du grand tremblement de terre de Hanshin qui a dévasté Kobe en 1995, presque tout l’archipel japonais est entré dans une période d’une brusque activité sismique. Ces deux dernières années, de forts tremblements de terre ont eu lieu à proximité de réacteurs nucléaires : la centrale de Onagawa dans la préfecture de Miyagi (Août 2005), la centrale de Shika dans la préfecture de Ishikawa (mars 2007) et la centrale de Kashiwazaki-Kariwa. A chaque fois, l’amplitude des mouvements du sol a dépassé les critères de résistance sismique des réacteurs nucléaires. La dernière secousse près de Kashiwazaki a entraîné une accélération du sol qui a atteint les 993 gals, à comparer aux 450 gals prévus lors de la conception.

C’est ce genre de danger qu’une nation très sujette aux tremblements de terre doit s’apprêter à affronter quand elle exploite de nombreux réacteurs nucléaires. Il y en a en fait 55.

Ce qui s’est passé à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa ne peut pas être décrit comme « inattendu ». Ce qui s’y est passé aurait pu être bien pire. Si l’épicentre du séisme avait été un peu plus vers le sud-ouest, en direction de la centrale et si la magnitude avait été de 7,5 – comme le tremblement de 1964 dans la province de Niigata – et si tous les 7 réacteurs avaient été en fonctionnement, un « genpatsu-shinsai », une combinaison d’un tremblement de terre et d’une fusion du cœur du réacteur aurait pu avoir lieu. Cela aurait été un événement catastrophique où les dégâts causés par le tremblement de terre et par les fuites radioactives se seraient aggravés mutuellement.

La période de forte activité sismique va continuer pour une autre quarantaine d’années, voire plus. A moins que des mesures radicales soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales nucléaires, le Japon pourrait souffrir d’une véritable catastrophe nucléaire dans le futur proche. Le risque de voir un tel cauchemar est particulièrement grand pour la centrale de Hamaoka dans la préfecture de Shizuoka et pour le groupe de centrales de la baie de Wakasa dans la province de Fukui. Un accident sérieux sur ces installations pourrait bouleverser les grandes métropoles autour de Tokyo, Nagoya et Osaka.

La dernière secousse a mis en évidence les erreurs fatales des anciennes normes sismiques. Mais même les nouvelles normes qui sont entrées en application en septembre, la première révision en 28 ans, sont toujours sérieusement inappropriées car elles sous-estiment l’amplitude du mouvement du sol.

J’étais un membre du panel d’experts qui a développé ces nouvelles normes, mais j’ai démissionné lors de la dernière étape du travail en août dernier pour protester contre la position du groupe sur ce problème. Ce défaut doit être corrigé au plus vite en tirant les leçons de ce qui s’est passé à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa.

TEPCO a été critiquée pour n’avoir pas pris suffisamment en compte les failles sous marines actives de la région. De nombreux experts pensent qu’une étude complète suivant les nouvelles normes permettra d’éviter une telle erreur dans le futur. Mais un tremblement de terre d’une magnitude 7,3 peut secouer directement une zone où même une recherche sismique parfaite ne pourrait pas découvrir de faille active.

Ainsi les normes devraient exiger qu’un réacteur nucléaire, quelle que soit sa localisation, puisse supporter des accélérations du sol causées par un séisme d’une magnitude de 7,3, soit environ 1000 gal. En fait les nouvelles normes n’exigent que 450 gal. Ce chiffre doit être augmenté de façon significative et toutes les centrales nucléaires devraient être ré-éxaminées à la lumière de ces nouveaux critères. Les installations qui ne peuvent pas être remises aux nouvelles normes selon ces critères devraient être fermées.

Le point le plus important n’est pas seulement que les nouvelles normes ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, mais aussi que le système de contrôle est dans la pagaille. C’est TEPCO qui est à blâmer d’avoir sous-estimé la faille active près de Kashiwazaki-Kariwa et d’avoir négligé le problème en concevant les réacteurs. Dans une précédente colonne de l’Asahi Shimbun du 16 septembre 2006, j’avais fait remarquer qu’une faille active avait été négligée lors du processus qui a conduit à la conception de la centrale de Shimane dans la préfecture de Shimane, ce qui constitue une sérieuse négligence des inspections de sûreté. Mais rien n’a été fait pour régler ce problème, démontrant ainsi l’irresponsabilité des autorités de sûreté nucléaire. L’expert qui avait conseillé la compagnie et qui a pris part à l’inspection de la sûreté – la personne responsable de la sous-estimation de la ligne de failles – a toujours une place importante dans le panel de l’Agence de Sûreté nucléaire et industrielle. Un officiel de cette agence a déclaré récemment qu’il n’y aurait pas de nouvelle révision des normes sismiques, pas pour le moment. […]

Le Parlement devrait contrôler la politique de sûreté nucléaire défaillante du gouvernement en prenant en compte les problèmes posés par le récent séisme afin de proposer une réforme radicale de l’approche gouvernementale et de garantir la sûreté du parc nucléaire. Autrement, il n’y a pas de futur viable pour la sûreté nucléaire japonaise. »

Un groupe de scientifiques et d’ingénieurs a appelé le 22 août à la fermeture de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa car un autre séisme de grande ampleur est possible. Ils réclament une inspection détaillée du cœur du réacteur n°1 et du sol des environs. Cependant, ces inspections ne doivent pas être menées dans le but de redémarrer la centrale. Tant que l’on ne connaît pas l’état des réacteurs, la centrale doit être fermée. Ils réclament une expertise pluraliste avec des discussions ouvertes qui n’excluent pas la fermeture définitive de la centrale.

L’Autorité de Sûreté Nucléaire japonaise a déclaré que la résistance des centrales nucléaires aux tremblements de terre ne devait être considérée comme acquise et qu’il fallait faire preuve d’une grande humilité en la matière. Et d’en appeler à plus de transparence en matière de sûreté de la part des compagnies de production d’électricité après la révélation de 10 000 cas de falsification ou de dissimulation liés à des problèmes dans les centrales nucléaires, avec, en particulier l’accident de criticité qui a été caché en 1999 par Hokuriku Electric Power Co.

Tout le parc nucléaire dans les « marges de sécurité »

Chugoku Electric Power Co a annoncé qu’elle allait réévaluer la résistance de sa centrale de Shimane (région de Hiroshima) qui est située à proximité d’une dizaine de failles sous-marines. La compagnie connaît l’existence de ces failles situées de 6 à 51 km, mais les avait jugées sans danger étant donné leur taille et leur distance. Elle va donc faire procéder à une étude plus approfondie du sous-sol marin afin de « garder la confiance de la population locale ». Des études avaient été conduites en vue de la construction d’un troisième réacteur prévu pour 2011 et avaient conclu à l’innocuité des 10 failles répertoriées. Une association locale, qui s’oppose à l’extension de la centrale, espère que ces nouvelles recherches seront indépendantes et exhaustives et précise qu’elles auraient dû être conduites avant la décision de construire le troisième réacteur. La compagnie espère aussi pouvoir brûler du MOx dans son deuxième réacteur.

Takashi Nakata, professeur à Hiroshima Institute of Technology, avait mis en avant des erreurs méthodologiques dans l’évaluation du risque sismique qui n’ont pas été prises en compte par la compagnie et les autorités. « S’ils se sentent concernés par la sécurité des résidents, ils ne devraient pas exclusivement faire des études, mais aussi reconnaître qu’ils n’ont pas remarqué toutes les failles et commencer immédiatement à renforcer la résistance des réacteurs 1 et 2. »

Suite à la découverte d’une faille à proximité de la centrale de Matsué qui fait 20 km de long au lieu des 10 km initialement connus, Chugoku Electric Power Company a estimé que la faille pourrait provoquer une secousse d’une magnitude de degré 7, ce qui correspondrait à une accélération de 600 gals, soit le double de ce qui était prévu jusqu’à maintenant pour le réacteur n°1. Pour le réacteur n°2, c’est 398 gals qui sont prévus, et 456 gals pour le n°3. Mais un responsable de la compagnie prétend que la centrale peut supporter une telle secousse et qu’il n’est pas nécessaire de renforcer la résistance de la centrale. Cependant, la compagnie basée à Hiroshima va mener des études de réévaluation des risques liés aux tremblements de terre et soumettre les résultats à l’Autorité de Sûreté Nucléaire japonaise.

Le professeur Koike, spécialiste des réacteurs à l’université de Kyoto, est très inquiet pour le réacteur de Hamaoka, dans la préfecture de Shizuoka où les experts gouvernementaux prévoient un séisme de magnitude 8 dans les 30 prochaines années avec une probabilité de 87%. Des études faites autour de la centrale de Hamaoka depuis 2005 pour connaître les mouvements passés de la croûte terrestre ont mis en évidence une périodicité de 100 à 200 ans des séismes au cours des 8000 dernières années, avec des mouvements de grande envergure il y a environ 4800 ans, 4000 ans et 2400 ans. Un grave accident nucléaire dans cette centrale pourrait toucher directement l’agglomération de Tokyo. Bien que la centrale de Hamaoka ait été conçue pour supporter une secousse de magnitude 8, rien n’indique que cela se passera comme prévu. Pour Hitoshi Sato, de l’autorité de sûreté nucléaire, les protocoles de sécurité ont fonctionné correctement à Kashiwazaki-Kariwa, mais certains l’attribuent à la chance car les prévisions ont été dépassées. Et d’ajouter « qu’il y aura toujours un tremblement de terre de forte magnitude inattendu. On a affaire à la nature. Ce serait mentir que de dire que nos recommandations sont suffisantes. Le minimum est de tirer les leçons des séismes plus forts que prévus et de réduire les risques. »

Les quatre réacteurs de Hamaoka ne seront pas fermés par la justice. 27 résidents avaient porté plainte en 2003 en craignant pour leur vie suite aux alertes lancées par des scientifiques. Ils ont été déboutés, le juge estimant que les mesures ad hoc ont bien été prises et que leur vie n’est pas en danger. Les plaignants vont faire appel. Les travaux effectués par Chubu Electric pour renforcer la résistance aux séismes ont, semble-t-il, convaincu la Cour qui a aussi débouté 1846 autres plaignants qui demandaient l’arrêt temporaire des réacteurs.

Si les centrales nucléaires japonaises subissaient une secousse similaire à celle de Niigata, cela dépasserait la limite de conception dans tous les cas, sauf un. C’est ce qui se dégage du premier bilan rendu public le 22 septembre 2007 effectué par les opérateurs du nucléaire, qui se sont voulus rassurants : avec les marges de sécurité prévues, cela n’entraînerait pas d’accident grave. Il y a pourtant une forte probabilité qu’il y ait une faille active d’une quinzaine de kilomètres sous l’usine de retraitement à Rokkasho, selon des universitaires, pouvant provoquer un séisme de magnitude 8. Seul un réacteur expérimental de Tokai-mura a été conçu pour résister à une telle accélération. Pour les 47 autres réacteurs et les 3 autres installations nucléaires dont la toute nouvelle usine de retraitement, les valeurs excèdent la résistance prévue pour des pièces importantes comme des tuyaux. Toutes ces installations n’auraient tenu que grâce aux marges de sûreté. Ce sont les accélérations enregistrées au niveau le plus bas des réacteurs 1 et 4 qui ont servi de base aux calculs Cependant, certains experts estiment que les accélérations prises en compte sont sous-estimées car les mesures ont eu lieu dans les bâtiments et non au niveau du sol pour lequel les données ne sont pas disponibles à cause de la défaillance d’un sismographe. Il est important de bien comprendre comment le sol bouge pour pouvoir transposer à d’autres conditions géologiques.

L’accélération horizontale maximale qui pourrait être mesurée en cas de séisme est beaucoup plus grande que ce qui était admis jusqu’à présent, si l’on en croit les rapports des compagnies d’électricité japonaises rendus publics en avril 2008. Et c’est vrai pour toutes les centrales. Par exemple l’accélération est plus de 1,5 fois plus forte à Fukushima, exploitée par TEPCO, où à Tokai-mura qui est le centre de recherche national sur l’énergie nucléaire.

Les rapports révèlent aussi qu’il y a des failles juste en dessous et à proximité de deux installations : le surgénérateur Monju et la centrale voisine de Mihama exploitée par KEPCO, mais les exploitants restent confiants et affirment que cela ne remet pas en cause la sûreté des installations. En 1985, des citoyens avaient porté plainte estimant que les risques sismiques avaient été sous-estimés et, après 10 ans de procédures judiciaires, ils ont finalement été déboutés en 2005 par la Cour Suprême de Tokyo sous le prétexte qu’il n’y avait pas de faille active… L’agence qui exploite Monju espère le redémarrer en octobre de cette année.

Parmi les nouvelles failles « decouvertes », nombre d’entre elles auraient du être prises en compte avec les recommandations précédentes. Dans le passé, les exploitants et les autorités avaient prétendu avoir pris en compte le risque sismique, fait des études exhaustives et interdit la construction de centrales juste au dessus d’une faille. Pour l’Autorité de Sûreté Nucléaire, cela est dû à de meilleures connaissances en sismologie. Mais pour le Professeur Nakata, les compagnies doivent d’abord faire leur mea culpa si elles veulent regagner la confiance du public. Dans leurs évaluations précédentes, les compagnies ne font que répondre à la demande et aux critères d’évaluation de l’Autorité. C’est toute cette logique qu’il faut repenser.

Les compagnies affirment que, même si le séisme maximum venait frapper leurs installations, les parties primordiales des réacteurs, comme le cœur, tiendraient le coup. En fait, elles sont en train d’affirmer que les réacteurs nucléaires sont résistants à toutes les situations, même si une faille est en dessous. Mais il n’y a pas de chiffres précis. Les compagnies affirment que les réacteurs tiendraient, même avec des séismes de 5 à 10 fois plus forts, sans pouvoir dire combien exactement. Cela n’est pas très rassurant pour le public. Aussi bien les compagnies que l’Autorité de Sûreté Nucléaire doivent être plus rigoureuses dans leurs expertises, note le quotidien Yomiuri.

Suite à une erreur informatique, Hitachi a sous-estimé pendant 28 ans la résistance de la tuyauterie des réacteurs japonais à un séisme. 17 réacteurs dispersés sur 10 sites sont concernés sans que cela affecte sérieusement la sûreté, selon l’Autorité de Sûreté Nucléaire qui a demandé aux 7 compagnies concernées de corriger l’erreur et de prendre des mesures pour que cela ne se reproduise plus.

Une pénurie d’électricité

La fermeture des 7 réacteurs de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa est arrivée quelques semaines avant le pic de demande en énergie lié aux fortes chaleurs de l’été. Seuls 35 réacteurs nucléaires sur les 55 que compte le pays étaient en fonctionnement. Parmi les réacteurs à l’arrêt, il y a le réacteur N°1 de la centrale de Shika exploité par Hokuriku Electric Power Co, suite à la révélation en mars dernier qu’un accident de criticité avait été caché en 1999. Il faudra donc remettre en service de vieilles centrales à charbon qui émettent beaucoup de CO2. TEPCO a estimé à 2% l’augmentation des émissions de CO2 du pays pour 2007, soit 28 millions de tonnes.

Comme tous les étés, TEPCO doit faire face à une forte demande en électricité à cause de la climatisation. L’arrêt de sa plus grosse centrale, avec une capacité de 7112 MWe rend la situation critique et fait craindre des coupures de courant. Le 21 août, avec 34,2°C à Tokyo, la demande a atteint les 60 130 MWe, alors que la capacité maximale de la compagnie est de 62 300 MWe. 1°C au-dessus de 30°C induit 1 700 MWe électriques supplémentaires. Parmi les mesures d’urgence prévues par la compagnie, il y a le barrage de Shiobara qui peut générer 900 MWe et l’arrêt de la fourniture d’électricité à un millier de gros consommateurs qui ont des contrats spécifiques, soit 1270 MWe. L’autorisation de l’exploitation du barrage avait été suspendue en mai 2007 car la compagnie avait prélevé plus d’eau dans la rivière qu’elle n’y était autorisée. Cependant, devant le risque de rupture d’approvisionnement, l’exploitation du barrage a été rétablie du 30 juillet au 7 septembre 2007. Le 23 août, l’opérateur a dû, pour la première fois depuis 1990, avoir recours à des mesures d’urgence afin d’éviter la panne générale. Ainsi, selon un communiqué de TEPCO, la firme a activé une clause spéciale de ses contrats qui lui permet d’obliger ses 1 250 plus gros clients industriels à réduire leur consommation électrique. Elle a demandé à 23 compagnies de réduire drastiquement leur consommation entre 13 et 17h. Elles ont toutes accepté de coopérer. Les compagnies d’électricité voisines ont aussi transféré du courant sur Tokyo. Il faisait 37°C à Tokyo et les particuliers ont été appelés à réduire leur consommation.

Pour faire face à la pénurie d’électricité, TEPCO a lancé une campagne de publicité incitant ses clients à réduire leur consommation durant l’été en agissant essentiellement sur la température de climatisation. Selon une étude conduite par la compagnie auprès de 2000 ménages et 160 entreprises et commerces, cela a entraîné l’économie de la production de l’équivalent d’un réacteur nucléaire environ (1 100 MWe). Les ménages ont contribué pour moitié à la baisse.

Cette situation est appelée à se reproduire les années à venir. La centrale d’Onagawa exploitée par Tohoku Electric Power Co, qui avait été secouée par un séisme dépassant les prévisions, n’a obtenu l’autorisation de redémarrer, qu’après presque 2 ans d’arrêt.

Monsieur Tanaka, un ancien ingénieur de chez Hitachi qui a participé à la construction de centrales nucléaires avant de rejoindre le mouvement anti-nucléaire, estime que les dommages ne seront perceptibles qu’après une inspection microscopique de tout le cœur du réacteur. C’est long et coûteux. Il craint donc que TEPCO se contente d’une inspection superficielle et que l’autorité de sûreté nucléaire fasse de même.

TEPCO sera peut-être amenée à augmenter ses tarifs car elle risque d’être dans le rouge durant l’année fiscale 2008 pour la première fois en 29 ans, c’est à dire depuis le choc pétrolier. La compagnie ne prévoit pas de redémarrer rapidement sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa et doit compenser avec des centrales classiques aux hydrocarbures dont les prix s’envolent. Elle prévoit donc de rénover ses centrales thermiques au gaz et au charbon et d’avancer la construction des nouvelles pour faire face à la demande en électricité. L’augmentation de ses coûts de 600 millions de yens (4 millions d’euros environ) ne prend pas en compte les réparations de la centrale nucléaire endommagée car l’étendue des dégâts n’est pas encore connue. La compagnie ne sait pas encore comment réduire ses coûts de fonctionnement.

Pourtant, l’argent de TEPCO coule à flots depuis le tremblement de terre. Elle a donné 3 milliards de yens (20 millions d’euros environ) à la région, et embauché en CDD de nombreuses personnes. Elle a offert de doubler l’indemnité de voyage à ses employés et leur famille s’il choisissent Niigata comme destination. Selon la compagnie, 78% auraient répondu à l’appel. En contrepartie, l’agence de tourisme a invité ses membres à ne pas critiquer le nucléaire devant ses clients. Les employés sont aussi invités à acheter des produits de Kashiwazaki à l’aide d’un site web mis en place spécialement. Les employés de TEPCO ont dépensé 400 millions de yens (2,6 millions d’euros environ), soit 5 fois plus que ce qu’espérait la chambre de commerce locale. Certains s’inquiètent et pensent que la compagnie tente d’acheter les consciences pour pouvoir redémarrer plus vite. Mais un directeur régional s’en défend en affirmant qu’il souhaite aider au mieux les habitants locaux qui ont accepté sa centrale nucléaire. Le Ministère de l’Economie et de l’Industrie (METI) a aussi annoncé une donation de 4,1 milliards de yens (27 millions d’euros environ) d’aide à la reconstruction de Kashiwazaki-Kariwa en ponctionnant dans le budget gouvernemental de soutien à la construction des réacteurs. Un officiel du gouvernement a expliqué qu’il n’était pas question d’accélérer le redémarrage de la centrale, mais que cela serait désastreux si les autorités locales s’y opposaient. La fermeture définitive de la centrale constituerait un manque à gagner de 110 milliards de yens annuellement (730 millions d’euros environ) et la perte de 6000 emplois.

Une agence des Nations Unies basée à Genève, a estimé que le tremblement de terre de l’été était la catastrophe la plus coûteuse de l’année 2007.

Rendre les centrales nucléaires beaucoup plus résistantes aux tremblements de terre risque de coûter plus que ce que le Japon est prêt à payer. Il y a un an, quand les autorités ont demandé aux opérateurs d’augmenter la résistance de leurs réacteurs par rapport à la magnitude 6.5 qui était la précédente valeur de référence, elles n’ont imposé aucun minimum, laissant les compagnies décider par elles-mêmes. Alors que des tremblements de terre de magnitude 7, voire 8 sont possibles au Japon, il paraît prudent d’imposer de telles valeurs comme référence. Mais cela risque d’être au-delà des moyens financiers des compagnies d’électricité.

Acharnement

En attendant, Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL) a repris ses tests de l’usine de retraitement construite par AREVA après 4 mois de suspension suite à la découverte d’erreurs de calcul dans la résistance aux tremblements de terre d’un équipement fourni par Hitachi-General Electric. Les opposants au démarrage de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de Rokkasho ont transmis en janvier 2008 une pétition avec 850 000 signatures demandant de repenser la stratégie nucléaire. Ce qui inquiète le plus les riverains, ce sont les rejets attendus de l’usine.

KEPCO vient d’obtenir l’autorisation d’utiliser du combustible MOx dans les réacteurs n°3 et 4 de la centrale de Takahama. Une première autorisation avait été obtenue en 1999, puis suspendue après la découverte que les données sur la qualité des pastilles avaient été falsifiées. La compagnie espère pouvoir démarrer son programme en 2011.

L’exploitant du surgénérateur Monju, qui est fermé depuis 1995 suite à une fuite de sodium, a été autorisé à remplacer son combustible en vue d’un redémarrage prochain. Le rechargement a eu lieu en mai 2008.

Le Ministère de l’Economie et de l’Industrie (METI) a donné son feu vert à la construction d’un nouveau type de réacteur nucléaire destiné à brûler du plutonium de retraitement sous forme de combustible MOx. Il s’agit d’une version améliorée des réacteurs à eau bouillante. Dans les réacteurs actuels, seul un quart à un tiers du combustible peut être sous forme de MOx, alors qu’avec cette nouvelle technologie, c’est tout le cœur qui sera constitué de MOx, au bout de 5 à 10 ans de phase de test et une introduction progressive. Les travaux de construction devraient commencer en mai à Aomori, à proximité de l’usine de retraitement, pour être opérationnel en 2012. D’un coût de 470 milliards de yens (3 milliards d’euros environ), il s’agit du premier réacteur construit selon les nouvelles normes anti-sismiques de 2006.

Les plans initiaux prévoyaient 16 à 18 réacteurs classiques utilisant du MOX d’ici 2010. Mais, pour le moment, aucun réacteur n’est autorisé à utiliser du MOx au Japon. Et donc pas un gramme du plutonium extrait en France et au Royaume-Uni, et que le pays s’apprête à extraire dans sa nouvelle usine de Rokkasho, n’a été recyclé ! Le stock de plutonium s’élevait à une trentaine de tonnes fin 2006.

Dans un livre blanc paru en mars 2008 la commission de l’énergie atomique du Japon a conclu qu’il fallait augmenter l’utilisation de l’énergie nucléaire pour combattre le réchauffement climatique. Elle a aussi ajouté que les compagnies d’électricité devaient améliorer la résistance de leurs réacteurs aux séismes. Et de se féliciter du démarrage de l’usine de retraitement et des efforts du pays à tenter de recycler le plutonium. Enfin, la commission regrette que TEPCO et Hokuriku Electric Power Company aient caché des accidents de criticité.

Pour finir, l’autorité de sûreté nucléaire japonaise a classé « l’incident » de Kashiwazaki-Kariwa au niveau 0 moins, soit le plus bas, sur l’échelle internationale INES. Pour le quotidien Yomiuri Shimbun, ce classement est incompréhensible pour le public. Que penser du fossé entre la perception du public et celle des autorités ? En effet, l’échelle INES ne concerne que les incidents ou accidents nucléaires, pas les tremblements de terre. Puisqu’il n’y a eu qu’une fuite minime, l’incident est classé très bas. Pour le journal, la compagnie et l’autorité de sûreté ne devraient pas se satisfaire d’un tel classement et réévaluer la résistance des réacteurs nucléaires aux tremblements de terre.

Il y a eu d’autres cas par le passé où le classement est apparu comme sous-évalué aux yeux du public. Quand 5 employés sont morts brûlés par un jet de vapeur dans la centrale de Mihama en 2004 ou quand le surgénérateur a été arrêté suite à une fuite de sodium en 1995, les « incidents » avaient été classés au niveau 1.

David Boilley.


[1] Les nouvelles règles de septembre 2006 imposent de remonter jusqu’à 130 000 ans en arrière en prenant en compte l’activité des failles.

Ancien lien

Evaluation radiologique aux abords de trois anciennes mines d’extraction d’uranium du département de la Creuse

Evaluation radiologique aux abords de trois anciennes mines d’extraction d’uranium du département de la Creuse

Rapport sur l’analyse des niveaux de radioactivité dans les environs du centre de stockage FMA-VC de l’Aube (2007)

Rapport sur l’analyse des niveaux de radioactivité dans les environs du centre de stockage FMA-VC de l’Aube (2007)

« Faut-il tout dire pour bien informer ? »

Communiqué de presse ACRO du 3 avril 2007


L’ANDRA (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs) organise le 5 avril à Cherbourg Octeville un colloque sur comment « Mieux répondre aux attentes d’information du public ». La principale question posée aux intervenants et re-débattue le soir est : « faut-il tout dire pour bien informer ? ».

L’ANDRA aurait-elle quelque chose à cacher ? Aurait-elle honte de divulguer certaines informations ? Alors que les autorités s’enorgueillent d’avoir fait voter une nouvelle loi sur la « transparence » nucléaire, dont les décrets d’application sont en cours de préparation, cette question en forme d’aveux n’est pas innocente.

Les droits français et européen sont très ambitieux sur ce sujet. La charte de l’environnement, maintenant adossée à la constitution française, impose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Afin de pouvoir exercer ce devoir, « toute personne a le droit, dans les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Quant à la convention d’Aarhus, ratifiée en 2002 par la France, elle est beaucoup plus précise et très contraignante sur ce sujet.

Alors que la question primordiale est la mise en pratique de la convention d’Aarhus, malgré les réticences des pouvoirs publics, l’ANDRA remet-elle en cause les bases même de cette démocratie participative appliquée aux questions environnementales ?

Ces nouvelles dispositions, qui ne sont pas dues à une poignée d’« écolos » idéalistes, voire « illuminés », tardent à être appliquées. Ainsi, l’ANCLI a demandé la mise en place d’une Commission Pluraliste et Permanente de Débat sur les déchets et matières radioactifs qui doit accompagner les dix années de recherche prévues par la nouvelle loi sur les déchets. Malheureusement, personne ne veut en entendre parler. On en est encore à se demander si une agence nationale doit tout dire.

Par le passé, l’ANDRA a eu beaucoup de choses à cacher, n’hésitant pas à porter plainte contre l’ACRO quand elle osait divulguer les dysfonctionnements du Centre de Stockage de la Manche. Le fonctionnement à huis clos a permis tous les abus et nous en payons encore aujourd’hui les conséquences. Nos descendants et les générations futures aussi. Mais chut, il ne faut pas leur dire…

Ancien lien

Résultats de la surveillance du littoral et des rivières normands 2005

ACROnique du nucléaire n°76, mars 2007

RESULTATS 2005 DE LA SURVEILLANCE DES NIVEAUX DE LA RADIOACTIVITE ARTIFICIELLE D’ECOSYSTEMES AQUATIQUES APPARTENANT AU BASSIN SEINE-NORMANDIE

Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M)

Centre Sans Mémoire, Centre Sans Avenir ?

Rapport d’étude réalisé à la demande de Greenpeace France
23 mai 2006


Synthèse : les leçons du CSM

« Le passé était mort, le futur inimaginable », George Orwell, 1984

Pour le CEA, qui a en eu la responsabilité durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets ». A l’heure où est débattu l’avenir des déchets nucléaires français, il nous paraît important de tirer les leçons de la gestion de ce centre.

Parce que le stockage des déchets y a précédé la réglementation en la matière, ce centre ne satisfait plus aux normes actuelles concernant le stockage en surface. On y a stocké et entreposé tout et n’importe quoi, sur les crêtes des nappes phréatiques et sans aucune protection vis à vis des intempéries. Pour les déchets les plus anciens, l’inventaire est des plus fantaisistes et fort probablement en dessous de la réalité. Mais le plus grave, est que les centres du CEA se soient débarrassés rapidement de tous les déchets gênants avant chaque durcissement de la réglementation. La Commission Turpin l’a bien mis en évidence à propos du plutonium. Ce délit d’initié est extrêmement choquant car c’était dans ce même organisme qu’étaient élaborées les connaissances impliquant de revoir les procédures. Pas vu, pas pris. Plus de 10% des volumes stockées sur le centre sont d’origine étrangère malgré la loi française qui interdit cette pratique.

De part les éléments à vie longue qu’il contient en grande quantité et les toxiques chimiques, le Centre Manche ne sera jamais banalisable et est là pour l’éternité. Son statut se distingue donc du Centre de l’Aube (qui ne reçoit que des déchets triés respectant des critères stricts) et s’apparente plus à ce que pourrait être un stockage souterrain à l’abri des regards qui est supposé accueillir tous les déchets gênants. La barrière géologique ne constitue qu’un décalage temporel dans l’apparition des problèmes.

A cause de sa gestion empirique, il porte atteinte à l’environnement. Suite à des incidents à répétition qui viennent s’ajouter à un relargage diffus en continu, les nappes phréatiques et de nombreux exutoires sont fortement contaminés en tritium. Force est de constater qu’une information sur cette pollution chronique a longtemps manqué et encore aujourd’hui, un bilan précis de son impact reste à faire. Pour autant, la situation pourrait s’aggraver à long terme car les emballages des déchets les plus anciens, qui contiennent aussi les éléments les plus nocifs, ne sont pas garantis sur de si longues périodes. Lorsqu’une nouvelle contamination sera détectée, il sera trop tard.

Cependant, il n’est pas prévu de démanteler ce centre, même partiellement. L’argument généralement avancé, outre le coût économique, est que le risque sanitaire lié à l’opération serait supérieur au risque lié à son impact sur l’environnement. Surtout, il n’y a pas d’autre solution pour les déchets extraits qui ne sauraient être acceptés au Centre de l’Aube. Il est donc plus confortable pour les opérateurs du nucléaire et les pouvoirs publics de considérer ce problème comme réglé.

Comment léguer alors ce centre aux générations futures ? Comment en transmettre la mémoire si même notre génération ne sait plus ce qu’il contient exactement ? Surtout, comment leur permettre d’avoir une opinion sur son avenir qui diffère de celle qui est prévue actuellement ? Ces questions fondamentales doivent être prises en compte pour tous les autres déchets radioactifs.

Cet exemple du Centre de Stockage de la Manche montre qu’une gestion passive à long terme basée sur l’oubli est vaine. La réversibilité supposée des stockages à venir ne fait que reporter de quelques générations le dilemme de la fermeture, sans le résoudre.

La protection des générations futures, fait l’objet d’un consensus quand il s’agit de gestion des déchets nucléaires. Mais dès qu’il s’agit de la génération actuelle, le consensus disparaît… Le public est le grand oublié du projet de loi sur les déchets présenté par le gouvernement qui méprise la consultation qu’il a lui même voulue. Or, si le Centre Manche est un centre sans mémoire, c’est parce que sa gestion était confinée et il est important de ne pas renouveler ce huis clos.

Le bien-être des générations futures, pour lesquelles le fardeau de la gestion des déchets doit être limité, apparaît donc souvent comme un argument utilisé sans réflexion pour faire accepter tout et n’importe quoi. Leur laisser des moyens d’agir signifie garder la mémoire de ce fardeau. Or, les exemples historiques montrent que c’est grâce à la redondance de l’information gardée sous plusieurs formes qu’elle peut être transmise de générations en générations en faisant face aux aléas. Il y a donc un impératif moral à partager avec la population la connaissance sur les déchets nucléaires. Les débats actuels sur le nucléaire n’ont malheureusement pas mobilisé les foules car les citoyens avaient le sentiment de n’avoir aucune emprise sur le processus de décision. Pourquoi s’investir si les décisions sont déjà prises ? Il importe donc de mettre en place un mécanisme de démocratisation de la gestion des déchets nucléaires pour en garantir la mémoire.

L’autre enjeu est de transmettre une mémoire qui traduit honnêtement l’état des lieux, ce qui n’est pas le cas du Centre Manche. Là encore, la démocratisation des processus de décision avec une ouverture plus en amont, laissant le temps à la société civile de s’approprier la problématique est indispensable. C’est dans ce sens que tente d’œuvrer l’ACRO depuis sa création.

En conclusion, la sauvegarde des générations futures en matière de gestion de déchets nucléaires passe par une meilleure gouvernance de la gestion actuelle, s’appuyant sur une plus grande démocratie participative. Il serait dommage et dangereux que le projet de loi actuel loupe ce coche pour dix ans encore. D’autant plus qu’il y a malheureusement un immense retard à combler et que les déchets comme ceux du Centre Manche, dont le sort est officiellement réglé, sont encore à prendre en compte.


Résumé de la 1ère partie : L’univers du Centre de Stockage de la Manche

Le Centre de Stockage de la Manche a été construit dans la partie Est de l’usine de retraitement de La Hague, à un endroit qui s’appelle le « Haut Marais », zone humide par excellence. C’est sans doute le plus mauvais choix quand on sait que l’eau est le principal ennemi de la sûreté. Les premiers déchets ont été mis à même la terre, puis dans des tranchées bétonnées, régulièrement inondées. Certains de ces ouvrages ont été démantelés, d’autres sont encore là, à la crête des nappes phréatiques. La pratique ayant précédé la réglementation, l’empirisme qui a guidé l’édification de ce centre suscite déjà de nombreuses inquiétudes qui devraient s’aggraver dans l’avenir.

Les structures d’accueil et la qualité des déchets ont évolué au cours du temps vers plus de rigueur. Mais, avant chaque durcissement de la réglementation, le CEA a renvoyé au CSM des déchets qui ne pourraient plus être acceptés par la suite. Ce délit d’initié est d’autant plus choquant que c’est dans ce même organisme qu’étaient élaborées les nouvelles règles. L’ACRO avait aussi dénoncé des pratiques similaires juste avant la fermeture du site en 1994. De nos jours, le centre Manche contient de nombreux éléments à vie longue qui ne sont plus acceptés sur le centre de l’Aube qui a pris le relais. Il y a notamment près de 100 kg de plutonium, ainsi que de nombreux autres émetteurs alpha particulièrement toxiques en cas de contamination. Si l’on ajoute à cela les toxiques chimiques qui ne disparaîtront pas avec le temps, dont près de 20 tonnes de plomb et une tonne de mercure, le centre Manche ne pourra jamais être banalisé. Au moment de sa fermeture, l’ANDRA annonçait sans vergogne que ce centre pourrait être rendu à la nature au bout de 300 ans et que la couverture était définitive.

L’inventaire des déchets stockés n’est pas connu avec précision. Durant les premières années, seuls les bordereaux des expéditeurs faisaient foi. Une tempête a effacé une partie de cette mémoire et les informations concernant les premières années ne sont pas fiables. Certaines structures d’accueil non plus et une partie des déchets échappent au système de surveillance mis en place. Un employé de l’ANDRA à la retraite va jusqu’à évoquer des risques d’effondrement. En cas de problème, ce sont les nappes phréatiques qui seront touchées et il sera trop tard pour agir. Selon nos estimations, ce sont plus de 10% des 527 217 m3 de déchets stockés qui sont d’origine étrangère, en violation flagrante de la législation française. Alors que la question du stockage en surface est officiellement considérée comme « réglée », il est légitime de s’interroger sur l’avenir du centre Manche. Il est tout aussi nécessaire de tirer les leçons de ses déboires pour les autres déchets en attente de solution.

Sans la vigilance citoyenne des associations et les révélations d’un lanceur d’alerte qui a envoyé anonymement des documents à l’ACRO, c’est le plan de l’ANDRA qui aurait été avalisé par les autorités. La commission pluraliste qui a enquêté après les révélations de l’ACRO en 1995 a estimé que ce stockage est irréversible. En se basant sur une étude de l’ANDRA, elle estime en effet qu’aucune reprise des déchets n’est raisonnable en raison des coûts sanitaires et financiers. Surtout, il n’existe aucune solution pour une partie de ces déchets qui ne sauraient être acceptés au centre de l’Aube.

Les exigences en matière d’environnement ont changé durant les 25 années d’exploitation du centre Manche. Ces exigences devraient évoluer encore plus sur des échelles de temps impliquant plusieurs générations. La réversibilité des stockages est donc une contrainte morale qui découle du principe de précaution. Elle est généralement pensée comme un moyen de rendre les projets socialement plus acceptables par les autorités. Mais la réversibilité n’est pas seulement un problème technique et doit conduire à repenser entièrement la gestion des matières radioactives de façon démocratique. L’option d’un entreposage pérennisé avait les faveurs du public lors du débat national, mais est malheureusement ignorée par les autorités qui préfèrent une stratégie basée sur l’oubli.

Il en est de même pour l’avenir du centre Manche. Il est prévu, qu’après la phase de surveillance actuelle, une nouvelle couverture soit mise en place afin de passer à une phase plus passive. La décision de ne pas reprendre tout ou une partie des déchets est basée sur des études de l’ANDRA qui n’ont pas été contre-expertisées dans le détail. Nous avons, vainement, demandé à la commission de surveillance du centre de promouvoir la mise en place d’une réflexion pluraliste qui aurait à se pencher sur les risques évoqués avant de décider de fermer définitivement le site. Cette revendication nous tient particulièrement à cœur avant de décider de léguer une telle menace aux générations futures.


Résumé de la 2ème partie : La pollution des écosystèmes aquatiques par le tritium

Par le passé, la Sainte-Hélène qui s’écoule non loin du Centre de Stockage de la Manche (CSM) avait une teneur en césium-137, de 100 à 1000 fois plus élevée que dans les autres cours d’eau voisins. Cette anomalie s’accompagnait de l’existence d’autres produits de fission et de teneurs impressionnantes en plutonium : les sédiments contenaient plus de 140 Bq/kg de plutonium-238, soit 5000 fois plus que dans ceux du Rhône en aval des installations de Creys-Malville (Superphénix). Le CSM en était à l’origine. Depuis les causes ont été maîtrisées et il ne subsiste plus que les vestiges de ces anciennes pollutions massives.

Mais de tout temps, du tritium (hydrogène radioactif) fût trouvé. Aujourd’hui encore, de nombreux cours d’eau, aquifères, résurgences, puits sont concernés.

Dès l’ouverture du centre, on a voulu stocker de grandes quantités de tritium. Dans 6 petites cases de l’ouvrage dénommé TB2, l’équivalent de trois, peut-être 15, années de rejets tritiés de l’ensemble du parc électronucléaire français actuel a été entreposé. Les estimations varient avec les époques, soulignant la méconnaissance du contenu des déchets.

Mais ce tritium n’a pas daigné rester à sa place, et ce fût le point de départ, en octobre 1976, d’une contamination massive des eaux souterraines et superficielles. Tout ce qui pu être repris l’a été, et les quantités stockés ont été réduites de manière drastique.

Cet incident à mis en exergue, outre des dysfonctionnements et une inadaptation du procédé de stockage, la diffusion du tritium à travers les colis et ouvrages. Ce phénomène, qui a débuté dès la réception des premiers déchets tritiés, existe encore de nos jours et cessera quand il n’y aura plus de tritium dans les colis.
Parce que le gestionnaire du centre s’est refusé à protéger correctement les déchets des intempéries durant les 25 années d’exploitation, y compris durant la période où il déployait des solutions sur son centre de l’Aube, la situation s’est aggravée à La Hague. La lixiviation des déchets par les eaux de pluie a augmenté considérablement les relâchements.

Le CSM s’est donc toujours « vidé », et se « vide » encore de nos jours, de son tritium par d’autres voies que celle de la décroissance radioactive, principe fondamental de l’élimination des déchets nucléaires. L’analyse des données postérieures à 1986, les seules disponibles, tend à suggérer qu’au moins 20% du tritium stocké se seraient « évanouis » dans l’environnement à la date d’aujourd’hui. Dans une note datée du 18/12/92, le gestionnaire estimait même à 1850 TBq [130% de l’inventaire tritié du site (ndlr)] l’activité perdue dans le sol à la suite de l’incident de 1976.

Libéré des ouvrages, ce tritium suit principalement les voies naturelles de l’eau. Il tend à rejoindre les aquifères sous-jacents mais également l’atmosphère. Il est donc voué à être « éliminé », d’une manière ou d’une autre, par dilution et dispersion dans le milieu naturel. Dans l’année qui suit l’incident d’octobre 76, la contamination des eaux souterraines a pu avoisiner les 600 000 Bq/L et celle des eaux de la Sainte-Hélène plus de 10 000 Bq/L. On pense le pire passé. En 1983, on atteint 6 millions de Bq/L dans un aquifère! Expérimentation ? Incident ? Accident ? Le public et les riverains ne savent toujours pas. Tout comme à l’époque ils ne savent pas qu’il est procédé à des rejets dits « concertés » dans la Sainte-Hélène, lesquelles conduisent en octobre 1982 à une contamination des eaux de l’ordre de 50 000 Bq/L.

Le dernier colis livré, la couverture mise en place, les indicateurs témoignent alors de l’avènement d’un processus d’amélioration de la qualité radiologique des eaux souterraines.

En l’absence de rejets industriels ou d’aléas, la teneur des eaux en tritium doit être de l’ordre de 1 Bq/L. Sur le plan sanitaire, l’OMS considère depuis 1993 que les eaux destinées à la consommation humaine ne devraient pas avoir  une teneur en tritium supérieure à 7800 Bq/L. Quant à l’Europe, à partir de 1998, elle s’est fixée pour objectif que ces mêmes eaux ne dépassent pas 100 Bq/L.

En 2005, La pollution n’a pas encore disparu. Elle a globalement diminué. Pour autant la contamination des eaux souterraines contrôlées peut encore atteindre 190 000 Bq/L. Et 20% des aquifères contaminés ne témoignent pas de la diminution attendue si on conjugue la décroissance radioactive au renouvellement des eaux. Fait étrange, certains tendent même à augmenter.

Durant toutes ces années, la pollution par le tritium devient insidieuse. Elle se répand géographiquement sur le versant nord. Elle atteint des puits, des résurgences et les principaux cours d’eau drainant le bassin versant. Actuellement, tous les cours d’eau (les Roteures, la Sainte-Hélène et le Grand Bel) ont en commun d’être contaminés par le tritium, à des niveaux variables compris entre une dizaine et plusieurs centaines de becquerels par litre. Pour les deux premiers, les résurgences le long du premier kilomètre apportent des eaux bien plus contaminées qu’elles ne le sont dans le cours d’eau au même endroit. A quelques centaines de mètres en aval de la source de la Sainte-Hélène, on mesurait jusqu’à 700 Bq/L de tritium dans une résurgence en 2003. Et cette situation contraste peu avec celle observée par l’ACRO il y a une dizaine d’années, cette fois au pied d’une maison familiale. Dans le cas du Grand Bel, pollué à la source, là encore la concentration en tritium des eaux n’a pas évolué depuis 1994 ! Elle est invariablement de 750 ± 100 Bq/L à la source.

Les constats de ces dernières années posent question. Pourquoi la contamination par le tritium n’a pas décru drastiquement comme on aurait pu s’y attendre si on conjugue la dilution et la décroissance radioactive ? Ne considérant que le phénomène de décroissance radioactive, les niveaux auraient dû diminuer de 50% par rapport à 1994. Or il sont sensiblement les mêmes à certains endroits, ce qui suppose que la quantité de tritium mobilisé a augmenté.

Certes, les eaux des résurgences et de cours d’eau ne sont pas utilisées directement pour la consommation humaine, mais elles le sont pour le bétail et même le jardin. Dans le cas d’une vache alimentée de manière chronique avec de l’eau tritiée, des transferts existent vers le lait. Ils sont confirmés dans La Hague lorsqu’on se réfère aux contrôles effectués sur le lait par un autre opérateur du nucléaire que l’ANDRA, cette dernière n’effectuant aucun contrôle de cette nature et ce depuis le départ. Et le bilan des transferts ne s’arrête pas là. Le tritium, hydrogène radioactif, « s’échange » et entre dans la composition de la matière organique, donc de la vie. Chair, graisse, légume, etc. peuvent être concernés. Les voies d’atteintes à l’homme se multiplient alors. Faut-il encore vouloir les connaître.

Apurer la pollution des écosystèmes aquatiques est une nécessité morale. Il n’est pas acceptable de voir le gestionnaire d’un centre de stockage de déchets nucléaires démissionner devant un élément radioactif comme le  tritium qu’il n’a pu contenir sur son site et l’abandonner au pied des maisons, au fond des champs. Il est obligatoire a minima d’étudier, comme le demande l’ACRO, la possibilité de recourir à la méthode éprouvée du pompage dans la nappe avec rejet en mer dans l’espoir d’obtenir une diminution progressive de la contamination des eaux de surfaces et de gérer de manière contrôlée et organisée les flux de radioactivité artificielle en direction de l’environnement.


Rapport d’analyse

Dosage du tritium dans les eaux souterraines pompées le 23 mai 2006 au niveau du piézomètre 113 à proximité du centre de stockage de la Manche

Echantillon Concentration en Bq/L
début
de pompage
13 200
± 900
fin de
pompage
16 800
± 1 100

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Dosage du tritium dans les eaux souterraines suite à un deuxième prélèvement effectué par Greenpeace Hollande le 8 novembre 2006 au niveau du même piézomètre.

Echantillon Concentration en Bq/L
Première
cuillère
18 700
± 1 100
Deuxième
cuillère
18 100
± 1 100
Après
pompage 1000 L
18 100
± 1 100
Après
pompage 2000 L
20 000
± 1 200
Après
pompage 3000 L
20 200
± 1 300
Après
pompage 4000 L
20 600
± 1 200

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Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Surveillance citoyenne de la radioactivité en Normandie

Synthèse des résultats d’analyse gamma du premier semestre 2004 du Réseau cItoyen de Veille, d’Information et d’Evaluation RadioEcologique (RIVIERE)
ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


Préambuleriviere04
Les résultats présentés par la suite s’inscrivent dans la continuité de précédentes évaluations réalisées depuis 1997 à l’échelle du bassin Seine-Normandie et depuis 1988 dans la région de la Hague. Le but de ce travail est de renseigner sur l’état du milieu aquatique naturel par rapport à la pression qu’exercent l’industrie nucléaire civile et militaire mais également (et plus largement) les utilisateurs de radioactivité. Limitée à l’analyse des radionucléides émetteurs gamma comme le césium-137, l’évaluation concerne les eaux marines du littoral normand (entre Cancale et le Tréport), les principaux cours d’eau qui les alimentent comme la Seine ou l’Orne et enfin les écosystèmes aquatiques (influencés ou susceptibles de l’être) dans la région de la Hague, non loin des usines de retraitement et du centre de stockage de déchets nucléaires (CSM).

Il est nécessaire de bien mesurer la portée de ce travail. Il s’agit avant tout de veille environnementale et non sanitaire. Le travail n’est pas structuré pour répondre sur le plan de la santé même si des éléments d’information peuvent être retirés pour alimenter une telle réflexion, notamment à travers l’analyse des mollusques. Après quoi, ce suivi n’est pas exercé dans l’absolu, c’est-à-dire avec pour objectif d’analyser toutes les contributions possibles et leur répercussions sur l’ensemble des compartiments de l’environnement, quelque soit l’échelle de temps et d’espace. Des polluents majeurs comme les isotopes du plutonium ou le carbone-14 ne sont pas recherchés faute de moyens. Enfin, on cherche à obtenir une vue générale de la pression exercée par les activités humaines et plus particulièrement à connaître la tendance des niveaux de la radioactivité : est-on dans une phase d’augmentation ou pas ?

La méthodologie choisie s’appuie sur l’expérience du laboratoire dans ce domaine, plus d’une quinzaine d’années, et sur les pratiques usuelles d’organismes d’expertises (comme l’IRSN). Par ailleurs, les normes existantes (particulièrement celles de la série M60-780) sont mises à profit.

D’une manière générale, l’approche consiste à effectuer des prélèvements in situ d’échantillons (indicateurs) biologiques et inertes pour rendre compte de la qualité du milieu aquatique ; aucune analyse des eaux n’est donc réalisée. Les échantillons collectés subissent traitement et analyse au laboratoire pour in fine, révéler les radionucléides émettant un rayonnement gamma, qu’ils aient une origine naturelle ou artificielle. Mais par la suite, seuls les résultats concernant la radioactivité artificielle sont présentés.

Les indicateurs de l’environnement utilisés pour réaliser ce suivi sont de nature différente. En milieu marin, l’algue brune appartenant à l’espèce Fucus serratus (varech commun) et le mollusque du genre Patella sp. (bernique ou patelle) constituent les bioindicateurs systématiquement prélevés en plus des vases collectées dans les avants ports. En milieu aquatique terrestre ou dulcicole, ce sont les mousses aquatiques du genre Fontinalis sp. (mousses des fontaines) qui sont échantillonnées comme bioindicateurs en plus des sédiments.
Tous ces indicateurs, réputés de longue date pour ce genre d’évaluation, facilitent la détection des radioéléments et offrent l’avantage de couvrir un large spectre de polluants. Par ailleurs, de longues séries de résultats et de nombreux éléments de comparaison sont disponibles dans la littérature.

La fréquence des prélèvements dépend du lieu et de l’indicateur analysé. Dans les sédiments par exemple, l’analyse est annuelle en raison du délai de latence connu. A contrario, les analyses seront semestrielles dans les végétaux aquatiques comme les algues ou les mousses.

Résultats obtenus pour l’année 2004 dans les cours d’eau

Dans les environs des installations nucléaires de la Hague, comme à plus grande distance, c’est avant tout du césium-137(137Cs) qui est mis en évidence dans les cours d’eau. Hormis dans la Sainte-Hélène, cours d’eau connu pour être perturbé par les activités nucléaires, les concentrations mesurées en césium-137, de l’ordre de quelques becquerel par kilogramme de matière sèche (Bq/kg sec) sont comparables et témoignent des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, notamment des essais nucléaires atmosphériques des années 50-60. La variabilité des concentrations en césium-137 est essentiellement due à la texture même des sédiments ; la proportion de particules fines et la quantité de matière organique, facteurs influant, différent d’un lieu à l’autre.

Dans la région de la Hague, un excès de radioactivité artificielle est visible mais circonscrit uniquement à la Sainte-Hélène. Il transparaît d’abord dans le césium-137, lequel dépasse les niveaux usuels d’un facteur 10, puis dans la présence d’autres radioéléments comme le cobalt-60 (60Co) ou le ruthénium-rhodium 106 (106RuRh). On note également la présence d’iode-129 (129I). Ces polluants trouvent leur origine principalement dans les rejets gazeux des usines de retraitement présentes : retombés sur le sol des 300ha que comptent les usines, ces radioéléments sont ensuite entraînés avec les eaux de ruissellement dont l’un des exutoires est le cours d’eau Sainte-Hélène.

En aval de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, là encore il y a une légère augmentation de la radioactivité artificielle, circonscrite aux environs immédiats des réacteurs. Toutefois deux origines doivent être distinguées. Si le cobalt-58 (58Co) provient des rejets d’effluents liquides de la centrale, en revanche l’iode-131 (également présent dans d’autres cours d’eau très éloignés) traduit des contributions d’origine médicale (diagnostic ou thérapie ambulatoire).
Pour conclure, les niveaux mesurés sont voisins de ceux relevés lors des semestres précédents sauf dans le cas de l’iode-131. Ce radioélément artificiel introduit dans l’environnement principalement par les patients est à l’origine de situations radiologiques très contrastés d’un semestre à l’autre. Enfin, on peut signaler que les concentrations relevées autour des installations nucléaires de la Hague et de Nogent-sur-Seine ne sont pas les stigmates d’un incident passé mais la résultante de rejets en fonctionnement normal.

Sédiments du cours d’eau Ste-Hélène (Hague)
Date 20 mars 2004 20 mars 2004 23 juin 2004 26 juin 2004
Localisation La Brasserie
Station (code) ST10 ST12 STB ST10
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 6,3 ± 2,0 < 0,5 < 0,6 3,3 ± 1,6
137Cs 55,6 ± 7,1 60,3 ± 7,1 48,0 ± 5,7 56,7 ± 7,1
241Am 4,3 ± 1,5 0,79 ± 0,44 < 1,1 < 2,5
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau de La Hague
Date 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 20 mars 04 20 mars 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04 26 juin 04
Ruisseau Les Landes Les Combes Les Roteures Herquemoulin Le Moulin Moulin Vaux La Vallace Les Delles Le Grand Bel La Vallace Vautier
Station (code) LAN COM ROT HER1 MP VAU VAL2 DEL GB21 VAL1 VAU
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,3 < 0,5 < 0,6 < 0,6 < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,4
137Cs 4,9 ± 0,6 5,6 ± 0,8 4,5 ± 0,7 8,4 ± 1,1 7,8 ± 1,1 5,0 ± 0,7 3,6 ± 0,6 4,7 ± 0,7 2,0 ± 0,4 4,4 ± 0,7 3,4 ± 0,5
241Am < 0,5 < 0,9 < 1,1 < 1,0 < 1,2 < 1,0 < 1,0 < 1,2 < 1,0 < 1,0 < 0,7
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau hors Hague
Date 16 mars 04 15 mars 04 15 mars 04 16 mars 04 27 mai 04 27 mai 04
Rivière La Sarthe La Touques La Risle L’Orne La Seine La Seine
Localisation aval Alençon (61) aval Lisieux (14) aval Brionne (76) aval Argentan (61) Nogent (10) Marnay (10)
Station (code) SAR TOU RIS ORN aval CNPE amont CNPE
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,4 < 0,5 < 0,6 < 0,5 < 1,9 < 0,4
137Cs 0,5 ± 0,2 1,7 ± 0,4 0,8 ± 0,3 1,1 ± 0,3 3,2 ± 1,0 0,6 ± 0,2
241Am < 0,8 < 0,9 < 0,9 < 0,8 < 1,5 < 0,6
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau influencés par des INB
Date 22 mars 04 22 mars 04 23 juin 04 27 mai 04
Rivière Ste
Hélène
La Seine
Localisation Déversoir (50) La Brasserie(50) La Brasserie Nogent (10) Marnay (10) Varennes (77)
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
58Co < 4,6 < 4,2 < 6,0 18,2 ± 2,5 < 4,2 < 3,2
60Co < 5,0 11,5 ± 2,9 8,2 ± 3,8 < 2,0 < 3,9 < 2,9
106Ru-Rh 87 ± 45 < 81 < 120 < 33 < 72 < 53
129I identifié dans tous les échantillons non identifié
131I < 4,7 < 4,7 < 6,7 6,0 ± 1,3 4,6 ± 2,8 < 4,5
137Cs 18,6 ± 3,8 31,6 ± 4,9 18,9 ± 4,8 < 2,0 < 4,4 < 3,3
241Am < 5,5 6,3 ± 2,7 < 8,8 < 2,0 < 4,0 < 3,1
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau non influencés par des INB
Date 16 mars 04 15 mars 04 15 mars 04 7 avril 04
Rivière La Sarthe La Touques La Risle La Sienne La Sélune La Vire
Localisation aval Alençon (61) aval Lisieux (14) aval Brionne (76) aval Villedieu (50) aval St Hilaire (50) aval Vire (50)
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
58Co < 4,7 < 3,0 < 3,7 < 5,5 < 4,8 < 4,3
60Co < 5,0 < 3,4 < 3,7 < 6,0 < 4,6 < 4,6
106Ru-Rh < 83 < 55 < 65 < 106 < 81 < 78
129I < 4,0 < 3,5 < 4,8 < 7,9 < 5,9 < 5,5
131I 277 ± 42 4,9 ± 2,0 < 6,2 < 5,7 < 5,0 < 5,1
137Cs < 4,7 < 3,6 < 3,9 < 6,7 < 5,1 < 4,9
241Am < 4 < 3,4 < 3,7 < 6,6 < 4,4 < 4,7

Résultats obtenus pour le premier semestre 2004 en milieu marin

Entre Granville et Saint-Valéry-en-Caux, soit le long de plus de 500 km de côtes, quatre radioéléments sont systématiquement détectés : cobalt-60, iode-129, césium-137 et américium-241. A proximité de l’émissaire de rejets en mer des usines de retraitement de la Hague, le niveau de la radioactivité artificielle augmente, notamment avec la présence de ruthénium-rhodium 106. Hormis pour le césium-137 dont une proportion plus ou moins importante provient des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, tous ces radioéléments trouvent leur origines dans les rejets en mer des usines cités ci-dessus.
La situation radiologique est très voisine de celle observée les semestres précédents. On peut donc parler d’état stationnaire, lequel, rappelons-le, s’est nettement amélioré au fil des années si on prend en référence la situation radiologique constatée au milieu des années 80. Soulignons également que l’impact des rejets des centrales nucléaires côtières n’est pas perceptible.

Algues brunes (fucus serratus) prélevées du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Baie d’Ecalgrain (50) Fermanville (50) St Vaast la Houge (50) Port en Bessin (14) Fécamp (76) St Valéry en Caux (76)
Localisation plage plage plage plage port plage port plage
Activité
des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 0,9 ± 0,4 1,5 ± 0,4 3,3 ± 0,6 1,5 ± 0,4 1,3 ± 0,4 1,0 ± 0,4 0,5 ± 0,3 1,2 ± 0,4
106Ru-Rh < 8,7 < 7,8 16,8 ± 4,7 < 7,9 < 8,4 < 8,2 < 8,4 < 8,3
129I identifié dans tous les échantillons, mais non quantifié
137Cs < 0,6 < 0,5 < 0,5 < 0,5 0,62 ± 0,27 < 0,5 < 0,6 < 0,6
Sédiments marins (vase) prélevés du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Fermanville (50) St Vaast la Houge (50) Port en Bessin (14) La Havre (76) St Valéry en Caux (76)
Localisation port
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co 1,7 ± 0,4 2,8 ± 0,5 4,7 ± 0,9 1,1 ± 0,3 7,7 ± 1,1 3,3 ± 0,5 3,5 ± 0,6
106Ru-Rh < 11 < 7,4 < 15 < 7,8 < 9,0 < 4,7 < 7,6
129I non recherché
137Cs 1,6 ± 0,4 1,3 ± 0,3 2,1 ± 0,6 1,2 ± 0,3 8,0 ± 1,1 10,0 ± 1,2 4,8 ± 0,7
241Am 10,6 ± 5,3 1,1 ± 0,4 4,5 ± 1,1 1,2 ± 0,4 2,6 ± 0,6 1,0 ± 0,3 1,2 ± 0,4
Patelles prélevées du 4 au 7 avril 2004
Lieu Granville (50) Carteret (50) Baie d’Ecalgrain (50) Fermanville (50) Port en Bessin (14) St Valéry en Caux (76)
Localisation plage
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec
60Co < 0,6 0,86 ± 0,3 0,69 ± 0,33 1,3 ± 0,3 0,83 ± 0,39 < 0,5
106Ru-Rh < 7,9 < 7,8 12,7 ± 5,0 10,4 ± 3,5 < 11 < 8,3
110mAg < 0,5 < 0,5 < 0,5 < 0,4 < 0,6 < 0,5
129I non recherché
137Cs < 0,5 < 0,5 < 0,5 0,35 ± 0,19 0,77 ± 0,31 0,45 ± 0,24

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