Synthèse des résultats d’analyse gamma du premier semestre 2004 du Réseau cItoyen de Veille, d’Information et d’Evaluation RadioEcologique (RIVIERE)
ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006
Préambule
Les résultats présentés par la suite s’inscrivent dans la continuité de précédentes évaluations réalisées depuis 1997 à l’échelle du bassin Seine-Normandie et depuis 1988 dans la région de la Hague. Le but de ce travail est de renseigner sur l’état du milieu aquatique naturel par rapport à la pression qu’exercent l’industrie nucléaire civile et militaire mais également (et plus largement) les utilisateurs de radioactivité. Limitée à l’analyse des radionucléides émetteurs gamma comme le césium-137, l’évaluation concerne les eaux marines du littoral normand (entre Cancale et le Tréport), les principaux cours d’eau qui les alimentent comme la Seine ou l’Orne et enfin les écosystèmes aquatiques (influencés ou susceptibles de l’être) dans la région de la Hague, non loin des usines de retraitement et du centre de stockage de déchets nucléaires (CSM).
Il est nécessaire de bien mesurer la portée de ce travail. Il s’agit avant tout de veille environnementale et non sanitaire. Le travail n’est pas structuré pour répondre sur le plan de la santé même si des éléments d’information peuvent être retirés pour alimenter une telle réflexion, notamment à travers l’analyse des mollusques. Après quoi, ce suivi n’est pas exercé dans l’absolu, c’est-à-dire avec pour objectif d’analyser toutes les contributions possibles et leur répercussions sur l’ensemble des compartiments de l’environnement, quelque soit l’échelle de temps et d’espace. Des polluents majeurs comme les isotopes du plutonium ou le carbone-14 ne sont pas recherchés faute de moyens. Enfin, on cherche à obtenir une vue générale de la pression exercée par les activités humaines et plus particulièrement à connaître la tendance des niveaux de la radioactivité : est-on dans une phase d’augmentation ou pas ?
La méthodologie choisie s’appuie sur l’expérience du laboratoire dans ce domaine, plus d’une quinzaine d’années, et sur les pratiques usuelles d’organismes d’expertises (comme l’IRSN). Par ailleurs, les normes existantes (particulièrement celles de la série M60-780) sont mises à profit.
D’une manière générale, l’approche consiste à effectuer des prélèvements in situ d’échantillons (indicateurs) biologiques et inertes pour rendre compte de la qualité du milieu aquatique ; aucune analyse des eaux n’est donc réalisée. Les échantillons collectés subissent traitement et analyse au laboratoire pour in fine, révéler les radionucléides émettant un rayonnement gamma, qu’ils aient une origine naturelle ou artificielle. Mais par la suite, seuls les résultats concernant la radioactivité artificielle sont présentés.
Les indicateurs de l’environnement utilisés pour réaliser ce suivi sont de nature différente. En milieu marin, l’algue brune appartenant à l’espèce Fucus serratus (varech commun) et le mollusque du genre Patella sp. (bernique ou patelle) constituent les bioindicateurs systématiquement prélevés en plus des vases collectées dans les avants ports. En milieu aquatique terrestre ou dulcicole, ce sont les mousses aquatiques du genre Fontinalis sp. (mousses des fontaines) qui sont échantillonnées comme bioindicateurs en plus des sédiments.
Tous ces indicateurs, réputés de longue date pour ce genre d’évaluation, facilitent la détection des radioéléments et offrent l’avantage de couvrir un large spectre de polluants. Par ailleurs, de longues séries de résultats et de nombreux éléments de comparaison sont disponibles dans la littérature.
La fréquence des prélèvements dépend du lieu et de l’indicateur analysé. Dans les sédiments par exemple, l’analyse est annuelle en raison du délai de latence connu. A contrario, les analyses seront semestrielles dans les végétaux aquatiques comme les algues ou les mousses.
Résultats obtenus pour l’année 2004 dans les cours d’eau
Dans les environs des installations nucléaires de la Hague, comme à plus grande distance, c’est avant tout du césium-137(137Cs) qui est mis en évidence dans les cours d’eau. Hormis dans la Sainte-Hélène, cours d’eau connu pour être perturbé par les activités nucléaires, les concentrations mesurées en césium-137, de l’ordre de quelques becquerel par kilogramme de matière sèche (Bq/kg sec) sont comparables et témoignent des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, notamment des essais nucléaires atmosphériques des années 50-60. La variabilité des concentrations en césium-137 est essentiellement due à la texture même des sédiments ; la proportion de particules fines et la quantité de matière organique, facteurs influant, différent d’un lieu à l’autre.
Dans la région de la Hague, un excès de radioactivité artificielle est visible mais circonscrit uniquement à la Sainte-Hélène. Il transparaît d’abord dans le césium-137, lequel dépasse les niveaux usuels d’un facteur 10, puis dans la présence d’autres radioéléments comme le cobalt-60 (60Co) ou le ruthénium-rhodium 106 (106RuRh). On note également la présence d’iode-129 (129I). Ces polluants trouvent leur origine principalement dans les rejets gazeux des usines de retraitement présentes : retombés sur le sol des 300ha que comptent les usines, ces radioéléments sont ensuite entraînés avec les eaux de ruissellement dont l’un des exutoires est le cours d’eau Sainte-Hélène.
En aval de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, là encore il y a une légère augmentation de la radioactivité artificielle, circonscrite aux environs immédiats des réacteurs. Toutefois deux origines doivent être distinguées. Si le cobalt-58 (58Co) provient des rejets d’effluents liquides de la centrale, en revanche l’iode-131 (également présent dans d’autres cours d’eau très éloignés) traduit des contributions d’origine médicale (diagnostic ou thérapie ambulatoire).
Pour conclure, les niveaux mesurés sont voisins de ceux relevés lors des semestres précédents sauf dans le cas de l’iode-131. Ce radioélément artificiel introduit dans l’environnement principalement par les patients est à l’origine de situations radiologiques très contrastés d’un semestre à l’autre. Enfin, on peut signaler que les concentrations relevées autour des installations nucléaires de la Hague et de Nogent-sur-Seine ne sont pas les stigmates d’un incident passé mais la résultante de rejets en fonctionnement normal.
Sédiments du cours d’eau Ste-Hélène (Hague) | ||||
Date | 20 mars 2004 | 20 mars 2004 | 23 juin 2004 | 26 juin 2004 |
Localisation | La Brasserie | |||
Station (code) | ST10 | ST12 | STB | ST10 |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | ||||
60Co | 6,3 ± 2,0 | < 0,5 | < 0,6 | 3,3 ± 1,6 |
137Cs | 55,6 ± 7,1 | 60,3 ± 7,1 | 48,0 ± 5,7 | 56,7 ± 7,1 |
241Am | 4,3 ± 1,5 | 0,79 ± 0,44 | < 1,1 | < 2,5 |
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau de La Hague | |||||||||||
Date | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 20 mars 04 | 20 mars 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 | 26 juin 04 |
Ruisseau | Les Landes | Les Combes | Les Roteures | Herquemoulin | Le Moulin | Moulin Vaux | La Vallace | Les Delles | Le Grand Bel | La Vallace | Vautier |
Station (code) | LAN | COM | ROT | HER1 | MP | VAU | VAL2 | DEL | GB21 | VAL1 | VAU |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | |||||||||||
60Co | < 0,3 | < 0,5 | < 0,6 | < 0,6 | < 0,6 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,6 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,4 |
137Cs | 4,9 ± 0,6 | 5,6 ± 0,8 | 4,5 ± 0,7 | 8,4 ± 1,1 | 7,8 ± 1,1 | 5,0 ± 0,7 | 3,6 ± 0,6 | 4,7 ± 0,7 | 2,0 ± 0,4 | 4,4 ± 0,7 | 3,4 ± 0,5 |
241Am | < 0,5 | < 0,9 | < 1,1 | < 1,0 | < 1,2 | < 1,0 | < 1,0 | < 1,2 | < 1,0 | < 1,0 | < 0,7 |
Sédiments prélevés dans différents cours d’eau hors Hague | ||||||
Date | 16 mars 04 | 15 mars 04 | 15 mars 04 | 16 mars 04 | 27 mai 04 | 27 mai 04 |
Rivière | La Sarthe | La Touques | La Risle | L’Orne | La Seine | La Seine |
Localisation | aval Alençon (61) | aval Lisieux (14) | aval Brionne (76) | aval Argentan (61) | Nogent (10) | Marnay (10) |
Station (code) | SAR | TOU | RIS | ORN | aval CNPE | amont CNPE |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | ||||||
60Co | < 0,4 | < 0,5 | < 0,6 | < 0,5 | < 1,9 | < 0,4 |
137Cs | 0,5 ± 0,2 | 1,7 ± 0,4 | 0,8 ± 0,3 | 1,1 ± 0,3 | 3,2 ± 1,0 | 0,6 ± 0,2 |
241Am | < 0,8 | < 0,9 | < 0,9 | < 0,8 | < 1,5 | < 0,6 |
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau influencés par des INB | ||||||
Date | 22 mars 04 | 22 mars 04 | 23 juin 04 | 27 mai 04 | ||
Rivière | Ste Hélène |
La Seine | ||||
Localisation | Déversoir (50) | La Brasserie(50) | La Brasserie | Nogent (10) | Marnay (10) | Varennes (77) |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | ||||||
58Co | < 4,6 | < 4,2 | < 6,0 | 18,2 ± 2,5 | < 4,2 | < 3,2 |
60Co | < 5,0 | 11,5 ± 2,9 | 8,2 ± 3,8 | < 2,0 | < 3,9 | < 2,9 |
106Ru-Rh | 87 ± 45 | < 81 | < 120 | < 33 | < 72 | < 53 |
129I | identifié dans tous les échantillons | non identifié | ||||
131I | < 4,7 | < 4,7 | < 6,7 | 6,0 ± 1,3 | 4,6 ± 2,8 | < 4,5 |
137Cs | 18,6 ± 3,8 | 31,6 ± 4,9 | 18,9 ± 4,8 | < 2,0 | < 4,4 | < 3,3 |
241Am | < 5,5 | 6,3 ± 2,7 | < 8,8 | < 2,0 | < 4,0 | < 3,1 |
Mousses aquatiques prélevées dans des cours d’eau non influencés par des INB | ||||||
Date | 16 mars 04 | 15 mars 04 | 15 mars 04 | 7 avril 04 | ||
Rivière | La Sarthe | La Touques | La Risle | La Sienne | La Sélune | La Vire |
Localisation | aval Alençon (61) | aval Lisieux (14) | aval Brionne (76) | aval Villedieu (50) | aval St Hilaire (50) | aval Vire (50) |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | ||||||
58Co | < 4,7 | < 3,0 | < 3,7 | < 5,5 | < 4,8 | < 4,3 |
60Co | < 5,0 | < 3,4 | < 3,7 | < 6,0 | < 4,6 | < 4,6 |
106Ru-Rh | < 83 | < 55 | < 65 | < 106 | < 81 | < 78 |
129I | < 4,0 | < 3,5 | < 4,8 | < 7,9 | < 5,9 | < 5,5 |
131I | 277 ± 42 | 4,9 ± 2,0 | < 6,2 | < 5,7 | < 5,0 | < 5,1 |
137Cs | < 4,7 | < 3,6 | < 3,9 | < 6,7 | < 5,1 | < 4,9 |
241Am | < 4 | < 3,4 | < 3,7 | < 6,6 | < 4,4 | < 4,7 |
Résultats obtenus pour le premier semestre 2004 en milieu marin
Entre Granville et Saint-Valéry-en-Caux, soit le long de plus de 500 km de côtes, quatre radioéléments sont systématiquement détectés : cobalt-60, iode-129, césium-137 et américium-241. A proximité de l’émissaire de rejets en mer des usines de retraitement de la Hague, le niveau de la radioactivité artificielle augmente, notamment avec la présence de ruthénium-rhodium 106. Hormis pour le césium-137 dont une proportion plus ou moins importante provient des retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl, tous ces radioéléments trouvent leur origines dans les rejets en mer des usines cités ci-dessus.
La situation radiologique est très voisine de celle observée les semestres précédents. On peut donc parler d’état stationnaire, lequel, rappelons-le, s’est nettement amélioré au fil des années si on prend en référence la situation radiologique constatée au milieu des années 80. Soulignons également que l’impact des rejets des centrales nucléaires côtières n’est pas perceptible.
Algues brunes (fucus serratus) prélevées du 4 au 7 avril 2004 | ||||||||
Lieu | Granville (50) | Carteret (50) | Baie d’Ecalgrain (50) | Fermanville (50) | St Vaast la Houge (50) | Port en Bessin (14) | Fécamp (76) | St Valéry en Caux (76) |
Localisation | plage | plage | plage | plage | port | plage | port | plage |
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec |
||||||||
60Co | 0,9 ± 0,4 | 1,5 ± 0,4 | 3,3 ± 0,6 | 1,5 ± 0,4 | 1,3 ± 0,4 | 1,0 ± 0,4 | 0,5 ± 0,3 | 1,2 ± 0,4 |
106Ru-Rh | < 8,7 | < 7,8 | 16,8 ± 4,7 | < 7,9 | < 8,4 | < 8,2 | < 8,4 | < 8,3 |
129I | identifié dans tous les échantillons, mais non quantifié | |||||||
137Cs | < 0,6 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,5 | 0,62 ± 0,27 | < 0,5 | < 0,6 | < 0,6 |
Sédiments marins (vase) prélevés du 4 au 7 avril 2004 | |||||||
Lieu | Granville (50) | Carteret (50) | Fermanville (50) | St Vaast la Houge (50) | Port en Bessin (14) | La Havre (76) | St Valéry en Caux (76) |
Localisation | port | ||||||
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | |||||||
60Co | 1,7 ± 0,4 | 2,8 ± 0,5 | 4,7 ± 0,9 | 1,1 ± 0,3 | 7,7 ± 1,1 | 3,3 ± 0,5 | 3,5 ± 0,6 |
106Ru-Rh | < 11 | < 7,4 | < 15 | < 7,8 | < 9,0 | < 4,7 | < 7,6 |
129I | non recherché | ||||||
137Cs | 1,6 ± 0,4 | 1,3 ± 0,3 | 2,1 ± 0,6 | 1,2 ± 0,3 | 8,0 ± 1,1 | 10,0 ± 1,2 | 4,8 ± 0,7 |
241Am | 10,6 ± 5,3 | 1,1 ± 0,4 | 4,5 ± 1,1 | 1,2 ± 0,4 | 2,6 ± 0,6 | 1,0 ± 0,3 | 1,2 ± 0,4 |
Patelles prélevées du 4 au 7 avril 2004 | ||||||
Lieu | Granville (50) | Carteret (50) | Baie d’Ecalgrain (50) | Fermanville (50) | Port en Bessin (14) | St Valéry en Caux (76) |
Localisation | plage | |||||
Activité des radionucléides artificiels en Bq/kg sec | ||||||
60Co | < 0,6 | 0,86 ± 0,3 | 0,69 ± 0,33 | 1,3 ± 0,3 | 0,83 ± 0,39 | < 0,5 |
106Ru-Rh | < 7,9 | < 7,8 | 12,7 ± 5,0 | 10,4 ± 3,5 | < 11 | < 8,3 |
110mAg | < 0,5 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,4 | < 0,6 | < 0,5 |
129I | non recherché | |||||
137Cs | < 0,5 | < 0,5 | < 0,5 | 0,35 ± 0,19 | 0,77 ± 0,31 | 0,45 ± 0,24 |