Le mythe du recyclage des combustibles nucléaires

Paru dans l’ACROnique du nucléaire n° 91 de décembre 2010


Areva est très fière de son activité à l’usine de La Hague : « grâce à notre plateforme industrielle, 96% des matières contenues dans les combustibles usés peuvent être valorisées sous forme de nouveaux combustibles, MOX (mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium), ou URE (uranium de recyclage enrichi). » Et d’ajouter que le recyclage permet « une économie d’uranium naturel de l’ordre de 20 à 25% ». Voir par exemple le rapport 2009 d’Areva sur le traitement des combustibles usés provenant de l’étranger disponible en ligne. Au HCTISN, Areva a annoncé 17% d’économie d’uranium. Il y a donc des chiffres pour les experts et des chiffres pour les gogos, pardon, le public…

Comment se fait-il que si l’on recycle 96% de la matière, on ne fait une économie que de 25% maximum ? Plongeons nous donc dans ce que l’industrie nucléaire appelle le « cycle du combustible » pour comprendre.

Le détail des flux de matières à chaque étape du « cycle nucléaire » n’était pas connu, malgré les demandes répétées des associations. Grâce à la diffusion sur Arte d’un film sur l’envoi en Russie d’une partie de l’uranium de retraitement, le sujet a fait polémique et  le HCTISN[1] a été saisi. Il a rendu son rapport le 12 juillet 2010. L’ACRO, qui siège au Comité et a participé au Groupe de Travail, n’a pas signé le rapport. Il a été difficile d’arracher des données exhaustives aux exploitants et les chiffres obtenus ne sont pas toujours cohérents entre eux. Les données nouvelles contenues dans ce rapport vont cependant nous permettre, de façon approximative, d’estimer le taux de recyclage de l’industrie nucléaire. Sauf mention contraire, tous les chiffres qui suivent sont tirés de ce rapport disponible sur le site Internet du Comité. Le point de vue de Wise Paris, des associations de protection de l’environnement qui ont participé à ce groupe de travail, est sur notre site Internet.

La chaîne de l’uranium, de la mine à l’entreposage

L’atome d’uranium a essentiellement deux isotopes dans la nature, l’uranium 235 et l’uranium 238. Ils ont les mêmes propriétés chimiques, mais ont une masse légèrement différente. En revanche, le noyau de l’atome a des propriétés différentes : l’uranium 235 fissionne facilement quand il est bombardé par un neutron, mais pas l’uranium 238.

Dans la nature, la proportion entre ces deux isotopes est de 0,7% pour l’uranium 235, le fissible, et 99,3% pour l’uranium 238. Il y a aussi un tout petit peu d’uranium 234 (0,0057%). A l’exception des réacteurs Candu au Canada, qui fonctionnent avec de l’uranium naturel, les réacteurs nucléaires utilisent un combustible qui contient de 3,5% à 5% d’uranium 235. Il faut donc « enrichir » l’uranium naturel : c’est une étape complexe et coûteuse industriellement. Selon le HCTISN, en moyenne sur les trois dernières années, il a fallu 8 100 tonnes d’uranium naturel pour produire 1 033 tonnes de combustible nucléaire. Le reste étant de l’uranium appauvri.

L’uranium appauvri n’est pas considéré comme un déchet, car une petite partie est utilisée comme nous le verrons plus tard et le reste est potentiellement utilisable dans l’avenir si la génération IV des réacteurs nucléaires voit le jour. C’est donc un « stock stratégique ».

Ces chiffres sont cependant à manier avec précaution car, dans ce même rapport, on peut lire qu’en 2008 EDF a importé 8 695 tonnes d’uranium naturel pour son parc. Cela fait 7,3% de plus que la valeur moyenne annoncée. Par ailleurs, en fonction des cours de l’uranium, le processus d’enrichissement sera plus ou moins poussé, comme illustré dans le tableau ci-dessous.

 

Production de 1000 t d’uranium enrichi à 4%  (dont 40 tonnes
d’uranium 235)

Quantité d’uranium
naturel nécessaire

(dont uranium 235)

7436 tonnes (52 tonnes 235U)

8134 tonnes (57 tonnes 235U)

9002 tonnes (63 tonnes 235U)

Quantité d’uranium
appauvri généré par l’enrichissement (dont uranium 235)

6436 tonnes (12 tonnes 235U)

7134 tonnes (17 tonnes 235U)

8002 tonnes (24 tonnes 235U)

Teneur de l’uranium
appauvri en uranium 235

0,20%

0,25%

0,30%

Illustration de la possibilité d’arbitrage entre uranium et services d’enrichissement

A la sortie du réacteur, seule une partie de l’uranium 235 contenue dans les combustibles a été consommée : il en reste de l’ordre de 0,8 à 0,9%, c’est-à-dire plus que dans la nature. L’uranium 238, quand il est bombardé par des neutrons, a tendance à se transformer par radioactivité en plutonium, qui lui, peut fissionner plus facilement. Bref, une partie du combustible qui sort des centrales nucléaires est a priori réutilisable. A 96% selon les exploitants. C’est l’objet du retraitement qui a pour but de séparer chimiquement les matières valorisables des déchets ultimes. Certains pays comme la Suède ou les Etats-Unis ont choisi de ne pas retraiter. Tout ce qui sort de leurs centrales constitue donc des déchets ultimes.

Sur les 1 033 tonnes de combustibles neufs qui entrent annuellement dans le parc de réacteurs français, 850 tonnes par an sont retraitées après un séjour de 3 ans en réacteur. Areva en extrait 8,5 tonnes de plutonium et 800 tonnes d’uranium dit de retraitement. Le reste constitue des déchets ultimes. Quant au combustible non retraité, il n’est pas classé dans les déchets car il pourra être retraité un jour.

Avec les 8,5 tonnes de plutonium, mélangées à 91,5 tonnes d’uranium  appauvri, ce sont 100 tonnes de combustible MOx qui s’ajoutent aux 1033 tonnes de combustible neuf. Ce combustible de recyclage peut alimenter partiellement 22 réacteurs autorisés en France. Cela correspond en moyenne à 20 recharges par an et produit la même énergie qu’un combustible « classique » contenant 3,7%  d’uranium 235.

Sur les 800 tonnes d’uranium de retraitement, 300 sont envoyées en Russie, à Tomsk, pour être réenrichies. Les 500 tonnes restantes viennent s’ajouter tous les ans au « stock stratégique ».  La Russie renvoie en France 37 tonnes de combustible par an et garde les 263 tonnes d’uranium appauvri. L’uranium de retraitement réenrichi alimente deux des réacteurs de la centrale de Cruas le long du Rhône.

Le recyclage se limite donc à 100 tonnes de combustible MOx et les 37 tonnes de combustible à base d’uranium de retraitement, qui viennent s’ajouter aux 1 033 tonnes de combustible classique dans les réacteurs. Les combustibles recyclés ne sont pas à nouveau retraités ni recyclés après leur passage en réacteur. Il n’y a donc qu’un tour de recyclage.

Au total, ce sont donc 1 170 tonnes de combustibles usés qui sortent des réacteurs par an. Ainsi, 8,5 tonnes de plutonium plus 37 tonnes d’uranium de retraitement sur 1 170 tonnes de combustible, cela ne fait que 3,9% de recyclage. On est loin des 96% fanfaronnés par l’industrie nucléaire ! Si l’on ajoute l’uranium appauvri, les 137 tonnes de combustible issu du recyclage permettent une économie de 11,7% d’uranium naturel. C’est bien en dessous des 20 à 25% affichés par Areva !

Et encore, ces chiffres correspondent à la meilleure performance de l’industrie nucléaire qui n’a pas voulu remonter plus loin dans le temps. La réutilisation de l’uranium de retraitement n’a commencé qu’en 1994, alors que le retraitement a commencé en 1966. Le recyclage du plutonium était aussi bien moins important dans le passé.

EDF et Areva ont signé un contrat pour le retraitement de 1050 tonnes par an à partir de 2010. Cela devrait conduire, , à une économie de 17% pour l’uranium naturel et un taux de recyclage de ce qui sort des réacteurs de 7,3% si EDF obtient l’autorisation de passer à 4 réacteurs pour l’uranium de retraitement et à 24 pour le MOx. Cette performance ne sera atteinte qu’en allant puiser 75 t par an dans les stocks de combustibles usés non retraités jusqu’à maintenant. Comme il n’y a qu’un tour de recyclage, ces chiffres sont très proches du maximum atteignable avec les technologies du « cycle » actuel.

A titre de comparaison, le Japon, qui a fait retraiter une partie de ses combustibles usés à l’étranger (France et Grande-Bretagne), commence tout juste à brûler du MOx et n’a réutilisé qu’une très petite quantité d’uranium de retraitement. Le gain est quasi nul alors qu’il a investi dans une usine de retraitement qu’il n’arrive pas à faire démarrer.

On peut difficilement parler de « cycle » du combustible… Le mot « chaîne » semble plus approprié.


Chaîne annuelle de l’uranium

 8100 tonnes d’uranium naturel→ Enrichissement →

1033 tonnes de combustibles neufs + 7 067 tonnes d’uranium appauvri (UA)

 CHAINE ANNUELLE DU COMBUSTIBLE 


1033 tonnes combustiblesneufs→  Réacteur→
combustibles usés :

· 850 tonnes combustibles usés sont retraitées 

· combustible usé non retraité entreposé.

Retraitement des 850 t→ 

800 t d’uranium de retraitement + 8,5 t de plutonium + déchets
ultimes

Ces 800 t d’uranium de retraitement

· 500 tonnes  matières entreposées (stock stratégique)

· 300 t envoyées à Tomsk en Russiepour réenrichissement

→ 263 tonnes d’uranium appauvri, entreposées en Russie

37 t d’uranium de recyclage enrichi (URE) → Réacteur



Retour Réacteur : 37 t URE + 8,5 plutonium (PU)


 

7 067 t d’ d’uranium appauvri (UA)

91,5 tonnes d’UA + 8,5 t de PU = 100t MOX→ réacteur

Reste 6975,5 t d’UA

→ Matières entreposées

(= stock stratégique)

 



Retour Réacteur 91,5t UA

Soit un  recyclage de 3,9 % au lieu des 96% annoncés et donc une économie d’uranium de 12% !

La perspective d’une génération IV permet de tout justifier

Les matières nucléaires non recyclées, ne sont pas considérées comme déchets, mais comme matières potentiellement valorisables. L’industrie nucléaire parie sur la génération IV des réacteurs nucléaires pour transformer ces matières en trésor qui permettrait d’avoir de l’électricité pendant des millénaires. Mais c’est déjà ce que devait faire Superphénix, avec le succès que l’on sait. A son démarrage, pleine d’espoir dans son avenir, l’industrie nucléaire avait fait miroiter son développement avant l’an 2000.  Et ces fameux réacteurs de génération IV sont des réacteurs à neutrons rapides basés sur le même principe que Superphénix. (Voir encadré sur le sujet). Bref, c’est toujours le même message : demain on rase gratis.

Même les autorités sont sceptiques : dans le nouveau Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), elles ont demandé aux exploitants de trouver des solutions pour ces matières si la génération IV ne se faisait pas ou partiellement et que ces matières prétendument recyclables devenaient des déchets.

Mais en attendant, les combustibles non retraités, l’uranium de retraitement non utilisé et l’uranium appauvri sont entreposés, en attendant des jours meilleurs. Le devenir de près de 97,8% de l’uranium initial qui sort de la mine est en suspens. Il y a là une autre entourloupe : 97,8% de ce qui sort de la chaîne de l’uranium n’est pas utilisé, mais n’est pas considéré comme déchet ! Et Areva d’affirmer ainsi que les déchets tiennent dans une piscine olympique !

La génération IV sert donc d’abord à justifier le retraitement actuel. Parce que la France s’est enfoncée dans cette voie, elle n’a pas d’autre alternative que le succès de ces réacteurs au risque de perdre son trésor. Un peu comme un joueur qui a trop misé et qui s’enfonce de plus en plus dans l’espoir de récupérer sa mise.

Pourtant, en regardant froidement la situation, il serait préférable de garder les combustibles irradiés en entreposage le temps que la génération IV soit opérationnelle et de ne retraiter que selon le besoin. Les combustibles usés seront alors beaucoup moins radioactifs, ce qui simplifierait leur manutention et diminuerait les rejets radioactifs de l’usine de retraitement de La Hague.

Stocks de « non-déchets » accumulés

A la fin 2008, Areva détenait 22 610 tonnes d’uranium de retraitement, entreposées en majorité au Tricastin et 261 000 tonnes d’uranium appauvri d’origine naturelle. Pour connaître les stocks de combustibles usés non retraités détenus par EDF et entreposés à La Hague, il faut consulter le PNGMDR. Fin 2007, il y en avait près de 13 000 tonnes, dont 11 500 de combustibles classiques.

Le bilan des matières accumulées est compliqué par les échanges internationaux de matière. EDF s’approvisionne en uranium à l’étranger et a recours à 4 enrichisseurs différents pour son combustible. Réciproquement, Areva exporte environ la moitié de l’uranium qu’elle enrichit en France. L’uranium appauvri qui résulte de ces opérations reste la propriété de l’enrichisseur. C’est en particulier le cas pour la partie de l’uranium de retraitement qui est envoyée en Russie pour enrichissement. La loi française interdit le stockage en France de déchets étrangers, mais pas des matières valorisables. Si ces matières sont déclassées en déchet, devront-elles être renvoyées vers leur pays d’origine ? Nous n’avons pas obtenu de réponse.

En conclusion, le HCTISN est un des rares espaces où l’on peut espérer obtenir des informations non disponibles ailleurs. Malheureusement, le rapport sur le « cycle » du combustible est trop monolithique, n’autorisant aucune expression différant de l’orthodoxie officielle. Il n’a pas été possible d’y faire apparaître que moins de 4% de ce qui sort des réacteurs français est recyclé. Le Haut Comité n’a pas souhaité diffuser le rapport complémentaire des associations. C’est regrettable pour une structure qui est supposée être garante de la transparence et de l’information. Mais les chiffres qu’il donne, s’ils sont confirmés, permettent à chacun de faire le bilan du « cycle » du nucléaire.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter :

– le rapport du HCTISN sur http://www.hctisn.fr

les commentaires des associations sur notre site

– le PNGMDR sur le site de l’ASN : http://asn.fr

 

Voir le communiqué de presse commun ACRO, FNE (France Nature Environnement), Greenpeace du 13 juillet 2010

Voir informations sur la génération IV


[1]  HCTISN : Haut Comité à la Transparence et à l’Information sur la Sûreté Nucléaire, http://www.hctsin.fr

 Ancien lien

La surveillance de l’environnement exercée par une association : l’observatoire citoyen de la radioactivité dans l’environnement

Contrôle n°188, juillet 2010

Livre blanc sur le tritium

Contribution de l’ACRO au livre blanc sur le tritium publié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire, juillet 2010


Alors que des experts internationaux recommandent de revoir à la hausse l’impact sanitaire du tritium, les rejets en tritium des installations nucléaires ont tendance à augmenter significativement.

L’ACRO qui surveille cet élément depuis des années dans l’environnement, fait pression pour que ces nouvelles données sur son impact soient prises en compte et que les rejets diminuent. Ainsi, elle a participé activement aux deux groupes de travail mis en place par l’Autorité de sûreté nucléaire et a contibué au livre blanc publié sur le sujet.

Les deux textes de l’ACRO dans le livre blanc sont :

Par ailleurs, la synthèse de ces travaux fait clairement apparaître le point de vue de l’ACRO quand il était divergent de celui des exploitants et des autorités. Le livre blanc complet peut être consulté en ligne ici :
http://livre-blanc-tritium.asn.fr

Ancien lien

Appel à s’opposer à l’augmentation des rejets radioactifs dans l’environnement

ACRO
138, rue de l’Eglise
14200 Hérouville St Clair
tél : 02 31 94 35 34
acro.eu.org
CREPAN
154, rue d’Authie
14000 Caen
tél : 023138 25 60
CRILAN
10, rte d’Etang Val
50 340 Les Pieux
tél : 0233 52 4559
Greenpeace
9, rue de l’Union
50100 Cherbourg
tél : 02 33 01 77 43

Version pdf avec une annexe technique

Communiqué de presse commun du 16 février 2010

 Les associations de protection de l’environnement participant à la CLI de la centrale de Flamanville se sont regroupées pour lancer un appel à s’opposer à l’augmentation des rejets en tritium de la centrale nucléaire.

En contradiction avec les engagements internationaux de la France et le principe constitutionnel de précaution, les autorités s’apprêtent à autoriser l’augmentation de rejets radioactifs des installations nucléaires pour un radioélément dont la radiotoxicité est revue à la hausse.

Le tritium, hydrogène radioactif, est presque entièrement rejeté dans l’environnement par les installations nucléaires. Réputé « peu radiotoxique », sa nocivité est revue à la hausse au niveau européen. Les autorités britanniques ont même franchi le pas en faisant leurs les conclusions d’un groupe d’experts qui préconisait de multiplier par deux cette radiotoxicité. Certains experts vont jusqu’à proposer un facteur cinq au vu de l’avancement des connaissances scientifiques.

En toute logique, les autorités devraient imposer aux exploitants du nucléaire de rechercher à réduire les rejets en tritium en réduisant les autorisations de rejet. Mais c’est l’inverse qui est en cours ! Et de façon conséquente.

Les associations réunies par ce communiqué demandent donc aux autorités de renoncer à toute augmentation des rejets en tritium et de s’engager avec les exploitants vers une démarche de diminution continuelle des rejets par les installations nucléaires de base (réacteurs et usines).

Une telle démarche est en cohérence avec,
1) – les accords de Sintra de la convention internationale OSPAR, ratifiée par la France le 29 décembre 1999, qui imposent que les concentrations en substances radioactives dans l’Atlantique Nord tendent vers zéro d’ici 2020.
2) – le principe de précaution inscrit dans la constitution française depuis 2004.

L’Association Nationale des CLI (ANCCLI), après avoir organisé un colloque pluraliste et écouté tous les points de vue est arrivée aux mêmes conclusions.

Nous défendons cette démarche de prudence dans toutes les structures de dialogue et concertation locale et nationales où nous siégeons. Malheureusement nous ne sommes pas entendus. Nous appelons donc les citoyens directement exposés aux rejets de faire connaître
leur désaccord par tous les moyens qu’ils jugeront utiles.

Ancien lien

Le tritium dans le Nord Cotentin

ACROnique du nucléaire n°85, juin 2009


Depuis 20 ans, l’ACRO s’est dotée de moyens de mesure pour contrôler les niveaux de tritium dans l’environnement des sites nucléaires du Nord Cotentin. Grâce à cette action de surveillance citoyenne, notre association a pu notamment alerter sur les fortes contaminations en tritium qui perdurent dans les nappes phréatiques situées sous le Centre de Stockage de la Manche et que l’on retrouve dans des exutoires du plateau de la Hague. Dans les eaux du littoral, les niveaux mesurés sont jusqu’à cent fois supérieurs aux niveaux naturels.
Cette préoccupation forte s’explique par le fait que l’industrie nucléaire produit des quantités très importantes de ce produit radioactif et parce qu’il est entièrement libéré dans l’environnement. Alors que la tendance va vers une augmentation des rejets de tritium dans l’environnement, des incertitudes demeurent sur son transfert dans la chaîne alimentaire et sur son niveau de radiotoxicité pour l’homme.

Des rejets en tritium en constante augmentation

Les rejets en tritium des installations nucléaires ont fortement augmenté ces dernières années.
Si l’on regarde l’évolution des rejets liquides des installations nucléaires sur les 15 dernières années (figure1), on constate que les rejets en tritium ont augmenté d’un facteur 3 alors que l’on note une tendance à la baisse en ce qui concerne les autres éléments radioactifs rejetés. Il s’agit, sur ce graphique, des rejets de l’ensemble de la filière électro-nucléaire (fabrication et enrichissement du combustible, exploitation des centrales, retraitement et recherche) des pays signataires de la convention OSPAR , regroupant les pays côtiers de l’Europe de l’ouest. A noter que les usines de retraitement (La Hague, pour la France et Sellafield pour la Grande Bretagne) sont les principaux contributeurs de ces rejets.

L’augmentation des rejets liquides en tritium est en totale contradiction avec les accords de Sintra, signés en juillet 1998 par les 15 gouvernements européens de la convention OSPAR, dont la France, qui stipule la volonté commune de réduire les rejets radioactifs en mer afin de parvenir à des teneurs dans l’environnement proches des niveaux naturels d’ici 2020.

Figure 1 : Evolution des rejets liquides des installations nucléaires des pays signataires de la convention OSPAR.

Figure 1 : Evolution des rejets liquides des installations nucléaires des pays signataires de la convention OSPAR.

Les sources de tritium dans La Hague

L’un des principaux contributeurs des rejets de tritium dans l’environnement du Nord Cotentin est l’usine de retraitement AREVA La Hague. Ses autorisations de rejets annuels pour le tritium sont de 18500 TBq (18500 milliers de milliards de Becquerels) pour les rejets liquides et de 150 TBq en ce qui concerne ses rejets gazeux.

Si l’on compare avec d’autres installations (figure 2), on constate que ses rejets liquides en tritium sont 200 fois plus importants que ceux produits par les deux réacteurs de la centrale de Flamanville, soit environ plus de 10 fois l’ensemble des rejets liquides du parc électronucléaire français. Les rejets gazeux des usines de retraitement sont, quant à eux, 30 fois plus importants que ceux de Flamanville, soit approximativement équivalents à l’ensemble des rejets des 58 réacteurs français. A titre de comparaison, les rejets d’autres installations, réputées pour émettre du tritium, sont également présentés sur le graphique, comme l’usine de retraitement britannique de Sellafield, le site CEA de Valduc et les prévisions de rejet de la future installation ITER, dédiée à la fusion nucléaire.

Figure 2 : comparaison des quantités de tritium rejetés

Figure 2 : comparaison des quantités de tritium rejetés

Intéressons-nous, maintenant, au deuxième gros contributeur d’émission de tritium dans l’environnement du Nord-cotentin que constitue la centrale nucléaire de Flamanville avec ses deux réacteurs de 1300 MWe. La figure 3 présente la chronologie de ses rejets liquides et gazeux sur les 22 dernières années.
Ses rejets gazeux en tritium oscillent autour de 2 TBq avec une tendance à la baisse, actuellement. Concernant les rejets liquides, on constate une importante augmentation depuis l’année 2000 qui amène la centrale à frôler son autorisation annuelle de 60 TBq ces dernières années.

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Cette augmentation des rejets liquides est due à l’utilisation de nouveaux combustibles (dits GEMMES) plus enrichis et produisant d’avantage de tritium. Il est à noter que Flamanville, comme d’autres centrales en France, comme la centrale de Penly, a demandé une augmentation de ses autorisations de rejets en prévision de l’utilisation d’un nouveau combustible, dit à « Haut taux de combustion (HTC) » et de la mise en route du futur réacteur EPR.

Le Centre de Stockage de la Manche (CSM), exploité par l’ANDRA, qui jouxte le site AREVA, a été le premier centre de stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité en France. Il n’a obtenu que tardivement une autorisation de rejet (arrêté du 10 janvier 2003), alors que, depuis son ouverture (en 1969), du tritium a été régulièrement relâché vers l’environnement.
Sur le site, le mode de gestion des eaux a évolué au cours des années. Actuellement, seules les eaux pluviales sont rejetées dans la rivière Sainte Hélène via le bassin d’orage commun avec le site AREVA. Les effluents à risques, issus du réseau de drainage des ouvrages du site, sont rejetés en mer via l’établissement AREVA. Deux autorisations encadrent les rejets : une limite maximale de 0,125 TBq basée sur le cumul des rejets annuels en ce qui concerne les rejets en mer et une limite en concentration moyenne hebdomadaire de 100 Bq/L et annuelle de 30 Bq/L en ce qui concerne les rejets dans la rivière Sainte Hélène.

Enfin, concernant l’arsenal militaire de Cherbourg où s’effectuent la construction et la maintenance des sous-marins à propulsion nucléaire, peu d’information est disponible. L’inventaire des rejets radioactifs réalisé par le Groupe radioécologie Nord cotentin (GRNC), à la fin des années 90, présente qualques valeurs de rejets annuels liquides concernant l’élément tritium, comprises entre 50 et 1800 MBq (1800 million de Becquerel) pour la période comprise entre 1993 et 1997.

Comment mesure t-on le tritium dans l’environnement ?

Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, il en possède donc les mêmes propriétés chimiques. Dans l’environnement, on peut le trouver sous la forme d’eau tritiée où l’atome de tritium remplace un atome d’hydrogène dans la molécule d’eau. C’est sous cette forme que le tritium est mesuré à l’ACRO par une méthode dite, directe, où son rayonnement bêta est mis en évidence à l’aide d’un compteur à scintillation liquide. On utilise pour cela un solvant que l’on mélange à l’échantillon d’eau, qui a la particularité de « scintiller », c’est-à-dire, d’émettre des photons lumineux lorsqu’il est traversé par les rayonnements bêta.
Mais de la même façon, l’atome de tritium peut également se lier à la matière organique en se substituant aux atomes d’hydrogène. Sa mesure est alors plus difficile puisqu’il est nécessaire de l’extraire de la molécule organique pour pouvoir le mesurer. C’est pourquoi, le tritium lié à la matière vivante n’est pas ou très peu suivi dans l’environnement. Pourtant des incertitudes demeurent sur son transfert dans la chaîne alimentaire. Des études britanniques montrent que, contrairement à ce qui est admis actuellement en France, le tritium rejeté dans l’environnement tendrait à s’accumuler dans la matière vivante.

La surveillance menée par l’ACRO

Depuis 20 ans, l’ACRO surveille le tritium dans les cours d’eau du plateau de La Hague, et depuis plus de 10 ans, sur l’ensemble du littoral normand et dans les principales rivières du bassin Seine Normandie.
Le suivi du littoral couvre environ 600 km de côtes avec 11 sites répartis de Granville à Dieppe, suivis deux fois par an, à l’occasion des grandes marées. En ce qui concerne les eaux douces, les principales rivières du bassin Seine Normandie sont concernées chaque semestre. Une attention plus poussée est portée sur les cours d’eau du plateau de la Hague où des prélèvements mensuels sont effectués le long des cours d’eau influencés par la présence des installations nucléaires, comme la Sainte Hélène, le Grand Bel et la rivière des Moulinets.
D’autres prélèvements sont réalisés au titre d’investigation, par exemple sur des eaux de résurgence, des puits chez des particuliers, des abreuvoirs ou même sur des eaux de pluie. Ces investigations permettent de compléter les mesures régulières.

Figure 4 : Localisation des sites de prélèvement le long du littoral et des principaux cours d’eau du bassin Seine Normandie

Figure 4 : Localisation des sites de prélèvement le long du littoral et des principaux cours d’eau du bassin Seine Normandie

Concernant le suivi du tritium sur les côtes normandes, si l’on regarde les résultats sur les 3 dernières années (graphique présenté sur la figure 5 ci-dessous), on constate que les valeurs les plus importantes (de 11 à 16 Bq/L), se situent au niveau de la pointe de la Hague (site de la baie d’Ecalgrain), juste en face de la sortie de la canalisation en mer de l’usine AREVA. Les concentrations mesurées décroissent ensuite à mesure que l’on s’éloigne avec, au niveau de la Haute Normandie, une augmentation sensible des niveaux de tritium due aux rejets des deux centrales nucléaires situées à Paluel et Penly. A titre de comparaison les niveaux naturels dans l’eau de mer sont d’environ 0,2 Bq/L.

Figure 5 : synthèse des niveaux de tritium (minimum et maximum) mesurés le long du littoral normand de 2005 à 2007

Figure 5 : synthèse des niveaux de tritium (minimum et maximum) mesurés le long du littoral normand de 2005 à 2007

En ce qui concerne les principales rivières, aucune contamination en tritium n’est mise en évidence en dehors de la Seine, en aval de Nogent sur Seine, où le tritium est systématiquement mesuré avec des valeurs comprises entre 70 et 80 Bq/L, conséquences des rejets de la centrale nucléaire présente en ce lieu.

Figure 6 : niveaux de tritium (min et max) mesurés dans les principales rivères du bassin Seine Normandie de 2005 à 2007

Figure 6 : niveaux de tritium (min et max) mesurés dans les principales rivères du bassin Seine Normandie de 2005 à 2007

Intéressons nous maintenant aux résultats du suivi du plateau de La Hague. Pour commencer, regardons le suivi d’un lieu sensible puisqu’il s’agit de la rivière Sainte Hélène qui prend sa source sous les installations nucléaires d’AREVA et du Centre de Stockage de la Manche, constituant l’exutoire des rejets issus du bassin d’orage. On constate, en regardant les résultats du suivi (figure 7), que l’eau de la Sainte Hélène est marquée par le tritium de sa source jusqu’à 2km en aval, c’est-à-dire, quasiment sur toute sa longueur. Les niveaux oscillent de la source jusqu’à 400 mètres en aval de 60 à 250 Bq/L et de 70 à 150 Bq/L plus loin, à 2 km en aval. Les variations saisonnières sont généralement synchrones mais elles présentent parfois des niveaux en tritium plus importants en aval de la source. Il existe donc des contributions en tritium qui alimentent la rivière après sa source. En effet, des résurgences, analysées, révèlent des apports supplémentaires de tritium, confirmant la contamination des nappes phréatiques sous-jacentes.

Figure 7 : Suivi des niveaux de tritium dans la rivière sainte Hélène sur le plateau de la Hague.

Figure 7 : Suivi des niveaux de tritium dans la rivière sainte Hélène sur le plateau de la Hague.

La contamination des nappes phréatiques provient majoritairement des nombreux relâchements en tritium vers les aquifères du centre de stockage de 1976 à 1996, que l’exploitant évalue à 35 TBq (35 milliers de milliards de Becquerels) de tritium relâché ainsi dans les sous-sols, dont 5 TBq pour la seule année 1976. Ce tritium provenait en majeure partie d’un entreposage précaire de déchets tritiés. En 1986, l’ANDRA a mesuré jusqu’à 6 millions de becquerels par litre dans l’aquifère sous le centre, et mesure encore aujourd’hui des concentrations pouvant aller jusqu’à 180 000 Bq/L.
Dans le cadre d’une campagne menée par Greenpeace en 2006, de l’eau souterraine puisée en zone publique au nord du site a été mesurée par notre laboratoire à 20 600 Bq/L.

Cette situation est préoccupante car la pollution des nappes continue à dépasser largement les normes de potabilité définies par l’OMS (10 000 Bq/L) et le niveau d’intervention défini par l’Union Européenne (100 Bq/L). La surveillance des nappes phréatiques reste un enjeu majeur et on peut regretter que l’accès aux puits de contrôle soit réservé au seul exploitant. Les sous-sols relèvent bien pourtant du domaine public…

Maintenant, si l’on considère comme anciens les relâchements en tritium et autres incidents, on devrait s’attendre à une amélioration de la situation radiologique de l’environnement. Ce qui n’est pas le cas. Si l’on regarde les niveaux mesurés dans la rivière le Grand Bel, depuis 10 ans, on constate une stagnation des concentrations en tritium autour de 700 Bq/L au niveau de sa source et autour de 200 Bq/L plus loin à un kilomètre en aval (voir figure 8). Le Grand Bel, prend sa source à quelques centaines de mètres au nord du CSM et c’est un affluent de la Sainte Hélène. La contamination quasi stable, au cours du temps, des eaux de cette rivière va à l’encontre de ce que l’on devrait attendre. En effet, comme tout élément radioactif, le tritium s’élimine en fonction de sa période physique, appelée aussi demi-vie. Celle-ci est de 12,3 ans pour le tritium, c’est-à-dire qu’après ce délai la moitié de sa quantité initiale doit avoir disparu. Or on voit bien que cela n’est pas le cas ici et on peut donc soupçonner un apport régulier en tritium vers la nappe phréatique.

Figure 8 : Evolution des concentrations en tritium des eaux de la rivière du Grand Bel de 1999 à 2007

Figure 8 : Evolution des concentrations en tritium des eaux de la rivière du Grand Bel de 1999 à 2007

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Déchets nucléaires

Texte initialement écrit pour le Dictionnaire des risques (Armand Colin 2003) et paru dans l’ACROnique du nucléaire n°63, décembre 2003. Cette version a été remise à jour pour l’édition 2007 du dictionnaire et est parue dans l’ACROnique du nucléaire n°79, décembre 2007.


Aucun pays, à ce jour, n’a trouvé de solution pour le devenir de ces déchets qui, pour certains d’entre eux, demeureront toxiques pendant des millions d’années, et dont la gestion pose d’énormes problèmes à l’industrie nucléaire. L’enjeu est double : épurer le passif – des déchets sont parfois entreposés dans de mauvaises conditions et portent atteinte à l’environnement – et proposer une filière d’évacuation dès la source pour tous les déchets à venir, avec traçabilité.

De la mine à la centrale électrique ou l’usine de retraitement, chaque étape de la chaîne du combustible fournit son lot de déchets, généralement classés selon leur radioactivité et leur durée de vie. Seuls ceux faiblement radioactifs et de période courte (inférieure à trente ans) ont trouvé un site d’accueil définitif : ils sont stockés en surface, dans l’Aube, à Soulaines-Dhuys. Ce centre a pris le relais de celui de la Manche, qui a reçu son dernier colis en 1994 et ne satisfait pas aux règles de sûreté des stockages actuels. Pâtissant d’une gestion passée empirique, il contient des radioéléments à vie longue et des fuites portent atteinte à l’environnement. Le centre de l’Aube, huit fois plus grand pour deux fois plus de déchets, sert de vitrine à l’Agence Nationale des Déchets Radioactifs (ANDRA). Le stockage dans des tumuli bétonnés n’y est prévu que pour trois cents ans.

Dans d’autres pays – Suède, Finlande, Allemagne -, ces mêmes déchets sont parfois stockés en profondeur. Cette solution est cependant trop onéreuse et inadaptée pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers accumulées pendant les quarante années d’extraction de minerai en France. En Allemagne, les seuls sites de Helmsdorf et de Culmitzsch contiennent respectivement 50 et 86 millions de tonnes et, au niveau mondial, quelque 6 milliards de tonnes sont ainsi accumulées. Si ces résidus sont très faiblement radioactifs, ils ont l’inconvénient de contenir des radioéléments à vie longue : 75 380 ans de période pour le thorium 230. Par ailleurs, l’un des descendants de l’uranium – le radon – est un gaz toxique, ce qui rend le stockage ou l’entreposage difficile. Ces types de déchets sont généralement entreposés dans d’anciennes mines à ciel ouvert ou dans des bassins fermés par une digue, en attendant une meilleure solution qui éviterait les risques de dispersion des radioéléments par érosion ou suintement. Ce problème est maintenant déplacé dans les pays producteurs puisque l’uranium est entièrement importé. Au Gabon, les résidus ont été déversés directement dans le lit de la rivière Ngamaboungou jusqu’en 1975 par la Comuf, filiale de la Cogema.

D’autres déchets très faiblement radioactifs, issus du démantèlement des installations nucléaires, vont aussi poser un problème d’envergure. Ainsi, en France, il va falloir trouver une solution à moindre coût pour les 15 millions de tonnes attendues. Pour une partie de ce volume, un « recyclage » est possible, des seuils de libération introduits par la législation d’origine européenne permettant alors de les considérer légalement comme des déchets non radioactifs. Pour les déchets dépassant les seuils, le centre de stockage en surface de Morvilliers dans l’Aube vient d’entrer en exploitation.

En ce qui concerne les déchets les plus toxiques et à vie longue, dont les volumes sont beaucoup plus faibles, un consensus international semble se dégager en faveur de leur enfouissement, même si l’avancement des recherches dépend beaucoup de considérations politiques locales. En France, outre le stockage en profondeur, la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs a imposé l’étude de la séparation des éléments radioactifs les plus nocifs à long terme, celle de leur transmutation, ainsi que « l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets ». Une commission nationale d’évaluation (CNE) relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs a été mise en place pour rédiger, chaque année, un rapport sur l’avancement des travaux menés dans le cadre de la loi pendant une période de quinze ans. Cette loi d’origine parlementaire constitue une véritable avancée démocratique, mais était malheureusement limitée aux déchets les plus radioactifs. Elle a eu surtout le mérite de faire sortir les déchets nucléaires du champ purement technique pour leur reconnaître un caractère politique.

Une nouvelle loi votée en 2006 prolonge ces axes de recherche. Elle va aussi plus loin en prenant en compte toutes les matières radioactives. Certaines, qualifiées de valorisables, n’ont pas le statut légal de déchet, même si elles ne sont pas valorisées et ne le seront probablement jamais. Suite à de longues procédures judiciaires allant jusqu’en cassation, la jurisprudence française, quant à elle, tend à considérer toute matière radioactive non valorisée comme un déchet.

La séparation et la transmutation proposées par la loi sont parfois présentées comme un recyclage des déchets radioactifs pouvant constituer une solution de rechange au stockage définitif. Elles concernent plutôt les combustibles irradiés issus d’une éventuelle prochaine génération de réacteurs, mais pas les déchets accumulés actuellement. La séparation de certains radioéléments du combustible irradié nécessite des opérations chimiques complexes. Les recherches en cours visent essentiellement à améliorer les capacités de retraitement de l’usine de la Hague. La transmutation, quant à elle, nécessite l’utilisation d’un parc complet de réacteurs nucléaires innovants ; d’autres pays se sont aussi lancés dans ce type de recherches dont certains résultats ne sont pas sans intérêts militaires.

C’est donc un système nucléaire vaste et complexe qui serait à créer pour remplacer des isotopes peu radioactifs à vie longue par des isotopes très radioactifs à vie courte. Faut-il exposer les travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain sans être sûr de protéger les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? Sans compter le risque d’accident beaucoup plus grand sur un site industriel que dans un centre de stockage. L’industrie nucléaire peine déjà à recycler le plutonium et l’uranium extraits des combustibles usés. Le retraitement, technologie d’origine militaire, est aussi une opération très polluante et onéreuse. Un retraitement poussé ne ferait qu’augmenter ces coûts, d’autant plus que la convention internationale OSPAR impose de faire tendre vers zéro les rejets dans l’Atlantique Nord d’ici 2020. L’exposition aux rayonnements ionisants engendrée par cette pratique n’a jamais été justifiée par les avantages économiques, sociaux ou autres, par rapport au détriment qu’ils sont susceptibles de provoquer, comme l’impose pourtant la réglementation. Comment alors justifier des opérations plus complexes ? De plus, dans la mesure où il conduit à vitrifier les résidus, le retraitement rend difficile la reprise ultérieure des déchets soit parce qu’une matrice meilleure aura été trouvée, soit pour une séparation plus poussée. Le choix du retraitement, jamais débattu, ferme des options de gestion aux générations futures.

Pour les déchets actuels, ne restent donc que le stockage souterrain ou un entreposage en surface à plus ou moins long terme. Dans tous les pays, l’industrie nucléaire semble pencher vers une « évacuation géologique », même si l’on n’en est qu’au stade des études. Le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) dans une formation saline du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis fait figure de pionnier avec son premier colis de déchets reçu en mars 1999. Il est destiné aux déchets transuraniens issus de la recherche et production d’armes nucléaires. Cette stratégie est basée sur l’oubli, dans la continuité de la gestion mise en œuvre pour les stockages en surface. Le pari est fait que des barrières bétonnées ou géologiques retiendront les radioéléments sans intervention humaine, le temps nécessaire à leur décroissance. L’argument généralement avancé est la protection des générations futures. Cette interprétation suppose une certaine défiance envers la capacité de nos successeurs à faire face aux dangers provoqués par les déchets nucléaires. Mais ces centres de stockage sont conçus pour que l’exposition théorique des générations futures satisfasse aux normes de radioprotection actuelles, normes qui seront fort probablement modifiées dans l’avenir. En cas d’erreur ou de problème, il est difficile de revenir en arrière sans travaux coûteux et risqués pour les travailleurs et l’environnement. La réversibilité du stockage profond, rendue obligatoire par la loi de 2006, est limitée à la phase d’exploitation et ne fait que différer l’échéance de la solution définitive. A la fermeture, l’étanchéité du site impose de fermer l’accès définitivement, les éventuels colis défectueux ne pouvant alors être repris qu’à l’issue de travaux miniers lourds.

La notion de réversibilité, qui découle du principe de précaution, est récurrente dans le débat sur les déchets. Elle est surtout présentée comme un argument d’acceptabilité pour l’enfouissement par les partisans du nucléaire qui se gardent bien de l’appliquer au retraitement. L’entreposage provisoire est, quant à lui, par essence réversible puisque au bout d’une certaine période estimée à une centaine d’années, il devra être entièrement renouvelé pour garantir le confinement ou pour s’orienter vers une autre option. Lors du débat national organisé fin 2005, cette notion d’entreposage pérennisé a eu les faveurs du public, preuve de sa confiance en la capacité des générations futures à faire face aux problèmes. Mais, elle est ignorée par la nouvelle loi de 2006 car elle est perçue comme une solution menaçante pour les opérateurs du nucléaire dans la mesure où elle érige la réversibilité en principe absolu et non plus relatif, obligeant ainsi à explorer d’autres possibles et corrélativement remettre en question des choix actuels. De plus, cette démarche, basée sur une mémoire active transmise de génération en génération, impose de démocratiser la gestion des déchets nucléaires car seule une information honnête et redondante permettra de faire face aux aléas. La prise en compte des générations futures commence par la génération actuelle…

La réversibilité implique aussi de garder plusieurs options ouvertes afin de pouvoir revenir sur certains choix. Pour limiter le coût humain et financier lié à la multiplication des options – « l’énergie nucléaire doit rester compétitive ! » – une hiérarchisation s’impose entre les options a priori prometteuses pour lesquelles des développements technologiques lourds sont nécessaires et celles pour lesquelles un effort modéré de Recherche et Développement devrait suffire à maintenir l’option ouverte. Avec le risque de rendre tout retour en arrière plus difficile par les investissements déjà consentis. Il a fallu, par exemple, beaucoup de courage politique aux autorités pour arrêter le surgénérateur Superphénix pour lequel la commission Castaing (1996), chargée d’évaluer ses capacités en tant qu’incinérateur, avait regretté « la maigreur du programme envisagé » pour la destruction des déchets, mais avait préconisé son maintien en activité à cause des investissements réalisés.

L’hypothèse d’un stockage à l’étranger dans des pays moins regardants séduit les autorités qui doivent faire face à une forte contestation de leurs populations. Une société britannique de droit suisse a pour but de convaincre l’Australie d’accepter ce rôle. La Russie a modifié sa législation pour accepter des déchets étrangers. Taiwan ou le Japon lorgnent du côté de la Chine populaire. Des arguments techniques fallacieux sur la densité de population ou la qualité des roches sont utilisés pour rassurer les personnes gênées par le caractère immoral de cette option. En France, l’article 3 de la loi de décembre 1991 stipule que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ». Mais des déchets étrangers, issus du retraitement, auraient dû être renvoyés dans leur pays d’origine depuis longtemps. Et les contrats allemands, qui prévoient l’hypothèse d’un non-retraitement sans pénalité, transforment de fait l’usine de La Hague en centre d’entreposage international.

La gestion des déchets radioactifs nécessite des choix collectifs problématiques impliquant une perspective temporelle inhabituelle : comment prendre des décisions pour les générations et sociétés lointaines ? Contrairement aux problèmes posés par l’introduction de nouvelles technologies comme celles des OGM, pour lesquelles un moratoire pourrait être utile pour nourrir la réflexion, trop reporter les décisions pourrait être préjudiciable. Les déchets existent et demandent une gestion rigoureuse dès leur production. Mais des considérations à court terme concernant par exemple la poursuite ou non du programme nucléaire viennent interférer et risquent d’emporter les décisions. En effet, pour pouvoir obtenir l’assentiment de la population, il faut absolument pouvoir prétendre avoir une solution pour les déchets. Un compromis prudent pourrait être réalisé à travers une approche séquentielle de la décision, avec des échéances régulières sans que soit fixée a priori une limite temporelle à ce processus afin de garantir la liberté de choix de nos descendants.

David Boilley

Bibliographie :

  • ACRO (2006), Gestion des déchets nucléaires : les leçons du Centre de Stockage de la Manche, https://acro.eu.org
  • ANCLI (2006), Livre blanc : Matières et déchets
    radioactifs – territoires, http://www.ancli.fr
  • BARRILLOT Bruno et DAVIS Mary (1994), Les déchets
    nucléaires militaires, éd. du CRDPC
  • CHARPIN Jean-Michel, DESSUS Benjamin, PELLAT René (2000),
    Etude économique prospective de la filière
    nucléaire : rapport au Premier ministre, La Documentation
    française
  • CNRS (2006), Recherche et déchets nucléaires : une
    réflexion interdisciplinaire, Cahiers risques collectifs et
    situations de crise n°5, MSH-Alpes
  • FAUSSAT Armand  (1997),  Les déchets
    nucléaires, Stock
  • HERIARD-DUBREUIL Gilles (2000), Comment mener une politique
    à long terme ? le cas des déchets nucléaires,
    Esprit
  • Rapports de l’Office parlementaire des choix scientifiques et
    technologiques
  • Rapports et documents de la Commission Nationale de Débat
    Public, http://www.debatpublic-dechets-radioactifs.org/
  • Rapports de la Commission Nationale d’Evaluation, La
    documentation française.

dicodico2Autres textes du dictionnaire des risques :

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Résultats de la surveillance du littoral et des rivières normands 2005

ACROnique du nucléaire n°76, mars 2007

RESULTATS 2005 DE LA SURVEILLANCE DES NIVEAUX DE LA RADIOACTIVITE ARTIFICIELLE D’ECOSYSTEMES AQUATIQUES APPARTENANT AU BASSIN SEINE-NORMANDIE

Avis de l’ACRO et du GSIEN sur le rapport annuel de surveillance de l’environnement, année 2005, présenté par Cogéma la Hague

Repris dans l’ACROnique du nucléaire n°76, mars 2007


Dans le procédé de fonctionnement actuel des usines de retraitement de Cogéma la Hague, quatre radionucléides sont rejetés quasi intégralement, soit sous forme liquide, soit sous forme gazeuse : le tritium, le carbone 14, le krypton 85 et l’iode 129.
Pour trois de ces radionucléides le C-14, le krypton 85 et l’iode 129, des procédés de réduction substantielle des rejets par piégeage sélectif et stockage dans une matrice solide sont disponibles et sont développés industriellement :

–    C-14, rétention totale des rejets liquides et gazeux à l’usine THORP de Sellafield [1] (Grande Bretagne)
–    Kr-85, séparation cryogénique, usines pilotes de Tokay Mura (Japon) et Idaho Falls  (Etats-Unis)
–    I-129, Piégeage, sélection et confinement en matrice solide, procédé développé par le CEA et mis en œuvre par … Cogéma au Japon pour l’usine de retraitement de Rokashomura [2]

L’article 42 de l’arrêté du 10 janvier 2003 autorisant la Cogéma à pratiquer des rejets d’effluents liquides et gazeux stipulait que l’exploitant devait adresser aux ministres de l’industrie, de l’environnement et de la santé, trois ans après la publication du texte (11 janvier 2003), une étude sur la faisabilité de réduction des rejets radioactifs liquides sans augmenter les rejets radioactifs gazeux, et une étude portant sur les dispositions techniques permettant de réduire les rejets gazeux de carbone 14 et d’iodes radioactifs.
Ces études, dont nous ignorons la teneur à ce jour malgré notre demande au représentant de l’autorité de sûreté nucléaire en CSPI du 22 juin 2006, iraient dans le sens des engagements internationaux pris par la France lors de sa signature de la convention OSPAR et dans sa participation à la déclaration de Sintra dont l’objectif est de :
Prévenir la pollution de la zone maritime par les rayonnements ionisants, ceci par des réductions progressives et substantielles des rejets, émissions et pertes de substances radioactives, l’objectif ultime étant d’atteindre des concentrations dans l’environnement qui soient proches des valeurs de fond, pour les substances naturellement radioactives, et proches de zéro , s’il s’agit de substances radioactives artificielles.
Le calendrier de cette stratégie est que d’ici 2020 :
… les rejets, émissions et pertes de substances radioactives soient ramenés à des niveaux où l’excédent des teneurs, par rapport aux teneurs historiques dans le milieu marin, tels que résultant de tels rejets, les émissions et pertes soient proches de zéro.
Cette stratégie sera mise en œuvre :
… même s’il n’existe pas de preuve concluante d’un rapport de cause à effet entre les apports et les effets.

La latitude laissée jusqu’à présent à l’exploitant de rejeter intégralement le tritium, le carbone 14, le krypton 85 et l’iode 129 sans mise en œuvre de procédé de rétention et de stockage en matrice solide, bien que des procédés industriels existent pour trois de ces radionucléides, et l’absence d’informations sur d’éventuelles études sur les réductions de ces rejets au motif  de « secret industriel » , sont en contradiction avec l’arrêté de 2003.

De plus, ce manque de transparence tant sur la réduction des rejets (Tritium, carbone 14 et iode 129) que sur le point des procédés de rétention qu’aurait dû étudier AREVA NC, augure mal du respect  de nos engagements internationaux, à un mois du renouvellement pour quatre ans des autorisations de rejets de Cogéma la Hague.

[1] Options de rejet des effluents des installations nucléaires, Contexte technique et aspects réglementaires, Agence pour l’Energie Nucléaire Organisation de Coopération et de Développement Economique (AEN OCDE) 2003
[2] CPDP déchets, Débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue, Comptes-rendus des débats, 2006

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Nuclear Wastes Management: The Lessons from the CSM Disposal Site (Centre de Stockage de la Manche)

Memory-less Centre, Future-less Centre?

Realized for Greenpeace France
23rd may 2006


Realized for Greenpeace France
23rd may 2006


Synthesis: the lessons from the CSM disposal site (Centre de Stockage de la Manche)
The past was dead and the future unconceivable” George Orwell, 1984

For the CEA, which was responsible for it during all its active phase, “the CSM site, after twenty-five years of good and faithful services, has now become an international reference regarding the techniques of wastes disposal.” As the future of French nuclear wastes is currently being debated, we find important to draw the lessons from the management of this site.

Because the storage preceded the regulations in that field, the site is no longer satisfactory in regard to the current surface disposal standards. All sorts of things were disposed of and stored there, on the ridge of ground water and without any weather protection. Regarding the older wastes, the inventory was of the most whimsical kind and very likely bellow reality. But the most serious part is that the CEA sites have rapidly ridden themselves of embarassing wastes before the regulations became stronger. The Turpin Commission has shown evidence of this fact in the case of plutonium. This crime commited is very shocking because the knowledge implying procedures revision was elaborated in the very same organization. Over 10% of the volume stored in the site is of foreign origins, in spite of a French law forbidding this practice.

Due to the large amount of long life elements and the toxic chimicals it contains, the CSM will never go back to the ordinary and it will remain forever. Its status is therefore distinct from that of the CSA (which only receives wastes material selected according to strict criteria); it is actually closer to what could be an underground disposal site supposed to receive, far from sight, all the embarassing wastes. The geological barrier only delays slightly the surfacing of problems.

Because of its empirical management, it is causing damage to the environment. Consequently to the repeating incidents which added up to a constant and diffuse release, the ground water and many outlets are highly contaminated with tritium. We must note that for a long time there was a lack of information regarding this chronic pollution, and even now a precise assessment of its impacts still needs to be done. As far as the situation, it could worsen in the long run because there is no garanty that the wrappings of the older wastes, which also contain more hazardous elements, will last for such long periods of time. When a new contamination is detected it will be too late.

In spite of this, there is no dismantling plan of the site, not even a partial one. The argument generally put forward, besides the economic costs of the operation, is the health risks posed by the operation which would be greater than the risks related to its impact on the environment. On top of it, there is no other solution for the extracted wastes which should not be accepted by the CSA. It is therefore more comfortable for the nuclear officials and the public authorities to consider this matter settled.

How then can this center be given in heritage to the future generations ?
How will memory be transmitted if even our generation does not know exactly anymore what is in it ?
Above all, how can we give them the possibility of an opinion regarding their future which would be different from that which is currently underway ?
These fundamental questions must be considered for all the other radioactive wastes.

The CSM exemple shows us how vain a long term passive management based on forgetting is. The supposed reversability of the forecoming storage is only delaying for a few generations the shutting down dilemma, without solving it.

The protection of the future generations draws consensus when discussing the management of nuclear wastes. But when it is about the current generation, the consensus vanishes… The public is absent from the waste management legislation project presented by the government, which ignores the public consultation it ordered. Now, if the CSM is a memory-less center, it is because the management was done behind closed doors and it is important not to repeat this.

The well-being of the future generations, for whom the wastes management must be limitted, therefore often appears as a thoughtless reflection used to make anything pass. Leaving them means of action implies keeping the memory of this burden alive. Historical examples show that it is because of the redundancy of information preserved under different shapes that it was possible to transmit it from generation to generation, despite unknown factors. Therefore there is a moral obligation to share the knowledge about nuclear wastes with the population. Unfortunately, the current nuclear debates have failed to mobilize crowds, because citizens had the impression that they were powerless in the decision-making process. Why get involved if the decisions have already been made ? Hence it is important to implement a democratization mechanism regarding wastes management, in order to insure its memory transmission.

The other element at stake is the transmission of a memory that would faithfully translate the inventory, which is not the case of the CSM. There again, there is a need for a democratization of the decision-making process, including more opening upstream which would give civil society enough time to appropriate the problematic. It is in this perspective that the ACRO has been working ever since its creation.

In conclusion, the safety of the future generations regarding nuclear wastes management implies a better governance in the current management, relying on a larger democracy. It would be a shame and a danger if the opportunity of the current legislation project was missed for another ten years. Even more so because unfortunately there is a considerable lateness to make up for and wastes like those at the CSM, of which the future is officially settled, still need to be addressed.


Summary of the 1st part: The universe of the CSM Disposal Site (Centre de Stockage de la Manche)

The CSM Disposal Site was built in the Eastern part of the reprocessing plant of La Hague, in a place named the « High Marshes », a particulary humid zone. This is undoubtedly the worst choice when knowing that water is safety’s worst enemy. The first wastes were stored on the very ground, and then in concrete trenches, which were regularly flooded. Some of these structures were dismantled, others are still there, on the ridge of ground water. While the storage preceded the regulations in that field, the empirism which led the construction of this site is already a source of concern which should worsen in the future.

The storage structures and the wastes quality evolved with time towards more rigour. But each strengthening of the legislation triggered a de-storing of the CEA sites during the previous years. This crime commited is very shocking because the knowledge implying procedures revision was elaborated in the very same organization. The ACRO had also denounced similar practices just before the closing down of the site in 1994. Nowadays, the CSM site contains many long life elements which are not accepted anymore at the CSA site which took over. There are, among other things, 100 kg of plutonium, as well as many other alpha emitting elements particularly toxic in case of contamination. If we add up the chimical toxics whixh will not disappear with time, including almost 20 tons oflead and one ton of mercury, the CSM site shall never go back to the ordinary. At the time of its closing down, the ANDRA shamelessly announced that this sie could go back to nature after 300 years and that its coverage was definitive.

The inventory of the stored wastes is not precisely known. During the irst years, the identification documents of the senders alone were enough. Storm errased part of this memory and the information about the first years are unreliable. Some of the storing structures too, and a part of the wastes escape the surveillance system that was set up. A retired ANDRA employee goes so far to evoque collapsing risks. In case of a problem, the ground waters will be hit an dit will be to late. According to our estimations, over 10% of the 527 217 m3 of stored wastes are of foreign origin, in total violation of the French law. While the issue of shallow storage is fficially considered as « settled », it is legitimate to wonder about the future of the CSM site. It is also necessary to draw the lessons from these setbacks for the other wastes waiting for a solution.

Without the associations’ civil surveillance and the warning revelations of an anonymous whistle blower who sent some documents to the ACRO, the ANDRA plan would have been endorsed by the authorities. The pluralistic commission which led an inquiery following the ACRO revelations in 1995 estimated that this stora is irreversible. Based on a study by the ANDRA, it indeed estimates that getting the wastes back is unreasonable because of health and financial costs. Above all, there is no solution for a part of these wastes which should not be accepted by the CSA.

Environmental requirements have evolved along the 25 years of exploitation of the CSM site. These requirements should evolve even more on time scales involving several generations. The reversibility of storage is therefore a moral constraint followng the precaution principle. It is generally though tof as a means to make projects more socially acceptable by the authorities. But reversibility is not just a technical problem and it should lead to rethink entirely the radioactives materials management in a democratic way. The option of a durable storage had the favors of the public during the national debate, but it s unfortunately ignored by the authorities which prefer a strategy based on oblivion.

The situation is the same for the CSM site. After the current phase of surveillance, a new cover is planned in order to switch to a more passive phase. The decision not to get back all or a part of the wastes is based on some ANDRA studies which received no detailed counter-assessment. We have, in vain, asked the surveillance commission of the site to promote the implementation of a pluralistic reflection which would have to consider the mentioned risks before making the decision to definitively close the site. This demend is particularly important to us before deciding to give the future generations such a threat in heritage.


Summary of the 2nd part: The water pollution of the ecosystems by tritium

In the past, the river Sainte-Hélène which runs not far from the CSM disposal site contained cesium-137 in proportions 100 to 1000 times higher than in the other neighboring streams. This abnormality was parallelled with the presence of other fission products and high quantities of plutonium: the sediments contained more than 140 Bq/kg of plutonium-238, that is 5,000 times more than the river Rhône downstream from the Creys-Malville complex (Superphénix). The CSM was the source of it. Since then, the causes have been neutralized and there are only traces left of this massive former pollution.

But at all times tritium (radioactive hydrogene) was found on site. Today still, many rivers, aquifers, resurgences and wells are concerned.

Since the very opening of the site, large amounts of tritium were disposed of. In 6 small squares of the so-called TB2 structure, the equivalent of three, maybe 15, years of tritium wastes issued from the current electric nuclear park in a whole were stored. Estimations vary depending on the era, highlighting the lack of knowledge regarding waste contents.

But this tritium was not inclined to stay in place, and in october 1976 a massive contamination of ground and surface waters started. All which could be recaptured was, and the stored amounts were radically reduced.

This incident revealed, besides dysfonctionments and an inppropriate storage procedures, the leaking of tritium through the containers and structures. This phenomenon, which started as soon as the first tritium wastes arrived, still exists today and will cease when there is no more tritium in the parcels.
Because the site manager refused to sufficiently protect the wastes from weather exposition during the 25 years of its exploitation, including while it was implementing solutions for the CSA site, the situation degraded in La Hague. The lixiviation of the wastes by rainwater considerably increased leaks.

The CSM has therefore always been “losing”, and is still “losing” its tritium under other ways than radioactive decrease, a fundamental principle of nuclear wastes elimination. The data analysis dated after 1986, which is the only data available, tends to suggest that at least 20% of the stored tritium may have “vanished” in the environment until now. In a memo dated 12/18/92, the manager even estimated at 1,850 TBq [130% of the tritium inventory of the site (ndlr)] the activity lost in the ground following the 1976 incident.

Liberated from the structures, this tritium mainly follows the natural water ways. It tends to reach the underlying aquifers but also the atmosphere. It is therefore destined to be “eliminated”, one way or another, through dilution and spreading in nature.
During the year following the october ’76 incident, the ground waters contamination could reach 600,000 Bq/L and that of the river Sainte-Hélène more than 10,000 Bq/L. It is considered that the worst is behind us. In 1983, an aquifer reached 6 million Bq/L! Experiment? Incident? Accident? The public and the neighboring population still do not know. Just as then, they do not know that “concerted” releases are being done in the river Sainte-Hélène, which led in october 1982 to a water contamination reaching 50,000 Bq/L.

After the last parcel was delivered, and the cover built, indicators then showed evidence of the beginning of an improvement process of the radiological quality of the underground waters.

Without any industrial leaks or unforseen events, the water content in tritium must be around 1 Bq/L. From a health point of view, the WHO has considered since 1993 that water destined to human consumption should not contain more than 7,800 Bq/L in tritium. As regarding Europe, since 1998 it aims not to go over 100 Bq/L.

In 2005 the pollution is not yet resorbed. It has generally declined. Still, the contamination of controled ground waters can still reach 190,000 Bq/L. And 20% of the contaminated aquifers do not show the expected reduction if we consider the radioactive decrease conjugated with the water renewal. Even stranger, some even tend to increase.

During all those years, the tritium pollution is becoming pervasive. It is geographically spreading onto the northern side. It reaches wells, resurgences and the main streams which run down the basin.
Currently, all streams (the Roteures, the Sainte-Hélène and the Grand Bel) have in common to be contaminated by tritium, at varying levels comprised between a dozen and several hundreds of becquerels per liter. Regarding the first two, the resurgences drain more contaminated waters along the first kilometer than in the stream at the same place. A few hundred meters downstream from the river Sainte-Hélène, one could measure in 2003 up to 700 Bq/L of tritium in a resurgence. And this situation is not in contrast with that which the ACRO measured a dozen years ago, this time at the foot of a family house. In the case of the river Grand Bel, polluted at the source, there again the tritium concentration in the waters has not evolved since 1994! It steadily remains between 750 ± 100 Bq/L at the source.

The observation of those last years brong up some questions. Why has the tritium contamination not radically declined as one could have expected, if we consider dilution conjugated with radioactive decrease? Even if we only consider the radioactive decrease, the levels should have decreased of 50% compared with 1994. Still, they remain approxilately the same in some points, which implies that the mobilized tritium has increased.

The resurgence and stream waters may not be directly used for human consumption, but they are for the cattle and even for the garden. In the case of a cow regularly given tritium-containing water to drink, transfers take place with the milk. They are confirmed in la Hague we refer to milk controls done by a nuclear operating structure other than the ANDRA, since the latter has not ben doing any such controls since the beginning. And the results of the transfers do not stop there. The tritium, which is radioactive hydrogene, can be “exchanged” and enter the composition of organic material, therefore of life. Flesh, fat, vegetable, etc. may be concerned. The ways to affect man then multiply. But one would have to at least want to know about them.

Cleaning the water pollution of ecosystemes is a moral necessity. It is unacceptable to watch the manager of a nuclear wastes disposal site resign when faced with a radioactive element such as tritium which he was not able to contain on site, and abandon it at the foot of houses, at the bottom of fields. It is necessary at the very least to study, as ACRO has been demanding, the possibility to use the recognized pumping method which consists in drawing from the ground water to discharge in the sea, in the hope to see a slow decline of surface waters contamination and to handle in a controled and organized way the radioactivity movements towards the environment.


Result of analysis

Ancien lien

Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M)

Centre Sans Mémoire, Centre Sans Avenir ?

Rapport d’étude réalisé à la demande de Greenpeace France
23 mai 2006


Synthèse : les leçons du CSM

« Le passé était mort, le futur inimaginable », George Orwell, 1984

Pour le CEA, qui a en eu la responsabilité durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets ». A l’heure où est débattu l’avenir des déchets nucléaires français, il nous paraît important de tirer les leçons de la gestion de ce centre.

Parce que le stockage des déchets y a précédé la réglementation en la matière, ce centre ne satisfait plus aux normes actuelles concernant le stockage en surface. On y a stocké et entreposé tout et n’importe quoi, sur les crêtes des nappes phréatiques et sans aucune protection vis à vis des intempéries. Pour les déchets les plus anciens, l’inventaire est des plus fantaisistes et fort probablement en dessous de la réalité. Mais le plus grave, est que les centres du CEA se soient débarrassés rapidement de tous les déchets gênants avant chaque durcissement de la réglementation. La Commission Turpin l’a bien mis en évidence à propos du plutonium. Ce délit d’initié est extrêmement choquant car c’était dans ce même organisme qu’étaient élaborées les connaissances impliquant de revoir les procédures. Pas vu, pas pris. Plus de 10% des volumes stockées sur le centre sont d’origine étrangère malgré la loi française qui interdit cette pratique.

De part les éléments à vie longue qu’il contient en grande quantité et les toxiques chimiques, le Centre Manche ne sera jamais banalisable et est là pour l’éternité. Son statut se distingue donc du Centre de l’Aube (qui ne reçoit que des déchets triés respectant des critères stricts) et s’apparente plus à ce que pourrait être un stockage souterrain à l’abri des regards qui est supposé accueillir tous les déchets gênants. La barrière géologique ne constitue qu’un décalage temporel dans l’apparition des problèmes.

A cause de sa gestion empirique, il porte atteinte à l’environnement. Suite à des incidents à répétition qui viennent s’ajouter à un relargage diffus en continu, les nappes phréatiques et de nombreux exutoires sont fortement contaminés en tritium. Force est de constater qu’une information sur cette pollution chronique a longtemps manqué et encore aujourd’hui, un bilan précis de son impact reste à faire. Pour autant, la situation pourrait s’aggraver à long terme car les emballages des déchets les plus anciens, qui contiennent aussi les éléments les plus nocifs, ne sont pas garantis sur de si longues périodes. Lorsqu’une nouvelle contamination sera détectée, il sera trop tard.

Cependant, il n’est pas prévu de démanteler ce centre, même partiellement. L’argument généralement avancé, outre le coût économique, est que le risque sanitaire lié à l’opération serait supérieur au risque lié à son impact sur l’environnement. Surtout, il n’y a pas d’autre solution pour les déchets extraits qui ne sauraient être acceptés au Centre de l’Aube. Il est donc plus confortable pour les opérateurs du nucléaire et les pouvoirs publics de considérer ce problème comme réglé.

Comment léguer alors ce centre aux générations futures ? Comment en transmettre la mémoire si même notre génération ne sait plus ce qu’il contient exactement ? Surtout, comment leur permettre d’avoir une opinion sur son avenir qui diffère de celle qui est prévue actuellement ? Ces questions fondamentales doivent être prises en compte pour tous les autres déchets radioactifs.

Cet exemple du Centre de Stockage de la Manche montre qu’une gestion passive à long terme basée sur l’oubli est vaine. La réversibilité supposée des stockages à venir ne fait que reporter de quelques générations le dilemme de la fermeture, sans le résoudre.

La protection des générations futures, fait l’objet d’un consensus quand il s’agit de gestion des déchets nucléaires. Mais dès qu’il s’agit de la génération actuelle, le consensus disparaît… Le public est le grand oublié du projet de loi sur les déchets présenté par le gouvernement qui méprise la consultation qu’il a lui même voulue. Or, si le Centre Manche est un centre sans mémoire, c’est parce que sa gestion était confinée et il est important de ne pas renouveler ce huis clos.

Le bien-être des générations futures, pour lesquelles le fardeau de la gestion des déchets doit être limité, apparaît donc souvent comme un argument utilisé sans réflexion pour faire accepter tout et n’importe quoi. Leur laisser des moyens d’agir signifie garder la mémoire de ce fardeau. Or, les exemples historiques montrent que c’est grâce à la redondance de l’information gardée sous plusieurs formes qu’elle peut être transmise de générations en générations en faisant face aux aléas. Il y a donc un impératif moral à partager avec la population la connaissance sur les déchets nucléaires. Les débats actuels sur le nucléaire n’ont malheureusement pas mobilisé les foules car les citoyens avaient le sentiment de n’avoir aucune emprise sur le processus de décision. Pourquoi s’investir si les décisions sont déjà prises ? Il importe donc de mettre en place un mécanisme de démocratisation de la gestion des déchets nucléaires pour en garantir la mémoire.

L’autre enjeu est de transmettre une mémoire qui traduit honnêtement l’état des lieux, ce qui n’est pas le cas du Centre Manche. Là encore, la démocratisation des processus de décision avec une ouverture plus en amont, laissant le temps à la société civile de s’approprier la problématique est indispensable. C’est dans ce sens que tente d’œuvrer l’ACRO depuis sa création.

En conclusion, la sauvegarde des générations futures en matière de gestion de déchets nucléaires passe par une meilleure gouvernance de la gestion actuelle, s’appuyant sur une plus grande démocratie participative. Il serait dommage et dangereux que le projet de loi actuel loupe ce coche pour dix ans encore. D’autant plus qu’il y a malheureusement un immense retard à combler et que les déchets comme ceux du Centre Manche, dont le sort est officiellement réglé, sont encore à prendre en compte.


Résumé de la 1ère partie : L’univers du Centre de Stockage de la Manche

Le Centre de Stockage de la Manche a été construit dans la partie Est de l’usine de retraitement de La Hague, à un endroit qui s’appelle le « Haut Marais », zone humide par excellence. C’est sans doute le plus mauvais choix quand on sait que l’eau est le principal ennemi de la sûreté. Les premiers déchets ont été mis à même la terre, puis dans des tranchées bétonnées, régulièrement inondées. Certains de ces ouvrages ont été démantelés, d’autres sont encore là, à la crête des nappes phréatiques. La pratique ayant précédé la réglementation, l’empirisme qui a guidé l’édification de ce centre suscite déjà de nombreuses inquiétudes qui devraient s’aggraver dans l’avenir.

Les structures d’accueil et la qualité des déchets ont évolué au cours du temps vers plus de rigueur. Mais, avant chaque durcissement de la réglementation, le CEA a renvoyé au CSM des déchets qui ne pourraient plus être acceptés par la suite. Ce délit d’initié est d’autant plus choquant que c’est dans ce même organisme qu’étaient élaborées les nouvelles règles. L’ACRO avait aussi dénoncé des pratiques similaires juste avant la fermeture du site en 1994. De nos jours, le centre Manche contient de nombreux éléments à vie longue qui ne sont plus acceptés sur le centre de l’Aube qui a pris le relais. Il y a notamment près de 100 kg de plutonium, ainsi que de nombreux autres émetteurs alpha particulièrement toxiques en cas de contamination. Si l’on ajoute à cela les toxiques chimiques qui ne disparaîtront pas avec le temps, dont près de 20 tonnes de plomb et une tonne de mercure, le centre Manche ne pourra jamais être banalisé. Au moment de sa fermeture, l’ANDRA annonçait sans vergogne que ce centre pourrait être rendu à la nature au bout de 300 ans et que la couverture était définitive.

L’inventaire des déchets stockés n’est pas connu avec précision. Durant les premières années, seuls les bordereaux des expéditeurs faisaient foi. Une tempête a effacé une partie de cette mémoire et les informations concernant les premières années ne sont pas fiables. Certaines structures d’accueil non plus et une partie des déchets échappent au système de surveillance mis en place. Un employé de l’ANDRA à la retraite va jusqu’à évoquer des risques d’effondrement. En cas de problème, ce sont les nappes phréatiques qui seront touchées et il sera trop tard pour agir. Selon nos estimations, ce sont plus de 10% des 527 217 m3 de déchets stockés qui sont d’origine étrangère, en violation flagrante de la législation française. Alors que la question du stockage en surface est officiellement considérée comme « réglée », il est légitime de s’interroger sur l’avenir du centre Manche. Il est tout aussi nécessaire de tirer les leçons de ses déboires pour les autres déchets en attente de solution.

Sans la vigilance citoyenne des associations et les révélations d’un lanceur d’alerte qui a envoyé anonymement des documents à l’ACRO, c’est le plan de l’ANDRA qui aurait été avalisé par les autorités. La commission pluraliste qui a enquêté après les révélations de l’ACRO en 1995 a estimé que ce stockage est irréversible. En se basant sur une étude de l’ANDRA, elle estime en effet qu’aucune reprise des déchets n’est raisonnable en raison des coûts sanitaires et financiers. Surtout, il n’existe aucune solution pour une partie de ces déchets qui ne sauraient être acceptés au centre de l’Aube.

Les exigences en matière d’environnement ont changé durant les 25 années d’exploitation du centre Manche. Ces exigences devraient évoluer encore plus sur des échelles de temps impliquant plusieurs générations. La réversibilité des stockages est donc une contrainte morale qui découle du principe de précaution. Elle est généralement pensée comme un moyen de rendre les projets socialement plus acceptables par les autorités. Mais la réversibilité n’est pas seulement un problème technique et doit conduire à repenser entièrement la gestion des matières radioactives de façon démocratique. L’option d’un entreposage pérennisé avait les faveurs du public lors du débat national, mais est malheureusement ignorée par les autorités qui préfèrent une stratégie basée sur l’oubli.

Il en est de même pour l’avenir du centre Manche. Il est prévu, qu’après la phase de surveillance actuelle, une nouvelle couverture soit mise en place afin de passer à une phase plus passive. La décision de ne pas reprendre tout ou une partie des déchets est basée sur des études de l’ANDRA qui n’ont pas été contre-expertisées dans le détail. Nous avons, vainement, demandé à la commission de surveillance du centre de promouvoir la mise en place d’une réflexion pluraliste qui aurait à se pencher sur les risques évoqués avant de décider de fermer définitivement le site. Cette revendication nous tient particulièrement à cœur avant de décider de léguer une telle menace aux générations futures.


Résumé de la 2ème partie : La pollution des écosystèmes aquatiques par le tritium

Par le passé, la Sainte-Hélène qui s’écoule non loin du Centre de Stockage de la Manche (CSM) avait une teneur en césium-137, de 100 à 1000 fois plus élevée que dans les autres cours d’eau voisins. Cette anomalie s’accompagnait de l’existence d’autres produits de fission et de teneurs impressionnantes en plutonium : les sédiments contenaient plus de 140 Bq/kg de plutonium-238, soit 5000 fois plus que dans ceux du Rhône en aval des installations de Creys-Malville (Superphénix). Le CSM en était à l’origine. Depuis les causes ont été maîtrisées et il ne subsiste plus que les vestiges de ces anciennes pollutions massives.

Mais de tout temps, du tritium (hydrogène radioactif) fût trouvé. Aujourd’hui encore, de nombreux cours d’eau, aquifères, résurgences, puits sont concernés.

Dès l’ouverture du centre, on a voulu stocker de grandes quantités de tritium. Dans 6 petites cases de l’ouvrage dénommé TB2, l’équivalent de trois, peut-être 15, années de rejets tritiés de l’ensemble du parc électronucléaire français actuel a été entreposé. Les estimations varient avec les époques, soulignant la méconnaissance du contenu des déchets.

Mais ce tritium n’a pas daigné rester à sa place, et ce fût le point de départ, en octobre 1976, d’une contamination massive des eaux souterraines et superficielles. Tout ce qui pu être repris l’a été, et les quantités stockés ont été réduites de manière drastique.

Cet incident à mis en exergue, outre des dysfonctionnements et une inadaptation du procédé de stockage, la diffusion du tritium à travers les colis et ouvrages. Ce phénomène, qui a débuté dès la réception des premiers déchets tritiés, existe encore de nos jours et cessera quand il n’y aura plus de tritium dans les colis.
Parce que le gestionnaire du centre s’est refusé à protéger correctement les déchets des intempéries durant les 25 années d’exploitation, y compris durant la période où il déployait des solutions sur son centre de l’Aube, la situation s’est aggravée à La Hague. La lixiviation des déchets par les eaux de pluie a augmenté considérablement les relâchements.

Le CSM s’est donc toujours « vidé », et se « vide » encore de nos jours, de son tritium par d’autres voies que celle de la décroissance radioactive, principe fondamental de l’élimination des déchets nucléaires. L’analyse des données postérieures à 1986, les seules disponibles, tend à suggérer qu’au moins 20% du tritium stocké se seraient « évanouis » dans l’environnement à la date d’aujourd’hui. Dans une note datée du 18/12/92, le gestionnaire estimait même à 1850 TBq [130% de l’inventaire tritié du site (ndlr)] l’activité perdue dans le sol à la suite de l’incident de 1976.

Libéré des ouvrages, ce tritium suit principalement les voies naturelles de l’eau. Il tend à rejoindre les aquifères sous-jacents mais également l’atmosphère. Il est donc voué à être « éliminé », d’une manière ou d’une autre, par dilution et dispersion dans le milieu naturel. Dans l’année qui suit l’incident d’octobre 76, la contamination des eaux souterraines a pu avoisiner les 600 000 Bq/L et celle des eaux de la Sainte-Hélène plus de 10 000 Bq/L. On pense le pire passé. En 1983, on atteint 6 millions de Bq/L dans un aquifère! Expérimentation ? Incident ? Accident ? Le public et les riverains ne savent toujours pas. Tout comme à l’époque ils ne savent pas qu’il est procédé à des rejets dits « concertés » dans la Sainte-Hélène, lesquelles conduisent en octobre 1982 à une contamination des eaux de l’ordre de 50 000 Bq/L.

Le dernier colis livré, la couverture mise en place, les indicateurs témoignent alors de l’avènement d’un processus d’amélioration de la qualité radiologique des eaux souterraines.

En l’absence de rejets industriels ou d’aléas, la teneur des eaux en tritium doit être de l’ordre de 1 Bq/L. Sur le plan sanitaire, l’OMS considère depuis 1993 que les eaux destinées à la consommation humaine ne devraient pas avoir  une teneur en tritium supérieure à 7800 Bq/L. Quant à l’Europe, à partir de 1998, elle s’est fixée pour objectif que ces mêmes eaux ne dépassent pas 100 Bq/L.

En 2005, La pollution n’a pas encore disparu. Elle a globalement diminué. Pour autant la contamination des eaux souterraines contrôlées peut encore atteindre 190 000 Bq/L. Et 20% des aquifères contaminés ne témoignent pas de la diminution attendue si on conjugue la décroissance radioactive au renouvellement des eaux. Fait étrange, certains tendent même à augmenter.

Durant toutes ces années, la pollution par le tritium devient insidieuse. Elle se répand géographiquement sur le versant nord. Elle atteint des puits, des résurgences et les principaux cours d’eau drainant le bassin versant. Actuellement, tous les cours d’eau (les Roteures, la Sainte-Hélène et le Grand Bel) ont en commun d’être contaminés par le tritium, à des niveaux variables compris entre une dizaine et plusieurs centaines de becquerels par litre. Pour les deux premiers, les résurgences le long du premier kilomètre apportent des eaux bien plus contaminées qu’elles ne le sont dans le cours d’eau au même endroit. A quelques centaines de mètres en aval de la source de la Sainte-Hélène, on mesurait jusqu’à 700 Bq/L de tritium dans une résurgence en 2003. Et cette situation contraste peu avec celle observée par l’ACRO il y a une dizaine d’années, cette fois au pied d’une maison familiale. Dans le cas du Grand Bel, pollué à la source, là encore la concentration en tritium des eaux n’a pas évolué depuis 1994 ! Elle est invariablement de 750 ± 100 Bq/L à la source.

Les constats de ces dernières années posent question. Pourquoi la contamination par le tritium n’a pas décru drastiquement comme on aurait pu s’y attendre si on conjugue la dilution et la décroissance radioactive ? Ne considérant que le phénomène de décroissance radioactive, les niveaux auraient dû diminuer de 50% par rapport à 1994. Or il sont sensiblement les mêmes à certains endroits, ce qui suppose que la quantité de tritium mobilisé a augmenté.

Certes, les eaux des résurgences et de cours d’eau ne sont pas utilisées directement pour la consommation humaine, mais elles le sont pour le bétail et même le jardin. Dans le cas d’une vache alimentée de manière chronique avec de l’eau tritiée, des transferts existent vers le lait. Ils sont confirmés dans La Hague lorsqu’on se réfère aux contrôles effectués sur le lait par un autre opérateur du nucléaire que l’ANDRA, cette dernière n’effectuant aucun contrôle de cette nature et ce depuis le départ. Et le bilan des transferts ne s’arrête pas là. Le tritium, hydrogène radioactif, « s’échange » et entre dans la composition de la matière organique, donc de la vie. Chair, graisse, légume, etc. peuvent être concernés. Les voies d’atteintes à l’homme se multiplient alors. Faut-il encore vouloir les connaître.

Apurer la pollution des écosystèmes aquatiques est une nécessité morale. Il n’est pas acceptable de voir le gestionnaire d’un centre de stockage de déchets nucléaires démissionner devant un élément radioactif comme le  tritium qu’il n’a pu contenir sur son site et l’abandonner au pied des maisons, au fond des champs. Il est obligatoire a minima d’étudier, comme le demande l’ACRO, la possibilité de recourir à la méthode éprouvée du pompage dans la nappe avec rejet en mer dans l’espoir d’obtenir une diminution progressive de la contamination des eaux de surfaces et de gérer de manière contrôlée et organisée les flux de radioactivité artificielle en direction de l’environnement.


Rapport d’analyse

Dosage du tritium dans les eaux souterraines pompées le 23 mai 2006 au niveau du piézomètre 113 à proximité du centre de stockage de la Manche

Echantillon Concentration en Bq/L
début
de pompage
13 200
± 900
fin de
pompage
16 800
± 1 100

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Dosage du tritium dans les eaux souterraines suite à un deuxième prélèvement effectué par Greenpeace Hollande le 8 novembre 2006 au niveau du même piézomètre.

Echantillon Concentration en Bq/L
Première
cuillère
18 700
± 1 100
Deuxième
cuillère
18 100
± 1 100
Après
pompage 1000 L
18 100
± 1 100
Après
pompage 2000 L
20 000
± 1 200
Après
pompage 3000 L
20 200
± 1 300
Après
pompage 4000 L
20 600
± 1 200

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