La Génération IV

ACROnique du nucléaire n°91


Le forum « génération IV » est un forum international qui a pour but de coordonner les recherches sur la génération IV des réacteurs nucléaires, l’EPR constituant la troisième génération. Plusieurs technologies sont à l’étude, plus ou moins innovantes par rapport à ce qui existe déjà. Les pays se positionnent sur certains projets.  La France a choisi les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium et c’est le CEA qui en a la charge.

Sur les 35 milliards d’euros du grand emprunt lancé par le gouvernement, le CEA va toucher 900 millions pour préparer le « nucléaire de demain ». Cette somme se répartit en 651,6 millions pour le prototype industriel de démonstrateur du réacteur de 4ième génération (programme ASTRID) et 248,4 millions pour le projet de réacteur Jules Horowitz (RJH). Si l’on regarde de plus près la convention signée le 9 septembre 2010 entre le CEA et l’Etat, publiée au journal officiel[1], les 652 millions du programme ASTRID ne sont pas pour construire le réacteur, mais étudier sa faisabilité et proposer un avant-projet détaillé en 2017.

ASTRID est l’acronyme de Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration. Il s’agit en fait d’un Superphénix amélioré.

Rappelons que Superphénix fut un échec technologique cuisant. Son équivalent japonais, Monju, n’est guère plus prometteur. Ce surgénérateur de 280 MW a été arrêté en décembre 1995, peu de temps après sa mise en service, à la suite d’une fuite de sodium sur le circuit secondaire provoquée par la rupture d’une sonde thermométrique. Le redémarrage n’a eu lieu que cette année.

Mais le CEA se veut rassurant : ASTRID sera en « rupture technologique » par rapport à Phénix et Superphénix. En plus des difficultés inhérentes aux réacteurs classiques, l’utilisation du sodium est une source supplémentaire de danger. Il s’enflamme spontanément à l’air et explose dans l’eau. Les dangers du sodium ne sont même pas évoqués dans le dossier de presse de CEA. Un oubli sûrement. Dans le magazine de vulgarisation scientifique, Clefs CEA n°55 de l’été 2007, Jacques Bouchard (du CEA) qui présidait alors le forum génération IV, mentionne juste que le sodium « souffre d’une mauvaise réputation en raison de sa réactivité chimique ».

Dans son dossier de presse, le CEA énumère les défis auxquels il doit faire face :

–          La sûreté doit être au moins équivalente à celle de l’EPR. Ce n’était pas le cas pour Superphénix et ce n’est pas le cas pour Monju. Avec en particulier, une nouvelle conception du cœur, une enceinte qui résiste aux chutes d’avions, une tuyauterie à double paroi… Il confirme ainsi que la décision d’arrêter Superphénix fût la bonne!

–          La disponibilité doit être améliorée. Par disponibilité, on entend le pourcentage de temps où le réacteur fournit de l’électricité. Le CEA vise plus de 80%. EDF est à environ 75% actuellement et les précédents surgénérateurs à moins de 1% !

–          Il doit pouvoir brûler tout ce que ne peuvent pas brûler les réacteurs actuels (voir l’article sur le recyclage).

–          Il ne doit pas être proliférant.

–          Et tout cela avec un prix compétitif !

Et comme en France, on est ambitieux, le CEA veut aussi être le premier au monde à développer un réacteur de génération IV.

La construction du prototype Astrid devrait débuter en 2017, pour une utilisation pour la recherche en 2020. Ce démonstrateur industriel, d’une puissance de 600 MWe (mégawatts électriques), précédera alors le futur réacteur commercial français qui devrait développer entre 1 000 et 1 500 MWe, à l’horizon 2040.

Si ce programme est réalisé, il sera l’aboutissement de près de 100 ans de recherche. Il y a de quoi être sceptique. Rappelons que la fission nucléaire a été découverte en 1939. En 1942, la première pile atomique divergeait à Chicago. La première bombe à fission date de 1945 et les premiers réacteurs des années 50. C’est allé très vite entre la découverte en physique fondamentale et les applications civiles et militaires. Il en est de même dans de nombreux autres domaines innovants. Une technologie, qui nécessite 100 ans de recherche pour être mature, est forcément une technologie excessivement complexe. Le CEA n’explique pas ce qui lui permet d’être optimiste. A moins d’une percée technologique, forcément inattendue, il y a fort à parier que les défis sont trop nombreux pour pouvoir être surmontés dans le calendrier avancé.

L’EPR, qui n’est qu’un réacteur « évolutionnaire » par rapport à ces prédécesseurs, est beaucoup plus difficile à réaliser que prévu et son coût le rend invendable. Comment croire qu’ASTRID, plus complexe et basé sur une technologie non éprouvée, puisse faire mieux ?


[1] http://textes.droit.org/JORF/2010/09/11/0211/0003/

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