Evaluation de la contamination des enfants de Biélorussie

Paru dans l’ACROnique du nucléaire 64, mars 2004


L’action engagée

En collaboration avec l’association Solidarité de Biélorussie et de Tchernobyl le laboratoire de l’ACRO a procédé à des analyses radiotoxicologiques auprès des enfants habitant des territoires contaminés par la catastrophe de Tchernobyl et qui ont séjourné en Normandie en juin 2003.   Il s’agissait de mesurer le taux de radioactivité, en l’occurrence dû au césium 137, dans les urines des enfants.   Les résultats permettent d’évaluer le degré de contamination des enfants et d’estimer les répercussions d’une alimentation « saine », additionnée de Vitapeckt. Ces mesures devraient permettre d’aider les recherches menées par le professeur Nesterenko et son institut Belrad dans le cadre du suivi des populations contaminées.

Pourquoi mesurer les urines ?

Le césium 137 (137Cs) projeté dans l’atmosphère en grande quantité lors de l’accident de Tchernobyl continue de contaminer les territoires proches de la centrale. Avec d’autres substances radioactives, il est ingéré continuellement avec la nourriture et assimilé par l’organisme dans lequel il va résider durant un certain laps de temps avant d’être éliminé en partie avec les urines. Ainsi, l’analyse des urines permet de déterminer avec une incertitude acceptable le niveau de contamination de l’organisme.

Qu’est-ce que le césium 137

Il s’agit d’un élément radioactif (radionucléide) issu de la fission de l’uranium et dont la demi-vie (période radioactive) est de trente ans. Il faudra donc attendre trois siècles pour que la quantité de césium 137 ait diminué d’un facteur 1000. Comme toute substance radioactive, le césium 137 émet un rayonnement au cours de sa désintégration. Dans son cas précis, il s’agit d’un rayonnement relativement énergétique pouvant endommager les tissus situés à proximité.

Résultats

Tableau : Concentration en césium 137 (becquerel par litre) mesurée dans les urines des enfants biélorusses en séjour en Normandie au mois de juin 2003
enfantcherno1

Note :«NA» signifie que les urines n’ont pas été analysées (quantité insuffisante).

Graphe : Concentration en césium 137 (becquerel par litre) mesurée dans les urines des enfants biélorusses à leur arrivée en Normandie au début du mois de juin 2003.

enfantcherno2
Note : la limite de détection (ou sensibilité de mesure) dépend de différents facteurs : l’appareil de mesure, la quantité de l’échantillon, le temps de comptage. Dans le cas d’Aléna, la durée de mesure ayant été prolongée, cela a permis d’abaisser la limite de détection, et donc d’avoir une mesure significative inférieure à 10 becquerel par litre.

Commentaires

Les résultats rapportés dans le tableau ne concernent qu’une partie des enfants. Toutes les analyses n’ont pu être effectuées faute de quantité suffisante d’urine et du fait de la capacité, hélas réduite, du laboratoire. Néanmoins, lors de la première série d’analyses (début juin), l’ensemble des échantillons a été mesuré rapidement afin de « dépister » les échantillons prioritaires. Lors de cette première campagne de mesures la plus petite concentration décelable (ou limite de détection), est relativement élevée : autour de 10 becquerel par litre. Par la suite, des analyses « plus fines » ont permis d’abaisser la limite décelable autour du becquerel par litre.

Du césium 137 est observé avec une concentration supérieure à 10 becquerel par litre dans 60% des urines mesurées. Les plus fortes valeurs sont de 68 becquerels par litre. Pour situer les niveaux, il faut rappeler que le césium 137 n’est pas un produit radioactif naturel et que l’organisme ne devrait donc pas en contenir.

Les concentrations mesurées deux semaines après l’arrivée des enfants ont chuté en moyenne de moitié. Cela traduit bien une cinétique d’élimination du césium dans un contexte où les enfants bénéficient d’une alimentation saine.

Chez deux enfants suivis, on constate une stabilité voire même une augmentation de la concentration du césium 137 dans les urines au cours de leur séjour.  Cela peut provenir d’un biais lié à l’échantillonnage (par exemple si les urines n’ont pas été prélevées dès le réveil de l’enfant [2]), ou à une accélération de l’élimination du césium 137 due à la prise de Vitapeckt.


[1] Vitapeckt : complément alimentaire à base de pectine de pomme élaboré par le Pr Nesterenko, pour faciliter l’élimination du césium 137 de l’organisme.

[2] Les premières urines du matin étant potentiellement les plus « chargées » de la journée.


Depuis huit ans, l’association Solidarité Biélorussie et de Tchernobyl organise l’accueil, à Caen, d’enfants biélorusses victimes de la catastrophe de Tchernobyl.
L’association soutient le travail du Professeur Nesterenko dans les territoires contaminés et appel au parrainage de cures de pectine de pomme pour les enfants  biélorusses.

Contact : Association Solidarité Biélorussie et de Tchernobyl, 74 rue de Falaise. tél. : 02 31 83 43 76.

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Les radiations ionisantes

Texte écrit pour le Dictionnaire des risques (Armand Colin 2003 et 2007) et paru dans l’ACROnique du nucléaire n°64, mars 2004


Les radiations ionisantes correspondent à des rayonnements électromagnétiques ou particulaires possédant une énergie associée supérieure à 10 électron-volt (eV). En-dessous de cette valeur en énergie, les radiations sont dites « non ionisantes » et on y classe notamment les rayonnements ultra-violets ou encore les champs électromagnétiques de très basse fréquence. Ces derniers, bien que « non ionisants », ne sont pas pour autant dépourvus d’effets pathologiques chez l’homme ou l’animal.

Ce qualificatif de « ionisant » est important car il va désigner le mécanisme initiateur (à l’échelle moléculaire) qui sera à l’origine même de la toxicité de cette classe de radiations. Sur son parcours, une radiation créera en moyenne une paire d’ions pour un dépôt d’énergie de 33 eV. Ainsi, une particule alpha de 5,3 MeV (millions d’eV) générera plus de 150 000 paires d’ions sur un parcours de 40 µm dans les tissus. Si les radiations ionisantes se classent en fonction de leur nature, leur toxicité respective sera également une manière de les distinguer. De façon résumée, cette toxicité propre sera d’autant plus élevée que la densité d’ionisation produite sera grande.
Les radiations ionisantes agissent suivant deux voies d’action dont la contribution respective aux dégâts biologiques radio-induits restent l’objet d’un débat scientifique. D’une part, elles génèrent des cassures moléculaires (c’est l’effet direct), d’autre part, elles provoquent la radiolyse de l’eau (c’est l’effet indirect) conduisant à la formation de radicaux libres qui constituent des espèces moléculaires fortement toxiques.
La chronologie des événements qui surviennent consécutivement à une irradiation souligne une échelle de temps joignant les extrêmes. Le phénomène d’ionisation est quasi-instantané (10-15 sec), de même que la production de radicaux libres (10-9 sec) et les lésions sur le patrimoine génétique seront instaurées dans la seconde voire la minute qui suit l’irradiation. On comprend dès lors toute l’importance de la prévention mise en avant dans l’exercice de la radioprotection. Si ces lésions moléculaires peuvent être à la cause d’effets pathologiques visibles dans les jours et les semaines qui suivent (cas des fortes doses), elles seront aussi à l’origine d’effets tardifs pouvant survenir des années (voir plusieurs dizaines d’années) après l’exposition (en particulier la radio-cancérogénèse) ou encore dans la descendance (effets génétiques).

L’homme est exposé aux radiations selon différentes voies d’atteinte. Les rayonnements pénétrants issus de sources externes (corps radioactifs, appareils électriques accélérant des particules) sont les contributeurs d’une irradiation externe. Les substances radioactives présentes dans l’environnement (ou dispersées dans l’environnement par l’homme) participent à la contamination interne des personnes soit par inhalation (gaz, aérosols..), soit par ingestion au travers de la chaîne alimentaire (qui conduit souvent à des processus de re-concentration des toxiques).

L’origine des expositions aux radiations ionisantes peut être naturelle (cosmique et tellurique) ou artificielle (anthropologique).
Les sources d’exposition naturelle ainsi que les estimations de dose annuelle qui leur sont actuellement attribuées [1] sont présentées dans le tableau ci-dessous. On soulignera le rôle prépondérant du radon, un gaz radioactif (émetteur alpha) issu de la chaîne de l’uranium qui contribue pour plus de 50% à l’ensemble de cette exposition naturelle et qui pourrait constituer un problème de santé publique. Le Comité BEIR de l’Académie des Sciences US a récemment évalué entre 15.400 à 21.800 le nombre de cancers du poumon dû, chaque année au sein de la population américaine, au radon domestique [2]. Toujours selon l’Académie américaine, il représenterait la deuxième cause du cancer du poumon après le tabac. Les radiations cosmiques quant à elles ont fait l’objet de multiples investigations depuis le début des années 90. Leur débit de dose, faible au niveau du sol (0,03 µSv/h),peut être 150 à 200 fois plus élevé lors de vols intercontinentaux (5 µSv/h). Certaines études [3] ont pu mettre en évidence un excès d’anomalies chromosomiques caractéristiques de l’action des radiations. De fait, les personnels navigants devraient sans doute être considérés comme « personnels exposés » aux radiations ionisantes et classés comme les salariés du nucléaire.

Sources Dose moyenne
annuelle (mSv)
Domaine de
variation (mSv)

Exposition externe :

– rayonnement cosmique

– rayonnement tellurique

0,4

0,5

0,3 – 1,0

0,3 – 0,6

Exposition interne :

– inhalation (dont radon)

– ingestion

1,2

0,3

0,2 – 10

0,2 – 0,8

Total 2,4 1 – 10
[source : UNSCEAR, 2000]

Quant aux sources d’exposition artificielle, elles relèvent soit de l’exposition médicale (environ 1,2 mSv/an mais avec un domaine de variation très large) soit d’expositions d’origine industrielle ou militaire. En affirmant le principe de justification des actes radiologiques, la mise en application de la directive européenne 97-43 [4] devrait permettre de réduire les doses médicales, en particulier par la chasse aux examens inutiles qui perdurent encore trop souvent dans un milieu où la radioprotection a rarement été un souci majeur. Les essais nucléaires nombreux (945 explosions réalisées par les USA, 210 pour la France…) ont dispersé à la surface de la planète (principalement dans l’hémisphère nord) des quantités importantes de radioactivité qui, aujourd’hui encore, marquent notre environnement. Même s’ils détiennent chacun des activités très modestes comparativement à l’industrie nucléaire, on ne peut ignorer les nombreux « détenteurs » de sources radioactives utilisées en milieu hospitalier, dans les centres de recherche ou au sein de petites entreprises. En France, ils sont environ 5000 utilisateurs autorisés à détenir des sources scellées et non scellées. Des millions de sources radioactives sont ainsi dispersées dans le monde, dont plusieurs dizaines de milliers présentent de fortes activités (exprimées en terabecquerels, TBq). Régulièrement, des pertes, vols, actes de sabotage sont enregistrés. Plus grave, le trafic de ces matières s’est intensifié au cours des années 90 (il a doublé entre 1996 et 1999). De tels actes ont été confirmés dans plus de 40 pays, et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Depuis le 11 septembre 2001, la menace d’actes terroristes radiologiques (les « bombes sales »..) sont prises très au sérieux, y compris par la France où une circulaire (circulaire 800) est venue renforcer le dispositif en mai 2003. Le secteur de l’industrie nucléaire, avec son talon d’Achille que constituent les déchets nucléaires [voir Les déchets nucléaires], reste cependant l’objet principal des craintes exprimées par une large fraction de la population [5]. Issu du nucléaire militaire, il faut bien reconnaître que le principe de justification ne s’est jamais appliqué au programme nucléaire dont la France a fait son cheval de bataille. L’apparition de batteries lance-missiles Crotale déployées sur le plateau de la Hague (Nord Cotentin) en réponse aux attentats du 11 septembre a souligné brutalement l’extrême fragilité des systèmes de protection existants [6]. En matière de risques externes, la dimension de tels actes n’a jamais été prise en compte.

En regard de l’équation définissant le risque – le risque est égal au produit du danger potentiel par une probabilité d’occurrence d’un événement donné et par l’intensité des conséquences sanitaires et écologiques – le discours officiel ne s’est toujours porté que sur le second terme de l’équation (la probabilité d’occurrence) qu’il convenait de maintenir le plus faible au possible. La présentation des rapports de sûreté des installations nucléaires est de ce point de vue éclairant (pour certaines installations, l’exploitant est allé jusqu’à présenter le niveau de risque de chute d’un petit avion de tourisme en « probabilité d’impact par m2 » pour souligner son caractère « négligeable »). On est aujourd’hui légitimement en droit de se demander si la société n’a pas le devoir de refuser (pour elle-même et pour les générations futures) que s’érigent des installations industrielles présentant des niveaux de danger potentiel extrêmes et cela, indépendamment des estimations probabilistes présentées. Dans une certaine mesure, cette démarche rejoint une approche très actuelle en matière de maîtrise des risques industrielles qui vise à « réduire le danger à la source ».

La radioprotection. Dans l’année même (1896) qui suivi la découverte des Rayons X (1895) les premières règles pratiques de protection sont recommandées. Dès le tout début du siècle, les dangers de rayonnements ionisants deviennent de plus en plus apparents et des comités nationaux apparaissent en 1913 dans le but de les étudier. Le premier congrès international de radiologie (1925) reconnaît la nécessité d’évaluer et de limiter l’exposition aux radiations. Pour répondre à ce besoin, le Comité International de Protection contre les Rayons X et le Radium est créé en 1928 et il deviendra (en 1950) la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR). En 1934, les premières limites de dose sont instituées tout en considérant l’existence de seuils d’innocuité (reconnaissance des seuls effets déterministes). Mais en 1955, le concept de seuil est rejeté et les effets stochastiques considérés comme « irréversibles et cumulatifs » sont maintenant pris en compte. Durant les années 60 et 70, le débat autour de l’acceptabilité du risque conduira à l’élaboration du concept ALARA (maintenir les expositions à un niveau aussi faible que raisonnablement possible). Depuis, les recommandations de la CIPR conduiront à des réductions successives des limites de dose (en 1977 puis en 1990) d’abord pour les travailleurs mais aussi, et c’est nouveau, pour le public. Cette évolution est résumée dans le tableau ci-contre.

Année Travailleurs Public
1934 env. 600 mSv/an (0,2
roentgen/jour)
1938 env. 500 mSv/an (1
roentgen/semaine)
1951 env. 150 mSv/an (0,3
roentgen/semaine)
1959 (et
1977)
50 mSv/an 5 mSv/an
1990 20 mSv/an 1 mSv/an

Les travaux de la CIPR conduiront à l’élaboration de trois grands principes fondamentaux : le principe de justification (une pratique doit faire plus de bien que de mal), dont nous avons souligné le peu d’empressement à le mettre en application ; le principe d’optimisation de la radioprotection (qui s’appuie largement sur le concept ALARA) ; le principe de limitation des expositions (valeurs limites censées interdire l’apparition d’effets déterministes et limiter le plus possible l’induction d’effets stochastiques). Ces trois principes fondamentaux viennent d’être intégrés au Code de la Santé Publique pour la première fois en 2002, année qui sera marquée en France par une réorganisation importante du système de radioprotection et des dispositions réglementaires correspondantes.

Le débat autour de la radioprotection est également très animé. Il repose pour l’essentiel sur la nature de la relation dose / effet. Depuis la fin des années 80, les principales instances internationales admettent que cette relation est de type « linéaire et sans seuil ». L’enjeu est important car cela signifie que toute dose, même très faible, est susceptible de produire un effet (induction de cancers ou affection de la descendance) en terme probabiliste.
Pour autant, cette relation ne serait prouvée que dans un domaine de dose plus élevé que celui de la radioprotection (niveaux d’exposition des travailleurs ou du public) car elle est déduite presque exclusivement de l’analyse des données du suivi des survivants aux explosions nucléaires de Hiroshima et Nagasaki. La poursuite de l’étude après 1985 a permis, d’une part, d’observer que les cancers continuent à apparaître en excès plus de 40 ans après et, d’autre part, d’affiner la limite inférieure de cette relation étayée qui passe ainsi de 200 mSv à 50 mSv confortant l’hypothèse de la linéarité sans seuil.
Les modes d’exposition étant très différents entre les populations d’Hiroshima et Nagasaki (qui ont subi une dose forte et aiguë) et les populations vivant autour d’installations nucléaires (qui reçoivent des doses faibles et chroniques), le modèle de la CIPR fait l’objet de critiques fortes de la part de groupes scientifiques-citoyens [7]. De fait, au-delà des modèles toujours critiquables, de nombreuses questions restent en suspend : la susceptibilité génétique (non prise en compte dans la détermination du risque radio-induit), l’hétérogénéité dans la distribution de la dose, l’interaction avec d’autres agents toxiques de nature différente (la cancérogenèse correspond à un processus qui se déroule par étapes successives), l’induction de pathologies non cancéreuses, les maladies multi-factorielles…
A l’inverse, des partisans de l’existence d’un seuil d’innocuité (en particulier dans le sérail de l’Académie de médecine) ont fait pression sur la CIPR et les pouvoirs publics pour tenter de s’opposer à la mise en application de la réduction des limites de doses proposées par la CIPR en 1990 [8]. Là n’est d’ailleurs pas la seule inquiétude puisque ces mêmes auteurs affirment que la radioprotection « représente une activité essentiellement médicale » et qu’il « apparaît indispensable que la radioprotection soit supervisée par des médecins et autres professions de santé »… Le discours est étayé par l’existence des mécanismes de réparation des lésions de l’ADN et s’appuie sur un leitmotiv : l’absence de preuve.
Une démarche scientifique voudrait pourtant que l’on considère que l’absence de preuve d’une relation causale ne constitue pas pour autant la preuve de l’absence de cette même relation. Ainsi, il peut suffire que des développements scientifiques et technologiques permettent d’élaborer de nouveaux outils d’investigation apportant des réponses nouvelles. Et c’est peut-être ce qui est en passe d’apparaître ces dix dernières années à travers l’émergence de travaux originaux d’une part autour de l’instabilité génétique et, plus récemment, autour de l’effet bystander (ou effet non cible) [9]. Ce dernier mécanisme d’action mérite que l’on y prête attention car il remet en cause le dogme de la radiobiologie selon lequel l’induction d’effets retardés (cancers, anomalies dans la descendance) est le produit de l’action directe des radiations sur l’ADN contenu dans le noyau de la cellule. De fait, des anomalies moléculaires et cellulaires (caractéristiques de l’action des radiations) s’expriment dans des cellules non atteintes par des radiations mais simplement présentes au voisinage d’une cellule irradiée (parfois même par une seule particule alpha). De façon surprenante, ce phénomène ne semble pas s’exprimer avec des doses fortes mais uniquement dans le domaine des faibles doses (celles qui concernent la radioprotection) et les auteurs s’accordent à démontrer l’existence, à ce niveau, d’une relation dose / effet supra-linéaire suggérant que le risque radio-induit serait actuellement sous-estimé dans le domaine des faibles doses [10].
Enfin, très récemment [11], une équipe de recherche est parvenue à établir la formation de lésions radio-induites spécifiques sur l’ADN à des niveaux de doses 1000 fois inférieurs à ceux habituellement utilisés (de l’ordre du Gy) pour observer ces dégâts. Plus intéressant encore, les auteurs notent que plus ils réduisent les doses délivrées, moins ces lésions génomiques sont réparables.

Si tous ces travaux devaient se confirmer, la relation linéaire sans seuil dans le domaine des faibles doses cesserait d’être une hypothèse (issue de l’extrapolation proposée par la CIPR) pour devenir une donnée établie sur des faits expérimentaux et peut-être même sous-estimée. Beaucoup de choses seront alors à reconsidérer à commencer par les fondements même de la radioprotection.

Références :
1. UNSCEAR. Sources and effects of ionizing radiations. Vol. I, 2000.

2. National Academy of Sciences : Health Effects of Exposure to Radon: BEIR VI, Committee on Health Risks of Exposure to Radon (BEIR VI), 516 pages, 1999.

3. ROMANO Elena et al. Increase of chromosomal aberrations induced by ionizing radiations in peripheral blood lymphocytes of civil aviation pilots and crew members. Mutation Research, 9, 377, 89-93, 1997.

4. Directive 97/43 Euratom du Conseil de l’union européenne. Protection sanitaire des personnes contre les rayonnements ionisants lors d’expositions à des fins médicales. J.O.C.E., L180, 9 juillet 1997.

5. IPSN. Perception des risques et de la sécurité. Préventique – Sécurité, n° 62, mars-avril 2002.

6. La Manche Libre du 03 novembre 2002.

7. Recommendations of the ECRR (European Committee on Radiation Risk): The Health Effects of Ionising Radiation Exposure at Low Doses and Low Dose Rates for Radiation Protection Purposes: Regulators’ Edition, 2003.

8. Avis de l’Académie Nationale de Médecine. Energie nucléaire et santé. 22 juin 1999.

9. LITTLE John B. Radiation-induced genomic instability and bystander effects : implications for radiation protection. Radioprotection. 37, 3, 261-282, 2002.

10. ZHOU Hongning et al. Radiation risk to low fluences of a particles may be greater than we thought. Proceeding of National Academy of Sciences. 98, 25, 14410-14415, 2001.

11. ROTHKAMM Kai et al. Evidence for a lack of DNA double-strand break repair in human cells exposed to very low X-Ray doses. Proceeding of National Academy of Sciences. A paraître en 2003.


dicodico2Autres textes du dictionnaire des risques :

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Pour l’abrogation de l’arrêté secret défense

mis à jour le 27 février 2004

Le 9 février 2003, des militants de Greenpeace bloquent un camion chargé de 150 kg de plutonium au centre ville de Chalon sur Saône pour démontrer la vulnérabilité de ces transports. La réponse du gouvernement ne s’est pas faite attendre : le 9 août 2003, paraissait au journal officiel un arrêté qui classe « secret défense » les informations relatives aux matières nucléaires. A qui était destiné ce texte ? S’agissait-il de définir de nouvelles règles pour l’administration et les exploitants ou museler les associations dérangeantes ?

L’autorité de sûreté nucléaire a aussi tôt annoncé qu’elle ne changerait rien à sa politique de communication. L’action de Greenpeace, quant à elle, est le fruit de plusieurs mois de filature et d’étude des transports de plutonium et n’est pas liée à une fuite d’information officielle. Les camions suivaient toujours le même chemin et s’arrêtaient aux mêmes heures aux mêmes endroits. Il n’a pas été difficile d’agir.

C’est donc légitimement que les associations de protection de l’environnement ou anti-nucléaires qui se battent depuis des années pour plus de transparence et démocratie dans la gestion du dossier nucléaire se sont senties visées. Mais aussi les journalistes qui ont considéré cet arrêté comme un déni de leur droit à l’information. Greenpeace a été invitée à retirer certaines information de son site Internet, ce qu’elle
a refusé de faire.

Face au tollé, M. Lallemand, haut fonctionnaire de la défense au ministère de l’industrie a proposé une circulaire d’explication du texte, alors que la société civile réclamait son abrogation. Les politiques ont dû s’en mêler et c’est finalement un nouvel arrêté “secret défense” assorti d’une circulaire d’explication qui sont apparus au JO du 29 janvier 2004.

L’arrêté est toujours aussi restrictif quant à la liberté d’informer sur les transports de matière nucléaire. Quant à la circulaire, elle précise à l’administration, sous le prétexte usé de lutte contre le terrorisme, comment appliquer ces nouvelles règles. Les associations et journalistes qui font un travail d’information ne sont pas concernés par la circulaire alors que tout semble indiquer que l’arrêté leur est destiné. En maintenant le flou, le haut fonctionnaire espère-t-il qu’ils s’auto-censurent plus que nécessaire de peur de la répression ? Pour l’ACRO, mais aussi pour les autres associations contestant ces textes, il n’est pas question de changer notre façon de travailler.


• L’ACRO se joint à l’appel lancé par de nombreuses organisations en France
pour la défense du droit à l’information sur le nucléaire et ses dangers !
• L’ACRO est aussi signataire du communiqué commun des membres
Associatifs de CLI ou CLIS auprès des Installations Nucléaires


Les organisations signataires demandent l’abrogation de l’arrêté du 24 juillet 2003 qui classe secret défense la quasi-totalité des informations relatives aux matières nucléaires (combustibles neufs, irradiés, déchets radioactifs…) et place ainsi hors de tout contrôle démocratique la majeure partie des activités nucléaires et des risques qu’elles génèrent. Elles invitent tous les citoyens français à signer et à faire signer la pétition afin de manifester leur attachement au droit à l’information et leur refus de la militarisation du nucléaire civil.

Le texte de la pétition est téléchargeable sur :
http://www.sortirdunucleaire.org/Petition_Secret_defense.rtf


Mobilisation générale des associations contre l’arrêté du 24 juillet 2003 qui classe « secret défense » les informations relatives aux matières nucléaires.

Le 9 août 2003 paraissait au JO un arrêté relatif au secret défense, daté du 24 juillet 2003 et signé par le Haut fonctionnaire de Défense, au nom du ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Ce texte stipule que les informations relatives aux « matières nucléaires » présentent un caractère de secret de la défense nationale et qu’elles doivent
en conséquence être classifiées.

La portée de ce texte est considérable. En effet :
1/ le terme de « matières nucléaires » englobe tous les types de combustibles, neufs ou irradiés, et la plupart des déchets radioactifs. Toutes les étapes de l’industrie nucléaire
sont donc concernées, de la fabrication du combustible jusqu’à son retraitement et au stockage des déchets radioactifs. Seule l’extraction du minerai échappe à l’omerta… mais il est vrai que toutes les mines françaises ont fermé !
2/ les termes choisis pour définir la nature des informations classifiées sont particulièrement extensifs : surveillance, confinement, suivi, comptabilité, transport, vulnérabilité, exercice de crise…  Avec de telles définitions, n’importe quelle information est susceptible d’être frappée d’interdit.

L’arbitraire et le secret vont désormais peser sur l’information relative au nucléaire.
Quiconque enfreindrait l’interdit s’expose à des poursuites, assorties de peines excessivement lourdes, pouvant aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement ou plus de 100 000 euros d’amende (cf. art. 413-10 du code pénal). Une véritable épée de Damoclès pèse désormais sur les associations et les journalistes qui publieraient des informations jugées dérangeantes par l’Etat ou par les exploitants.

En accédant à la demande de Cogéma-Areva, le gouvernement a choisi de museler l’information sur les risques. Cela ne les fera pas disparaître, bien au contraire !
Empêcher associations et syndicats d’alerter l’opinion sur le passage de convois de plutonium en plein centre-ville aidera assurément la Cogéma… mais certainement pas les populations exposées au risque.

L’alignement du nucléaire civil sur le nucléaire militaire
L’arrêté Secret défense n’est pas un dispositif isolé. D’autres modifications réglementaires renforcent le contrôle de l’information et octroient au ministère de la Défense nationale des pouvoirs inédits en matière de nucléaire civil. Le 10 septembre 2003 était publié un décret présidentiel (n°2003-865) portant création d’un « comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques »  qui remplace le « comité interministériel de la sécurité nucléaire » instauré en 1975. Le changement est radical : il s’agit désormais de gérer l’accident (et non plus le fonctionnement normal des installations nucléaires) et cette gestion est placée sous la direction du ministère de la Défense nationale, que l’accident survienne sur une installation civile ou militaire ou au cours d’un transport.  Le secrétaire général de la Défense nationale est ainsi chargé de la planification et l’évaluation des mesures à prendre, de la coordination des différents ministères et c’est à lui que revient la responsabilité d’informer le président de la République et le Premier ministre.
Déjà, en 2002, le ministère de la Défense nationale devenait, avec celui de l’Industrie, le principal ministère de tutelle de l’organisme officiel d’expertise (IRSN), à même d’intervenir aussi bien sur les dossiers civils que militaires. Les ministères de la Santé et de l’Environnement étaient relégués au deuxième plan et celui du Travail carrément exclu alors que plus de 200 000 travailleurs sont profession-nellement exposés aux rayonnements ionisants.

Les associations signataires ont choisi de se mobiliser pour défendre le droit de chacun d’être informé sur le nucléaire et ses dangers.
Elles considèrent  qu’un simple arrêté n’a pas la légitimité nécessaire pour restreindre aussi radicalement la liberté d’expression. Ce texte est indigne d’une démocratie. Il doit être abrogé.


Communiqué commun élaboré lors de la réunion Inter-CLI du 4.10.03, à PARIS

L’arrêté ministériel du 24.07.03, publié au JO le 9.08.03, institue le « secret défense » sur les informations qui relèvent du nucléaire civil. Dans le même temps, le gouvernement prétend relancer une loi sur la « transparence et les CLI ». Nous nous demandons quel est le sens de notre participation à des CLI ou CLIS menacées par le « secret défense » et ne pouvant plus analyser de dossiers ni diffuser des informations, pourtant du domaine civil.

Si cet arrêté est mis en application, les CLI et CLIS n’ont plus de raison d’être et ne pourront plus continuer à travailler. En conséquence, notre participation aux CLI et CLIS, en temps que représentants des associations de défense de l’environnement se trouve remise en cause.

En conclusion, nous, associations membres de CLI ou CLIS, estimons que notre participation y est incompatible avec l’existence d’un tel arrêté, nous demandons donc son abrogation.

L’ACRO siège à,
– la Commission Spéciale et Permanente d’Information auprès de l’établissement Cogéma de la Hague (dite “commission Hague”),
– la Commission de Surveillance du Centre de Stockage Manche,
– la Commission Locale d’Information de Penly-Paluel,
– la nouvelle Commission Locale d’Information créée pour l’arsenal de Cherbourg.

Ancien lien

Bilan radioécologique de l’environnement aquatique du bassin versant et de la rade de Brest

Bilan radioécologique de l’environnement aquatique du bassin versant et de la rade de Brest

Prolifération nucléaire

Mis en avant

Texte initialement écrit pour le Dictionnaire des risques paru chez Armand Colin et paru dans l’ACROnique du nucléaire n°63, décembre 2003. Version remise à jour pour l’édition 2007 du dictionnaire.


“On va faire la guerre une bonne dernière fois pour ne plus avoir à la faire. Ce fut l’alibi bien-aimé […] des conquérants de toutes tailles. […] Par malheur, ça n’a jamais marché” note Jean Bacon. En effet, la “civilisation” ou la “démocratie”, selon les époques, prétendument apportées au bout du fusil, n’ont jamais supprimé les conflits. Avec l’arme nucléaire, en exposant l’ennemi potentiel au risque d’une riposte massivement destructrice, a-t-on enfin trouvé définitivement le chemin de la paix ? L’équilibre de la terreur entre les deux grandes puissances aurait ainsi évité une troisième guerre mondiale, mais pas les nombreux petits conflits qui ont ensanglanté la planète. On comprend alors l’attrait que suscite cette arme radicalement nouvelle pour de nombreux pays se sentant menacés : comment oserions-nous la refuser aux pays en voie de développement alors qu’elle est indispensable à notre survie, et ceci d’autant plus, que cela représente de juteux marchés pour le fleuron de notre industrie ? Evidemment, le transfert de technologie sera “pacifique”, les technologies civile et militaire pour se procurer la matière première étant identiques. Tout comme les armes exportées sont qualifiées de “défensives”.

Les motivations pour partager son savoir sont multiples : échange de technologies entre la Corée du Nord et le Pakistan, accès au pétrole irakien ou iranien pour la France, développer en secret des technologies militaires dans un pays tiers pour l’Allemagne ou tout simplement renforcer son camp. Malheureusement, cette prolifération, dite horizontale, ne fait qu’augmenter le risque de voir un conflit régional dégénérer en guerre nucléaire. En effet, aucun pays, pas même les démocraties, n’est à l’abri de l’accession au pouvoir d’une équipe dirigeante peu scrupuleuse.

De fait, pas un pays ne s’est doté d’infrastructures nucléaires sans une arrière-pensée militaire, même si certains, comme la Suisse, le Brésil ou l’Afrique du Sud par exemple, ont officiellement renoncé à l’arme nucléaire. Quarante-quatre pays sont actuellement recensés par le traité d’interdiction des essais nucléaires comme possédant une technologie suffisante pour accéder à l’arme suprême. Personne ne met en doute qu’il suffirait d’un délai de quelques mois à un pays très industrialisé pour disposer, s’il le souhaitait, de l’arme atomique et des moyens de la déployer. L’acharnement du Japon, par exemple, à vouloir développer une filière plutonium et des lanceurs de satellites en dépit de nombreux déboires est lourd de sens à cet égard.

Conceptuellement, il est facile de fabriquer une arme rudimentaire, la difficulté étant d’ordre technologique pour accéder à la matière fissible. Le plutonium issu des réacteurs civils peut faire l’affaire, avec des performances moindres. Les Etats-Unis l’ont testé. Pour un groupe terroriste, qui recherche davantage un impact psychologique et médiatique, c’est suffisant. Mais dans une situation d’équilibre de la terreur, il faut des armes fiables qui n’explosent pas accidentellement et qui, en cas d’attaque, détruisent bien toutes les capacités ennemies à réagir. De telles armes nécessitent de la matière fissile dite de qualité militaire et des développements technologiques poussés. Le risque est déjà grand, avec des armes plus ou moins rudimentaires, de voir des équilibres régionaux se transformer en catastrophe, sans pour autant apporter la paix. Par exemple, le conflit au Cachemire n’a pas cessé avec l’accession de l’Inde et du Pakistan au statut de puissances nucléaires.

Dès 1946, l’Assemblée générale des Nations unies vote la création d’une commission atomique chargée d’éliminer les armes nucléaires et de destruction massive. Depuis, on ne compte plus les tentatives officielles et vœux pieux pour parvenir à un désarmement général. “L’homme se trouve placé devant l’alternative suivante : mettre fin à la course aux armements ou périr” prévient même l’ONU en 1977. Rien n’y fait. La diminution des arsenaux nucléaires des grandes puissances ne doit pas faire illusion. Ce sont des armes qui étaient devenues stratégiquement obsolètes qui ont été démantelées.

Les grandes puissances prennent comme prétexte la menace liée à la prolifération horizontale pour garder des arsenaux conséquents et développer de nouvelles armes, provoquant ainsi une prolifération dite verticale. Mais le tollé mondial provoqué par la reprise des essais nucléaires occidentaux en France en 1995 impose une certaine discrétion. Les programmes nucléaires “civils” permettent d’entretenir une infrastructure industrielle et un savoir faire ; sous couvert d’entretien du stock d’armes, les grandes puissances se sont engagées dans la course à une arme de quatrième génération miniaturisée, utilisable sur le champ de bataille. Elles s’appuient sur la recherche fondamentale qui leur sert d’alibi. Ainsi, par exemple, le laser mégajoule en France met en avant son intérêt pour l’astrophysique : la population se laisse berner et les concurrents avertis peuvent mesurer les progrès réalisés. Mais, le partage de certaines connaissances avec une communauté scientifique non-militaire, nécessaire pour attirer des chercheurs, facilite la prolifération horizontale.

Le développement de ces nouvelles armes est lié à un changement stratégique : avec la fin de la guerre froide, les territoires nationaux ne sont plus directement menacés ; c’est l’accès aux matières premières et ressources énergétiques qui devient primordial. Mais en cas d’utilisation, la frontière qui existe entre les armes classiques et celles de destruction massive risque d’être brouillée et d’entraîner une escalade dans la riposte. Les idéalistes voient là une violation de l’article 6 du traité de non-prolifération : “Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.” Alors que chaque pays jure de sa bonne foi.

Un désarmement complet n’est réalisable que par étapes ; le plus urgent semble être de sortir de l’état d’alerte. Comme au temps de la guerre froide, des milliers d’armes nucléaires américaines et russes peuvent être déclenchées en quelques dizaines de minutes. Un déclenchement accidentel ou suite à une erreur de jugement, entraînant une riposte immédiate, aurait des conséquences effroyables. Cependant, un désarmement complet et sûr impliquerait un renoncement à de nombreuses activités industrielles et de recherche, telles celles qui ont été interdites à l’Irak par le conseil de sécurité de l’ONU après la première guerre du Golfe. Se priver de recherches sur l’atome, surtout quand on a accumulé des déchets nucléaires dont on ne sait que faire, est-ce vraiment souhaitable ? Placer les activités proliférantes sous contrôle international est nécessaire, mais pas suffisant. Les institutions et traités ad hoc ayant montré leur inefficacité depuis la seconde guerre mondiale, de nouveaux mécanismes sont à inventer, parmi lesquels un contrôle citoyen avec la mise en place d’une protection internationale pour les lanceurs d’alerte.

Il n’est pas besoin, comme on le sait, d’armement nucléaire pour tuer massivement. Mais l’attrait pour ces armes de destruction massive est tel qu’il semble impossible d’en freiner la prolifération, malgré le lourd tribut déjà payé par les pays engagés dans la course folle. Outre le coût financier et humain qui aurait pu trouver des utilisations plus pacifiques, la fascination pour cette arme a fait que tout était permis. Partout, des populations – souvent des minorités ethniques et des appelés du contingent – ont été exposées sciemment aux essais nucléaires atmosphériques. Aux Etats-Unis, près 9.000 cobayes humains ont été, à leur insu, victimes d’expérimentations médicales visant à étudier l’influence des radioéléments. Nombre d’entre eux étaient des enfants. En URSS, l’infrastructure nucléaire était construite par des prisonniers des camps de détention spéciaux. L’environnement a aussi été sacrifié et certains sites ne peuvent plus être réhabilités. C’est bien là l’ironie suprême de la course à l’arme nucléaire, qui sous couvert d’apporter la sécurité absolue à chacun, n’aura conduit qu’à réduire la sécurité de tous.

David Boilley

Bibliographie :

  • Dominique Lorentz, Affaires atomiques, Les arènes, 2001
  • Jean Bacon, Les Saigneurs de la guerre : Du commerce des armes, et de leur usage, Les Presses d’aujourd’hui, 1981 et Phébus 2003.
  • Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort ; Histoire des bombes, Serpent à plumes 2002
  • Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales, Eliminer les armes nucléaires ; Est-ce souhaitable ? Est-ce réalisable ?, Transition, 1997
  • André Gsponer et Jean-Pierre Hurni, Fourth generation of nuclear weapons, Technical Report, INESAP, c/o IANUS, Darmstadt University of Technology, D-64289 Darmstadt (mai 1998)
  • Bruno Barrillot, Audit atomique, éd. du CRDPC, 1999.
  • Bruno Barrillot, L’héritage de la bombe, éd. du CRDPC, 2002.
  • Stephen I. Schwartz et al, Atomic audit, Brookings Institution Press mai 1998
  • Eileen Welsome, The Plutonium Files: America’s Secret Medical Experiments in the Cold War, Dial Press 1999
  • Kenzaburô Oé, Notes sur Hiroshima, Gallimard 1996

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L’irradiation et la contamination

Fiche technique parue dans l’ACROnique du nucléaire n°62 de septembre 2003


Lorsqu’on s’intéresse aux rayonnements ionisants et à leurs conséquences sur la santé, il y a deux phénomènes que l’on doit distinguer, ce sont l’irradiation et la contamination. Si le premier est spécifique d’une atteinte extérieure de l’organisme, le second fait référence à une atteinte par voie interne. Les différences entre ces deux processus viennent, d’une part, des rayonnements mis en cause, d’autre part, du type d’effets qu’ils produisent sur l’organisme. Ce sont ces points particuliers qui vont être présentés par la suite.


L’irradiation

 

Définition

L’irradiation est la conséquence directe de l’exposition externe d’un corps (inerte ou vivant) à des rayonnements ionisants (R.I.). Réalisée de façon contrôlée, l’irradiation trouve des applications dans différents secteurs tels que l’industrie agroalimentaire (assainissement et conservation des aliments) ou encore le milieu médical (radioexpositions externes lors des radiographies). Mais lorsque les conditions d’irradiation ne sont plus maîtrisées (accident de transport de source radioactive ou accident de criticité  [1] par exemple) ce phénomène prend une autre ampleur et on le considère essentiellement par rapport à ses effets au niveau biologique et physiologique généralement dus à de fortes doses de rayonnements. Pour des doses plus faibles, de l’ordre de celles induites par l’irradiation naturelle (rayonnements cosmiques, telluriques et radioactivité interne du corps humain) d’une moyenne de 2,4 millisievert par an (2,4 mSv/an, Equivalent de dose efficace), on parle plutôt d’exposition, étant donné la difficulté à établir une relation entre ces rayonnements et d’éventuels effets sur la santé. En ce qui concerne l’utilisation médicale des rayonnements ionisants, on considère que les doses reçues font partie du rayonnement artificiel tolérable c’est à dire qui peut être justifié (dose moyenne d’irradiation due aux activités humaines : 0,9 à 1 mSv/an, dont 0,7 mSv/an dus aux radio-diagnostiques).

Quels sont les rayonnements mis en cause ?

Lors des accidents par irradiation, les rayonnements électromagnétiques (photons gamma et X) sont le plus souvent impliqués, essentiellement parce qu’ils ont une grande distance de parcours dans l’air (plusieurs centaines de mètres pour les hautes énergies). De plus, possédant un certain pouvoir de pénétration, ils peuvent traverser des matériaux qui auraient arrêté les rayonnements alpha ou bêta. Ce pouvoir de pénétration peut ainsi impliquer ces rayonnements électromagnétiques dans des irradiations plus ou moins profondes de l’organisme, en fonction de leur énergie.

Comment s’en protéger ?

La première façon de se protéger des rayonnements ionisants est de s’éloigner de la source. En ce qui concerne le rayonnement alpha et les bêta d’énergie inférieure à 65 keV (Kilo electronVolt), le risque d’irradiation externe n’existe pas car ces rayonnements ne peuvent franchir la couche cornée de la peau ; ils n’irradient ainsi aucun tissu vivant. De plus, n’ayant qu’un faible parcours dans l’air, ils sont naturellement stoppés avant d’atteindre le corps, même pour des distances source-cible de quelques centimètres. Quant aux photons gamma, ils auront une probabilité d’atteindre leur cible d’autant plus faible que celle-ci sera éloignée de la source (l’intensité du rayonnement décroît selon l’inverse du carré de la distance).

La deuxième protection consiste à placer un écran entre soi et la source. Une feuille de papier suffira pour stopper les rayonnements alpha ; les particules bêta seront absorbées par quelques millimètres de verre, de plexiglas ou d’aluminium ; le rayonnement X par quelques millimètres de plomb, mais pour les photons gamma, il est nécessaire d’interposer au moins plusieurs centimètres (voire quelques dizaines de cm) de matériaux à densité élevée (plomb, béton, uranium appauvri) afin d’atténuer efficacement le rayonnement. Un exemple de ce type de protection existe dans les services hospitaliers de radiologie dans lesquels le personnel manipulant est protégé par des tabliers et des vitres de  plomb.

Quelles peuvent être les conséquences d’une irradiation ?

Les premiers effets des rayonnements ionisants (R.I.) sur la matière vivante sont dits non stochastiques ou précoces. Ils apparaissent toujours (effets obligatoires) à partir d’une dose seuil  [2] au-delà de laquelle, la gravité de l’effet est proportionnelle à la dose. Parfois, une réversibilité est possible si les lésions ne sont pas trop importantes.
Les rayonnements électromagnétiques (X et gamma) qui sont par nature peu ionisants (c’est à dire qu’ils ne délivrent pas toute leur énergie aux cellules qu’ils rencontrent) peuvent néanmoins être à l’origine de lésions relativement importantes. Ces lésions, qui dépendent de la dose reçue, dépendent également de l’étendue de l’irradiation. Parmi les victimes, on distingue ainsi généralement celles ayant subi une irradiation localisée à dose élevée de celles ayant subi une irradiation corporelle globale.

L’irradiation localisée : elle est le plus souvent due à la « prise en main » d’une source radioactive qui, suite à un égarement, est ramassée (irradiation de la main) puis mise dans une poche (irradiation de la cuisse ou de la partie du corps la plus proche).
Le premier effet visible s’apparente à une brûlure de la peau (érythème) accompagnée de nausées, puis successivement avec l’augmentation de la dose on observe une épidermite sèche (inflammation de la peau), une épidermite exsudative (suintement pathologique), jusqu’à la nécrose des tissus pour des doses extrêmement fortes (plusieurs dizaines de grays, Gy). Si dans ce dernier cas, heureusement rare et généralement observé pour des accidents de « contact », l’amputation est parfois inévitable, les traitements les plus couramment effectués s’assimilent à ceux, classiques, des brûlures du second degré.
En ce qui concerne l’observation des premiers symptômes, le temps nécessaire à leur apparition est de quelques heures dans le cas des très fortes doses, alors qu’un retard (faussement rassurant) a lieu dans la plupart des cas.

L’irradiation corporelle globale : il peut s’agir de l’exposition accidentelle à une source radioactive, mais les cas les plus flagrants, ayant permis de mieux connaître la symptomatologie, restent l’accident de Tchernobyl et les explosions atomiques japonaises.
Les signes cliniques précurseurs que sont nausées, vomissements, céphalées, douleurs parotidiennes (glandes salivaires), sécheresse buccale et diarrhées, deviennent persistants avec des doses de plus en plus fortes (4 à 6 Gy). Pour des doses dépassant 10 Gy, le pronostic vital est généralement très réduit.
Dans le cas de doses non létales, le principal problème est d’ordre hématologique. La numération régulière de la formule sanguine permet généralement de suivre la décroissance des lymphocytes (globules blancs), suivie après plusieurs jours, de la chute des plaquettes, entre autres. Des aberrations chromosomiques peuvent également être observées par l’intermédiaire d’un caryotype réalisé à partir des lymphocytes, leur nombre étant fonction de la dose.

Cette étude des effets biologiques des R.I., appelée dosimétrie biologique, qui cherche à préciser les conditions d’irradiation (dose reçue et volume réellement irradié, notamment vis-à-vis de la protection de la moelle osseuse), constitue un examen d’autant plus important que la personne irradiée ne portait pas de dosimètre.

Les traitements appliqués pour des doses reçues ne permettant pas la réversibilité spontanée de la chute des lymphocytes par exemple sont généralement des transfusions de plaquettes ou de leucocytes  [3]. L’utilisation de facteurs de croissance hématopoïétiques peut aider au redémarrage des cellules de moelle osseuse et dans certains cas, des greffes de moelle peuvent être pratiquées.

Ceci nous amène donc à classer certains tissus en fonction de leur sensibilité vis-à-vis des rayonnements ionisants. D’une manière générale, les tissus à renouvellement rapide (divisions cellulaires nombreuses) sont les plus sensibles aux radiations et les effets produits sont alors précoces. Sont classés selon leur radiosensibilité décroissante les tissus suivants :

  • les tissus embryonnaires
  • les organes hématopoïétiques [4]
  • les gonades
  • l’épiderme
  • la muqueuse intestinale
  • le tissu conjonctif
  • le tissu musculaire
  • le tissu nerveux
+ radiosensibles
triangle
– radiosensibles

Au niveau des gonades, des stérilités temporaires ou permanentes à partir de certaines doses peuvent être observées. Chez l’embryon ou le fœtus, c’est le stade du développement qui conditionne les effets, à savoir que la radiosensibilité est maximale entre le 9ème et le 60ème jour. Les conséquences possibles sont la mort intra-utérine, l’apparition de malformations ou encore la mort néo-natale et post-natale. Passé le 60ème jour (croissance fœtale), ce sont des malformations nerveuses ou encore des cancers qui peuvent être ainsi induits.Après avoir vu les effets précoces d’une irradiation sur l’organisme, il convient de s’arrêter sur un deuxième type d’effets qui sont appelés stochastiques ou aléatoires. Ces effets se manifestent longtemps après l’irradiation (plusieurs années) et peuvent être causés soit par une irradiation aiguë soit par une exposition chronique à de faibles doses d’irradiation. Leur apparition chez un individu est d’autant moins probable que le niveau d’irradiation est faible, aussi n’apparaissent-ils pas systématiquement chez toutes les personnes irradiées.
Parmi ces effets, les cancers représentent certainement les conséquences les plus importantes de l’action des rayonnements ionisants et, dans une moindre mesure, l’apparition d’anomalies génétiques. Ces dernières résultent des lésions induites sur les chromosomes (ADN) de la lignée germinale (irradiation des gonades) pouvant entraîner des anomalies dans la descendance de l’individu irradié. Lorsque la molécule d’ADN est touchée, ceci engendre généralement des mutations qui peuvent apparaître dans les cellules-filles lors de la division cellulaire. Toutefois, il existe certains agents de protection comme les vitamines E et C, ainsi que des mécanismes de réparation de l’ADN, de même qu’il existe des systèmes de réparation cellulaire et tissulaire.En ce qui concerne le risque de développer un cancer ou d’être touché par une mutation génétique suite à une irradiation, celui-ci reste très délicat à évaluer, d’autant qu’il n’y a aucune forme de cancer spécifique des rayonnements ionisants et que l’étude de l’effet des faibles doses est loin d’être achevée.

La contamination

Définition

Comme l’irradiation, la contamination n’est pas un terme spécifique au corps humain et s’applique également à l’environnement : elle représente la présence d’une substance radioactive dans un milieu ou au contact d’une matière où elle est indésirable.
Concernant l’être humain, on parle de contamination lorsqu’un individu entre en contact direct avec une source radioactive et ce, de deux manières différentes, mais parfois simultanées :

  • par dépôt de substances radioactives (poussières) au niveau de l’épiderme ou des cheveux : c’est la contamination externe
  • par incorporation d’éléments radioactifs à l’intérieur de l’organisme : c’est la contamination interne. Les principales voies de pénétration sont :
    • la voie respiratoire
    • la voie directe par blessure
    • la voie digestive
    • la voie transcutanée

Une fois le dépôt effectué, la deuxième étape de la contamination correspond au transit du contaminant, depuis l’entrée (poumons, plaie, tube digestif) vers le sang. On comprend alors que les deux premières voies d’entrée sont les plus dangereuses et le plus souvent impliquées dans les accidents de contamination (importante vascularisation des bronchioles).
Vient ensuite l’intégration du contaminant dans le métabolisme : l’organisme va l’utiliser dans différents organes, dits critiques, de la même manière que ses homologues non radioactifs. Par exemple, la thyroïde fixe indifféremment l’iode stable ou l’iode radioactif. Parfois, c’est un autre élément qui est fixé à cause de la similitude de ses propriétés. C’est le cas du squelette qui fixe le strontium de la même manière que le calcium. On dit alors que le strontium est un mimétique du calcium. Parfois encore, il n’y a pas d’organe cible et l’élément diffuse dans tout le corps : c’est le cas du césium qui peut être fixé préférentiellement au potassium et se retrouver dans tous les muscles.

Lorsque la quantité de radionucléides incorporée est importante, on se comporte alors comme une véritable source et on émet des rayonnements sur notre entourage.

D’une manière générale, les accidents de contamination radioactive sont dus à une contamination préalable de l’environnement : habitations, sols et aliments comme dans les régions autour de Tchernobyl (Ukraine et Bélarus) ou au Brésil (Goiania-1987) où une source de radiothérapie de 50 TBq de césium 137 a été dispersée et a contaminé l’environnement et 100 000 personnes.

Irradiation interne

L’irradiation interne accompagne souvent la contamination et ce, à cause des corps radioactifs ingérés ou inhalés qui irradient de l’intérieur les organes sur lesquels ils se sont temporairement fixés. L’irradiation des tissus, qu’elle soit interne ou externe, produit le même type d’effets. En revanche, les rayonnements considérés comme les plus dangereux, ne sont plus les X et les gamma, mais les rayonnements dits particulaires. Les rayonnements particulaires (alpha et bêta) possèdent un pouvoir d’ionisation (Transfert d’Energie Linéique) plus élevé que celui des rayonnements électromagnétiques, aussi délivrent-ils de façon certaine toute leur énergie dans la matière qu’ils rencontrent et qui les arrête. En dosimétrie, la dose équivalente H (en Sievert, Sv) dépend directement de la nature du rayonnement puisque son calcul consiste en la multiplication de la dose absorbée (en Gray, Gy) par un facteur de pondération (Wr) caractéristique du rayonnement :

H(Sv) = D(Gy) * Wr

Wr est égal à 1 pour les bêta, gamma et X, alors qu’il est de 20 pour les alphas. Cela signifie que, pour une même énergie, le rayonnement  a est 20 fois plus radiotoxique que les autres.

Par exemple, dans le cas des isotopes gazeux du radon (radon 222 et radon 220), inhalés avec l’air ambiant, ce sont surtout les descendants, émetteurs alpha à vie courte (polonium 218, polonium 214 et bismuth 212), qui vont causer des dégâts aux cellules et qui peuvent, à terme, être la cause du développement d’un cancer du poumon. On estime les doses annuelles moyennes dues à l’inhalation des radon 222 et radon 220 et à leurs descendants à 60 et 10 µSv respectivement.

Conséquences

En ce qui concerne l’irradiation interne, les conséquences sont du même type que lors d’une irradiation externe, c’est-à-dire qu’il peut y avoir des effets au niveau cellulaire, tissulaire ou génétique. Ils peuvent se déclarer rapidement ou tardivement (cancérogènes), essentiellement en fonction de la dose et, mis à part dans les cas extrêmes comme à Goiania en 1987, on meurt rarement des suites d’une incorporation de radionucléides.
La différence avec l’irradiation réside dans la localisation des effets. En cas de contamination interne, il est possible de connaître la zone touchée si l’on connaît le radionucléide incorporé (fixation préférentielle). Les dégâts seront alors souvent localisés, au niveau d’un organe ou des tissus voisins. Enfin, à la différence de l’irradiation externe, souvent de courte durée, une contamination entraîne généralement une irradiation interne des tissus pendant un temps beaucoup plus long. Ce temps sera déterminé entre autres par deux facteurs : la période physique et la période biologique de l’élément incorporé (cf § suivant).

A la différence d’une source radioactive qui se trouve à distance d’un corps et contre les rayonnements de laquelle on peut se protéger, on voit qu’en cas de contamination interne, aucune protection n’est possible, puisqu’on est porteur de la source. Il existe pourtant des moyens de faire diminuer cette contamination, en éliminant directement la source qui continue d’émettre. Ces processus de décontamination n‘ont qu’une efficacité limitée, surtout devant des accidents de grande ampleur.

Décontamination

Lorsque la contamination est externe, on procède par lavages successifs de la zone touchée mais plus généralement du corps entier (douches). Si des poussières sont en cause, des adhésifs sont parfois utilisés pour récupérer les contaminants, dans les deux cas, les eaux de lavage comme les produits utilisés doivent être gérés comme des déchets radioactifs.
Lorsque la contamination est interne, le but est de faire migrer les particules radioactives vers les voies d’élimination naturelles. L’efficacité des traitements va surtout dépendre de la précocité de l’intervention mais également des propriétés du contaminant.
On sait que chaque radionucléide se désintègre au cours d’un période radioactive qui lui est propre. Beaucoup d’entre eux ont des périodes trop longues pour ne compter que sur le temps pour que l’activité disparaisse. De plus, dans le corps humain, chaque radionucléide possède une période biologique  [5]. Par la combinaison de ces deux facteurs (période physique et biologique), on peut définir la période effective, comme le temps au bout duquel la quantité de contaminant dans l’organisme est divisée par deux. Te = (Tb*Tp)/(Tb+Tp)

Te : période effective ; Tb : période biologique ; Tp : période physique.

Exemples :

période radioactive période biologique période effective
iode 131
8 jours
30 jours (thyroïde)
6,3 jours
plutonium 239
24000 ans
100 ans (os)
~100 ans

Dans le cas particulier de la médecine nucléaire où des sources de radionucléides sont injectées à des patients après l’intervention, on cherche à forcer l’élimination par les voies naturelles. Ainsi, après une scintigraphie thyroïdienne pour laquelle on aura reçu 20 MBq de Technétium 99m, il faudra boire beaucoup d’eau pour que l’élimination par les voies urinaires soit la plus rapide possible. On limitera également le temps de contact avec l’entourage, pendant lequel on peut représenter un danger, surtout auprès des enfants.Enfin, on peut noter l’existence, pour certains radionucléides particuliers, de traitements médicaux plus poussés, dont le principe est de déloger le radionucléide de l’emplacement où il s’est fixé : on nomme ceci la décorporation. On peut citer par exemple comme agent décorporant, le Bleu de Prusse, qui a été utilisé suite à l’accident de Goiania au Brésil en 1987 et qui a permis d’éliminer notablement le césium des personnes contaminées.GLOSSAIRE :

  • Activité : Nombre de transformations nucléaires spontanées qui se produisent dans une quantité d’un radionucléide pendant, un certain temps. Dans le système international, l’unité d’activité d’une source radioactive est le  becquerel (unité standard de mesure de la radioactivité équivalent à une désintégration par seconde).
  • Dose absorbée : Quantité d’énergie absorbée par la matière vivante ou inerte et par unité de masse. L’unité de dose absorbée est le gray : dose absorbée dans une masse de matière de 1 kilogramme à laquelle les rayonnements ionisants communiquent en moyenne, de façon uniforme, une énergie de 1 joule.
  • Dose efficace : Pour les besoins de la radioprotection on définit une grandeur appelée dose efficace qui essaie de tenir compte, chez l’homme, des dommages radiologiques occasionnés. Une même dose de rayonnement ne provoque pas les mêmes dommages suivant qu’il s’agit d’irradiation ou de contamination, suivant le type de rayonnement (alpha, bêta ou gamma) et enfin suivant la nature des tissus touchés. L’unité est le sievert (pour les rayonnements gamma et beta, Wr =1) ; La réglementation européenne fixe une limite annuelle d’exposition de 1mSv/an pour le public ; cette limite a été transposée en droit national en mars 2001.

[1]  Criticité : conditions dans lesquelles un système est capable d’entretenir une réaction en chaîne.
[2] 0.7 sievert délivrés en une seule fois : dose seuil au-delà de laquelle l’apparition d’un effet précoce est certaine.
[3] Leucocytes : terme général désignant les globules blancs, parmi lesquels on trouve les lymphocytes.
[4] A l’origine des cellules sanguines.
[5] Temps au bout duquel l’organisme élimine la moitié de la radioactivité incorporée.

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Des nouvelles de la commission Tchernobyl

Article paru dans l’ACROnique du nucléaire 61 de juin 2003


Ce groupe de travail a été constitué à la demande du Ministre de l’Environnement et du Ministre de la santé du précédent gouvernement et confirmé par le gouvernement actuel. “Sa mission est d’établir une cartographie de la contamination du territoire français suite à l’accident de Tchernobyl, d’étudier la modélisation de la contamination du territoire en 1986 et d’essayer d’en déduire les doses et les risques correspondants avec une appréciation sur les incertitudes de cette étude”. Après des discussions et un vote du Conseil d’Administration (CA), l’ACRO a finalement décidé de répondre favorablement à la demande du professeur Aurengo de participer à ce groupe de travail.Le débat au sein de l’association, long de près d’un an, a été riche. Inspiré par les enseignements tirés de notre participation au Groupe Radioécologique Nord Cotentin, les positions étaient diverses. Pour finir une majorité en faveur d’une participation s’est dégagée : l’Acro étant née à la suite de la catastrophe de Tchernobyl, un refus paraissait aberrant. Même si nous avions été choqués par l’exploitation médiatique faite autour des conclusions du GRNC, nous ne voulions pas faire de procès d’intention à cette nouvelle commission et voulions croire à sa “bonne foi”. Sans se faire trop d’illusions, il ne faut pas pécher par naïveté devant les intentions de nos dirigeants. Participer permet, également, de rester en contact avec les sources d’information et de la retransmettre. Par ailleurs, les conditions de la présence de l’Acro ont été clairement posées en CA : prudence quant à la nature et au sérieux du travail demandé, départ immédiat si le rapport aux ministres devait être établi dans les six mois. Toutes les réserves exprimées en CA ont été relayées lors de la première réunion de la commission, de fait, il a été clairement stipulé dans le premier compte-rendu : “[…] qu’il ne sera probablement pas possible de répondre à toutes les questions posées et qu’il sera nécessaire d’élaborer un cahier des charges précis de l’activité du groupe, en expliquant clairement pourquoi certaines questions resteront sans réponse. Qu’il apparaît difficile voire impossible de balayer l’ensemble des questions relatives à l’accident de Tchernobyl en France, de la contamination aux éventuelles conséquences sanitaires en six mois. Le groupe a décidé de procéder étape par étape, avec des rapports intermédiaires, sans avoir l’objectif irréaliste de traiter toutes les questions trop rapidement […]”. Nous vous tiendrons informés des activités de cette commission dès qu’elle aura avancé ses travaux…

La participation aux commissions, une question de fond dans la mouvance associative. Le débat sur la participation aux commissions ne se fait pas qu’à l’intérieur d’une association, c’est une question de fond dans la mouvance associative. Lors d’un contact avec l’association des malades de la thyroïde nous avions été confortés dans notre décision de participer, même si cette association refusait de faire partie du groupe de travail sur Tchernobyl, elle nous conseillait d’y aller.

Du débat à la querelle publique…

Par contre nous avons été profondément choqués par l’attitude de la CRIIRAD : celle-ci ne veut pas participer à cette commission, nous reconnaissons son droit le plus strict à être le seul maître de ses choix. A l’ACRO nous déplorons seulement que le seul travail de contre-expertise d’envergure ne soit pas présenté par l’association maître d’œuvre. En revanche nous n’acceptons pas son attitude envers notre association. En effet, dans le courrier que la Criirad a adressé à tous les membres de la “commission Tchernobyl” nous avons été pris à partie de façon inacceptable. Les propos tenus sont insultants et mensongers. Nous regrettons profondément que dans le domaine associatif certains se trompent d’ennemis et ainsi, en faisant les “choux gras” d’un certain nombre de nucléocrates, contribuent à décrédibiliser une action associative. Refuser la diversité des points de vue est une attitude profondément intolérante, qui aurait plutôt pour effet de stériliser le débat et non de l’enrichir. Pour vous faire votre propre avis, vous trouverez à la suite,l’extrait de la lettre envoyée par la Criirad au groupe de travail sur Tchernobyl qui nous met en cause, puis notre réponse.

Extrait de la lettre de la Directrice de la CRIIRAD

en date du 05 mars 2003

 (la lettre complete est maintenant disponible sur le site Internet de la CRII-Rad)

à l’attention du Pr AURENGO et des membres du groupe de travail sur l’impact de Tchernobyl en France

[…] Par ailleurs, nous avons noté que 2 membres de l’ACRO font partie du groupe de travail. Compte tenu des problèmes rencontrés dans le passé (1),il nous paraît utile de dissiper les malentendus qui pourrait surgir, notamment lors de la communication des conclusions de vos travaux. L’ACRO ne représente ni le milieu associatif, ni les “laboratoires indépendants”. Par ailleurs, qu’il s’agisse de Tchernobyl ou de la finalité d’un laboratoire indépendant, la CRIIRAD est en désaccord avec les positions défendues par l’ACRO (notamment celles qui sont présentées en introduction de l’article publié dans la revue de la DGSNR(2)).

J’espère que ce courrier pourra vous éclairer sur notre position et que les décisions que vous prendrez. Dans tous les cas nous suivrons avec intérêt vos travaux et nous ne manquerons pas d’en étudier les conclusions.

Pour la CRIIRAD
La directrice
Corinne Castagnier

(1) Cf. notamment : 1. signature des conclusions du groupe radioécologie nord-Cotentin (GRNC). La CRIIRAD a refuser de le faire, étant en désaccord sur le fond. Cela n’a pas empêché la Cogéma de communiquer sur l’unanimité des conclusions, en insistant sur la présence du milieu associatif ;
2. l’avis favorable donné par un collège de 5 experts (donc 1 responsable de l’ACRO) sur la recevabilité du dossier établi par la Cogéma pour ses installations de La Hague. Là encore, la signature de l ACRO a été utilisé par le gouvernement et les services officiels pour souligner les progrès démocratiques liés à la participation du milieu associatif (alors que la conséquence concrète de cet avis favorable a été de priver la population de l’enquête publique à laquelle elle avait droit).

(2) “la surveillance de l’environnement exercée par une association indépendante : l’ACRO” ; Revue Contrôle n°149. novembre 2002.

 

Lettre Ouverte au Conseil d’administration de la CRIIRAD

 

Nous avons pris connaissance de la lettre envoyée par la Directrice de la CRIIRAD aux membres du groupe de travail sur l’impact de Tchernobyl en France, présidé par le Pr Aurengo. Il y est consacré un paragraphe à l’ACRO (reproduit in extenso in fine) qui a attiré notre attention et mérite clarification.

1 L’ACRO n’a jamais eu la prétention de représenter le milieu associatif, les “laboratoires indépendants”, ou la CRIIRAD. Il va sans dire que nous ne sommes en rien responsables des expressions employées par les services officiels ou les exploitants à la suite des travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (GRNC). Nous vous rappelons que, suite à la manipulation médiatique qui a précédé la présentation des résultats du GRNC (mission 1), l’ACRO a réagi immédiatement avec la démission de son représentant au Comité plénier. En revanche, quand nous présentons ces résultats, nous prenons soin de préciser que la CRIIRAD n’était pas signataire des conclusions (Voir l’ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999). Nous vous prions de noter que nous avons aussi publié les réserves du GSIEN qui était signataire, comme l’ACRO.

2 Concernant l’enquête publique Cogéma qui a suivi, nous ne comprenons pas votre remarque, puisque l’enquête a bien eu lieu. Mieux, à la demande de plusieurs associations (dont l’ACRO) au sein de la CSPI, la durée de l’enquête a été prolongée de 2 mois par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire). Nous sommes d’autant plus étonnés de votre remarque que la CRIIRAD s’est vue remettre un exemplaire du dossier soumis à la population. Nous avons, quant à nous, publié une étude très critique de ce dossier (voir l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000 ; rapport également disponible sur notre site internet) qui a été remis à la commission d’enquête. Nous avons eu l’occasion de revenir plusieurs fois sur les conséquences de cette enquête (voir nos communiqués de presse). Ce n’est pas parce que la CRIIRAD a choisi de ne pas y participer que l’enquête publique n’a pas eu lieu.

3 Vous renouvelez votre critique vis à vis du “Groupe d’experts sur la recevabilité” que vous aviez exprimé lors de cette enquête publique indiquant que les experts (dont le conseiller scientifique de l’ACRO) “auront à rendre des comptes”. Bien que le Groupe ait pris le soin de mentionner dans sa conclusion que “la recevabilité ne doit pas être confondue avec l’acceptabilité” et d’expliciter son rôle qui n’était en rien de se substituer à la consultation de l’opinion publique, vous continuez à entretenir cette confusion en des termes qui nous laissent penser que vous avez dû faire une lecture pour le moins rapide du rapport du Groupe d’experts mais aussi du dossier versé par l’ACRO à l’enquête publique.

4 Enfin, vous affirmez être en désaccord avec nos positions. Notre parole n’engage que nous, comme nous ne nous considérons pas engagés par vos positions. Pour autant, vous noterez que l’ACRO mentionne toujours dans ses interventions (i.e. Contrôle n°149) que des laboratoires indépendants sont nés à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. La CRIIRAD n’a pas le monopole du statut de “laboratoire indépendant”. Vous semblez le déplorer. Nous pensons que c’est une richesse qu’il puisse y avoir en France deux laboratoires indépendants avec deux approches différentes. Nous respectons votre choix de ne pas participer aux instances de concertation, nous vous prions de respecter le nôtre. Ne vous trompez pas de combat.

Le Conseil d’Administration de l’ACRO

Ancien Lien

Deuxième mission du Groupe Radio-écologie Nord-Cotentin

Le calcul d’incertitude

David Boilley, représentant de l’ACRO dans ce goupe de travail, ACROnique du nucléaire n°60, mars 2003


Dans la première phase de ses travaux, le Groupe Radioécologie Nord Cotentin (GRNC) avait estimé le nombre de cas de leucémie chez les jeunes de 0 à 24 ans vivant dans le canton de Beaumont-Hague attribuables aux rejets radioactifs des installations nucléaires et avait obtenu 0,002 cas environ pour la période 1978-1996 et la population considérée (Voir l’ACROnique du nucléaire n°47 de décembre 1999). Dans ces commentaires, l’ACRO avait tenu à souligner que « Notre principale réserve porte sur la démarche ” réaliste ” retenue par le Comité pour la reconstitution des doses reçues par la cohorte et le risque qui en découle. Nous continuons à penser qu’en matière de radioprotection, toute évaluation d’impact sanitaire doit être menée de façon conservatrice car en l’absence de la mesure précise de l’incertitude liée au calcul ” réaliste “, seul la démarche ” enveloppe ” garanti qu’elle contient la vraie valeur de l’impact. » C’est à dire, quand il y a plusieurs valeurs possibles pour un paramètre, on prend la valeur la plus pénalisante. Si le risque calculé est satisfaisant, alors le risque réel, forcément inférieur, le sera aussi.

En effet, le calcul repose sur de très nombreux paramètres théoriques mal maîtrisés : quelle est la quantité rejetée en mer par an, quel est le taux de concentration de chacun des 71 radio-éléments dans les poissons, mollusques…, quel est le régime alimentaire de la population locale ? Parfois, ces paramètres reposent sur des longues séries de mesures locales qui permettent d’avoir confiance. Dans d’autres cas, le choix s’est fait de manière arbitraire en choisissant une valeur plutôt qu’une autre relevée dans la littérature scientifique internationale. Le résultat de la première phase des travaux du GRNC correspond à la meilleure estimation possible en l’état des connaissances.

Ne nous sommes pas trompes dans le calcul ? Quel aurait été le résultat si on avait choisi un autre jeu de paramètres ? C’est dans le but de répondre à ces questions qu’un groupe de travail a conduit une « analyse de sensibilité et d’incertitude sur le risque de leucémie attribuable aux installations nucléaires du Nord-Cotentin » (Le rapport sera disponible en ligne à http://www.irsn.fr/nord-cotentin). Un représentant de l’ACRO a participé aux travaux, mais n’a pas signé le rapport.

« Un groupe de travail (GT) de l’IPSN sur les incertitudes a été mis en place dès janvier 2000. […] Le 24 juillet 2000, le Ministre délégué à la Santé et la Ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement ont adressé une lettre de mission au GRNC lui demandant de réaliser une analyse de sensibilité et d’incertitude portant sur les paramètres principaux de l’estimation du risque de leucémie attribuable aux installations nucléaires du Nord-Cotentin. En octobre 2000, le groupe de travail a donc été placé sous l’autorité du GRNC et élargi à des experts extérieurs à l’IPSN (associatifs, exploitants, institutionnels). » (Les citations sont extraites du rapport du groupe de travail). Lorsque l’ACRO a été invitée à participer, les travaux de ce groupe de travail étaient déjà bien avancés et il n’a pas été possible de revenir sur certains choix faits en interne.

« Dans cette étude, les sources d’incertitude considérées par le GT « Incertitudes », conformément à sa mission, sont celles relatives aux paramètres. En conséquence, les modèles ne sont pas remis en cause. Une fois quantifiées les incertitudes de chacun de ces paramètres, il faut examiner comment elles se combinent pour produire l’incertitude sur le risque. » Ce choix limite énormément la portée de l’étude car le modèle de dispersion atmosphérique utilisé est notoirement faux. L’analyse par l’ACRO des incidents ruthénium est venue le confirmer. Cependant, faute de meilleur modèle, il n’est pas possible à l’heure actuelle de faire mieux.

« Le grand nombre de paramètres intervenant dans la procédure de calcul du risque collectif (plusieurs milliers), exclut que l’incertitude soit évaluée pour chacun d’entre eux. Le GT « Incertitudes » a donc dû limiter le champ de l’étude et identifier les paramètres prépondérants pour lesquels l’incertitude devra être précisée. La démarche requiert plusieurs étapes :

  • délimiter le champ de l’étude par rapport à celui couvert dans la première mission du GRNC, par exemple en se limitant aux rejets de routine des installations nucléaires,
  • identifier ensuite les paramètres prépondérants (paramètres relatifs aux rejets, au mode de vie, paramètres de transfert, …) dans le calcul du risque collectif. A partir du travail réalisé par le GRNC lors de sa première mission, le GT « Incertitudes » doit identifier les radionucléides prépondérants pour lesquels il est nécessaire de déterminer l’incertitude qui leur est associée parmi l’ensemble des radionucléides (32 dans les rejets gazeux et 71 dans les rejets liquides),
  • déterminer pour chaque paramètre sa gamme de variation et réaliser une analyse de sensibilité. »

Délimitation du champ de l’étude

Population ciblée : la cohorte, c’est à dire l’ensemble des jeunes de 0 à 24 ans ayant vécu dans le canton de Beaumont-Hague entre 1978 et 1996. « Par définition de la cohorte, les individus qui la constituent ne présentent pas de modes de vie particuliers. En ce sens, ils sont considérés comme des individus « moyens » au sein de leur classe d’âge. »

« L’étude présente ne traite que du risque collectif de leucémie ex utero associé aux rejets de routine des installations industrielles nucléaires du Nord-Cotentin (0,0009 cas sur la période considérée). L’incertitude sur la contribution au risque collectif des incidents et accidents des installations nucléaires (notamment le percement de la conduite de rejet en mer survenu en 1979-1980 et l’incendie du silo de déchets du 6 janvier 1981, pour l’usine de retraitement de La Hague) n’a pas été considérée. » Cette limitation est conséquente car seuls 45% du risque sont donc pris en compte par l’étude, les « incidents » ayant une part non négligeable. Par ailleurs, « l’incertitude sur le risque in utero n’est pas considérée dans ce travail. Dans son rapport, le GRNC avait souligné le caractère provisoire des modélisations utilisées pour le calcul du risque in utero [GRNC, 1999]. Il faudra donc vraisemblablement revenir sur l’évaluation effectuée avant d’envisager une étude d’incertitude sur ce point. »

« Les coefficients de dose permettent de passer des activités présentes dans l’environnement ou dans les produits alimentaires aux doses. » Ce sont donc les paramètres les moins bien connus car ils permettent de quantifier les effets des radiations sur la santé.  « Pour les calculs de dose et de risque, le GRNC a utilisé des modèles basés sur les meilleures connaissances scientifiques, adoptés au plan international et donnant lieu à des analyses critiques et à des évolutions en fonction des nouvelles connaissances acquises. Il n’entrait pas dans le cadre de la mission du GRNC de les remettre en cause. Il faut souligner également que les valeurs fournies dans la littérature internationale ne sont pas accompagnées d’incertitudes » Ces coefficients ne varieront pas, c’est le domaine réservé des experts de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique dont les recommandations servent à définir les règles de radioprotection).

« Une prise en compte rigoureuse des filiations radioactives nécessiterait une étude à part entière. A ce stade, les filiations radioactives ne sont pas prises en compte. » Le modèle d’exposition aux embruns a été fixé car son application au site de La Hague est douteuse. Faire varier ses paramètres aurait pu laisser entendre qu’on lui accordait une certaine confiance. Enfin, la granulométrie des aérosols a été fixée.

A l’exception des embruns, tous ces choix étaient fixés quand le GT a été ouvert aux représentants associatifs et il n’a pas été possible de revenir dessus.

Méthodologie

« La sélection des paramètres prépondérants a été effectuée en examinant les différentes étapes du transfert jusqu’à l’homme. » On appelle « voie d’atteinte » le chemin d’un élément depuis l’exutoire jusqu’à l’homme. Par exemple, « l’ingestion de produits marins contaminés » ou « l’inhalation de rejets gazeux ». 16 voies d’atteintes sont prises en compte par le GRNC. « Un radionucléide au sein d’une voie d’atteinte est considéré comme prépondérant si sa contribution au risque collectif est supérieure à 0,5 % ou en absolu supérieure à 4,5.10-6. Ce seuil de 0,5 % permet d’éviter une perte importante en termes de risque collectif quand on somme les contributions au risque collectif des radionucléides ainsi retenus. Au sens de ce critère, seuls 23 radionucléides restent à considérer. Ils contribuent, toutes voies d’atteinte confondues, à 95 % du risque collectif. Un paramètre de transfert ou un paramètre mode de vie au sein d’une voie d’atteinte est considéré comme prépondérant si sa contribution au risque collectif est supérieure à 0,15 % ou en absolu supérieure à 1,5.10-6. »

Une fois ces paramètres prépondérants déterminés, il a fallu pour chacun d’entre eux estimer l’intervalle de variation et la probabilité d’obtenir une valeur donnée. Cela a constitué l’essentiel des discussions lors des réunions de travail. Dans certains cas, de longues séries de mesures permettent d’estimer de manière assez fiable cet intervalle. Dans d’autres cas, le choix est purement arbitraire. Pour les régimes alimentaires, par exemple, la consommation moyenne a été multipliée par deux pour obtenir le maximum et divisée par deux pour obtenir le minimum. Cela s’appelle un « jugement d’expert » !

Analyse d’incertitude

Comment les incertitudes sur chacun des paramètres se combinent-elles pour donner l’intervalle de variation du risque total ? Il y a plusieurs méthodes de calcul possibles. L’IRSN en a considéré trois, sans que cela soit vraiment discuté dans le groupe de travail.

Méthode probabiliste : chaque paramètre incertain est tiré aléatoirement dans l’intervalle qui lui est assigné, puis un calcul de risque est effectué. L’opération est renouvelée 1000 fois pour obtenir l’intervalle de variation du risque. Cette méthode, dite de Monte-Carlo, a l’avantage d’être très simple à mettre en œuvre et conduit à un « intervalle de valeurs comprises entre 1,1 et 2,7 fois le risque de référence (soit 0,001 à 0,0024 cas de leucémie) ». Ce résultat est beaucoup plus étroit que l’incertitude des paramètres pris individuellement, ce qui peut surprendre. Cela est dû à la méthode de calcul utilisée. Pour comprendre, prenons le cas des dés : il est difficile de tirer deux six de suite. La probabilité d’en tirer une dizaine de suite est excessivement faible. C’est pareil ici. Si on combine dix paramètres tirés aléatoirement, on aura à peu près autant de valeurs élevées que de valeurs faibles pour un résultat global très moyen. L’étroitesse du résultat est donc due au grand nombre de paramètres qui entrent en jeu dans le calcul de risque. Par cette méthode, il est impossible d’aller explorer des situations extrêmes.

Méthode possibiliste : « Le principe de la méthode « possibiliste » est de décomposer le risque en composants élémentaires. Ceux-ci sont définis comme étant la contribution au risque par classe d’âge, par voie d’atteinte, et éventuellement par produit alimentaire. » Les risques de chaque élément s’ajoutent et ne se combinent pas comme précédemment. Le risque maximum (ou minimum) de chaque élément est additionné pour obtenir le risque maximum (ou minimum) global. Il est en effet raisonnable de penser que l’erreur sur l’atteinte due à l’ingestion de produits marins ne vienne pas compenser l’erreur sur l’atteinte due à l’ingestion de produits laitiers par exemple. « L’incertitude sur chacun de ces 115 composants élémentaires est évaluée par la méthode « probabiliste » de Monte-Carlo. » En effet, l’incertitude sur la concentration en radio-éléments à l’intérieur d’un produit marin n’a rien avoir avec l’incertitude sur le régime alimentaire du consommateur. Cette méthode « possibiliste, conduit à un intervalle de valeurs comprises entre 0,4 et 5 fois le risque de référence (soit 0,0004 à 0,0045 cas de leucémie) » qui est plus large que pour la méthode probabiliste.

Méthode maximaliste : chaque paramètre est fixé à son maximum (ou à son minimum) ce qui permet d’obtenir les valeurs les plus extrêmes. Cela correspond à la démarche enveloppe réclamée par l’ACRO lors de la première phase des travaux. Cette méthode « conduit à un intervalle de valeurs comprises entre 0,1 et 30 fois la valeur de référence (soit 0,00009 à 0,027 cas de leucémie) ».

Conclusion de l’étude : « Toutes ces valeurs restent très inférieures au nombre de cas de leucémies observées pour la même population et la même période (4 cas observés pour 2 cas attendus) et au risque de leucémie radio-induite toutes sources d’exposition confondues (naturelles, médicales, industrielles), soit 0,84 cas. Il apparaît donc peu probable que les installations nucléaires du Nord-Cotentin puissent expliquer la tendance à l’excès de leucémies observée.
Il faut, à ce stade, rappeler les limitations de l’étude d’incertitude réalisée qui n’inclut pas le risque lié aux incidents et accidents (inférieur à 0,0012 cas) ni le risque associé à l’exposition in utero (0,0003 cas). Le fait de les prendre en compte ne modifiera pas vraiment la largeur des intervalles de variation donnés ci-dessus.
Une autre limitation doit être soulignée. Les incertitudes associées aux coefficients de dose et de risque n’ont pas été considérées car il n’existe pas actuellement de documents agréés au plan scientifique sur les incertitudes qui accompagnent ces coefficients.
Réaliser une étude d’incertitude d’une telle ampleur dans le domaine de l’évaluation des impacts radiologiques est exemplaire à plusieurs titres : la diversité des modèles, le traitement de plusieurs centaines de paramètres, la mise en œuvre de plusieurs méthodes de quantification de l’incertitude. En termes de connaissances acquises, le travail effectué pour préciser les intervalles de variation et les distributions des paramètres a permis de constituer une base de données unique pour les futures études de sensibilité et d’incertitude. Enfin, dans une perspective de recherche, la réflexion sur la théorie des possibilités appliquée à ce type d’évaluation mériterait d’être poursuivie.»

Commentaires du participant de l’ACRO

« Concernant l’évaluation de l’incertitude sur le nombre de cas de leucémies calculé à partir des modèles de transfert dans l’environnement des rejets des installations nucléaires de la région, l’IPSN avait inscrit cette thématique dans ses programmes de recherche et l’a engagée au sein d’un groupe de travail interne. Ce travail a ensuite été confirmé par une lettre de mission des ministres de l’environnement et de la santé au cours de l’été 2000 et il a donc été décidé d’ouvrir ce groupe de travail aux exploitants et à des représentants du mouvement associatif. L’ACRO a été invitée à y participer au début de l’année 2001.

Ainsi, lorsqu’il a été décidé d’associer des membres du mouvement associatif, le travail était déjà très avancé. Il leur a été proposé de rediscuter les intervalles de variation d’une partie des paramètres entrant dans les modèles et c’est tout. Cela ne suffit pas pour se considérer acteur de l’étude. En conséquence, dès le mois de juin 2001, la présidente du GRNC a été informée que nous ne signerons pas un tel document que nous considérons plutôt comme un « rapport IPSN ».

Sur le fond, nous reconnaissons la difficulté et l’ampleur du travail accompli. Il est cependant important de noter que l’étude ne porte que sur moins de la moitié du risque théorique associé aux rejets radioactifs. Dans un premier temps, seuls les rejets de routine ont été pris en compte. Or, pour les incidents, l’erreur pourrait être beaucoup plus élevée. La seule prise en compte de 11 mesures de strontium 90 « oubliées » lors de la première mission, a conduit le GRNC à réévaluer d’un facteur 7 la dose collective reçue lors du percement de la conduite en 1979/80. Autre exemple plus récent, lors des incidents ruthénium de 2001, l’action de surveillance de l’ACRO a permis d’observer que l’incertitude sur le terme source était de trois ordres de grandeur (c’est à dire d’un facteur 1000).

Les limites de l’étude doivent être soulignées. Elle s’attache pour l’essentiel à l’impact environnemental des rejets de routine et aux modes de vie et refuse d’aborder tout ce qui touche aux effets sur la santé des rayonnements. C’est pourtant là encore une partie sujette à de larges approximations qui retentissent directement sur cette marge d’incertitude.

Sur ce chapitre, le travail fait par le GTI ne permet pas de conclure quant à l’innocuité des rejets radioactifs. Il n’en demeure pas moins important, car il donne une idée de l’ampleur de l’impact environnemental théorique des rejets de routine. Ainsi le travail effectué pourrait être très facilement transposé aux calculs de dose effectués par l’exploitant dans son dossier soumis à enquête publique en 2000. » (Ces commentaires font partie intégrante du rapport de synthèse de la deuxième mission du GRNC).


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