Du rôle de la pectine dans l’élimination du césium dans l’organisme

ACROnique du nucléaire n°67, décembre 2004


Nous présentons ici les analyses faites sur des enfants biélorusses avant et après leur séjour en Normandie à l’invitation de l’association “Solidarité Biélorussie-Tchernobyl”. Les analyses d’urine ont été effectuées par l’ACRO, alors que les analyses anthropogammamétriques ont été faites sur le corps entier à l’Institut Belrad de Minsk.

A trois exceptions près, tous les enfants sont contaminés par du Césium 137 du fait de la contamination de leur environnement par l’accident de Tchernobyl.

Les analyses sur les urines ne sont pas corrélées aux analyses anthropogammamétriques sur le corps entier. La contamination des urines, bien qu’utilisant une méthode de mesure plus précise, fluctue beaucoup d’un cas à l’autre. Cela peut s’expliquer par la différence entre les urines du matin ou celles de la journée par exemple. Mais aussi par la prise de pectine qui peut accélérer l’élimination pendant un laps de temps donné. Les urines ne sembleraient pas, a priori, être un indicateur fiable de l’évolution de la contamination de l’enfant, sauf si on arrivait à corriger l’incertitude par un autre indicateur. Mais cela dépasse nos compétences et pour le moment, les urines ne sont qu’un témoin de la contamination de l’enfant.

Habituellement, lors de leur séjour en Normandie, les enfants biélorusses reçoivent un traitement à la pectine pour accélérer l’élimination du césium. Cette année, faute de fonds suffisants, seule une partie des enfants a pu être traitée. Cela va nous permettre d’étudier l’importance du rôle de la pectine.

En moyenne, les enfants ayant reçu un traitement à la pectine ont vu leur contamination au Césium 137 baisser de 37% contre 15% en moyenne pour les enfants non traités. Il apparaît donc que la pectine accélère bien l’élimination du césium. A noter que pour deux cas, on constate une baisse de 100%, ce qui est peu plausible et est probablement lié au fait que la limite de détection n’était pas atteinte. Si on retire ces deux cas litigieux, on obtient alors une baisse moyenne de 31% pour les enfants traités à la pectine.

Dans la littérature scientifique, c’est la période de décroissance qui est généralement utilisée. Elle correspond au temps nécessaire à une diminution de moitié de la contamination par élimination biologique et décroissance radioactive. Pour les enfants n’ayant pas reçu de pectine, on trouve qu’il faut 119 jours pour que leur contamination moyenne diminue de moitié. Alors que pour les enfants ayant reçu de la pectine, il ne faut plus que 42 jours (52 jours si on enlève les deux cas litigieux avec une décroissance de 100%). La contribution de la pectine se traduit donc par une période d’élimination de 65 jours (ou 92 jours si on enlève les deux cas litigieux). Cette valeur est plus longue que les 20 jours annoncés par le Pr. Nesterenko qui commercialise la pectine [1]. De même, sans pectine, la période est plus longue que les valeurs retenues par la CIPR-56 pour des enfants. La CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) considère plusieurs périodes en fonction de la partie du corps considérée (plasma, muscle…). Notre résultat s’approche de la plus longue période retenue pour les adultes qui est de 110 jours pour la partie musculaire.

Les anthropogammamétries sont réputées surestimer les résultats pour des valeurs inférieures à 1000 Bq (ou 33 Bq/kg pour un enfant de 30 kg) [2]. Il y a là un biais qui pourrait conduire à un allongement artificiel des périodes déduites des mesures car à la fin du séjour en Normandie de nombreuses valeurs sont sous ce seuil.

Les périodes de décroissance permettent de calculer la contamination des enfants en fonction de scénarios de consommation de produits contaminés. En supposant, par un exemple, simpliste que les enfants incorporent quotidiennement la même quantité de césium notée Q, alors, leur contamination sera égale à Q.T/ln2. Ainsi leur contamination sera d’autant plus faible que la quantité incorporée sera faible ou que la période d’élimination, T, sera faible. D’après nos résultats, cette période est de 2 à 3 fois plus faible avec un traitement à la pectine que sans. La contamination des enfants sera donc aussi 2 à 3 fois plus faible avec ce scénario qui implique une ingestion quotidienne de pectine. Cependant, la pectine n’est distribuée que lors de 3 cures par an pour des raisons médicales (effets secondaires) et de coûts. Dans de telles conditions, son effet sera donc beaucoup plus réduit.

Une politique de prévention est donc une démarche efficace. L’action de l’ACRO en Biélorussie vise plutôt à tenter de diminuer à la source l’ingestion de césium en favorisant la mise en place d’un réseau de mesure directement en lien avec la population. Nous espérons ainsi mettre en place des comportements alimentaires issus de stratégies efficaces de réduction de l’ingestion de césium 137.

En conclusion, ces résultats font apparaître que le césium 137 serait éliminé moins vite que ce qu’a retenu la CIPR dans ses modèles. Nous notons aussi que la pectine accélèrerait effectivement l’élimination du césium, mais moins vite que ce qui est annoncé par ses promoteurs. D’autres stratégies de réduction de la contamination à la source sont donc tout à fait pertinentes. Les deux approches sont complémentaires et contribuent à la diminution de la contamination des enfants.

D’un point de vue politique, la pectine est ignorée par les milieux officiels de la médecine et de la radioprotection sous prétexte que son efficacité n’est pas prouvée. Mais aucune étude n’est menée… De l’autre côté, certaines associations qui font la promotion de la pectine critiquent avec virulence toute autre démarche basée sur la prévention. Dans un tel contexte, nos résultats sont importants, mais malheureusement pas assez robustes pour pouvoir tirer des conclusions définitives. Ils montrent plutôt la nécessité d’études plus poussées sur le sujet.

Références :
[1] V.B. Nesterenko et al, Reducing the 137Cs-load in the organism of « Chernobyl » children with apple-pectin, Swiss Med wkly, 134 (2004) p. 24
[2] M. Schläger et al, Intercalibration and intervalidation of in-vivo monitors used for whole-body measurements within the framework of a German-Belarussian project, IRPA 11 (May 2004), Madrid, paper ID 839 (on CD ROM)

Anthropogammamétrie
réalisée par Belrad
Dosage du Cs137 dans les urines par l’ACRO
numéro pectine 02/06/2004Bq/kg 30/06/2004Bq/kg 07/06/2004Bq/L 27/06/2004Bq/L
1 non 29,16 28,43 <2,8 2,9±1
2 non 31,96 25,81 9,3±4 <2,8
3 oui 65,40 30,13 40,0±6,6 31,3±5,6
4 oui 29,07 24,80 13,8±3,3 8,8±3,5
5 oui 15,40 10,52 8,0±2,7 4,9±2,1
6 oui 26,15 17,12 13,0±2,8 11,0±3,5
7 oui 0,00 0,00 <2,4 /
8 oui 33,52 20,16 <2,4 /
9 oui 33,55 24,05 5,5±2,3 <4,0
10 non 34,13 28,85 10,4±2,9 9,1±3,8
11 non 54,30 31,20 29,6±4,1 14,6±3,5
12 oui 31,10 19,60 15,4±3,3 4,3±2,1
13 oui 46,83 30,57 20,13,2 20,0±4,4
14 non 34,46 20,55 10,5±2,8 3,6±1,8
15 oui 41,00 37,30 18,5±4,7 <4,4
16 oui 38,23 0,00 7,2±2,5 <4,4
17 oui 47,36 32,85 <6,0 /
18 oui 52,69 28,56 40,2±6,9 5,4±1,5
19 oui 38,71 0,00 <3,2 /
20 oui 31,50 20,41 16,3±4,7 <2,8
21 oui 91,52 62,58 64,4±7,9 36,8±6,8
22 oui 23,07 13,21 <3,6 /
23 oui 51,04 40,98 25,1±4,2 17,3±4,7
24 non 0,00 0,00 <2,4 /
25 non 32,98 29,30 <14,0 /
26 oui 25,16 18,95 <5,2 <2,8
27 oui 25,21 18,59 <5,6 /
28 oui 29,97 21,27 7,0±2,7 5,3±2,5
29 non 35,63 33,19 <3,2 6,5±3,0
30 non 12,89 10,22 <4,8 /
31 non 12,48 10,88 6,2±2,2 <5,2
32 non 27,69 26,42 18,6±4,7 <3,2
33 non 21,04 17,81 <3,2 /
34 oui 65,56 51,52 37,6±6,4 31,4±5,5
35 non 29,54 28,15 <5,2 /
36 non 30,91 26,21 6,6±2,1 8,3±2,7
37 oui 87,81 56,73 61,9±7,3 23,2±4,1
38 non 10,45 10,36 <5,2 /
39 oui 0,00 0,00 <5,2 /
40 non 37,83 37,57 8,0±2,2 4,7±2,1
41 non 46,84 29,40 7,9±3,2 12,2±3,0
42 oui 44,08 35,15 33,4±6,2 17,3±3,8
43 non 37,90 35,40 12,3±3,4 <2,0
44 non 29,25 25,20 6,4±3,0 /
45 non 18,80 15,50 8,5±2,6 /
46 non 49,51 37,22 13,5±4,5 8,7±2,6
47 non 39,03 35,49 19,6±4,2 15,1±3,4

Ancien lien

L’ACRO en Biélorussie : nos premières missions

ACROnique du nucléaire n°65, juin 2004


Dans le cadre d’une action humanitaire, axée sur la santé, menée dans le sud-est de la Biélorussie par L’Agence pour le Développement et la Coopération Suisse, s’est clairement identifié la nécessité de mettre en place une surveillance de la radioactivité avec des moyens locaux de mesure. Ce besoin, exprimé à l‘origine par quelques habitants de la région, s’est accompagné d’une volonté de se regrouper afin d’unir collectivement leurs efforts en fondant une association. Un tel regroupement de citoyens sous un statut légal constitue une nouveauté dans un pays où toute initiative personnelle a longtemps été considérée d’un mauvais œil. Après avoir franchi les barrières administratives, Rastok Gesne, en français « pousses de vie », est née en octobre 2003. L’association regroupe maintenant une vingtaine de bénévoles : mères de famille, personnel de santé, enseignants…

 « Travailler avec les gens et non pour eux… »

belarus1

La participation de l’ACRO à ce projet, dans l’une des régions les plus contaminées de Biélorussie, vise à accompagner cette toute nouvelle association sur le volet méthodologique et organisationnel. Le projet a pour but de mettre en place une surveillance de la contamination et de développer la promotion d’une culture radiologique pratique, essentiellement tournée vers les jeunes enfants, les mères de famille et les femmes enceintes. Il s’agit concrètement de mettre du matériel de mesure (dosimètres et radiamètres) à la disposition de la population et de pratiquer une mesure régulière (2 fois par an) de la contamination interne  des enfants scolarisés dans les écoles du district. Les problèmes logistiques sont assurés par l’institut indépendant de mesure BELRAD dirigé par le professeur Nesterenko : mise en service des postes de mesure et formation des dosimétristes. L’institut assure également les opérations de mesure anthropogammamétriques (dosage du césium 137 dans le corps entier à l’aide de simple siège muni de détecteurs) avec des laboratoires ambulants. La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux mêmes, via l’association « pousses de vie ». Il ne s’agit donc pas de mesurer « pour » eux mais « avec » eux pour qu’ils puissent poursuivre ce projet en toute autonomie.

Le projet

Cette initiative se développe dans le cadre du programme international, CORE (COopération pour la Rehabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés de Biélorussie) qui regroupe des projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie et basés sur 4 thèmes :
– la santé,
– la mesure,
– l’éducation et la transmission intergénérationnelle et internationale de la mémoire,
– l’agriculture.
Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la vie dans les territoires contaminés mais de contribuer a améliorer les conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle même.
Ainsi, pour être retenus et promus, les projets doivent prendre en compte les dimensions locale, nationale et internationale. Concrètement, la demande doit être locale, l’habilitation nationale et les partenariats internationaux.
Une déclaration de principe a été signé par 23 institutions internationales gouvernementales et non gouvernementales comme les Nations Unies (PNUD), l’UNESCO, la Commission Européenne, les états français, italiens, allemands, suisse, de Grande Bretagne, suédois, de république tchèque, de Lituanie (liste non exhaustive). En France une douzaine d’institutions gouvernementales et non gouvernementales sont partenaires de l’un des projets : l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le ministère de l’agriculture, le centre d’études pour l’évaluation de la protection dans le domaine de protection nucléaire (CEPN), Mutadis, cabinet de conseil dans la gestion du risque, Médecins du Monde, l’ACRO, la Formation pour l’Epanouissement et le Renouveau de la Terre (FERT), Patrimoine Sans Frontières (PSF), Graine Environnement, le Lycée du Bois d’Amour de Poitiers etc. Faute de financement suffisant mais aussi de demande locale identifiée, les quatre volets ne sont pas actuellement tous mis en place dans les quatre districts, leur complémentarité est pourtant évidente et essentielle. La plupart des projets, prévus pour cinq ans, ne sont pour l’instant financés que pour trois ans. Dans le cas de notre projet « mesure », mis en place dans le district le plus isolé et le plus contaminé de Biélorussie, le financeur est le Ministère des affaires étrangères Suisse. Les dépenses concernent essentiellement les achats de matériels (dosimètres, postes de mesure pour doser le césium dans les aliments, achats d’ordinateurs, salaires des dosimétristes, campagnes de mesure de la contamination des enfants…). A l’exception de nos frais de mission, notre participation est bénévole. Notre intervention génère même un coût pour l’ACRO : mise à disposition d’une salariée, analyses diverses sur des échantillons prélevés sur place.

 Si près de la zone d’exclusion

belarus2

Le district de Bragin située au sud-est de la Biélorussie constitue le territoire le plus contaminé du pays. Il est délimité à l’est et au sud par la frontière avec l’Ukraine et à l’ouest avec la zone d’exclusion des trente kilomètres autour de la centrale de Tchernobyl. Les principales communes de la région sont : Bragin (2400 habitants dont 700 enfants scolarisés), Komaryn (2500 habitants, dont 850 scolaires), Krasnoyé (450 habitants dont 160 scolaires), Dublin (390 habitants dont 80 scolaires), Krakovichi (530 habitants et 180 scolaires), Mikulichi (220 habitants et 80 scolaires). La ville de Bragin, que la situation géographique plaçait sous les vents dominants le jour de la catastrophe est la plus contaminée du district. On y relève par endroits un débit de dose ambiant de cinq à sept fois le bruit de fond ordinaire.
Près de la moitié du district initial de Bragin se retrouve classée dans la zone d’exclusion. Une fusion regroupe, depuis l’exode, Bragin et Komarin qui étaient auparavant deux entités séparées

Cette promiscuité avec le « No man’s Land », la zone d’exclusion, est ce qui nous a le plus marqué lors de notre  première mission en février 2004. Comment vivre si près d’une zone invivable ? Munis d’un laissez-passer en bonne et due forme, nous avons eu l’occasion de visiter la zone interdite. Avec la neige, épaisse à cette époque hivernale, l’impression d’abandon, de désolation était encore plus forte : villages fantômes, objets abandonnés çà et là comme si l’on  était partis en pensant revenir… Les ressorts d’un sommier dépassaient de la neige, à proximité des traces de loups. La neige ne nous a pas permis de réaliser des mesures de débit de dose ambiant acceptables. Nous avons quand même réussi à prélever avec les moyens du bord un peu de terre gelée pour l’analyser en laboratoire. De toutes façons, nous sentions bien que l’essentiel à ce moment là n’était pas de mesurer ni même de prélever. Devant nos yeux s’élevait la vision terrible d’un gâchis écologique, résultat de la folie de l’homme et de sa croyance aveugle envers la technologie. Le retour à Bragin fut difficile. Là, des enfants jouaient dans la rue, à proximité de l’aire de jeux. Nous n’avions pourtant parcouru que cinq kilomètres !

 « Si nous voulons décider de vivre ici, c’est à nous de définir les critères pour le faire »

belarus3
Notre rencontre avec Tatiana, la présidente de l’association « pousses de vie », nous a révélé le sens de notre action dans ce projet. Même si la notion de « choix » est discutable, la réalité reste que des gens habitent et vivent dans ces territoires contaminés. Certains sont restés, d’autres n’ont pas pu partir, d’autres encore sont revenus. Ceux que nous avons rencontrés se préoccupent de leur sort et de l’état de santé de leurs enfants. Nous avons appris que des personnes issues des flux d’immigration fuyant la guerre, la famine (réfugiés Tchétchènes, Kazaques…, gitans) viennent de plus en plus nombreux s’installer jusque dans la zone d’exclusion, squattant des maisons laissées à l’abandon. Comment dans ce cas, faire prendre conscience des dangers à moyen terme à des populations préoccupées par leur survie au jour le jour et qui ignorent cependant pour la plupart la nature et les effets du danger qui les entoure ? Nous avons pu mesurer l’illusion qui consiste à penser qu’on peut faire se déplacer des populations entières. Qu’ils soient restés ou revenus, que leur décision relève ou non d’un choix et que celui-ci soit éclairé ou non, des gens habitent ces territoires et doivent gérer leur vie dans un environnement hostile où le danger est imperceptible par les sens. Une telle situation semble certes inacceptable ; certains l’ont choisie, la plupart veulent apprendre à la gérer. L’ACRO n’a pas les moyens de provoquer une évacuation autoritaire ni de proposer des zones de vie alternatives. Avec nos faibles moyens nous tentons d’aider la population à prendre son destin en main.

Tatiana est infirmière chef au dispensaire de son village de Krasnoyé. Pour elle, la naissance de l’association résulte de l’émergence d’une volonté d’individus qui, comme elle, veulent prendre en charge leurs destins et comprendre la situation afin d’en limiter les conséquences. « Nous ne pensons pas assez à la Terre que nous allons laisser à nos enfants ! Si nous avons décidé de vivre ici, il nous faut établir nous-mêmes les critères pour le faire et créer les conditions de notre survie ». Nous avons longuement discuté ce soir là, jusque tard dans la nuit. Le rapprochement était facile à faire entre ce que nous percevions ici et ce qui avait provoqué la naissance de l’ACRO en France. Produit de la désinformation et d’une prise de conscience citoyenne des dangers que font peser l’industrie nucléaire, l’ACRO est en effet née de la catastrophe de Tchernobyl et voilà que dix-huit ans après, nous retournons, avec notre expérience, accompagner la création d’une structure similaire, fondée sur les mêmes racines et orientée vers les mêmes buts : le droit pour les gens d’accéder à la connaissance afin de pouvoir éclairer ses propres choix et décider de ses actions.

Lors de notre premier séjour, nous avons vu beaucoup de visages inquiets, des interrogations « à quoi bon savoir, s’il n’y a pas de solution, si on ne peut rien faire ». Néanmoins, l’accueil chaleureux qui nous était partout réservé tranchait avec les températures hivernales (jusqu’à – 25°C) et le « confort » pour le moins précaire du petit hôtel de Bragin dans lequel le chauffage était quasi-inexistant et l’eau définitivement glaciale.

Premières actions concrètes

Dès notre premier voyage en février, nous avions apporté six radiamétres, achetés en Biélorussie, pour la mesure du rayonnement ambiant. Nous les avons confiés à la présidente de « Pousses de vie » afin qu’elle les distribue et qu’ils soient mis à la disposition des gens dans les villages.
Lors de notre deuxième mission en avril, deux postes de mesures ont été installés par les personnels de l’institut BELRAD à l’hôpital de Bragin et au dispensaire de Krasnoyé. Piotr, le nouveau dosimétriste venait de recevoir une formation à l’institut du Professeur Nesterenko . C’est lui qui, à Krasnoyé, se chargera des mesures sur les produits apportés par les villageois. Dés le premier jour, du lait de vache, du lait de chèvre, des carottes, des pommes de terre et des champignons, de la cendre, ont été apportés dans le nouveau laboratoire du dispensaire pour être mesurés. L’opération dure environ dix minutes par échantillon et chacun repart avec les résultats des mesures et une appréciation de la qualité sanitaire des produits. La mesure est effectuée sur les produits locaux de consommation. Elle permet un classement des produits sensibles : lait, viande, produits du potager, gibier, champignons, baies…, qui doivent être suivis régulièrement. Ainsi, par exemple la qualité du lait, produit de consommation courante, va dépendre de la saison et de la qualité des près où ira paître la vache. Il arrive ainsi que, par manque de réserve suffisante de fourrage propre pour l’hiver, du foin très contaminé soit coupé dans la zone d’exclusion. Il faut alors conseiller de donner le foin propre à la vache laitière plutôt qu’au cheval de trait. L’idée du projet est de faire progresser la connaissance de l’état radiologique de l’environnement et des produits alimentaires aux niveaux individuel et collectif. En effet, Les analyses radiotoxycologiques réalisées par l’ACRO (cf ACROnique n°64) auprès des enfants biélorusses en séjour à Caen et originaires d’un même village ont mis en évidence une grande disparité prouvant l’importance de limiter à la source l’ingestion de radioéléments artificiels. Pour ce faire, il est important de mesurer la contamination qu’il y a dans son lait, ses légumes pour ensuite se situer par rapport à son village puis sa région. L’objectif premier de l’association est de susciter, chez les habitants, l’envie et le besoin de faire mesurer les produits avant de les consommer. Tous semblent convaincus que le succès de cette opération de promotion d’une culture radiologique pratique ne pourra être obtenu qu’à partir d’une connaissance précise des niveaux de contamination et d’une mise en lien étroit avec les professionnels de la santé et de l’éducation.

Pour qu’une association touche une population la plus large possible, il lui faut tisser des liens. « Pousses de vie » y contribue en créant et animant des rencontres d’information mais aussi de formation à « la vie saine ». Ces interventions sont proposées aux mères et aux femmes enceintes du district. En février un séminaire de lancement de l’opération qui réunissait les porteurs de projet, les autorités politiques et administratives et les financeurs s’est tenu à l’hôpital de Bragin. Les discussions ont fait apparaître que pour tisser une toile plus grande et plus solide, il serait intéressant de travailler avec les écoles et les services sociaux afin d’initier des projets où les enfants pourraient prendre en charge eux-mêmes les actions : mesures des aliments, réalisation de cartographies présentant les niveaux de rayonnement ambiant à l’échelle de leur école, de leur hameau, du village. L’objectif viserait à favoriser la formation directe des enfants qui représentent la population la plus exposée d’un point de vue sanitaire. Par ailleurs, on peut penser que de telles actions contribueraient à la sensibilisation et à l’apprentissage des adultes qu’ils côtoient au quotidien. Les premières discussions que nous avons eues avec les équipes d’enseignants de deux écoles que nous avons visitées ont révélé une réelle volonté de mener de telles actions avec les élèves et un besoin de formation transversale pour les mener en équipe pluridisciplinaire. Nous avons également évoqué des possibilités de jumelages avec des écoles françaises où les thèmes du risque ou l’initiation au contrôle de la radioactivité ont été abordés de cette manière. Les premiers contacts pris avec les écoles correspondantes en Basse-Normandie ont abouti à des déclarations d’intention favorables à la mise en place de tels jumelages. Les échanges entre les enfants français et les biélorusses serait alors doublement enrichissants. Nous avons proposé de part et d’autre de poursuivre cet axe de projet afin de tester concrètement l’idée avec les écoles de Basse-Normandie qui se sont déclarées intéressées par ces actions.

Pendant notre dernière mission, l’institut BELRAD de Minsk démarrait la campagne de mesures anthropogammamétriques sur l’ensemble des enfants des écoles du district. Grâce à ses laboratoires mobiles, l’institut parvient à mesurer l’état de contamination interne d’une soixantaine d’élèves par matinée. Un siège, embarqué dans un véhicule automobile, mis au point par le professeur Nesterenko, permet de mesurer la quantité de césium 137 dans le corps entier. Des réunions, organisées le soir même, ont permis de discuter des résultats avec les familles dont les enfants présentent les seuils les plus élevés. La contamination de l’organisme provient essentiellement de l’ingestion quotidienne d’aliments moyennement contaminés (par exemple du lait à 50 Bq/L en césium 137), ou de la consommation occasionnelle de produits de la forêt, très fortement contaminés. Ces derniers, champignons à plus de 10 000 becquerels par kg sec, baies sauvages…, sont encore récoltés par tradition dans la région. On voit ici l’importance, pour comprendre la situation et pour répondre aux interrogations des familles, de pratiquer aux mesures des produits quotidiennement consommés par le foyer. Pour le professeur Nesterenko, et d’après les travaux du professeur Bandajevski, une concentration supérieure à 20 Becquerel par kilogramme de son poids doit déjà être considérée comme une situation préoccupante chez un enfant.

Il est difficile d’imaginer que, 18 ans après la catastrophe, il soit toujours nécessaire de faire attention aux produits que l’on mange, aux lieux où l’on se promène. Un examen des mesures pratiquées sur les enfants pendant la campagne d’automne a clairement montré que les trois enfants qui présentaient les taux de contamination les plus élevés, plus de 200 Bq/kg, appartenaient à une famille socialement défavorisée.

Nous avons emporté, au retour de février, des échantillons de lait et de pommes de terre afin de faire réaliser des dosages de strontium. En effet, ce contaminant, rejeté avec le césium au moment de l’accident, est plus difficile à mesurer car non détectable avec des compteurs classiques. Le strontium 90 (90Sr) est un émetteur bêta pur, il ne peut être mesuré avec des détecteurs classiques et doit être isolé chimiquement afin d’être dosé avec un compteur spécifique.  Faute de moyens, notre laboratoire  ne pratique pas cette mesure. Pourtant du fait de la similitude de ses propriétés chimiques avec le calcium, le strontium peut contribuer fortement à l’impact sanitaire lié à la contamination de l’organisme.

 Des boutures ?

Nous sommes fiers d’accompagner l’association « pousses de vie » et d’en favoriser le développement et peut être ses boutures et ramifications. Des souhaits ont été formulés dans d’autres districts de la Biélorussie pour fonder des associations de ce type afin de pérenniser des dispositifs qui, après avoir fonctionné quelques années et faute d’appui de la part d’un collectif, se sont épuisés ou n’ont pu faire face aux problèmes de maintenance du matériel ou du remplacement des dosimétristes. Le contexte politique Biélorusse ne facilite pas ces créations mais nous espérons que de nouvelles initiatives vont voir le jour. La première association a rédigé des statuts qui devraient permettre la création d’antennes au cas où les nouvelles initiatives seraient empêchées. Notre implication dans ce projet est avant tout humanitaire, dans un domaine qui nous est propre. La notion d’échange est cependant celle qui gouverne avant tout cette action car avons beaucoup de chose à apprendre, afin de transmettre et témoigner de la situation et des conditions de vie rencontrées là-bas, autour de nous, dans notre région, identifiée par les chercheurs du LASAR (Laboratoire d’Analyse Sociologique et Anthropologique du Risque de l’Université de Caen) comme la plus nucléarisée au monde.

Tableau 1 : Concentrations en césium 137 mesurées sur place dans les produits apportés par les villageois de Krasnoyé ; district de Braggin ; Biélorussie.

Nature  Concentration
en Cs137
 Champignons
secs
 10 000
Bq/kg sec
 Lait
de vache
 48 Bq/L
 Lait
de vache
 36 Bq/L
 Lait
de chèvre
 < 7
Bq/L
 Carottes  < 7
Bq/kg frais
 Pommes
de terre
 < 7
Bq/kg frais
 Cendres
de cheminée
 5 200
Bq/kg

 

Tableau 2 : Concentrations (Bq/kg sec) en radionucléides émetteurs gamma mesurées par l’ACRO dans la terre prélevée au mois de février 2004 en zone interdite, en frontière du district de Braggin ; Biélorussie.

Lieu Zone
interdite
Distance/émissaire <30 km
Direction/émissaire Nord Est
Pays Bélarus
Date 16
février 2004
Nature Sol
Poids sec / poids frais 65%
Densité analysée 1,1
Quantité analysée 530g
Radionucléïdes
artificiels
Bq/kg
sec
134 Cs 4,9 ±
0,9
137 Cs 2278
± 265
154 Eu 4,4 ±
1,5
155 Eu < 4,1
241 Am 14 ± 3
Radionucléïdes
naturels
Bq/kg
sec
214 Pb 14 ± 4
228 Ac 17 ± 4
212 Pb 16 ± 3
40 K 350 ±
44

Ancien lien

Evaluation de la contamination des enfants de Biélorussie

Paru dans l’ACROnique du nucléaire 64, mars 2004


L’action engagée

En collaboration avec l’association Solidarité de Biélorussie et de Tchernobyl le laboratoire de l’ACRO a procédé à des analyses radiotoxicologiques auprès des enfants habitant des territoires contaminés par la catastrophe de Tchernobyl et qui ont séjourné en Normandie en juin 2003.   Il s’agissait de mesurer le taux de radioactivité, en l’occurrence dû au césium 137, dans les urines des enfants.   Les résultats permettent d’évaluer le degré de contamination des enfants et d’estimer les répercussions d’une alimentation « saine », additionnée de Vitapeckt. Ces mesures devraient permettre d’aider les recherches menées par le professeur Nesterenko et son institut Belrad dans le cadre du suivi des populations contaminées.

Pourquoi mesurer les urines ?

Le césium 137 (137Cs) projeté dans l’atmosphère en grande quantité lors de l’accident de Tchernobyl continue de contaminer les territoires proches de la centrale. Avec d’autres substances radioactives, il est ingéré continuellement avec la nourriture et assimilé par l’organisme dans lequel il va résider durant un certain laps de temps avant d’être éliminé en partie avec les urines. Ainsi, l’analyse des urines permet de déterminer avec une incertitude acceptable le niveau de contamination de l’organisme.

Qu’est-ce que le césium 137

Il s’agit d’un élément radioactif (radionucléide) issu de la fission de l’uranium et dont la demi-vie (période radioactive) est de trente ans. Il faudra donc attendre trois siècles pour que la quantité de césium 137 ait diminué d’un facteur 1000. Comme toute substance radioactive, le césium 137 émet un rayonnement au cours de sa désintégration. Dans son cas précis, il s’agit d’un rayonnement relativement énergétique pouvant endommager les tissus situés à proximité.

Résultats

Tableau : Concentration en césium 137 (becquerel par litre) mesurée dans les urines des enfants biélorusses en séjour en Normandie au mois de juin 2003
enfantcherno1

Note :«NA» signifie que les urines n’ont pas été analysées (quantité insuffisante).

Graphe : Concentration en césium 137 (becquerel par litre) mesurée dans les urines des enfants biélorusses à leur arrivée en Normandie au début du mois de juin 2003.

enfantcherno2
Note : la limite de détection (ou sensibilité de mesure) dépend de différents facteurs : l’appareil de mesure, la quantité de l’échantillon, le temps de comptage. Dans le cas d’Aléna, la durée de mesure ayant été prolongée, cela a permis d’abaisser la limite de détection, et donc d’avoir une mesure significative inférieure à 10 becquerel par litre.

Commentaires

Les résultats rapportés dans le tableau ne concernent qu’une partie des enfants. Toutes les analyses n’ont pu être effectuées faute de quantité suffisante d’urine et du fait de la capacité, hélas réduite, du laboratoire. Néanmoins, lors de la première série d’analyses (début juin), l’ensemble des échantillons a été mesuré rapidement afin de « dépister » les échantillons prioritaires. Lors de cette première campagne de mesures la plus petite concentration décelable (ou limite de détection), est relativement élevée : autour de 10 becquerel par litre. Par la suite, des analyses « plus fines » ont permis d’abaisser la limite décelable autour du becquerel par litre.

Du césium 137 est observé avec une concentration supérieure à 10 becquerel par litre dans 60% des urines mesurées. Les plus fortes valeurs sont de 68 becquerels par litre. Pour situer les niveaux, il faut rappeler que le césium 137 n’est pas un produit radioactif naturel et que l’organisme ne devrait donc pas en contenir.

Les concentrations mesurées deux semaines après l’arrivée des enfants ont chuté en moyenne de moitié. Cela traduit bien une cinétique d’élimination du césium dans un contexte où les enfants bénéficient d’une alimentation saine.

Chez deux enfants suivis, on constate une stabilité voire même une augmentation de la concentration du césium 137 dans les urines au cours de leur séjour.  Cela peut provenir d’un biais lié à l’échantillonnage (par exemple si les urines n’ont pas été prélevées dès le réveil de l’enfant [2]), ou à une accélération de l’élimination du césium 137 due à la prise de Vitapeckt.


[1] Vitapeckt : complément alimentaire à base de pectine de pomme élaboré par le Pr Nesterenko, pour faciliter l’élimination du césium 137 de l’organisme.

[2] Les premières urines du matin étant potentiellement les plus « chargées » de la journée.


Depuis huit ans, l’association Solidarité Biélorussie et de Tchernobyl organise l’accueil, à Caen, d’enfants biélorusses victimes de la catastrophe de Tchernobyl.
L’association soutient le travail du Professeur Nesterenko dans les territoires contaminés et appel au parrainage de cures de pectine de pomme pour les enfants  biélorusses.

Contact : Association Solidarité Biélorussie et de Tchernobyl, 74 rue de Falaise. tél. : 02 31 83 43 76.

Ancien lien