Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M)

Centre Sans Mémoire, Centre Sans Avenir ?

Rapport d’étude réalisé à la demande de Greenpeace France
23 mai 2006


Synthèse : les leçons du CSM

« Le passé était mort, le futur inimaginable », George Orwell, 1984

Pour le CEA, qui a en eu la responsabilité durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets ». A l’heure où est débattu l’avenir des déchets nucléaires français, il nous paraît important de tirer les leçons de la gestion de ce centre.

Parce que le stockage des déchets y a précédé la réglementation en la matière, ce centre ne satisfait plus aux normes actuelles concernant le stockage en surface. On y a stocké et entreposé tout et n’importe quoi, sur les crêtes des nappes phréatiques et sans aucune protection vis à vis des intempéries. Pour les déchets les plus anciens, l’inventaire est des plus fantaisistes et fort probablement en dessous de la réalité. Mais le plus grave, est que les centres du CEA se soient débarrassés rapidement de tous les déchets gênants avant chaque durcissement de la réglementation. La Commission Turpin l’a bien mis en évidence à propos du plutonium. Ce délit d’initié est extrêmement choquant car c’était dans ce même organisme qu’étaient élaborées les connaissances impliquant de revoir les procédures. Pas vu, pas pris. Plus de 10% des volumes stockées sur le centre sont d’origine étrangère malgré la loi française qui interdit cette pratique.

De part les éléments à vie longue qu’il contient en grande quantité et les toxiques chimiques, le Centre Manche ne sera jamais banalisable et est là pour l’éternité. Son statut se distingue donc du Centre de l’Aube (qui ne reçoit que des déchets triés respectant des critères stricts) et s’apparente plus à ce que pourrait être un stockage souterrain à l’abri des regards qui est supposé accueillir tous les déchets gênants. La barrière géologique ne constitue qu’un décalage temporel dans l’apparition des problèmes.

A cause de sa gestion empirique, il porte atteinte à l’environnement. Suite à des incidents à répétition qui viennent s’ajouter à un relargage diffus en continu, les nappes phréatiques et de nombreux exutoires sont fortement contaminés en tritium. Force est de constater qu’une information sur cette pollution chronique a longtemps manqué et encore aujourd’hui, un bilan précis de son impact reste à faire. Pour autant, la situation pourrait s’aggraver à long terme car les emballages des déchets les plus anciens, qui contiennent aussi les éléments les plus nocifs, ne sont pas garantis sur de si longues périodes. Lorsqu’une nouvelle contamination sera détectée, il sera trop tard.

Cependant, il n’est pas prévu de démanteler ce centre, même partiellement. L’argument généralement avancé, outre le coût économique, est que le risque sanitaire lié à l’opération serait supérieur au risque lié à son impact sur l’environnement. Surtout, il n’y a pas d’autre solution pour les déchets extraits qui ne sauraient être acceptés au Centre de l’Aube. Il est donc plus confortable pour les opérateurs du nucléaire et les pouvoirs publics de considérer ce problème comme réglé.

Comment léguer alors ce centre aux générations futures ? Comment en transmettre la mémoire si même notre génération ne sait plus ce qu’il contient exactement ? Surtout, comment leur permettre d’avoir une opinion sur son avenir qui diffère de celle qui est prévue actuellement ? Ces questions fondamentales doivent être prises en compte pour tous les autres déchets radioactifs.

Cet exemple du Centre de Stockage de la Manche montre qu’une gestion passive à long terme basée sur l’oubli est vaine. La réversibilité supposée des stockages à venir ne fait que reporter de quelques générations le dilemme de la fermeture, sans le résoudre.

La protection des générations futures, fait l’objet d’un consensus quand il s’agit de gestion des déchets nucléaires. Mais dès qu’il s’agit de la génération actuelle, le consensus disparaît… Le public est le grand oublié du projet de loi sur les déchets présenté par le gouvernement qui méprise la consultation qu’il a lui même voulue. Or, si le Centre Manche est un centre sans mémoire, c’est parce que sa gestion était confinée et il est important de ne pas renouveler ce huis clos.

Le bien-être des générations futures, pour lesquelles le fardeau de la gestion des déchets doit être limité, apparaît donc souvent comme un argument utilisé sans réflexion pour faire accepter tout et n’importe quoi. Leur laisser des moyens d’agir signifie garder la mémoire de ce fardeau. Or, les exemples historiques montrent que c’est grâce à la redondance de l’information gardée sous plusieurs formes qu’elle peut être transmise de générations en générations en faisant face aux aléas. Il y a donc un impératif moral à partager avec la population la connaissance sur les déchets nucléaires. Les débats actuels sur le nucléaire n’ont malheureusement pas mobilisé les foules car les citoyens avaient le sentiment de n’avoir aucune emprise sur le processus de décision. Pourquoi s’investir si les décisions sont déjà prises ? Il importe donc de mettre en place un mécanisme de démocratisation de la gestion des déchets nucléaires pour en garantir la mémoire.

L’autre enjeu est de transmettre une mémoire qui traduit honnêtement l’état des lieux, ce qui n’est pas le cas du Centre Manche. Là encore, la démocratisation des processus de décision avec une ouverture plus en amont, laissant le temps à la société civile de s’approprier la problématique est indispensable. C’est dans ce sens que tente d’œuvrer l’ACRO depuis sa création.

En conclusion, la sauvegarde des générations futures en matière de gestion de déchets nucléaires passe par une meilleure gouvernance de la gestion actuelle, s’appuyant sur une plus grande démocratie participative. Il serait dommage et dangereux que le projet de loi actuel loupe ce coche pour dix ans encore. D’autant plus qu’il y a malheureusement un immense retard à combler et que les déchets comme ceux du Centre Manche, dont le sort est officiellement réglé, sont encore à prendre en compte.


Résumé de la 1ère partie : L’univers du Centre de Stockage de la Manche

Le Centre de Stockage de la Manche a été construit dans la partie Est de l’usine de retraitement de La Hague, à un endroit qui s’appelle le « Haut Marais », zone humide par excellence. C’est sans doute le plus mauvais choix quand on sait que l’eau est le principal ennemi de la sûreté. Les premiers déchets ont été mis à même la terre, puis dans des tranchées bétonnées, régulièrement inondées. Certains de ces ouvrages ont été démantelés, d’autres sont encore là, à la crête des nappes phréatiques. La pratique ayant précédé la réglementation, l’empirisme qui a guidé l’édification de ce centre suscite déjà de nombreuses inquiétudes qui devraient s’aggraver dans l’avenir.

Les structures d’accueil et la qualité des déchets ont évolué au cours du temps vers plus de rigueur. Mais, avant chaque durcissement de la réglementation, le CEA a renvoyé au CSM des déchets qui ne pourraient plus être acceptés par la suite. Ce délit d’initié est d’autant plus choquant que c’est dans ce même organisme qu’étaient élaborées les nouvelles règles. L’ACRO avait aussi dénoncé des pratiques similaires juste avant la fermeture du site en 1994. De nos jours, le centre Manche contient de nombreux éléments à vie longue qui ne sont plus acceptés sur le centre de l’Aube qui a pris le relais. Il y a notamment près de 100 kg de plutonium, ainsi que de nombreux autres émetteurs alpha particulièrement toxiques en cas de contamination. Si l’on ajoute à cela les toxiques chimiques qui ne disparaîtront pas avec le temps, dont près de 20 tonnes de plomb et une tonne de mercure, le centre Manche ne pourra jamais être banalisé. Au moment de sa fermeture, l’ANDRA annonçait sans vergogne que ce centre pourrait être rendu à la nature au bout de 300 ans et que la couverture était définitive.

L’inventaire des déchets stockés n’est pas connu avec précision. Durant les premières années, seuls les bordereaux des expéditeurs faisaient foi. Une tempête a effacé une partie de cette mémoire et les informations concernant les premières années ne sont pas fiables. Certaines structures d’accueil non plus et une partie des déchets échappent au système de surveillance mis en place. Un employé de l’ANDRA à la retraite va jusqu’à évoquer des risques d’effondrement. En cas de problème, ce sont les nappes phréatiques qui seront touchées et il sera trop tard pour agir. Selon nos estimations, ce sont plus de 10% des 527 217 m3 de déchets stockés qui sont d’origine étrangère, en violation flagrante de la législation française. Alors que la question du stockage en surface est officiellement considérée comme « réglée », il est légitime de s’interroger sur l’avenir du centre Manche. Il est tout aussi nécessaire de tirer les leçons de ses déboires pour les autres déchets en attente de solution.

Sans la vigilance citoyenne des associations et les révélations d’un lanceur d’alerte qui a envoyé anonymement des documents à l’ACRO, c’est le plan de l’ANDRA qui aurait été avalisé par les autorités. La commission pluraliste qui a enquêté après les révélations de l’ACRO en 1995 a estimé que ce stockage est irréversible. En se basant sur une étude de l’ANDRA, elle estime en effet qu’aucune reprise des déchets n’est raisonnable en raison des coûts sanitaires et financiers. Surtout, il n’existe aucune solution pour une partie de ces déchets qui ne sauraient être acceptés au centre de l’Aube.

Les exigences en matière d’environnement ont changé durant les 25 années d’exploitation du centre Manche. Ces exigences devraient évoluer encore plus sur des échelles de temps impliquant plusieurs générations. La réversibilité des stockages est donc une contrainte morale qui découle du principe de précaution. Elle est généralement pensée comme un moyen de rendre les projets socialement plus acceptables par les autorités. Mais la réversibilité n’est pas seulement un problème technique et doit conduire à repenser entièrement la gestion des matières radioactives de façon démocratique. L’option d’un entreposage pérennisé avait les faveurs du public lors du débat national, mais est malheureusement ignorée par les autorités qui préfèrent une stratégie basée sur l’oubli.

Il en est de même pour l’avenir du centre Manche. Il est prévu, qu’après la phase de surveillance actuelle, une nouvelle couverture soit mise en place afin de passer à une phase plus passive. La décision de ne pas reprendre tout ou une partie des déchets est basée sur des études de l’ANDRA qui n’ont pas été contre-expertisées dans le détail. Nous avons, vainement, demandé à la commission de surveillance du centre de promouvoir la mise en place d’une réflexion pluraliste qui aurait à se pencher sur les risques évoqués avant de décider de fermer définitivement le site. Cette revendication nous tient particulièrement à cœur avant de décider de léguer une telle menace aux générations futures.


Résumé de la 2ème partie : La pollution des écosystèmes aquatiques par le tritium

Par le passé, la Sainte-Hélène qui s’écoule non loin du Centre de Stockage de la Manche (CSM) avait une teneur en césium-137, de 100 à 1000 fois plus élevée que dans les autres cours d’eau voisins. Cette anomalie s’accompagnait de l’existence d’autres produits de fission et de teneurs impressionnantes en plutonium : les sédiments contenaient plus de 140 Bq/kg de plutonium-238, soit 5000 fois plus que dans ceux du Rhône en aval des installations de Creys-Malville (Superphénix). Le CSM en était à l’origine. Depuis les causes ont été maîtrisées et il ne subsiste plus que les vestiges de ces anciennes pollutions massives.

Mais de tout temps, du tritium (hydrogène radioactif) fût trouvé. Aujourd’hui encore, de nombreux cours d’eau, aquifères, résurgences, puits sont concernés.

Dès l’ouverture du centre, on a voulu stocker de grandes quantités de tritium. Dans 6 petites cases de l’ouvrage dénommé TB2, l’équivalent de trois, peut-être 15, années de rejets tritiés de l’ensemble du parc électronucléaire français actuel a été entreposé. Les estimations varient avec les époques, soulignant la méconnaissance du contenu des déchets.

Mais ce tritium n’a pas daigné rester à sa place, et ce fût le point de départ, en octobre 1976, d’une contamination massive des eaux souterraines et superficielles. Tout ce qui pu être repris l’a été, et les quantités stockés ont été réduites de manière drastique.

Cet incident à mis en exergue, outre des dysfonctionnements et une inadaptation du procédé de stockage, la diffusion du tritium à travers les colis et ouvrages. Ce phénomène, qui a débuté dès la réception des premiers déchets tritiés, existe encore de nos jours et cessera quand il n’y aura plus de tritium dans les colis.
Parce que le gestionnaire du centre s’est refusé à protéger correctement les déchets des intempéries durant les 25 années d’exploitation, y compris durant la période où il déployait des solutions sur son centre de l’Aube, la situation s’est aggravée à La Hague. La lixiviation des déchets par les eaux de pluie a augmenté considérablement les relâchements.

Le CSM s’est donc toujours « vidé », et se « vide » encore de nos jours, de son tritium par d’autres voies que celle de la décroissance radioactive, principe fondamental de l’élimination des déchets nucléaires. L’analyse des données postérieures à 1986, les seules disponibles, tend à suggérer qu’au moins 20% du tritium stocké se seraient « évanouis » dans l’environnement à la date d’aujourd’hui. Dans une note datée du 18/12/92, le gestionnaire estimait même à 1850 TBq [130% de l’inventaire tritié du site (ndlr)] l’activité perdue dans le sol à la suite de l’incident de 1976.

Libéré des ouvrages, ce tritium suit principalement les voies naturelles de l’eau. Il tend à rejoindre les aquifères sous-jacents mais également l’atmosphère. Il est donc voué à être « éliminé », d’une manière ou d’une autre, par dilution et dispersion dans le milieu naturel. Dans l’année qui suit l’incident d’octobre 76, la contamination des eaux souterraines a pu avoisiner les 600 000 Bq/L et celle des eaux de la Sainte-Hélène plus de 10 000 Bq/L. On pense le pire passé. En 1983, on atteint 6 millions de Bq/L dans un aquifère! Expérimentation ? Incident ? Accident ? Le public et les riverains ne savent toujours pas. Tout comme à l’époque ils ne savent pas qu’il est procédé à des rejets dits « concertés » dans la Sainte-Hélène, lesquelles conduisent en octobre 1982 à une contamination des eaux de l’ordre de 50 000 Bq/L.

Le dernier colis livré, la couverture mise en place, les indicateurs témoignent alors de l’avènement d’un processus d’amélioration de la qualité radiologique des eaux souterraines.

En l’absence de rejets industriels ou d’aléas, la teneur des eaux en tritium doit être de l’ordre de 1 Bq/L. Sur le plan sanitaire, l’OMS considère depuis 1993 que les eaux destinées à la consommation humaine ne devraient pas avoir  une teneur en tritium supérieure à 7800 Bq/L. Quant à l’Europe, à partir de 1998, elle s’est fixée pour objectif que ces mêmes eaux ne dépassent pas 100 Bq/L.

En 2005, La pollution n’a pas encore disparu. Elle a globalement diminué. Pour autant la contamination des eaux souterraines contrôlées peut encore atteindre 190 000 Bq/L. Et 20% des aquifères contaminés ne témoignent pas de la diminution attendue si on conjugue la décroissance radioactive au renouvellement des eaux. Fait étrange, certains tendent même à augmenter.

Durant toutes ces années, la pollution par le tritium devient insidieuse. Elle se répand géographiquement sur le versant nord. Elle atteint des puits, des résurgences et les principaux cours d’eau drainant le bassin versant. Actuellement, tous les cours d’eau (les Roteures, la Sainte-Hélène et le Grand Bel) ont en commun d’être contaminés par le tritium, à des niveaux variables compris entre une dizaine et plusieurs centaines de becquerels par litre. Pour les deux premiers, les résurgences le long du premier kilomètre apportent des eaux bien plus contaminées qu’elles ne le sont dans le cours d’eau au même endroit. A quelques centaines de mètres en aval de la source de la Sainte-Hélène, on mesurait jusqu’à 700 Bq/L de tritium dans une résurgence en 2003. Et cette situation contraste peu avec celle observée par l’ACRO il y a une dizaine d’années, cette fois au pied d’une maison familiale. Dans le cas du Grand Bel, pollué à la source, là encore la concentration en tritium des eaux n’a pas évolué depuis 1994 ! Elle est invariablement de 750 ± 100 Bq/L à la source.

Les constats de ces dernières années posent question. Pourquoi la contamination par le tritium n’a pas décru drastiquement comme on aurait pu s’y attendre si on conjugue la dilution et la décroissance radioactive ? Ne considérant que le phénomène de décroissance radioactive, les niveaux auraient dû diminuer de 50% par rapport à 1994. Or il sont sensiblement les mêmes à certains endroits, ce qui suppose que la quantité de tritium mobilisé a augmenté.

Certes, les eaux des résurgences et de cours d’eau ne sont pas utilisées directement pour la consommation humaine, mais elles le sont pour le bétail et même le jardin. Dans le cas d’une vache alimentée de manière chronique avec de l’eau tritiée, des transferts existent vers le lait. Ils sont confirmés dans La Hague lorsqu’on se réfère aux contrôles effectués sur le lait par un autre opérateur du nucléaire que l’ANDRA, cette dernière n’effectuant aucun contrôle de cette nature et ce depuis le départ. Et le bilan des transferts ne s’arrête pas là. Le tritium, hydrogène radioactif, « s’échange » et entre dans la composition de la matière organique, donc de la vie. Chair, graisse, légume, etc. peuvent être concernés. Les voies d’atteintes à l’homme se multiplient alors. Faut-il encore vouloir les connaître.

Apurer la pollution des écosystèmes aquatiques est une nécessité morale. Il n’est pas acceptable de voir le gestionnaire d’un centre de stockage de déchets nucléaires démissionner devant un élément radioactif comme le  tritium qu’il n’a pu contenir sur son site et l’abandonner au pied des maisons, au fond des champs. Il est obligatoire a minima d’étudier, comme le demande l’ACRO, la possibilité de recourir à la méthode éprouvée du pompage dans la nappe avec rejet en mer dans l’espoir d’obtenir une diminution progressive de la contamination des eaux de surfaces et de gérer de manière contrôlée et organisée les flux de radioactivité artificielle en direction de l’environnement.


Rapport d’analyse

Dosage du tritium dans les eaux souterraines pompées le 23 mai 2006 au niveau du piézomètre 113 à proximité du centre de stockage de la Manche

Echantillon Concentration en Bq/L
début
de pompage
13 200
± 900
fin de
pompage
16 800
± 1 100

Télécharger le rapport d’analyse

Dosage du tritium dans les eaux souterraines suite à un deuxième prélèvement effectué par Greenpeace Hollande le 8 novembre 2006 au niveau du même piézomètre.

Echantillon Concentration en Bq/L
Première
cuillère
18 700
± 1 100
Deuxième
cuillère
18 100
± 1 100
Après
pompage 1000 L
18 100
± 1 100
Après
pompage 2000 L
20 000
± 1 200
Après
pompage 3000 L
20 200
± 1 300
Après
pompage 4000 L
20 600
± 1 200

Télécharger le rapport d’analyse

Ancien lien

Ces déchets nucléaires dont on ne sait que faire

Contribution de l’ACRO au débat public sur les déchets nucléaires à vie longue et de haute activité, septembre 2005
Télécharger le document officiel
Contribution de l’ACRO au débat sur l’EPR
Débat sur l’EPR : le secret est inacceptable, communiqués de presse du 17 octobre 2005


Aucun pays, à ce jour, n’a trouvé de solution pour le devenir des déchets nucléaires qui, pour certains d’entre eux, demeureront toxiques pendant des millions d’années, et dont la gestion pose d’énormes problèmes à l’industrie nucléaire. L’enjeu est double : épurer le passif – des déchets sont parfois entreposés dans de mauvaises conditions et portent atteinte à l’environnement – et proposer des filières d’évacuation dès la source pour tous les déchets à venir, en y associant une traçabilité la plus exhaustive possible.

De la mine à la centrale électrique ou l’usine de retraitement, chaque étape de la chaîne du combustible fournit son lot de déchets, généralement classés selon leur radioactivité et leur durée de vie. Seuls ceux faiblement radioactifs et de période courte (inférieure à trente ans) ont trouvé un site d’accueil définitif : ils sont stockés en surface, dans l’Aube, à Soulaines-Dhuys. Ce centre a pris le relais de celui de la Manche, qui a reçu son dernier colis en 1994 et ne satisfait pas aux règles de sûreté des stockages actuels. Pâtissant d’une gestion passée empirique, il contient des radioéléments à vie longue et des fuites portent atteinte à l’environnement. Le centre de l’Aube, huit fois plus grand pour deux fois plus de déchets, sert de vitrine à l’Agence Nationale des Déchets Radioactifs (ANDRA). Le stockage n’y est prévu que pour trois cents ans.

Cette solution est cependant trop onéreuse et inadaptée pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers accumulées pendant les quarante années d’extraction de minerai en France. Si ces résidus sont très faiblement radioactifs, ils ont l’inconvénient de contenir des radioéléments à vie longue : 75 380 ans de période pour le thorium 230. Par ailleurs, l’un des descendants de l’uranium – le radon – est un gaz toxique, ce qui rend le stockage ou l’entreposage difficile. Ces types de déchets sont généralement entreposés dans d’anciennes mines à ciel ouvert ou dans des bassins fermés par une digue, en attendant une meilleure solution qui éviterait les risques de dispersion des radioéléments par érosion ou suintement. Ce problème est maintenant déplacé dans les pays producteurs puisque l’uranium est entièrement importé. Au Gabon, les résidus ont été déversés directement dans le lit de la rivière Ngamaboungou jusqu’en 1975 par la Comuf, filiale de la Cogema.

D’autres déchets très faiblement radioactifs (TFA), issus du démantèlement des installations nucléaires, vont aussi poser un problème d’envergure. Ainsi, en France, il va falloir trouver une solution à moindre coût pour les 15 millions de tonnes attendus. Pour une partie de ce volume, un « recyclage » est prévu et la possibilité d’établir des seuils de libération a été introduite par la législation d’origine européenne permettant alors de les considérer légalement comme des déchets non radioactifs. Pour les déchets dépassant les seuils, le centre de stockage en surface de Morvilliers dans l’Aube vient d’entrer en exploitation.

Un débat limité

Le débat proposé ne concerne que les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue. Tous les autres échappent à la loi Bataille et au « débat démocratique » proposé. Il serait temps que la représentation nationale s’inquiète du devenir de tous les déchets après avoir consulté la population. Son incapacité à sortir des limbes le projet de loi sur la « transparence nucléaire » ne permet pas d’être optimiste.

En ce qui concerne les déchets les plus toxiques et à vie longue, dont les volumes sont beaucoup plus faibles, un consensus international semble se dégager en faveur de leur enfouissement, même si l’avancement des recherches dépend beaucoup de considérations politiques locales. L’argument généralement avancé est la protection des générations futures, la barrière géologique devant retenir les éléments toxiques pendant des millions d’années sans intervention humaine. Cette interprétation suppose une certaine défiance envers la capacité de nos successeurs à faire face aux dangers provoqués par les déchets nucléaires. Paradoxalement, les opposants à l’enfouissement brandissent aussi la protection générations futures pour justifier de leur opposition, avec comme soucis de leur laisser la possibilité d’intervenir facilement sur le stockage en cas de problème, et comme hypothèse optimiste qu’elles sauront mieux que nous gérer ces déchets. C’est aussi leur laisser un pouvoir de décision en faveur de la gestion des risques : les centres de stockage souterrains sont conçus pour que l’exposition des générations futures satisfasse aux normes de radioprotection actuelles, normes qui seront fort probablement modifiées dans l’avenir. L’affirmation de l’ANDRA, après seulement quelques mois de recherche, que le site de Bure peut accueillir des déchets pendant des millions d’années est peu crédible scientifiquement.

Le mythe du recyclage

En France, outre le stockage en profondeur, la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs prévoit l’étude de la séparation des éléments radioactifs les plus nocifs à long terme, celle de leur transmutation, ainsi que « l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets ».  La séparation et la transmutation proposées par la loi sont parfois présentées comme un recyclage des déchets radioactifs pouvant constituer une solution de rechange au stockage définitif. Elles concernent plutôt les combustibles irradiés issus d’une éventuelle prochaine génération de réacteurs, mais pas les déchets accumulés actuellement. La séparation de certains radioéléments du combustible irradié nécessite des opérations chimiques complexes. Les recherches en cours visent essentiellement à améliorer les capacités de retraitement de l’usine de la Hague. La transmutation, quant à elle, nécessite l’utilisation d’un parc complet de réacteurs nucléaires innovants ; d’autres pays se sont aussi lancés dans ce type de recherches dont certains résultats ne sont pas sans intérêts militaires.

Si ces recherches aboutissaient, un système nucléaire vaste et complexe serait à créer pour remplacer des isotopes peu radioactifs à vie longue par des isotopes très radioactifs à vie courte. Faut-il exposer les travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain pour protéger les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? Sans compter le risque d’accident beaucoup plus grand sur un site industriel que dans un centre de stockage. L’industrie nucléaire peine déjà à recycler le plutonium et l’uranium extraits des combustibles usés. Le retraitement, technologie d’origine militaire, est aussi une opération très polluante et onéreuse. Un retraitement poussé ne ferait qu’augmenter ces coûts, d’autant plus que la convention internationale OSPAR impose de faire tendre vers zéro les rejets dans l’Atlantique Nord d’ici 2020. L’exposition aux rayonnements ionisants engendrée par cette pratique n’a jamais été justifiée par les avantages économiques, sociaux ou autres par rapport au détriment qu’ils sont susceptibles de provoquer, comme l’impose pourtant la réglementation. Comment alors justifier des opérations plus complexes ? De plus, dans la mesure où il conduit à vitrifier les résidus, le retraitement rend difficile la reprise ultérieure des déchets soit parce qu’une matrice meilleure aura été trouvée, soit pour une séparation plus poussée. Le choix du retraitement, jamais débattu, ferme des options de gestion aux générations futures.

Pour un stockage réversible

Pour les déchets accumulés jusqu’à maintenant, ne restent donc que le stockage souterrain ou un entreposage en surface à plus ou moins long terme. Dans tous les pays, l’industrie nucléaire semble pencher vers une « évacuation géologique », même si l’on en est qu’au stade des études. Le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) dans une formation saline du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis fait figure de pionnier avec son premier colis de déchets reçu en mars 1999. Il est destiné aux déchets transuraniens issus de la recherche et production d’armes nucléaires. L’entreposage en surface, quant à lui, semble avoir la préférence des écologistes, pour son caractère réversible. Dans l’hypothèse d’un stockage profond, à la fermeture du site, l’étanchéité du site impose de fermer l’accès définitivement, les éventuels colis défectueux ne pouvant alors être repris qu’à l’issue de travaux miniers lourds. Avant, durant la phase d’exploitation, le centre de stockage souterrain est réputé réversible.

La notion de réversibilité, qui découle du principe de précaution, est récurrente dans le débat sur les déchets. Elle est surtout proclamée comme argument d’acceptabilité mais pas appliquée au retraitement par exemple. Au-delà des slogans, la réversibilité implique de garder plusieurs options ouvertes afin de pouvoir revenir sur certains choix. En effet, la reprise d’un stockage défectueux nécessite d’avoir une solution meilleure. Pour limiter le coût humain et financier lié à la multiplication des options – « l’énergie nucléaire doit rester compétitive ! » – une hiérarchisation s’impose entre les options a priori prometteuses pour lesquelles des développements technologiques lourds sont nécessaires et celles pour lesquelles un effort modéré de Recherche et Développement devrait suffire à maintenir l’option ouverte. Cette démarche impose aussi de garder les déchets sous la main, si jamais une solution meilleure était trouvée. C’est le cas en particulier des combustibles usés qui contiennent des éléments pouvant peut-être intéresser les générations futures. A partir du moment où nos descendants sont supposés avoir les capacités de surveiller en surface une partie des déchets – les plus toxiques –, pourquoi d’autres déchets doivent absolument être enfouis ?

Pour le retour des déchets étrangers

L’hypothèse d’un stockage à l’étranger dans des pays moins regardants séduit les autorités qui doivent faire face à une forte contestation de leurs populations. En France, l’article 3 de la loi de décembre 1991 stipule que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ». Mais des déchets étrangers, issus du retraitement, auraient dû être renvoyés dans leur pays d’origine depuis longtemps. Et les contrats allemands, qui prévoient l’hypothèse d’un non-retraitement sans pénalité, transforment de fait l’usine de La Hague en centre d’entreposage international. Malheureusement, on attend toujours les décrets d’application pour que la loi Bataille puisse être respectée… Le retour dans leur pays d’origine des tous les déchets – y compris les déchets technologiques et de démantèlement – est un impératif éthique.

La gestion des déchets radioactifs nécessite des choix collectifs problématiques impliquant une perspective temporelle inhabituelle : comment prendre des décisions pour les générations et sociétés lointaines ? Trop reporter les décisions pourrait être préjudiciable. Les déchets existent et demandent une gestion rigoureuse dès leur production. Mais des considérations à court terme concernant par exemple la poursuite ou non du programme nucléaire viennent interférer et risquent d’emporter les décisions. En effet, pour pouvoir obtenir l’assentiment de la population, il faut absolument pouvoir prétendre avoir une solution pour les déchets. Un compromis prudent pourrait être réalisé à travers une approche séquentielle de la décision, avec des échéances régulières sans que soit fixée a priori une limite temporelle à ce processus afin de garantir la liberté de choix de nos descendants. Surtout, un dialogue continu avec les citoyens est nécessaire pour légitimer ces choix, pas seulement quand les autorités veulent relancer le nucléaire.

ACRO
https://acro.eu.org

Ancien lien

La Hague, fille aînée du nucléaire

David Boilley, S!lence, janvier 2002, remis à jour le 27 mars 2002.


Presqu’île au bout de la presqu’île du Cotentin, La Hague est aujourd’hui plus connue pour ses installations nucléaires que pour la beauté de ses paysages. L’usine de retraitement des combustibles irradiés est la plus célèbre. Fleuron de la technologie nationale que nous exportons jusqu’au Japon, elle fait la fierté de la plupart des élus locaux qui sont aussi satisfaits par la manne financière qu’elle leur procure. Un centre de stockage de déchets radioactifs fermé depuis 1994, la jouxte. Pour le CEA, qui en a eu la tutelle durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets »[1]. L’arsenal de Cherbourg, où sont fabriqués nos sous-marins nucléaires, n’a pas à rougir. En effet, la force océanique stratégique se voit confier la majeure partie des armes nucléaires stratégiques françaises. Depuis août 2000, Le Redoutable, qui a effectué sa dernière plongée en 1991, a commencé une nouvelle vie en étant le pôle d’attraction de la future cité de la mer de Cherbourg. Enfin, les deux réacteurs de Flamanville, à 20 km à vol d’oiseau vers le Sud viennent renchérir un département dont les deux tiers de la taxe professionnelle vient du nucléaire. Sans aucun doute, la région participe au rayonnement de la France dans le monde.

Arrières-pensées militaires

Le retraitement des combustibles irradiés pour en extraire du plutonium est une technologie militaire qui a été civilisée afin de la rendre acceptable et exportable. Pas un pays ne s’y est intéressé sans arrières-pensées militaires. En exportant cette technologie dans de nombreux pays, la France est au cœur du processus de prolifération [2]. « Pour palier une hypothétique défaillance de l’usine chimique d’extraction du plutonium [militaire] de Marcoule, il a été décidé de construire au Cap de La Hague une deuxième unité de traitement des combustibles irradiés ; elle servira d’usine de secours et permettra aussi d’y séparer une fraction du plutonium produit dans les réacteurs E.D.F. » [3]. La première usine de Marcoule est arrêtée depuis 1992 et est en cours de démantèlement. Il y a actuellement trois usines de retraitement à La Hague, dont une est quasiment arrêtée depuis 1994. Pour Robert Galley, à l’origine du choix de l’implantation, « le site de La Hague présentait une particularité unique en France […], s’il y avait un incendie […] 270° de vents portraient vers la mer » [4]. La population locale ne sera jamais consultée et les élus locaux avertis dans la nuit qui précède l’annonce à la presse [5]. Malheureusement pour l’exploitant, lors de l’incendie du silo en 1981, les radio-éléments ne se sont pas arrêtés au grillage de l’usine [6]. En février 1970, suite à une panne générale d’électricité dans le Nord-Cotentin, on a frôlé une catastrophe qui aurait pu avoir des conséquences bien au-delà de la Normandie. Mais même en fonctionnement normal, les rejets de l’usine ne sont pas sans inquiéter la population.

Le Centre Manche

Le Centre de Stockage de la Manche où sont entassés 527 000 m3 de déchets faiblement radioactifs est aussi une source d’inquiétudes [7]. Pour Christian Kernaonet, un ingénieur de l’ANDRA, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, maintenant à la retraite, la tranche n°1 doit être reprise car elle menace de s’effondrer : « Durant des années, on a entassé des milliers de fûts métalliques, comme ça, les uns sur les autres, sur une hauteur de dix à quinze mètres ! Pour que cela tienne, on les a maintenus avec une armature faite de blocs de béton et on a rajouté par dessus une couche de terre et d’argile. Assez rapidement, on s’est posé des questions, sans que cela filtre à l’extérieur. Dès 1974-1975, donc quatre ou cinq ans après avoir démarré, on a découvert qu’il y avait des effondrements. Parfois, à la suite d’un week-end où il avait beaucoup plu, on découvrait des affaissements d’un diamètre de sept-huit mètres et de quatre mètres de profondeur. Parfois plus… Logiquement des fûts s’étaient effondrés. D’autres avaient dû éclater sous le poids. [… Le problème, c’est qu’] on a contruit le site dans dalle et sans drainage, et juste au dessus de la nappe phréatique. Une vraie connerie ! » [8]. C’est donc pour « la sécurité des générations futures » qu’il s’est opposé à la fermeture du site : « En ressortant les fûts de la tranche 1, on se serait honoré d’avoir agi par précaution. Sans attendre qu’un groupe écolo quelconque nous fasse péter l’affaire à la figure ». La surveillance du site prévue par l’ANDRA repose essentiellement sur les eaux de percolation récupérées au niveau des drainages. Le problème, c’est que la tranche 1 n’a pas de drainage et les eaux de percolation vont directement dans la nappe phréatique. Si un problème sérieux est détecté aux exutoires, il sera trop tard ! De plus, les nappes phréatiques étant déjà fortement contaminées par les « incidents » passés, seul un incident majeur pourrait être détecté. Or, au nord du site, la contamination en tritium des eaux souterraines augmente continuellement sans que l’ANDRA ne fournisse aucune explication. Est-ce dû à un apport du Centre Manche ? La volonté de l’exploitant, des autorités et des responsables locaux est de laisser le Centre en l’état. A l’heure où la réversibilité des centres de stockages en profondeur est en débat, le Centre Manche fournit un intéressant cas d’étude. La décision de fermer est-elle réversible ? L’ACRO, Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, réclame en vain la création d’un groupe de travail ad hoc ouvert aux associations intéressées, incluant Monsieur Kernaonet, qui serait chargé d’étudier l’état de Centre Manche afin de faire des recommandations sur son avenir, puis de les soumettre à la population locale.

Depuis 1995, l’ANDRA tente d’obtenir la fermeture officielle du site et sans la vigilance des associations locales, les déchets seraient définitivement enterrés avec leurs problèmes. Il y a là près de 100 kg de plutonium et des tonnes de métaux lourds ! Lors d’une première enquête publique en 1995, l’ANDRA embauche Pierre Boiron comme expert pour servir d’interlocuteur au président de la commission d’enquête, Jean Pronost. Il se trouve que ce sont deux amis… Malheureusement pour eux, l’ACRO a montré, grâce à des documents internes reçus anonymement, que la réalité du Centre était très éloignée de ce qui était présenté dans le dossier soumis à enquête. Les autorités ont demandé à l’ANDRA de revoir sa copie et une nouvelle enquête publique a eu lieu en 2000. Le président de la nouvelle commission d’enquête était… Pierre Boiron ! Après une tentative de recours à l’amiable du CRILAN, infructueuse, les associations ont boycotté la procédure. Toute décision prise à l’issue de cette enquête est attaquable en justice car cette nomination viole la loi Bouchardeau sur les enquêtes publiques.

Des rejets sous surveillance ?

En 1994, les usines de retraitement ont rejeté en mer 8775 fois plus de radioactivité bêta-gamma (hors tritium) que les deux réacteurs voisins de Flamanville. Ces rejets marquent tout le littoral Normand et peuvent être suivis jusqu’en mer du Nord [9]. En terme d’impact sur la population locale, ce sont les rejets aériens qui dominent actuellement. Si certains radio-éléments comme le tritium (isotope de l’hydrogène) ou le krypton qui est un gaz rare, sont rejetés parce que difficiles à stocker, l’iode 129, quant à lui, est pratiquement entièrement rejeté dans l’environnement parce qu’il s’agirait de la meilleure façon de gérer ce déchet qui a une durée de vie de 17 millions d’années.

La compagnie sait-elle exactement ce qu’elle rejette ? Aussitôt informée de l’incident de rejet atmosphérique qui a eu lieu le 18 mai 2001 à l’usine COGEMA de la Hague, l’ACRO a effectué une campagne de prélèvements autour du site. Les résultats d’analyse ont mis en évidence une contamination importante de l’environnement en ruthénium rhodium 106, radioéléments artificiels, et ont conduit l’ACRO à interroger l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la validité du système de mesure des rejets aériens de la Cogéma. En effet, ses calculs montraient que la quantité de ruthénium-rhodium déposée sur l’herbe était largement supérieure à la quantité totale rejetée annoncée par l’exploitant. Une évaluation de cette quantité à l’aide d’un modèle de dispersion dans l’environnement l’avait conduit à estimer que la Cogéma avait rejeté probablement 1000 fois plus que ce qu’elle avait annoncé (14 000 MBq pour 11 MBq déclarés). Dans une lettre reçue à l’ACRO le 24 octobre 2001, l’ASN répond qu’en fonctionnement courant « ce facteur a dû être proche de trois pour la période 1999-2000 et de quatre-cent lors de l’incident » [10]. Un incident similaire qui a eu lieu le 31 octobre a permis à l’ACRO de montrer que le système de mesure de l’autre cheminée de rejet était également défaillant. Les relevés trimestriels publiés par l’exploitant ne font pas apparaître les contaminations anormalement élevées en ruthénium-rhodium détectées à l’issue des ces incidents. Par le passé, l’ACRO avait déjà épinglé la Cogéma sur sa « transparence » : en épluchant 5 années de publication de sa plaquette grand public, elle avait relevé 29 « erreurs » qui tendaient toutes à sous estimer la pollution [11]. Ce goût du secret en matière d’environnement peut cacher des lacunes plus graves : les mesures dans l’environnement du carbone 14 et de l’iode 129 rejetés en grande quantité par l’usine de la Hague ne datent respectivement que de 1996 et 1991. Pourtant ces deux radioéléments contribuent de façon significative à la dose subie par la population.

Le rôle de l’ACRO

Les rejets des installations nucléaires sont soumis à différents contrôles de la part de plusieurs organismes officiels et des exploitants eux-mêmes. L’intérêt de ces mesures de la radioactivité en matière de santé publique est évident. Pourtant, la population directement concernée n’est pratiquement pas informée des résultats de cette surveillance. Il est impossible à un citoyen d’obtenir des données exhaustives sur les mesures faites près de chez lui, tout ce qu’il peut espérer, ce sont des moyennes. C’est pourquoi, l’ACRO, depuis sa création après la catastrophe de Tchernobyl, effectue une surveillance citoyenne régulière de l’environnement local et s’engage à publier toutes ses données. L’association a dû subir de nombreuses pressions et des mises en cause publiques pouvant aller jusqu’au dépôt de plainte de la part des exploitants, mais après quinze ans de fonctionnement et de batailles, la fiabilité de son laboratoire d’analyse n’est plus remise en cause. C’est très important, car si les exploitants peuvent sous-estimer sans vergogne l’impact de leurs rejets, l’ACRO n’a pas le droit à l’erreur pour rester crédible. Le laboratoire est maintenant accrédité d’une qualification technique délivrée par le Ministère de la santé.

Gérer un laboratoire d’analyse fiable avec un personnel qualifié est très contraignant pour une association et cela coûte très cher. Les seuls dons ne suffisent pas et l’association doit trouver des partenaires, comme les agences de l’eau, des commissions locales d’information ou des collectivités territoriales qui financent certaines de ses études. Malgré tout, l’ACRO se dit indépendante car sans l’implication de nombreux bénévoles, elle ne pourrait pas exister. Le manque chronique de ressources peut parfois être dramatique pour l’association qui a failli mettre la clé sous la porte en septembre 2000. C’est pourquoi, le soutien financier et l’implication d’un plus grand nombre d’adhérents est indispensable à sa survie.

La Hague : danger zéro ?

La publication par le Professeur Viel d’études épidémiologiques mettant en évidence une augmentation du nombre de leucémies chez les jeunes vivant autour de l’usine de retraitement de La Hague et la relation significative avec la fréquentation des plages soit par les mères pendant leur grossesse (risque multiplié par 4,5) ou par les enfants eux-mêmes (risque multiplié par 2,9) a suscité une forte émotion dans la région [12]. Comme souvent, c’est le donneur d’alerte qui a été mis en cause plutôt que le pollueur. D’autres études sont venues conformer cette augmentation depuis [13]. Constitué de manière spontanée à la suite des travaux de Jean-François Viel, le collectif des Mères en Colère milite pour une information objective, transparente et indépendante. Elles tentent par tous les moyens, pétitions, manifestations et participation aux commissions officielles, d’établir un dialogue avec tous les représentants des industries concernées afin de réfléchir collectivement aux moyens de répondre aux inquiétudes sociales et environnementales suscitées par cette industrie qui fait vivre des milliers de familles et toute une région, au mépris des sentiments de rejet d’une frange de la population. Leurs interventions ont permis d’apporter une note d’humanité, de sensibilité et de réalisme dans un contexte où les décisions économiques et politiques sont prises par des hommes, en faisant abstraction de tous les problèmes environnementaux et psychologiques que peut entraîner une telle mono-industrie. Pour les Mères en Colère, le risque engendré par le retraitement n’est pas acceptable dans la mesure où il porte préjudice à l’environnement et à la santé de leurs enfants. Ce combat demande beaucoup d’énergie et d’abnégation, mais les échanges entre femmes ont permis d’exprimer une anxiété qui était latente dans beaucoup de foyers. Il y a un besoin de s’exprimer sur ce sujet tabou, alors qu’une sorte de loi du silence s’est instaurée au fil des années, imposée par des impératifs économiques. Le Collectif des Mères en Colère répond à cette attente des femmes qui vivent dans cette région en devenant leur porte-parole, ce qui impose de leur être fidèles.

La création, par les Ministres de l’environnement et de la santé, du comité Nord-Cotentin chargé de faire un bilan rétrospectif de 30 années de rejets dans l’environnement par les installations nucléaires de la région, constitue une avancée notable. L’ACRO, qui ne cesse de réclamer une transparence totale en matière d’environnement, n’avait d’autre choix que d’y participer activement. La première partie des travaux, publiée en 1999, est limitée aux seules leucémies et ne permet pas de lever le doute sur l’impact des rejets radioactifs et chimiques. Ce n’était pas sa mission [14]. Pour rassurer, la COGEMA a tenté de « lancer un concept nouveau : ” Le zéro impact pour la santé “, en agissant sur le niveau des rejets de nos activités » explique sa PDG. « Pour cela, nous retenons les critères des experts internationaux, en particulier ceux de la CIPR (Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants). Pour eux, à 30 microsieverts – unité qui mesure les conséquences biologiques de la radioactivité sur l’organisme – par personne et par an, il n’y a pas de risque pour la santé. »  Le problème, c’est que la CIPR a démenti : « Une telle affirmation serait en contradiction avec l’hypothèse de la publication n°60 et de nombreux autres rapports d’une relation linéaire et sans seuil entre la dose et les effets à faible dose. Mon impression est qu’il y a eu une incompréhension de la position de la CIPR. » [16] L’enjeu est grand, car si chaque radiation reçue a un impact, la législation impose que les pratiques entraînant une exposition aux rayonnements ionisants soit justifiées « par leurs avantages économiques, sociaux ou autres par rapport au détriment sanitaire qu’ils sont susceptibles de provoquer » [17].

Retraiter ou pas retraiter ?

Economiquement, la filière plutonium n’est pas rentable comme l’a montré le rapport du Commissariat au plan signé par le Haut-Commissaire à l’Energie Atomique [18]. Mais peu importe si le « recyclage » du plutonium peut avoir un intérêt écologique. L’Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE a montré que si l’on retraitait tous les combustibles irradiés et recyclait tout le plutonium extrait, on ferait une économie d’uranium de 21% [19]. Etant donnée la surproduction d’électricité nucléaire en France, il y a des moyens plus simples pour économiser les ressources de la planète ! Surtout que dans les faits, seuls les deux tiers du combustible usé qui sort des centrales françaises est retraité et seulement 50% environ du plutonium extrait a été « recyclé ». Quant à l’uranium, qui est aussi extrait lors du retraitement, le taux de « recyclage » est inférieur à 10%. [20]

Dénoncé depuis toujours par les associations écologistes, le retraitement fait partie des dogmes qui ont fait leur temps, même dans certains milieux nucléocrates. Au niveau international, il est aussi sur la sellette. La déclaration de Sintra (Portugal, 1998) de la réunion ministérielle de la convention OSPAR [21] engage les états signataires à faire en sorte que « les rejets, émissions et pertes de substances radioactives soient, d’ici l’an 2020, ramenés à des niveaux tels que, par rapport aux niveaux historiques, les concentrations additionnelles résultant desdits rejets, émissions et pertes soient proches de zéro. » Cette contrainte a conduit à la déclaration de Copenhague (Danemark, 2000) demandant la mise « en œuvre l’option ” non-retraitement ” (par exemple par entreposage à sec) pour la gestion des combustibles nucléaires usés dans des installations appropriées ». La France et la Grande-Bretagne, seuls pays concernés, se sont abstenus. Si ces deux pays s’accrochent au retraitement, c’est pour garder un savoir faire et une structure industrielle indispensables à long terme au niveau militaire. L’exception américaine avec arrêt du retraitement il y a 25 ans environ ne doit pas faire illusion : il est maintenant officiellement reconnu que la Grande-Bretagne a fourni 5,4 tonnes de plutonium aux Etats-Unis entre 1958 et 1979 en échange de tritium et d’uranium enrichi [22]. Se sont-ils aussi fourni ailleurs ? Le plan Bush sur l’énergie prévoit la relance du retraitement.

En commandant le 28 juillet 2000 un quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération, Le Terrible, et surtout en développant un nouveau missile, le M51, aussi prévu pour 2008, la France viole le traité de non-prolifération dont l’article 6 stipule : « chacune des parties au traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous contrôle international strict et efficace ». Article, hélas, sans aucune échéance précise ni mesure contraignante. [23] Une campagne d’interpellation, « Dites NON au quatrième sous-marin nucléaire ! » a été lancée par le MAN, Stop-Essais et le Mouvement de la Paix [24].

La fermeture des usines de retraitement n’est pas sans créer de problèmes sociaux. La baisse de l’activité de l’usine est mise sur le dos des écologistes. L’accueil réservé à la tête de liste des verts aux élections européennes, qui a été obligé de passer sous les fourches caudines syndicales par la direction de l’usine, laisse présager le pire. Mais l’arrêt du retraitement ne signifie pas l’arrêt de l’activité, car les déchets nucléaires demeurent. En particulier, de grandes quantités doivent être reprises pour être conditionnées.

Non-retour à la case départ ?

Actuellement, la moitié de l’activité du centre de La Hague est destinée aux combustibles étrangers, avec pour principaux clients, l’Allemagne et le Japon, pays qui possèdent toute la technologie nécessaire à la fabrication de l’arme nucléaire. Au Japon, le plutonium de La Hague, « recyclé » sous forme de combustible MOx, attend dans les piscines de déchets nucléaires l’autorisation d’être « brûlé ». Tout un symbole… Mais verra-t-on un jour le retour de tous les déchets étrangers vers leur pays d’origine ? L’article 3 de la loi de décembre 1991 stipule que « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ». En fait, cet article est déjà violé car on entrepose à la Hague des déchets technologiques faiblement ou moyennement radioactifs, issus du retraitement, qui auraient pu être renvoyés dans leur pays d’origine depuis longtemps. Sans parler des déchets des premiers contrats étrangers de la Cogema, pour lesquels il n’existe aucune clause de retour. A la place, la Cogema espère renvoyer 5 % de déchets vitrifiés supplémentaires, plus compacts, et garder les autres types, plus volumineux. Les quotas de radioactivité devraient être respectés, mais pas ceux de volume. BNFL, le concurrent britannique, offre déjà officiellement ce service… Un tri similaire a déjà commencé : sur le centre de stockage de la Manche, les déchets technologiques stockés sont dix fois plus volumineux que ceux en attente d’un renvoi éventuel [25].

En 1994, la loi allemande a changé, autorisant soit le retraitement soit l’enfouissement des combustibles irradiés. Les compagnies ont donc renégocié leurs contrats avec COGEMA et BNFL. Selon des experts proches des agences de sûreté nucléaire qui ont vu les contrats, les nouveaux termes autorisent ces compagnies à entreposer leur combustible irradié dans les usines de retraitement de La Hague et de Sellafield en Grande-Bretagne pendant 25 ans avant de décider si elles le feront retraiter ou non. Si elles ne le font pas retraiter, le combustible irradié sera rapatrié en Allemagne, des frais d’entreposages seront payés, mais aucune pénalité n’est prévue. Ces contrats concernent le combustible irradié produit jusqu’en 2005 avec une possible extension jusqu’en 2015 [26]. D’usine de retraitement, le site est en train de devenir un centre d’entreposage international, Cogéma allant jusqu’à accepter des déchets australiens pour lesquels elle n’a aucune autorisation de retraitement. La loi de 1991 ne contient malheureusement aucune sanction en cas d’infraction et n’a pas reçu de décrets d’application. L’ACRO condamne cette politique du fait accompli.

Avant même l’arrivée du combustible nucléaire australien, la Cogéma a assigné en référé Greenpeace devant le tribunal de grande instance de Cherbourg et demande de « faire interdire à Greenpeace ainsi qu’à toute personne se réclamant du mouvement Greenpeace de s’approcher à moins de 100 m des convois de combustible australien et ce sous astreinte de 500.000 F par infraction constatée ». Cette affaire montre le peu de cas que la compagnie fait de la liberté d’expression et de manifestation. Mais Greenpeace a retourné le référé en demandant à la Compagnie de prouver qu’elle avait bien l’autorisation de retraiter ces combustibles étrangers. S’en est suivi un bras de fer juridique où l’association a obtenu une interdiction du débarquement des déchets australiens. La Cogema a fait appel et a obtenu gain de cause auprès de la cour d’appel de Caen. Greenpeace a de nouveau déposé une assignation à jour fixe dans laquelle elle attaque la Cogema sur le fond du dossier. L’affaire est en cours. Mais ce sont surtout les actions spectaculaires de l’organisation qui ont permis que les médias s’intéressent à La Hague et qui marquent l’opinion. Ainsi à la même époque, à cause de la présence d’une poignée de militants de Greenpeace, le départ de combustibles MOx vers le Japon était accompagné d’un dispositif composé notamment de policiers du RAID, d’unités du Groupement d’intervention de la police nationale, d’un Elément Léger d’Intervention (ELI) de la gendarmerie mobile, des renseignements généraux, des commandos marine et d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS). Malgré cela, le 19 janvier 2001, trois canots pneumatiques de l´organisation ont réussi à rentrer dans le port de Cherbourg, lâchant quatre plongeurs qui ont brandi des écriteaux dénonçant le MOx avant d´être appréhendés [27].

Au total, l’Allemagne doit encore rapatrier l’équivalent de 166 emballages de type “Castor” contenant des déchets hautement radioactifs, dont 127 en provenance de La Hague et 39 en provenance de Sellafield, selon le ministère de l’Environnement allemand. Sachant qu’un transport de déchet comprend en général six emballages Castor, il faudrait encore 14 ans, à raison de deux transports par an, pour rapatrier la totalité du stock de déchets allemands à l’étranger. A cela s’ajoutent les déchets faiblement et moyennement radioactifs oubliés par les autorités et la presse quand elles parlent du sujet. Malgré ces retours difficiles, la Cogéma espère accueillir une dizaine de convois de combustibles irradiés allemands par an. Le Réseau Sortir du Nucléaire dénonce à ce propos un marché de dupe. Aucun retour n’est prévu pour l’instant vers la Belgique, les Pays-Bas, la Suède…

Un régime de complaisance ?

Pendant l’été 2000, la France a accueilli dans la plus grande discrétion quatre transports de déchets nucléaires allemands vers La Hague. Il s’agit d’un stock de rebuts de MOx restant à l’usine d’Hanau (dans le Hesse), une usine de fabrication de Mox à l’arrêt depuis 1991. Suite à cette affaire, la Cogéma se retrouve assignée en référé par Didier Anger, conseiller régional Vert de Basse-Normandie et le CRILAN. Leur avocat s’appuie sur une lettre d’André-Claude Lacoste, directeur de la sûreté des installations nucléaires qui assure que “la Cogema n’est actuellement pas en possession d’une autorisation de traiter les lots d’assemblages en provenance de Hanau”. Mais lors de l’audience en référé, la compagnie a notamment insisté sur l’irrecevabilité du CRILAN en tant qu’association agréée pour se pourvoir en justice. Elle a été suivi par le tribunal, le comité n’ayant pas dans ses statuts l’autorisation de se pourvoir en justice pour ce cas précis. Didier Anger a lui aussi été débouté sur la forme. Le CRILAN a depuis changé ses statuts et peut se pourvoir en justice. Devant faire face à des manifestations violentes d’employés de la Cogéma, c’est sous protection policière que les représentants du CRILAN ont dû accéder au Tribunal lors de l’audience du 20 mars 2001 [28].

La création du CRILAN témoigne d’un désir d’une partie des habitants du Nord-Cotentin et d’ailleurs de lutter contre la nucléarisation forcenée de la presqu’île. L’association veille particulièrement à la légalité des décisions prises, au respect des lois et a entamé, pour ce faire, des luttes juridiques contre EDF, l’ANDRA et la Cogéma. En particulier, le 11 janvier 1999, elle a obtenu la mise en examen de la Cogéma pour mise en danger de la vie d’autrui. Les plaintes, déposées contre X en janvier 1994, portaient sur le non-retour des déchets étrangers. Mais le plus dure reste à faire, obtenir le débat en audience publique. La lutte juridique n’est pas une fin en soi, elle permet seulement de mettre en évidence que le nucléaire n’a jamais fait bon ménage avec l’état de droit [29].

Nucléaire et démocratie

Si le nucléaire est insoluble dans la démocratie, c’est particulièrement flagrant dans le Nord-Cotentin. Dans les années 1980 on doit à la CFDT, fortement impliquée dans les problèmes de société à cette époque, la vulgarisation à grande échelle des problèmes posés par l’ensemble de la filière [30]. Localement le syndicat du site de la Hague, majoritaire sur l’établissement, dénonce les conditions de travail dans les zones contaminées dans un film choc : “Condamnés à réussir” et informe les populations locales des incidents du site ayant un impact hors usine sur l’environnement. Cette époque est révolue et de nos jours, seules quelques associations militantes tentent d’organiser un débat public sur un sujet encore tabou. Lors de crises, elles deviennent les boucs-émissaires par lesquels le mal est arrivé. Et les industriels n’hésitent pas, par syndicats, associations complaisantes ou politiques interposés à jeter l’opprobe sur les contestataires. Pourtant, la contestation est légitime car contrairement aux risques naturels, les risques techno-scientifiques résultent de choix effectués par une poignée d’individus, alors que c’est l’ensemble de la population qui trinque en cas de problèmes. Toute crainte est qualifiée d’irrationnelle par les experts assermentés. A qui appartient la charge de la preuve ? Aux contestataires qui doivent prouver l’existence du risque ou à l’industrie et à l’administration qui doivent prouver et non affirmer l’absence de danger ? Et comment contester quand on a plus ou moins participé – ou profité comme parent d’un travailleur du nucléaire – à la construction ou au fonctionnement de la cage dans laquelle on est enfermé et que l’on est complice du mal qui peut toucher ses propres enfants ? En forçant le débat sur des questions excessivement complexes et en le portant sur la place publique, les associations citées font un travail héroïque. Pour certains militants locaux, sans elles, il ne serait pas possible de vivre dignement à La Hague [31].


[1] Le Commissariat à l’Energie Atomique, Découvertes Gallimard/CEA, 1995

[2] Lire à ce sujet Affaires atomiques, Dominique Lorentz, Les Arènes, 2001.

[3] L’aventure atomique, Bertrand Goldschmidt, Fayard, 1962. L’auteur a été un des dirigeants du CEA.

[4] In Atomes crochus, Rémi Mauger, FR3, 2000

[5] Lire La presqu’île au nucléaire, Françoise Zonabend, Odile Jacob, 1989

[6] Il faudra attendre 1999 pour qu’un bilan rétrospectif de l’impact cet accident soit réalisé et rendu public : Estimation des doses et du risque de leucémie associé, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, Rapport du groupe de travail n°4, Annexe 11, 1999. http://www.ipsn.fr/nord-cotentin

[7] Le C.S.M., Centre Sans Mémoire ?, hors série n°1 de l’ACROnique du nucléaire, décembre 1999. Entièrement consacré au Centre Manche.

[8] Toutes les citations sont extraites d’une interview à France-Soir du 17 avril 2000

[9] Voir Qualité radiologique des eaux marines et continentales du littoral normand, rapport d’étude ACRO/Agence de l’eau Seine-Normandie de juillet 1999 et l’ACROnique du nucléaire n°50, septembre 2000 (4 euros).

[10] Tous les détails de cette affaire sont ici.

[11] L’état de l’environnement dans la Hague, ACROnique du nucléaire n°28, mars 1995 et Silence n°197, novembre1995.

[12] Voir La santé publique atomisée, J.F. Viel, La Découverte, 1998.

[13] Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé, Alfred Spira et Odile Bouton, La Documentation Française, 1998 ; A-V Guizard et al, Journal of Epidemiology and Community Health n°55, juillet 2001.

[14] Travaux du groupe radio-écologie Nord-Cotentin : le doute subsiste sur les leucémies, ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999. L’intégralité de ces travaux est disponible auprès de l’IPSN ou en ligne http://www.ipsn.fr/nord-cotentin

[15] Interview de Anne de Lauvergeon, PDG de la COGEMA, dans Le Monde du 26 octobre 1999.

[16] Lire La Hague Danger zéro ?, David Boilley, Cahier de l’ACRO n°2, juin 2001.

[17] Directive EURATOM 96/29 publiée au JOCE n° L 159 du 29/06/1996 p. 0001 ? 0114 (à télécharger au format pdf). Cette directive aurait dû être traduite en droit français avant le 13 mai 2000.

[18] Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire, rapport au gouvernement de J.M. Charpin, B. Dessus et R. Pellat, juillet 2000. Une synthèse et critique par B. Laponche a été publiée dans La Gazette nucléaire n°185/186 d’octobre 2000 (GSIEN, 2, rue François Villon, 91 400 Orsay, tél. : 01 60 10 03 49, fax. : 01 60 14 34 96).

[19] Les incidences radiologiques des options de gestion du combustible nucléaire usé, une étude comparative, AEN/OCDE, 2000. Les calculs de l’étude montrent que si la dose collective de la population vivant autour des mines et de ses travailleurs pourrait ainsi être réduite de 21%, c’est largement compensé par la dose reçue par la population vivant autour de l’usine de retraitement et ses travailleurs. Comme dans les faits seule une partie du plutonium est « recyclé », l’option retraitement est défavorable en terme de dose.

[20] Le recyclage des matières nucléaires : mythes et réalités, WISE Paris, mai 2000, http://www.wise-paris.org. (Télécharger le rapport au format pdf)

[21] Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est, http://www.ospar.org

[22] Plutonium and Aldermaston ? an historical account, UK Ministry of Defence (2000).

[23] La France et la prolifération nucléaire, les sous-marins nucléaires de nouvelle génération, Bruno Barrillot, observatoire des armes nucléaires françaises (Lyon) 2001, http://www.obsarm.org.
Voir aussi, Vers une quatrième génération d’armes nucléaires ?, David Boilley, ACROnique du nucléaire n°46, septembre 1999.

[24] MAN, 114 rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 45 44 28 25, fax. 01 45 44 57 12, http://manco.free.fr/ ;
Stop Essais, 114 rue de Vaugirard, 75006 Paris ;
Mouvement de la Paix, 139 bd Victor Hugo, 93400 St Ouen, tél. 01 40 12 09 12, fax : 01 40 11 57 87, http://www.mvtpaix.org

[25] Ces déchets nucléaires dont on ne sait que faire, David Boilley, Le Monde Diplomatique, janvier 1998 et Manière de voir n°38, mars-avril 1998.

[26] Plutonium. Can Germany swear off?, Mark Hibbs, The Bulletin of the Atomic Scientists, mai/juin 2001.

[27] Lire Départs médiatiques et arrivées secrètes à l’usine Cogema de La Hague, extrait de la revue de presse de l’ACROnique du nucléaire n°53, juin 2001

[28] Ibidem

[29] Lire Nucléaire et état de droit n’ont jamais fait bon ménage…, Paulette Anger, l’ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000.

[30] Voir le Dossier électronucléaire, Sciences, Points Seuil, éditions de 1975 et 1980.

[31] Lire à ce sujet les actes des troisièmes rencontres ACRO, nucléaire et démocratie, publiées dans l’ACROnique du nucléaire n°42, septembre 1998. En particulier, Est-il raisonnable d’avoir peur du nucléaire ?, par Yves Dupont et L’épidémiologie, entre science et pouvoir, par Jean-François Viel.

Ancien lien

ACROnique du nucléaire – Hors série n°1

L'ACROnique du nucléaire


Entièrement consacré au Centre de Stockage de la Manche (CSM)


A commander à l’ACRO

 

Le CSM : Centre Sans Mémoire ?

Avant propos

Le Centre de Stockage de la Manche :

  • Historique administratif et contexte socio-juridique lors de la fermeture
  • La réglementation applicable au Centre
  • Les évolutions techniques du Centre
  • Le contenu du site

L’environnement :

  • La pollution de l’environnement
  • La surveillance radiologique effectuée par l’ACRO
  • Autres pollutions radioactives
  • La pollution par les métaux lourds

Le Futur :

  • Quel avenir ?

Notions de base :

  • La radioactivité, qu’est-ce ?
  • Du tritium et des normes
  • Les déchets nucléaires

Revue de presse

Lexique



Avant propos

“La nécessité d’un débat public sur la gestion et l’avenir des centres de stockage n’est pas apparue. C’est sans doute une conséquence d’une histoire de l’industrie nucléaire voulue et décidée par l’État, au début avec une forte composante défense nationale, ensuite de stratégie d’indépendance énergétique. Les aspects sociologiques et sociopolitiques ont été largement ignorés […]. Il appartient aux pouvoirs publics d’initier et d’alimenter ce débat.” (Rapport Turpin, p. 9)

Le Centre de Stockage de la Manche a mauvaise réputation pour le laxisme qui a entouré sa gestion et les problèmes environnementaux sérieux quíil soulève. Síil est déjà difficile díévaluer ce centre actuellement, on imagine très bien que son impact à long terme est très difficile à prévoir. Il est pourtant envisagé de le laisser en líétat, lors díune phase de surveillance qui durera des années. Sachant que ce centre est là pour líéternité, il a été suggéré de mieux líisoler grâce à une nouvelle couverture. Une nouvelle enquête publique devra venir avaliser se scénario.

L’ACRO a reçu du Ministère de líenvironnement un financement pour une action de communication envers les élus et la population de la Hague en vue díune nouvelle enquête publique concernant líavenir du Centre de Stockage de la Manche. Ce document est un outil d’information et de communication pour les différentes actions que nous organisons.

Dans ce document, nous avons tenté de proposer des éléments díappréciation à des non spécialistes du nucléaire étant prêts à investir du temps dans le dossier d’enquête publique. Il est cependant impossible díéviter certaines notions concernant la radioactivité. Nous conseillons donc au lecteur néophyte de commencer par les notions de base situées à la fin de cet ACROnique.

Malgré tous les efforts consentis, de nombreuses questions restent sans réponse au sujet de ce centre de stockage et il nous sera parfois difficile díêtre précis. Ce dossier se base sur des documents accessibles à tout citoyen via la Commission díInformation de la Hague, la Commission de Surveillance de CSM, sur des documents internes à líANDRA que nous avons rendus publics (L’ACROnique du nucléaire n°32) et sur le travail de surveillance de l’ACRO. A l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons toujours pas la date de la prochaine enquête publique. Aussi, le lecteur comprendra que ce hors-série de LíACROnique du nucléaire est une présentation de la situation passée et actuelle, mais quíil ne peut être une réponse au dossier díenquête que nous ne possédons toujours pas… même de façon anonyme !

Nous avons demandé à l’ANDRA d’avoir accès aux rapports de sûreté de ses centres de stockage, mais nous n’avons pas reçu la moindre réponse. Il semble que l’Agence refuse toujours la transparence demandée par les associations.

«Le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets, une expérience incomparable dont bénéficie le site de l’Aube.» explique le CEA, qui a eu la tutelle du CSM durant toute son existence. (Le Commissariat à l’Energie Atomique, Découvertes Gallimard/CEA, 1995.) Nous vous laissons découvrir à quoi tient cette réputation…

Ancien lien

Présentation du Comité Nord-Cotentin et historique

ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999


En 1995, J.F. Viel mène une enquête épidémiologique autour de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague. Il observe une surincidence de leucémies dans un rayon de 10 km autour de l’usine : 4 cas sont observés, alors que 1,4 cas étaient attendus chez les moins de 25 ans. J.F. Viel va ensuite poursuivre ses recherches pour tenter d’identifier une ou des causes de l’apparition de ces maladies. Un financement de l’INSERM, de la Ligue Nationale contre le Cancer et la collaboration de 33 médecins locaux lui permettent de réaliser cette étude. En janvier 1997, les résultats sont publiés : un lien est établi, notamment, avec la fréquentation des plages par les enfants ou la mère lors de la grossesse et la consommation de fruits de mer. Cette publication déclenche une polémique (Pour en savoir plus, voir « l’ACROnique du nucléaire » n°36).

En février 1997, la Ministre de l’Environnement et le Secrétaire d’Etat à la Santé décident la création d’une « Commission pour une Nouvelle Etude Epidémiologique » (dite « Commission Souleau »). Celle-ci est composée uniquement d’épidémiologistes, dont J.F. Viel. Ces spécialistes se sont vite heurtés à une difficulté : le manque de connaissances concernant les rejets des installations nucléaires, le devenir des éléments radioactifs rejetés dans l’environnement, les doses reçues par les habitants de la région et l’action de ces doses sur l’organisme humain.

La « Commission Souleau » a donc décidé de s’adjoindre les compétences d’un groupe de travail baptisé « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin », groupe d’experts, dont un scientifique de l’ACRO, Pierre Barbey, seul représentant du mouvement associatif.
En mai et juin 1997, la « Commission Souleau » remet aux ministres concernés des rapports dont l’un émane du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin ; celui-ci, mis en place fin mai, avait donc eu très peu de temps pour travailler (3 réunions !), ce qui était dérisoire, étant donné l’étendue et la complexité du travail qui lui était imparti.

Et pourtant, lors de la présentation publique de ce rapport à Beaumont-Hague, fin juin 1997, Monsieur Souleau n’hésite par à l’utiliser pour banaliser la question des rejets des installations nucléaires du Nord-Cotentin, et adopter un discours rassurant. Il se permet, de plus, lors de cette réunion publique, de présenter certains chiffres comme étant le résultat de calculs effectués par les experts du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, alors qu’il s’agissait de calculs effectués par la COGEMA !… Pierre Barbey réagit vivement dans un courrier à l’attention des ministres concernés et de Monsieur Souleau. Il rappelle les conditions que l’ACRO avait posées pour sa participation aux travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (travail exhaustif, sur les 30 dernières années, transparence de la part des exploitants, le temps nécessaire…). Monsieur Souleau démissionne. (Nous avons publié, dans « l’ACROnique du nucléaire » n°38, les textes des rapports réunis aux ministres par la « Commission Souleau » ainsi que les documents relatifs aux problèmes apparus lors de la publication.)

En août 1997, les ministres de l’Environnement et de la Santé publient un communiqué : les travaux seront poursuivis, sur la base des recommandations de la « Commission Souleau » : Alfred Spira (INSERM) est chargé de mener les recherches en épidémiologie ; Annie Sugier (IPSN) est nommée pour présider le Groupe Radioécologie Nord-Cotentin.

Pour appuyer le groupe plénier, 4 sous-groupes de travail spécialisés ont été constitués, avec un thème de travail défini pour chacun :
GT1 : examiner les rejets déclarés par les exploitants.
GT2 : rassembler et interpréter les mesures faites dans l’environnement.
GT3 : comparer les différents modèles entre eux et confronter leurs prévisions avec les mesures faites dans l’environnement.
GT4 : identifier des groupes de population exposée,  évaluer le niveau moyen des expositions et estimer le risque.

3 membres de l’ACRO ont participé à ces travaux :
Pierre Barbey : membre du groupe plénier, du GT1 et du GT4
David Boilley : membre du GT3
Gilbert Pigrée : membre du GT1

Pour le volet « épidémiologie » :
En octobre 1997, Alfred Spira, qui a travaillé avec « l’Association du registre des cancers de la Manche », présente aux Ministres de l’Environnement et de la Santé les premiers résultats d’une étude portant sur les années 93-96. Aucun cas de leucémie supplémentaire n’a été enregistré sur cette période (l’étude de J.F. Viel portait sur les années 78-92). En juillet 1998, Alfred Spira remet un rapport intitulé « Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé » où il présente les résultats de ses travaux et des propositions d’action. (La Documentation Française ? A. Spira, O. Bouton ? 1998.)

Pour le volet « radioécologie » :
Après 2 années de travail, le « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin » a rendu public le résultat de ses travaux, le 7 juillet 1999. Le document comprend un rapport détaillé par groupe de travail et un rapport de synthèse. (Ces différents rapports peuvent être consultés au siège de l’ACRO ou partiellement sur internet).

Nous publions, ci-après, un extrait de ce document, intitulé « Résumé / Conclusions » ; il présente le mode d’approche qui a été celui du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, et les résultats obtenus, un commentaire du GSIEN et les « réserves et remarques » de l’ACRO. Nous y avons joint un communiqué de presse émanant du collectif « Les mères en colère ». Il faut souligner que l’expression de ces associations indépendantes figure dans le rapport officiel.


Liens

Ancien lien

L’ANDRA porte plainte contre l’ACRO

ACROnique du nucléaire n°33, juin 1996


Suite à la publication par l’ACRO de documents internes à l’ANDRA révélant la présence massive du plutonium sur le Centre de Stockage de la Manche (CSM) et de graves atteintes à l’environnement, l’Agence Nationale des Déchets Radio-Actifs (ANDRA) n’a rien trouvé mieux que de porter plainte contre l’association et son conseiller scientifique. Quel peut être le rôle du citoyen fasse à une entreprise qui viole délibérément la loi française ?


Rappelons les faits. Avec près de 530.000 m3 de déchets radioactifs, le CSM saturé est remplacé par le Centre de Stockage de l’Aube (CSA) qui prend le relais. Une enquête publique a été ouverte en octobre-novembre 1995 pour examiner la demande de fermeture du site déposée par l’ANDRA. Sur les 7 kg de documents présentés au public par l’Agence dans le cadre de cette enquête, le contenu radiologique du site tenait en une seule page. Rien sur les graves pollutions des environs révélées par l’ACRO. Dans un rapport publié à l’époque, l’Association dénonçait les violations des règles fondamentales de sûreté commises sur le CSM.

Des documents internes à l’ANDRA reçus anonymement nous ont permis de découvrir que nous sous-estimions largement l’ampleur des dégâts et que l’Agence avait volontairement menti par omission dans le document d’enquête publique. Ainsi, dans les cinq derniers mois d’activité du CSM, il aurait été stocké dans des fûts ordinaires non enrobés plus de plutonium que ce que le CSA, huit fois plus grand, est autorisé à recevoir durant toute son existence. De nombreux autres éléments très radio-toxiques ont aussi été stockés dans des propostions qui dépassent largement les quantités autorisées. L’eau des nappes phréatiques que l’on savait déjà très polluée en tritium, est impropre à la consaommation. Par endroit, la contamination dépasse de trois fois les limites sanitaires françaises, pourtant très laxistes. Certaines structures d’accueil en béton, supposées retenir les eaux de percolation, sont déjà fissurées et laissent s’échapper du tritium et d’autres radio-éléments.

Qu’aurait dû faire l’ACRO ? Renvoyer les documents à leur propriétaire ou alerter le citoyen consulté sur l’avenir du centre de stockage ? L’ANDRA avait délibérément menti à la population, aux élus, aux autorités de sûreté et à la Commission Hague. Les documents ne contenant aucune information touchant le secret industriel, commercial ou militaire, mais uniquement des informations qui auraient dû être dans le dossier d’enquête publique, nous avons donc convoqué la presse à une conférence pour informer la population de l’état réel du site de la Hague. Les commissaires enquêteur ont demandé l’accélération de la fermeture du site. Pourtant, ils venaient d’être désavoués par le gouvernement qui, à la suite des révélations de l’ACRO, a décidé, en décembre 1995, de mettre en place un groupe d’experts indépendants chargé de faire l’état du CSM. Quant à l’ANDRA, pourtant responsable (mais pas coupable ?) de la situation désastreuse du CSM, elle préfère se donner une image verdie en annonçant la construction d’une éolienne sur le site et attaquer l’ACRO en justice.

Nous sommes bien décidés à nous battre jusqu’au bout pour faire progresser la vérité. Pour cela, nous avons besoin du soutien du plus grand nombre, afin de faire face aux frais engendrés par un tel procès et pour pouvoir poursuivre notre mission de contrôle de l’environnement. Il en va de la survie de l’association et de toute surveillance indépendante des installations nucléaires de la Hague.


Mise à jour de mars 1999
Deux représentants de l’ACRO ont été entendus par la gendarmerie en 1996. Depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de la plainte.


Merci à la Cour européenne des droits de l’Homme
ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999

” C’est à l’unanimité que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la justice française et a donné raison au “Canard” dans l’affaire Calvet. […] L’arrêt que vient de prendre la Cour européenne est une belle décision de principe qui va désormais s’imposer aux magistrats français “. Bonne nouvelle pour l’ACRO qui voit du même coup la plainte de l’ANDRA pour recel de documents volés avec plus de sérénité. Cet arrêt sort les journalistes et les associations ” du piège infernal dans lequel la justice française tenait à les enfermer : pas de preuve ? Diffamation ! Des preuves ? Receleur ! “

(Les citations sont extraites du Canard Enchaîné du 27 janvier 1999)

Ancien lien

L’état de l’environnement dans la Hague

Silence n°197, novembre 1995


La presqu’île de la Hague est située au Nord du Cotentin, à l’Ouest de Cherbourg, dans le département de la Manche. Elle abrite l’usine de retraitement de la Hague mais également des zones de stockage de déchets radioactifs. Depuis 1986, l’ACRO, association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, fait un suivi de l’état de l’environnement. Pas rassurant.


L’ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest), née à suite de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, vient de publier un rapport (1) alarmant sur la contamination autour de l’usine de retraitement des déchets nucléaires, gérée par la COGEMA (2), et le Centre de Stockage de la Manche (CSM), géré par l’ANDRA (3). Perdue tout au bout de la presqu’île du Cotentin, à la pointe de La Hague, l’usine COGEMA (4) extrait le plutonium des déchets nucléaires français et étrangers. Parmi ses clients, elle compte le Japon, l’Allemagne, la Suisse et la Hollande. Attenant, le Centre de Stockage de la Manche (5) accueillait tous les déchets faiblement radioactifs, mais déjà plein, il doit être fermé pour 300 ans, ce qui correspond à un stockage de courte durée (6). L’ACRO, équipée d’un laboratoire d’analyse, surveille de façon régulière l’environnement dans cette région et tente d’informer la population sur la situation. C’est qu’il y a fort à faire car une véritable politique du secret est menée par les exploitants, et les autorités locales ne jouent pas leur rôle de contre-pouvoir. Qu’ont-ils de honteux à cacher ?

Dans des documents à diffusion restreinte, contenant des tables de contamination des nappes phréatiques, on trouve des résultats intéressants pourtant. De février 1982 à février 1986, les teneurs en tritium (7) varient entre 140 000 Bq/l et 440 000 Bq/l (8) selon les piézomètres (9) les plus marquants, où les prélèvements ont été faits. A titre de comparaison, on trouve habituellement moins de 1 Bq/l de tritium dans l’eau ; il provient des essais nucléaires atmosphériques. Il  est déjà notoire que l’usine COGEMA de la Hague soit l’usine nucléaire la  plus polluante d’Europe par ses rejets autorisés dans la mer. Avec un total de 38 920 TBq (38,9 1015 Bq) d’effluents liquides par an, principalement du tritium, la COGEMA rejette dans la mer environ 1 400 fois plus que la centrale de Gravelines en fonctionnement normal (10). Apparemment cela ne suffit pas car les nappes et les rivières, pour lesquelles ni l’ANDRA ni la COGEMA n’ont d’autorisations de rejets, servent aussi d’exutoire.

Secret nucléaire

Jusqu’en mars 1986, les mesures de contamination au niveau des piézomètres étaient régulièrement communiquées aux membres de la Commission Hague (11);  soudainement une partie de ces informations est devenue secrète : tous les résultats internes aux sites COGEMA et ANDRA disparaissent sans aucune explication. Sur 70 piézomètres, 31 deviennent classés “secret nucléaire”. Que s’est-il passé, à cette époque, qui pourrait  expliquer un tel comportement? Tchernobyl, bien-sûr, est une hypothèse vraisemblable. Il semblerait que les exploitants aient eu peur que les Français, découvrant l’état de l’industrie nucléaire à l’Est, aient commencé à se poser des questions sur ce qui  se passait chez nous. C’est vrai qu’il n’y a pas de quoi être fier au vu des contaminations ! L’image de marque du nucléaire français, sûr et propre, risquait  d’en prendre un coup. A partir de janvier 1988, les résultats au niveau du piézomètre 702, sur la commune de Digulleville disparaissent aussi, pour ne réapparaître qu’en avril 1991, après demande insistante de la Commission Hague. Comme par hasard, c’était le piézomètre le plus contaminé en dehors du site et sa contamination ne cessait d’augmenter depuis 1987.

La limite sanitaire, à savoir la limite entre l’inacceptable et le tolérable (12) et non la limite d’inoffensivité (13), est de 270 000 Bq/l. Cette limite est parfois dépassée au niveau des nappes phréatiques ; il y a donc de quoi être inquiet. Il serait intéressant d’étudier ce que l’on trouve dans l’eau du robinet des villages des alentours, “rien” affirment en choeur les exploitants. Peut-on avoir confiance ? Aussi bien la COGEMA que l’ANDRA, publient des bulletins d’information qui contiennent les résultats de leur surveillance. Ainsi, dans le numéro de décembre 1989 de la COGEMA, on peut noter que du lait est légèrement contaminé en tritium, avec une valeur maximale pour le mois, de 20 Bq/l. Cet effort de transparence est louable, car la population des environs est en droit de protester, arguant qu’elle aimerait du lait non contaminé. Cependant, si on va fouiller dans les résultats de surveillance laitière remis à la Commission Hague pour ce même mois, on y trouve une valeur de 180 Bq/l de tritium dans le lait. Une erreur de frappe, sûrement ? Pas du tout ! l’ACRO a relevé 29 erreurs en cinq ans qui vont toutes dans le même sens : sous estimer la pollution. Quant à l’ANDRA, avec un tout nouveau bulletin trimestriel, elle semble suivre la même voie ; on relève déjà une erreur sur les contaminations des nappes phréatiques. De quoi perdre toute confiance en ce que peuvent prétendre les exploitants. Qu’ont-ils à gagner à tricher ? Ont-ils peur de la réaction des consommateurs qui auraient pu découvrir jusqu’à 480 Bq/l de tritium dans le lait ?

Pollutions radioactives

Pour savoir ce qui se passe maintenant, il faut donc se tourner vers le seul laboratoire indépendant qui surveille régulièrement ce site, à savoir l’ACRO. Le bilan publié dernièrement ne nous permet malheureusement pas d’être optimiste. On y retrouve pêle-mêle, du tritium, encore, mais aussi d’autres pollutions radioactives dans des lieux où la COGEMA et l’ANDRA n’ont aucune autorisation de rejet.

La rivière Ste Hélène, déjà célèbre pour sa pollution,  est toujours aussi contaminée. Cette rivière prend sa source sur le site de stockage et va directement se jeter dans la mer.  En 1991, l’ACRO avait tiré la sonnette d’alarme après avoir détecté du césium (Cs137) à des taux atteignant  près de 4 000 Bq/kg de sédiments secs (on trouve habituellement moins de 10 Bq/kg, dus aux essais nucléaires et à Tchernobyl) et la COGEMA lui avait publiquement ri au nez : “comme toujours l’ACRO multiplie tous ses résultats par dix pour se faire de la publicité”. Il a fallu un essai inter-laboratoires (14) pour que la COGEMA mesure les mêmes taux, admette la pollution et s’engage à faire des travaux. Une canalisation oubliée entre le site de la COGEMA et celui de l’ANDRA  serait la cause de cette pollution (il est inquiétant de noter que le site de l’ANDRA est là pour 300 ans et qu’après 20 ans les exploitants ont déjà des trous de mémoire…). Aujourd’hui, avec des contaminations en Cs137 atteignant 2 000 Bq/kg,  force est de constater que la pollution de la Ste Hélène est toujours aussi alarmante. On trouve aussi dans les sédiments d’autres  radioéléments artificiels tels que le césium134, le cobalt60 et le rhodium106, qui ne sont pas présents dans d’autres uisseaux de  la région, le Grand Bel ou la rivière du Moulin entre autres.  Qu’a fait la COGEMA pour remédier à cette pollution ? remué un peu de  terre, bétonné la source du ruisseau… et rien de plus.

Des mesures sur les mousses aquatiques montrent que l’eau de la Ste Hélène est contaminée en césium et cobalt. L’ACRO y détecte aussi systématiquement du tritium, à des taux voisins de 500 à 600 Bq/l. A titre de comparaison, dans le Rhône, en aval de toutes les installations nucléaires, dont le centre de Marcoule qui a des autorisations de rejet, on trouve entre 11 et 26 Bq/l en tritium (15). Dans la Hague, l’origine du tritium est incertaine, mais il est fort probable qu’il vienne directement des nappes phréatiques que l’on sait très polluées. Il est ensuite rejeté dans la mer (10 à 20 Ci par an, selon les estimations de l’ACRO), après avoir traversé villages et pâturages.

Les risques dans la chaîne alimentaire

L’impact sanitaire de cette pollution persistante est difficile à évaluer. Des mesures faites par l’ACRO chez des particuliers tendent à montrer qu’il y a de quoi être inquiet. Ainsi, dans le puits et le lavoir d’une ferme de Digulleville, on trouve du Cs137 dans les sédiments à des taux qui dépassent les valeurs habituelles et du tritium dans l’eau à des teneurs atteignant 500 Bq/l. L’abreuvoir d’un champ proche est autant exposé à la pollution et le tritium de l’eau bue par les vaches se retrouve dans le lait avec un taux de transfert de l’ordre de 80%, commençant là son voyage dans la chaine alimentaire. Même la COGEMA est forcée d’avouer que le lait peut être aussi contaminé. Le tritium est retrouvé dans l’eau du lait, mais aussi dans les graisses, le lactose et la caséïne avec des périodes biologiques variant de 4 à 300 jours. Sachant qu’aucune dose d’irradiation n’est inoffensive, il parait important qu’une étude sanitaire de grande envergure soit menée sur toute la Hague. Au vu de cette pollution et de la politique d’information des exploitants, c’est à un véritable travail d’investigation que l’ACRO doit se livrer. Jouant un rôle de détective, l’association a eu accès à des documents internes faisant état d’accidents sur le site de la Hague. L’ANDRA a reconnu du bout des lèvres l’accident de 1976 qui aurait conduit à une fuite dans le sous-sol de 1 850 000 GBq (50 000 Ci) de tritium mais refuse d’admettre celui de 1980 lors duquel, selon une note intérieure ANDRA, l’activité bêta des eaux de drainage a été multipliée par 5 000 (principalementdu Cs137 semble-t-il). Combien d’autres accidents de ce type n’ont jamais été révélés publiquement  par les exploitants ? Difficile de le savoir avec des exploitants refusant la transparence. Quant aux populations des environs, pas de problème vu que les installations nucléaires sont sûres!

Pour une commission d’enquête

L’ACRO somme donc les exploitants de publier les résultats de toutes les mesures effectuées, y compris sur le site. Une fois l’état des lieux établi, il conviendra de mener une étude de faisabilité sur la décontamination active des nappes phréatiques. Pour ce qui est du Centre de stockage en particulier, elle somme les autorités de sûreté et l’autorité publique d’assumer leur rôle de surveillance en mettant sur pied une commission d’enquête indépendante incluant des membres de la Commission Hague dont la mission sera de faire toute la lumière sur le passé du site et de faire un bilan de l’état actuel. Cette commission devra rendre son rapport avant la fermeture du site 16). Pour le moment, mise à part une reconnaissance tacite des résultats de l’ACRO et une dénonciation publique, les exploitants se renferment dans leur mutisme. Les autorités locales ne semblent pas réagir et la presse nationale, susceptible d’aider à changer les choses, ne semble pas très intéressée par ce qui se passe là-haut, tout au bout de la  presqu’île du Cotentin. Donc en attendant, pour pouvoir faire pression, il faut continuer le travail de surveillance autour des sites entrepris par les laboratoires indépendants. L’ACRO, dotée d’un détecteur gamma et d’un détecteur bêta a besoin de renouveler son matériel et de le complèter avec un équipement plus performant, afin de pouvoir continuer son travail de surveillance et d’information. Une souscription (17) est donc lancée.

David BOILLEY

(1) rapport publié dans l’ACROnique
du nucléaire
numéro 28 ; ce rapport est aussi disponible
en anglais. (retour)

(2) COGEMA : Compagnie Générale de
Matières Nucléaires (retour)

(3) ANDRA : Agence Nationale des Déchets
Radio-Actifs (retour)

(4) pour en savoir plus, cf rapport WISE-Paris,
COGEMA
La Hague : les techniques de production des déchets
, déc.
94. (retour)

(5) Pour en savoir plus cf l’ACROnique du nucléaire
numéros 23 et 24. (retour)

(6) D’après le contenu radiologique du site,
nous avons calculé qu’il faudra attendre au moins 800 ans. (retour)

(7) Le tritium (H3), est issu de la fission ternaire
de l’uranium 235 au sein des réacteurs nucléaires. C’est
un émetteur bêta pur. (retour)

(8) Le béquerel (Bq) correspond à
une  désintégration par seconde. Compter le nombre de
désintégrations par seconde dans un litre d’eau dues au tritium
permet de connaitre la quantité de tritium dans cette eau. Le curie
(Ci) est l’ancienne unité, il correspond à l’actvité
d’un gramme de radium et vaut 37 milliards de Bq. (retour)

(9) Appareils servant à mesurer la pression
qui plongent dans les nappes phréatiques et au niveau desquels sont
faits des prélèvements d’eau. (retour)

(10) rapport WISE, op. cit. (retour)

(11) Commission Spéciale et Permanente d’Information
(CSPI), dite aussi “Commission Hague”. Elle est composée d’élus,
de syndicalistes, d’associatifs et de scientifiques. (retour)

(12) Martine Deguillaume,  La dignité
antinucléaire
, éd. Lucien Souny (retour)

(13) Pour tout savoir sur les effets biologiques
des radiations, voir l’ACROnique du nucléaire numéro
27 (retour) (article disponible
en ligne)

(14) cf l’ACROnique du nucléaire
numéro 16. (retour)

(15) Lambrechts, Foulquier, Pally, Synthèse
des connaissances sur la radioécologie du Rhône
, rapport
de l’IPSN (retour)

(16) Une  enquête publique a eu lieu
du 2 octobre au 30 novembre en vue du passage en phase de surveillance.
(retour)

(17) 800 000 F doivent être réunis
pour remplacer le détecteur à scintillation liquide trop
ancien et non adapté aux mesures dans l’environnement par un nouveau
à bas bruit de fond. Vos dons, à envoyer à l’ordre
de l’ACRO-souscription, peuvent être déduits des impôts.
(retour)

Ancien lien