Le climat dans La Hague

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°45, juin 1999

Les faits divers et variés concernant le nucléaire dans le Nord Cotentin ont marqué les esprits ces dernières années. Ils ont agi comme un révélateur qui fait apparaître une nouvelle photo du paysage local. Ces événements, qu’ils soient liés au site de stockage de l’ANDRA, à la canalisation de rejets en mer ou au transport des déchets, ont été lus avec toujours comme toile de fond, l’étude de Jean-François Viel.

Ce dernier a déchiré un tabou dont tout le monde parle mais que personne ne veut entendre : santé et nucléaire dans le Nord Cotentin. Les réactions violentes montrent que la population était intéressée et concernée par le sujet. Pour l’essentiel, ce fut une réaction de défense qui a conditionné toutes les appréciations et prises de position liées aux “affaires du nucléaire”.

Le discours ambiant est symptomatique de ce climat défensif. Les commentaires ne font état que “d’attaques”, “d’agressions”, “de complots” contre la région. Il est marquant que très peu de monde, en particulier chez les responsables politiques, a pris du recul par rapport à ces événements pour les analyser et les relativiser. Ces faits sont toujours présentés comme des découvertes et traités comme telles. Ils ne sont que rarement appréhendés avec l’éclairage du passé et de l’histoire pourtant fondamentalement pour bien comprendre la situation.

Cet argumentaire défensif met toujours en avant une région blessée, meurtrie dans son image par des agressions extérieures. Celui qui révèle le problème est présenté comme le responsable de la situation, celui qui “désinforme”, qui “veut du mal”. Les élus et décideurs ont beaucoup utilisé cette argumentation. Leur nouveau chantier, partant de ce schéma, somme tout simpliste, consiste à reconstruire l’image et quelque part l’histoire de la région. Mais cette démarche est, là encore, trop superficielle et ne fait quâentretenir le doute et la confusion. Un climat lourd et pesant s’est installé à la pointe du Cotentin et il faudra une toute autre approche pour le dissiper. Cela se traduit par de l’agressivité et du rejet chez certains, par le silence et le refoulement chez d’autres. Le dialogue et le débat n’ont que peu de place dans ce contexte. Les efforts dans ce sens, l’ACRO en fait l’expérience, ont rencontré souvent opposition ou l’ignorance chez la grande majorité des décideurs locaux. Les vociférations haineuses lors de la venue de Cohn Bendit en début d’année, ont fermé encore plus la porte au débat public indispensable.

Si réhabilitation il doit y avoir pour la région, elle ne peut se faire quâen réactivant le débat démocratique. La priorité n’est pas tant l’image que les forces vives de La Hague et ses environs. Si la région va mal, c’est qu’elle est minée de l’intérieur. La peur, le doute et la fatalisme ont souvent accompagné le développement de l’activité nucléaire dans La Hague. Les réactions lors des derniers événements, notamment de la part des responsables locaux y ont ajouté la honte. C’est de cette image là dont on est peu fier en définitive. Il existe néanmoins quelques points positifs qui ne manquent pas de nous faire espérer. Espérer une circulation dâair frais. L’ACRO est un de ces petits courants dâair où peuvent passer les informations.

L’antenne Nord Cotentin est de plus en plus sollicitée par des informateurs et des demandes en provenance des milieux marins et agricoles. C’est bon signe. Des contacts se nouent à nouveau dans La Hague où il n’est pas facile de connaître la situation tant le mutisme est grand.

Les travaux du comité radioécologique Nord-Cotentin, présidé par Annie Sugier (“commission Sugier”), sont également un pas important car les commissions ont connu des débats contradictoires ; des associations représentant la société civile y participent. De plus, l’expertise concerne le passé et questionne des domaines qui ne l’avaient guère été. Mais il faut redoubler de vigilance car , là encore, les risques de récupération pour de petits profits politiciens sont nombreux. L’exploitation médiatique de ces travaux sera un test pour mesurer si la maturité gagne la région dans sa capacité à assumer cette présence nucléaire.

Pierre Paris

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Appel à l’aide de Hidaka Yuzo

Yuzo Hidaka est libre depuis le 16 juin


Yuzo Hidaka était emprisonné depuis bientôt un an au Japon pour avoir aspergé de spray, pendant la cérémonie de signature, un document autorisant la création d’un centre de stockage de déchets nucléaires de haute activité. Ses amis nous ont appellé à l’aide, comme en témoigne la lettre reçue par l’ACRO et traduite ci-dessous.

Merci à tous ceux qui ont écrit pour demander sa libération.

Afin d’assurer sa défense, il cherche à être en contact avec des Français qui ont du faire face à des problèmes similaires. Vous pouvez lui ecrire directement en anglais ou japonais ou nous ecrire, nous transmettrons.


Tokyo, le 10 mai 1999

Monsieur,

Je vous écris à propos de Yuzo Hidaka qui est un ami. Yuzo a été arrêté le 30 juillet 1998 et mis en examen. Trois charges ont été retenues contre lui pour son action montrant sa forte opposition à l’accord conclu entre le gouvernement local de la province d’Aomori, la municipalité de Rokkasho et la compagnie Gen-nen. L’accord devait faire du village de Rokkasho un centre de stockage pour des déchets radioactifs de haute activité provenant de France. Yuzo Hidaka est toujours en prison.

Il est accusé

  1. d’avoir assisté à la cérémonie de signature de l’Accord en se déguisant en journaliste ;
  2. d’avoir aspergé de spray la couverture du document après qu’il ait été signé par les trois parties, exprimant ainsi son objection à l'”Accord de Sûreté” qui apparaît comme une conspiration.

Il n’a blessé personne. Les charges retenues contre lui sont

  1. intrusion dans un bâtiment (pas de force pourtant),
  2. destruction d’un document officiel (seule la couverture, pourtant) et
  3. obstruction du travail des autorités.

La sûreté du stockage n’a pas été prouvée et de fortes suspicions et inquiétudes ont été exprimées par les habitants de Rokkasho et de la province d’Aomori. La cérémonie de signature, qui était organisée secrètement, signifiait la supression unilatérale du dialogue entre les habitants et les autorités locales.

Yuzo Hidaka est placé en isolement. Il ne peut rencontrer ou communiquer avec personne, sauf son avovat et sa mère depuis plus de cinq mois. La durée de sa détention est anormalement longue et non justifiée. Il a exprimé clairement qu’il n’avait pas l’intention de s’enfuir ou de dissimuler des preuves de son crime. La police a entièrement fouillé sa maison après son arrestation, il n’a plus rien à cacher. Les audiences ont eu lieu une fois par mois à la Cour du district depuis décembre 1998. Il a toujours affirmé que son acte avait un but légitime et était justifiable. Vous trouverez ci-joint quelques coupures de presse en japonais.

Etant donné que des actions similaires en Europe ou en Corée du Sud ont conduit à l’acquitement des militants anti-nucléaires, nous avons le sentiment que Yuzo a été lourdement puni, avant même d’avoir été condamné.

Nous serions très reconnaissants si vous pouviez aider Yuzo Hidaka de quelque façon. Vous pouvez m’ecrire m’écrire si vous avez des questions ou des messages pour Yuzo. Vous pouvez lui écrire directement en japonais à l’adresse suivante : 88-2 Arakawa Fujito, Aomori 030-0111, Japon.

Amicalement,
Yuriko Moto.

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Impact des installations nucléaires sur l’environnement

(Article paru dans Contrôle n°123, juin 1998 et l’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999)

Par Pierre Barbey, conseiller scientifique de l’ACRO

En fonctionnement normal, les installations nucléaires procèdent à des rejets réguliers dans l’environnement de nature chimiques et radioactifs. Ils sont sujets à d’âpres discussions, mais c’est essentiellement l’aspect radiologique (seul aspect traité ici) qui focalise l’attention de l’opinion publique.

Le becquerel, unité de l’empreinte sur l’environnement.

Même en dehors des incidents ou accidents nucléaires, l’environnement proche des installations est marqué par la présence d’une radioactivité caractéristique constituant une signature (tableau 1).

Résultats ACRO
Co58 
Co60
Rh-Ru106 
Ag110m
Cs134
Cs137
1991 AmontAval
44
1,3
132
1019
16
3390
23
41
100
1994 AmontAval
6,4
21
49
155
2,9
7,8
1996 AmontAval
22
37
2,5
1,4
12
Tableau n° 1 : Sédiments de la Loire ? Chinon (en Bq/kg sec)

Si l’exemple rapporté ici illustre bien l’influence de la centrale, son suivi dans le temps traduit cependant une baisse des rejets effectifs durant ces dernières années. D’autres mesures effectuées par l’ACRO autour de la centrale de Nogent sur Seine conduisent aux mêmes observations.

En aval du cycle du combustible, l’étape du retraitement (plus souvent sous les feux de l’actualité) correspond à des installations dont les niveaux de rejets effectifs sont très largement supérieurs à ceux des centrales (tableau 2). Dans ce cas, l’impact sur l’environnement (au moins pour les rejets liquides) peut s’observer sur de très longues distances. Ainsi, les rejets de l’usine de retraitement de La Hague peuvent être suivis jusqu’en Mer du Nord .

REJETS LIQUIDES EFFECTIFS pour l’année 1994
Radioéléments
La Hague 
Flamanville 
  Ratio Hague/ Flamanville
Bêta-Gamma (hors [3H])
70 200 GBq
8 GBq
8775
Tritium ([3H])
8 090 000 GBq 
30 000 GBq
270
Alpha
97,3 GBq
Interdit 
AUTORISATIONS ACTUELLES DE REJETS LIQUIDES
Radioéléments
La Hague 
Flamanville 
  Ratio Hague/ Flamanville
Bêta-Gamma (hors [3H])
1 700 000 GBq 
1 100 GBq 
1545
Tritium ([3H])
37 000 000 GBq
80 000 GBq 
462
Alpha
1 700 GBq 
Interdit 

Tableau n°2

Ces niveaux relatifs de rejets réels sont corrélés avec des niveaux d’autorisation de rejet singulièrement différents. L’autorisation de rejets liquides (hors Tritium) de COGEMA-La-Hague est 1500 fois supérieure à celle des 2 réacteurs EDF Flamanville situés à quelques kms à vol d’oiseau (tableau 2). Et c’est bien là un premier problème qui heurte l’esprit de beaucoup de citoyens considérant ces valeurs comme des « seuils sanitaires », lesquels constituent un danger quand ils sont atteints. Ils ne peuvent donc être différents selon les sites. Alors que pour les exploitants, bardés de certitude quant à l’innocuité de leurs installations, ces mêmes valeurs représentent des « niveaux de performance » fonction de contraintes économiques et de la nature de l’installation.

Becquerel ou Sievert ?

Le becquerel, cette unité de mesure d’activité qui s’est imposée en 1986, ne plaît pas aux industriels du nucléaire qui la trouvent « trop petite » et préfèrent de toute façon s’exprimer en sievert (ou microsievert). S’agissant d’impact sur l’environnement, câest pourtant bien le becquerel qui est la seul unité de mesure de l’empreinte des installations. Il n’est que le reflet partiel – fonction de la technicité du moment – de la contamination réellement présente. Le sievert, unité de l’impact sanitaire, implique des coefficients de dose (toujours discutables car fonction des connaissances du moment) mais, surtout, il exige la connaissance exhaustive de l’état de la pollution radiologique. Cette certitude-là n’est pas de mise.

En 1993, un rapport de l’UNSCEAR aborde la question du Carbone 14 rejeté par les installations nucléaires. Celles-ci fonctionnent depuis des dizaines d’années et ce n’est que récemment que ce radioélément commence à être mesuré. Or c’est vraisemblablement un des éléments qui contribue de façon majeure à l’impact de dose individuelle. Il en est de même pour le Nickel 63 pour lequel l’OPRI entame des mesures sur les rejets des centrales EDF. En fait, si les mesures de spectrométrie gamma permettre d’identifier simultanément un large spectre d’émetteurs gamma, la mesure d’émetteurs bêta, surtout ceux de faible énergie, est beaucoup plus délicate et impose une recherche ciblée qui nécessite que ces éléments soient au préalable identifiés comme contaminants potentiels. L’exemple de l’usine de retraitement de la Hague illustre bien ce propos : 10 éléments identifiés dans les rejets liquides en 1967, 19 en 1982 et 27 en 1996. D’autres restent à identifier. Il y a donc bien un déficit de connaissance de l’état réel de l’impact sur l’environnement. Les conséquences n’en sont pas anodines. Nombre de ces radioéléments longtemps ignorés se trouvent être de longue période physique – tel le 14C (5730 ans), le 63Ni (100 ans) ou le 129I (16E6 ans) – et contribuent sur le long terme à la dose collective des populations.

Les déchets et l’acceptabilité sociale

Au-delà des rejets liquides et gazeux, les déchets radioactifs vont contribuer également à l’impact sur l’environnement. Cette fois de façon hypothétique et dans un futur très lointain, penserait-on. Pourtant la première expérience industrielle de stockage de déchets de surface qui vient de s’achever, celle du Centre Manche, est déjà un échec patent. Depuis plus de vingt ans, cette installation marque en profondeur l’environnement du plateau de la Hague par une pollution radiologique chronique . Le Centre de l’Aube, qui a bénéficié du retour d’expérience, ne doit procéder à aucun rejet. Pourtant l’ANDRA envisage de remettre en cause le dispositif réglementaire pour disposer d’une autorisation de rejet. Quelle sera également l’empreinte sur l’environnement (y compris dans des biens d’équipement) si le recyclage de matériaux radioactifs issus des TFA entre en pratique ? Quant aux déchets hautement actifs et à vie longue, leur confinement garanti sur des millénaires relèvera inévitablement dâun pari sur l’avenir.

Dans le débat actuel sur « l’acceptabilité sociale », on peut concevoir quâune société accepte un détriment porté à son environnement au bénéfice d’un confort qui lui profite dans le moment présent. Certainement réclamera-t-elle que les niveaux de rejets soient constamment abaissés pour tendre vers des rejets nuls au nom du principe de précaution car l’innocuité en terme de détriment sanitaire restera toujours entachée du doute. Mais cette question des déchets radioactifs, parce qu’elle constitue un legs imposé aux générations futures, pourrait bien correspondre au seuil de « l’inacceptabilité sociale ». C’est tout simplement une question d’éthique.

Pour l’heure, cet impact sur l’environnement doit être surveillé de la façon la plus étroite possible et les résultats de mesures rendus public de manière exhaustive. Les associations, telle l’ACRO, doivent y trouver une place qui leur soit reconnue. Il est regrettable de voir des exploitants dépenser beaucoup d’énergie à tenter de discréditer leur activité. Celle-ci n’a pas pour objet d’être « en opposition » et encore moins de se substituer à celle des exploitants ou celle des organismes institutionnels. Elle est tout simplement complémentaire et relève d’une démarche citoyenne. Et c’est de cette « plurialité » de la surveillance de l’environnement que pourra naître une confiance (certes toujours relative) des populations environnantes vis à vis de l’information.

Déchets nucléaires transparents

L’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999

La décision est tombée le 9 décembre 1998 de Matignon : “le Gouvernement décide de poursuivre les recherches dans deux laboratoires souterrains sur deux sites, l’un dans l’argile, à Bure dans la Meuse et l’autre dans le granit. Il décide donc de rechercher un nouveau site granitique susceptible d’accueillir un laboratoire souterrain. La recherche de ce site commencera dès le début de 1999.” Le choix du site de l’Est n’est une surprise pour personne. “Après vérification scientifique, un entreposage (en subsurface) dans le Gard sera envisagé.” Chaque département candidat est donc servi.

L’article 6 de la loi du 30 décembre 1991 sur les déchets nucléaires est pourtant très clair : “Tout projet d’installation d’un laboratoire souterrain donne lieu, avant engagement des travaux de recherche préliminaires, à une concertation avec les élus et les populations des sites concernés, dans les conditions fixées par décret“. La concertation avec les populations se fait attendre. Il y a bien eu une enquête publique, mais elle était présidée par Monsieur Jean Pronost, célèbre pour sa partialité et son incompétence. Lors de manifestations, son effigie a été brûlée, c’est dire si la concertation fût sereine… Des associations ont donc déposé un recours auprès du Conseil d’Etat qui a répondu qu’on pouvait renoncer aux “consultations des populations concernées” prévues par la loi et ne consulter que leurs “représentants” et que l’action du médiateur (le député Christian Bataille) avait permis “une expression de l’opinion des populations”. Une action devant la Commission Européenne des Droits de l’Homme a été déposée pour atteinte à la liberté d’expression par le CDR55.

Les “représentants de la population“, cela doit être les élus qui n’ont pas tous eu le courage de résister aux 10 millions de francs par an distribués pour “favoriser le développement économique de la zone concernée“… Là encore, la loi du 30 décembre 1991 n’évoque les mesures d’accompagnement qu’à propos de l’installation et de l’exploitation de chaque laboratoire souterrain, pas avant. Mais une lettre de mission ministérielle datée du 6 janvier 1994, a donné instruction à l’ANDRA de mettre à la disposition des départements qui auront été retenus pour les travaux préliminaires, un crédit d’environ 5MF. Le 30 avril 1996, dans une circulaire interministérielle (Industrie, Décentralisation, Budget), le Gouvernement a prévu de porter la dotation annuelle à 10 MF à compter de l’année suivant le dépôt des demandes d’autorisation et d’exploitation des laboratoires, c’est à dire au moment où les instances locales devaient se prononcer… Le texte de loi de 1991 est largement diffusé par l’ANDRA, ces circulaires ou lettres de missions ministérielles sont plus “discrètes”. Certains élus locaux parlent de corruption légale. Pendant l’installation et l’exploitation ce sont 60 MF par an qui tomberont. Au moment du choix de transformer l’unique laboratoire en centre de stockage, ce sera combien ?

Le Gouvernement insiste sur son attachement à l’esprit et à la lettre de la loi du 30 décembre 1991” tient à préciser Matignon dans son communiqué de presse du 9 décembre 1998 ! Le même jour, le Gouvernement prétend retrouver la confiance de la population en matière de nucléaire en réformant les instances de contrôle. Ses propositions se basent sur le Rapport Le Déaut (voir le précédent numéro de l’ACROnique) qui ne va pas assez loin. C’est la nouvelle autorité indépendante de contrôle des installations nucléaires qui “sera garante d’une information complète et transparente“. Pour “promouvoir une réflexion citoyenne […] le gouvernement souhaite s’appuyer sur les organismes existants, à savoir le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaires (CSSIN) et les Commissions Locales d’Information (CLI) […] qui auront un rôle renouvelé de débat public et de transparence des décisions prises.” La population ne sera donc qu’informée, dans la transparence, promis juré, mais ne sera pas consultée, ni associée aux décisions prises.


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La mesure du radon

FICHE TECHNIQUE extraite de l’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999


Bien que le radon soit invisible, inodore et sans goût, il est facile à détecter avec du matériel approprié. Le système E-PERM de Rad Elec, aux Etats-Unis, a été choisi par l’ACRO pour sa simplicité de mise en oeuvre, son faible coût et ses performances. La méthode de mesure est conforme à la norme AFNOR NF M 60-766.


 

photo Rad Elec

photo Rad Elec

Ce système est constitué de trois parties : un disque en Teflon chargé électriquement, appelé électret ; une bouteille en plastique comme chambre d’ionisation dans laquelle l’électret peut être vissé ; et un voltmètre pour mesurer la charge de l’électret. Quand la bouteille est fermée, l’électret est isolé et ne peut donc pas être déchargé par les ions créés par les radiations. Quand la bouteille est ouverte, le radon de la pièce peut entrer et l’électret attire les ions formés par sa désintégration. L’électret se décharge alors lentement. La diminution de la charge est proportionnelle à la concentration en radon et au temps de mesure. En mesurant la charge avant et après, la différence permet d’obtenir la concentration moyenne sur la durée de mesure. Il est important de noter qu’un filtre ne laisse passer que le radon, pas ses descendants. Mais le rayonnement gamma ambiant peut aussi entraîner des ionisations dans la bouteille. Il faut donc retrancher sa contribution en le mesurant directement sur place ou en utilisant une valeur moyenne.

Le système E-PERM permet d’obtenir une concentration moyenne en radon sur une courte durée, de 2 à 30 jours, ou sur une plus longue période pouvant aller de quelques mois à un an. On appelle un tel procédé un système intégrateur passif. A côté de la “chambre d’ionisation à électret”, il existe d’autres systèmes intégrateurs utilisant des charbons actifs, des films ou des liquides scintillants.

Il est aussi possible de faire des mesures instantanées de radon et de ses descendants dans l’air. A l’aide d’un système d’acquisition en continu, il est possible d’avoir des données régulièrement espacées dans le temps sur une période plus ou moins longue. Ces systèmes sont onéreux et comme la concentration fluctue beaucoup, en fonction de nombreux facteurs, ils sont plutôt utilisés pour faire de la surveillance dans l’industrie, en cas de problème ou pour rechercher une source de radon.

Le système E-PERM a l’avantage de rester stable, quelles que soient les conditions de température, d’humidité… Il a subi avec succès les tests de l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA) et est également utilisé par les autorités compétentes en radioprotection européenne. Il peut être envoyé par la poste pour des mesures chez des particuliers, avec une simple notice d’utilisation.

Si vous voulez tester votre maison, il est préférable de se mettre dans des conditions pénalisantes. Les fenêtres et les portes doivent donc rester fermées autant que possible durant toute la durée de la mesure, et même 12 heures avant. Les pièces du rez-de-chaussée ou du sous-sol ont plus de risque d’être affectées. La bouteille devra être placée dans la pièce suspectée où vous passez le plus de temps, à une hauteur qui dépend des habitudes de vie (table de nuit dans une chambre à coucher, hauteur de la table dans un séjour…). Il est préférable de la laisser deux semaines sans la déplacer. La mesure finie, la bouteille doit être refermée et renvoyée à l’ACRO.

Si la concentration obtenue est supérieure ou égale à 200 Bq/m3, il est préférable de faire d’autres mesures pour confirmer ou de tester d’autres pièces. Dans ce cas, il est aussi recommandé de prendre des dispositions pour diminuer cette concentration. Si la concentration est inférieure à 200 Bq/m3, mais proche, il peut être raisonnable de refaire une mesure à une autre époque (en hiver par exemple).


Agrément radon pour la mesure dans les établissement recevant du public :

Dans le cadre des textes réglementaires récents concernant la gestion du risque radon dans les lieux accueillant du public, l’ACRO dispose d’un agrément relatif aux mesures de radon effectuées en vue d’un dépistage ou d’un contrôle pour vérifier les niveaux d’activité en radon définis en application de l’article R.1333-15 du code de la santé publique (niveau N1).

Cet agrément délivré par la « Commission Nationale d’agrément des organismes habilités à procéder aux mesures d’activité volumique du radon dans les lieux ouverts au public » est publié au Journal Officiel n° 200 du 28 août 2004 page 15448 et prend effet au 15 septembre 2004 pour une durée de 12 mois.

Textes de référence :
Articles R.1333-15 et R.1333.16 du code de la santé publique.
Arrêté du 15 juillet 2003 relatif aux conditions d’agrément d’organismes habilités à procéder aux mesures d’activité volumique de radon dans les lieux ouverts au public.
Arrêté du 23 octobre 2003 portant nomination à la Commission nationale d’agrément des organismes habilités a procéder aux mesures d’activité volumique du radon dans les lieux ouverts au public.
Circulaire DGS/SD 7 D n°2001-303 du 20 juillet 2001 relative à la gestion du risque lié au radon dans les établissements recevant du public (ERP).


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Énergie, chaleur et électricité

(extrait de l’ACROnique du nucléaire n°43, décembre 1998)

Qu’est ce que l’énergie ? C’est une notion couramment employée qui est pourtant difficile à définir. C’est une grandeur physique qui est associée au mouvement. Une voiture qui avance, une rivière qui coule possèdent une énergie liée au déplacement. L’énergie peut aussi se déplacer en « surfant » sur la matière. C’est le cas des vagues à la surface de la mer qui transportent de l’énergie sans que l’eau ne se déplace beaucoup. D’une manière générale, c’est aussi le cas de toutes les ondes et du courant électrique alternatif. On voit bien que ce type d’énergie est impossible à stocker. Peut-on entreposer un mouvement ?Si de l’eau est coincée dans un barrage et que l’on ouvre les vannes, elle va s’écouler sous l’effet de la gravitation et acquérir de l’énergie liée à son mouvement. Tant que l’eau reste dans le barrage, elle a le potentiel de s’écouler un jour. On a donc stocké une possibilité d’obtenir de l’énergie, c’est donc de l’énergie, dite potentielle. En pompant depuis le bas dâune vallée de lâeau dans un barrage en amont, on transforme l’énergie électrique de la pompe en énergie potentielle. Ce système est utilisé en Espagne en cas de surproduction. Une réaction chimique comme celle qui a lieu dans les batteries permet aussi de fournir ou de stocker de l’électricité.

C’est la même chose avec du gaz. La combustion va dégager de l’énergie sous forme de chaleur. La chaleur est associée aux mouvements désordonnés d’un grand nombre d’éléments, comme les molécules qui forment un gaz. Plus l’air est chaud, plus les molécules qui composent l’air s’agitent dans tous les sens. L’énergie dégagée par la fission nucléaire l’est aussi sous forme de chaleur. Les molécules d’eau dans une rivière ont un mouvement moyen qui correspond à l’écoulement auquel s’ajoute un petit mouvement désordonné qui dépend de la température de l’eau. C’est le mouvement moyen qui a un force motrice et qui est donc intéressant.

Or il est beaucoup plus facile de passer dâun état ordonné à un état moins ordonné que lâinverse. C’est la fameuse loi de l’entropie. Par exemple, si vous ouvrez une bouteille de parfum, elle va rapidement sentir, car des molécules du parfum sont sorties de la bouteille pour atteindre vos narines. Les molécules de parfum sont passée spontanément d’un état ordonné (elles sont toutes dans la bouteille) à un état moins ordonné où une partie d’entre elles se sont dispersées dans la pièce. Si vous ouvrez la fenêtre, vous allez obtenir un état encore plus désordonné. L’opération inverse qui consisterait à remettre toutes les molécules dans la bouteille est extrêmement complexe et nécessiterait beaucoup d’énergie.

C’est similaire avec l’énergie. Il est très facile de passer d’un courant électrique à de la chaleur, c’est à dire d’un mouvement ordonné à un mouvement désordonné. L’inverse n’est pas vrai : si on faire de l’électricité à partir de chaleur, c’est beaucoup plus difficile et cela consomme de l’énergie… Cela signifie que l’énergie électrique produite par rapport à l’énergie calorique dépensée est faible. Généralement moins de la moitié. Il est donc aberrant de retransformer cette électricité en chaleur.

On voit apparaître là le problème du chauffage électrique. Chez vous, toute l’énergie électrique consommée est transformée en chaleur, mais cette électricité a été produite à partir de chaleur… dont plus de la moitié est perdue. Il est donc plus raisonnable de chauffer avec de la combustion directement, sans passer par l’étape électricité.


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Le nucléaire à l’heure des choix

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n° 43, décembre 1998


Les rapports parlementaires sont les seuls documents officiels accessibles au citoyen pour ce faire une idée sur l’avenir énergétique du pays. Un rapport est prévu sur le rôle des compagnies pétrolières ; quatre ont été publiés cette année sur différents aspects de l’énergie nucléaire, ils traduisent tous une volonté de poursuivre dans cette voie, sans tenir compte des interrogations de la société civile. Pourtant, les récents essais nucléaires français, chinois, américains, indiens et pakistanais montrent que les enjeux du nucléaire dépassent largement la simple production d’électricité. A l’heure où des choix importants doivent être faits, le sujet mériterait un large débat national qui est malheureusement absent.


Malgré les campagnes de dénigrement et les attaques insidieuses ou non fondées dont elle fait l’objet dans le monde et, depuis quelque temps, dans notre pays, l’énergie nucléaire n’est pas condamnée, loin s’en faut. On peut même affirmer qu’il s’agit, à partir des considérations techniques, économiques et politiques actuelles, d’une énergie décisive à l’horizon du siècle qui vient. ” (1) Pour que des parlementaires commencent par cette phrase un rapport sur l’aval du cycle nucléaire, c’est que la situation de l’industrie nucléaire devient difficile à tenir. Ce plaidoyer arrive à l’heure où des choix stratégiques doivent être faits concernant la filière du plutonium et la construction d’un nouveau type de réacteur nucléaire, l’EPR  (2). Leur rapport ne contient aucune critique et traduit mal les interrogations de la société civile. Pourtant, dans un autre rapport sur Superphénix  (3), ces mêmes députés déplorent qu’à l’époque, il n’ait été ” aucunement débattu des questions de sécurité, non plus que de la viabilité économique de la filière “. De l’autre côté, dans les milieux écologistes, le débat est plutôt entre une sortie douce du nucléaire (quand les réacteurs actuels arriveront en fin de vie), ou une sortie immédiate (tant que le parc de centrales fonctionnant aux énergies fossiles, en cours de démantèlement, est encore suffisant)  (4). Ce débat ne dépasse guère le cercle des militants anti-nucléaires. Pourtant, dès le premier janvier 1999, 25% de la production d’électricité sera ouverte à la concurrence, ce qui fait saliver les compagnies de services (Lyonnaise des Eaux-Suez, Vivendi et Bouygues) qui se tourneront vers d’autres modes de production. Ainsi, pour les députés Galley et Bataille, ” le dilemme dans notre pays se situe entre l’énergie nucléaire ou le gaz, la gestion des déchets ou l’effet de serre ”  (5). La réalité est un peu plus complexe, mais nous n’allons pas entrer dans les débats entre les conséquences géopolitiques des hydrocarbures et les risques nucléaires. Nous tenterons plutôt de comprendre les enjeux liés aux décisions à venir. La question peut se résumer ainsi : doit-on continuer à utiliser l’énergie nucléaire, en utilisant par exemple l’EPR ? Si oui, doit-on retraiter le combustible irradié ? Sinon, quand doit-on arrêter les centrales actuelles ? Pour l’EPR, ” la décision pour la commande […] – en tant que tête de série – ne saurait tarder. Pour avoir un calendrier optimal, il s’agit de passer commande de la cuve en 1999-2000, et de couler le premier béton en 2003. […] Les préférences actuelles vont vers Penly et dans une moindre mesure vers Flamanville. Quant au retraitement, ” le contrat en vigueur entre EDF et Cogéma vient à expiration en 2000 ”  (6) et l’usine de la Hague devraient être amortie sur le plan financier vers 2001. Pour élargir son champ d’action, Cogéma a déposé une demande d’autorisation de retraiter du combustible MOX  (7) et d’autres combustibles de réacteurs de recherche dans son usine UP3. Cette demande sera soumise à enquête publique très prochainement. En revanche, l’arrêt du retraitement bouleversera toute l’économie d’une région. Un tel changement doit se préparer maintenant.

L‘aval de la chaîne du combustible nucléaire  (8) est la partie la plus difficilement justifiable. L’extraction du plutonium faite à l’usine de retraitement de la Hague et son utilisation comme combustible dans des surgénérateurs de type Superphénix ou comme combustible MOX dans des centrales classiques est souvent présenté comme une utilisation rationnelle des ressources énergétiques limitées. Il serait pourtant beaucoup plus simple de limiter la production électrique en surcapacité.

Si ” le “tout retraitement” fait partie des dogmes qui ont fait leur temps ” (9), pourquoi s’acharner à retraiter les deux tiers des combustibles irradiés français ? Si c’est pour meilleure gestion des déchets nucléaires, force est de constater qu’un tiers du combustible irradié reste sur le carreau. La loi du 30 décembre 1991 sur les déchets permet d’apporter une justification a posteriori au retraitement et de l’utilisation du plutonium comme combustible, même si la commission nationale d’évaluation, dans son troisième rapport, ” observe que les solutions techniques attendues en 2006 relèvent essentiellement des axes n°2 et n°3″, à savoir le stockage en profondeur ou en surface. Lors d’une rencontre entre des physiciens de l’université de Caen et la Cogéma pour étudier les possibilités de collaboration, les représentants de la Cogéma ne connaissaient pas le programme de recherche Gédéon qui concerne la séparation-transmutation. Mais, pour démontrer que le retraitement permet de réduire les volumes, ce qui est faux, Cogéma compare le volume de ses déchets ultimes sans emballage au volume du container suédois contenant le combustible irradié  (10).

Faute d’arguments valables, le retraitement est finalement justifié en terme d’emplois. Seulement 20 tranches nucléaires sont autorisées à utiliser du MOX et il en faudrait 28 pour utiliser tout le plutonium extrait dans l’usine de la Hague. Si on reste à 16 tranches, ” dans la mesure où une baisse des contrats de retraitement étrangers est anticipée, il est probable qu’une seule des deux usines serait alors nécessaire pour satisfaire tant la demande nationale que la demande extérieure. EDF chiffre à 1 500 le nombre de suppressions d’emplois direct chez Cogéma et à 1 500 emplois supplémentaires les suppressions chez les sous-traitants ” (11). En résumé, Superphénix arrêté, le MOX sert à justifier le retraitement et le retraitement à créer des emplois ! ” Par ailleurs, nous avons un stock de plutonium de 65,4 tonnes, très supérieur à la marge de réserve de 20 tonnes estimée nécessaire par EDF “. (12)En plus,” la filière du plutonium coûte très cher à EDF : 15 milliards de francs par an, soit 5 centimes du kWh ”  (13). Il doit sûrement exister des filières de production d’énergie plus créatrices d’emplois.

Le retraitement a une origine militaire et c’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher sa justification. ” La Hague n’est-elle pas une usine militaire ” camouflée ” en usine civile ? ”  (14) s’interroge Corinne Lepage après son passage au cœur du pouvoir. Même si les essais nucléaires sont terminés, la France n’a en effet pas renoncé à l’armement nucléaire et au niveau mondial, le nombre de pays détenteur de cette arme ne fait qu’augmenter. Aux Etats-Unis, un document partiellement déclassifié du DOE  (15) (Department of Energy) révèle une volonté de remplacer les armes nucléaires actuelles par de nouvelles à partir de 2010 et prévoit une capacité de construction de milliers de bombes, si nécessaire, comme au temps de la guerre froide. Leur mise au point sera faite grâce aux simulations sur ordinateurs et aux essais nucléaires sous-critiques. Le dernier en date a eu lieu le 26 septembre 1998, sans que les médias n’en parle. La majeure partie de ce document reste secrète et c’est l’acharnement de 39 organisations pacifistes ou écologistes qui ont permis d’obtenir ces informations. Il n’y a aucune raison que la France soit en reste. Lionel Jospin a encore récemment affirmé que ” pour la France, comme pour la sécurité européenne, et tant qu’un désarmement général et complet ne sera pas réalisé, l’arme nucléaire demeure une nécessité ” (16). La volonté de continuer à retraiter une partie du combustible usé français apparaît donc comme un moyen de garder un savoir-faire et des capacités de production de plutonium conséquentes, en cas de besoin. La demande de pouvoir retraiter toutes sortes de combustibles irradiés est un pas dans ce sens.

Depuis la fin remarquée des essais nucléaires français, il n’est plus jamais question de la bombe française dans la presse. Tout est fait pour qu’elle soit oubliée. Les seules dépêches concernent la fermeture du site de Mururoa, comme pour faire croire que tout est fini. Pourtant, cette arme est construite en notre nom et avec nos impôts, elle mériterait donc plus de débats  (17).

Le plutonium 239 provient du bombardement de l’uranium 238 par un neutron dans une réacteur. Les isotopes suivant, sont produits par bombardement successifs. Le plutonium issu du retraitement des combustibles des centrales actuelles est de médiocre qualité militaire, la proportion de Pu 239 n’étant pas suffisante, mais les Etats-Unis ont réussi à faire exploser une bombe avec en 1962. En cas de crise majeure, il est possible d’avoir su combustible ayant une forte proportion de Pu239 en irradiant peu le combustible. Avec Superphénix, ” on est au cœur de la filière plutonium et du lien civil-militaire, car le surgénérateur brûlele plutonium produit à la Hague par le retraitement et en génère d’avantage qu’il n’en consomme. Superphénix, c’est comme ses prédécesseurs de Marcoule (Rapsodie, Phénix) une usine à objet militaire mais présentée comme une usine civile ” (18). Surtout, Superphénix consomme du plutonium de retraitement mais peut produire du plutonium 239 de très bonne qualité militaire, il apparaît donc comme réservoir à Plutonium.

Pour cela, il faut de la matière première, à savoir, des réacteurs fournissant du plutonium. Le choix semble s’orienter vers l’EPR, alimenté à l’uranium enrichi et/ou au MOX. L’usine d’enrichissement, en amont, a aussi un intérêt militaire… Supposons que le retraitement soit arrêté, l’EPR sera-t-il construit avec une utilisation purement énergétique pour remplacer le parc actuel de centrales vers 2010-2015 ? L’EPR est un réacteur du même type que ceux utilisés actuellement, mais plus gros et plus sûr. Il n’apporte aucune solution aux problèmes liés aux déchets produits de la mine au réacteur. Claude Birraux, député, lui consacre un rapport  (19) où il explique que les instructions du gouvernement consistent à faire en sorte que tous les choix soient possibles, ce qui signifie se préparer à ” ce que l’option nucléaire puisse être approuvée, le moment venu “ . Pour maintenir l’option nucléaire ouverte, il est donc préconisé de construire rapidement un prototype ou une tête de série afin de maintenir les compétences de l’industrie nucléaire. En effet ” la maintenance du parc actuel ne suffira pas pour maintenir le tissu industriel ” (20). Le projet EPR a déjà nécessité un investissement de l’ordre d’un milliard de francs et ” la construction d’un prototype se chiffrera au minimum à une quinzaine de milliards de francs “. ” Aussi, ce projet est un non-sens économique si la construction se limite à un prototype “. En résumé, il faut un protpype pour maintenir les choix ouverts, et une fois ce réacteur construit, il faudra continuer car cela aura déjà coûté suffisemment cher. Pierre Daures, ancien Directeur général d’EDF, envisage de construire 6 à 8 tranches, pour l’énergie de base, le reste pourrait être fourni d’autres processus que le nucléaire. 7 tranches, c’est le nombre minimum pour que l’EPR soit rentable économiquement. Le premier réacteur, dont la décision doit être prise rapidement, a donc une importance stratégique à long terme. On parle de Penly ou Flamanville pour accueillir l’EPR, mais ” la réalisation d’une tête de série est inutile en France car elle aggraverait notre surcapacité ; elle semblerait improbable pour des motifs politiques en Allemagne ” (21). La Russie serait aussi candidate pour la construction de la tête de série.

Les véritables arguments de poids en faveur de l’énergie nucléaire reposent aujourd’hui sur la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance énergétique de la France et la lutte contre l’effet de serre. ” (22) Même si l’uranium est totalement importé, cette matière première pose moins de problèmes géopolitiques que les hydrocarbures. L’indépendance énergétique de la France n’est donc que relative. Quant à la sécurité, elle ne peut être garantie que par une très grande variété de sources, car en cas de crise, l’énergie nucléaire, très centralisée, est vulnérable. Le ” Grand Verglas ” du Québec, qui a rompu de nombreuses lignes électriques, privant une grande partie de la population d’électricité en plein hiver, en est un bon exemple. En France, quelques réacteurs en panne et EDF prétend être obligée d’importer du courant. ” Les impératifs de protection de l’environement, en particulier les objectifs de lutte contre l’effet de serre, ne pourront être tenus qu’avec l’apport de l’énergie nucléaire “. Cette affirmation est l’argument le plus utilisé par les partisants de l’énergie nucléaire, mais elle n’est jamais démontrée. Si l’énergie nucléaire en France fournit 80% de l’électricité, au niveau mondial, elle ne représente plus que 4,5% de l’énergie totale consommée. Combien de réacteurs seraient-ils nécessaires pour réduire la dispersion de gaz à effet de serre ? Il semble donc préféreable de se tourner vers d’autres voies. De plus, du point de vue environnemental, demeure le problème des déchets et des rejets.

D‘une manière générale, le nucléaire est aussi présenté comme une spécialité française. ” Pour autant, peut-on penser que des hommes d’Etat tels que Guy Mollet, le général De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Mendès-France ou François Mitterrand, qui ont pris des décisions importantes pour l’indépendance énergétique de la france, aient tous fait fausse route dans le domaine du nucléaire ? Ce serait pour le moins surprenant “, s’interroge M. Alain, Moyne-Bressand, député de la circonscription sur laquelle se trouve Creys-Malville. Et de répondre, ” mais il n’y a pas d’erreur puisque ça a permis la grandeur de notre pays. ” (23)

La France, qui possède une maitrise de toutes les étapes de la chaine du combustible se doit donc de ” garder son rang “. Pour ses détracteurs, cette avance est due à l’exception française. Au-delà de la simple fiereté, quel est l’intérêt ? La conquête des marchés étrangers est avancée dans tous les rapports parlementaires. Mais cela signifie aussi, comme par le passé, le transfert de technologie vers des pays souhaitant se doter de l’arme nucléaire (Israël  (24), Irak  (25), Iran  (26)…), en échange d’avantages commerciaux ou stratégiques.

Si l’option de la sortie du nucléaire est finalement choisie, quand aura-t-elle lieu ? La Ministre de l’Environnement a annoncé l’arrêt programmé à partir de 2005. Mais cela ne semble être qu’une annonce et d’ici là… L’enjeu se situe entre l’appât du gain et la sûreté, d’autant plus qu’une économie libérale va pousser les opérateurs à diminuer leurs marges en rognant sur le personnel et la sécurité. ” Le report d’un an du renouvellement d’une tranche de 900 mégawatts représente, pour EDF, une économie de 700 millions de francs “,  (27) mais en vieillissant les centrales deviennent de plus en plus dangereuses. Le retard qui sera sûrement pris dans la décision de renouveller ou pas le parc nucléaire par le gouvernement, fait que l’éventuel EPR arrivera tardivement. Tout cela pousse EDF à tabler sur une durée de vie de 40 ans pour ses réacteurs, mais elle n’a pas l’accord des autorités de sûreté. Pour Roger et Bella Belbéoch  (28), il est possible de se passer immédiatement de 70% de l’énergie nucléaire en n’utilisant que des technologies actuellement disponibles. Pour eux, il s’agit même d’une nécessité car la probabilité d’avoir une catastrophe ne va qu’augmenter. En effet, environ 20% de notre production est exportée et 7 à 8% est de l’autoconsommation. Le reste pourrait être compensé par une utilisation optimale de notre parc de centrales thermiques classiques. Il n’est pas possible actuellement d’aller plus loin à cause du chauffage électrique, mais cela pourraît être facilement envisagé à moyen terme.

Les engagements pris à Kyoto concernant les gaz à effet de serre et les décisions importantes qui doivent être prises en matière de nucléaire font que l’on a une occasion unique pour un grand débat sur l’énergie. A l’issue de ce grand débat, on pourrait imaginer une loi sur l’énergie engageant des recherches dans de nombreuses voies, le tout surveillé par un commission d’évaluation, afin de prendre une décision rapidement. De fait, la loi sur les déchets nucléaires a relancé les recherches en matière de production d’énergie nucléaire en déblocant d’énormes crédits, ce qui n’est pas le cas pour d’autres modes de production d’énergie. En Suède et en Allemagne, l’énergie nucléaire a été un thème de la campagne électorale de cet automne. La décision du nouveau gouvernement allemand de sortir rapidement du nucléaire (l’échéance devrait être fixée dans un an) risque d’augmenter les importations d’électricité française. Les pannes de centrales nucléaires françaises font craindre à la Grande Bretagne une augmentation de ses tarifs d’électricité pour cet hiver. L’interdépendance des ressources énergétiques et des pollutions fait que ce débat et ces recherches devraient avoir lieu au niveau européen. Il s’agit sûrement d’une gageur car le débat européen n’existe pas. Il serait temps de démocratiser la vie publique européenne en commençant, par exemple, par l’énergie.

En 1848, au moment d’instaurer le suffrage dit universel (les femmes ne votaient pas), beaucoup se demandaient s’il était raisonnable de donner ce droit à tout le monde, même aux domestiques. 150 ans plus tard, la population ne semble toujours pas assez adulte pour être consultée sur des sujets aussi importants que les choix énergétiques et de défence, qui concernent sa vie de tous les jours. ” Mais en cinquante ans le contexte a profondément changé : il ne s’agit plus de  “faire la bombe “, mais d’être capable d’offrir la diversité énergétique dans le respect de la démocratie, avec efficacité et transparence. ” (29) Vraiment ?

David Boilley


(1) In Rapport sur l’aval du cycle électronucléaire, par MM. Christian Bataille et Robert Galley, députés, Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, juin 1998.

(2) European Presurized Reactor, projet commun FramatomeSiemens

(3) Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, par MM. Christian Bataille et Robert Galley, députés, Assemblée Nationale, Commission d’enquête, rapport n°1018, juin 1998.

(4) Voir B. et R. Belbéoch, Sortir du nucléaire, c’est possible, éd. L’esprit frappeur (10 F) et les débats dans la lettre de Stop Nogent.

(5) Rapport sur l’aval du cycle nucléaire, op. cit. (réf. 1)

(6) Ibidem

(7) MOx : combustible nucléaire obtenu en mélangeant de l’uranium et du plutonium extrait à l’usine de La Hague. Pour en savoir plus sur les risques liés au MOx, le lecteur pourra se reporter à l’excellente Gazette nucléaire n°163/164, 1998.

(8) Le terme “aval du cycle nucléaire” est plus usité, mais s’il y a réellement un cycle, où est l’aval de l’amont ?

(9) Cf réf. 1

(10) En fait, le volume lié au stockage est déterminé par la chaleur dégagée par ces déchets qui est essentiellement due aux produits de fission qui ne sont pas séparés lors du retraitement.

(11) Cf réf. 1

(12) Cf réf. 1

(13) In “On ne peut rien faire Madame le ministre…”, Corinne Lepage, Albin Michel, mars 1998.

(14) Ibidem

(15) “Stockpile Stewardship and Management Plan”, Oct 97, dont les points essentiels ont été repris par une dépèche du Environment News Service du 21 avril 1998.

(16) Reuters, 3 septembre 1998

(17) Lire, Eliminer les armes nucléaires, est-ce souhaitable ? Est-ce réalisable ? Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales, éd. Transition, 1997

(18) Corinne Lepage, op. cit.

(19) In le contrôle de la sûreté des installations nucléaires, par Claude Birraux, Député ; rapport 484 (97-98), Tome I – Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

(20) Ibidem

(21) Ibidem

(22) Ibidem

(23) In Rapport sur Superphénix, Cf réf. 3

(24) Pierre Péan, Les deux bombes, Fayard, 1991

(25) K. Timmerman, Le lobby de la mort, Calman-Lévy, 1991 (si l’éditeur accepte de vous le vendre…)

(26) D. Lorentz, Une guerre, éd. des Arènes, 1997

(27) Claude Birraux, Cf réf. 19

(28) Cf réf. 4

(29) In rapport d’évaluation du système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire, Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe et Moselle, Rapport Parlementaire, 1998


Ancien lien

 

Tchernobyl : une catastrophe en devenir

timbres commémoratifs du Bélarus
timbresPar Laurent Bocéno, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand du Laboratoire d’Analyse Sociologique et Anthropologique du Risque (LASAR) de l’Université de Caen. ACROnique du nucléaire n°41, juin 1998.


Ayant effectué récemment, en décembre 1997, un voyage en Bélarus dans le cadre d’un contrat de recherche européen sur les conséquences de Tchernobyl, il nous apparaît important d’évoquer ici la situation des populations les plus affectées par l’explosion du réacteur n°4 de la centrale ukrainienne, au moment où des informations sur les répercussions, en France, du passage du “nuage” nous rappellent l’incidence planétaire de cet évènement.


Loin d’être un accident circonscrit dans le temps et dont on pourrait aujourd’hui dresser un bilan définitif, il convient au contraire de le considérer comme une tragédie sans fin dont les effets proporement catastrophiques commencent seulement à se manifester. Reconnaître que “les populations du Bélarus, de l’Ukraine et de la Russie, dans une certaine mesure, se ressentent encore de ces conséquences”, comme s’y résolvent les experts de l’OCDE [ 1], est un doux euphémisme pour signifier la durabilité et la gravité des séquelles engendrées par l’accident survenu il y a douze ans.

L’observation de la situation d’une région contaminée du Bélarus laisse penser qu’on a bien là affaire à une bombe à retardement dont les effets se déploient dans tous les registres de la société. “La catastrophe est un arbre qui pousse”, telle est l’image employée par certaines personnes interrogées pour signifier l’aggravation qu’elles perçoivent de la situation. L’absence de limites spatiales, et surtout temporelles, aux effets de l’accident ne permet pas d’établir et d’évaluer le moment qui en marquera la fin, la capacité du nucléaire à coloniser l’avenir trouvant dans les conséquences à long terme des catastrophes une de ses manifestations les plus douloureuses. Face à la banalisation dont fait l’objet cette catastrophe, il nous semble nécessaire de livrer dans ce journal quelques témoignages et analyses relatifs à notre expérience de terrain, alors même que la centrale de Tchernobyl continue de constituer une menace pour les populations, l’état du sarcophage ainsi que celui du dernier réacteur encore en fonctionnement étant jugés fortement préoccupants par les spécialistes en sûreté nucléaire.

Complexité de la situation post-catastrophique

Les retombées radioactives dues à l’accident survenu le 26 avril 1986 en Ukraine ont contaminé durablement un territoire essentiellement rural, équivalent à un quart de la France. Environ quatre millions de personnes vivent aujourd’hui en zone contaminée, en Russie et dans les nouveaux États indépendants (N.E.I.) du Bélarus et d’Ukraine. Le cas du Bélarus est particulièrement révélateur du caractère véritablement catastrophique de la situation dans la mesure où de toutes les Républiques de l’ancienne Union Soviétique, c’est celle qui est proportionnellement la plus touchée avec 23% de son territoire contaminé, où vivent plus de deux millions de personnes, soit un cinquième de la population totale. Par ailleurs, l’ensemble des problèmes que connaissent à des degrés divers ces Républiques s’y trouve concentré. Les conséquences sanitaires et psychiques de l’irradiation et de la contamination [ 2] se combinent en effet avec l’existence de nombreuses sources de pollutions d’origines agricole et industrielle, mais aussi avec la crise politique et idéologique qu’a entraîné le démantèlement de l’URSS, l’effondrement des secteurs industriel (diminution de 80% des marchés liés à l’industrie de l’armement soviétique) et agricole (abandon de nombreuses productions, baisse de 50% de la main d’œuvre agricole, gel des terres les plus contaminées), l’inflation des problèmes économiques et sociaux (non paiement des salaires par l’État, décompositions familiales, suicides, alcoolisme, carences alimentaires…), la dégradation générale de la santé des personnes et surtout, l’instauration d’un régime totalitaire depuis 1994, basé sur la coercition, la menace et la peur.

Tous ces problèmes sont étroitement intriqués et il est impossible de rendre compte des conséquences de Tchernobyl sans les appréhender simultanément. Le découpage de la réalité post-catastrophique en fonction des multiples disciplines concernées et de la division du travail entre les chercheurs s’avère sans réel fondement pour les ” victimes de Tchernobyl “, les habitants des zones contaminées qui subissent en bloc ces conséquences dans leurs multiples dimensions : le territoire dans lequel ils vivent est contaminé, leur santé et celle de leurs enfants est atteinte ou menacée, et aux problèmes psychologiques – stress et anxiété – qu’ils éprouvent s’ajoute l’accumulation des pénuries liées à la crise sociale, politique et économique que traverse le Bélarus.

Faire face à la contamination

La présence durable de la contamination radioactive dans une large partie du pays confronte les habitants à un risque résiduel et persistant. Que le risque associé à la présence de radionucléides dans l’environnement et l’alimentation soit dénié ou occulté, qu’il soit pris en compte et favorise éventuellement l’adoption de mesures protectrices ou qu’il soit exacerbé et suscite une inquiétude profonde chez certaines personnes, la contamination apparaît comme une donnée de la vie quotidienne, une présence qui conditionne les rapports pratiques et symboliques que les personnes entretiennent avec le milieu ” naturel “. Toutefois, le caractère permanent, tout au moins à l’échelle d’une génération, de la contamination et les difficultés éprouvées tant par les scientifiques que par la population à identifier précisément ses effets sur la santé contribuent à atténuer la vigilance de personnes qui disent s’être habituées, sinon physiquement du fait d’une immunisation de leur organisme, du moins psychologiquement en raison même de la durabilité de la situation radiologique due à l’accident. Nous avons en effet pu constater, au cours de notre enquête, que les pratiques de radioprotection étaient extrêmement limitées et en régression, ceci pour de multiples raisons dont on ne citera ici que les principales.

Tout d’abord, la réalité du danger n’a été révélée aux populations de la région où nous nous sommes rendus (district de Kastiokovitchi, à 250 Km au nord de Tchernobyl), au travers des mesures de relogement, que quatre ans après l’accident. Ensuite, les insuffisances des dispositifs publics de gestion post-accidentelle mis en oeuvre à partir de 1991, après l’accès du Bélarus à l’indépendance, et l’absence de moyens disponibles pour mettre en pratique des solutions viables et durables témoignent de l’impuissance des responsables politiques et scientifiques à ” liquider ” les conséquences de l’accident, objectif irréalisable et par ailleurs incompatible avec le caractère irréparable et irréversible que revêt, pour les populations touchées, la situation post-catastrophique qui les contraint à vivre dans un environnement irrémédiablement dégradé. Enfin, il existe actuellement une volonté politique de réhabilitation des territoires contaminés qui rejoint le désir d’une partie de la population de vivre ” normalement “, comme avant l’accident. Cette volonté politique, en ce qu’elle vise essentiellement le redéploiement de l’activité économique et le redémarrage de la production agricole, conduit à une relativisation de la problématique de radioprotection qui risque de s’avérer dommageable à long terme sur le plan sanitaire. La reprise, par les habitants des zones contaminées, de leurs anciennes habitudes de vie et l’adoption de comportements de déni de réalité répondent à l’aspiration globalement partagée d’en finir avec plusieurs années d’efforts et de sacrifices consentis et de retrouver des conditions de vie moins contraignantes sur le plan de la protection radiologique. La politique de l’actuel gouvernement conforte ces attitudes en tentant de banaliser la catastrophe et de nier la réalité des risques encourus.

L’alimentation comme premier souci

On assiste en fait, au milieu des ruines des bâtiments abandonnés suite à la contamination et aux mesures de relogement, dans des villages aux allures parfois fantomatiques, à la réémergence de pratiques paysannes qui constituent pour les habitants une condition sine qua non de la survie collective. La grave récession économique que connaît le pays depuis quelques années amène la population à se détourner du circuit public d’approvisionnement, la nourriture étant excessivement chère et souvent peu abondante dans les magasins d’État. Nous avons ainsi rencontré une jeune femme médecin qui, pour combler le déficit du salaire qu’elle perçoit de l’État [ 3], cultivait un jardin potager, possédait une vache, deux porcs, et des volailles. Ceci ne procédait pas, comme en France, d’un choix esthétique ou d’un quelconque désir de nature, mais bien d’une impérieuse nécessité économique. Une autre personne interrogée nous a avoué parcourir tous les mois jusqu’à 1000 Km en autocar pour s’approvisionner auprès de ses parents, à l’autre bout du pays. Le recours au mode de production domestique, aux solidarités locales et, en particulier, familiales, se révèle en effet indispensable à la survie quotidienne dans un contexte de pénurie. En milieu urbain, les difficultés sont d’autant plus importantes que les individus ne disposent pas de parcelle cultivable ou de parents résidant en zone rurale et susceptibles de leur procurer un complément, voire parfois l’essentiel de leurs besoins alimentaires. Ainsi, loin d’avoir un comportement suicidaire, des personnes restent dans les territoires contaminés où elles possèdent des lopins de terre et les cultivent pour nourrir leurs familles qui résident en zone ” propre “.

Le problème de l’autoproduction

La préoccupation quotidienne consiste ainsi, pour beaucoup, à se procurer de la nourriture qui provient donc en grande partie de l’autoproduction. La limite première de cette dynamique tient dans le fait que les habitants consomment des denrées alimentaires issues de leurs jardins et des forêts, et sont donc contaminées. Ils se chauffent, en outre, avec du bois contaminé et amendent leur terre avec de la cendre radioactive. Ils nourrissent aussi les chevaux, qui constituent bien souvent leur seul moyen de locomotion, avec du foin contaminé, le crottin contaminé étant intégralement utilisé. Le cycle de l’autoconsommation constitue donc un facteur aggravant dans la mesure où la contamination y est sans cesse ” recyclée “. C’est donc l’impossible mise en pratique d’une théorie selon laquelle on pourrait vivre sur un territoire contaminé pour autant qu’on ne s’alimente qu’avec des produits sains, alors qu’une part importante de l’alimentation de la population bélarusse provient de sols contaminés, comme les champignons qui constituent un mets très prisé dans une alimentation de survie.

Il n’est de toute façon plus question, pour ceux qui sont restés, de mobilité, de voyage, de fuir, de penser une quelconque trajectoire sociale ou professionnelle car ils sont assignés à (sur)vivre dans une zone contaminée : la politique de relogement a été stoppée et ils n’ont pas les moyens de partir [ 4]. Les relations familiales et de voisinage constituent, dans ce sens, l’ultime condition d’une vie sociale, tous les espaces intermédiaires entre l’individu et l’État ayant été liquidés : l’association n’existe pas, pas plus que les lieux de rencontre.

Discrédit des autorités

Le silence mensonger, évoqué plus haut, des autorités soviétiques les premières années qui ont suivi l’accident a durablement, sinon définitivement, ébranlé la confiance de la population envers les responsables politiques, aujourd’hui encore soupçonnés de subordonner la protection des habitants à la faisabilité économique des mesures envisageables. Les décisions en matière de radioprotection résultent de fait autant de choix politiques que de considérations d’ordre strictement scientifiques. On en donnera simplement deux exemples : le choix, d’abord, de la définition de zones très fortement contaminées (plus de 40 Ci/km) à faiblement contaminées (entre 1 et 5 Ci/km) et l’élaboration de cartes de contamination qui prennent en compte un élément radioactif (le césium 137) alors que les spécialistes reconnaissent l’existence de divers cocktails de radioéléments irrégulièrement répartis sur le territoire ; ou encore le choix du déplacement de populations de zones très contaminées vers d’autres zones moins contaminées.

De la même façon il n’est accordé aucune crédibilité aux contrôles et informations officiels. Ainsi, le recours aux services des laboratoires de contrôle radiologique de l’environnement et de l’alimentation, pourtant gratuits, est quasiment inexistant. Même si la pénurie alimentaire ne permet pas aux familles de se débarrasser des vivres dont la contamination est supérieure aux normes bélarusses, c’est surtout parce qu’ils ne font pas confiance aux responsables scientifiques, trop liés aux autorités, que les habitants ne contrôlent plus la nourriture issue de la production privée ou des activités de cueillette et qu’ils ne respectent plus les nombreuses interdictions qui régissent aujourd’hui encore la vie en zone contaminée. Dès lors, il apparaît indispensable de diversifier et décentraliser la production des informations concernant la situation radiologique dans la mesure où certaines sources sont systématiquement tenues en suspicion. Assurer et promouvoir la pluralité des activités de contrôle et d’expertise se révèle alors vraisemblablement comme un moyen incontournable, pour les autorités, de retrouver la confiance des populations – problème qui n’est pas, loin s’en faut, spécifique aux pays de l’ex-URSS – et semble en tout cas un élément essentiel pour une démocratisation effective des dispositifs de gestion du risque radiologique. La fiabilité des informations constitue donc une condition liminaire à l’accès des habitants des zones contaminées à l’autonomie et à la responsabilité, afin qu’ils puissent exercer réellement leur capacité de choix.

Sortir de l’impasse

La mise en place de stratégies de développement local qui visent à favoriser la possibilité, pour ces personnes, de vivre une vie dans des conditions satisfaisantes et qui ne soit pas simplement une survie surveillée, nécessite que le risque encouru ne soit pas dénié et que les conséquences actuelles et à venir de l’accident ne fassent pas l’objet d’évaluations qui ne sont trop souvent que des dissimulations. Aussi convient-il, si l’on veut contribuer un tant soit peu à la ” régénération ” de la vie dans les territoires contaminés et à l’autonomie des personnes qui y résident, de dénoncer systématiquement les tentatives de minimisation de l’appréciation des conséquences de ce qui apparaît pourtant bien comme la plus grave catastrophe industrielle et technologique qu’a connue le monde moderne, pour l’instant. Que la vérité quant à l’impact de l’accident de Tchernobyl ne soit pas réduite à la clandestinité constitue le préalable indispensable à une gestion démocratique des risques nucléaires, tant en Bélarus que dans les pays occidentaux.

Les scientifiques et autres intervenants dans l’appréhension et la gestion des conséquences de Tchernobyl doivent par ailleurs être attentifs à l’expression et l’invention des savoirs sociaux, ainsi qu’aux singularités culturelles et aux formes d’intégration de la catastrophe dans l’ordre de l’imaginaire et du symbolique. C’est en cela que l’approche socio-anthropologique peut se révéler féconde. Et si l’acceptabilité d’un risque présumé est liée, entre autre, à la légitimité scientifique des normes, celles-ci ne peuvent se prescrire sans s’articuler à une philosophie du devenir.


Résultats d’analyses de la radioactivité effectuées par l’ACRO pour le compte du LASAR dans le cadre de son étude  

Produit Césium 134 Césium 137 Expression
Miel
3,6 ± 0,8
280 ± 50
Bq/kg frais
Plat cuisiné :
Champignons + gras de porc
10,5 ± 1,3
830 ± 93
Bq/kg frais
Tourbe de chauffage
1,8 ± 0,5
132 ± 18
Bq/kg frais
Lait de ferme
25,9 ± 2,4
Bq/L
Lait UHT
4,4 ± 0,6
Bq/L
Gras de porc
0,8 ± 0,3
Bq/kg frais
Pommes
10 ± 2
Bq/kg frais
Vodka

Seuls les isotopes du Césium (134 et 137) ont été recherchés.Les prélèvements ont été effectués par le LASAR lors de leur étude en Bélarus (décembre 1997). Tous les aliments (sauf la vodka) sont contaminés en 137Cs. Quand le 134Cs est aussi présent, le rapport 137Cs / 134Cs est proche de 80, c’est une signature de l’accident de Tchernobyl. Les activités en césium 137 retrouvées dans le plat cuisiné (830 ± 93Bq/kg frais) (gras de porc + champignons) sont supérieures aux normes d’importation. Cette préparation culinaire ne pourrait donc pas être vendue en France. On s’aperçoit que le gras de porc seul a une activité très faible par rapport au plat cuisiné. On peut donc en conclure que ce sont les champignons qui ont un taux de radioactivité élevé. En ce qui concerne l’activité retrouvée dans l’échantillon de miel (280 ± 50 Bq/kg frais) elle est importante pour un tel produit.


[ 1] Cf Agence pour l’Energie Atomique de l’OCDE, Tchernobyl, Dix ans déjà, Impact radiologique et sanitaire, Paris, 1996.
[ 2] Il est impossible, de ce point de vue, d’obtenir des données officielles fiables. Il convient par ailleurs d’être circonspect quant aux estimations proposées par les agences internationales selon lesquelles, rappelons-le, seuls 31 morts sont attribuables à l’accident. Nous avons pu constater qu’environ un enfant sur deux, dans les écoles que nous avons visitées sur un mode aléatoire et sans prévenir, souffrait de problèmes de santé graves (affections thyroïdiennes, problèmes cardio-vasculaires,…). Tous les habitants de la zone, et en particulier les enfants, souffrent, globalement, d’un affaiblissement de l’organisme et des défenses immunitaires qui engendre de multiples pathologies.
[ 3] Les salaires (en moyenne 300 FF par mois) ne permettent pas de nourrir une famille de quatre personnes plus de 10 à 15 jours. Les compensations dérisoires (environ 6 FF par mois) octroyées pour vivre en territoire contaminé ne sont plus versées. L’inflation a en outre englouti toute l’épargne populaire.
[ 4] Le problème consiste à trouver simultanément un emploi et un logement, devenus rares aujourd’hui. La pénurie de logements permet à l’État de gérer les flux de populations entre les régions. Il faut attendre en moyenne dix ans pour se voir attribuer un véritable logement, soit l’équivalent, en France, d’une H.L.M. C’est par ce biais, et celui de la création programmée d’emplois dans la région où nous nous sommes rendus, que les autorités incitent la population à retourner vivre en zone contaminée. Signalons aussi que les jeunes cadres achevant leur formation, médecins ou enseignants, sont mutés d’office dans les territoires contaminés.

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Superphénix devient Phénix

Editorial de l’ACRonique du nucléaire n°40, mars 1998

Superphénix a été arrêté le 24 décembre 1996 pour être transformé en ” laboratoire de recherche pour étudier la transmutation des déchets nucléaires ” bien que le rapport Castaing (96) estimait qu’il n’y avait pas beaucoup à attendre de sa transformation en ” incinérateur “. Le combustible devait être changé et un nouveau cœur est prêt. Il s’agissait d’une décision importante car tout espoir de production d’énergie à partir du plutonium était abandonné ; mais pour les associations locales, cette fonction de recherche pour Superphénix n’était pas prévue par l’enquête publique qui avait eu lieu quelques années auparavant. Elles saisissent donc le Conseil d’Etat qui, le 28 février 1997, annule le décret du 11 juillet 1994 permettant son redémarrage. Doit-on refaire l’enquête ? Cette question va déchirer l’ancienne majorité et le changement de gouvernement permet une réponse claire le 19 juin 1997, Superphénix ne redémarrera pas. Il s’agit d’une décision courageuse mais très fragile, même si elle est confirmée par un comité inter-ministériel le 2 février 1998. Faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). La mise hors service du réacteur est très compliquée et n’a jamais été prévue, il y en a pour plusieurs années.  Pourtant faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). Pour que cet arrêt soit irrévocable, même à la suite d’un changement de gouvernement, il faudrait détruire immédiatement le cœur de remplacement, comme le suggère le GSIEN.

L’abandon de Superphénix ne plaît pas à tout le monde. Nous comprenons les sentiments des employés directs et indirects de la centrale. Car même si le démantèlement doit générer plus d’emplois, ce n’est pas pour tout de suite. Mais à entendre certains commentateurs, c’est comme si c’était la fin de l’énergie nucléaire en France, alors qu’au fond, EDF doit être bien contente d’en finir avec Superphénix qui ne lui apportait que des ennuis et une mauvaise image. Le remplacement par Phénix permet d’étudier la transmutation afin de faire croire à une solution alternative au stockage des déchets et rend les laboratoires souterrains plus acceptables pour la population. Alors pourquoi tant de pleurs ? La décision très proche de renouveler le parc électronucléaire français et de continuer ou non le retraitement n’a pas encore été prise. Le démantèlement risque de nuire à l’image de ce type d’énergie. Pour Brennilis, la partie la plus difficile des opérations – qui a entraîné des pollutions – s’est passée sans regard extérieur, et les parties moins radioactives sont maintenant démantelée à grand renfort de publicité. Pour Superphénix, cela risque de se passer autrement.

Le réacteur, utilisé comme producteur de courant ou consommateur de plutonium servait aussi l’alibi au retraitement du combustible irradié. Les contrats étrangers de l’usine de la Hague se terminent en 2000. Vont-ils être renouvelé ? Le dernier transport de combustible irradié en provenance du Japon vient d’avoir lieu. Si le retraitement du combustible étranger s’arrête, jusqu’à quand va-t-on continuer à retraiter le combustible français ? Ces questions, ne sont malheureusement pas apparues durant le débat car les enjeux sont beaucoup plus importants.

Lors du comité inter-ministériel du 2 février 1998, il a été aussi décidé de créer une instance de contrôle indépendante. Enfin ! Sa composition, type de fonctionnement… ne seront connus que durant l’été 1998. Nous espérons qu’il sera tenu compte des laboratoires indépendants comme l’ACRO dans le nouveau paysage nucléaire français.

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