Des armes radioactives au Kosovo

Tiré de l’ACROnique du nucléaire n°46, septembre 1999


Utilisées pour la première fois en Irak lors de la guerre du Golfe, des munitions à l’uranium appauvri ont été tirées au Kosovo, alors que les effets à long terme sont encore mal connus. Comble de l’ironie, pour une guerre dont le but affiché est de permettre aux populations albanophones de pouvoir rentrer chez elles sans danger…


L’uranium, le métal le plus lourd que l’on trouve dans la nature est un matériau très dur qui permet aux projectiles d’être plus pénétrants. L’uranium appauvri (UA), qui est un résidu de l’enrichissement de lâuranium destiné à la fabrication de combustible pour les réacteurs nucléaires, est très bon marché et abondant. Il est donc utilisé pour fabriquer des obus destinés à percer les blindés. Ses propriétés pyrophoriques font qu’il n’explose pas, mais se fragmente et s’enflamme après son passage à travers le blindage sous l’effet de l’énorme température atteinte lors de l’impact. Cela peut entraîner une dispersion sous forme de particules qui peuvent être inhalées, l’uranium appauvri étant à la fois un toxique chimique et radioactif. Il est aussi utilisé comme blindage.

L’uranium naturel ne contient que 0,71% d’uranium 235 (235U) qui est fissible, le reste étant constitué essentiellement d’uranium 238 (238U). La fabrication d’une tonne de combustible nucléaire enrichi à 3,6% d’235U, produit environ 7 fois plus de déchets contenant environ 0,3% d’235U, appelé uranium appauvri. Ces pourcentages permettent de différencier l’uranium appauvri de l’uranium naturel en cas de contamination. Rien qu’aux Etats-Unis, plus de 560 000 tonnes d’uranium appauvri sont accumulées depuis 1993. En France, la Cogéma prévoit d’en stocker 199 900 tonnes sur le site de Bessines sur Gartempes près de Limoges, pour un coût total de 60 millions de francs sur 15 ans. Elle ne le considère pas comme déchet, mais comme “stock stratégique”. A l’origine, la Cogéma voulait en stocker 265 000 tonnes, mais elle avait sous-estimé l’activité de ces résidus en “oubliant” plusieurs radionucléides, dont l’uranium 236. En dépassant les 100 000 curies (3,7 10+15 Bq), le site devait être classé en Installation Nucléaire de Base, ce qui nécessitait une enquête publique, la Cogéma a donc revu à la baisse ses ambitions, sans expliquer la présence d’236U.

Les utilisations civiles sont très rares : comme contre-poids dans les premiers Boeing 747, par exemple. Le cargo israélien de la compagnie El Al qui était tombé en 1992 sur un quartier résidentiel d’Amsterdam, tuant 43 personnes, transportait près de 300 kg d’uranium appauvri. Plus de la moitié a été retrouvé, mais on ne sait pas si le reste a brûlé ou été retiré. Les pompiers, sauveteurs et riverains n’ont pas été prévenus des risques encourus. Les utilisations militaires, quant à elles, ont été connues du grand public après la guerre du Golfe, où les armes à l’uranium appauvri ont été utilisées pour la première fois sur le champ de bataille (Note : Voir par exemple, le Monde Diplomatique dâavril 1995). A noter, qu’un tiers des chars utilisés par les Etats-Unis avaient un blindage à l’uranium appauvri.

Entre deux conflits, ces munitions sont aussi testées, ce qui ne va pas toujours sans poser de problèmes. Ainsi le Japon avait-il protesté contre leur utilisation “accidentelle” par les Etats-Unis sur l’île de Torishima, près d’Okinawa en décembre 1995 et janvier 1996. Plus récemment, la Navy a reconnu avoir tiré “par erreur” 267 obus à l’UA sur l’île de Vieques (Porto-Rico), le 19 février 1999, dont seulement 57 ont été retrouvés, ce qui n’est pas sans inquiéter les 9 300 habitants de l’île (Note : AP et Reuters, 2 juin 1999).

Lors de la guerre du Golfe, environ 300 tonnes d’uranium appauvri ont été larguées sur l’Irak. Aucun des militaires qui a servi dans cette guerre n’avait entendu parler d’uranium appauvri et ne connaissait donc pas les risques encourus, ni les mesures de précaution. Un seul soldat britannique a subi des tests, il avait un taux de radioactivité dans ses urines 100 fois supérieur à la normale et 14 soldats américains sur les 24 testés avaient des urines radioactives. Depuis la guerre du Golfe, trois fois plus d’enfants naissent avec des déformations congénitales, selon les autorités irakiennes. Une enquête menée par le Guardian (Guardian Weekly, 10 janvier 1999) tend à confirmer une augmentation flagrante du nombre de victimes, surtout dans le sud du pays. Dans certains villages, tous les enfants sont nés aveugles. Des anciens combattants britanniques et américains ont aussi un nombre d’enfants malformés élevé, ce qui a conduit le ministère de la défense britannique à commander une étude indépendante sur le sujet dont les résultats sont attendus pour cette année.

La désintégration de l’238U donne un alpha plus du thorium 234Th, avec une période de 4,5 milliards dâannées ; suivent assez rapidement deux désintégrations bêta pour obtenir de l’uranium 234U lequel émet un autre alpha avec une durée de vie très longue. En cas de contamination interne, le risque est donc très grand. Sous forme d’aérosol, l’uranium est insoluble dans l’eau et peut donc être emporté sur des kilomètres par le vent. Les particules inférieures à 2,5 microns peuvent rester piégées dans les poumons pendant des années et passer lentement dans le sang (sous forme d’oxyde, la période biologique dans les poumons est de l’ordre d’une année et est deux fois plus longue sous forme céramique). En toussant, les particules les plus grosses peuvent être éjectées des poumons et avalées. L’uranium peut se concentrer dans certains organes comme les os, le foie, les reins ou se retrouver dans les urines jusqu’à 7-8 ans après la contamination.

A ces risques radiologiques, il faut ajouter les risques chimiques liés au métaux lourds qui concernent surtout le système rénal dans ce cas. Or tous les descendants de l’uranium sont des métaux lourds, sauf le radon qui est un gaz. Si on se limite aux effets radiologiques, la limite annuelle d’incorporation basée sur les nouvelles normes de la CIPR pour le public (1 mSv/an) est de 1,2 mg pour l’uranium 238 et correspond à environ 2,5 fois plus que la quantité d’uranium naturel ingérée.

L’OTAN a reconnu avoir utilisé des munitions à l’uranium appauvri en Serbie à partir de la deuxième semaine de mai, mais il est impossible de savoir combien. Selon un porte-parole de l’OTAN, elles nâont pas été “beaucoup utilisées” ; il a ajouté qu’ “il n’avait jamais été prouvé que l’uranium appauvri était une menace pour la santé. Ce n’est pas plus dangereux que du mercure” (cité par le New Scientist du 5 juin 1999). Lors de la conférence de presse du 14 juin 1999, et disponible alors sur le site Internet de l’organisation, il a été demandé si l’OTAN avait l’intention de procéder à un nettoyage, étant donné les risques de cancers qui semblent être apparus en Irak. Le Major Général Jertz a répondu : “Tout d’abord nous n’avons pas utilisé d’uranium appauvri ces dernières semaines car les munitions à l’uranium sont seulement utilisées contre des cibles où elles peuvent avoir un effet spécial et c’est pourquoi leur utilisation est rare. Vous trouvez de l’uranium appauvri dans toute chose naturelle, comme les pierres, le sol, partout, il ne faut donc pas exagérer ce que vous dites. A propos des plans, comme pour les plans, nous avons des plans bien-sûr pour aider ces gens à retourner en toute sécurité chez eux, mais je ne vais pas détailler ces plans.”


En dehors des références citées, cet article est essentiellement basé sur le rapport de la Fondation Laka à Amsterdam, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.antenna.nl/wise/uranium/dhap99.html

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