ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000
C’est une lettre anonyme envoyée à l’ACRO et au CRILAN qui nous a mis la puce à l’oreille : Pierre Boiron, ingénieur du nucléaire à la retraite, nommé président de la commission d’enquête qui a débuté le 2 février à La Hague, a été directeur chez Framatome, maintenant filiale de la Cogéma, et a été embauché par l’ANDRA en 1995 comme assistant technique pendant l’enquête publique sur la fermeture du centre de stockage Manche (CSM). Sa nomination est donc en violation de la loi Bouchardeau du 12 juillet 1983, décret du 23 avril 1985, qui interdit que des personnes ayant été rétribuées par l’entreprise concernée puissent être commissaires enquêteurs dans un délai de 5 ans. En effet, il est maintenant commissaire pour des enquêtes publiques sollicitées par Cogéma concernant la modification du fonctionnement de ses usines et par l’ANDRA concernant l’entrée en phase du surveillance du CSM et une demande d’autorisation de rejets dans l’environnement.
Le CRILAN a déposé une demande de “recours gracieux” au Tribunal Administratif (TA) le 24 janvier qui a reçu une fin de non recevoir : “En réalité, la rémunération versée par l’ANDRA à Monsieur Pierre Boiron en 1995 s’avère correspondre à une prestation temporaire accomplie par ce dernier en qualité de personne qualifiée, d’expert, à la demande du Président de la Commission d’enquête, à destination de celle-ci, prise en charge directement par le maître d’ouvrage […] cet élément ne concerne que les deux enquêtes sollicitées par l’ANDRA et de ce fait, il ne peut être fait droit à la demande du CRILAN”. L’association a donc “déposé une demande, en référé, de sursis à exécution des arrêtés du Préfet de la Manche concernant les enquêtes publiques” le 31 janvier.
Pour que l’argumentation du TA soit valable, il faut qu’il y ait eu, prise par “le Président du Tribunal Administratif ou le magistrat qu’il délègue” une ordonnance désignant Pierre Boiron comme expert chargé d’assister la commission d’enquête (art. 2 de la loi 83-360 du 12 juillet 1983, dite loi Bouchardeau qui précise “Le coût de cette expertise est à la charge du maître d’ouvrage”). Ce qui n’a pas été fait. De plus, dans l’annexe 4 du rapport de la Commission d’enquête publique de 1995 concernant la modification du CSM qui regroupe les compte-rendus de réunions, le nom de Pierre Boiron apparaît clairement du côté de l’ANDRA et non des enquêteurs.
Monsieur Boiron n’est pas un novice en matière d’enquête publique et sa carrière semble liée à celle de Monsieur Pronost, bien connu des lecteurs de l’ACROnique (cf n°36, 37 et 39, 1997) :
- Lors de l’enquête publique de 1993 concernant Superphénix, la commission d’enquête, présidée par Monsieur Pronost, s’est adjointe Monsieur Pierre Boiron, ingénieur à la retraite, comme soutien technique, sans qu’il soit nommé par le Préfet. (cf La Gazette nucléaire n°129/130, déc. 1993).
- Lors de l’enquête publique de 1995 concernant le CSM, dont il est question plus haut, l’ANDRA embauche Monsieur Boiron comme assistant technique pour servir d’interlocuteur à la commission d’enquête présidée par Monsieur Pronost.
- Lors de l’enquête publique de 1997 concernant l’installation d’un laboratoire souterrain pour préparer l’enfouissement des déchets radioactifs, la commission d’enquête est présidée par Monsieur Pronost ; Monsieur Boiron, commissaire, est président par interim en cas de vacance.
L’enjeu de la décision finale à La Hague concerne aussi le laboratoire souterrain à Bure dont l’enquête peut aussi être rendue caduque pour les mêmes raisons. En effet, un nouveau grief a été introduit dans le recours déposé par le CDR55 auprès du Tribunal Administratif de Nancy.
CRILAN : Comité de Réflexion, d’Information et de Lutte Anti-nucléaire, 10 route d’Etang-Val, 50340 Les Pieux
CDR55 : Collectif contre les Déchets Radioactifs, 33 rue du Port 55000 Bar-Le-Duc (http://altern.org/bure)