Avis de l’ACRO et du GSIEN sur le rapport annuel de surveillance de l’environnement, année 2005, présenté par Cogéma la Hague

Repris dans l’ACROnique du nucléaire n°76, mars 2007


Dans le procédé de fonctionnement actuel des usines de retraitement de Cogéma la Hague, quatre radionucléides sont rejetés quasi intégralement, soit sous forme liquide, soit sous forme gazeuse : le tritium, le carbone 14, le krypton 85 et l’iode 129.
Pour trois de ces radionucléides le C-14, le krypton 85 et l’iode 129, des procédés de réduction substantielle des rejets par piégeage sélectif et stockage dans une matrice solide sont disponibles et sont développés industriellement :

–    C-14, rétention totale des rejets liquides et gazeux à l’usine THORP de Sellafield [1] (Grande Bretagne)
–    Kr-85, séparation cryogénique, usines pilotes de Tokay Mura (Japon) et Idaho Falls  (Etats-Unis)
–    I-129, Piégeage, sélection et confinement en matrice solide, procédé développé par le CEA et mis en œuvre par … Cogéma au Japon pour l’usine de retraitement de Rokashomura [2]

L’article 42 de l’arrêté du 10 janvier 2003 autorisant la Cogéma à pratiquer des rejets d’effluents liquides et gazeux stipulait que l’exploitant devait adresser aux ministres de l’industrie, de l’environnement et de la santé, trois ans après la publication du texte (11 janvier 2003), une étude sur la faisabilité de réduction des rejets radioactifs liquides sans augmenter les rejets radioactifs gazeux, et une étude portant sur les dispositions techniques permettant de réduire les rejets gazeux de carbone 14 et d’iodes radioactifs.
Ces études, dont nous ignorons la teneur à ce jour malgré notre demande au représentant de l’autorité de sûreté nucléaire en CSPI du 22 juin 2006, iraient dans le sens des engagements internationaux pris par la France lors de sa signature de la convention OSPAR et dans sa participation à la déclaration de Sintra dont l’objectif est de :
Prévenir la pollution de la zone maritime par les rayonnements ionisants, ceci par des réductions progressives et substantielles des rejets, émissions et pertes de substances radioactives, l’objectif ultime étant d’atteindre des concentrations dans l’environnement qui soient proches des valeurs de fond, pour les substances naturellement radioactives, et proches de zéro , s’il s’agit de substances radioactives artificielles.
Le calendrier de cette stratégie est que d’ici 2020 :
… les rejets, émissions et pertes de substances radioactives soient ramenés à des niveaux où l’excédent des teneurs, par rapport aux teneurs historiques dans le milieu marin, tels que résultant de tels rejets, les émissions et pertes soient proches de zéro.
Cette stratégie sera mise en œuvre :
… même s’il n’existe pas de preuve concluante d’un rapport de cause à effet entre les apports et les effets.

La latitude laissée jusqu’à présent à l’exploitant de rejeter intégralement le tritium, le carbone 14, le krypton 85 et l’iode 129 sans mise en œuvre de procédé de rétention et de stockage en matrice solide, bien que des procédés industriels existent pour trois de ces radionucléides, et l’absence d’informations sur d’éventuelles études sur les réductions de ces rejets au motif  de « secret industriel » , sont en contradiction avec l’arrêté de 2003.

De plus, ce manque de transparence tant sur la réduction des rejets (Tritium, carbone 14 et iode 129) que sur le point des procédés de rétention qu’aurait dû étudier AREVA NC, augure mal du respect  de nos engagements internationaux, à un mois du renouvellement pour quatre ans des autorisations de rejets de Cogéma la Hague.

[1] Options de rejet des effluents des installations nucléaires, Contexte technique et aspects réglementaires, Agence pour l’Energie Nucléaire Organisation de Coopération et de Développement Economique (AEN OCDE) 2003
[2] CPDP déchets, Débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue, Comptes-rendus des débats, 2006

Ancien lien

L’ACRO: Vingt ans de combat pour une expertise citoyenne

Par Sezin Topçu, Doctorante en histoire des sciences à l’E.H.E.S.S. ACROnique du nucléaire n°75, décembre 2006.

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La montée d’un mouvement citoyen face à un « mensonge radioactif »

Les catastrophes frappent d’un seul coup, sans prévenir. L’accident de Tchernobyl, la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire, ne devait pas faire exception à la règle le jour du 26 avril 1986. En France, à la suite de la catastrophe, les autorités chargées de sa gestion réagirent sous l’effet d’une première impulsion : « surtout ne pas inquiéter le public ». Ainsi, les Français n’ont eu longtemps droit qu’à une « information » vague, tardive, et trop « rassurante ». L’information relative aux retombées de la catastrophe en France étant déléguée à un seul organisme, le SCPRI [1], voire à un seul expert, M. Pierre Pellerin, alors directeur de ce service, le centralisme étatique trouvait en 1986 sa meilleure illustration dans la gestion des retombées de l’accident ukranien.

Rappelons que les savoirs et les pouvoirs de décision sur le nucléaire appartiennent, jusqu’au début des années 70, à un nombre réduit d’experts étatiques, issus des Grands Corps et appartenant majoritairement à EDF et au CEA. Compte tenu du centralisme étatique dans ce domaine, il n’est alors pas question d’un quelconque  recours à  une contre-expertise préalable à la prise de décisions. Dans les chambres ministérielles, la conviction commune est que « la France est un trop petit pays pour disposer de plusieurs groupes d’experts. Dans le domaine nucléaire, la compétence se trouve à l’EDF et au CEA et ne se trouve que là » [2], comme le clame au milieu des années 70 l’un des membres de la Commission Consultative pour la Production d’Électricité d’Origine Nucléaire. Une décennie plus tard, un rapport parlementaire sur l’accident de Tchernobyl fait toujours le même constat : « Dans notre pays, l’organisation centralisée du secteur de l’énergie nucléaire fait qu’il est pratiquement impossible de trouver un expert qui ne travaille pas ou qui n’ait pas travaillé pour l’EDF ou pour le CEA [3]. »

En mai 1986, le centralisme du domaine nucléaire semble s’attacher à un « principe de précaution » original au sens où la précaution vise essentiellement à maîtriser la peur et l’inquiétude des populations. C’est cette « peur de la peur du nucléaire », telle qu’elle est formulée par le philosophe J.P. Dupuy [4], qui donne lieu à la montée de la méfiance et de la colère de ceux qu’on soupçonnait d’être envahis par une peur « émotionnelle » et « irrationnelle ».

Effrayés par l’incohérence de l’information officielle, voire par un « mensonge » d’Etat, comme le titrait à l’époque le journal Libération, de nombreux citoyens décident ainsi de prendre l’affaire nucléaire en main. C’est dans ce contexte que l’ACRO voit le jour dans la région normande, région la plus nucléarisée de la France, tout comme la CRIIRAD, créée au sud-est, dans une des régions les plus touchées par l’accident de Tchernobyl.

À l’origine de la mobilisation de l’ACRO se trouvent notamment Pierre Barbey, biologiste à l’Université de Caen, Léon Lemonnier, alors agent de radioprotection au GANIL, et Didier Anger, président du CRILAN (Comité de Réflexion, d’Information et de Lutte Antinucléaires).

Agent de radioprotection à l’usine de la Hague du CEA jusqu’à la fin des années 1970,  Léon Lemonnier entre à l’usine de retraitement de La Hague en 1966 en tant qu’ouvrier. Quelques années plus tard, il devient l’agent chargé de la décontamination. Il découvre en même temps l’activité syndicale au sein de la CFDT. Ainsi, très politisé pendant les évènements de Mai 68, son activité syndicale et son activité de décontaminateur le sensibilisent aux problèmes d’irradiation liés au nucléaire. Les tabous propres au fonctionnement de l’usine dans les années 1970 qu’il définit comme « l’impossibilité même de critiquer la force de frappe » enrichit cette sensibilité. Au milieu des années 70, Léon Lemonnier apporte son témoignage pour le film « Condamnés à réussir » dénonçant les conditions de travail à la Hague. On se souvient encore de lui exprimant en début de film, d’un ton sombre, un ras-le-bol:  « On n’a pas de pouvoir sur notre vie (…) moi, je voulais être agriculteur et je travaille ici. Qui a décidé pour moi ? ». En 1976, à cause de son opposition à la privatisation de l’usine de la Hague, M. Lemonnier sera muté dans un atelier de fabrication des sources de césium pour la médecine, l’atelier ELAN-IIB du CEA qui, du fait de l’arrêt de ses activités en 1973 est alors pratiquement désert, n’ayant aucun personnel, et offrant des conditions techniques et sanitaires insuffisantes. Trois ans après, M. Lemonnier sera de nouveau muté, cette fois-ci au GANIL où il travaille encore en 1986 en tant que radioprotectionniste.

Quant à Pierre Barbey, militant antinucléaire des années 1970, il commence à s’opposer au nucléaire à la suite d’un évènement très précis : dans le cadre de son cursus universitaire au milieu des années 70, un groupe d’étudiants de l’Université de Caen est chargé de faire une étude de terrain sur le massif géologique de Flamanville. Or, à un  moment où l’implantation d’une centrale nucléaire à Flamanville fait l’actualité, les CRS empêchent les étudiants de faire ces recherches de terrain. L’intervention des forces de police marque profondément M. Barbey. Pendant ses années d’étudiant, M. Barbey anime ainsi le Comité Caen du CRILAN. Il fait partie de nombreuses manifestations antinucléaires à Flamanville, à Plogoff ou à la Hague. M. Barbey avait auparavant découvert la lutte antimilitariste au sein même de l’armée. Il sera parmi les premiers signataires de « l’Appel des cents » qui, en 1974, exigeait l’instauration de droits démocratiques dans les casernes. La prison en sera la sanction. Ainsi, la « force de frappe » sera à l’origine non seulement de l’engagement antinucléaire de M. Barbey mais également, pour partie, de son engagement politique.

Au moment où survient l’accident de Tchernobyl, face à l’absence de mesures officielles, Léon Lemonnier installe officieusement dans le jardin de GANIL une balise qui se trouve à sa disposition. Aidé par un technicien du laboratoire de spectrométrie du GANIL, il analyse la radioactivité de quelques produits, notamment le lait, et constate  une hausse de contamination d’environ 70 Bq par kg de lait, une valeur considérable par rapport au niveau normal, même si elle reste au dessous de la norme alors fixée par la Commission Européenne (500 Bq/kg). Afin de signaler cette hausse de contamination, Léon Lemonnier contacte le 9 mai le préfet du Calvados, qui restera silencieux face à cette alerte. Le lendemain, Pierre Pellerin annonce à la télévision ses mesures et indique, contrairement à la semaine précédente, des hausses de contamination de radioactivité dans quelques régions : des niveaux de contamination du lait compris entre 30 et 90 Bq/kg à l’Ouest et variant de 170 à 360 Bq/kg à l’Est et au Sud-Est. Agacé par l’incohérence des informations officielles, Léon Lemonnier décide d’agir et contacte ainsi d’autres personnes déjà sensibilisées aux problèmes du nucléaire.

À l’époque, Léon Lemonnier et Pierre Barbey se connaissent déjà. Non seulement parce que les campus de l’Université de Caen et du laboratoire de GANIL sont quasiment voisins, mais aussi parce qu’ils se rencontraient à l’occasion des luttes antinucléaires dans la région au cours des années 1970. En outre, ils se connaissent également grâce au GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire). Si M. Barbey est membre du GSIEN  depuis les années 1980, M. Lemonnier participe, à la même époque, à la rédaction de la  Gazette Nucléaire, organe d’information du GSIEN. Pierre Barbey et Léon Lemonnier alertent rapidement d’autres amis et collègues dont le Professeur Maboux-Stromberg (professeur de physique nucléaire à l’Université de Caen), Madeleine Frérot (professeur retraitée de l’Education Nationale), Jean-Luc Veret et Catherine Bruneau (médecins), Stéphane Cornac (conseiller dans une mutuelle de soins et santé), Pierre Laisné et son père (tous deux commerçants). Parmi ce groupe, une partie des personnes découvre le militantisme pour la première fois en 1986 alors que d’autres l’ont déjà expérimenté au sein des groupes tels que le Mouvement contre l’Armement Atomique, le CRILAN, le Groupe Information  Santé, ou au sein des partis politiques notamment le PS et les Verts.

Une fois le groupe élargi, les premières mesures sur le lait et la terre seront suivies par d’autres. Après M. Lemonnier, M. Maboux-Stromberg met à disposition le matériel de son laboratoire. Ainsi, outre des produits laitiers, des analyses sur les oiseaux sont réalisées, en particulier sur les bécasses. L’idée vient d’un employé du GANIL, chasseur de bécasses et inquiet de leur  éventuelle contamination. On analyse également les lièvres dont le pelage révèle une contamination élevée. Précisons qu’il s’agit, avec ces premières mesures, d’une simple détection de contamination et non d’une analyse experte. Personne ne possède encore les compétences suffisantes pour analyser dans quelle mesure, par exemple, la viande de ces animaux est contaminée et quels effets cela peut induire sur la santé humaine.

Afin de présenter ces diverses mesures, une première réunion publique est tenue à Caen la deuxième semaine du mois de mai. Environ cinq cents personnes y participent, soit cinq fois le nombre attendu. Ce grand intérêt venant d’un public caennais très hétérogène marque les organisateurs et les encourage à continuer. Ne pensait-on pas que la question du nucléaire était tabou dans cette région ? Mais voilà que les choses changent : des personnes d’opinions diverses vis-à-vis du nucléaire, des militants antinucléaires  mais aussi des pro-nucléaires réclamant le nucléaire propre, des extrême-gauchistes, des écologistes, ou des « simples citoyens » alertés par l’attitude officielle s’avèrent déterminés à demander des comptes sur les « vraies » retombées de la catastrophe en France. Les associations environnementales et écologistes actives localement comme le GRAPE (Groupe régional d’action pour la protection de l’environnement) ou le CRILAN expriment leur solidarité avec la mobilisation. La méfiance vis-à-vis des autorités ne cesse de croître. Ainsi, sur la proposition de Didier Anger, un nom est rapidement désigné pour la mobilisation : Comité Tchernobyl-Flamanville.

Parce que la catastrophe de Tchernobyl a montré, très peu de temps après la mise en fonctionnement (1986) de la centrale de Flamanville, qu’une catastrophe majeure est possible partout, le Comité Tchernobyl-Flamanville vise à reprendre le combat à Flamanville en tirant la sonnette d’alarme avec le slogan suivant: « Aujourd’hui à Tchernobyl, demain à Flamanville (si nous ne réagissons pas) ». D’ailleurs, quelques habitants, regrettant d’avoir vendu leur terre à EDF, rejoignent rapidement le Comité.

De nombreux débats publics et des conférences sont organisés par le Comité Tchernobyl-Flamanville dans les villes et les villages de Normandie (Cherbourg, Lisieux, Caen, Vire, Rouen, Alençon et Sannerville) en mai et juin 1986. On débat alors aussi bien des impacts probables de la catastrophe ukranienne dans l’Hexagone que des problèmes relevant de la gouvernance du nucléaire en France. Comment réagir et se faire entendre pour influer sur la gestion du nucléaire et sur les mécanismes de prises de décisions dans ce domaine? Outre les réunions « bondées » à Caen, environ 300 personnes à Rouen et 350 personnes à Cherbourg suivent les débats. Même à Sannerville qui ne compte pas plus d’un millier d’habitants, plus de cent personnes y participent. La forte demande des populations dans la région persuade les membres du Comité Tchernobyl-Flamanville de la nécessité de créer une structure indépendante d’information sur les vraies retombées de l’accident en France et sur les risques liés au nucléaire. L’Association pour le Contrôle de la Radioactivité à l’Ouest (ACRO) naît de cette ambition en juin 1986.

Création d’un laboratoire associatif: de l’utopie à la réalité

L’existence dans le paysage nucléaire français du laboratoire de l’ACRO peut aujourd’hui paraître comme allant de soi mais ce serait oublier que la montée d’un laboratoire associatif, la construction d’une véritable entreprise de démocratisation de l’expertise dans le pays le plus nucléarisé au monde, n’est ni un jeu de hasard ni un acte banal. L’histoire de l’ACRO face aux puissances institutionnelles, tel David contre Goliath, montre en effet à quel point on a affaire ici à un défi citoyen de la plus haute envergure. L’ACRO, tout comme la CRIIRAD, relève bel et bien d’une exception française.

C’est la raison pour laquelle la décision de  la création du laboratoire de l’ACRO en 1986 n’est pas simple. Elle nécessite une réflexion profonde sur les apports et les risques d’une telle stratégie, en termes matériels, bien sûr, mais aussi en termes de conception d’une forme nouvelle de militantisme à inventer. Comment marier action politique et critique de la science  tout en apportant une légitimité et une durabilité à l’action collective? Comment assurer que celle-ci puisse déboucher sur la constitution d’un réel contre-pouvoir face au nucléaire? Pendant les réunions publiques, les membres du Comité Tchernobyl-Flamanville discutent intensément sur cette question et les moyens à mobiliser pour répondre à la demande d’information du public. Ainsi émergent les premiers désaccords. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de faire des mesures afin de dégager les vraies retombées de l’accident dans la région,  la polémique s’engage sur la façon d’obtenir ces mesures.

En 1986, au sein du Comité, Léon Lemonnier défend, dès le début, la nécessité d’un laboratoire autonome, en dehors de toute instance institutionnelle et universitaire. En tant que décontaminateur à l’usine de la Hague dans les années 1970, Léon Lemonnier aura connu mieux que tout le monde les effets de la radioactivité, même à faible dose, sur  la santé humaine, notamment sur celle des travailleurs du nucléaire. À partir d’une enquête personnelle qu’il a menée en 1982 à l’intérieur de l’usine de la Hague, il s’est déjà rendu compte que la plupart des travailleurs qu’il a connus à l’usine pendant la dizaine d’années précédente souffraient de maladies graves. En 1986, la position de Léon Lemonnier est aussi celle d’une éventuelle victime. Précisons que le radio-protectionniste contractera un cancer quelques années après l’accident de Tchernobyl, cancer qu’il parviendra à faire reconnaître comme une maladie professionnelle à la suite d’une bataille juridique laborieuse. Ainsi, en 1986, l’idée d’un laboratoire indépendant lui paraît primordiale en ce qu’il permettrait d’agir contre les effets sanitaires des faibles doses dont nul ne sait prévoir les conséquences graves à long terme.

Le Professeur Maboux-Stromberg n’est pas partisan de l’idée d’un laboratoire associatif à l’époque. En tant que physicien nucléaire, il préconise l’utilisation  des appareils de son laboratoire. En effet, la critique du physicien porte précisément sur la gestion officielle de la catastrophe en 1986 et non tellement sur le nucléaire proprement dit. Peu de temps après, il déclare d’ailleurs qu’il est plutôt favorable à l’énergie nucléaire « bien maîtrisée », même aux surgénérateurs, ce qui provoque rapidement son départ de l’ACRO.

Au début, Pierre Barbey n’est pas non plus très favorable à l’idée d’un laboratoire, surtout parce que la gestion d’une telle structure par des bénévoles lui paraît très difficile.  « J’avais du mal à l’imaginer », confiera-t-il plus tard. Quant aux autres membres du Comité, notamment  Madeleine Frérot, enseignante, et Catherine Bruneau, médecin, ils soutiennent l’idée d’un laboratoire indépendant. En tant que mères, les femmes sont plus inquiètes vis-à-vis des retombées sanitaires de l’accident et s’avèrent plus déterminées à construire une information sur les dangers réellement encourus. C’est là une divergence qui relève de la dimension socio-culturelle des savoirs liés à l’évaluation des incertitudes et des risques [5].

La polarisation « pour ou contre » un laboratoire indépendant se poursuit plutôt entre MM. Lemonnier et Maboux-Stromberg. Léon Lemonnier s’oppose à utiliser le laboratoire de M. Maboux-Stromberg car il juge que les appareils dans son laboratoire ne sont pas suffisants en l’état et qu’il faut d’abord les rassembler et les tester, ce qui exige un technicien. Si de tels efforts doivent être déployés, pourquoi ne pas se doter directement de son propre matériel? Après presque un mois de polémique, tous les membres du Comité en seront convaincus. En effet, connaissant des techniciens de la firme Camberra (firme qui fabrique de tels appareils) avec laquelle il a eu affaire dans le cadre de son travail, Léon Lemonnier organise au GANIL une journée où il invite un technicien à faire une démonstration de la spectrométrie gamma qu’il faudrait acheter pour fonder le laboratoire. « Ce technicien était très doué pour vanter ce matériel, il a impressionné tout le monde », admettra-t-il plus tard. La décision de la fondation du laboratoire sera ainsi prise suite à cette démonstration du premier matériel nécessaire, coûtant 300 000 francs à l’époque.

Au départ, le laboratoire est un outil pour l’ACRO en vue d’acquérir une autonomie vis-à-vis des universités et des institutions et pour marquer une rupture en apportant une contre-expertise externe aux sphères institutionnelles. L’instrumentation technique doit aussi permettre aux militants de se poser au même niveau que les experts officiels. C’est dans cette perspective que, dès le début, l’association met en avant une identité scientifique en s’attachant à des discours d’ « apolitisme » et d’ « indépendance ». Le laboratoire devait aussi apporter à l’ACRO une durabilité financière à son action grâce à des analyses payantes. Ainsi la part de la vente d’analyses sur le budget total de l’association va de 14,7% en 1988 à 42,9 % en 1990. Mais le laboratoire signifie surtout pour l’ACRO la possibilité d’expérimenter une nouvelle forme de militantisme, celle qui consiste à « surveiller » et à « contrôler ».

Une première vague de mobilisations liées à la construction des contre-pouvoirs dans le domaine dit du nucléaire civil s’effectue au début des années 1970. À la montée des critiques intellectuelles (Ellul, Mumford, Illich, Foucault),  de la critique syndicale (notamment la CFDT) et des mouvements étudiants, s’ajoute la naissance du mouvement écologiste et conjointement celle du mouvement antinucléaire. On voit ainsi se créer divers groupes et journaux comme  Survivre et Vivre, les Amis de la Terre, le Sauvage, Charlie-Hebdo, la Gueule Ouverte, le collectif « Bugey-Cobaye » ou encore le Comité contre la Pollution Atomique à la Hague [6]. Deux milieux, scientifique et syndical, jouent au cours des années 1970 un rôle de porte-parole et de caution scientifique pour le mouvement antinucléaire en lui fournissant des informations et des arguments techniques. Les scientifiques issus du GSIEN, les chercheurs au sein de l’Institut d’Études Juridiques et Économiques à Grenoble ou les ingénieurs et les techniciens de la CFDT « affirment » alors, grâce à leur notoriété, l’existence d’une pollution « anormale », l’éventualité d’un accident, la « défaillance » d’une centrale ou le caractère « erroné » des scénarios officiels de consommation énergétique dans les décennies à venir.

En 1986, l’enjeu n’est plus « d’affirmer », mais d’apporter des preuves tangibles et de marquer le terrain par des actions concrètes afin de dépasser les arguments « faciles à combattre », de montrer le « sérieux » des critiques et de mobiliser le maximum de soutiens. Le temps de la pure contestation est révolu, le mouvement antinucléaire des années 70 s’est soldé, selon un bon nombre des militants, par un échec, les idéaux  écologistes et antinucléaires abstraits ne priment plus dans l’opinion publique et les enjeux de 1986 subissant la forte empreinte de Tchernobyl nécessitent de comprendre et d’aborder autrement les institutions liées au nucléaire. Ainsi dès le départ, l’ACRO s’oriente vers une professionnalisation accrue afin d’apporter des « preuves », de développer une identité légitime et crédible et d’influer sur la gestion officielle du risque nucléaire en y imposant un contrôle citoyen. Elle devient, au cours du temps, le « gendarme » de l’environnement dans la région de la Hague. En contestant les modèles de standardisation de la science officielle, elle rend surtout possible la conduite d’analyses dans des endroits précis, localisés et pas toujours pris en compte par les institutions. Elle met ainsi en oeuvre des savoirs nouveaux liés à la contamination radioactive.

L’ACRO devra cependant attendre presque un an pour obtenir le financement nécessaire à l’installation de son laboratoire. Ses militants commencent dès juin 1986 à faire du porte à porte dans diverses villes et villages de Normandie afin de collecter des adhésions. Un millier d’adhérents soutiennent alors son action et contribuent à l’achat de l’équipement, même si l’association sera obligée de souscrire un prêt bancaire important. Par la suite, il faudra attendre l’an 1993 pour l’acquisition d’un compteur béta, puis l’an 1997 pour l’achat d’une deuxième chaîne de spéctrométrie gamma pour le laboratoire. Par ailleurs, l’ACRO ne pourra louer son propre local qu’en octobre 1987. Jusque là, elle mène une vie nomade, d’abord dans un magasin appartenant à l’un des fondateurs, puis en divers endroits comme la Maison des Syndicats, une ferme en pleine campagne ou encore une salle de la municipalité d’Hérouville qui soutient l’action de l’association. Avec la location du premier local, une ancienne boucherie, le laboratoire indépendant caennais se constitue sur une trentaine de mètres carrés. Une toute petite pièce à l’entrée à gauche est allouée aux travaux de secrétariat ;le laboratoire s’établit dans une deuxième petite pièce à l’arrière, l’ancienne chambre froide. Onze années s’écouleront avant que l’ACRO occupe un local offrant de meilleures conditions.

Quant aux permanents, au bout de trois ans de sa création, l’association sera en mesure d’employer uniquement un salarié pour un tiers du temps standard. Pendant plusieurs années, elle fait appel aux employés contrat-emploi-solidarité ou aux objecteurs de conscience qui contribuent à l’association pour les travaux du secrétariat ou pour la maintenance du laboratoire. C’est d’ailleurs grâce au dispositif d’embauche des objecteurs de conscience que l’ACRO gagne un de ses militants, David Boilley, physicien au GANIL, conseiller scientifique et administrateur de l’association depuis les années 1990. Les bénévoles, scientifiques ou non, jouent en effet un rôle très important dans l’élaboration et la réussite de l’action de l’ACRO. La majorité des fondateurs de l’association suivra avec force leur action pendant de longues années, voire jusqu’à aujourd’hui. Le cercle de militants actifs de l’ACRO s’élargit avec la montée des antennes en Nord-Cotentin, en Haute-Normandie et en Touraine. L’ACRO parvient aussi à se doter rapidement d’un organe d’information, l’ACROnique du Nucléaire dont la publication est assurée depuis son lancement en 1988 par Sibylle Corblet-Aznar, actuellement présidente de l’association. L’ACRO ne sera en mesure d’intégrer des salariés à plein temps qu’à partir de la deuxième moitié des années 1990.

La première embauche à temps plein en 1996 représente pour l’ACRO un moment fort symbolique et émouvant car représentatif du militantisme solidaire de ses membres. Le recrutement de Gilbert Pigrée, chargé d’étude à l’heure actuelle, ne peut en effet voir le jour qu’à deux conditions. Primo, ce sont les adhérents qui se proposent de payer le salaire de M. Pigrée. Secundo, ce dernier accepte, malgré un salaire très modeste, de mettre ses compétences au service de l’ACRO, en s’inscrivant ainsi dans une nouvelle catégorie du travail, celle du « professionnel » bénévole ! C’est dans le même état d’esprit que Mylène Josset, physicienne nucléaire, rejoint le laboratoire de l’ACRO l’année suivante. Ce sont là des éléments de précarité auxquels se confronte le jeune laboratoire de l’ACRO dans son combat pour l’existence. Comment faire vivre un laboratoire indépendant avec des moyens très limités? Comment surtout se faire entendre et se rendre légitime face aux organismes d’expertise officielle qui bénéficient non seulement de gros budgets mais également d’une reconnaissance et d’une notoriété scientifique et publique? Comment briser ainsi le  monopole de parole et d’expertise dans le domaine nucléaire?

Expertise citoyenne de l’ACRO

Vingt ans après, le laboratoire de l’ACRO aurait bien pu disparaître : son existence était fragile parce que menacée. L’acquisition surtout d’une reconnaissance et d’une légitimité a nécessité la traversée de bien des déserts. L’association a aussi affronté plusieurs tentatives d’intimidation. Pour n’en donner que deux exemples, en 1996, l’ANDRA porte plainte contre l’ACRO pour avoir rendu public un document interne de l’organisme, document révélant la présence massive du plutonium sur le Centre de Stockage de la Manche. Autre cas d’intimidation : en 1998, l’IUT de Cherbourg censure les rencontres ACRO programmées à Octeville sur le thème « Nucléaire et Démocratie ». L’association a aussi vécu à plusieurs reprises des moments douloureux en termes financiers.

Après sa création, le laboratoire indépendant de l’ACRO devra attendre près de cinq ans pour faire valoir officiellement ses mesures. En 1991, l’ACRO révèle une élévation anormale des taux de césium dans les sédiments de la Sainte Hélène (une petite rivière qui prend sa source sur un plateau à côté du site de la Hague et du Centre de Stockage de la Manche). La Cogéma réfute d’abord cet argument et accuse l’association de « multiplier par dix ses mesures afin de faire sa propre publicité » [7]. Pour montrer le bien fondé de ses analyses, l’ACRO milite pour qu’une comparaison entre laboratoires s’effectue. Une confrontation des mesures de l’ACRO avec celles de deux laboratoires officiels, le Laboratoire Départemental d’Analyse de la Manche et le SPR-Cogéma, révèle la pertinence du travail de l’ACRO et apporte une reconnaissance officielle au laboratoire. Ironie du sort, le SCPRI, toujours dirigé pendant cette période par M. Pellerin, s’abstient, sans motif, de cette procédure comparative entre laboratoires.

Au début des années 90, l’ACRO commence aussi à se réjouir d’une reconnaissance publique de son action. Une enquête réalisée en 1990 par la Commission d’information de la Hague auprès des médecins et s’interrogeant sur les sources d’information jugées « intéressantes » ou « très intéressantes » montre que l’ACRO vient au premier rang (73,5 %) bien au delà des organismes officiels (SCPRI, 55 %, exploitants, 34,3 %, ministère de l’Industrie, 29,3%). L’ACRO parvient également à prendre part progressivement dans les commissions locales d’information (CSPI de la Hague dès 1987, CLI de Paluel-Penly dès 1991, Commission de surveillance du Centre de Stockage de la Manche depuis 1996…) ou les comités dits d’expertises pluralistes, encore réduits en nombre.

L’ACRO développe sa compétence au fil du temps, malgré l’absence de moyens financiers suffisants. Outre les subventions d’une trentaine de mairies et les adhésions,  le laboratoire finance son fonctionnement grâce à des analyses commandées par des collectivités locales, des groupes écologistes comme Greenpeace ou des particuliers. Ces prestations de services permettent surtout à l’association de diversifier ses champs de compétence. Si, au départ, le laboratoire de l’ACRO ne peut détecter que les radionucléides émetteurs gamma à moyenne et forte énergie, aujourd’hui il est équipé pour mesurer la teneur en tritium des eaux ou celle du strontium 90 dans le lait. Il peut repérer la concentration des émetteurs à basse énergie (américium 241, iode 129) ou celle du radon dans l’air. Mais le travail de l’ACRO dépasse la surveillance et la mesure routinières. Pour faire parler les chiffres, l’association dispose d’une connaissance accrue du terrain et des modes de vie de la région ce qui constitue  en effet le grand atout de son action. Ses membres se vantent par exemple de connaître par cœur chaque parcelle autour de l’usine de la Hague !

En effet, il ne s’agit pas tellement pour l’ACRO d’être le porte parole scientifique des citoyens mais plutôt de leur proposer un outil (un « laboratoire indépendant ») pour agir. Si la science officielle a très souvent tendance à ignorer l’apport des savoirs locaux [8], l’ACRO prend cette tendance à contre-pied. Convaincue que l’évaluation des problèmes liés au risque nucléaire nécessite la sensibilisation et la participation du plus grand nombre des citoyens, l’ACRO réalise son travail sur le terrain souvent en partenariat avec les populations locales [9]. A titre d’exemple, une trentaine de bénévoles organise et effectue autour de l’usine de la Hague les prélèvements à analyser en laboratoire. En effet, ceux qui participent à la surveillance d’un site comme celui de la Hague sont en général ceux qui y habitent et qui se sentent directement concernés par les problèmes dans la « presqu’île au nucléaire » [10]. C’est là la mise en pratique d’une « expertise citoyenne » qui va au delà d’une simple contre-expertise technique. Elle implique une réelle capacité et une volonté des citoyens de s’approprier des problèmes posés par les sciences afin de politiser les enjeux qui en relèvent, revendiquer leur maîtrise ou dénoncer éventuellement l’impossibilité d’une telle maîtrise.

L’action de l’ACRO, à côté de celle d’autres groupes de citoyens, a contribué à perturber la gestion officielle du nucléaire et à briser le monopole de l’expertise dans ce domaine. Avec la montée des alertes, des affaires et des controverses, les efforts de transparence se sont multipliées dans la sphère officielle même si l’information et la transparence sont parfois considérées comme de simples outils de communication. Certains organismes de contrôle et de prévention des risques sont également amenés à acquérir une relative indépendance vis-à-vis des exploitants. Dans la région de la Hague, les autorisations de rejets dans l’environnement sont aujourd’hui plus contraignantes grâce notamment aux suivis réguliers et au lobbying de l’ACRO. En 1993, dans le cadre d’une étude commandée par les Verts de Haute Normandie, l’ACRO a révélé une contamination anormale par du radium (allant jusqu’à 8500 fois  le taux normal) du site de l’ancienne usine Bayard de fabrication des aiguilles de réveil à Saint-Nicolas-d’Aliermont. C’est grâce à « l’affaire Saint-Nicolas-d’Aliermont » que les seuils de décontamination des anciens terrains ont été révisés.

Enfin, l’ACRO n’est pas uniquement un laboratoire de recherche et d’expertise sur la radioactivité. Elle est aussi un laboratoire d’expérimentation des formes nouvelles de « gouvernance » du nucléaire qui vont de l’information à la transparence, à l’expertise pluraliste et enfin à la participation du public.

Face à une crise de légitimité des institutions politico-industrielles, depuis les deux dernières décennies notamment, la façon dont les décideurs politiques, les managers industriels ou leurs experts en communication gèrent la critique sociale portée sur les choix scientifiques et techniques a subi des changements considérables dans la mesure où «le public anonyme, constitué d’individus à la psychologie primaire, a cédé la place à des groupes différenciés, capables de prendre la parole en dehors des enquêtes d’opinion et de développer des argumentaires construits » [11]. La stratégie de communication des risques exclusivement focalisée sur la perception du risque par le public a cédé la place, aussi  bien en France qu’en Europe, à une démarche qui met en avant la nécessité du «dialogue »  et de la «participation du public ». En témoignent les nouvelles réglementations relatives à l’information et la participation du public, la création en France d’une commission nationale du débat public (loi Barnier de 1995), l’adoption en juin 1998 de la convention d’Aarhus par la CEE ainsi que la multiplication des auditions publiques, des jurys de citoyens ou des conférences de consensus.

Bien que les tentatives restent relativement timides par rapport aux autres domaines (génie génétique, transports, urbanisme..), le domaine nucléaire n’est pas épargnée par la tendance préconisant la participation. On parle ainsi de la nécessité d’une «gouvernance inclusive »  et d’une « culture  partagée de gouvernance du risque » , concepts qui renvoient directement aux constats du sociologue Ulrich Beck : il ne s’agit plus seulement d’un partage du bien mais aussi d’un partage (de la gestion) du mal, et conjointement, celui des responsabilités [12]. Ce sont là de nouveaux modes de gestion des risques, de nouveaux langages de «bonne gouvernance» qui se donnent pour mission de renforcer le pouvoir donné aux individus et aux parties prenantes. Ainsi des «débats publics» ont récemment été organisés (2005-2006) sur l’EPR, sur les déchets nucléaires et sur l’ITER [13].

Si les institutions et les acteurs qui pilotent ces nouvelles démarches sont complexes et hétérogènes, les volontés d’ouverture et de dialogue exprimées par ceux-ci le sont également. Diverses lacunes associées aux nouveaux dispositifs de participation montrent qu’un changement radical en faveur d’une démocratisation des choix techno-scientifiques ne s’opère pas rapidement et que cela nécessite une mutation plus profonde des visions de la science portées par les milieux scientifiques et la sphère politico-industrielle, sinon une « révolution culturelle » des sciences. Néanmoins, il est indéniable que certains responsables font preuve d’une réelle ouverture et d’une « bonne foi » comme l’a montré par exemple tout récemment la position du président de la Commission Particulière du Débat Public sur les déchets [14]. On est donc face à un contexte techno-politique qui ne peut être qualifié ni de purement technocratique, ni de purement démocratique. N’est-ce pas là un grand paradoxe de nos démocraties actuelles? Il serait naïf dans ce contexte de croire que la participation du public signifie d’office la démocratisation sans condition des sciences tout comme  il serait irréaliste de prétendre que toute tentative d’ouverture et de dialogue serait  une langue de bois,  une récupération des actions citoyennes, voire un complot.

Naturellement donc, l’appréciation des démarches participatives par les différents membres du milieu associatif  est très variable. Certains refusent frontalement toute  participation de  crainte de servir de caution à des décisions déjà prises ou par opposition tout simplement à des règles prédéfinies des débats. Certains autres, comme l’ACRO, préfèrent traiter cas par cas les initiatives de participation pouvant déboucher sur une décision, sans pour autant se faire d’« illusions ». Les éléments de contradiction mentionnés ci-dessous poussent d’ailleurs les associations à la vigilance. C’est ainsi que l’ACRO a rédigé tout récemment une « charte » de démarche participative définissant les aspects éthiques de la participation. Les deux démarches opposées d’acceptation ou de refus de participation semblent en effet toutes les deux légitimes selon le contexte. Elles doivent être considérées comme étant complémentaires dans la mesure où la force d’un mouvement de contre-pouvoir repose en grande partie sur la diversité des formes d’action des groupes militants qui le constituent, comme le montre bien l’exemple des militants du traitement du sida en France [15].

Pour l’ACRO, la participation aux instances officielles permet non seulement de mieux mesurer le but réel des tentatives d’ouverture envers les citoyens mais également d’avoir accès aux documents non publics et d’accroître ses compétences en observant de près les méthodes de travail des experts officiels. Ainsi, d’un côté, l’association a pu constater de l’intérieur le peu de volonté envers l’ouverture et la transparence de certains dispositifs comme la Commission de surveillance du Centre de Stockage de la Manche ou la Commission « Tchernobyl » (mise en place en 2004 afin d’évaluer l’impact réel de la catastrophe en France). D’un autre côté, elle a pu bénéficier de l’ouverture du Groupe Radioécologie Nord Cotentin, comité pluraliste d’expertise mis en place en 1998 afin d’évaluer l’augmentation des cas de leucémie à proximité de la Hague. Le fait que les mesures réglementaires dans l’environnement ainsi que les modèles d’impact sanitaire soient rendus publics au cours du travail de ce comité a permis à l’ACRO de développer ses capacités d’expertise concernant, par exemple, les systèmes de contrôle de la Cogéma. C’est ainsi que le laboratoire indépendant a pu révéler lors des incidents de 2001 une sous-estimation d’un facteur 1000 des rejets du ruthénium radioactif par l’usine de retraitement de la Hague.
Au bout de vingt ans d’existence, contre vents et marées et en dépit des difficultés et des contradictions auxquelles l’association doit faire face, le cas de l’ACRO témoigne des apports incontestables et inestimables d’un militantisme qui s’attache à la démocratisation des formes d’expertises et de gouvernance dans le domaine nucléaire en France.

Remerciements

Cet article s’appuie sur une série d’entretiens réalisés entre 2003 et 2006 avec plusieurs membres de l’ACRO ainsi que sur les publications et les archives de l’association. Je remercie Jean-Claude Autret, Pierre Barbey, David Boilley, Catherine Bruneau, Sibylle Corblet-Aznar, Madeleine Frérot, Mylène Josset, Léon Lemonnier, Gilbert Pigrée du temps qu’ils m’ont accordé. Je remercie également l’ACRO de son accueil chaleureux qui a permis mon travail d’archives.


[1] Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants.

[2] La citation de l’entretien réalisé en 1976 avec un des membres de la Commission Péon est reprise de P. Simonnot, Les nucléocrates, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1978, p.51.

[3] OPECST, « Les conséquences de l’accident de Tchernobyl et la sûreté des installations nucléaires », Rapport n° 1156, 1987-1988, p. 16, cité par C. Restier-Melleray, «Experts et expertise scientifique. Le cas de la France », Revue Française de Science Politique, 40, 4, 1990, p. 546-585, p. 565

[4] J.-P. Dupuy, Retour de Tchernobyl. Journal d’un homme en colère, Paris, Seuil, 2006

[5] Sur cette question, voir par exemple l’analyse de R. Paine, “Chernobyl reaches Norway : the accident, science and the threat to cultural knowledge”, Public Understanding of Science, 1, 1992, p. 261-280.

[6] Voir, entre autres, A. Touraine, Z. Hegedus, F. Dubet, M. Wievorka, La prophétie antinucléaire, Paris, Seuil, 1980.

[7] D. Boilley, « Etat de l’environnement dans la Hague », Silence, 197, novembre 1995

[8] B. Wynne, “Misunderstood Misunderstandings: Social Identities and the Public Uptake of Science,” in IRWIN (A.), WYNNE (B.) (ed.), Misunderstanding Science? The Public Reconstruction of Science and Technology, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p.19-46.

[9] Voir notamment J.C. Autret, « Quand l’accident engendre une prise de conscience citoyenne », G. Grandazzi, F. Lemarchand (dir.), Les silences de Tchernobyl, Paris, Autrement, 2004, pp. 202-210.

[10] F. Zonabend, La presqu’île au nucléaire, Paris, Ed. Odile Jacob, 1989

[11] M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001, p. 45-46.

[12] U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2001

[13] Pour une critique du débat sur l’EPR, voir : J. Testart, S. Orru, « Le débat sur le réacteur EPR est un fiasco », Politis, 2 mars 2006.

[14] Voir par exemple: Commission Nationale du Débat Public, «Compte rendu du débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue », 27 janvier 2006

[15] J. Barbot, Les malades en mouvements, Paris, Editions Balland, 2002

Ancien lien

L’ACRO ne participera pas à l’enquête publique sur l’EPR

Communiqué de l’ACRO du 15 juin 2006


En ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus, la France s’est engagée à permettre la participation du public aux décisions touchant à l’environnement et surtout à respecter son article 8 qui stipule que « les résultats de la participation du public sont pris en considération dans toute la mesure du possible ». Le projet d’EPR a fait depuis l’objet de deux consultations, l’une à la demande du gouvernement en 2003 et l’autre à la demande d’EdF plus récemment.

Les trois sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie de 2003 avaient conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] En définitive, la question du nucléaire ne peut être tranchée sans des compléments d’études allant au-delà des éléments fournis lors du Débat National. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin a, dans ce même rapport, clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » Cela n’avait pas empêché les élus de voter la loi sur l’énergie du 15 juillet 2005 donnant un feu vert au projet, sans tenir compte du deuxième débat qui a débuté à l’automne 2005.

La Commission Particulière de Débat Public a conclut dans son compte-rendu que « d’une façon générale les raisons, invoquées par le maître d’ouvrage, de réaliser l’EPR, impérieuses selon lui ont été faiblement éclaircies et justifiées ».

EdF n’a depuis, apporté aucune précision nouvelle permettant de justifier sa décision de poursuivre son projet.

La contribution majeure de ce deuxième débat public aura été de faire des propositions concrètes de réforme autour du secret et de l’accès à l’information. Rien dans la loi sur la transparence, récemment votée, ni dans les réactions des autorités ne répond à la problématique. Au contraire, avec l’enquête publique qui démarre aujourd’hui, c’est un passage en force au cœur de l’été avec un accès contrôlé aux dossiers qui est proposé en guise de réponse.

Rappelons aussi que les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité, ont aussi un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique stipule le principe de justification institué par la CIPR : « Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. » Or, la demande d’autorisation de rejet aura lieu plus tard. Comment alors justifier l’installation sans en connaître l’impact sanitaire ?

Les autorités ne semblent pas se préoccuper des règles démocratiques qu’elles se sont elles-mêmes fixées. Très concernée, l’ACRO s’est beaucoup impliquée dans les débats par le passé, mais ne participera pas à cette enquête publique.

Nuclear Wastes Management: The Lessons from the CSM Disposal Site (Centre de Stockage de la Manche)

Memory-less Centre, Future-less Centre?

Realized for Greenpeace France
23rd may 2006


Realized for Greenpeace France
23rd may 2006


Synthesis: the lessons from the CSM disposal site (Centre de Stockage de la Manche)
The past was dead and the future unconceivable” George Orwell, 1984

For the CEA, which was responsible for it during all its active phase, “the CSM site, after twenty-five years of good and faithful services, has now become an international reference regarding the techniques of wastes disposal.” As the future of French nuclear wastes is currently being debated, we find important to draw the lessons from the management of this site.

Because the storage preceded the regulations in that field, the site is no longer satisfactory in regard to the current surface disposal standards. All sorts of things were disposed of and stored there, on the ridge of ground water and without any weather protection. Regarding the older wastes, the inventory was of the most whimsical kind and very likely bellow reality. But the most serious part is that the CEA sites have rapidly ridden themselves of embarassing wastes before the regulations became stronger. The Turpin Commission has shown evidence of this fact in the case of plutonium. This crime commited is very shocking because the knowledge implying procedures revision was elaborated in the very same organization. Over 10% of the volume stored in the site is of foreign origins, in spite of a French law forbidding this practice.

Due to the large amount of long life elements and the toxic chimicals it contains, the CSM will never go back to the ordinary and it will remain forever. Its status is therefore distinct from that of the CSA (which only receives wastes material selected according to strict criteria); it is actually closer to what could be an underground disposal site supposed to receive, far from sight, all the embarassing wastes. The geological barrier only delays slightly the surfacing of problems.

Because of its empirical management, it is causing damage to the environment. Consequently to the repeating incidents which added up to a constant and diffuse release, the ground water and many outlets are highly contaminated with tritium. We must note that for a long time there was a lack of information regarding this chronic pollution, and even now a precise assessment of its impacts still needs to be done. As far as the situation, it could worsen in the long run because there is no garanty that the wrappings of the older wastes, which also contain more hazardous elements, will last for such long periods of time. When a new contamination is detected it will be too late.

In spite of this, there is no dismantling plan of the site, not even a partial one. The argument generally put forward, besides the economic costs of the operation, is the health risks posed by the operation which would be greater than the risks related to its impact on the environment. On top of it, there is no other solution for the extracted wastes which should not be accepted by the CSA. It is therefore more comfortable for the nuclear officials and the public authorities to consider this matter settled.

How then can this center be given in heritage to the future generations ?
How will memory be transmitted if even our generation does not know exactly anymore what is in it ?
Above all, how can we give them the possibility of an opinion regarding their future which would be different from that which is currently underway ?
These fundamental questions must be considered for all the other radioactive wastes.

The CSM exemple shows us how vain a long term passive management based on forgetting is. The supposed reversability of the forecoming storage is only delaying for a few generations the shutting down dilemma, without solving it.

The protection of the future generations draws consensus when discussing the management of nuclear wastes. But when it is about the current generation, the consensus vanishes… The public is absent from the waste management legislation project presented by the government, which ignores the public consultation it ordered. Now, if the CSM is a memory-less center, it is because the management was done behind closed doors and it is important not to repeat this.

The well-being of the future generations, for whom the wastes management must be limitted, therefore often appears as a thoughtless reflection used to make anything pass. Leaving them means of action implies keeping the memory of this burden alive. Historical examples show that it is because of the redundancy of information preserved under different shapes that it was possible to transmit it from generation to generation, despite unknown factors. Therefore there is a moral obligation to share the knowledge about nuclear wastes with the population. Unfortunately, the current nuclear debates have failed to mobilize crowds, because citizens had the impression that they were powerless in the decision-making process. Why get involved if the decisions have already been made ? Hence it is important to implement a democratization mechanism regarding wastes management, in order to insure its memory transmission.

The other element at stake is the transmission of a memory that would faithfully translate the inventory, which is not the case of the CSM. There again, there is a need for a democratization of the decision-making process, including more opening upstream which would give civil society enough time to appropriate the problematic. It is in this perspective that the ACRO has been working ever since its creation.

In conclusion, the safety of the future generations regarding nuclear wastes management implies a better governance in the current management, relying on a larger democracy. It would be a shame and a danger if the opportunity of the current legislation project was missed for another ten years. Even more so because unfortunately there is a considerable lateness to make up for and wastes like those at the CSM, of which the future is officially settled, still need to be addressed.


Summary of the 1st part: The universe of the CSM Disposal Site (Centre de Stockage de la Manche)

The CSM Disposal Site was built in the Eastern part of the reprocessing plant of La Hague, in a place named the « High Marshes », a particulary humid zone. This is undoubtedly the worst choice when knowing that water is safety’s worst enemy. The first wastes were stored on the very ground, and then in concrete trenches, which were regularly flooded. Some of these structures were dismantled, others are still there, on the ridge of ground water. While the storage preceded the regulations in that field, the empirism which led the construction of this site is already a source of concern which should worsen in the future.

The storage structures and the wastes quality evolved with time towards more rigour. But each strengthening of the legislation triggered a de-storing of the CEA sites during the previous years. This crime commited is very shocking because the knowledge implying procedures revision was elaborated in the very same organization. The ACRO had also denounced similar practices just before the closing down of the site in 1994. Nowadays, the CSM site contains many long life elements which are not accepted anymore at the CSA site which took over. There are, among other things, 100 kg of plutonium, as well as many other alpha emitting elements particularly toxic in case of contamination. If we add up the chimical toxics whixh will not disappear with time, including almost 20 tons oflead and one ton of mercury, the CSM site shall never go back to the ordinary. At the time of its closing down, the ANDRA shamelessly announced that this sie could go back to nature after 300 years and that its coverage was definitive.

The inventory of the stored wastes is not precisely known. During the irst years, the identification documents of the senders alone were enough. Storm errased part of this memory and the information about the first years are unreliable. Some of the storing structures too, and a part of the wastes escape the surveillance system that was set up. A retired ANDRA employee goes so far to evoque collapsing risks. In case of a problem, the ground waters will be hit an dit will be to late. According to our estimations, over 10% of the 527 217 m3 of stored wastes are of foreign origin, in total violation of the French law. While the issue of shallow storage is fficially considered as « settled », it is legitimate to wonder about the future of the CSM site. It is also necessary to draw the lessons from these setbacks for the other wastes waiting for a solution.

Without the associations’ civil surveillance and the warning revelations of an anonymous whistle blower who sent some documents to the ACRO, the ANDRA plan would have been endorsed by the authorities. The pluralistic commission which led an inquiery following the ACRO revelations in 1995 estimated that this stora is irreversible. Based on a study by the ANDRA, it indeed estimates that getting the wastes back is unreasonable because of health and financial costs. Above all, there is no solution for a part of these wastes which should not be accepted by the CSA.

Environmental requirements have evolved along the 25 years of exploitation of the CSM site. These requirements should evolve even more on time scales involving several generations. The reversibility of storage is therefore a moral constraint followng the precaution principle. It is generally though tof as a means to make projects more socially acceptable by the authorities. But reversibility is not just a technical problem and it should lead to rethink entirely the radioactives materials management in a democratic way. The option of a durable storage had the favors of the public during the national debate, but it s unfortunately ignored by the authorities which prefer a strategy based on oblivion.

The situation is the same for the CSM site. After the current phase of surveillance, a new cover is planned in order to switch to a more passive phase. The decision not to get back all or a part of the wastes is based on some ANDRA studies which received no detailed counter-assessment. We have, in vain, asked the surveillance commission of the site to promote the implementation of a pluralistic reflection which would have to consider the mentioned risks before making the decision to definitively close the site. This demend is particularly important to us before deciding to give the future generations such a threat in heritage.


Summary of the 2nd part: The water pollution of the ecosystems by tritium

In the past, the river Sainte-Hélène which runs not far from the CSM disposal site contained cesium-137 in proportions 100 to 1000 times higher than in the other neighboring streams. This abnormality was parallelled with the presence of other fission products and high quantities of plutonium: the sediments contained more than 140 Bq/kg of plutonium-238, that is 5,000 times more than the river Rhône downstream from the Creys-Malville complex (Superphénix). The CSM was the source of it. Since then, the causes have been neutralized and there are only traces left of this massive former pollution.

But at all times tritium (radioactive hydrogene) was found on site. Today still, many rivers, aquifers, resurgences and wells are concerned.

Since the very opening of the site, large amounts of tritium were disposed of. In 6 small squares of the so-called TB2 structure, the equivalent of three, maybe 15, years of tritium wastes issued from the current electric nuclear park in a whole were stored. Estimations vary depending on the era, highlighting the lack of knowledge regarding waste contents.

But this tritium was not inclined to stay in place, and in october 1976 a massive contamination of ground and surface waters started. All which could be recaptured was, and the stored amounts were radically reduced.

This incident revealed, besides dysfonctionments and an inppropriate storage procedures, the leaking of tritium through the containers and structures. This phenomenon, which started as soon as the first tritium wastes arrived, still exists today and will cease when there is no more tritium in the parcels.
Because the site manager refused to sufficiently protect the wastes from weather exposition during the 25 years of its exploitation, including while it was implementing solutions for the CSA site, the situation degraded in La Hague. The lixiviation of the wastes by rainwater considerably increased leaks.

The CSM has therefore always been “losing”, and is still “losing” its tritium under other ways than radioactive decrease, a fundamental principle of nuclear wastes elimination. The data analysis dated after 1986, which is the only data available, tends to suggest that at least 20% of the stored tritium may have “vanished” in the environment until now. In a memo dated 12/18/92, the manager even estimated at 1,850 TBq [130% of the tritium inventory of the site (ndlr)] the activity lost in the ground following the 1976 incident.

Liberated from the structures, this tritium mainly follows the natural water ways. It tends to reach the underlying aquifers but also the atmosphere. It is therefore destined to be “eliminated”, one way or another, through dilution and spreading in nature.
During the year following the october ’76 incident, the ground waters contamination could reach 600,000 Bq/L and that of the river Sainte-Hélène more than 10,000 Bq/L. It is considered that the worst is behind us. In 1983, an aquifer reached 6 million Bq/L! Experiment? Incident? Accident? The public and the neighboring population still do not know. Just as then, they do not know that “concerted” releases are being done in the river Sainte-Hélène, which led in october 1982 to a water contamination reaching 50,000 Bq/L.

After the last parcel was delivered, and the cover built, indicators then showed evidence of the beginning of an improvement process of the radiological quality of the underground waters.

Without any industrial leaks or unforseen events, the water content in tritium must be around 1 Bq/L. From a health point of view, the WHO has considered since 1993 that water destined to human consumption should not contain more than 7,800 Bq/L in tritium. As regarding Europe, since 1998 it aims not to go over 100 Bq/L.

In 2005 the pollution is not yet resorbed. It has generally declined. Still, the contamination of controled ground waters can still reach 190,000 Bq/L. And 20% of the contaminated aquifers do not show the expected reduction if we consider the radioactive decrease conjugated with the water renewal. Even stranger, some even tend to increase.

During all those years, the tritium pollution is becoming pervasive. It is geographically spreading onto the northern side. It reaches wells, resurgences and the main streams which run down the basin.
Currently, all streams (the Roteures, the Sainte-Hélène and the Grand Bel) have in common to be contaminated by tritium, at varying levels comprised between a dozen and several hundreds of becquerels per liter. Regarding the first two, the resurgences drain more contaminated waters along the first kilometer than in the stream at the same place. A few hundred meters downstream from the river Sainte-Hélène, one could measure in 2003 up to 700 Bq/L of tritium in a resurgence. And this situation is not in contrast with that which the ACRO measured a dozen years ago, this time at the foot of a family house. In the case of the river Grand Bel, polluted at the source, there again the tritium concentration in the waters has not evolved since 1994! It steadily remains between 750 ± 100 Bq/L at the source.

The observation of those last years brong up some questions. Why has the tritium contamination not radically declined as one could have expected, if we consider dilution conjugated with radioactive decrease? Even if we only consider the radioactive decrease, the levels should have decreased of 50% compared with 1994. Still, they remain approxilately the same in some points, which implies that the mobilized tritium has increased.

The resurgence and stream waters may not be directly used for human consumption, but they are for the cattle and even for the garden. In the case of a cow regularly given tritium-containing water to drink, transfers take place with the milk. They are confirmed in la Hague we refer to milk controls done by a nuclear operating structure other than the ANDRA, since the latter has not ben doing any such controls since the beginning. And the results of the transfers do not stop there. The tritium, which is radioactive hydrogene, can be “exchanged” and enter the composition of organic material, therefore of life. Flesh, fat, vegetable, etc. may be concerned. The ways to affect man then multiply. But one would have to at least want to know about them.

Cleaning the water pollution of ecosystemes is a moral necessity. It is unacceptable to watch the manager of a nuclear wastes disposal site resign when faced with a radioactive element such as tritium which he was not able to contain on site, and abandon it at the foot of houses, at the bottom of fields. It is necessary at the very least to study, as ACRO has been demanding, the possibility to use the recognized pumping method which consists in drawing from the ground water to discharge in the sea, in the hope to see a slow decline of surface waters contamination and to handle in a controled and organized way the radioactivity movements towards the environment.


Result of analysis

Ancien lien

Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M)

Centre Sans Mémoire, Centre Sans Avenir ?

Rapport d’étude réalisé à la demande de Greenpeace France
23 mai 2006


Synthèse : les leçons du CSM

« Le passé était mort, le futur inimaginable », George Orwell, 1984

Pour le CEA, qui a en eu la responsabilité durant toute sa phase active, « le site de la Manche, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, figure désormais comme une référence technique internationale dans le stockage des déchets ». A l’heure où est débattu l’avenir des déchets nucléaires français, il nous paraît important de tirer les leçons de la gestion de ce centre.

Parce que le stockage des déchets y a précédé la réglementation en la matière, ce centre ne satisfait plus aux normes actuelles concernant le stockage en surface. On y a stocké et entreposé tout et n’importe quoi, sur les crêtes des nappes phréatiques et sans aucune protection vis à vis des intempéries. Pour les déchets les plus anciens, l’inventaire est des plus fantaisistes et fort probablement en dessous de la réalité. Mais le plus grave, est que les centres du CEA se soient débarrassés rapidement de tous les déchets gênants avant chaque durcissement de la réglementation. La Commission Turpin l’a bien mis en évidence à propos du plutonium. Ce délit d’initié est extrêmement choquant car c’était dans ce même organisme qu’étaient élaborées les connaissances impliquant de revoir les procédures. Pas vu, pas pris. Plus de 10% des volumes stockées sur le centre sont d’origine étrangère malgré la loi française qui interdit cette pratique.

De part les éléments à vie longue qu’il contient en grande quantité et les toxiques chimiques, le Centre Manche ne sera jamais banalisable et est là pour l’éternité. Son statut se distingue donc du Centre de l’Aube (qui ne reçoit que des déchets triés respectant des critères stricts) et s’apparente plus à ce que pourrait être un stockage souterrain à l’abri des regards qui est supposé accueillir tous les déchets gênants. La barrière géologique ne constitue qu’un décalage temporel dans l’apparition des problèmes.

A cause de sa gestion empirique, il porte atteinte à l’environnement. Suite à des incidents à répétition qui viennent s’ajouter à un relargage diffus en continu, les nappes phréatiques et de nombreux exutoires sont fortement contaminés en tritium. Force est de constater qu’une information sur cette pollution chronique a longtemps manqué et encore aujourd’hui, un bilan précis de son impact reste à faire. Pour autant, la situation pourrait s’aggraver à long terme car les emballages des déchets les plus anciens, qui contiennent aussi les éléments les plus nocifs, ne sont pas garantis sur de si longues périodes. Lorsqu’une nouvelle contamination sera détectée, il sera trop tard.

Cependant, il n’est pas prévu de démanteler ce centre, même partiellement. L’argument généralement avancé, outre le coût économique, est que le risque sanitaire lié à l’opération serait supérieur au risque lié à son impact sur l’environnement. Surtout, il n’y a pas d’autre solution pour les déchets extraits qui ne sauraient être acceptés au Centre de l’Aube. Il est donc plus confortable pour les opérateurs du nucléaire et les pouvoirs publics de considérer ce problème comme réglé.

Comment léguer alors ce centre aux générations futures ? Comment en transmettre la mémoire si même notre génération ne sait plus ce qu’il contient exactement ? Surtout, comment leur permettre d’avoir une opinion sur son avenir qui diffère de celle qui est prévue actuellement ? Ces questions fondamentales doivent être prises en compte pour tous les autres déchets radioactifs.

Cet exemple du Centre de Stockage de la Manche montre qu’une gestion passive à long terme basée sur l’oubli est vaine. La réversibilité supposée des stockages à venir ne fait que reporter de quelques générations le dilemme de la fermeture, sans le résoudre.

La protection des générations futures, fait l’objet d’un consensus quand il s’agit de gestion des déchets nucléaires. Mais dès qu’il s’agit de la génération actuelle, le consensus disparaît… Le public est le grand oublié du projet de loi sur les déchets présenté par le gouvernement qui méprise la consultation qu’il a lui même voulue. Or, si le Centre Manche est un centre sans mémoire, c’est parce que sa gestion était confinée et il est important de ne pas renouveler ce huis clos.

Le bien-être des générations futures, pour lesquelles le fardeau de la gestion des déchets doit être limité, apparaît donc souvent comme un argument utilisé sans réflexion pour faire accepter tout et n’importe quoi. Leur laisser des moyens d’agir signifie garder la mémoire de ce fardeau. Or, les exemples historiques montrent que c’est grâce à la redondance de l’information gardée sous plusieurs formes qu’elle peut être transmise de générations en générations en faisant face aux aléas. Il y a donc un impératif moral à partager avec la population la connaissance sur les déchets nucléaires. Les débats actuels sur le nucléaire n’ont malheureusement pas mobilisé les foules car les citoyens avaient le sentiment de n’avoir aucune emprise sur le processus de décision. Pourquoi s’investir si les décisions sont déjà prises ? Il importe donc de mettre en place un mécanisme de démocratisation de la gestion des déchets nucléaires pour en garantir la mémoire.

L’autre enjeu est de transmettre une mémoire qui traduit honnêtement l’état des lieux, ce qui n’est pas le cas du Centre Manche. Là encore, la démocratisation des processus de décision avec une ouverture plus en amont, laissant le temps à la société civile de s’approprier la problématique est indispensable. C’est dans ce sens que tente d’œuvrer l’ACRO depuis sa création.

En conclusion, la sauvegarde des générations futures en matière de gestion de déchets nucléaires passe par une meilleure gouvernance de la gestion actuelle, s’appuyant sur une plus grande démocratie participative. Il serait dommage et dangereux que le projet de loi actuel loupe ce coche pour dix ans encore. D’autant plus qu’il y a malheureusement un immense retard à combler et que les déchets comme ceux du Centre Manche, dont le sort est officiellement réglé, sont encore à prendre en compte.


Résumé de la 1ère partie : L’univers du Centre de Stockage de la Manche

Le Centre de Stockage de la Manche a été construit dans la partie Est de l’usine de retraitement de La Hague, à un endroit qui s’appelle le « Haut Marais », zone humide par excellence. C’est sans doute le plus mauvais choix quand on sait que l’eau est le principal ennemi de la sûreté. Les premiers déchets ont été mis à même la terre, puis dans des tranchées bétonnées, régulièrement inondées. Certains de ces ouvrages ont été démantelés, d’autres sont encore là, à la crête des nappes phréatiques. La pratique ayant précédé la réglementation, l’empirisme qui a guidé l’édification de ce centre suscite déjà de nombreuses inquiétudes qui devraient s’aggraver dans l’avenir.

Les structures d’accueil et la qualité des déchets ont évolué au cours du temps vers plus de rigueur. Mais, avant chaque durcissement de la réglementation, le CEA a renvoyé au CSM des déchets qui ne pourraient plus être acceptés par la suite. Ce délit d’initié est d’autant plus choquant que c’est dans ce même organisme qu’étaient élaborées les nouvelles règles. L’ACRO avait aussi dénoncé des pratiques similaires juste avant la fermeture du site en 1994. De nos jours, le centre Manche contient de nombreux éléments à vie longue qui ne sont plus acceptés sur le centre de l’Aube qui a pris le relais. Il y a notamment près de 100 kg de plutonium, ainsi que de nombreux autres émetteurs alpha particulièrement toxiques en cas de contamination. Si l’on ajoute à cela les toxiques chimiques qui ne disparaîtront pas avec le temps, dont près de 20 tonnes de plomb et une tonne de mercure, le centre Manche ne pourra jamais être banalisé. Au moment de sa fermeture, l’ANDRA annonçait sans vergogne que ce centre pourrait être rendu à la nature au bout de 300 ans et que la couverture était définitive.

L’inventaire des déchets stockés n’est pas connu avec précision. Durant les premières années, seuls les bordereaux des expéditeurs faisaient foi. Une tempête a effacé une partie de cette mémoire et les informations concernant les premières années ne sont pas fiables. Certaines structures d’accueil non plus et une partie des déchets échappent au système de surveillance mis en place. Un employé de l’ANDRA à la retraite va jusqu’à évoquer des risques d’effondrement. En cas de problème, ce sont les nappes phréatiques qui seront touchées et il sera trop tard pour agir. Selon nos estimations, ce sont plus de 10% des 527 217 m3 de déchets stockés qui sont d’origine étrangère, en violation flagrante de la législation française. Alors que la question du stockage en surface est officiellement considérée comme « réglée », il est légitime de s’interroger sur l’avenir du centre Manche. Il est tout aussi nécessaire de tirer les leçons de ses déboires pour les autres déchets en attente de solution.

Sans la vigilance citoyenne des associations et les révélations d’un lanceur d’alerte qui a envoyé anonymement des documents à l’ACRO, c’est le plan de l’ANDRA qui aurait été avalisé par les autorités. La commission pluraliste qui a enquêté après les révélations de l’ACRO en 1995 a estimé que ce stockage est irréversible. En se basant sur une étude de l’ANDRA, elle estime en effet qu’aucune reprise des déchets n’est raisonnable en raison des coûts sanitaires et financiers. Surtout, il n’existe aucune solution pour une partie de ces déchets qui ne sauraient être acceptés au centre de l’Aube.

Les exigences en matière d’environnement ont changé durant les 25 années d’exploitation du centre Manche. Ces exigences devraient évoluer encore plus sur des échelles de temps impliquant plusieurs générations. La réversibilité des stockages est donc une contrainte morale qui découle du principe de précaution. Elle est généralement pensée comme un moyen de rendre les projets socialement plus acceptables par les autorités. Mais la réversibilité n’est pas seulement un problème technique et doit conduire à repenser entièrement la gestion des matières radioactives de façon démocratique. L’option d’un entreposage pérennisé avait les faveurs du public lors du débat national, mais est malheureusement ignorée par les autorités qui préfèrent une stratégie basée sur l’oubli.

Il en est de même pour l’avenir du centre Manche. Il est prévu, qu’après la phase de surveillance actuelle, une nouvelle couverture soit mise en place afin de passer à une phase plus passive. La décision de ne pas reprendre tout ou une partie des déchets est basée sur des études de l’ANDRA qui n’ont pas été contre-expertisées dans le détail. Nous avons, vainement, demandé à la commission de surveillance du centre de promouvoir la mise en place d’une réflexion pluraliste qui aurait à se pencher sur les risques évoqués avant de décider de fermer définitivement le site. Cette revendication nous tient particulièrement à cœur avant de décider de léguer une telle menace aux générations futures.


Résumé de la 2ème partie : La pollution des écosystèmes aquatiques par le tritium

Par le passé, la Sainte-Hélène qui s’écoule non loin du Centre de Stockage de la Manche (CSM) avait une teneur en césium-137, de 100 à 1000 fois plus élevée que dans les autres cours d’eau voisins. Cette anomalie s’accompagnait de l’existence d’autres produits de fission et de teneurs impressionnantes en plutonium : les sédiments contenaient plus de 140 Bq/kg de plutonium-238, soit 5000 fois plus que dans ceux du Rhône en aval des installations de Creys-Malville (Superphénix). Le CSM en était à l’origine. Depuis les causes ont été maîtrisées et il ne subsiste plus que les vestiges de ces anciennes pollutions massives.

Mais de tout temps, du tritium (hydrogène radioactif) fût trouvé. Aujourd’hui encore, de nombreux cours d’eau, aquifères, résurgences, puits sont concernés.

Dès l’ouverture du centre, on a voulu stocker de grandes quantités de tritium. Dans 6 petites cases de l’ouvrage dénommé TB2, l’équivalent de trois, peut-être 15, années de rejets tritiés de l’ensemble du parc électronucléaire français actuel a été entreposé. Les estimations varient avec les époques, soulignant la méconnaissance du contenu des déchets.

Mais ce tritium n’a pas daigné rester à sa place, et ce fût le point de départ, en octobre 1976, d’une contamination massive des eaux souterraines et superficielles. Tout ce qui pu être repris l’a été, et les quantités stockés ont été réduites de manière drastique.

Cet incident à mis en exergue, outre des dysfonctionnements et une inadaptation du procédé de stockage, la diffusion du tritium à travers les colis et ouvrages. Ce phénomène, qui a débuté dès la réception des premiers déchets tritiés, existe encore de nos jours et cessera quand il n’y aura plus de tritium dans les colis.
Parce que le gestionnaire du centre s’est refusé à protéger correctement les déchets des intempéries durant les 25 années d’exploitation, y compris durant la période où il déployait des solutions sur son centre de l’Aube, la situation s’est aggravée à La Hague. La lixiviation des déchets par les eaux de pluie a augmenté considérablement les relâchements.

Le CSM s’est donc toujours « vidé », et se « vide » encore de nos jours, de son tritium par d’autres voies que celle de la décroissance radioactive, principe fondamental de l’élimination des déchets nucléaires. L’analyse des données postérieures à 1986, les seules disponibles, tend à suggérer qu’au moins 20% du tritium stocké se seraient « évanouis » dans l’environnement à la date d’aujourd’hui. Dans une note datée du 18/12/92, le gestionnaire estimait même à 1850 TBq [130% de l’inventaire tritié du site (ndlr)] l’activité perdue dans le sol à la suite de l’incident de 1976.

Libéré des ouvrages, ce tritium suit principalement les voies naturelles de l’eau. Il tend à rejoindre les aquifères sous-jacents mais également l’atmosphère. Il est donc voué à être « éliminé », d’une manière ou d’une autre, par dilution et dispersion dans le milieu naturel. Dans l’année qui suit l’incident d’octobre 76, la contamination des eaux souterraines a pu avoisiner les 600 000 Bq/L et celle des eaux de la Sainte-Hélène plus de 10 000 Bq/L. On pense le pire passé. En 1983, on atteint 6 millions de Bq/L dans un aquifère! Expérimentation ? Incident ? Accident ? Le public et les riverains ne savent toujours pas. Tout comme à l’époque ils ne savent pas qu’il est procédé à des rejets dits « concertés » dans la Sainte-Hélène, lesquelles conduisent en octobre 1982 à une contamination des eaux de l’ordre de 50 000 Bq/L.

Le dernier colis livré, la couverture mise en place, les indicateurs témoignent alors de l’avènement d’un processus d’amélioration de la qualité radiologique des eaux souterraines.

En l’absence de rejets industriels ou d’aléas, la teneur des eaux en tritium doit être de l’ordre de 1 Bq/L. Sur le plan sanitaire, l’OMS considère depuis 1993 que les eaux destinées à la consommation humaine ne devraient pas avoir  une teneur en tritium supérieure à 7800 Bq/L. Quant à l’Europe, à partir de 1998, elle s’est fixée pour objectif que ces mêmes eaux ne dépassent pas 100 Bq/L.

En 2005, La pollution n’a pas encore disparu. Elle a globalement diminué. Pour autant la contamination des eaux souterraines contrôlées peut encore atteindre 190 000 Bq/L. Et 20% des aquifères contaminés ne témoignent pas de la diminution attendue si on conjugue la décroissance radioactive au renouvellement des eaux. Fait étrange, certains tendent même à augmenter.

Durant toutes ces années, la pollution par le tritium devient insidieuse. Elle se répand géographiquement sur le versant nord. Elle atteint des puits, des résurgences et les principaux cours d’eau drainant le bassin versant. Actuellement, tous les cours d’eau (les Roteures, la Sainte-Hélène et le Grand Bel) ont en commun d’être contaminés par le tritium, à des niveaux variables compris entre une dizaine et plusieurs centaines de becquerels par litre. Pour les deux premiers, les résurgences le long du premier kilomètre apportent des eaux bien plus contaminées qu’elles ne le sont dans le cours d’eau au même endroit. A quelques centaines de mètres en aval de la source de la Sainte-Hélène, on mesurait jusqu’à 700 Bq/L de tritium dans une résurgence en 2003. Et cette situation contraste peu avec celle observée par l’ACRO il y a une dizaine d’années, cette fois au pied d’une maison familiale. Dans le cas du Grand Bel, pollué à la source, là encore la concentration en tritium des eaux n’a pas évolué depuis 1994 ! Elle est invariablement de 750 ± 100 Bq/L à la source.

Les constats de ces dernières années posent question. Pourquoi la contamination par le tritium n’a pas décru drastiquement comme on aurait pu s’y attendre si on conjugue la dilution et la décroissance radioactive ? Ne considérant que le phénomène de décroissance radioactive, les niveaux auraient dû diminuer de 50% par rapport à 1994. Or il sont sensiblement les mêmes à certains endroits, ce qui suppose que la quantité de tritium mobilisé a augmenté.

Certes, les eaux des résurgences et de cours d’eau ne sont pas utilisées directement pour la consommation humaine, mais elles le sont pour le bétail et même le jardin. Dans le cas d’une vache alimentée de manière chronique avec de l’eau tritiée, des transferts existent vers le lait. Ils sont confirmés dans La Hague lorsqu’on se réfère aux contrôles effectués sur le lait par un autre opérateur du nucléaire que l’ANDRA, cette dernière n’effectuant aucun contrôle de cette nature et ce depuis le départ. Et le bilan des transferts ne s’arrête pas là. Le tritium, hydrogène radioactif, « s’échange » et entre dans la composition de la matière organique, donc de la vie. Chair, graisse, légume, etc. peuvent être concernés. Les voies d’atteintes à l’homme se multiplient alors. Faut-il encore vouloir les connaître.

Apurer la pollution des écosystèmes aquatiques est une nécessité morale. Il n’est pas acceptable de voir le gestionnaire d’un centre de stockage de déchets nucléaires démissionner devant un élément radioactif comme le  tritium qu’il n’a pu contenir sur son site et l’abandonner au pied des maisons, au fond des champs. Il est obligatoire a minima d’étudier, comme le demande l’ACRO, la possibilité de recourir à la méthode éprouvée du pompage dans la nappe avec rejet en mer dans l’espoir d’obtenir une diminution progressive de la contamination des eaux de surfaces et de gérer de manière contrôlée et organisée les flux de radioactivité artificielle en direction de l’environnement.


Rapport d’analyse

Dosage du tritium dans les eaux souterraines pompées le 23 mai 2006 au niveau du piézomètre 113 à proximité du centre de stockage de la Manche

Echantillon Concentration en Bq/L
début
de pompage
13 200
± 900
fin de
pompage
16 800
± 1 100

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Dosage du tritium dans les eaux souterraines suite à un deuxième prélèvement effectué par Greenpeace Hollande le 8 novembre 2006 au niveau du même piézomètre.

Echantillon Concentration en Bq/L
Première
cuillère
18 700
± 1 100
Deuxième
cuillère
18 100
± 1 100
Après
pompage 1000 L
18 100
± 1 100
Après
pompage 2000 L
20 000
± 1 200
Après
pompage 3000 L
20 200
± 1 300
Après
pompage 4000 L
20 600
± 1 200

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Secret défense : Lettre ouverte à l’attention des pouvoirs publics

19 mai 2006

Au moment où le pouvoir politique marque sa volonté de rappeler le respect dû au secret défense en faisant interpeller Stéphane Lhomme, il est regrettable qu’il ignore les conclusions d’un très sérieux groupe de travail mis en place par la Commission Nationale du Débat Public, sur les obstacles à l’accès à l’information dans le domaine du nucléaire et sur les voies possibles pour progresser vers une véritable transparence. Les débats publics sur les déchets nucléaires et le futur réacteur EPR à Flamanville, qui viennent de s’achever, ainsi qu’une enquête menée à cette occasion sur les pratiques en matière de transparence dans divers pays occidentaux, démontrent la nécessité de pouvoir accéder aux documents d’expertise pour permettre une véritable démocratie participative en accord avec la Convention d’AARHUS ratifiée par la France.

Ces travaux ont montré l’intérêt d’une concertation sur ces questions et fait émerger des pistes de réflexions. Cette voie doit être poursuivie pour construire un dialogue argumenté sur des sujets complexes, touchant à un domaine aussi sensible que l’avenir énergétique, et pour éviter la radicalisation des positions à laquelle on assiste.

Il ne suffit pas de ratifier des conventions ou de voter des lois pour que la transparence se fasse.

Des personnalités ayant participé aux débats publics déchets et EPR :

Pierre Barbey – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
David Boilley – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
Jean-Claude Delalonde – Président de l’Association Nationale de CLI
Benjamin Dessus – CNRS
Danielle Faysse – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Bernard Laponche – Expert indépendant, Global Chance
Yves Marignac – Directeur de Wise-Paris
Jean-Luc Mathieu – Membre de la Commission Nationale du Débat Public et président de la Commission Particulière du débat public EPR
Michèle Rivasi – Présidente du CRIIREM (fondatrice de la CRIIRAD)
François Rollinger – Représentant CFDT au CSSIN
Monique Sené – Présidente du Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie
Annie Sugier – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Françoise Zonabend – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR

Comment un autocrate, le Pr Aurengo, a trahi une démarche participative

Communiqué du 5 mai 2006 sur « le rapport sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France »
Rapport rédigé par André Aurengo et transmis, le 18 avril 2006, aux Ministres de la Santé et des Solidarités et de l’Écologie et du Développement durable.


Le groupe de travail, présidé par André Aurengo, avait été constitué à la demande des Ministres chargés de l’Environnement et de la Santé, de deux gouvernements successifs : tout d’abord Messieurs Yves Cochet et Bernard Kouchner puis confirmé par Monsieur Jean-François Mattei et Madame Roselyne Bachelot en 2002. Ce groupe de travail était chargé, principalement, d’établir à partir des données existantes une cartographie de la contamination du territoire français, suite à l’accident de Tchernobyl, et devait réunir « de la manière la plus ouverte possible les experts et les acteurs intéressés par cette question ».

De fait, M. Aurengo, dont les positions en faveur du nucléaire sont notoires, (tendant toujours à minorer les effets des radiations en général, et, en particulier les conséquences de Tchernobyl) avait réussi à composer un groupe de travail relativement pluraliste : si des institutionnels tels que l’IRSN étaient représentés, étaient également présents des médecins, des représentants d’associations et des journalistes.

En réalité, ce groupe a toujours eu un fonctionnement scandaleux ; quelques réunions ont eu lieu en 2003, une en 2004, aucune en 2005… En 2006, un certain nombre de participants croyaient la commission morte et enterrée. Ces réunions organisées de façon totalement aléatoires n’étaient pas, pour la plupart, précédées d’ordre du jour ni ne donnaient lieu à un compte rendu. Elles étaient totalement soumises au bon vouloir de M. Aurengo qui a profité de cette commission pour régler ses comptes avec l’IRSN. Il l’accusait d’avoir, dans sa dernière carte, donné une vision trop pénalisante de la contamination post Tchernobyl en France. Un comble !

Les membres de la commission n’ont jamais donné aucun mandat à M. Aurengo.

C’est après les dernières réunions qui furent houleuses qu’il a renoncé à réunir cette commission. M. Miserey, journaliste, avait donné sa démission. L’ACRO avait également menacé de le faire devant l’inanité des travaux, la partialité affichée par M. Aurengo et le manque de moyens donnés à la commission : là où il aurait fallu un travail de contre-expertise d’envergure, il n’y avait même pas de quoi payer les frais de route des participants !

M. Aurengo a donc œuvré, seul, au sein de l’IRSN, sous prétexte d’agir dans le cadre des travaux du groupe de travail. Pourtant il n’avait aucun mandat particulier pour agir ainsi, ni gouvernemental ni de son groupe. L’argumentaire selon lequel, il aurait été pris par le temps nous paraît totalement fallacieux. La commission existait depuis 3 ans, mais elle est devenue fantôme par la volonté de son président, seul habilité à la convoquer. Souhaitait-il avoir les mains libres et s’en servir comme paravent pour produire un énième rapport personnel sur les conséquences de Tchernobyl ? Probablement, et ce serait une grave imposture.
La mission gouvernementale a été totalement trahie : Le sens de ce travail reposait sur sa pluralité. Un des objectifs recherché par les pouvoirs publics était, entre autres, d’avoir un rapport sur Tchernobyl, un peu moins contesté que d’habitude.

Le Pr Aurengo a donc rédigé seul ce rapport. Il a été remis aux Ministres le 18 avril 2006. Les membres de la commission n’en ont eu connaissance que le 24 avril au matin par un courrier électronique accompagné du dit rapport. Le courrier du Pr Aurengo, aux membres de la commission explique que ce rapport a été rédigé « en son nom propre, […] avec l’accord des Ministres et dont j’assume toute la responsabilité ». Or, comble de la malhonnêteté cela n’apparaît aucunement dans le rapport qui est voué à être rendu public.

Nous sommes associés de fait à ce rapport remis aux Ministres par M. Aurengo. Ainsi l’amalgame entre ce document et le travail de la commission paraît évident au public. Nous apparaissons comme coauteurs, bien malgré nous. Seule une lettre privée, qui par ailleurs nous congédiait, explique notre non-implication dans ce travail. La fourberie est manifeste.

Pour une démarche participative de qualité : La pluralité, la transparence, la tolérance d’opinions divergentes sont nécessaires. M. Aurengo n’en a que faire ! Du mandarinat à l’autocratie, il a largement franchi le pas et dans ses certitudes n’a que faire de l’avis d’autrui. Ce n’est pas avec ce genre de conduite que la parole publique retrouvera un minimum de crédibilité quand il s’agit de nucléaire, en général et de Tchernobyl en particulier.

Nous sommes scandalisés et tenons à dénoncer les manœuvres honteuses orchestrées par le Pr Aurengo.
Nous demandons au gouvernement de ne pas tenir compte de ce rapport.

Ce communiqué est signé par les membres, du groupe de travail « sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France », suivants :
Pierre-Jacques Provost, journaliste
Michel Deprost, journaliste
Pour l’ACRO : Sibylle Corblet Aznar, Jean-Claude Autret

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Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Le carbone 14 dans l’environnement des usines de retraitement de La Hague

Le projet de loi sur les déchets nucléaires est inacceptable

Communiqué de presse commun ACRO et GSIEN du 28 mars 2006


Le projet de loi présenté le 22 mars en conseil des ministres ignore les conclusions du débat sur les déchets nucléaires et est donc inacceptable pour l’ACRO et le GSIEN. Pourtant, le représentant du Ministère de l’Industrie concluait le dernier débat à Lyon en insistant sur la nécessité de solutions « réversibles » et son « refus d’être piégé dans des solutions sans alternatives » avant de déclarer : « la copie qui va sortir de chez nous est différente de ce que nous aurions fait il y a quatre mois »… On a failli le croire.

Dès l’article 1er, la définition de « déchets radioactifs [qui] s’entend de matières radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue » est trop restrictive et ouvre la porte à de nombreux abus. En effet, sous prétexte que certaines matières sont hypothétiquement recyclables, elles ne sont pas considérées comme déchets, même si dans les faits, elles ne sont pas recyclées et ne le seront jamais. Nous proposons donc plutôt de considérer comme déchet radioactif, toute matière radioactive non utilisée dans un délai à fixer. Cela va au-delà des problèmes de taxe, car seuls les « déchets » étrangers sont interdits de stockage en France. Nous souhaiterions aussi qu’il soit interdit de stocker à l’étranger des déchets français.

Les solutions proposées à l’article 2 sont aberrantes. Ni le traitement, ni le conditionnement des combustibles usés ne réduisent la quantité de déchets radioactifs. Généraliser le traitement est absurde car le plutonium s’accumule actuellement « sur les étagères », comme presque la totalité de l’uranium de retraitement. Par ailleurs, la vitrification en fin de procédé est irréversible dans le sens où elle interdit toute reprise ultérieure des verres. Ce choix technologique est en contradiction avec la continuation des recherches sur la séparation-transmutation.

Ce même article décide du « stockage en couche géologique profonde » alors qu’aucune garantie scientifique ne permet d’affirmer que cette solution soit réalisable. Dans son dernier rapport, la Commission Nationale d’Evaluation précise que « les conditions d’une éventuelle décision finale de réalisation d’un stockage [souterrain] ne sont pas encore réunies. » Par ailleurs, le débat national sur les déchets a montré un fort rejet de cette solution par la population. Quant à la réalisation d’un « prototype d’entreposage pérennisé » recommandé par la Commission Nationale de Débat Public (CNDP), il n’est pas rendu obligatoire par la loi. Les études et recherches sur l’entreposage « pour répondre aux besoins, notamment en termes de capacité et de durée » du projet de loi ne sont pas celles pointées lors du débat.

Par ailleurs, nous pensons que les efforts de recherche sur l’axe séparation-transmutation sont trop onéreux par rapport aux espoirs potentiels de cette solution. Comment justifier l’exposition des travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain sans protéger pour autant les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? En effet, « la CNE considère, dans son dernier rapport, que finalement la séparation-transmutation répond au principe de précaution de la charte de l’environnement plutôt qu’à la recherche d’une diminution du risque réel dû à la présence en profondeur des déchets. » Surtout, cette voie nécessite de prendre pour option de continuer le nucléaire sans prendre la mesure sur la quantité de déchets qui en résultera.

Si nous saluons la prise en compte des autres déchets dans la loi avec des échéances précises, nous regrettons que les solutions demandées ne soient pas expertisées par la commission nationale d’évaluation ni débattues par le public.

Le public est le grand oublié de ce projet de loi, même si au niveau européen et international (convention d’Aarhus) son avis doit être pris en compte. Si une Commission Locale d’Information et de Suivi est prévue pour le « laboratoire souterrain », rien n’est prévu pour les centres où l’entreposage doit être étudié. De même, nous demandons que pour le plan national de gestion des matières nucléaires et déchets transmis tous les trois ans au Parlement soit organisé une véritable consultation du public. Cela signifie que tous les autres rapports demandés aux exploitants soient aussi rendus publics. Enfin, la commission nationale d’évaluation devrait être ouverte à la société civile pour tenir compte de l’avis des citoyens.

ACROAssociation pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
138, rue de l’Eglise
14200 Hérouville St Clair
https://acro.eu.org
tél : 02 31 94 35 34
GSIENGroupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire
2 rue François Villon
91400 Orsay
tél : 01 60 10 03 49

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