Départs médiatiques et arrivées secrètes à l’usine Cogema de La Hague

Extrait de la revue de presse de l’ACROnique du nucléaire n°53, juin 2001


Bras de fer entre la COGEMA et Greenpeace à propos d’un convoi maritime à destination du Japon de combustible Mox fabriquée à l’usine Belgonucléaire de Dessel (Belgique). L’association estime cette cargaison à haut risque, car elle renferme 220 kg de plutonium, de quoi fabriquer une vingtaine de bombes atomiques. Le plutonium contenu dans le MOX n’est pas de qualité militaire, rétorque Claude Jaouen, directeur adjoint de COGEMA sans plus d’arguments. Pourtant, lors de ces missions, les navires sont lourdement armés. En juillet 1999, lors d’un précédent voyage, le Pacific Pintail et le Pacific Teal étaient équipés de canons de 30 mm et accompagnés de commandos de marine. Au Japon aucun réacteur n’est autorisé à fonctionner avec ce type de combustible.

La police est intervenue à Cherbourg pour déloger des manifestants de Greenpeace qui bloquaient l’accès à la gare maritime. Les manifestants ont été appréhendés et un abri de parpaings qu’ils avaient construit sur la voie a été déblayé à l’aide d’un bulldozer. Trois militants, ont été interpellés et mis en examen pour “mise en danger de la personne humaine, destruction de biens publics et obstruction à la circulation ferroviaire”. Une autre action menée parallèlement par Greenpeace à Valognes, toujours dans la Manche, se poursuivait au même moment. L’organisation écologiste a été assignée en référé au tribunal de Cherbourg par la Cogema et Transnucléaire, sa filiale transport. Les plaignants ont réclamé 100.000 F par infraction constatée si des militants s’approchent à moins de 300 m des bateaux et moins de 100 m du convoi terrestre. Le second référé, déposé par les sociétés BNFL et PNTL, homologues britanniques, à qui Cogema a confié la charge du transport de MOX, concerne Greenpeace international, Greenpeace France et Yannick Rousselet, et demande, selon les mêmes termes, 350.000 F par infraction constatée. (AFP, 13, 14, 15 et 17 janvier 2001 et Libération, 15 janvier 2001)

Le combustible Mox a finalement rejoint directement la gare maritime de Cherbourg sans passer par Valognes le 16 janvier. Les conteneurs étaient protégés par un important dispositif de sécurité, réparti le long du parcours et encadrant le convoi. Le dispositif était composé notamment du policiers du RAID, d’unités du Groupement d’intervention de la police nationale, d’un Elément Léger d’Intervention (ELI) de la gendarmerie mobile, des renseignements généraux, des commandos marine et d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS). Pendant ce temps, trois militants de Greenpeace étaient toujours enchaînés à la grille d’entrée routière du terminal ferroviaire de Valognes. Le lendemain, les militants de Greenpeace ont tenté d’empêcher l’arrivée à Valognes d’un convoi de combustibles nucléaires usés en provenance de la centrale de Borselle aux Pays-Bas. (AFP, 16, 17 et 18 janvier 2001)

Coup d´éclat de Greenpeace le 19 janvier à Cherbourg : malgré un important dispositif militaire, trois canots pneumatiques de l´organisation ont réussi à rentrer dans le port à 9 h 30, lâchant quatre plongeurs qui ont brandi des écriteaux dénonçant le Mox avant d´être appréhendés. Le tribunal de cette ville a, le 17 janvier, enjoint l´association écologiste de ne pas approcher du cargo à quai sous peine d´une amende de 350 000 F. L´association aura néanmoins effectué un baroud d´honneur, ridiculisant les forces armées gardant l´entrée du port. (Le Monde, 20 janvier 2001) Les 14 militants de Greenpeace arrêtés à Valognes lors de l’arrivée du convoi en provenance des Pays-Bas ont été condamnés à des peines d’amendes variant entre 5.000 et 10.000 francs, mais relaxés du chef de mise en danger de la vie d’autrui. L’avocat de la Cogema avait demandé 50.000 francs de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par la compagnie et le substitut du procureur de Cherbourg avait requis 12 mois de prison avec sursis et 5.000 francs d’amende à l’encontre des militants de l’organisation écologiste. Trois des prévenus ont été condamnés pour “dégradation de biens publics” et à des amendes de 10.000 francs chacun. Ils devront également verser environ 40.000 francs de dommages et intérêts, notamment à la Cogema et à la mairie de Valognes. Les onze autres prévenus, condamnés pour “entrave à la circulation ferroviaire”, ont écopé d’amendes de 5.000 francs chacun. (AFP, 2 février 2001)

« En règle générale les organisations militantes ne sont pas très argentées, explique Bruno Rebelle, Directeur de Greenpeace France. L’essentiel de leurs ressources est affecté à l’action de terrain, au lobbying, à l’élaboration de dossiers techniques solides, base indispensable des interpellations qu’elles conduisent. Aussi leurs réserves financières sont rarement confortables. Les autorités et les capitaines d’industrie, qui sont souvent la cible de ces organisations, ont vite compris qu’il y avait là un point de faiblesse qu’ils pouvaient tourner à leur avantage. Le 16 janvier 2001, Greenpeace est une nouvelle fois condamnée à l’amende avant même d’avoir effectivement entravé les activités de la Cogéma – Compagnie générale des matières nucléaires -. Cette fois le tribunal va bien au delà de la sanction demandée, en portant la peine d’amende de 100.000 FF à 350.000 FF. L’organisation écologiste rappelle que l’article 5 du Code de procédure pénale stipule que “le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement ce qui est demandé”. On peut, dès lors, s’interroger, face à une telle position : la justice n’outrepasse-t-elle pas sa mission en protégeant les intérêts privés de l’industrie nucléaire au dépend de la préservation de la liberté d’expression et de contestation ? »

Sydney : un convoi transportant une cargaison de déchets nucléaires dans les rues de Sydney a été escorté par la police jusqu’à un bateau à destination de la France, en dépit des protestations d’organisations écologistes. Cela a aussi irrité la Nouvelle-Zélande. Le ministre des Affaires étrangères a estimé que son pays n’avait pas reçu d’informations suffisantes ajoutant “que la Nouvelle-Zélande voulait un système spécifique de notification, l’application des plus grandes mesures de sécurité possibles ainsi que l’assurance de compensations éventuelles”. Il a également indiqué que “son pays était opposé à tout passage de bateaux contenant des matériaux nucléaires près de ses côtes”. Il a précisé qu’il n’était pas envisagé que ce bateau y passe. La cargaison de combustible MOX en provenance de Cherbourg et à destination du Japon, doit en revanche traverser la mer de Tasmanie pendant la saison des cyclones dans cette région. (AFP, 23 janvier 2001) Le combustible irradié australien envoyé en France est issu d’un réacteur de recherche. Il s’agit de 360 “éléments combustibles usés”, transportés dans cinq emballages de 20 tonnes chacun, sur 1.300 éléments prévus. Un premier transport a déjà eu lieu entre novembre 1999 et janvier 2000. Le contrat de retraitement de ces matières a été avalisé par un échange de lettres entre les gouvernements français et australien daté du 27 août 1999, mais les usines de la Hague ne sont pas autorisées à retraiter ce combustible d’un type particulier. Son entreposage en France pourrait donc être assimilé à un stockage. Or, la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs n’autorise la présence en France de déchets étrangers que s’ils sont destinés au retraitement : son article 3 dispose en effet que ” le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement. ” Même sans autorisation, la COGEMA affirme que le combustible usé sera retraité et conditionné par l’usine de La Hague, avant d’être renvoyé en Australie “pour entreposage et stockage définitif”. (Le Monde, 6 mars 2001 et AFP 9 mars 2001)

Allemagne : Selon un communiqué de presse de Matignon, le Premier ministre français et le chancelier allemand se sont mis d’accord sur la reprise des transports des déchets nucléaires entre les deux pays. “Un premier retour de déchets vitrifiés vers l’Allemagne aura lieu à la fin du mois de mars ou début avril. Alors pourra reprendre le cours normal des transports vers la France des combustibles usés provenant des centrales nucléaires allemandes, qui seront traités à La Hague (Manche), puis réexpédiés vers l’Allemagne”, précise le communiqué en citant un accord établi “sur la base des conclusions du groupe de travail mis en place à la suite du sommet de Vittel en novembre dernier.” Il a été convenu que d’autres transports seraient organisés chaque année, au rythme minimum de deux transports par an”. (AFP, 1er février 2001) Cogéma se réjouit parce l’Allemagne représente 20 % du chiffre d’affaires de La Hague. Celle-ci doit encore livrer 2 000 tonnes de combustibles à retraiter. Soit près des deux tiers de l’activité industrielle du site normand dont le niveau de charge n’est plus aussi florissant que par le passé. (Ouest-France 2 février 2001)

Transports secrets

Pendant l’été 2000, la France a accueilli dans la plus grande discrétion quatre transports de déchets nucléaires allemands vers La Hague. Selon Wise-Paris, ces importations découlent d’un contrat signé en octobre 1997 entre la Cogema et DWK, un consortium de compagnies allemandes d’électricité. Il prévoyait d’évacuer et de retraiter un stock de rebuts de Mox restant à l’usine d’Hanau (dans le Hesse), une usine de fabrication de Mox à l’arrêt depuis 1991. Les autorités allemandes ont autorisé une série de quinze transports avant le milieu de l’année 2001. Onze resteraient donc à effectuer. La Cogema ne dément pas ces informations mais précise qu’il s’agit de combustible neuf, au sens où il n’a pas été irradié et qu’elle va le retraiter, comme elle le fait pour les rebuts de l’usine française Melox. En fait, le statut des matériaux importés est très discutable. Ils ont été façonnés à partir d’un stock de rebuts de fabrication de Mox, comprenant environ 840 kg de plutonium, et accumulés dans l’usine de Hanau entre 1969 et 1991, ainsi que d’environ 60 kg de plutonium liquide provenant d’un réacteur de recherche de Karlsruhe, également arrêté. Son directeur, Helmut Rupar, indique au Monde que le matériel en cause “constitue un déchet qui ne peut être utilisé comme combustible. Il comprend beaucoup d’impuretés, surtout de l’américium.” Le plutonium 241 se décompose en effet, sur une période assez courte (quatorze ans) en américium 241, un élément qui présente une radioactivité alpha et gamma importante, et qui n’a pas d’utilisation. L’affaire est d’autant plus étonnante que la Cogema n’a pas reçu l’autorisation de retraiter ces matériaux dans ses usines de la Hague. Rappelons que la loi de 1991 interdit le stockage de déchets nucléaires étrangers en France. (Le Monde, 14 février 2001) Suite à cette affaire, la Cogéma se retrouve assignée en référé par Didier Anger, conseiller régional Vert de Basse-Normandie et le CRILAN (Comité de réflexion, d’information et de lutte anti-nucléaire). Leur avocat s’appuie sur une lettre d’André-Claude Lacoste, directeur de la sûreté des installations nucléaires qui assure que “la Cogema n’est actuellement pas en possession d’une autorisation de traiter les lots d’assemblages en provenance de Hanau”. Selon lui, ce traitement éventuel “nécessiterait de la part de la DSIN une autorisation spécifique”, mais “la Cogema n’a pas à ce jour demandé l’autorisation de traiter le lot d’assemblages”. (Le Monde, 6 mars 2001) Lors de l’audience en référé, la Cogema a notamment insisté sur l’irrecevabilité du CRILAN en tant qu’association agréée pour se pourvoir en justice. Elle a été suivi par le tribunal, le comité n’ayant pas dans ses statuts l’autorisation de se pourvoir en justice pour ce cas précis. Didier Anger a lui aussi été débouté sur la forme. (AFP, 20 et 21 mars 2001)

Depuis plusieurs années, près de cinquante tonnes de combustible Mox irradié allemand sont stockées à la Hague sans autorisation de retraitement. Utilisé depuis une dizaine d’années dans les réacteurs nucléaires allemands et français, ce mélange d’uranium et de plutonium permet de recycler une partie du plutonium issu de l’usine de la Hague mais, après son irradiation, il est beaucoup plus chaud et beaucoup plus radioactif que le combustible standard à l’uranium, déjà considéré comme très dangereux. Ces 48,8 tonnes de Mox usé allemand entreposées dans les piscines de la Hague représentent une quantité importante : à titre de comparaison, il s’agit du tiers du Mox usé d’EDF entreposé dans les mêmes conditions (158,9 tonnes). Il est constitué de 112 “assemblages” : 50 sont parvenus à la Hague entre novembre 1988 et la fin de l’année 1991 et 62 entre début 1992 et février 1998. Cette information a été fournie par la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) au Monde, qui a été alerté par une publication du Gesellschaft für Anlagen und Reacktorsicherheil (GSR), l’équivalent allemand de la DSIN. Les experts ne cachent pas que ce retraitement, s’il devait se produire un jour, n’interviendrait pas avant plusieurs dizaines d’années.

De toute façon, l’établissement de la Cogema, à la Hague, n’a pas l’autorisation de retraiter le Mox irradié. Ses deux usines les plus modernes, UP2800 et UP3, ne retraitent que le combustible usé à base d’uranium. Apparemment, ce retraitement n’est en outre pas souhaité par la Cogema : dans une lettre adressée le 20 septembre 1999 à Dominique Voynet, la ministre de l’environnement, la PDG de la Cogema, Anne Lauvergeon, retirait les combustibles particuliers, dont le Mox, de sa demande de modification des décrets sur le fonctionnement de ces deux usines, indiquant qu’une “demande d’autorisation” serait déposée le moment venu. Depuis, aucune demande n’a été faite ni ne semble devoir l’être prochainement.

Une autre voie théorique de retraitement du Mox irradié allemand pourrait être la troisième usine de La Hague, UP2400, “déclarée” en 1964 et dont le cadre juridique est très lâche. Cependant, elle est âgée de près de quarante ans, a connu plusieurs incidents de fonctionnement et ne traite depuis 1994 que des quantités faibles de déchets nucléaires. La DSIN ne dissimule pas son souhait de voir fermer UP2400 le plus tôt possible. L’usine est d’ailleurs à l’arrêt depuis 1998 et son redémarrage éventuel imposerait peut-être une nouvelle enquête publique. Le décret n° 63-1228 sur les installations nucléaires exige en effet une nouvelle procédure d’autorisation des usines nucléaires quand elles n’ont pas été exploitées pendant deux ans.

En raison de ces difficultés, il est probable que les 50 tonnes de Mox allemand stockées à l’usine de la Hague ne seront jamais retraitées. S’agit-il pour autant d’un “déchet” radioactif, c’est-à-dire d’une “substance radioactive pour laquelle aucun usage n’est envisagé”, comme le précise la Règle fondamentale de sûreté du 24 septembre 1982 ? Pour Marie-Hélène Lagrange, de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), “des combustibles usés qui ne sont pas destinés au retraitement sont des déchets.” Dans cette logique, les Mox irradiés allemands stockés à la Hague sont des déchets.

Pour Christian Bataille, député (PS), rapporteur de la loi de 1991 sur les déchets radioactifs, “le stockage en France de Mox allemand bafoue l’esprit de la loi”. Et d’ajouter, “il ne faut accepter en France que du combustible dont le retraitement est programmé. Les autorités et les parlementaires ne veulent en aucun cas stocker en France du combustible non retraité d’origine étrangère. Or il est clair que le retraitement du Mox irradié n’est pas rentable. On est en situation de surabondance de combustible tant en France qu’en Allemagne.” Le texte de 1991 ne contient malheureusement aucune sanction en cas d’infraction et n’a pas reçu de décrets d’application. (Le Monde, 6 mars 2001)

En 1994, la loi allemande a changé, autorisant soit le retraitement soit l’enfouissement des combustibles irradiés. Les compagnies ont donc renégocié leurs contrats avec COGEMA et BNFL. Selon des experts proches des agences de sûreté nucléaire qui ont vu les contrats, les nouveaux termes autorisent ces compagnies à entreposer leur combustible irradié dans les usines de retraitement de La Hague et de Sellafield pendant 25 ans avant de décider si elles le feront retraiter ou non. Si elles ne le font pas retraiter, le combustible irradié sera rapatrié en Allemagne, des frais d’entreposages seront payés, mais aucune pénalité n’est prévue. Ces contrats concernent le combustible irradié produit jusqu’en 2005 avec une possible extension jusqu’en 2015. (The Bulletin of the Atomic Scientists, mai/juin 2001).

Bras de fer juridique

Dans ce contexte de révélations en chaîne, l’arrivée de nouveaux combustibles étrangers, que la Cogema n’est pas autorisée à retraiter, est une provocation. Avant même l’arrivée du combustible nucléaire australien, la Cogema a assigné en référé Greenpeace devant le TGI de Cherbourg. Elle demande de “faire interdire à Greenpeace ainsi qu’à toute personne se réclamant du mouvement Greenpeace de s’approcher à moins de 100 m des convois de combustible australien et ce sous astreinte de 500.000 F par infraction constatée”. Greenpeace a retourné le référé en demandant à la Compagnie de prouver qu’elle avait bien l’autorisation de retraiter ces combustibles étrangers. Devant le tribunal de Cherbourg l’avocat de Cogema, a fourni les termes du contrat signé en 1999 avec l’Australie. L’industriel peut transporter, recevoir et entreposer les combustibles étrangers mais il n’est nullement autorisé à les retraiter. Ce dont convient la Cogema : “Nous ne solliciterons l’autorisation qu’après l’extension [en cours] du décret de 1974.” Ce décret, fort peu précis, donnait une autorisation globale de retraitement à la première usine de la Hague UP2 400. En sommeil depuis 1998, elle est inapte à retraiter les nouveaux combustibles sans lourdes modifications. Cogema espère donc de nouvelles autorisations de retraitement pour ses unités plus modernes, UP2 800 et UP3. (AFP, 13 mars et Ouest-France 14 mars 2001)

La Cogema a été déboutée et condamnée à produire les documents réclamés par Greenpeace. Le tribunal a considéré qu’elle et sa filiale transport, Transnucléaire, n’avaient pas fait la preuve qu’il y aurait perturbation du convoi en provenance d’Australie et l’a condamnée par contre à produire les pièces réclamées par l’organisation écologiste. La Cogema devra donc fournir à Greenpeace les “dispositions parapluie” prises entre la compagnie et son client australien, ANSTO, le 15 octobre 1999, ainsi que les annexes à la demande d’autorisation formulée à la direction de surveillance des installations nucléaires (DSIN) du 2 février 2000, le tout sous peine de 100.000 F d’astreinte par document et par jour sous un délai de huit jours maximum. Le calendrier de retraitement des déchets australiens, réclamé par Greenpeace, n’a par contre pas été demandé par le tribunal, la Cogema ayant fait la preuve de l’impossibilité de fournir ce document, aucun calendrier n’existant officiellement. (AFP, 14 mars 2001)

Le même jour Greenpeace a déposé au tribunal de Cherbourg un référé d’heure à heure à l’encontre de la Cogema pour empêcher le débarquement des combustibles australiens considèrant leur arrivée des déchets comme illégale. Ce type de combustible, composé d’uranium naturel enrichi à 23%, n’a jamais été retraité dans les usines Cogema à La Hague. Le lendemain, le tribunal de Cherbourg donne gain de cause à Greenpeace et assujettit son interdiction d’une astreinte de 100.000 F par élément de combustible radioactif qui aurait été déchargé sur le territoire français, renouvelable par période d’une semaine tant que ces combustibles irradiés n’auront pas quitté le territoire français ou n’auront pas reçu les autorisations nécessaires à leur retraitement. La Cogema a fait appel en affirmant sans vergogne que “tous les combustibles entrant sur le site de La Hague sont destinés à y être traités et en aucun cas stockés, ce qui serait contraire aux règles régissant le fonctionnement de l’établissement et la loi du 30 décembre 1991” ! (AFP, 14 et 15 mars 2001) La cour d’appel de Caen a cassé le jugement du tribunal des référés de Cherbourg et débouté Greenpeace en autorisant le débarquement des déchets australiens. (AFP, 3 avril 2001)

Greenpeace a déposé une assignation à jour fixe dans laquelle elle attaque la Cogema sur le fond du dossier et réclame 150.000 F de dommages et intérêts, “l’interdiction de toute nouvelle importation de combustible usé australien” sur le sol français et que la Cogema produise les autorisations nécessaires au retraitement de ces combustibles en conformité avec l’article 3 de la loi Bataille de 1991. Si ces autorisations ne sont pas fournies par la Cogema, Greenpeace demande à ce que les combustibles australiens repartent vers leur pays d’origine dans les deux mois sous peine d’une astreinte de 100.000 F par semaine et par élément de combustible entreposé sur le territoire français. (AFP, 17 avril 2001) Le jugement a été mis en délibéré au 25 juin, date à laquelle le tribunal décidera s’il est compétent ou non pour juger l’affaire sur le fond, ou si celle-ci relève du tribunal administratif de Caen. (AFP, 21 mai 2001)

Comble de malchance, l’une des deux usines de retraitement, l’unité UP2-800 a connu à la même période un incident majeur sur le plan technique. Elle a été stoppée le 21 février et n’a redémarré que le 12 avril. Une fuite a été découverte dans l’atelier de cisaillement des combustibles irradiés qui est entièrement hermétique où nul homme ne peut survivre plus de quelques minutes. Une fissure de quelques millimètres sur une goulotte de transfert de l’atelier de cisaillement vers l’atelier de dissolution bloque tout le système de retraitement. L’autre usine, UP 3, étant en révision, tout le site de la Hague est en panne. Ses salariés redoutent même le chômage technique. (Ouest-France 14 mars 2001, Le Monde, 16 mars 2001 et AFP 12 avril 2001) L’activité de retraitement de la Cogema constitue environ 50 % de son chiffre d’affaires et ses clients sont de plus en plus réticents à recourir à ses services. L’intérêt économique a été jugé très discutable par le rapport Charpin-Dessus-Pellat, remis au premier ministre en juillet 2000. C’est pour assurer le fonctionnement de cette usine que la Cogema cherche à multiplier les commandes de combustibles non standard, tels que les rebuts de Mox de l’usine de Hanau (Allemagne) ou les combustibles irradiés australiens. Ce type de matières représente des volumes assez faibles, mais leur dangerosité impose des opérations de retraitement spécifiques. Cette opération induit donc un chiffre d’affaires plus élevé que lorsqu’il s’agit de combustibles issus des réacteurs produisant de l’électricité. On compte environ deux cent cinquante réacteurs nucléaires de recherche dans le monde, dont un grand nombre va bientôt fermer, sans que leurs exploitants aient toujours une vision claire du devenir de leurs combustibles usés. La proposition de la Cogema est donc attractive. (Le Monde, 16 mars 2001).

Dans ce contexte, la tension est montée d’un cran. Lors de l’audience du 20 mars, les repésentants du CRILAN ont dû accéder au Tribunal de sous protection policière car des travailleurs de la COGEMA ont tenté d’en bloquer l’accès. (Libération, 20 mars 2001)

Epilogue

Au total, l’Allemagne doit encore rapatrier l’équivalent de 166 emballages de type “Castor” contenant des déchets hautement radioactifs, dont 127 en provenance de La Hague et 39 en provenance de Sellafield, assure le ministère de l’Environnement allemand. Sachant qu’un transport de déchet comprend en général six emballages Castor, il faudrait encore 14 ans, à raison de deux transports par an, pour rapatrier la totalité du stock de déchets allemands à l’étranger. Etant donnée l’ampleur des manifestations provoquées, chaque transport mobilise des dizaines de milliers de policiers. (AFP, 23 mars 2001) A cela s’ajoutent les déchets faiblement et moyennement radioactifs oublié par les autorités et la presse. Malgré ces retours difficiles, cinq emballages (24 t) de combustible usé allemands sont arrivés à La Hague après avoir fait face à de nombreuses petites manifestations tout au long du trajet. La Cogema espère accueillir une dizaine de convois similaires cette année. (AFP, 11 avril 2001) Le Réseau Sortir du Nucléaire dénonce à ce propos un marché de dupe.

Au Japon, les garde-côtes ont mobilisé des hélicoptères et des avions tandis que la police a mis à disposition environ 300 hommes pour surveiller la centrale lors de l’arrivée du combustible Mox accueilli par un millier de manifestants. (AFP, 24 mars 2001 et Libération, 26 mars 2001) Le premier chargement de combustible Mox, arrivé au Japon en septembre 1999, attend dans la piscine de la centrale de Fukushima en compagnie du combustible irradié. Tout un symbole… Ce nouveau chargement a rejoint, lui aussi, une piscine de déchets.


Lire aussi le communiqué de presse de l’ACRO sur le sujet : Cogéma ou la politique du fait accompli.

Ancien lien

COGEMA ou la politique du fait accompli

Communiqué de presse du 28 mars 2001

En important des combustibles irradiés qu’elle n’est pas sûre de pouvoir retraiter, la COGEMA viole la loi N°91-1381 du 30 décembre 1991 sur les déchets radioactifs. En effet, l’article 3 stipule que ” le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement “. La compagnie montre moins d’empressement à renvoyer les déchets A et B, pour lesquels aucune contrainte technique n’impose leur maintien sur le territoire français. L’ACRO condamne cette politique du fait accompli.

La signature d’un contrat de retraitement avec un pays étranger n’est pas une affaire banale. La population, exposée aux rejets radioactifs dans l’environnement est directement concernée. Elle l’est encore plus quand les combustibles sont issus de réacteurs de recherche et font courrir des risques accrus liés à leur fort taux d’enrichissement en uranium 235.

Selon le principe de justification de la législation européenne (article 6 de la directive EURATOM 96/29), ” toute nouvelle catégorie ou tout nouveau type de pratique entraînant une exposition à des rayonnements ionisants […doivent être justifiés] par leurs avantages économiques, sociaux ou autres par rapport au détriment sanitaire qu’ils sont susceptibles de provoquer “. Lors des enquêtes publiques de l’an 2000, l’exploitant demandait l’autorisation de retraiter des combustibles venant de réacteurs de recherche (MTR) et des combustibles Mox, sans justifier ces nouvelles pratiques. Dans ses commentaires, l’ACRO avait montré que cette lacune vis à vis du droit était sûrement due au fait qu’elles n’étaient pas justifiables. Nous avions aussi souligné la maigreur de l’étude de danger.

Depuis, aucun élément nouveau n’a été présenté au public, nous continuons donc à réclamer un débat public sur le bien-fondé du retraitement. En important du combustible de réacteur de recherche d’Australie et du combustible MOX d’Allemagne, alors même que le nouvel arrêté de création n’a pas été signé par les autorités, la COGEMA montre le peu de cas qu’elle accorde à l’avis de la population et des pouvoirs publics.

Notes :

Ancien lien

Etude préliminaire de la répartition de l’iode 129, effectuée en 1998, dans l’environnement de l’usine de retraitement de La Hague à l’aide d’une mousse terrestre : Homalotecium sericeum.

Etude ACRO (octobre 1999) dont les principaux résultats ont été repris dans l’ACROnique du nucléaire n°52, mars 2001.


Cette étude a été effectuée dans le cadre d’une convention passée entre l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (A.C.R.O.) et la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (D.S.I.N.). Elle constitue, pour l’année 1998, une extension au programme de surveillance mené par l’A.C.R.O. sur le plateau de La Hague. En effet, l’A.C.R.O. n’effectue des mesures régulières que pour le milieu aquatique continental et dispose de peu de données pour les autres écosystèmes. Avec le présent travail, des données nouvelles sont fournies sur les teneurs en iode 129, radioélément caractéristique du retraitement, observable chez un bio-indicateur atmosphérique reconnu de longue date et couramment utilisé pour traduire la qualité de l’air. Si l’ensemble des résultats permet d’établir une cartographie des teneurs en iode 129 dans La Hague, ce travail n’en constitue pas moins une démarche préliminaire destinée à alimenter la réflexion sur ce thème. Cette étude est un élément nécessaire pour définir une stratégie applicable à un travail de plus grande envergure qui permette de préciser la manière dont se répartit l’iode 129 “atmosphérique” dans la région de La Hague. En second lieu, elle constitue un support à la mise en place d’une future surveillance radiologique de l’air à l’aide de bio-indicateurs.

Les travaux du Groupe Radioécologique du Comité Nord Cotentin (cf dossier de l’ACROnique du nucléaire n°47) ont montré qu’en 1996, la dose efficace totale moyenne reçue par la population vivant dans les environs de l’usine COGEMA de La Hague est due principalement aux rejets dans l’atmosphère. Ces calculs de dose reposent sur un modèle  de rejet atmosphérique très approximatif qui n’a pas pu être validé par une comparaison avec des mesures dans l’environnement.

Un des éléments majeurs en terme de dose facilement détectable dans l’environnement est l’iode 129. Produit de fission présent dans les combustibles irradiés, il est presque entièrement rejeté dans l’environnement lors du retraitement. Les autres isotopes radioactifs de l’iode sont soit produits en faible quantité ou ont des durées de vie suffisamment courtes pour qu’il n’y ait pas d’accumulation. Celle de l’iode 129 est de 15,7 millions d’années.

Ce travail présente les résultats d’une étude sur la répartition (cartographie) de ce radioélément autour de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague à l’aide de 18 échantillons de mousses terrestres utilisées comme bio-indicateurs.


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Qualité radiologique des eaux marines et continentales du littoral normand

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°50, septembre 2000
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Sollicité par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie (Direction des Rivages Normands), le travail engagé par l’A.C.R.O. s’inscrit dans une démarche d’évaluation de la qualité radiologique des eaux marines et continentales du littoral normand. Dans cette perspective, des mesures de radioactivité ont été effectuées, non pas à proximité d’un émissaire (environnement déjà très surveillé) mais à plus grande échelle puisqu’en milieu marin, plus de 640 km de côtes sont concernés. Il s’agissait de fournir un bilan représentatif de l’état radioécologique, pour une année, de l’environnement marin (le long des côtes normandes) et des principaux cours d’eau qui l’alimentent.

Le rapport complet a aussi été publié sous forme de CD-Rom contenant de nombreuses études dans tous les domaines liés à l’eau et peut être commandé gratuitement auprès de l’A.E.S.N.


Présentation du travail engagé en 1997-98

Cette étude s’est articulée autour de deux campagnes de prélèvements effectuées entre avril 97 et février 98 : l’une au printemps et l’autre, en automne-hiver. Ceci, afin de répondre au souhait de la Direction des Rivages Normands de disposer d’un bilan représentatif d’une année.
En effet, de nombreux facteurs peuvent influencer dans le temps les résultats obtenus pour un indicateur en un lieu donné. On peut citer en exemple : le cycle biologique des espèces étudiées, les variations des caractéristiques physiques du milieu (salinité, température, etc.), les  variations d’activités rejetées par les installations nucléaires, l’évolution de la qualité des rejets, etc… Aussi, pour restituer le plus fidèlement possible l’état d’un milieu, on conçoit aisément la nécessité de répéter l’exercice.

A chaque campagne, des prélèvements ont été effectués à la fois le long du littoral normand au cours de pêches à pied, de Cancale (Baie du Mont St Michel) au Tréport  (limite de la Haute-Normandie), mais aussi dans des cours d’eau : la Risle, la Vire, la Douve, la Sienne, la Sélune, l’Orne, la Sainte Hélène, le Ru des Landes ou la Seine.

Concernant les polluants recherchés, nous n’avons mesuré que les radioéléments artificiels émetteurs d’un rayonnement gamma. L’intérêt de mesurer les ” émetteurs gamma artificiels ” est accru par le fait qu’ils représentent la plupart des polluants courants, et que de nombreux travaux ont été menés sur leur devenir en relation avec leurs caractéristiques physico-chimiques.
Parmi ceux-ci, une attention particulière a été portée sur l’iode 129 (129I). Ce radionucléide, apparu depuis une quinzaine d’année dans les rejets de l’usine de retraitement de La Hague (unique terme source industriel), n’est étudié que depuis peu ; il y a donc beaucoup moins d’informations que pour les autres émetteurs gamma. De plus, cet élément peut contaminer de grandes étendues en raison de sa mobilité.

Contexte

Outre ces aspects hydrodynamiques, la Manche est une ressource vivante, siège d’activités permanentes comme la pêche et les cultures marines et d’activités saisonnières comme le tourisme littoral. Elle est également, comme toute masse d’eau qui baigne les côtes d’un pays peuplé et industrialisé, un exutoire pour toutes sortes d’effluents, qu’ils soient issus de l’agriculture, de la collectivité ou de l’industrie, y compris de l’industrie nucléaire. A ce titre, la Manche et plus particulièrement les eaux du littoral normand recueillent les rejets d’effluents liquides d’installations nucléaires côtières depuis 1966. D’abord, avec la construction de l’usine de retraitement de La Hague et du Centre de Stockage de la Manche (Cotentin), puis, avec la création de l’arsenal à Cherbourg, et finalement, avec la mise en service des centrales électronucléaires de Flamanville, de Paluel et de Penly (soit huit réacteurs à eau pressurisée au total). Mais les eaux du littoral normand n’en sont pas moins influencées par d’autres sources. Le réseau hydrographique, dense, draine des substances radioactives consécutives aux retombées antérieures et postérieures à l’accident de Tchernobyl mais également aux rejets de diverses structures, qu’elles soient hospitalières, de recherche ou industrielles. De même, les eaux atlantiques qui pénètrent en Manche présentent une radioactivité artificielle rémanente.

Carte des installations nucléaires ayant des rejets radioactifs influençant la Manche

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Enquêtes publiques au Centre de retraitement de la Hague : commentaires de l’ACRO

Rapport complet

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000


La Cogéma a fait une demande d’autorisation de modification de ses usines de retraitement de La Hague qui a été soumise à enquête publique du 2 février au 17 mai 2000. L’ACRO a remis un rapport avec ses commentaires dont nous reprenons ici l’introduction et les conclusions. Le rapport complet a été publié dans l’ACROnique du nucléaire n°49 de juin 2000 ou peut être directement téléchargé au format pdf.


 

Introduction

Devant faire face à une baisse de ses commandes, la COGEMA souhaite augmenter la capacité de retraitement de ses deux usines afin de pouvoir en fermer une momentanément si nécessaire. Elle demande aussi à être autorisée à retraiter des combustibles plus irradiés, combustibles MOx ou provenant de réacteurs de recherche (MTR). La demande formulée par l’exploitant pourra surprendre car il ne s’agit pas, de façon spécifique, d’une nouvelle demande d’autorisation de rejet, en vertu du décret de 1995, mais bien d’une demande de modification de l’arrêté du 12 mai 1981 visant à étendre le fonctionnement actuel des installations (INB 116-117-118) et, tout particulièrement, à autoriser le retraitement de nouveau combustibles dont les caractéristiques sont éloignées de celle pour lesquelles ces installations ont été conçues. Ces demandes doivent être accompagnées d’une étude de danger et d’impact environnemental de ces nouvelles activités. En outre, le gouvernement a affirmé vouloir réduire autoritairement les autorisations de rejet à l’issue des enquêtes publiques. Nous allons donc donner aussi notre avis sur le sujet.

L’ACRO a participé pendant deux ans au travaux du Groupe Radioécologie du Comité Nord Cotentin (GRNC dans la suite), ce qui lui permet d’avoir un regard critique sur le dossier d’impact déposé par l’exploitant. L’étude de danger soumise à enquête est très maigre et peu détaillée ; elle repose sur un rapport préliminaire de sûreté auquel nous n’avons malheureusement pas accès. Ce fait rend l’examen critique plus difficile.

Les principes de radioprotection de la publication n°60 de la CIPR, qui ont été repris par la législation européenne concernant l’exposition des travailleurs et de la population sont :

  1. Le principe de justification : une pratique induisant une exposition aux rayonnements ionisants n’est acceptable que si elle procure un bénéfice aux personnes exposées ou à la société ;
  2. Le principe d’optimisation : si cette pratique est justifiée, le détriment subit doit être aussi faible que possible ;
  3. Le principe de limitation de dose et de risque : l’ensemble des doses reçues par les individus doit conduire à un risque inférieur aux limites jugées comme socialement acceptables.

C’est au regard de ces trois principes que nous avons étudié les dossiers d’enquête publique déposés par COGEMA.

Au risque radiologique s’ajoute le problème des rejets chimiques qui fait l’objet d’un chapitre particulier.

[…]

En résumé et conclusion

Nous pensons que l’étude de danger devrait être plus détaillée, comporter des développements relatifs à divers scénarios d’accidents envisageables et tenir compte des effets combinés des modifications demandées par l’exploitant. Par ailleurs, bien que cette pratique (retraitement de nouveaux combustibles et matières) nous apparaisse non justifiée, si l’autorisation était donnée, il nous semble nécessaire d’imposer des limites précises aux quantités totales et relatives de combustibles MOx et MTR retraitées. Nous demandons que le retraitement des nouveaux combustibles soit justifié, conformément à la directive européenne.

L’article 6.2 de la directive EURATOM stipule : ” La justification des catégories ou types de pratiques existants peut faire l’objet d’une révision chaque fois que des connaissances nouvelles et importantes concernant leur efficacité ou leur conséquences sont acquises “. Nous estimons que le travail fait par le GRNC constitue une connaissance nouvelle des conséquences du retraitement. Nous demandons par conséquent que le retraitement des combustibles irradiés soit justifié, conformément à la directive européenne.

Concernant les rejets nominaux, il apparaît que la marge (différence nominal – réel) dont l’exploitant souhaite disposer est tout à fait conséquente. Compte tenu, d’une part, du niveau actuel très élevé des rejets des installations de retraitement et, d’autre part, des projets développés ici qui contribueront à l’évidence à une augmentation de ces rejets, l’ACRO considère très clairement que l’acceptation des rejets nominaux irait à l’encontre de la convention OSPAR signée par la France. En outre, le projet présenté par COGEMA ne satisfait pas le principe d’optimisation de la directive européenne : il est tout à fait envisageable à l’exploitant de réduire d’avantage ses rejets.

Pour ce qui est de la réduction de l’impact sanitaire pour les populations voisines, la démonstration de l’exploitant n’est pas convaincante compte-tenu des projets exposés et de leurs conséquences en matière d’augmentation de rejets. Dans ce contexte, il doit être souligné que la valeur de 30 microSv retenue par COGEMA comme seuil d’impact sanitaire nul est en contradiction avec l’hypothèse de la “linéarité sans seuil” admise par les comités scientifiques internationaux (CIPR, BEIR…).

Le choix des groupes de référence retenus par l’exploitant est éminemment contestable. Tout particulièrement, COGEMA devrait, à l’instar du Comité radioécologie Nord-Cotentin, considérer que des pêcheurs exercent dans la zone des Huquets. Par ailleurs, les régimes alimentaires des groupes de référence choisi par la COGEMA ne permettent donc pas de s’assurer que toute la population est soumise à des doses inférieures aux chiffres annoncés.

Les éléments contestables de la partie du dossier consacrée aux rejets chimiques, ainsi que l’évolution des dispositions réglementaires, ne font que renforcer la nécessité d’une réelle étude d’impact suivie d’une enquête publique qui ont fait défaut de façon surprenante au début des années 80. Par conséquent, la position de l’exploitant, qui estime que la mise en oeuvre de ses demandes d’accroissement de la capacité de retraitement et l’élergissement de la gamme des produits à traiter, ne nécessiterait pas de réviser les rejets chimiques en mer, n’est pas acceptable. Pour l’ACRO, il est indiscutable, à la lecture du décret du 5 mai 1995 et de la Circulaire DSIN-FAR/SD4 n°40676/98 du 20 mai 1998, qu’une nouvelle demande d’autorisation airait dû être formulée par l’exploitant pour les raisons suivantes :

  • demande d’augmentation des rejets de TBP de 6,7 t/an à 10 t/an (soit bien plus de 10% d’augmentation…),
  • demande de rejets de nouveaux polluants chimiques (nitrites, soufre, mercure, cadmium…)
  • adjonction de nombreux radionucléïdes nouvellement identifiés par le GRNC (+53%).

En conclusion, l’ACRO demande :

  1. que les rapports de sûreté censés éclairer l’étude des dangers cessent d’être classés “confidentiels” et deviennent accessibles à la contre-expertise non institutionnelle et aux mouvements associatifs concernés par le sujet,
  2. que le principe de justification soit appliqué au retraitement et tout particulièrement aux pratiques nouvelles que l’exploitant souhaite mettre en oeuvre,
  3. que les autorités de l’Etat, comme elles s’y sont engagées publiquement, promulguent des autorisations de rejets liquides et gazeux clairement revues à la baisse,
  4. que les futures autorisations soient basées sur les niveaux de rejets réels actuels et non sur les rejets nominaux défendus par l’exploitant,
  5. que soient clairement réaffirmés les fondements de la Convention OSPAR visant à tendre vers les rejets zéro d’ici à 2020,
  6. que, dans cet objectif (Convention OSPAR), les autorisations de rejet ne soient attribuées que pour une période limitée (elles sont actuellement illimitées…) à l’instar de la situation anglaise où les autorisations pour Sellafield sont revues tous les 3 ans ; cette méthode permettrait d’assurer la planification de l’objectif à atteindre,
  7. que soit pérennisée l’existence d’un outil d’expertise indépendant permettant d’évaluer régulièrement l’impact de ces installations sur les populations du Nord-Cotentin,
  8. que l’action citoyenne et indépendante de contrôle de l’environnement en Nord Cotentin reçoive un soutien appuyé de la part des pouvoirs publics et des collectivités territoriales et locales marquant une volonté politique d’ouverture vers une démarche plurielle dans le domaine de la surveillance et du contrôle.

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Présentation du Comité Nord-Cotentin et historique

ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999


En 1995, J.F. Viel mène une enquête épidémiologique autour de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague. Il observe une surincidence de leucémies dans un rayon de 10 km autour de l’usine : 4 cas sont observés, alors que 1,4 cas étaient attendus chez les moins de 25 ans. J.F. Viel va ensuite poursuivre ses recherches pour tenter d’identifier une ou des causes de l’apparition de ces maladies. Un financement de l’INSERM, de la Ligue Nationale contre le Cancer et la collaboration de 33 médecins locaux lui permettent de réaliser cette étude. En janvier 1997, les résultats sont publiés : un lien est établi, notamment, avec la fréquentation des plages par les enfants ou la mère lors de la grossesse et la consommation de fruits de mer. Cette publication déclenche une polémique (Pour en savoir plus, voir « l’ACROnique du nucléaire » n°36).

En février 1997, la Ministre de l’Environnement et le Secrétaire d’Etat à la Santé décident la création d’une « Commission pour une Nouvelle Etude Epidémiologique » (dite « Commission Souleau »). Celle-ci est composée uniquement d’épidémiologistes, dont J.F. Viel. Ces spécialistes se sont vite heurtés à une difficulté : le manque de connaissances concernant les rejets des installations nucléaires, le devenir des éléments radioactifs rejetés dans l’environnement, les doses reçues par les habitants de la région et l’action de ces doses sur l’organisme humain.

La « Commission Souleau » a donc décidé de s’adjoindre les compétences d’un groupe de travail baptisé « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin », groupe d’experts, dont un scientifique de l’ACRO, Pierre Barbey, seul représentant du mouvement associatif.
En mai et juin 1997, la « Commission Souleau » remet aux ministres concernés des rapports dont l’un émane du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin ; celui-ci, mis en place fin mai, avait donc eu très peu de temps pour travailler (3 réunions !), ce qui était dérisoire, étant donné l’étendue et la complexité du travail qui lui était imparti.

Et pourtant, lors de la présentation publique de ce rapport à Beaumont-Hague, fin juin 1997, Monsieur Souleau n’hésite par à l’utiliser pour banaliser la question des rejets des installations nucléaires du Nord-Cotentin, et adopter un discours rassurant. Il se permet, de plus, lors de cette réunion publique, de présenter certains chiffres comme étant le résultat de calculs effectués par les experts du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, alors qu’il s’agissait de calculs effectués par la COGEMA !… Pierre Barbey réagit vivement dans un courrier à l’attention des ministres concernés et de Monsieur Souleau. Il rappelle les conditions que l’ACRO avait posées pour sa participation aux travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (travail exhaustif, sur les 30 dernières années, transparence de la part des exploitants, le temps nécessaire…). Monsieur Souleau démissionne. (Nous avons publié, dans « l’ACROnique du nucléaire » n°38, les textes des rapports réunis aux ministres par la « Commission Souleau » ainsi que les documents relatifs aux problèmes apparus lors de la publication.)

En août 1997, les ministres de l’Environnement et de la Santé publient un communiqué : les travaux seront poursuivis, sur la base des recommandations de la « Commission Souleau » : Alfred Spira (INSERM) est chargé de mener les recherches en épidémiologie ; Annie Sugier (IPSN) est nommée pour présider le Groupe Radioécologie Nord-Cotentin.

Pour appuyer le groupe plénier, 4 sous-groupes de travail spécialisés ont été constitués, avec un thème de travail défini pour chacun :
GT1 : examiner les rejets déclarés par les exploitants.
GT2 : rassembler et interpréter les mesures faites dans l’environnement.
GT3 : comparer les différents modèles entre eux et confronter leurs prévisions avec les mesures faites dans l’environnement.
GT4 : identifier des groupes de population exposée,  évaluer le niveau moyen des expositions et estimer le risque.

3 membres de l’ACRO ont participé à ces travaux :
Pierre Barbey : membre du groupe plénier, du GT1 et du GT4
David Boilley : membre du GT3
Gilbert Pigrée : membre du GT1

Pour le volet « épidémiologie » :
En octobre 1997, Alfred Spira, qui a travaillé avec « l’Association du registre des cancers de la Manche », présente aux Ministres de l’Environnement et de la Santé les premiers résultats d’une étude portant sur les années 93-96. Aucun cas de leucémie supplémentaire n’a été enregistré sur cette période (l’étude de J.F. Viel portait sur les années 78-92). En juillet 1998, Alfred Spira remet un rapport intitulé « Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé » où il présente les résultats de ses travaux et des propositions d’action. (La Documentation Française ? A. Spira, O. Bouton ? 1998.)

Pour le volet « radioécologie » :
Après 2 années de travail, le « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin » a rendu public le résultat de ses travaux, le 7 juillet 1999. Le document comprend un rapport détaillé par groupe de travail et un rapport de synthèse. (Ces différents rapports peuvent être consultés au siège de l’ACRO ou partiellement sur internet).

Nous publions, ci-après, un extrait de ce document, intitulé « Résumé / Conclusions » ; il présente le mode d’approche qui a été celui du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, et les résultats obtenus, un commentaire du GSIEN et les « réserves et remarques » de l’ACRO. Nous y avons joint un communiqué de presse émanant du collectif « Les mères en colère ». Il faut souligner que l’expression de ces associations indépendantes figure dans le rapport officiel.


Liens

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Des armes radioactives au Kosovo

Tiré de l’ACROnique du nucléaire n°46, septembre 1999


Utilisées pour la première fois en Irak lors de la guerre du Golfe, des munitions à l’uranium appauvri ont été tirées au Kosovo, alors que les effets à long terme sont encore mal connus. Comble de l’ironie, pour une guerre dont le but affiché est de permettre aux populations albanophones de pouvoir rentrer chez elles sans danger…


L’uranium, le métal le plus lourd que l’on trouve dans la nature est un matériau très dur qui permet aux projectiles d’être plus pénétrants. L’uranium appauvri (UA), qui est un résidu de l’enrichissement de lâuranium destiné à la fabrication de combustible pour les réacteurs nucléaires, est très bon marché et abondant. Il est donc utilisé pour fabriquer des obus destinés à percer les blindés. Ses propriétés pyrophoriques font qu’il n’explose pas, mais se fragmente et s’enflamme après son passage à travers le blindage sous l’effet de l’énorme température atteinte lors de l’impact. Cela peut entraîner une dispersion sous forme de particules qui peuvent être inhalées, l’uranium appauvri étant à la fois un toxique chimique et radioactif. Il est aussi utilisé comme blindage.

L’uranium naturel ne contient que 0,71% d’uranium 235 (235U) qui est fissible, le reste étant constitué essentiellement d’uranium 238 (238U). La fabrication d’une tonne de combustible nucléaire enrichi à 3,6% d’235U, produit environ 7 fois plus de déchets contenant environ 0,3% d’235U, appelé uranium appauvri. Ces pourcentages permettent de différencier l’uranium appauvri de l’uranium naturel en cas de contamination. Rien qu’aux Etats-Unis, plus de 560 000 tonnes d’uranium appauvri sont accumulées depuis 1993. En France, la Cogéma prévoit d’en stocker 199 900 tonnes sur le site de Bessines sur Gartempes près de Limoges, pour un coût total de 60 millions de francs sur 15 ans. Elle ne le considère pas comme déchet, mais comme “stock stratégique”. A l’origine, la Cogéma voulait en stocker 265 000 tonnes, mais elle avait sous-estimé l’activité de ces résidus en “oubliant” plusieurs radionucléides, dont l’uranium 236. En dépassant les 100 000 curies (3,7 10+15 Bq), le site devait être classé en Installation Nucléaire de Base, ce qui nécessitait une enquête publique, la Cogéma a donc revu à la baisse ses ambitions, sans expliquer la présence d’236U.

Les utilisations civiles sont très rares : comme contre-poids dans les premiers Boeing 747, par exemple. Le cargo israélien de la compagnie El Al qui était tombé en 1992 sur un quartier résidentiel d’Amsterdam, tuant 43 personnes, transportait près de 300 kg d’uranium appauvri. Plus de la moitié a été retrouvé, mais on ne sait pas si le reste a brûlé ou été retiré. Les pompiers, sauveteurs et riverains n’ont pas été prévenus des risques encourus. Les utilisations militaires, quant à elles, ont été connues du grand public après la guerre du Golfe, où les armes à l’uranium appauvri ont été utilisées pour la première fois sur le champ de bataille (Note : Voir par exemple, le Monde Diplomatique dâavril 1995). A noter, qu’un tiers des chars utilisés par les Etats-Unis avaient un blindage à l’uranium appauvri.

Entre deux conflits, ces munitions sont aussi testées, ce qui ne va pas toujours sans poser de problèmes. Ainsi le Japon avait-il protesté contre leur utilisation “accidentelle” par les Etats-Unis sur l’île de Torishima, près d’Okinawa en décembre 1995 et janvier 1996. Plus récemment, la Navy a reconnu avoir tiré “par erreur” 267 obus à l’UA sur l’île de Vieques (Porto-Rico), le 19 février 1999, dont seulement 57 ont été retrouvés, ce qui n’est pas sans inquiéter les 9 300 habitants de l’île (Note : AP et Reuters, 2 juin 1999).

Lors de la guerre du Golfe, environ 300 tonnes d’uranium appauvri ont été larguées sur l’Irak. Aucun des militaires qui a servi dans cette guerre n’avait entendu parler d’uranium appauvri et ne connaissait donc pas les risques encourus, ni les mesures de précaution. Un seul soldat britannique a subi des tests, il avait un taux de radioactivité dans ses urines 100 fois supérieur à la normale et 14 soldats américains sur les 24 testés avaient des urines radioactives. Depuis la guerre du Golfe, trois fois plus d’enfants naissent avec des déformations congénitales, selon les autorités irakiennes. Une enquête menée par le Guardian (Guardian Weekly, 10 janvier 1999) tend à confirmer une augmentation flagrante du nombre de victimes, surtout dans le sud du pays. Dans certains villages, tous les enfants sont nés aveugles. Des anciens combattants britanniques et américains ont aussi un nombre d’enfants malformés élevé, ce qui a conduit le ministère de la défense britannique à commander une étude indépendante sur le sujet dont les résultats sont attendus pour cette année.

La désintégration de l’238U donne un alpha plus du thorium 234Th, avec une période de 4,5 milliards dâannées ; suivent assez rapidement deux désintégrations bêta pour obtenir de l’uranium 234U lequel émet un autre alpha avec une durée de vie très longue. En cas de contamination interne, le risque est donc très grand. Sous forme d’aérosol, l’uranium est insoluble dans l’eau et peut donc être emporté sur des kilomètres par le vent. Les particules inférieures à 2,5 microns peuvent rester piégées dans les poumons pendant des années et passer lentement dans le sang (sous forme d’oxyde, la période biologique dans les poumons est de l’ordre d’une année et est deux fois plus longue sous forme céramique). En toussant, les particules les plus grosses peuvent être éjectées des poumons et avalées. L’uranium peut se concentrer dans certains organes comme les os, le foie, les reins ou se retrouver dans les urines jusqu’à 7-8 ans après la contamination.

A ces risques radiologiques, il faut ajouter les risques chimiques liés au métaux lourds qui concernent surtout le système rénal dans ce cas. Or tous les descendants de l’uranium sont des métaux lourds, sauf le radon qui est un gaz. Si on se limite aux effets radiologiques, la limite annuelle d’incorporation basée sur les nouvelles normes de la CIPR pour le public (1 mSv/an) est de 1,2 mg pour l’uranium 238 et correspond à environ 2,5 fois plus que la quantité d’uranium naturel ingérée.

L’OTAN a reconnu avoir utilisé des munitions à l’uranium appauvri en Serbie à partir de la deuxième semaine de mai, mais il est impossible de savoir combien. Selon un porte-parole de l’OTAN, elles nâont pas été “beaucoup utilisées” ; il a ajouté qu’ “il n’avait jamais été prouvé que l’uranium appauvri était une menace pour la santé. Ce n’est pas plus dangereux que du mercure” (cité par le New Scientist du 5 juin 1999). Lors de la conférence de presse du 14 juin 1999, et disponible alors sur le site Internet de l’organisation, il a été demandé si l’OTAN avait l’intention de procéder à un nettoyage, étant donné les risques de cancers qui semblent être apparus en Irak. Le Major Général Jertz a répondu : “Tout d’abord nous n’avons pas utilisé d’uranium appauvri ces dernières semaines car les munitions à l’uranium sont seulement utilisées contre des cibles où elles peuvent avoir un effet spécial et c’est pourquoi leur utilisation est rare. Vous trouvez de l’uranium appauvri dans toute chose naturelle, comme les pierres, le sol, partout, il ne faut donc pas exagérer ce que vous dites. A propos des plans, comme pour les plans, nous avons des plans bien-sûr pour aider ces gens à retourner en toute sécurité chez eux, mais je ne vais pas détailler ces plans.”


En dehors des références citées, cet article est essentiellement basé sur le rapport de la Fondation Laka à Amsterdam, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.antenna.nl/wise/uranium/dhap99.html

Pour en savoir plus :

Impact des installations nucléaires sur l’environnement

(Article paru dans Contrôle n°123, juin 1998 et l’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999)

Par Pierre Barbey, conseiller scientifique de l’ACRO

En fonctionnement normal, les installations nucléaires procèdent à des rejets réguliers dans l’environnement de nature chimiques et radioactifs. Ils sont sujets à d’âpres discussions, mais c’est essentiellement l’aspect radiologique (seul aspect traité ici) qui focalise l’attention de l’opinion publique.

Le becquerel, unité de l’empreinte sur l’environnement.

Même en dehors des incidents ou accidents nucléaires, l’environnement proche des installations est marqué par la présence d’une radioactivité caractéristique constituant une signature (tableau 1).

Résultats ACRO
Co58 
Co60
Rh-Ru106 
Ag110m
Cs134
Cs137
1991 AmontAval
44
1,3
132
1019
16
3390
23
41
100
1994 AmontAval
6,4
21
49
155
2,9
7,8
1996 AmontAval
22
37
2,5
1,4
12
Tableau n° 1 : Sédiments de la Loire ? Chinon (en Bq/kg sec)

Si l’exemple rapporté ici illustre bien l’influence de la centrale, son suivi dans le temps traduit cependant une baisse des rejets effectifs durant ces dernières années. D’autres mesures effectuées par l’ACRO autour de la centrale de Nogent sur Seine conduisent aux mêmes observations.

En aval du cycle du combustible, l’étape du retraitement (plus souvent sous les feux de l’actualité) correspond à des installations dont les niveaux de rejets effectifs sont très largement supérieurs à ceux des centrales (tableau 2). Dans ce cas, l’impact sur l’environnement (au moins pour les rejets liquides) peut s’observer sur de très longues distances. Ainsi, les rejets de l’usine de retraitement de La Hague peuvent être suivis jusqu’en Mer du Nord .

REJETS LIQUIDES EFFECTIFS pour l’année 1994
Radioéléments
La Hague 
Flamanville 
  Ratio Hague/ Flamanville
Bêta-Gamma (hors [3H])
70 200 GBq
8 GBq
8775
Tritium ([3H])
8 090 000 GBq 
30 000 GBq
270
Alpha
97,3 GBq
Interdit 
AUTORISATIONS ACTUELLES DE REJETS LIQUIDES
Radioéléments
La Hague 
Flamanville 
  Ratio Hague/ Flamanville
Bêta-Gamma (hors [3H])
1 700 000 GBq 
1 100 GBq 
1545
Tritium ([3H])
37 000 000 GBq
80 000 GBq 
462
Alpha
1 700 GBq 
Interdit 

Tableau n°2

Ces niveaux relatifs de rejets réels sont corrélés avec des niveaux d’autorisation de rejet singulièrement différents. L’autorisation de rejets liquides (hors Tritium) de COGEMA-La-Hague est 1500 fois supérieure à celle des 2 réacteurs EDF Flamanville situés à quelques kms à vol d’oiseau (tableau 2). Et c’est bien là un premier problème qui heurte l’esprit de beaucoup de citoyens considérant ces valeurs comme des « seuils sanitaires », lesquels constituent un danger quand ils sont atteints. Ils ne peuvent donc être différents selon les sites. Alors que pour les exploitants, bardés de certitude quant à l’innocuité de leurs installations, ces mêmes valeurs représentent des « niveaux de performance » fonction de contraintes économiques et de la nature de l’installation.

Becquerel ou Sievert ?

Le becquerel, cette unité de mesure d’activité qui s’est imposée en 1986, ne plaît pas aux industriels du nucléaire qui la trouvent « trop petite » et préfèrent de toute façon s’exprimer en sievert (ou microsievert). S’agissant d’impact sur l’environnement, câest pourtant bien le becquerel qui est la seul unité de mesure de l’empreinte des installations. Il n’est que le reflet partiel – fonction de la technicité du moment – de la contamination réellement présente. Le sievert, unité de l’impact sanitaire, implique des coefficients de dose (toujours discutables car fonction des connaissances du moment) mais, surtout, il exige la connaissance exhaustive de l’état de la pollution radiologique. Cette certitude-là n’est pas de mise.

En 1993, un rapport de l’UNSCEAR aborde la question du Carbone 14 rejeté par les installations nucléaires. Celles-ci fonctionnent depuis des dizaines d’années et ce n’est que récemment que ce radioélément commence à être mesuré. Or c’est vraisemblablement un des éléments qui contribue de façon majeure à l’impact de dose individuelle. Il en est de même pour le Nickel 63 pour lequel l’OPRI entame des mesures sur les rejets des centrales EDF. En fait, si les mesures de spectrométrie gamma permettre d’identifier simultanément un large spectre d’émetteurs gamma, la mesure d’émetteurs bêta, surtout ceux de faible énergie, est beaucoup plus délicate et impose une recherche ciblée qui nécessite que ces éléments soient au préalable identifiés comme contaminants potentiels. L’exemple de l’usine de retraitement de la Hague illustre bien ce propos : 10 éléments identifiés dans les rejets liquides en 1967, 19 en 1982 et 27 en 1996. D’autres restent à identifier. Il y a donc bien un déficit de connaissance de l’état réel de l’impact sur l’environnement. Les conséquences n’en sont pas anodines. Nombre de ces radioéléments longtemps ignorés se trouvent être de longue période physique – tel le 14C (5730 ans), le 63Ni (100 ans) ou le 129I (16E6 ans) – et contribuent sur le long terme à la dose collective des populations.

Les déchets et l’acceptabilité sociale

Au-delà des rejets liquides et gazeux, les déchets radioactifs vont contribuer également à l’impact sur l’environnement. Cette fois de façon hypothétique et dans un futur très lointain, penserait-on. Pourtant la première expérience industrielle de stockage de déchets de surface qui vient de s’achever, celle du Centre Manche, est déjà un échec patent. Depuis plus de vingt ans, cette installation marque en profondeur l’environnement du plateau de la Hague par une pollution radiologique chronique . Le Centre de l’Aube, qui a bénéficié du retour d’expérience, ne doit procéder à aucun rejet. Pourtant l’ANDRA envisage de remettre en cause le dispositif réglementaire pour disposer d’une autorisation de rejet. Quelle sera également l’empreinte sur l’environnement (y compris dans des biens d’équipement) si le recyclage de matériaux radioactifs issus des TFA entre en pratique ? Quant aux déchets hautement actifs et à vie longue, leur confinement garanti sur des millénaires relèvera inévitablement dâun pari sur l’avenir.

Dans le débat actuel sur « l’acceptabilité sociale », on peut concevoir quâune société accepte un détriment porté à son environnement au bénéfice d’un confort qui lui profite dans le moment présent. Certainement réclamera-t-elle que les niveaux de rejets soient constamment abaissés pour tendre vers des rejets nuls au nom du principe de précaution car l’innocuité en terme de détriment sanitaire restera toujours entachée du doute. Mais cette question des déchets radioactifs, parce qu’elle constitue un legs imposé aux générations futures, pourrait bien correspondre au seuil de « l’inacceptabilité sociale ». C’est tout simplement une question d’éthique.

Pour l’heure, cet impact sur l’environnement doit être surveillé de la façon la plus étroite possible et les résultats de mesures rendus public de manière exhaustive. Les associations, telle l’ACRO, doivent y trouver une place qui leur soit reconnue. Il est regrettable de voir des exploitants dépenser beaucoup d’énergie à tenter de discréditer leur activité. Celle-ci n’a pas pour objet d’être « en opposition » et encore moins de se substituer à celle des exploitants ou celle des organismes institutionnels. Elle est tout simplement complémentaire et relève d’une démarche citoyenne. Et c’est de cette « plurialité » de la surveillance de l’environnement que pourra naître une confiance (certes toujours relative) des populations environnantes vis à vis de l’information.

Le nucléaire à l’heure des choix

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n° 43, décembre 1998


Les rapports parlementaires sont les seuls documents officiels accessibles au citoyen pour ce faire une idée sur l’avenir énergétique du pays. Un rapport est prévu sur le rôle des compagnies pétrolières ; quatre ont été publiés cette année sur différents aspects de l’énergie nucléaire, ils traduisent tous une volonté de poursuivre dans cette voie, sans tenir compte des interrogations de la société civile. Pourtant, les récents essais nucléaires français, chinois, américains, indiens et pakistanais montrent que les enjeux du nucléaire dépassent largement la simple production d’électricité. A l’heure où des choix importants doivent être faits, le sujet mériterait un large débat national qui est malheureusement absent.


Malgré les campagnes de dénigrement et les attaques insidieuses ou non fondées dont elle fait l’objet dans le monde et, depuis quelque temps, dans notre pays, l’énergie nucléaire n’est pas condamnée, loin s’en faut. On peut même affirmer qu’il s’agit, à partir des considérations techniques, économiques et politiques actuelles, d’une énergie décisive à l’horizon du siècle qui vient. ” (1) Pour que des parlementaires commencent par cette phrase un rapport sur l’aval du cycle nucléaire, c’est que la situation de l’industrie nucléaire devient difficile à tenir. Ce plaidoyer arrive à l’heure où des choix stratégiques doivent être faits concernant la filière du plutonium et la construction d’un nouveau type de réacteur nucléaire, l’EPR  (2). Leur rapport ne contient aucune critique et traduit mal les interrogations de la société civile. Pourtant, dans un autre rapport sur Superphénix  (3), ces mêmes députés déplorent qu’à l’époque, il n’ait été ” aucunement débattu des questions de sécurité, non plus que de la viabilité économique de la filière “. De l’autre côté, dans les milieux écologistes, le débat est plutôt entre une sortie douce du nucléaire (quand les réacteurs actuels arriveront en fin de vie), ou une sortie immédiate (tant que le parc de centrales fonctionnant aux énergies fossiles, en cours de démantèlement, est encore suffisant)  (4). Ce débat ne dépasse guère le cercle des militants anti-nucléaires. Pourtant, dès le premier janvier 1999, 25% de la production d’électricité sera ouverte à la concurrence, ce qui fait saliver les compagnies de services (Lyonnaise des Eaux-Suez, Vivendi et Bouygues) qui se tourneront vers d’autres modes de production. Ainsi, pour les députés Galley et Bataille, ” le dilemme dans notre pays se situe entre l’énergie nucléaire ou le gaz, la gestion des déchets ou l’effet de serre ”  (5). La réalité est un peu plus complexe, mais nous n’allons pas entrer dans les débats entre les conséquences géopolitiques des hydrocarbures et les risques nucléaires. Nous tenterons plutôt de comprendre les enjeux liés aux décisions à venir. La question peut se résumer ainsi : doit-on continuer à utiliser l’énergie nucléaire, en utilisant par exemple l’EPR ? Si oui, doit-on retraiter le combustible irradié ? Sinon, quand doit-on arrêter les centrales actuelles ? Pour l’EPR, ” la décision pour la commande […] – en tant que tête de série – ne saurait tarder. Pour avoir un calendrier optimal, il s’agit de passer commande de la cuve en 1999-2000, et de couler le premier béton en 2003. […] Les préférences actuelles vont vers Penly et dans une moindre mesure vers Flamanville. Quant au retraitement, ” le contrat en vigueur entre EDF et Cogéma vient à expiration en 2000 ”  (6) et l’usine de la Hague devraient être amortie sur le plan financier vers 2001. Pour élargir son champ d’action, Cogéma a déposé une demande d’autorisation de retraiter du combustible MOX  (7) et d’autres combustibles de réacteurs de recherche dans son usine UP3. Cette demande sera soumise à enquête publique très prochainement. En revanche, l’arrêt du retraitement bouleversera toute l’économie d’une région. Un tel changement doit se préparer maintenant.

L‘aval de la chaîne du combustible nucléaire  (8) est la partie la plus difficilement justifiable. L’extraction du plutonium faite à l’usine de retraitement de la Hague et son utilisation comme combustible dans des surgénérateurs de type Superphénix ou comme combustible MOX dans des centrales classiques est souvent présenté comme une utilisation rationnelle des ressources énergétiques limitées. Il serait pourtant beaucoup plus simple de limiter la production électrique en surcapacité.

Si ” le “tout retraitement” fait partie des dogmes qui ont fait leur temps ” (9), pourquoi s’acharner à retraiter les deux tiers des combustibles irradiés français ? Si c’est pour meilleure gestion des déchets nucléaires, force est de constater qu’un tiers du combustible irradié reste sur le carreau. La loi du 30 décembre 1991 sur les déchets permet d’apporter une justification a posteriori au retraitement et de l’utilisation du plutonium comme combustible, même si la commission nationale d’évaluation, dans son troisième rapport, ” observe que les solutions techniques attendues en 2006 relèvent essentiellement des axes n°2 et n°3″, à savoir le stockage en profondeur ou en surface. Lors d’une rencontre entre des physiciens de l’université de Caen et la Cogéma pour étudier les possibilités de collaboration, les représentants de la Cogéma ne connaissaient pas le programme de recherche Gédéon qui concerne la séparation-transmutation. Mais, pour démontrer que le retraitement permet de réduire les volumes, ce qui est faux, Cogéma compare le volume de ses déchets ultimes sans emballage au volume du container suédois contenant le combustible irradié  (10).

Faute d’arguments valables, le retraitement est finalement justifié en terme d’emplois. Seulement 20 tranches nucléaires sont autorisées à utiliser du MOX et il en faudrait 28 pour utiliser tout le plutonium extrait dans l’usine de la Hague. Si on reste à 16 tranches, ” dans la mesure où une baisse des contrats de retraitement étrangers est anticipée, il est probable qu’une seule des deux usines serait alors nécessaire pour satisfaire tant la demande nationale que la demande extérieure. EDF chiffre à 1 500 le nombre de suppressions d’emplois direct chez Cogéma et à 1 500 emplois supplémentaires les suppressions chez les sous-traitants ” (11). En résumé, Superphénix arrêté, le MOX sert à justifier le retraitement et le retraitement à créer des emplois ! ” Par ailleurs, nous avons un stock de plutonium de 65,4 tonnes, très supérieur à la marge de réserve de 20 tonnes estimée nécessaire par EDF “. (12)En plus,” la filière du plutonium coûte très cher à EDF : 15 milliards de francs par an, soit 5 centimes du kWh ”  (13). Il doit sûrement exister des filières de production d’énergie plus créatrices d’emplois.

Le retraitement a une origine militaire et c’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher sa justification. ” La Hague n’est-elle pas une usine militaire ” camouflée ” en usine civile ? ”  (14) s’interroge Corinne Lepage après son passage au cœur du pouvoir. Même si les essais nucléaires sont terminés, la France n’a en effet pas renoncé à l’armement nucléaire et au niveau mondial, le nombre de pays détenteur de cette arme ne fait qu’augmenter. Aux Etats-Unis, un document partiellement déclassifié du DOE  (15) (Department of Energy) révèle une volonté de remplacer les armes nucléaires actuelles par de nouvelles à partir de 2010 et prévoit une capacité de construction de milliers de bombes, si nécessaire, comme au temps de la guerre froide. Leur mise au point sera faite grâce aux simulations sur ordinateurs et aux essais nucléaires sous-critiques. Le dernier en date a eu lieu le 26 septembre 1998, sans que les médias n’en parle. La majeure partie de ce document reste secrète et c’est l’acharnement de 39 organisations pacifistes ou écologistes qui ont permis d’obtenir ces informations. Il n’y a aucune raison que la France soit en reste. Lionel Jospin a encore récemment affirmé que ” pour la France, comme pour la sécurité européenne, et tant qu’un désarmement général et complet ne sera pas réalisé, l’arme nucléaire demeure une nécessité ” (16). La volonté de continuer à retraiter une partie du combustible usé français apparaît donc comme un moyen de garder un savoir-faire et des capacités de production de plutonium conséquentes, en cas de besoin. La demande de pouvoir retraiter toutes sortes de combustibles irradiés est un pas dans ce sens.

Depuis la fin remarquée des essais nucléaires français, il n’est plus jamais question de la bombe française dans la presse. Tout est fait pour qu’elle soit oubliée. Les seules dépêches concernent la fermeture du site de Mururoa, comme pour faire croire que tout est fini. Pourtant, cette arme est construite en notre nom et avec nos impôts, elle mériterait donc plus de débats  (17).

Le plutonium 239 provient du bombardement de l’uranium 238 par un neutron dans une réacteur. Les isotopes suivant, sont produits par bombardement successifs. Le plutonium issu du retraitement des combustibles des centrales actuelles est de médiocre qualité militaire, la proportion de Pu 239 n’étant pas suffisante, mais les Etats-Unis ont réussi à faire exploser une bombe avec en 1962. En cas de crise majeure, il est possible d’avoir su combustible ayant une forte proportion de Pu239 en irradiant peu le combustible. Avec Superphénix, ” on est au cœur de la filière plutonium et du lien civil-militaire, car le surgénérateur brûlele plutonium produit à la Hague par le retraitement et en génère d’avantage qu’il n’en consomme. Superphénix, c’est comme ses prédécesseurs de Marcoule (Rapsodie, Phénix) une usine à objet militaire mais présentée comme une usine civile ” (18). Surtout, Superphénix consomme du plutonium de retraitement mais peut produire du plutonium 239 de très bonne qualité militaire, il apparaît donc comme réservoir à Plutonium.

Pour cela, il faut de la matière première, à savoir, des réacteurs fournissant du plutonium. Le choix semble s’orienter vers l’EPR, alimenté à l’uranium enrichi et/ou au MOX. L’usine d’enrichissement, en amont, a aussi un intérêt militaire… Supposons que le retraitement soit arrêté, l’EPR sera-t-il construit avec une utilisation purement énergétique pour remplacer le parc actuel de centrales vers 2010-2015 ? L’EPR est un réacteur du même type que ceux utilisés actuellement, mais plus gros et plus sûr. Il n’apporte aucune solution aux problèmes liés aux déchets produits de la mine au réacteur. Claude Birraux, député, lui consacre un rapport  (19) où il explique que les instructions du gouvernement consistent à faire en sorte que tous les choix soient possibles, ce qui signifie se préparer à ” ce que l’option nucléaire puisse être approuvée, le moment venu “ . Pour maintenir l’option nucléaire ouverte, il est donc préconisé de construire rapidement un prototype ou une tête de série afin de maintenir les compétences de l’industrie nucléaire. En effet ” la maintenance du parc actuel ne suffira pas pour maintenir le tissu industriel ” (20). Le projet EPR a déjà nécessité un investissement de l’ordre d’un milliard de francs et ” la construction d’un prototype se chiffrera au minimum à une quinzaine de milliards de francs “. ” Aussi, ce projet est un non-sens économique si la construction se limite à un prototype “. En résumé, il faut un protpype pour maintenir les choix ouverts, et une fois ce réacteur construit, il faudra continuer car cela aura déjà coûté suffisemment cher. Pierre Daures, ancien Directeur général d’EDF, envisage de construire 6 à 8 tranches, pour l’énergie de base, le reste pourrait être fourni d’autres processus que le nucléaire. 7 tranches, c’est le nombre minimum pour que l’EPR soit rentable économiquement. Le premier réacteur, dont la décision doit être prise rapidement, a donc une importance stratégique à long terme. On parle de Penly ou Flamanville pour accueillir l’EPR, mais ” la réalisation d’une tête de série est inutile en France car elle aggraverait notre surcapacité ; elle semblerait improbable pour des motifs politiques en Allemagne ” (21). La Russie serait aussi candidate pour la construction de la tête de série.

Les véritables arguments de poids en faveur de l’énergie nucléaire reposent aujourd’hui sur la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance énergétique de la France et la lutte contre l’effet de serre. ” (22) Même si l’uranium est totalement importé, cette matière première pose moins de problèmes géopolitiques que les hydrocarbures. L’indépendance énergétique de la France n’est donc que relative. Quant à la sécurité, elle ne peut être garantie que par une très grande variété de sources, car en cas de crise, l’énergie nucléaire, très centralisée, est vulnérable. Le ” Grand Verglas ” du Québec, qui a rompu de nombreuses lignes électriques, privant une grande partie de la population d’électricité en plein hiver, en est un bon exemple. En France, quelques réacteurs en panne et EDF prétend être obligée d’importer du courant. ” Les impératifs de protection de l’environement, en particulier les objectifs de lutte contre l’effet de serre, ne pourront être tenus qu’avec l’apport de l’énergie nucléaire “. Cette affirmation est l’argument le plus utilisé par les partisants de l’énergie nucléaire, mais elle n’est jamais démontrée. Si l’énergie nucléaire en France fournit 80% de l’électricité, au niveau mondial, elle ne représente plus que 4,5% de l’énergie totale consommée. Combien de réacteurs seraient-ils nécessaires pour réduire la dispersion de gaz à effet de serre ? Il semble donc préféreable de se tourner vers d’autres voies. De plus, du point de vue environnemental, demeure le problème des déchets et des rejets.

D‘une manière générale, le nucléaire est aussi présenté comme une spécialité française. ” Pour autant, peut-on penser que des hommes d’Etat tels que Guy Mollet, le général De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Mendès-France ou François Mitterrand, qui ont pris des décisions importantes pour l’indépendance énergétique de la france, aient tous fait fausse route dans le domaine du nucléaire ? Ce serait pour le moins surprenant “, s’interroge M. Alain, Moyne-Bressand, député de la circonscription sur laquelle se trouve Creys-Malville. Et de répondre, ” mais il n’y a pas d’erreur puisque ça a permis la grandeur de notre pays. ” (23)

La France, qui possède une maitrise de toutes les étapes de la chaine du combustible se doit donc de ” garder son rang “. Pour ses détracteurs, cette avance est due à l’exception française. Au-delà de la simple fiereté, quel est l’intérêt ? La conquête des marchés étrangers est avancée dans tous les rapports parlementaires. Mais cela signifie aussi, comme par le passé, le transfert de technologie vers des pays souhaitant se doter de l’arme nucléaire (Israël  (24), Irak  (25), Iran  (26)…), en échange d’avantages commerciaux ou stratégiques.

Si l’option de la sortie du nucléaire est finalement choisie, quand aura-t-elle lieu ? La Ministre de l’Environnement a annoncé l’arrêt programmé à partir de 2005. Mais cela ne semble être qu’une annonce et d’ici là… L’enjeu se situe entre l’appât du gain et la sûreté, d’autant plus qu’une économie libérale va pousser les opérateurs à diminuer leurs marges en rognant sur le personnel et la sécurité. ” Le report d’un an du renouvellement d’une tranche de 900 mégawatts représente, pour EDF, une économie de 700 millions de francs “,  (27) mais en vieillissant les centrales deviennent de plus en plus dangereuses. Le retard qui sera sûrement pris dans la décision de renouveller ou pas le parc nucléaire par le gouvernement, fait que l’éventuel EPR arrivera tardivement. Tout cela pousse EDF à tabler sur une durée de vie de 40 ans pour ses réacteurs, mais elle n’a pas l’accord des autorités de sûreté. Pour Roger et Bella Belbéoch  (28), il est possible de se passer immédiatement de 70% de l’énergie nucléaire en n’utilisant que des technologies actuellement disponibles. Pour eux, il s’agit même d’une nécessité car la probabilité d’avoir une catastrophe ne va qu’augmenter. En effet, environ 20% de notre production est exportée et 7 à 8% est de l’autoconsommation. Le reste pourrait être compensé par une utilisation optimale de notre parc de centrales thermiques classiques. Il n’est pas possible actuellement d’aller plus loin à cause du chauffage électrique, mais cela pourraît être facilement envisagé à moyen terme.

Les engagements pris à Kyoto concernant les gaz à effet de serre et les décisions importantes qui doivent être prises en matière de nucléaire font que l’on a une occasion unique pour un grand débat sur l’énergie. A l’issue de ce grand débat, on pourrait imaginer une loi sur l’énergie engageant des recherches dans de nombreuses voies, le tout surveillé par un commission d’évaluation, afin de prendre une décision rapidement. De fait, la loi sur les déchets nucléaires a relancé les recherches en matière de production d’énergie nucléaire en déblocant d’énormes crédits, ce qui n’est pas le cas pour d’autres modes de production d’énergie. En Suède et en Allemagne, l’énergie nucléaire a été un thème de la campagne électorale de cet automne. La décision du nouveau gouvernement allemand de sortir rapidement du nucléaire (l’échéance devrait être fixée dans un an) risque d’augmenter les importations d’électricité française. Les pannes de centrales nucléaires françaises font craindre à la Grande Bretagne une augmentation de ses tarifs d’électricité pour cet hiver. L’interdépendance des ressources énergétiques et des pollutions fait que ce débat et ces recherches devraient avoir lieu au niveau européen. Il s’agit sûrement d’une gageur car le débat européen n’existe pas. Il serait temps de démocratiser la vie publique européenne en commençant, par exemple, par l’énergie.

En 1848, au moment d’instaurer le suffrage dit universel (les femmes ne votaient pas), beaucoup se demandaient s’il était raisonnable de donner ce droit à tout le monde, même aux domestiques. 150 ans plus tard, la population ne semble toujours pas assez adulte pour être consultée sur des sujets aussi importants que les choix énergétiques et de défence, qui concernent sa vie de tous les jours. ” Mais en cinquante ans le contexte a profondément changé : il ne s’agit plus de  “faire la bombe “, mais d’être capable d’offrir la diversité énergétique dans le respect de la démocratie, avec efficacité et transparence. ” (29) Vraiment ?

David Boilley


(1) In Rapport sur l’aval du cycle électronucléaire, par MM. Christian Bataille et Robert Galley, députés, Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, juin 1998.

(2) European Presurized Reactor, projet commun FramatomeSiemens

(3) Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, par MM. Christian Bataille et Robert Galley, députés, Assemblée Nationale, Commission d’enquête, rapport n°1018, juin 1998.

(4) Voir B. et R. Belbéoch, Sortir du nucléaire, c’est possible, éd. L’esprit frappeur (10 F) et les débats dans la lettre de Stop Nogent.

(5) Rapport sur l’aval du cycle nucléaire, op. cit. (réf. 1)

(6) Ibidem

(7) MOx : combustible nucléaire obtenu en mélangeant de l’uranium et du plutonium extrait à l’usine de La Hague. Pour en savoir plus sur les risques liés au MOx, le lecteur pourra se reporter à l’excellente Gazette nucléaire n°163/164, 1998.

(8) Le terme “aval du cycle nucléaire” est plus usité, mais s’il y a réellement un cycle, où est l’aval de l’amont ?

(9) Cf réf. 1

(10) En fait, le volume lié au stockage est déterminé par la chaleur dégagée par ces déchets qui est essentiellement due aux produits de fission qui ne sont pas séparés lors du retraitement.

(11) Cf réf. 1

(12) Cf réf. 1

(13) In “On ne peut rien faire Madame le ministre…”, Corinne Lepage, Albin Michel, mars 1998.

(14) Ibidem

(15) “Stockpile Stewardship and Management Plan”, Oct 97, dont les points essentiels ont été repris par une dépèche du Environment News Service du 21 avril 1998.

(16) Reuters, 3 septembre 1998

(17) Lire, Eliminer les armes nucléaires, est-ce souhaitable ? Est-ce réalisable ? Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales, éd. Transition, 1997

(18) Corinne Lepage, op. cit.

(19) In le contrôle de la sûreté des installations nucléaires, par Claude Birraux, Député ; rapport 484 (97-98), Tome I – Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

(20) Ibidem

(21) Ibidem

(22) Ibidem

(23) In Rapport sur Superphénix, Cf réf. 3

(24) Pierre Péan, Les deux bombes, Fayard, 1991

(25) K. Timmerman, Le lobby de la mort, Calman-Lévy, 1991 (si l’éditeur accepte de vous le vendre…)

(26) D. Lorentz, Une guerre, éd. des Arènes, 1997

(27) Claude Birraux, Cf réf. 19

(28) Cf réf. 4

(29) In rapport d’évaluation du système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire, Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe et Moselle, Rapport Parlementaire, 1998


Ancien lien

 

Superphénix devient Phénix

Editorial de l’ACRonique du nucléaire n°40, mars 1998

Superphénix a été arrêté le 24 décembre 1996 pour être transformé en ” laboratoire de recherche pour étudier la transmutation des déchets nucléaires ” bien que le rapport Castaing (96) estimait qu’il n’y avait pas beaucoup à attendre de sa transformation en ” incinérateur “. Le combustible devait être changé et un nouveau cœur est prêt. Il s’agissait d’une décision importante car tout espoir de production d’énergie à partir du plutonium était abandonné ; mais pour les associations locales, cette fonction de recherche pour Superphénix n’était pas prévue par l’enquête publique qui avait eu lieu quelques années auparavant. Elles saisissent donc le Conseil d’Etat qui, le 28 février 1997, annule le décret du 11 juillet 1994 permettant son redémarrage. Doit-on refaire l’enquête ? Cette question va déchirer l’ancienne majorité et le changement de gouvernement permet une réponse claire le 19 juin 1997, Superphénix ne redémarrera pas. Il s’agit d’une décision courageuse mais très fragile, même si elle est confirmée par un comité inter-ministériel le 2 février 1998. Faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). La mise hors service du réacteur est très compliquée et n’a jamais été prévue, il y en a pour plusieurs années.  Pourtant faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). Pour que cet arrêt soit irrévocable, même à la suite d’un changement de gouvernement, il faudrait détruire immédiatement le cœur de remplacement, comme le suggère le GSIEN.

L’abandon de Superphénix ne plaît pas à tout le monde. Nous comprenons les sentiments des employés directs et indirects de la centrale. Car même si le démantèlement doit générer plus d’emplois, ce n’est pas pour tout de suite. Mais à entendre certains commentateurs, c’est comme si c’était la fin de l’énergie nucléaire en France, alors qu’au fond, EDF doit être bien contente d’en finir avec Superphénix qui ne lui apportait que des ennuis et une mauvaise image. Le remplacement par Phénix permet d’étudier la transmutation afin de faire croire à une solution alternative au stockage des déchets et rend les laboratoires souterrains plus acceptables pour la population. Alors pourquoi tant de pleurs ? La décision très proche de renouveler le parc électronucléaire français et de continuer ou non le retraitement n’a pas encore été prise. Le démantèlement risque de nuire à l’image de ce type d’énergie. Pour Brennilis, la partie la plus difficile des opérations – qui a entraîné des pollutions – s’est passée sans regard extérieur, et les parties moins radioactives sont maintenant démantelée à grand renfort de publicité. Pour Superphénix, cela risque de se passer autrement.

Le réacteur, utilisé comme producteur de courant ou consommateur de plutonium servait aussi l’alibi au retraitement du combustible irradié. Les contrats étrangers de l’usine de la Hague se terminent en 2000. Vont-ils être renouvelé ? Le dernier transport de combustible irradié en provenance du Japon vient d’avoir lieu. Si le retraitement du combustible étranger s’arrête, jusqu’à quand va-t-on continuer à retraiter le combustible français ? Ces questions, ne sont malheureusement pas apparues durant le débat car les enjeux sont beaucoup plus importants.

Lors du comité inter-ministériel du 2 février 1998, il a été aussi décidé de créer une instance de contrôle indépendante. Enfin ! Sa composition, type de fonctionnement… ne seront connus que durant l’été 1998. Nous espérons qu’il sera tenu compte des laboratoires indépendants comme l’ACRO dans le nouveau paysage nucléaire français.

Ancien lien