Nucléaire français : la fuite en avant ou l’effondrement

Ce texte est écrit à partir d’un document gardé secret tant le contenu dérange mais que l’ACRO, qui se bat pour qu’il soit rendu public, a pu consulter dans l’objectif de faire progresser la transparence.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) publiée au Journal Officiel du 18 août 2015, vise à préparer l’après pétrole et à instaurer un modèle énergétique robuste et durable. En ce qui concerne le nucléaire, elle s’est fixé comme objectif de réduire sa part dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025. La part du nucléaire étant de l’ordre de 75% actuellement, c’est donc environ un tiers du parc qui doit être arrêté pour atteindre cet objectif, soit environ 19 réacteurs sur 58. A priori les plus anciens.

Or, le combustible MOx, qui permet de recycler le plutonium extrait à l’usine de retraitement d’Orano à La Hague, est utilisé dans les réacteurs les plus anciens du parc. Leur arrêt à l’horizon 2025 aura donc un impact énorme sur l’activité de cette usine et de celle de Melox qui fabrique le combustible. Cela mérite que l’on s’y attarde, surtout quand un débat national sur le plan de gestion des matières et déchets radioactifs est en préparation.

Dès 1997, le directeur de la sûreté des installations nucléaires a indiqué à EDF qu’il souhaitait disposer d’une approche globale de la sûreté du combustible nucléaire. Depuis, EDF a transmis plusieurs dossiers, tous secrets. La dernière mise à jour était demandée pour le 30 juin 2016 par l’ASN qui précisait également les scénarios devant être étudiés afin de tenir compte de l’objectif fixé par la loi pour la transition écologique et pour la croissance verte. EDF a rendu sa copie le 29 juin 2016, dans un dossier intitulé « Impact cycle 2016 » qui n’est pas plus public que ses prédécesseurs. L’ASN a aussi demandé une expertise sur ce dossier à l’IRSN. Le rapport n’est pas public, mais l’ACRO a pu l’examiner.

Selon l’IRSN, le scénario qui conduit donc à l’arrêt de 19 tranches de puissance unitaire 900 MWe et à une production électrique d’origine nucléaire abaissée de 420 TWh à 305 TWh en 2025, conduit à la saturation des piscines de la Hague et des réacteurs nucléaires en moins de 5 ans après la première fermeture. Tout le parc nucléaire devra donc s’arrêter pour cause d’occlusion intestinale après la mise à l’arrêt de moins de 9 tanches utilisant du MOX ! Les résultats de la simulation de l’IRSN confirment la conclusion d’EDF.

EDF a un projet de piscine centralisée bunkérisée pour augmenter ses capacités d’entreposage des combustibles usés. Le rapport IRSN mentionne une ouverture en 2030. Ainsi, toujours selon l’IRSN, le report à 2035 de la limitation à 50 % de la production d’électricité d’origine nucléaire, décale de 10 ans les dates de saturation des piscines, ce qui est compatible avec le calendrier prévisionnel de mise en service de la piscine d’entreposage centralisé, prévue à l’horizon 2030. Et, comme par hasard, le premier ministre a profité de la vacance au ministère de la transition écologique pour annoncer le report de 10 ans de la limitation à 50 % de la production d’électricité d’origine nucléaire…

Rien ne dit qu’EDF terminera sa piscine en 2030. Et, en attendant on ne pourrait pas arrêter le retraitement et le MOx. Pour M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, « si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler. » Il tentait de justifier la construction de nouveaux EPR lors de son audition, le 7 juin 2018, par la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Cela s’applique aussi aux usines de retraitement de la Hague et Melox qui doivent pédaler sans relâche pour éviter l’arrêt complet du parc nucléaire.

Le retraitement consiste à séparer l’uranium, le plutonium des combustibles usés qui sortent des réacteurs. L’uranium, qui représente encore 95% de la masse des combustibles usés, est officiellement recyclable, mais n’est pas recyclé. Comme il ne nécessite pas de stockage en piscine, il est envoyé à Pierrelatte dans la Drôme. Les éléments les plus radioactifs sont concentrés, vitrifiés et entreposés à La Hague en attendant un stockage définitif. Reste le plutonium, moins de 1% de ce qui sort des réacteurs, qui ne peut pas être accumulé pour des raisons de prolifération. Il sert à faire du combustible MOx qui est utilisé dans 22 réacteurs (ceux du palier CPY à Dampierre, Gravelines, Le Blayais, Tricastin, Chinon et Saint Laurent). Le MOx n’est pas retraité ensuite.

C’est ce petit pourcent qui peut bloquer toute la machine. Toute l’industrie nucléaire est donc dans une situation très fragile, car on peut imaginer des aléas qui entraîneraient un arrêt prolongé d’une des mailles de cette chaîne du plutonium. Et le maillon faible, ce sont les évaporateurs de l’usine de retraitement de La Hague qui assurent la concentration des produits de fission. Ces équipements, conçus pour une durée de fonctionnement de trente ans, se corrodent plus rapidement que prévu lors de leur conception. Selon l’ASN, cette corrosion est de nature à remettre en cause à moyen terme la sûreté de l’installation. En effet, la tenue de ces équipements à la pression de leurs circuits de chauffe ou au séisme pourrait être remise en cause dans les prochaines années et potentiellement dès 2018 pour l’évaporateur le plus dégradé. Des fuites sont déjà apparues.

En cas d’arrêt des évaporateurs de l’un des ateliers, l’usine correspondante devrait également être arrêtée. Ainsi, le dossier d’EDF postule un aléa d’exploitation de 6 mois d’arrêt survenant uniquement sur l’une des deux usines de La Hague. Dans ce cas, l’autre usine seule devrait assurer le traitement des combustibles usés. Mais l’IRSN considère qu’un aléa peut survenir sur les deux usines simultanément et qu’un évènement sur un équipement dont le caractère générique nécessiterait l’arrêt d’équipements similaires, ne peut pas être écarté. La situation correspondant à l’arrêt temporaire des deux usines, même pour quelques mois, n’est cependant pas étudiée par Orano Cycle. En tout état de cause, une diminution des capacités de traitement de ces usines pourrait conduire à terme à la saturation des entreposages des combustibles usés.

Ainsi, au regard de la situation actuelle des évaporateurs, l’IRSN relève que l’aléa forfaitaire de six mois retenu ne peut pas être considéré comme enveloppe. Un arrêt des deux usines pour une durée supérieure aux six mois pourrait conduire à une saturation des piscines d’entreposage. L’IRSN demande donc à Orano cycle et EDF de revoir leur copie sur ce sujet et de préciser la durée d’indisponibilité qui conduirait à la saturation des piscines. La réponse est facile à estimer puisque la place disponible à La Hague ne serait plus que de 7,4% : la saturation interviendrait au bout d’une année environ.

L’industrie nucléaire française a donc mis en place un système que l’on ne peut pas stopper sur décision politique, sans risque d’un effet falaise qui arrêterait tout le parc en peu de temps. Mais ce système est extrêmement fragile et le piège pourrait se refermer sur ces concepteurs, à la suite de pannes. Pourtant, François de Rugy, alors président de l’Assemblée nationale, a affirmé : « Ce n’est plus EDF qui fait la politique de l’énergie en France » (AFP, 12/07/2018). Vraiment ?

L’utilisation de MOx dans les réacteurs les plus récents de 1 300 MWe en remplacement des réacteurs les plus anciens n’est pas simple à mettre en œuvre. Cela demande des études complètes sur le fonctionnement des cœurs des réacteurs et des travaux conséquents à instruire et valider. Il faudrait aussi revoir la fabrication des combustibles et leur transport car ils n’ont pas la même longueur dans les réacteurs anciens et les plus récents.

Reste donc l’option d’arrêter les réacteurs les plus récents en premier pour pouvoir continuer à utiliser le combustible MOx ! En effet, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ne stipule pas les réacteurs qui doivent être fermés avant 2025. Ou encore d’arrêter des réacteurs anciens et récents pour satisfaire à la loi sans entraîner l’arrêt complet du parc en 5 ans par effet falaise. L’IRSN montre que c’est possible avec l’arrêt d’autant de réacteurs anciens de 900 MWe que de réacteurs récents de 1 300 MWe. Avec une telle option, les activités des usines de retraitement de fabrication de MOx seraient réduites de moitié.

Quoi qu’il en soit, EDF devrait aussi augmenter rapidement ses capacités d’entreposage de combustibles usés.

Tous ces éléments auraient dû être rendus publics en amont du débat national qui a eu lieu sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie. Ils doivent l’être avant le nouveau débat sur le Plan de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs.

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Mise à jour du 18 octobre 2018

L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a rendu public son avis sur le sujet, mais les rapports “Impact cycle 2016” d’EDF et de l’IRSN restent secrets. Cet avis confirme les informations rendues publiques par l’ACRO. Notamment :

  • La saturation des piscines d’entreposage des combustibles usés à brève échéance après 2030, dans un scénario ou rien ne change. Ce sont les combustibles MOx et à l’uranium de retraitement, non retraités qui s’accumulent. En d’autres termes, si EDF ou Orano ne peuvent pas ouvrir de nouveaux entreposages à temps, ce sera l’occlusion intestinale. L’ASN estime nécessaire que soient présentées les parades envisagées dans l’hypothèse d’un retard de la mise en service de la piscine d’entreposage centralisé.
  • L’arrêt progressif de 19 réacteurs de 900 MWe, dont 13 utilisant du MOX, et l’absence de mise en œuvre de combustible à l’uranium de retraitement, entraînera une saturation des capacités d’entreposage de combustibles usés moins de cinq ans après l’arrêt du premier réacteur.

L’ASN ajoute que, compte tenu de la durée de conception et de réalisation de nouveaux entreposages de combustibles usés, qu’il s’agisse d’entreposages à sec ou sous eau, le délai entre la prise de décision de l’industriel et sa mise en œuvre est de l’ordre de la décennie. En conséquence, l’ASN souligne que, quelle que soit l’évolution du parc de réacteurs, la proportion entre la production électrique des réacteurs consommant du combustible MOX et celle des réacteurs consommant du combustible à l’uranium naturel enrichi doit être conservée, sur la décennie à venir, à un niveau voisin ou supérieur à son niveau actuel. Et donc, l’application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) devra nécessairement entraîner l’arrêt de réacteurs plus récents n’utilisant pas de MOx.

Par ailleurs, l’ASN valide la demande de l’IRSN de réévaluer les conséquences d’un arrêt prolongé du retraitement dans une usine de La Hague.

L’ASN ne demande pas la publication des rapports “impact cycle 2016” et n’explique pas pourquoi ces informations n’ont pas été rendues publiques lors du débat national sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE).

Mise à jour du 24 octobre 2018

Deux semaines après que l’ACRO en ait révélé son contenu, l’IRSN publie enfin le rapport « Impact cycle 2016 », ou du moins une version censurée à 10% et son avis rendu à l’ASN. Il confirme que l’industrie nucléaire française a mis au point un système que l’on ne peut pas arrêter sur simple décision politique et que les seules options possibles sont la fuite en avant ou l’effondrement. La situation de l’approvisionnement électrique français est très fragile à cause de la place prise par une mono-industrie très vulnérable aux aléas d’installations vieillissantes.

Dans son avis à l’ASN, l’IRSN précise que “l’échéance prévue pour la mise à disposition de capacités supplémentaires d’entreposage de combustibles usés présente peu de marge pour éviter une saturation des piscines en considérant les hypothèses retenues dans le scénario “de référence””. Dit autrement, si EDF a du retard pour sa piscine centralisée, comme elle a du retard pour son installation ICEDA ou l’EPR, les piscines seront pleines et il faudra arrêter tout le parc nucléaire à l’horizon 2030. Cet arrêt pourrait avoir lieu plus tôt au moindre aléa ou en cas d’arrêt de réacteurs fonctionnant au MOx.

A noter que “l’IRSN rappelle que le risque de saturation des piscines d’entreposage a été identifié dans le cadre de l’examen des dossiers “Cycle 2000” et “Impact cycle 2007”. Ces rapports n’ont jamais été rendus publics.

L’ACRO est scandalisée que ces informations primordiales n’aient pas été rendues publiques au moment du débat national sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Que représente un tel débat aux yeux des pouvoirs publics ? Une simple opération de communication ?

Pas de débat public sans transparence : l’ACRO demande la publication de deux dossiers

Alors qu’un débat national sur la gestion des déchets et matières nucléaires est prévu d’ici peu, l’ACRO a demandé, fin juillet 2018, à l’ASN et l’IRSN de rendre publics deux documents importants pour éclairer les débats. En vain.

Actuellement, le taux de recyclage des combustibles nucléaires qui sortent des réacteurs nucléaires français est inférieur à 1% (10,8 tonnes de plutonium sur 1 200 tonnes de combustibles déchargés par an), comme l’a reconnu le dernier rapport du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN). Comme le plutonium n’est réutilisé que dans les réacteurs les plus anciens, leur fermeture progressive aura forcément un impact majeur sur la politique de retraitement et de gestion des déchets nucléaires. Voir les détails ici.

EDF a établi, en juin 2016, une étude intitulée « Impact cycle 2016 » étudiant les évolutions potentielles de la politique de retraitement et l’ASN a demandé à l’IRSN d’en faire une expertise. Ces deux rapports ne sont pas publics.

L’ACRO a donc demandé à l’ASN et à l’IRSN de rendre publics ces deux documents non censurés, bien en amont du débat national à venir. Comment peut-on organiser une consultation si toutes les données ne sont pas publiques ?

Voir le communiqué en PDF

La réponse de l’IRSN à notre courrier en recommandé du 30 juillet 2018 : IRSN – réponse

Recyclage du combustible nucléaire : un bilan peu radieux

Pour faire tourner son parc de 58 réacteurs, la France a besoin, bon an mal an, d’environ 1 200 tonnes de combustible nucléaire. La majeure partie est du combustible neuf fabriqué à partir d’uranium naturel, tandis qu’une faible partie est issue du recyclage partiel des combustibles sortis des réacteurs. Le Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN) vient de publier un rapport sur le sujet qui présente un bilan actualisé de la gestion du combustible en France auquel l’ACRO a activement participé. Malgré quelques erreurs factuelles que nous avons signalées, en vain, et des lacunes, ce rapport, qui est une mise à jour du rapport de 2010 sur le même sujet, présente de nombreuses données intéressantes. Il permettra d’éclairer le débat national sur la gestion des déchets et matières radioactifs prévu pour 4 mois à partir de novembre 2018.

Etat des lieux

L’uranium-235 est le seul isotope naturel qui soit fissible, mais il ne représente que 0,7% de l’uranium naturel, dominé par l’uranium-238. Les réacteurs français utilisent de l’uranium enrichi, dont la teneur en uranium-235 est portée à environ 4%. Le reste de l’uranium naturel devient de l’uranium appauvri.

Chaque année, le parc nucléaire français, constitué de 58 réacteurs, consomme environ 1 200 tonnes de combustible, dont 1 080 tonnes d’uranium enrichi d’origine naturelle. L’enrichissement, réalisé par plusieurs entreprises, nécessite, chaque année, environ 7 800 tonnes d’uranium naturel, et génère 6 720 tonnes d’uranium appauvri, qui ne contient plus que typiquement 0,2 à 0,3% d’uranium-235. Le stock détenu par Orano dépasse les 300 000 tonnes.

Le combustible nucléaire passe 4 années en réacteur où une partie de l’uranium-235 fissionne et émet des neutrons qui vont provoquer d’autres fissions. Bombardé par un neutron, l’uranium-238, quant à lui, peut former du plutonium qui est aussi fissible.

A la sortie du réacteur, il y a deux stratégies possibles pour les combustibles usés :

  • ne rien faire. Les combustibles usés sont considérés comme des déchets radioactifs ultimes qu’il va falloir stocker pour des millénaires ;
  • « retraiter » après plusieurs années d’attente. Cela consiste à dissoudre les combustibles usés pour séparer l’uranium non utilisé, dit uranium de retraitement, le plutonium et les déchets ultimes.

La première option est celle de la plupart des pays. La deuxième option est celle de la France, de la Russie et… puis c’est presque tout. Le Royaume-Uni a annoncé l’arrêt du retraitement en 2020 et le Japon affiche bien une volonté de retraiter les combustibles usés, mais la mise en service de son usine à Rokkashô accuse déjà 24 années de retard.

En France, actuellement, seul le plutonium extrait des combustibles usés est recyclé : chaque année, 10,8 tonnes en moyenne de plutonium sont mélangées à 109,2 tonnes d’uranium appauvri pour former 120 tonnes de combustible MOx.

Ce combustible constitue une partie du cœur (à hauteur de 30%) de 24 réacteurs nucléaires français, les plus anciens, ceux du palier CPY-900 MWe, à l’exception des 4 réacteurs de Cruas. Après passage en réacteur, le MOx n’est pas retraité. Orano a un stock de près de 10 000 tonnes de combustibles usés non traités à La Hague.

Ainsi, en guise de bilan, le rapport du HCTISN, précise :

« Sur 1 200 tonnes de combustibles chargées chaque année dans les réacteurs, 120 tonnes sont des combustibles MOX fabriqués à partir des 10,8 tonnes de plutonium recyclé.

Si l’on comptabilise les quantités de matières recyclées, il convient de considérer un taux de recyclage inférieur à 1% correspondant au rapport 10,8 t (matières recyclées) / 1 200 t (matières totales chargées).

Si l’on considère le potentiel énergétique des matières, on peut considérer que la fraction économisée de combustible frais à l’uranium naturel enrichi permise par le recyclage du plutonium conduit à établir le rapport 120 t (combustibles issus du recyclage) / 1 200 t (totalité des combustibles), ce qui représente un taux de recyclage de 10%. »

Par le passé, EDF a aussi recyclé une petite partie de l’uranium de retraitement (cf rapport de 2010), mais ce n’est plus le cas actuellement. La compagnie annonce vouloir reprendre ce recyclage, sans plus de précision. Orano en a possède un stock de près de 30 000 tonnes qui est essentiellement entreposé à sur le site du Tricastin.

Cycle ?

L’industrie nucléaire et les pouvoirs publics parlent de « cycle fermé » pour la stratégie française, alors que moins de 1% de ce qui sort des réacteurs est recyclé. Et pour l’autre option, sans retraitement, il est question de « cycle ouvert », ce qui confine au ridicule. Il est aussi question d’amont et d’aval du cycle. S’il y avait réellement un cycle fermé, il n’y aurait ni amont, ni aval !

L’industrie nucléaire est fière de ses performances : le plutonium, très énergétique, permet d’économiser 10% d’uranium naturel. Mais, lors de l’étape d’enrichissement de l’uranium, c’est la seule « optimisation économique » qui prime, pas l’économie des ressources. Le rapport du HCTISN précise que si le taux résiduel d’uranium-235 dans l’uranium appauvri est de 0,20%, il faut 7 436 tonnes d’uranium naturel pour alimenter le parc français. Mais si ce taux résiduel est de 0,30%, il en faut 9 002 tonnes. L’écart est supérieur à 17%. Or, aller rechercher l’uranium-235 coûte de plus en plus cher si l’on veut un taux résiduel faible. En fonction du cours de l’uranium, il sera plus avantageux d’utiliser plus d’uranium naturel ou d’appauvrir plus l’uranium appauvri. Mais l’économie des ressources ne semble pas être la préoccupation des industriels qui préfèrent l’optimisation économique. Le but du retraitement n’est donc pas l’économie des ressources naturelles !

Quelle évolution à moyen terme ?

La Loi relative à la Transition énergétique et la croissance verte, publiée au Journal Officiel du 18 août 2015, donne comme objectifs à moyen et long termes, de porter la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025. Même si l’horizon de 2025 ne sera pas tenu, la présente majorité gouvernementale n’a pas modifié l’objectif de réduction qui entraînera la fermeture des réacteurs les plus anciens, ceux qui consomment du MOx.

L’application de la loi va donc entraîner une réduction du recyclage qui aura un impact sur l’activité de l’usine de retraitement de La Hague. Mais le sujet est tabou. EDF a remis à l’ASN une étude intitulée « Impact cycle 2016 » établie en juin 2016 sur ce sujet. L’IRSN en a effectué une expertise qui a été remise en mai 2018. Mais ces documents restent secrets et le Haut Comité à la TRANSPARENCE et l’INFORMATION n’a pas suivi les associations qui demandaient la publication de ces documents. L’ACRO a écrit à l’ASN et l’IRSN pour en obtenir une copie. Mais, nos courriers, expédiés fin juillet 2018, restent sans réponse à ce jour. Nous continuerons donc à nous battre pour qu’ils soient rendus publics bien en amont du débat sur la gestion des déchets et matières radioactifs.

Matières non valorisées

Les 300 000 tonnes d’uranium appauvri, les 10 000 tonnes de combustibles usés non traités et les 30 000 tonnes d’uranium de retraitement ne sont pas classés en déchets. EDF annonce bien vouloir reprendre une partie de l’uranium de retraitement pour le réenrichir et le recycler, mais l’uranium de retraitement appauvri reste sans utilisation.

L’industrie nucléaire et les pouvoirs publics considèrent ces stocks comme un trésor qui fera de la France un pays aussi riche que le Koweit. La SFEN parle même d’énergie illimitée. Mais, il y a juste un petit problème, une broutille : on n’a pas la technologie disponible pour “valoriser” toutes ces matières ! Alors on cherche. Et cela fait presqu’un siècle que l’on cherche, en vain.

Les travaux de recherche actuellement en cours, qui entrent dans le cadre de la loi de programmation du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, ont pour but le déploiement, à long terme, de réacteurs nucléaires de quatrième génération. Le projet s’appelle ASTRID et même les plus optimistes ne prévoient pas un déploiement avant la deuxième moitié de ce siècle.

Il s’agit d’un réacteur à neutrons rapides (RNR), comme l’était Superphénix, qui doit faire ce que Superphénix aurait dû faire, avec un siècle de retard. On a vu plus prometteur comme technologie !

Mais si l’on abandonne la génération IV, il faut reclasser presque toutes les matières valorisées en déchets et revoir toute la communication. Alors, on garde Astrid, même si de moins en moins de personnes y croient. Le CEA a même revu à la baisse la puissance de son prototype. Ainsi, pour l’ACRO, FNE et Greenpeace,

« il n’est pas raisonnable de bâtir la politique de gestion des matières et déchets nucléaires français sur cette promesse peu réaliste. Il est indispensable de présenter un plan de gestion alternatif sans génération IV.

Il en est de même pour les grands projets structurants, comme le centre d’enfouissement Cigéo, qui fait l’objet de fortes contestations et qui n’est pas encore qualifié. Là encore, il est important de travailler à un plan de gestion alternatif des déchets radioactifs.

Le reclassement des matières dites valorisables en déchets radioactifs aura un impact énorme sur la gestion des déchets radioactifs et doit être préparé. Il est interdit de stocker en France des déchets radioactifs d’origine étrangère. Est-ce que les matières valorisables d’origine étrangère devenues déchets seront renvoyées dans leur pays d’origine ? »

Information du public

Les exploitants du nucléaire continuent de proclamer haut et fort que 95% des combustibles usés sont recyclables, sans préciser que la technologie n’existe pas et qu’actuellement, c’est moins de 1%.

Comme en 2010, le HCTISN demande une communication plus claire, en vain pour le moment :

« Le Haut comité constate néanmoins que les informations et les documents mis à disposition du public par les acteurs de la filière nucléaire et les parties intéressées sur le « cycle du combustible » ne permettent pas toujours d’appréhender clairement le « cycle du combustible » tel qu’il est mis en œuvre actuellement. L’interprétation des éléments de communication sur le « cycle du combustible » laisse parfois croire en effet à la mise en œuvre de procédés de valorisation immédiate de l’ensemble des matières issues du traitement des combustibles usés. L’enrichissement de l’uranium de retraitement est par exemple évoqué sur plusieurs supports de communication alors qu’il n’est plus mis en œuvre depuis 2013. L’existence et les données relatives aux entreposages de matières valorisables sont souvent peu évoquées. Enfin, les éléments mis à disposition du public ne permettent pas d’appréhender avec clarté l’échelle temporelle des différentes étapes. »

« Ainsi le Haut comité recommande à l’ensemble des acteurs industriels et institutionnels du « cycle du combustible » […] de vérifier et de compléter les informations qu’ils mettent à disposition du public via leur site internet respectif afin que celles-ci permettent de mieux appréhender :

  • le « cycle du combustible » tel qu’il est mis en œuvre actuellement en France en présentant, notamment, les flux et les entreposages actuels des matières en attente de valorisation (combustibles usés, matières issues du retraitement, uranium appauvri),

  • l’échelle temporelle des différentes étapes du « cycle du combustible » afin de mieux cerner les enjeux liés à l’utilisation des matières et à la gestion des déchets radioactifs, en particulier pour les générations futures. »

Conclusion

Alors que la France est un des derniers pays à retraiter les combustibles usés, le sujet est tabou. Une baisse de charge de l’usine de retraitement est inéluctable, mais chut ! Par ailleurs, les installations ne pourront pas être exploitées indéfiniment. Quant au surcoût engendré par le retraitement par rapport au combustible classique, il n’est pas connu non plus.

Le sujet mérite d’être débattu : comment protéger les générations futures si les générations actuelles sont tenues dans l’ignorance ? Comme l’industrie nucléaire n’a pas d’argument à présenter, ses rapports prospectifs sont secrets. Alors, elle tente de faire vibrer la fibre nationaliste en mettant en avant sa position de leader au monde. Mais la France est quasiment seule…

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Annexe au rapport du HCTISN dans sa version originale, signée par l’ACRO, FNE et Greenpeace

Les associations signataires saluent la publication de ce rapport qui fait un bilan sur le combustible nucléaire, son utilisation, traitement et devenir, même s’il reste incomplet. Plusieurs questions sont sans réponse.
Il apparaît que moins de 1% des combustibles irradiés sont recyclés actuellement (0,9%) et il est abusif de parler de « cycle » et encore plus de « cycle fermé ». La terminologie « cycle ouvert » pour qualifier l’absence de cycle frise le ridicule. Par ailleurs, plus du tiers des combustibles usés issus des réacteurs à eau pressurisée d’EDF ne sont actuellement pas retraités, quarante ans après le premier déchargement.
Le combustible MOX n’est utilisé que dans les réacteurs les plus anciens. Leur arrêt progressif dans les années à venir va entraîner une baisse du retraitement et du taux de recyclage. Comme le rapport n’aborde pas cette évolution, nous demandons la publication complète du rapport « Impact Cycle 2016 » établi par EDF au nom également d’Orano Cycle et de l’Andra et du rapport d’expertise de l’IRSN sur le dossier. Nous regrettons de ne pas avoir été suivis par le Haut comité à la TRANSPARENCE et l’INFORMATION sur ce sujet.
La classification en matières valorisables des combustibles irradiés non traités et de l’uranium de retraitement repose sur une chimère, la génération IV de réacteurs nucléaires refroidis au sodium, un métal qui s’enflamme spontanément à l’air et qui explose dans l’eau. Le concept date des années 1950 et, s’il devait aboutir, aura fait l’objet de plus d’un siècle de recherches et développements. De plus, la puissance du projet de démonstrateur Astrid a été revue à la baisse. Il n’est pas raisonnable de bâtir la politique de gestion des matières et déchets nucléaires français sur cette promesse peu réaliste. Il est indispensable de présenter un plan de gestion alternatif sans génération IV.
Il en est de même pour les grands projets structurants, comme le centre d’enfouissement Cigéo, qui fait l’objet de fortes contestations et qui n’est pas encore qualifié. Là encore, il est important de travailler à un plan de gestion alternatif des déchets radioactifs.
Le reclassement des matières dites valorisables en déchets radioactifs aura un impact énorme sur la gestion des déchets radioactifs et doit être préparé. Il est interdit de stocker en France des déchets radioactifs d’origine étrangère. Est-ce que les matières valorisables d’origine étrangère devenues déchets seront renvoyées dans leur pays d’origine ?

Rapport du HCTISN sur la gestion du combustible nucléaire

Le Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN) vient de rendre public son rapport sur la gestion du combustible nucléaire en France. Même s’il est incomplet et présente encore des erreurs factuelles que nous avons signalées en vain, ce rapport apporte des informations nouvelles.

De plus, l’annexe signée de l’ACRO, FNE et Greenpeace ne correspond pas exactement au texte que nous avons envoyé :

Les associations signataires saluent la publication de ce rapport qui fait un bilan sur le combustible nucléaire, son utilisation, traitement et devenir, même s’il reste incomplet. Plusieurs questions sont sans réponse.
Il apparaît que moins de 1% des combustibles irradiés sont recyclés actuellement (0,9%) et il est abusif de parler de « cycle » et encore plus de « cycle fermé ». La terminologie « cycle ouvert » pour qualifier l’absence de cycle frise le ridicule. Par ailleurs, plus du tiers des combustibles usés issus des réacteurs à eau pressurisée d’EDF ne sont actuellement pas retraités, quarante ans après le premier déchargement.
Le combustible MOX n’est utilisé que dans les réacteurs les plus anciens. Leur arrêt progressif dans les années à venir va entraîner une baisse du retraitement et du taux de recyclage. Comme le rapport n’aborde pas cette évolution, nous demandons la publication complète du rapport « Impact Cycle 2016 » établi par EDF au nom également d’Orano Cycle et de l’Andra et du rapport d’expertise de l’IRSN sur le dossier. Nous regrettons de ne pas avoir été suivis par le Haut comité à la TRANSPARENCE et l’INFORMATION sur ce sujet.
La classification en matières valorisables des combustibles irradiés non traités et de l’uranium de retraitement repose sur une chimère, la génération IV de réacteurs nucléaires refroidis au sodium, un métal qui s’enflamme spontanément à l’air et qui explose dans l’eau. Le concept date des années 1950 et, s’il devait aboutir, aura fait l’objet de plus d’un siècle de recherches et développements. De plus, la puissance du projet de démonstrateur Astrid a été revue à la baisse. Il n’est pas raisonnable de bâtir la politique de gestion des matières et déchets nucléaires français sur cette promesse peu réaliste. Il est indispensable de présenter un plan de gestion alternatif sans génération IV.
Il en est de même pour les grands projets structurants, comme le centre d’enfouissement Cigéo, qui fait l’objet de fortes contestations et qui n’est pas encore qualifié. Là encore, il est important de travailler à un plan de gestion alternatif des déchets radioactifs.
Le reclassement des matières dites valorisables en déchets radioactifs aura un impact énorme sur la gestion des déchets radioactifs et doit être préparé. Il est interdit de stocker en France des déchets radioactifs d’origine étrangère. Est-ce que les matières valorisables d’origine étrangère devenues déchets seront renvoyées dans leur pays d’origine ?

Le rapport HCTISN.

Commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires :

Accès direct à la vidéo de l’audition du président de l’ACRO, le 31/5/2018

L’ACRO se réjouit que les principales recommandations de son étude sur les plans d’urgence en cas de catastrophe nucléaire soient reprises par le rapport de la commission d’enquête parlementaire (p. 66).

Le site de la commission d’enquête avec le rapport est ici.

ACROnique du nucléaire #121, juin 2018

  • Edito
  • Surveillance radiologique du littoral normand – focus 2017 sur les plages du Cotentin
  • Soudures défectueuses sur l’EPR de Flamanville
  • Projet de piscines centralisées de combustible
  • “l’ACRO demande l’extension de la distribution d’iode de 100km autour des centrales nucléaires françaises, comme en Belgique” communiqué du 6 mars 2018
  • Revue de presse

 

L’ACRO attend plus de transparence sur le projet de piscines centralisées pour les combustibles usés

Conformément aux exigences règlementaires, EDF a remis à l’ASN, en avril 2017, un dossier d’options de sûreté (DOS) sur son projet de piscines centralisées devant accueillir, en 2030, les combustibles usés non retraités. Ce rapport n’est pas public. Sollicitée lors d’une réunion de dialogue organisée à Paris le 28 mars 2018 par l’ANCCLI et l’IRSN, EDF a refusé de transmettre une version expurgée des données classées par le secret défense. La compagnie a aussi refusé de répondre à la plupart des questions posées par les personnes présentes.

La transparence reste un combat dans le nucléaire. Dans de telles conditions, l’ACRO ouvre une page spéciale avec les informations recueillies sur le sujet.

L’héritage radioactif de Chalk River

La construction d’un dépotoir pouvant stocker un million de mètres cubes de déchets faiblement radioactifs à Chalk River, en Ontario, suscite des craintes environnementales car l’emplacement choisi est à moins d’un kilomètre de la rivière des Outaouais, la source d’eau potable de millions d’habitants du Canada.

L’équipe de Radio-Canada est donc venue enquêter sur le Centre de Stockage de la Manche qui est devenu une référence internationale pour les mauvaises pratiques en matière de gestion des déchets radioactifs. L’ACRO, qui effectue une surveillance citoyenne de site, a contribué au documentaire.

Le reportage a été diffusé à Découverte, dimanche 25 mars à 18h30 (HAE) à ICI Radio-Canada Télé :

L’ACRO a effectué quelques analyses de la radioactivité dans les environs du site de Chalk River qui font apparaître une faible contamination au cobalt-60 et au césium-137 des sédiments de la rivière des Outaouais. Du tritium a aussi été détecté dans l’eau. Voir le rapport d’analyse.

Une animation du dépotoir nucléaire proposé à Chalk River.