Débat public – Projet Penly 3

ACROnique du nucléaire n°91, décembre 2010


La Commission Particulière du Débat Public (CPDP) dirigée par M Didier Houi  a été nommée par la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) afin d’animer  la confrontation entre, d’une part, EDF, le maître d’ouvrage et les différents acteurs se sentant concernés par le projet de construction d’une troisième unité de production électronucléaire sur le site de Penly de type EPR (Projet Penly 3).

Le débat public s’est déroulé entre le 24 mars 2010 et le 24 juillet de cette même année, lorsque la CNDP a jugé que le dossier fourni par EDF était assez complet pour être soumis au débat public.

Pour avoir le droit de prendre place à la tribune, les associations ou les organismes intéressés devaient rédiger un cahier d’acteur résumant leur position vis-à-vis du projet EDF et disposaient, de ce fait, théoriquement, du temps nécessaire pour expliciter leur argumentation. Le public, lui, lorsqu’il parvenait à avoir le micro n’avait que trois minutes pour poser une question, alors qu’EDF pouvait répondre sans limite de temps et avoir le dernier mot…..

Le but de cet article n’est évidemment pas de résumer tout ce qui a pu être dit au cours des douze séances du débat public. (Le lecteur pourra trouver sur l’internet les verbatim ainsi que les vidéos des séances). Il consiste seulement à expliquer pourquoi il a semblé à l’ACRO utile de participer au débat (en dépit du fait que nous considérions que les jeux étaient faits d’avance),  de rendre compte de certains arguments que nous avons avancés, et des questions que nous avons posées oralement et par écrit ainsi que des réponses qui nous ont été apportées.

Contrairement à certaines associations qui ont refusé de s’associer au débat, nous avons opté d’y participer. En effet, ne pas le faire aurait abouti à laisser le champ libre au maître d’ouvrage qui aurait ainsi pu développer à loisir son argumentation sans la moindre contestation technique et obtenir un certain soutien public. Nous avons eu raison, comme le montre la réaction de ce même public lors des débats, et, surtout comme le démontre la CPDP dans son document final intitulé « Compte rendu du débat public » de septembre 2010, qui reprend un grand nombre de nos observations et de nos mises en cause du projet Penly 3 d’EDF.

 

La position de l’ACRO vis-à-vis du projet Penly 3 (voir ACROnique du nucléaire n° 89 de juin 2010) :

·       Que ce projet, renforçant la part du nucléaire, (déjà de 80% de la production d’électricité), va à l’encontre de la politique énergétique  définie par la loi.

·       Qu’EDF devait justifier de plusieurs années d’exploitation (3 ans minimum) avant de pouvoir disposer d’un produit industriel fiable. Ce n’est, évidemment, pas le cas.

·       Qu’en proposant une énergie surabondante sans résoudre les problèmes de pics de demande, EDF fournit une solution inacceptable au problème. Il est intéressant de remarquer que c’est la conclusion de l’étude commandée par la CPDP à un cabinet indépendant.

·       Que le code de la santé publique stipule le principe de justification, institué par la CIPR (Commission internationale de protection radiologique). EDF n’a pas tenu compte de ce principe dans sa présentation de la radioprotection (p 118 de son dossier).

 Pour toutes ces raisons, l’ACRO a pris position contre le projet Penly3.

 

Examinons maintenant plusieurs questions orales et écrites posées par l’ACRO ainsi que les réponses fournies.

 

·        « Quelle est la fiabilité du système de contrôle commande de l’EPR? »

Celle-ci a été critiquée, au deuxième semestre 2009 par les autorités de sûreté nucléaire française, finlandaise et anglaise. Le premier ministre avait, alors, déclaré que le problème serait résolu avant la fin de l’année…. Sans préciser laquelle….. La réponse, embarrassée d’EDF a consisté à dire qu’un accord de principe avait été obtenu de l’ASN lors de sa présentation. Puis, que tout serait réglé pour juin 2010. Nous en sommes toujours là et, pour le moment, rien n’indique que les choses ont vraiment évolué.

 ·        « Pourquoi EDF a-t-elle fait l’hypothèse d’un retraitement à 100% pour calculer la quantité de déchets générés par l’EPR alors que ce réacteur va consommer du MOX qui n’est pas retraité ? Pourquoi EDF n’a-t-elle pas compté tous les déchets générés, de la mine d’uranium au démantèlement ? N’est-elle pas capable de faire une estimation honnête ? »

Réponse EDF : Nous avons fait l’hypothèse d’un retraitement à 100 % du combustible usé car c’est l’option qui est retenue à terme pour le traitement des combustibles usés, UO2 et MOX (cf. dossier du maître d’ouvrage p 130).

Votre seconde question est relative à l’exhaustivité de l’inventaire des déchets générés par Penly 3. Dans le dossier du maître d’ouvrage, nous avons présenté les déchets d’exploitation et de retraitement des combustibles usés (page 54 du dossier du maître d’ouvrage). Nous avons également présenté les déchets de démantèlement pour une unité du parc actuel (page 120 du dossier du maître d’ouvrage). Les calculs n’ont pas encore été effectués pour les unités de type EPR, les résultats devraient être du même ordre de grandeur. Enfin, nous avons précisé lors de la réunion du Havre, le 10 juin, que le volume de déchets conventionnels produits par le démantèlement d’une unité était de 100 000 m3 environ.

Les déchets restent définitivement propriété de celui qui les génère. Dans le dossier du maître d’ouvrage, nous avons décrit les déchets que Penly 3 sera susceptible de produire directement ou indirectement. Les déchets miniers et ceux générés par la fabrication des éléments combustibles ne sont pas propriété d’EDF, seuls leurs producteurs en connaissent le détail ; de la même manière que quand nous achetons un litre d’essence, nous n’avons pas d’indication précise sur les types et les quantités de déchets qui ont été générés pour le produire.

Les éléments fournis ci-dessus nous semblent de nature à dissiper les inquiétudes formulées dans votre troisième question.

Commentaire : Eh bien, pas tellement….. EDF botte en touche et ne répond pas vraiment à la question. Le recyclage du MOX ne devrait être possible qu’avec la très hypothétique génération 4 de réacteurs nucléaires (voir le dossier sur le sujet). Il endommage plus les cuves de réacteurs….. EDF, pourtant, dans ses documents internes ne cache pas sa réticence à utiliser ce combustible qui intéresse seulement AREVA.

 ·         « Pourquoi EDF a-t-elle fait une présentation incomplète de la radioprotection et a omis le principe de justification ? »

Réponse EDF : Votre question porte sur le premier principe sur lequel repose la radioprotection, à savoir la justification, en réponse aux impositions de l’article L1333.1 du Code de la santé publique.

La radioprotection désigne l’ensemble des mesures mises en œuvre pour protéger l’homme de la radioactivité : le public, les travailleurs de l’industrie (et en particulier de l’industrie nucléaire), le personnel médical, les chercheurs…

La Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants (CIPR) a défini les trois principes de la radioprotection : justification, optimisation, limitation des doses de rayonnements.

La définition du principe de justification est inscrite dans l’ordonnance 2001-270 du 28 mars 2001 relative à la transposition de directives communautaires dans le domaine de la protection contre les rayonnements ionisants : « Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes.»

Conformément à la communication de la Commission européenne  au sujet de la mise en œuvre de la Directive EURATOM 96/29 (Journal officiel n° C 133 du 30/04/1998 p. 0003), la détermination de la justification de toute nouvelle pratique incombe aux Etats membres.
L’entité responsable de la justification doit en effet être indépendante des propriétaires et des exploitants de la pratique. A ce titre, EDF fournit des éléments nécessaires pour vérifier que la pratique est justifiée au sens de la radioprotection, comme c’est le cas pour des travaux importants soumis à autorisation.Conformément à l’ordonnance 2001-270 du 28 mars 2001, les autorisations délivrées aux installations nucléaires de base (INB) tiennent lieu d’autorisation des activités.

Concernant la création d’une nouvelle unité de production électronucléaire en France, la détermination de la justification est formalisée par la délivrance d’un Décret d’autorisation de création par le Premier ministre contresigné par les ministres chargés de la sûreté nucléaire (Ministres chargés de l’Environnement, de l’Industrie et de la Santé), après instruction du dossier de Demande d’autorisation de création par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Le dossier déposé par l’exploitant comprend (cf article 8 du décret du 2 novembre 2007) notamment  le rapport préliminaire de sûreté, l’étude de maîtrise des risques, l’étude d’impact sur l’environnement et la santé, le bilan et le compte-rendu du débat public.

Commentaire : En fait, le galimatias développé ci-dessus montre qu’EDF se contente de « fournir des éléments » aux autorités françaises (puisque chaque état membre est responsable…) L’absence de remarques vaut approbation… EDF ne répond pas à la question : pourquoi le principe de justification n’est pas écrit en toutes lettres dans son dossier?

 ·       « Pourquoi EDF a-t-elle refusé de répondre aux questions posées par la CLI de Brennilis lors de l’enquête publique ? N’avait-elle pas les réponses aux questions posées ? » 

Réponse EDF : Votre question porte sur l’instruction des recommandations émises par la CLI (Commission locale d’information auprès de l’installation nucléaire du site des monts d’Arrée à Brennilis)  à l’issue de l’enquête publique portant sur la demande de décret de démantèlement complet de la centrale de Brennilis.

La demande d’autorisation de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement d’une centrale nucléaire est soumise à enquête publique telle que prévue par l’article 13 du décret du 2 novembre 2007.
Ce dernier énonce notamment que le préfet de département consulte pour avis un certain nombre d’instances dont la commission locale d’information.
La CLI a organisé en 2009, pour préparer son avis, sept réunions consacrées au dossier de démantèlement de la centrale de Brennilis.

La CLI a rendu, le 1er décembre 2009, un avis favorable sur le dossier de démantèlement de la centrale de Brennilis.

Cet avis, accompagné d’un certain nombre d’observations et de recommandations structurées autour de 15 thèmes, a été transmis au Préfet du Finistère le 2 décembre 2009 en insistant  pour que les quinze points soient pris en compte dans le décret autorisant le démantèlement de l’installation.
Dans son courrier adressé au préfet du Finistère, le Président de la CLI n’exprime pas la volonté qu’EDF réponde à ces recommandations mais leur prise en compte dans le décret.

Au cours des diverses réunions organisées par la CLI, EDF a toutefois répondu à toutes les questions des membres de la CLI et du public et a apporté oralement des éléments de réponse à la plupart des recommandations de la CLI.

Afin d’éclairer les auteurs du futur décret d’autorisation, les divers avis recueillis par le Préfet, à savoir celui de la CLI, de la CLE (Commission locale de l’eau), du Conseil général, des conseils municipaux sont adressés aux ministres chargés de la sûreté nucléaire au même titre que le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur et l’avis du préfet.

Les recommandations émises par la CLI seront traitées, par les services de l’État et par  l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le cadre de l’instruction du futur décret.

Commentaire : Dans son courrier le président de la CLI ne mentionne pas explicitement qu’il attend une réponse d’EDF. EDF n’a donc pas fait de réponse formelle! Incroyable! Quel mépris pour la CLI et le public.

 ·       « Pourquoi EDF avait-elle fait espionner des associations opposées à l’EPR de Flamanville ? EDF peut-elle s’engager à ne pas faire espionner les associations impliquées dans le débat cette fois-ci ? »[1]

Réponse EDF : Votre question fait référence à la question n°19 qui portait sur l’instruction judiciaire en cours relative à des faits d’intrusion frauduleuse dans des systèmes d’information, visant en particulier des représentants de l’association Greenpeace.

Dès qu’elle a eu connaissance de la situation, EDF s’est attachée à recueillir les informations nécessaires notamment pour apporter tout son concours au bon déroulement de l’enquête judiciaire devant déterminer les éventuelles responsabilités.

EDF a découvert, dans le cadre des investigations conduites au sein de l’entreprise qu’un contrat de veille avec la société Securewyse avait été signé en dérogation aux règles du Groupe. Ce contrat a été résilié depuis.

L’entreprise s’attache au quotidien à assurer la sécurité de ses installations et des personnes, avec les services de l’État, afin de prévenir toute action violente sur ses sites notamment nucléaires, dont la protection relève de la défense nationale. Dans ce cadre, EDF, comme toutes les entreprises industrielles, réalise une veille constante des informations susceptibles d’affecter son activité dans le strict respect des dispositions légales.

EDF condamne fermement toute méthode visant à obtenir des informations de manière illicite. C’est une des raisons pour lesquelles EDF a demandé à se porter partie civile.

EDF souhaite que toute la lumière soit faite dans cette affaire avec équité et dans la sérénité, au seul regard de l’examen objectif des faits.

Commentaire : Pris la main dans le sac, EDF a osé se porter partie civile contre la société qui a accompli pour son compte le méfait relaté ! La justice ne s’y est pas trompée puisque

la cour d’appel de Versailles a débouté le groupe EDF. Dans un arrêt rendu le 3 septembre 2010, la chambre d’instruction de la cour d’appel a débouté le groupe d’électricité de sa demande, estimant qu’il n’était “pas nécessaire qu’EDF obtienne par la voie judiciaire” des fichiers “qu’il lui est reproché de s’être procurés illégalement”.

Le parquet de Nanterre vient, par ailleurs, de requérir le renvoi en correctionnelle d’EDF et de ses deux anciens dirigeants, notamment pour “complicité d’accès et maintien à un système automatisé de données aggravés par l’utilisation d’un moyen de cryptologie”. Il revient désormais au juge d’instruction en charge du dossier, de décider ou non de leur renvoi devant le tribunal. C’est particulièrement instructif…..

·        A Envermeu (Seine Maritime), le sujet de la dangerosité du tritium a été évoqué par un membre de l’ACRO : qui a souligné l’obstination des représentants d’EDF à présenter le tritium comme un radionucléide presque inoffensif, qui peut être rejeté dans l’environnement sans précaution particulière, sous prétexte que le rayonnement bêta est faible et qu’il ne délivre sa charge radioactive qu’à un micromètre de distance environ. De ce fait, les dégâts qu’il peut occasionner dans l’ADN des cellules qu’il bombarde de l’intérieur lorsqu’il les pénètre sous sa forme tritium organiquement lié et qui ont été étudiés en Allemagne et en Angleterre mettent en évidence que les modèles actuels ne permettent pas d’expliquer ces faits et rendent nécessaire l’application du principe de précaution, qui fait partie de notre constitution depuis 2004, jusqu’à la conclusion d’études complémentaires indispensables.

La bioaccumulation, observée par des analyses effectuées sur les poissons et les crustacés de la baie de Cardiff est toujours niée par EDF confortée par l’obstination de l’IRSN. L’ASN pour sa part commence a admettre la nécessité d’études complémentaires et a confié une mission d’évaluation a deux groupes de travail qui ont remis leurs conclusions en juillet 2010.

La directive européenne 96-29, en son article 6,  stipule qu’il n’est pas envisageable, sans analyse sérieuse, de permettre une augmentation des rejets tritiés des différents sites de production  l’ASN, cependant,  a permis pratiquement un doublement des émissions de Paluel et 25 % d’augmentation sur Penly.

La convention OSPAR, signée par la France en 1999 visant à réduire vers zéro les rejets chimiques et radioactifs dans l’Atlantique Nord, dans la Manche, d’ici à 2019 ? EDF n’en tient aucun compte, pas plus d’ailleurs que de ce qu’a  écrit le député Christian Bataille, qui n’est pas particulièrement un antinucléaire : « Les autorités responsables des installations nucléaires doivent être conscientes que les rejets de tritium dans l’environnement risquent de devenir, dans les années à venir, un problème majeur et certainement un des principaux axes de la contestation antinucléaire ».

·        La question des rejets en tritium des installations nucléaires en général et de l’EPR en particulier a été évoquée par un membre de l’ACRO à Envermeu. C’est le sujet chaud du moment. Cet adhérent a rappelé que le tritium était présenté comme étant presque inoffensif et qu’il était rejeté sans restriction dans l’environnement. Or, de nombreuses études au niveau européén remettent en cause les connaissances sur son impact sanitaire et son comportement dans l’environnement. L’augmentation des autorisations de rejets des centrales nucléaires existantes va à l’encontre du principe de précaution inscrit dans la Constitution française et de la convention d’OSPAR sur la protection de l’Atlantique du Nord-Est.

 

CONCLUSION :

Ce débat est en recul par rapport à celui de Flamanville. Il a vu, cependant, l’apparition des intérimaires du nucléaire comme groupe organisé prenant part au débat. Mais, le compte-rendu final les ignore. Le seul point positif est la commande d’une expertise indépendante sur le contexte énergétique qui aboutit à la conclusion que l’EPR Penly 3 n’est pas nécessaire.

Tout au long du débat public, EDF a insisté sur son sens des responsabilités, son respect des procédures et des règlements et sur la notion clé de transparence. Les exemples ci-dessus montrent qu’EDF ne répond pas vraiment aux questions posées. Les réponses sont arrivées très tard, empêchant ainsi toute possibilité de réaction et de demande d’approfondissement. Dans son compte rendu du débat public, la CPDP remarque que « la majorité du public n’y croit pas ou plus… » Un membre de la mission permanente de la France auprès de l’AIEA rappelle que « la transparence est un élément déterminant de l’utilisation responsable de l’énergie nucléaire ».Or le nombre d’incidents évoqués lors du débat et n’ayant pas fait l’objet d’un traitement à la hauteur des engagements pris le montre à l’évidence, EDF parle beaucoup mais agit peu. Cette société reconnaît, d’ailleurs, que la transparence est un sujet compliqué et qu’il est difficile de communiquer sur le nucléaire…. (p 62 du compte rendu de la CPDP).

Le compte rendu conclut, enfin, sur ce sujet en mentionnant « que la suspicion sur le souci de transparence d’EDF s’installe de façon plus définitive quand le classement « secret défense » du rapport Roussely est confirmé deux mois après la date de sortie annoncée alors qu’il concerne l’avenir de la politique énergétique nationale et du nucléaire en particulier ».

Est-il nécessaire d’ajouter quelque chose à cela ? 


[1] Début avril, une question était posée à EDF sur les affaires d’espionnage qui avaient eu lieu lors du débat EPR à Flamanville. La personne demandait des garanties de la part d’EDF qu’il n’y aurait pas de nouvel espionnage des associations opposées au projet. Non seulement, EDF n’a jamais répondu bien que 2 mois se soient écoulés, mais la question a discrètement disparue du site Internet du débat. Est-ce sous la pression d’EDF, ou bien est-ce un choix délibéré de la part de la CPDP ?

Ancien lien

Le mythe du recyclage des combustibles nucléaires

Paru dans l’ACROnique du nucléaire n° 91 de décembre 2010


Areva est très fière de son activité à l’usine de La Hague : « grâce à notre plateforme industrielle, 96% des matières contenues dans les combustibles usés peuvent être valorisées sous forme de nouveaux combustibles, MOX (mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium), ou URE (uranium de recyclage enrichi). » Et d’ajouter que le recyclage permet « une économie d’uranium naturel de l’ordre de 20 à 25% ». Voir par exemple le rapport 2009 d’Areva sur le traitement des combustibles usés provenant de l’étranger disponible en ligne. Au HCTISN, Areva a annoncé 17% d’économie d’uranium. Il y a donc des chiffres pour les experts et des chiffres pour les gogos, pardon, le public…

Comment se fait-il que si l’on recycle 96% de la matière, on ne fait une économie que de 25% maximum ? Plongeons nous donc dans ce que l’industrie nucléaire appelle le « cycle du combustible » pour comprendre.

Le détail des flux de matières à chaque étape du « cycle nucléaire » n’était pas connu, malgré les demandes répétées des associations. Grâce à la diffusion sur Arte d’un film sur l’envoi en Russie d’une partie de l’uranium de retraitement, le sujet a fait polémique et  le HCTISN[1] a été saisi. Il a rendu son rapport le 12 juillet 2010. L’ACRO, qui siège au Comité et a participé au Groupe de Travail, n’a pas signé le rapport. Il a été difficile d’arracher des données exhaustives aux exploitants et les chiffres obtenus ne sont pas toujours cohérents entre eux. Les données nouvelles contenues dans ce rapport vont cependant nous permettre, de façon approximative, d’estimer le taux de recyclage de l’industrie nucléaire. Sauf mention contraire, tous les chiffres qui suivent sont tirés de ce rapport disponible sur le site Internet du Comité. Le point de vue de Wise Paris, des associations de protection de l’environnement qui ont participé à ce groupe de travail, est sur notre site Internet.

La chaîne de l’uranium, de la mine à l’entreposage

L’atome d’uranium a essentiellement deux isotopes dans la nature, l’uranium 235 et l’uranium 238. Ils ont les mêmes propriétés chimiques, mais ont une masse légèrement différente. En revanche, le noyau de l’atome a des propriétés différentes : l’uranium 235 fissionne facilement quand il est bombardé par un neutron, mais pas l’uranium 238.

Dans la nature, la proportion entre ces deux isotopes est de 0,7% pour l’uranium 235, le fissible, et 99,3% pour l’uranium 238. Il y a aussi un tout petit peu d’uranium 234 (0,0057%). A l’exception des réacteurs Candu au Canada, qui fonctionnent avec de l’uranium naturel, les réacteurs nucléaires utilisent un combustible qui contient de 3,5% à 5% d’uranium 235. Il faut donc « enrichir » l’uranium naturel : c’est une étape complexe et coûteuse industriellement. Selon le HCTISN, en moyenne sur les trois dernières années, il a fallu 8 100 tonnes d’uranium naturel pour produire 1 033 tonnes de combustible nucléaire. Le reste étant de l’uranium appauvri.

L’uranium appauvri n’est pas considéré comme un déchet, car une petite partie est utilisée comme nous le verrons plus tard et le reste est potentiellement utilisable dans l’avenir si la génération IV des réacteurs nucléaires voit le jour. C’est donc un « stock stratégique ».

Ces chiffres sont cependant à manier avec précaution car, dans ce même rapport, on peut lire qu’en 2008 EDF a importé 8 695 tonnes d’uranium naturel pour son parc. Cela fait 7,3% de plus que la valeur moyenne annoncée. Par ailleurs, en fonction des cours de l’uranium, le processus d’enrichissement sera plus ou moins poussé, comme illustré dans le tableau ci-dessous.

 

Production de 1000 t d’uranium enrichi à 4%  (dont 40 tonnes
d’uranium 235)

Quantité d’uranium
naturel nécessaire

(dont uranium 235)

7436 tonnes (52 tonnes 235U)

8134 tonnes (57 tonnes 235U)

9002 tonnes (63 tonnes 235U)

Quantité d’uranium
appauvri généré par l’enrichissement (dont uranium 235)

6436 tonnes (12 tonnes 235U)

7134 tonnes (17 tonnes 235U)

8002 tonnes (24 tonnes 235U)

Teneur de l’uranium
appauvri en uranium 235

0,20%

0,25%

0,30%

Illustration de la possibilité d’arbitrage entre uranium et services d’enrichissement

A la sortie du réacteur, seule une partie de l’uranium 235 contenue dans les combustibles a été consommée : il en reste de l’ordre de 0,8 à 0,9%, c’est-à-dire plus que dans la nature. L’uranium 238, quand il est bombardé par des neutrons, a tendance à se transformer par radioactivité en plutonium, qui lui, peut fissionner plus facilement. Bref, une partie du combustible qui sort des centrales nucléaires est a priori réutilisable. A 96% selon les exploitants. C’est l’objet du retraitement qui a pour but de séparer chimiquement les matières valorisables des déchets ultimes. Certains pays comme la Suède ou les Etats-Unis ont choisi de ne pas retraiter. Tout ce qui sort de leurs centrales constitue donc des déchets ultimes.

Sur les 1 033 tonnes de combustibles neufs qui entrent annuellement dans le parc de réacteurs français, 850 tonnes par an sont retraitées après un séjour de 3 ans en réacteur. Areva en extrait 8,5 tonnes de plutonium et 800 tonnes d’uranium dit de retraitement. Le reste constitue des déchets ultimes. Quant au combustible non retraité, il n’est pas classé dans les déchets car il pourra être retraité un jour.

Avec les 8,5 tonnes de plutonium, mélangées à 91,5 tonnes d’uranium  appauvri, ce sont 100 tonnes de combustible MOx qui s’ajoutent aux 1033 tonnes de combustible neuf. Ce combustible de recyclage peut alimenter partiellement 22 réacteurs autorisés en France. Cela correspond en moyenne à 20 recharges par an et produit la même énergie qu’un combustible « classique » contenant 3,7%  d’uranium 235.

Sur les 800 tonnes d’uranium de retraitement, 300 sont envoyées en Russie, à Tomsk, pour être réenrichies. Les 500 tonnes restantes viennent s’ajouter tous les ans au « stock stratégique ».  La Russie renvoie en France 37 tonnes de combustible par an et garde les 263 tonnes d’uranium appauvri. L’uranium de retraitement réenrichi alimente deux des réacteurs de la centrale de Cruas le long du Rhône.

Le recyclage se limite donc à 100 tonnes de combustible MOx et les 37 tonnes de combustible à base d’uranium de retraitement, qui viennent s’ajouter aux 1 033 tonnes de combustible classique dans les réacteurs. Les combustibles recyclés ne sont pas à nouveau retraités ni recyclés après leur passage en réacteur. Il n’y a donc qu’un tour de recyclage.

Au total, ce sont donc 1 170 tonnes de combustibles usés qui sortent des réacteurs par an. Ainsi, 8,5 tonnes de plutonium plus 37 tonnes d’uranium de retraitement sur 1 170 tonnes de combustible, cela ne fait que 3,9% de recyclage. On est loin des 96% fanfaronnés par l’industrie nucléaire ! Si l’on ajoute l’uranium appauvri, les 137 tonnes de combustible issu du recyclage permettent une économie de 11,7% d’uranium naturel. C’est bien en dessous des 20 à 25% affichés par Areva !

Et encore, ces chiffres correspondent à la meilleure performance de l’industrie nucléaire qui n’a pas voulu remonter plus loin dans le temps. La réutilisation de l’uranium de retraitement n’a commencé qu’en 1994, alors que le retraitement a commencé en 1966. Le recyclage du plutonium était aussi bien moins important dans le passé.

EDF et Areva ont signé un contrat pour le retraitement de 1050 tonnes par an à partir de 2010. Cela devrait conduire, , à une économie de 17% pour l’uranium naturel et un taux de recyclage de ce qui sort des réacteurs de 7,3% si EDF obtient l’autorisation de passer à 4 réacteurs pour l’uranium de retraitement et à 24 pour le MOx. Cette performance ne sera atteinte qu’en allant puiser 75 t par an dans les stocks de combustibles usés non retraités jusqu’à maintenant. Comme il n’y a qu’un tour de recyclage, ces chiffres sont très proches du maximum atteignable avec les technologies du « cycle » actuel.

A titre de comparaison, le Japon, qui a fait retraiter une partie de ses combustibles usés à l’étranger (France et Grande-Bretagne), commence tout juste à brûler du MOx et n’a réutilisé qu’une très petite quantité d’uranium de retraitement. Le gain est quasi nul alors qu’il a investi dans une usine de retraitement qu’il n’arrive pas à faire démarrer.

On peut difficilement parler de « cycle » du combustible… Le mot « chaîne » semble plus approprié.


Chaîne annuelle de l’uranium

 8100 tonnes d’uranium naturel→ Enrichissement →

1033 tonnes de combustibles neufs + 7 067 tonnes d’uranium appauvri (UA)

 CHAINE ANNUELLE DU COMBUSTIBLE 


1033 tonnes combustiblesneufs→  Réacteur→
combustibles usés :

· 850 tonnes combustibles usés sont retraitées 

· combustible usé non retraité entreposé.

Retraitement des 850 t→ 

800 t d’uranium de retraitement + 8,5 t de plutonium + déchets
ultimes

Ces 800 t d’uranium de retraitement

· 500 tonnes  matières entreposées (stock stratégique)

· 300 t envoyées à Tomsk en Russiepour réenrichissement

→ 263 tonnes d’uranium appauvri, entreposées en Russie

37 t d’uranium de recyclage enrichi (URE) → Réacteur



Retour Réacteur : 37 t URE + 8,5 plutonium (PU)


 

7 067 t d’ d’uranium appauvri (UA)

91,5 tonnes d’UA + 8,5 t de PU = 100t MOX→ réacteur

Reste 6975,5 t d’UA

→ Matières entreposées

(= stock stratégique)

 



Retour Réacteur 91,5t UA

Soit un  recyclage de 3,9 % au lieu des 96% annoncés et donc une économie d’uranium de 12% !

La perspective d’une génération IV permet de tout justifier

Les matières nucléaires non recyclées, ne sont pas considérées comme déchets, mais comme matières potentiellement valorisables. L’industrie nucléaire parie sur la génération IV des réacteurs nucléaires pour transformer ces matières en trésor qui permettrait d’avoir de l’électricité pendant des millénaires. Mais c’est déjà ce que devait faire Superphénix, avec le succès que l’on sait. A son démarrage, pleine d’espoir dans son avenir, l’industrie nucléaire avait fait miroiter son développement avant l’an 2000.  Et ces fameux réacteurs de génération IV sont des réacteurs à neutrons rapides basés sur le même principe que Superphénix. (Voir encadré sur le sujet). Bref, c’est toujours le même message : demain on rase gratis.

Même les autorités sont sceptiques : dans le nouveau Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), elles ont demandé aux exploitants de trouver des solutions pour ces matières si la génération IV ne se faisait pas ou partiellement et que ces matières prétendument recyclables devenaient des déchets.

Mais en attendant, les combustibles non retraités, l’uranium de retraitement non utilisé et l’uranium appauvri sont entreposés, en attendant des jours meilleurs. Le devenir de près de 97,8% de l’uranium initial qui sort de la mine est en suspens. Il y a là une autre entourloupe : 97,8% de ce qui sort de la chaîne de l’uranium n’est pas utilisé, mais n’est pas considéré comme déchet ! Et Areva d’affirmer ainsi que les déchets tiennent dans une piscine olympique !

La génération IV sert donc d’abord à justifier le retraitement actuel. Parce que la France s’est enfoncée dans cette voie, elle n’a pas d’autre alternative que le succès de ces réacteurs au risque de perdre son trésor. Un peu comme un joueur qui a trop misé et qui s’enfonce de plus en plus dans l’espoir de récupérer sa mise.

Pourtant, en regardant froidement la situation, il serait préférable de garder les combustibles irradiés en entreposage le temps que la génération IV soit opérationnelle et de ne retraiter que selon le besoin. Les combustibles usés seront alors beaucoup moins radioactifs, ce qui simplifierait leur manutention et diminuerait les rejets radioactifs de l’usine de retraitement de La Hague.

Stocks de « non-déchets » accumulés

A la fin 2008, Areva détenait 22 610 tonnes d’uranium de retraitement, entreposées en majorité au Tricastin et 261 000 tonnes d’uranium appauvri d’origine naturelle. Pour connaître les stocks de combustibles usés non retraités détenus par EDF et entreposés à La Hague, il faut consulter le PNGMDR. Fin 2007, il y en avait près de 13 000 tonnes, dont 11 500 de combustibles classiques.

Le bilan des matières accumulées est compliqué par les échanges internationaux de matière. EDF s’approvisionne en uranium à l’étranger et a recours à 4 enrichisseurs différents pour son combustible. Réciproquement, Areva exporte environ la moitié de l’uranium qu’elle enrichit en France. L’uranium appauvri qui résulte de ces opérations reste la propriété de l’enrichisseur. C’est en particulier le cas pour la partie de l’uranium de retraitement qui est envoyée en Russie pour enrichissement. La loi française interdit le stockage en France de déchets étrangers, mais pas des matières valorisables. Si ces matières sont déclassées en déchet, devront-elles être renvoyées vers leur pays d’origine ? Nous n’avons pas obtenu de réponse.

En conclusion, le HCTISN est un des rares espaces où l’on peut espérer obtenir des informations non disponibles ailleurs. Malheureusement, le rapport sur le « cycle » du combustible est trop monolithique, n’autorisant aucune expression différant de l’orthodoxie officielle. Il n’a pas été possible d’y faire apparaître que moins de 4% de ce qui sort des réacteurs français est recyclé. Le Haut Comité n’a pas souhaité diffuser le rapport complémentaire des associations. C’est regrettable pour une structure qui est supposée être garante de la transparence et de l’information. Mais les chiffres qu’il donne, s’ils sont confirmés, permettent à chacun de faire le bilan du « cycle » du nucléaire.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter :

– le rapport du HCTISN sur http://www.hctisn.fr

les commentaires des associations sur notre site

– le PNGMDR sur le site de l’ASN : http://asn.fr

 

Voir le communiqué de presse commun ACRO, FNE (France Nature Environnement), Greenpeace du 13 juillet 2010

Voir informations sur la génération IV


[1]  HCTISN : Haut Comité à la Transparence et à l’Information sur la Sûreté Nucléaire, http://www.hctsin.fr

 Ancien lien

Surveillance radioécologique réalisée autour de la centrale nucléaire de Gravelines : bilan des résultats 2010

Surveillance radioécologique réalisée autour de la centrale nucléaire de Gravelines : bilan des résultats 2010

L’EPR Penly 3 n’est pas justifié

Cahier d’acteur de l’ACRO pour le débat public à propos du projet d’EPR Penly 3


Un argumentaire incohérent

Les priorités de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique [1] sont claires : d’abord la maîtrise de la demande d’énergie, puis la diversification des sources d’énergie pour laquelle, selon l’article 4 [2], « l’Etat se fixe donc trois priorités. La première est de maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020 en disposant, vers 2015, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération opérationnel permettant d’opter pour le remplacement de l’actuelle génération. La deuxième priorité en matière de diversification énergétique dans le secteur électrique est d’assurer le développement des énergies renouvelables. […] Il convient donc d’atteindre l’objectif indicatif d’une production intérieure d’électricité d’origine renouvelable de 21 % de la consommation intérieure d’électricité totale à l’horizon 2010. »

Avec un EPR en construction à Flamanville, la première priorité se concrétise, mais pas la deuxième. Le projet d’EPR à Penly va donc à l’encontre de la politique énergétique définie par la loi, puisqu’il va renforcer la part du nucléaire dans la production d’électricité qui est déjà supérieure à 80%. Seule la France a une part aussi élevée, ce qui est une aberration en soi, les autres « grands pays nucléaires » étant largement en dessous.

Lors du débat public sur le projet d’EPR à Flamanville qui a eu lieu en 2005-2006, EDF écrivait dans son dossier (page 13) : « En tant qu’industriel, EDF a besoin, pour la réalisation d’une éventuelle série de réacteurs, d’un modèle de réacteur éprouvé par plusieurs années d’exploitation. Cette expérience lui permettrait de déployer une organisation industrielle expérimentée, afin d’optimiser, d’une part le prix de revient de cette centrale – et donc les coûts futurs de l’électricité – et d’autre part, la sûreté d’exploitation et l’impact sur l’environnement. De plus, ces années d’exploitation permettraient de disposer de compétences acquises sur l’installation pour garantir une exploitation de qualité en toute sûreté pour les éventuels réacteurs de série à construire. » Et d’insister, page 31, sur l’importance de « l’expérience d’exploitation suffisante d’un EPR avant de mettre en chantier une éventuelle série. Cette expérience ne s’acquiert que sur la durée : pour disposer d’un produit industriel fiable, maîtrisé et optimisé, il faut avoir exploité cette nouvelle unité pendant une durée raisonnable, estimée à 3 ans environ par EDF. »

Le réacteur de Flamanville est loin d’être terminé. L’EPR de Penly ne sera donc pas « fiable, maîtrisé et optimisé » ? S’agit-il d’un nouveau prototype pour essayer de faire mieux que pour les chantiers EPR en France et en Finlande qui accumulent les déboires et les retards ?

Les réacteurs en construction ne sont pas exactement ceux imaginés initialement par EDF et Areva. L’armature métallique a été largement augmentée à la demande de l’autorité de sûreté finlandaise, ce qui a conduit à des anomalies et des suspensions du chantier de Flamanville par l’autorité de sûreté nucléaire française (ASN). Le système de contrôle commande n’a pas été jugé satisfaisant par les autorités de sûreté de trois pays européens qui « ont demandé aux exploitants et au fabricant d’améliorer la conception initiale de l’EPR [3]. » Aujourd’hui, ce problème n’est toujours pas résolu. Alors que la fiabilité de l’EPR est mise en cause, quels impératifs peuvent justifier la construction immédiate d’un deuxième réacteur en France ?

Un réacteur EPR engage la compagnie pour 80 ans minimum si l’on prend en compte la construction et le démantèlement, et la population pour des milliers d’années avec les déchets nucléaires produits. Il est donc étonnant de voir un tel revirement stratégique en moins de quatre ans. En effet, la consommation d’électricité en France stagne depuis 2005. Elle est même en baisse en 2009. Le remplacement prochain de l’usine d’enrichissement de l’uranium, très énergivore, va rendre disponible la production de trois réacteurs nucléaires environ [4]. En outre, la part d’EDF va en diminuant avec l’ouverture du marché.

Ainsi, fin 2007, le PDG d’EDF, Pierre Gadonneix affirmait encore qu’« il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020 » [5]. L’argumentaire pour un nouvel EPR à Penly ne paraît ni sérieux ni acceptable.

  • Pour l’ACRO, la décision d’un éventuel renouvellement du parc électronucléaire doit être prise en 2020 à l’issue d’un grand débat national. Le projet Penly 3 n’est pas justifié.

Pour un respect des engagements en faveur des énergies renouvelables

« L’objectif indicatif d’une production intérieure d’électricité d’origine renouvelable de 21 % de la consommation intérieure d’électricité totale à l’horizon 2010 » de la loi de 2005 n’est pas atteint puisque la part de d’électricité d’origine renouvelable était de 15% de la consommation intérieure brute en 2009. L’engagement du paquet climat énergie de l’Union Européenne d’atteindre 20% de la consommation d’énergie (et non d’électricité) d’origine renouvelable en 2020 risque d’être utopique. Avec la loi Grenelle 1 [6], la France va plus loin et « s’engage à porter la part des énergies renouvelables à au moins 23 % de sa consommation d’énergie finale d’ici à 2020. »

Lors de la réunion de clôture du débat EPR tête de série, Bernard Salha, responsable de l’ingénierie nucléaire d’EDF a rappelé « qu’en ce qui concerne les ENR, donc les énergies renouvelables, le Groupe EDF s’est d’ores et déjà engagé à investir 3 [milliards d’euros], l’équivalent du prix du réacteur EPR de Flamanville, dans des projets éoliens d’ici 2010. » Même si cela n’est pas dit explicitement, cet investissement ne concerne pas uniquement la France. Nous sommes en 2010 : cet engagement a-t-il été respecté ? Le coût de l’EPR a fortement augmenté : l’investissement dans l’éolien aussi ?

Aucun chiffre précis n’est donné dans le dossier d’EDF.

  • L’ACRO demande donc que les engagements en faveur des énergies renouvelables soient respectés et qu’EDF soit contrainte de participer à cet effort.

Pour une autre politique énergétique

L’année 2009 a été difficile en termes d’approvisionnement électrique pour la France car EDF accumule les déboires sur le parc nucléaire actuel dont le taux de disponibilité ne cesse de se dégrader pour atteindre 78%, un des plus mauvais au monde. C’est lors des pics de demande, au moment des grands froids, que la situation est la plus critique. La réponse n’est pas la construction d’un nouveau réacteur nucléaire, mais la fiabilisation des moyens de production actuels et l’investissement dans les moyens de lissage des pointes de production.

EDF est en surproduction la plupart du temps, et doit importer massivement de l’électricité très émettrice de CO2 lors de pics de demande pendant les grands froids. La surcapacité d’électricité d’origine nucléaire, observable depuis 1985, oblige de passer des contrats de fourniture avec les pays voisins, notamment la Suisse, l’Italie, la Belgique et la Grande-Bretagne. Ces contrats, ou « droits à tirer », rendent la production d’environ 8 à 10 réacteurs non disponibles pour les pointes de consommation françaises. Il est paradoxal que l’Allemagne, pays ayant décidé un moratoire sur le nucléaire, nous fournisse l’équivalent de la production annuelle de 1,5 réacteur depuis 2004.

La compagnie justifie le réacteur Penly 3 par « une marge de sécurité en termes de capacités de production » sans expliquer en quoi cela va améliorer la situation actuelle. En clair, cela signifie des surplus électriques supplémentaires qui vont pousser la compagnie à encourager encore plus la consommation d’électricité, pour le chauffage notamment, et donc provoquer des difficultés encore plus grandes lors des pointes.

Le Danemark et certains cantons suisses ont interdit le chauffage électrique car c’est une aberration scientifique. En imposant que les nouveaux bâtiments consomment moins de 50 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an à partir de 2012, la loi issue du Grenelle de l’environnement exclut de facto le chauffage électrique. En effet, avec l’électricité, l’énergie primaire produite est environ trois fois supérieure à celle consommée. EDF espère pouvoir continuer à promouvoir le chauffage électrique grâce aux pompes à chaleur vantées dans son dossier. Or, lors des grands froids, elles ne pompent pas beaucoup de calories dans le sol mais beaucoup de watts sur le réseau électrique.

Quant aux voitures électriques dont l’émergence soudaine justifierait les nouveaux investissements dans le nucléaire, leur développement massif se heurte à des verrous technologiques qui hypothèquent beaucoup l’avenir. Peut-on vraiment engager un tel projet sur une hypothèse aussi peu étayée ?

Avec une technologie beaucoup plus simple qu’une centrale nucléaire et génératrice de beaucoup plus d’emplois, il est possible de réduire drastiquement la consommation électrique des bâtiments. Les engagements du Grenelle de l’environnement, avec comme « objectif de réduire les consommations d’énergie du parc des bâtiments existants d’au moins 38 % d’ici à 2020 »  sont un premier pas en ce sens. La Suisse est allée beaucoup plus loin en se donnant l’objectif d’une « société à 2000 watts [7] », soit trois fois moins que la consommation actuelle.

En cas de surplus, EDF compte exporter l’électricité produite. Lors du débat pour le premier EPR à Flamanville, le chantier devait servir de vitrine à l’exportation du réacteur. Faute de commande, il est maintenant proposé de construire le réacteur en France pour exporter l’électricité…

Malheureusement, les nuisances, parmi lesquelles l’exposition des travailleurs, en majorité des sous-traitants au statut précaire, les déchets nucléaires, les rejets dans l’environnement et les risques d’accident, restent en France.

L’évaluation des volumes de déchets produits par l’EPR dans le dossier EDF est largement sous-estimée. Elle se base sur l’hypothèse d’un retraitement intégral qui permet de classer certains déchets en « matière valorisable », même si elle n’est pas valorisée. Cette hypothèse est contredite par le projet d’utiliser du combustible MOx qui n’est pas retraité. Enfin, tous les déchets produits en amont à partir de la mine et en aval par le démantèlement ne sont pas pris en compte.

  •  En proposant une énergie surabondante sans résoudre les problèmes de pics de demande, l’EPR à Penly va à l’encontre d’une politique de sobriété énergétique et va accroître les volumes de déchets radioactifs pour lesquels aucune solution acceptable n’existe, constituant ainsi un legs éthiquement inacceptable pour les générations futures.

Pour un débat clair et utile

Lors du précédent débat public pour l’EPR, la Commission Particulière de Débat Public (CPDP) avait sollicité plusieurs acteurs afin de rédiger un cahier collectif d’acteurs qui devait apporter un éclairage différent sur le projet. Rien de tel n’est proposé cette fois-ci. Pourquoi ? Certes, ce cahier collectif d’acteurs n’était qu’une juxtaposition d’avis divergents, se basant parfois sur les mêmes données de départ, mais c’était mieux que rien. Comme nous l’avions dit lors de la clôture, il aurait été plus pertinent de mettre les acteurs autour d’une table pour définir ce qui fait consensus  et expliciter les dissensions. Le public aurait pu alors comprendre les choix de société qui se cachent derrière les chiffres et s’approprier le débat.

Les quelques engagements pris par EDF à l’issue du débat précédent sont restés lettre morte. Certes une convention a bien été signée entre la Commission Locale d’Information (CLI) de Flamanville, l’Association Nationale des CLI (ANCLI) et EDF pour permettre un questionnement précis du dossier de sûreté, mais elle n’a jamais été activée. Quant à la transparence dont se félicite le pétitionnaire, elle n’existe pas : l’ACRO a pu constater qu’EDF refuse systématiquement de répondre aux questions lors des réunions de la CLI de Flamanville.

Ce mépris d’EDF pour les consultations du public se retrouve sur d’autres dossiers. A Brennilis, suite à l’enquête publique concernant le démantèlement du réacteur, les commissaires enquêteurs écrivent, dans leur rapport, qu’« EDF, malgré la demande de la commission d’enquête, n’a pas souhaité répondre aux recommandations ou réserves émises par la CLI », qui avaient été formulées suite à une expertise de l’ACRO. « En conséquence, la commission d’enquête n’a aucune garantie que ces réserves et recommandations seront effectivement prises en compte par EDF. » Ils ont donc émis, à l’unanimité, un avis défavorable.

Rappelons que la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, ratifiée par la France [8], impose que « chaque Partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération. »

  • L’ACRO regrette que la CPDP ne prenne pas position pour ou contre l’EPR à l’issue du débat et demande des garanties que les demandes du public soient bien prises en compte, conformément à la convention d’Aarhus.

Conclusions

Nous sommes convaincus, comme beaucoup, que le défi énergétique sera l’un des défis majeurs du 21ième  siècle avec l’épuisement des ressources en pétrole et la menace du réchauffement climatique. En ne produisant que de l’électricité, le nucléaire ne peut avoir qu’un impact mineur sur ces problèmes. Tant que les autorités se limiteront à penser en moyens de production réduits à une « alternative infernale » – nucléaire ou effet de serre – et non en utilisation rationnelle de l’énergie, elles seront incapables de répondre au défi. La priorité de toute politique énergétique doit être la réduction de la consommation. Cela est proclamé par les pouvoirs publics et soutenu par les associations de protection de l’environnement, mais sans effets significatifs. Nous aurions donc préféré un large débat sur les économies d’énergie avec, à la clé, des mesures concrètes et des mesures réglementaires qui ne sont pas forcément populaires. Cela aurait été l’occasion de mettre en œuvre une expérimentation d’un véritable processus de démocratie participative beaucoup plus ambitieux que le débat actuel, afin de trouver une synergie entre les moyens techniques, individuels et collectifs à mettre en œuvre pour une meilleure utilisation de l’énergie qui ne soit pas source de conflit.  Malheureusement, l’EPR est présenté comme la solution qui, en servant d’alibi, va à l’encontre de la nécessité de réduire notre consommation. Il va aussi renforcer la dépendance de la production électrique à une mono-industrie, alors qu’il est plus sûr stratégiquement et économiquement de diversifier les sources.

Un réacteur nucléaire n’est pas un produit industriel banal, c’est une installation à risques. Outre la possibilité d’un accident majeur, y compris suite à une intention malveillante, l’EPR émettra des rejets radioactifs dans l’environnement, contribuera à l’exposition des travailleurs du nucléaire et produira des déchets pour lesquels aucune solution éthiquement et socialement acceptable n’est proposée. C’est aussi un investissement lourd qui obère d’autant d’autres investissements.

Les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité [9], ont un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique [10] stipule le principe de justification institué par la CIPR [11] : « Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. » EDF a omis ce premier principe dans sa présentation de la radioprotection, page 118 de son dossier, ce qui est symptomatique… Nous connaissons les risques engendrés par l’industrie nucléaire pour les travailleurs et l’environnement, mais nous ne sommes pas convaincus par les avantages d’un nouvel EPR à Penly ou ailleurs.

  • C’est pour toutes ces raisons que l’ACRO a pris position contre la construction du réacteur EPR à Penly ou ailleurs et pour une autre politique énergétique
[1]  n°2005-781 du 13 juillet 2005

[2] modifié par la loi n°2006-11 du 5 janvier 2006
[3] Communiqué des autorités de sûreté nucléaire française, britannique et finlandaise du 2 novembre 2009

[4] L’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation, qui sera mis en service prochainement dans l’usine Georges Besse II, consomme environ 50 fois moins d’énergie que la méthode actuelle par diffusion gazeuse. L’électricité produite par trois des réacteurs nucléaires du Tricastin dédiée actuellement à l’enrichissement va être disponible pour d’autres usages.
[5] Challenges, 6 décembre 2007 : « Et pour étayer sa démonstration, il s’appuie sur le dernier bilan prévisionnel du RTE, le gestionnaire des réseaux électriques, qui anticipe « une modération dans la consommation électrique » à cause des efforts d’économie d’énergie, tandis que quatre centrales au gaz à cycle combiné entreront en service et que de nouvelles éoliennes procureront 2000 mégawatts supplémentaires. EDF prévoit d’augmenter la puissance des centrales nucléaires existantes, ce qui produira encore 2 000 mégawatts de plus. Bref, les besoins seront couverts. »
[6] LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (1)

[7] 2000 watts correspondent à la consommation énergétique moyenne par personne sur la planète. Tendre vers une société à 2000 watts (dont seulement 500 watts d’origine fossile) permet un équilibre entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. La Suisse était une société à 2000 watts dans les années 60. Le Conseil fédéral l’a intégrée dans sa stratégie de développement durable et plusieurs cantons ont adopté la société à 2000 watts comme objectif de leur stratégie énergétique.
[8] La loi n° 2002-285 du 28 février 2002 contient un article unique : Est autorisée l’approbation de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), signée à Aarhus le 25 juin 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.

[9]  US National Academy of sciences. 2006. Health risks from exposure to low levels of ionizing radiation. BEIR VII – Phase 2.
[10] Partie Législative [première partie.- Protection générale de la santé – livre III.- Protection de la santé et environnement – titre III.- Prévention des risques sanitaires liés aux milieux – chapitre III . – Rayonnements ionisants]  dans son 1er article

[11] Commission internationale de protection radiologique, www.icrp.org

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La surveillance de l’environnement exercée par une association : l’observatoire citoyen de la radioactivité dans l’environnement

Contrôle n°188, juillet 2010

Livre blanc sur le tritium

Contribution de l’ACRO au livre blanc sur le tritium publié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire, juillet 2010


Alors que des experts internationaux recommandent de revoir à la hausse l’impact sanitaire du tritium, les rejets en tritium des installations nucléaires ont tendance à augmenter significativement.

L’ACRO qui surveille cet élément depuis des années dans l’environnement, fait pression pour que ces nouvelles données sur son impact soient prises en compte et que les rejets diminuent. Ainsi, elle a participé activement aux deux groupes de travail mis en place par l’Autorité de sûreté nucléaire et a contibué au livre blanc publié sur le sujet.

Les deux textes de l’ACRO dans le livre blanc sont :

Par ailleurs, la synthèse de ces travaux fait clairement apparaître le point de vue de l’ACRO quand il était divergent de celui des exploitants et des autorités. Le livre blanc complet peut être consulté en ligne ici :
http://livre-blanc-tritium.asn.fr

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Examen du dossier d’enquête publique relatif à la demande d’autorisation de démantèlement de la centrale de Brennilis

[1]

Installation Nucléaire de Base n° 162, appelée également Site des Monts d’Arrée (SMA).Travail engagé à l’initiative et pour le compte de la Commission Locale d’Information dans le cadre de sa saisine par les instances Préfectorales.

                        Présentation du travail et cadre

Avec la promulgation en juin 2006 de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (loi TSN), les commissions locales d’information (CLI) comme celle de Brennilis,  ont vu leur rôle être conforté, ce qui constitue une évolution profonde.

La CLI est ainsi devenue un acteur incontournable du suivi, de l’information et de la concertation en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection et d’impact des activités sur les personnes et l’environnement. A ce titre, obligation est faite de la consulter lors d’une enquête publique comme celle qui se déroule en ce moment à propos de la demande d’autorisation de démantèlement définitif de la centrale nucléaire de Brennilis.

La consultation engagée est un processus par lequel les décideurs demandent l’avis de la CLI afin de connaître son opinion, ses attentes et ses besoins, à un stade de l’avancement du projet. La CLI n’a cependant aucune certitude que ses remarques ou ses contributions soient prises en compte dans la décision finale.

Parce qu’elle est composée d’élus locaux, d’associatifs, de syndicalistes et de personnes qualifiées, la CLI représente la vie locale dans toutes ses dimensions. En conséquence, elle peut construire une information, ou un avis, qui tienne compte des spécificités de la région des questionnements particuliers et des éléments qui échappent par essence à l’industriel et à l’Etat.

En réponse à cette consultation, la CLI de Brennilis a décidé, le 23 juin 2009, de faire appel à un organisme extérieur ou consultant pour l’assister. L’objectif assigné était de « […] permettre aux membres de la commission locale d’information d’appréhender [l’important dossier d’enquête publique] et de disposer des éléments nécessaires à la construction de l’avis de la CLI […] » ; notamment :

  1. d’identifier les étapes du démantèlement qui pourraient faire l’objet d’observations ou de demandes de précisions
  2. d’identifier les risques possibles pour les populations, les travailleurs et l’environnement ainsi que les mesures pour les limiter ou les supprimer
  3. de disposer, sous forme synthétique, de points considérés à enjeux

L’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest a été retenue au terme d’une mise en concurrence […].

Dès lors, a commencé une course contre le temps imposée par la nécessité de permettre à la CLI de formuler un avis motivé au plus tard fin novembre. Le volumineux dossier, avec ses 1900 pages, a rendu le temps plus contraignant. Tous les items envisagés lors de la réunion de présentation du 10/09/2009 n’ont pu être traités mais les demandes initiales ont été respectées.

Par souci de neutralité, aucun échange n’a eu lieu entre le pétitionnaire (EDF) et l’ACRO durant la période d’analyse du dossier.

Au fil du temps, la question de la justification de la proposition du pétitionnaire s’est imposée comme étant stratégique pour l’acceptabilité sociale du projet. L’unique page du dossier consacrée au sujet ne renseigne pas suffisamment. Si le fait de démanteler peut être justifié dans le cas de Brennilis, notre réflexion n’a pas vocation à mettre en lumière les avantages du calendrier proposé considérant que c’est au pétitionnaire de le faire en qualité de porteur du projet.

Démanteler revient à déplacer la radioactivité sans la réduire : à la stocker pour partie dans des centres spécialisés comme ceux situés dans l’Aube ; à l’entreposer pour partie dans un centre dédié (ICEDA) dans l’attente d’une solution opérationnelle de stockage pour les déchets à vie longue.

Cela signifie produire des déchets et les évacuer vers une destination qui doit assurer un meilleur confinement dans des conditions d’emballage et de surveillance plus adaptées.

Démanteler se fait dans l’objectif de réduire les risques pour l’environnement et les populations. L’état final visé après assainissement du site est donc un facteur clé, au moins local, de compréhension et d’acceptation du projet. Pour Brennilis, l’état final sera atteint après une décennie de labeur. Quel sera-t-il exactement ? Le chantier débuté, cette question ne quittera plus les esprits.

Démanteler un réacteur nucléaire n’étant pas encore une action inscrite dans la routine comme son exploitation, le phasage rapporté dans le dossier doit s’appréhender comme une trajectoire probable en fonction de la connaissance et de l’expérience au 1er janvier 2008 (date de rédaction du dossier). En conséquence, il conviendra d’être vigilant tout au long du chantier en fonction des décisions et des actes à venir.

                   Quelles options pour la centrale de Brennilis ?

                 Démantèlement versus stockage de type mausolée

Question : ne peut-on pas « emballer » le réacteur et attendre que la radioactivité disparaisse avec le temps ?

Cela reviendrait donc à transformer les vestiges de la centrale, que l’on peut qualifier de déchets, en une sorte de tombeau monumental, un mausolée. L’emballage devrait résister aux agressions du temps durant plusieurs millénaires. L’eau étant le principal vecteur de diffusion de la pollution, cela nécessiterait d’isoler le réacteur de la nappe phréatique car, dans le cas contraire, l’environnement et l’homme seraient irrémédiablement affectés. 

Pour la partie inaccessible, en contact avec le sol, l’homme ne pourrait compter valablement que sur les formations géologiques du sous-sol. Dans le cas contraire, il faudrait alors envisager au minimum un pompage continuel de la nappe pour l’amener en toutes circonstances en dessous du niveau du radier du mausolée pour éviter tout contact entre l’eau et les déchets. Ce pompage devrait être entrepris sans défaillance technique et financière pendant des millénaires, ce qui est illusoire !

Une des réponses se trouve donc dans les couches géologiques constitutives des sous-sols. Pour un stockage à long terme, voire ad vitam æternam, la logique veut que l’on privilégie des lieux où, au moins, l’une des couches géologiques joue un rôle de barrière vis-à-vis des radionucléides, limitant ainsi leur transfert en direction des eaux souterraines. Par exemple, pour le site de stockage des déchets nucléaires FMA ( Faible et Moyenne Activité) dans l’Aube, une couche argileuse très homogène de 15 à 25 m d’épaisseur constitue la roche d’accueil du site. Sur le site de la centrale de Brennilis, zone humide, la nappe phréatique affleure par endroits et aucune barrière naturelle suffisante n’existe pour limiter sa contamination en cas de relâchement des radionucléides par suite de détérioration de l’emballage. Au centre de Stockage de la Manche où sont stockés des déchets nucléaires avec une géologie similaire, la mise en place d’une couverture étanche par-dessus les déchets n’a pas empêché les fuites par le dessous vers la nappe phréatique.

Démanteler et donc stocker la radioactivité dans des centres ad hoc revient certes à la déplacer sans la réduire, mais vers une destination qui doit assurer un meilleur confinement dans des conditions d’emballage et de surveillance plus adaptées.

 En conclusion, certains aspects locaux justifient un démantèlement dans le cas de Brennilis.

On soulignera également que vouloir faire un mausolée impose un assainissement du site (suppression des pollutions de sols), le démantèlement de tous les locaux annexes et leur assainissement ainsi que celui des galeries. Reste alors une interrogation concernant le niveau de démantèlement et d’assainissement à l’intérieur de l’enceinte réacteur et par extension, la capacité technique à bloquer correctement la dispersion de la contamination des équipements laissés.

Démantèlement différé (20 ans et plus) ; quelques aspects à méditer

               Risques pour les travailleurs

Le gain d’un démantèlement différé n’est pas aussi évident qu’on pourrait le penser en première approche. Pour s’en persuader, il conviendrait de disposer d’éléments tangibles et chiffrés en réponse aux interrogations suivantes.

 Sur le plan radiologique :

L’exposition des travailleurs est étroitement liée à la manière de procéder et aux protections mises en place. Le report du démantèlement d’une durée suffisamment longue pour permettre une décroissance significative de la radioactivité des pièces les plus irradiantes pourrait être une méthode pour diminuer la dose collective d’un tel chantier.

Mais une baisse du rayonnement ambiant dans l’installation pourrait conduire à remplacer les robots par des hommes pour certaines tâches ou à demander à des travailleurs d’en faire plus. Plus généralement, on pourrait se retrouver dans des situations où l’homme est exposé plus longtemps (ou plus souvent) en raison des niveaux plus faibles. En conclusion, il se pourrait que le gain en terme d’irradiations ne soit pas aussi significatif que la diminution du cobalt-60, radionucléide le plus pénalisant sur le plan de l’irradiation. La rédaction de scénarii avec garanties permettrait de statuer sur la pertinence ou pas d’un tel présupposé.

La contamination de l’atmosphère de travail devrait faire autant partie du quotidien du démantèlement que le rayonnement ambiant. Une stratégie basée sur la décroissance du cobalt-60 est certes intéressante sur le plan de l’irradiation externe mais pas obligatoirement sur celui de l’exposition interne ; le cobalt-60 n’est pas le radionucléide prépondérant dans le cas d’une contamination par inhalation. Pour le circuit primaire (réseau CO2), coexistent des radionucléides à vie longue pour lesquels quelques décennies n’auront que peu d’influence. Avec le temps, l’altération des supports et des revêtements à démanteler pourrait augmenter la remise en suspension de contaminants et donc accroître le risque de contamination par inhalation. Une analyse de ce risque spécifique avec projection dans le temps permettrait de statuer sur la pertinence ou pas de ce présupposé.

 Sur le plan des risques conventionnels :

Indépendamment de la radioactivité, démanteler une installation est une activité dangereuse, comme tout opération de démolition dans le bâtiment. L’état général de l’installation est effectivement un paramètre déterminant ; il permettrait une intervention rapide dans le cas où il serait resté correct.

Le vieillissement du matériel tournant, roulant et électrique, indéniable après 20 ans, est un élément à considérer. Pour illustration, le pont tournant électrique est une pièce maîtresse du démantèlement qui ne peut être remplacée. Sa durée de vie et son état général au moment du démantèlement sont des critères de sécurité des travailleurs.

L’état de vétusté du génie civil doit être pris en compte. Dans un courrier[2] de l’Autorité de Sûreté Nucléaire adressé à l’exploitant, les inspecteurs ont noté, le 11 juin 2009, la présence de filets autour du bâtiment réacteur car des morceaux de béton se détachent du parement extérieur et menacent la sécurité des personnes.

Une analyse de risques confirmerait l’échéance à respecter pour une intervention dans des conditions de sécurité.

 Sur le plan des risques croisés :

Différer le démantèlement sur le long terme suppose d’avoir la capacité à conserver la mémoire des risques et des facteurs influents identifiés, mais aussi et surtout, d’avoir la capacité à les transmettre. C’est-à-dire de permettre à ceux qui viendront dans le futur de s’en imprégner sans faire courir de risques supplémentaires à l’environnement et aux populations.

Différer sur le long terme implique également que les opérations préalables à la mise en sommeil n’ignorent pas les enjeux de la prochaine étape, ce qui ne semble pas avoir été le cas lors des opérations de mise à l’arrêt (MAD) de la centrale de Brennilis. Pour illustrer notre propos rappelons les mauvaises surprises rencontrées par le pétitionnaire comme l’existence de résines non purgées lors de la MAD et celles prévisibles d’après le dossier comme la présence éventuelle d’eau lourde conduisant le pétitionnaire à demander une autorisation de rejets pour le tritium conséquente. Enfin, l’actualité[3] contribue à renforcer ce questionnement.

                     Risques pour l’environnement et les populations

Les éléments qui menacent le plus l’environnement à court terme ne sont pas forcément ceux de l’enceinte du réacteur. En cas de démantèlement différé, il conviendrait donc d’assainir certaines structures comme la STE et de reprendre des pollutions du site qui pourraient diffuser à l’extérieur. En effet, après plusieurs années, certes le niveau de cobalt-60 aura diminué mais pas celui d’autres radionucléides comme les isotopes du plutonium ou le strontium-90 et encore moins ceux des substances chimiques.

Les risques pour l’environnement dépendent d’abord de ce qu’on laisse, dans quel état on le laisse. De ce fait, interrompre le processus engagé à Brennilis pourrait devenir dommageable pour l’environnement si l’assainissement du site était également suspendu.

Les risques radiologiques pour l’environnement et l’exposition des populations doivent également être analysés au moment du démantèlement : les rejets seront-ils plus faibles après ce laps de temps d’attente ? De toute évidence, ils dépendront de l’état de dégradation des revêtements et des supports. Plus cette dégradation sera prononcée, plus la remise en suspension des radionucléides sera importante et, logiquement, ce sera le cas pour les niveaux de rejets le jour du démantèlement. Une longue attente pourrait donc n’offrir qu’un gain très relatif sur les niveaux de rejets gazeux. Une analyse de ce risque spécifique avec projection dans le temps permettrait de statuer sur la pertinence ou pas de ce présupposé.

Différer ne supprimera pas le risque incendie zircaloy/zirconium, principal risque pour l’environnement et les populations en contexte accidentel. De toute évidence, ce risque devrait dépendre du niveau d’altération des matériaux en zircaloy/zirconium. Plus l’altération sera importante, plus la probabilité de voir un incendie se déclarer devrait l’être également. Plus ces matériaux seront altérés avec le temps, plus la quantité de radioactivité remise en suspension et rejetée devrait augmenter en cas d’évènement fâcheux. Le temps pourrait donc augmenter le risque et n’offrir aucun gain sur les niveaux de rejets en cas d’incendie. Là encore, seule une analyse de ce risque spécifique avec projection dans le temps pourrait apporter les éléments de réponse et permettre de statuer sur ce présupposé. Enfin, différer n’améliorera pas la maîtrise des risques ou parades car l’industrie du zirconium bénéficie déjà d’une longue expérience. En revanche, prendre le temps d’étudier/évaluer les scenarii aura un bénéfice.

                    Aspects économiques, sociologiques et politiques ;

Différer sur un long terme impose que soit garanti effectivement le démantèlement de l’installation ; rien ne permet d’en préjuger. Une installation en fin de vie n’a plus aucune rentabilité et donc d’intérêt. Le démantèlement est une dépense sèche contradictoire avec les logiques financières actuelles. En conséquence, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les réacteurs en cours d’exploitation et le souhait exprimé de reculer leur date de fin d’exploitation. Pour le démantèlement, ce parallèle pourrait impliquer pour les riverains de l’installation de se faire expliquer après 20 ans d’attente (par exemple) qu’on peut encore attendre ou, plus prosaïquement, que la logique d’investissement est ailleurs !

On pourrait alors glisser d’un démantèlement différé vers une forme de stockage sur site, qui ne serait pas adaptée. Pire, on pourrait tendre vers un site oublié ou un site industriel orphelin si les capacités financières à long terme du groupe EdF venaient à être sérieusement impactées par les marchés. Il ne faut jamais perdre de l’esprit que les réserves constituées au titre du démantèlement ne sont pas absolument garanties. Soulignons à ce sujet qu’en cas de difficultés financières sérieuses, les ressources disponibles devraient être affectées prioritairement à l’exploitation des réacteurs et leur sûreté, non au démantèlement.

                   Les prérequis du projet de démantèlement, objet de l’enquête

Comme pour tout projet, la réponse passe par des moyens techniques, humains et procéduraux ainsi que par un jeu d’acteurs ; l’expérience est un atout précieux, comme la temporalité du projet.

Considérant le jeu d’acteurs : l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), autorité de régulation, et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’expert, accompagneront le pétitionnaire, l’interrogeront et examineront dans le détail chacune de ses propositions au fil de la progression. Pas une action ne devrait être entreprise sans leur accord. Si elle le juge nécessaire, la commission locale d’information (CLI) pourra à tout moment, selon l’article 22 de la loi TSN, faire procéder à des études ou interroger l’ASN en rapport avec la sûreté nucléaire et la radioprotection du public comme des salariés. Il existe donc un jeu d’acteurs au service d’une progression dans de bonnes conditions.

Considérant les moyens (techniques, humains et procéduraux), le dossier d’enquête publique affiche la volonté d’apporter une réponse adaptée au défi à relever.

Considérant l’expérience, un lecteur attentif du dossier d’enquête publique ne manquera pas de s’interroger ainsi : pourquoi le pétitionnaire n’use t-il pas de son expérience pour asseoir ses projections, ses affirmations ? Engagé depuis 1997 dans les opérations de démantèlement des bâtiments et des équipements extérieurs à l’enceinte réacteur, le pétitionnaire n’use principalement de cette expérience que pour produire un bilan des déchets déjà conditionnés et expédiés. Lors de la réunion de la CLI du 13 novembre dernier, en réaction à notre réflexion sur une possible exposition interne du personnel lors des futures opérations, le pétitionnaire s’en est tenu à faire remarquer que l’une des dernières pages du dossier d’enquête publique comportait une mention dont nous n’avions pas tenu compte. Probablement est-ce la phrase : Les objectifs de dose visés sont […] le maintien au niveau le plus bas possible des expositions internes (ch.7.1.3.2 ; pièce 10). Cette phrase n’est pas rédhibitoire à la réflexion engagée. Toutefois, n’était-ce pas le moment opportun pour partager l’expérience et montrer, chiffres à l’appui, ce qu’il en est concrètement sur le terrain depuis 10 ans et ce qu’il pourrait en être par extrapolation ?

La centrale de Brennilis attend une issue depuis 1985. Le calendrier proposé consiste à démanteler maintenant. Pour autant ceci ne signifie pas qu’il faille se hâter. De nombreux éléments dans le dossier militent en ce sens. Le démantèlement d’un réacteur nucléaire n’étant pas encore inscrit dans la routine, le pétitionnaire doit prendre le temps de le faire de manière exemplaire, de partager les enjeux et les défis avec tous, d’être le vecteur d’une information de qualité exhaustive.

                    Point de vue conclusif

Aujourd’hui, il existe un porteur de projet, un projet industriel et un écrit (dossier d’enquête) qui traduit une volonté, celle de poursuivre jusqu’à son terme le processus engagé depuis 1997 et de limiter ainsi les risques inhérents à une vieille installation nucléaire désaffectée. Cet engagement s’accompagne de l’existence d’une ligne de financement abondée. En regard du contexte, on doit imaginer une souplesse : la possibilité d’intégrer toutes sortes d’améliorations dans l’intérêt de tous, des travailleurs, de la population et de l’environnement.

Démanteler, terme tiré du jargon nucléaire, revient finalement à déplacer la radioactivité sans la réduire : à la stocker pour partie dans des centres spécialisés comme ceux situés dans l’Aube ; à l’entreposer pour partie dans un centre dédié, dans l’attente d’une solution opérationnelle de stockage pour les déchets à vie longue. Si le stockage des déchets nucléaires invite à s’interroger et à émettre des réserves, il n’en demeure pas moins que le mausolée n’est pas une réponse pour la centrale de Brennilis. Laisser le temps se substituer à l’homme pour décider et agir n’est pas non plus une réponse satisfaisante avec des installations en fin de vie qui présentent encore un risque.

Démanteler est une démarche obligatoire. Le calendrier devrait être déconnectée d’enjeux qui ne lui sont pas propres. Ce dernier point ne signifie pas d’écarter la question des déchets mais de l’appréhender différemment pour ces vieilles installations existantes.

Le calendrier et les moyens consacrés à atteindre le résultat (site libéré) doivent être dimensionnés dans le seul but de le faire dans les meilleures conditions, avec un gain prévisible supérieur à celui du détriment. Motiver pour les uns, comprendre pour les autres, doit se faire en tenant compte des spécificités du site et de certaines incertitudes liées au temps qui ne relèvent pas uniquement de la physique nucléaire.

« Peser » les risques les uns par rapport aux autres n’est pas chose évidente, par exemple comparer les risques conventionnels avec des risques radiologiques. Pour autant, de telles comparaisons doivent être faites et transparaître nettement dans un dossier d’enquête publique. Sinon, comment se persuader de l’intérêt pour tous de la proposition formulée ?

Dans ce travail nous avons recherché à faire émerger les éléments manquants, à notre sens, pour une meilleure compréhension des futurs enjeux et risques associés. Puis, nous avons analysé des aspects propres à comptabiliser, prévenir et protéger. Nous avons cherché systématiquement si des améliorations étaient possibles dans le but d’obtenir à terme, une information de qualité exhaustive, une réduction des risques pour les individus, un faible impact sur l’environnement. Le rapport qui suit témoigne de tous ces engagements.

                    Les points saillants

                        Comment se persuader de l’intérêt pour tous de la proposition formulée ?

Bien que le dossier n’en fasse pas état, démanteler est justifié dans le cas de Brennilis ; l’hydrogéologie du site l’impose. Se pose alors la question du calendrier optimum  : maintenant, un peu plus tard ou beaucoup plus tard.

Pour justifier le démantèlement « immédiat », le pétitionnaire s’appuie sur quelques arguments généraux, insuffisants.

Evoqué par le pétitionnaire lors d’une réunion, l’article 8 du décret n°96-978 en date du 31 octobre 1996 ne peut constituer à lui seul un argument de poids pour justifier du calendrier proposé : démantèlement « immédiat ». Cet article impose que « l’exploitant soumettra […] une étude définissant les différentes options envisageables pour un démantèlement définitif plus rapide que prévu dans le dossier joint [à l’époque] » Il faut d’abord souligner qu’à l’époque le dossier joint propose un démantèlement définitif (donc du bloc réacteur) à l’horizon de quarante ans, voire plus. Certes, l’article laisse présager la volonté du législateur d’aller plus vite mais pas pour autant d’arrêter une position sans arguments tangibles. Cet article demande donc implicitement de dégager les avantages et les inconvénients de calendriers plus rapides pour pouvoir « trancher ».

A la faveur du pétitionnaire, on pourrait supposer que la proposition faite dans l’actuel dossier d’enquête publique n’est autre que l’une de ces options, celle qui présentait le plus d’avantages et qu’elle est donc justifiée aux yeux du législateur.

Néanmoins, il conviendrait d’aller plus loin pour la compréhension de tous, de présenter en détail différentes solutions possibles, leurs avantages et leurs inconvénients, incluant une évaluation chiffrée des doses reçues par les travailleurs.

Les parades et la manière de procéder étant la clé de voûte de la protection des individus contre les rayonnements ionisants, il conviendrait, pour le projet retenu, d’identifier les séquences ou les opérations pénalisantes, toutes voies d’atteinte, et de faire état pour celles-ci des dispositions envisageables pour réduire encore les expositions. Une telle démarche conforterait la justification car elle laisserait entrevoir que des améliorations sont possibles sur le plan de l’exposition des individus les plus concernés : les travailleurs.

Proposition 1 :    Nous incitons la CLI, pour la compréhension de tous, à solliciter un complément de dossier sur ces points.

  Etat final et conséquences sur la qualité des eaux souterraines

Au fur et à mesure de l’avancement des travaux de démantèlement, les zones de pollution avérée feront l’objet d’un premier traitement qui est fondé, en termes de résultat, sur un usage industriel et nucléaire.

A la fin du chantier de démantèlement, le pétitionnaire se propose de raisonner en termes de gestion des risques non plus zone par zone mais sur l’ensemble du site, en considérant également toutes les concentrations ou les activités résiduelles des zones déjà traitées lors de la première étape. La gestion ne se fondera plus alors sur un usage industriel et nucléaire mais par rapport à l’usage futur choisi, lequel n’est pas défini.

Au terme de cet assainissement final, il y aura déclassement du site. A priori, le site sera frappé d’une ou plusieurs servitudes bien que le pétitionnaire n’en fasse pas la demande dans le dossier d’enquête publique. Ces servitudes permettront de conserver la mémoire, par le biais du cadastre par exemple, qu’une installation nucléaire a existée par le passé à cet endroit.

La procédure de déclassement prévoit, selon l’article 40 du décret 2007-1557 du 2 novembre 2007, que les communes concernées et la CLI seront consultées et disposeront d’un délai de 3 mois pour se prononcer. A priori, les acteurs de l’aménagement et de la gestion des eaux du bassin versant de l’Aulne, comme la CLE, ne devraient pas être consultés (à confirmer).

Le site est actuellement la propriété d’EdF et le restera si les différents protagonistes n’arrivent pas à s’entendre. Les risques, et les coûts pour les supprimer alimenteront le débat et constitueront la ligne de « ruptures » entre les protagonistes. Pour le pétitionnaire, le fait que le transfert du site au domaine public ne soit pas automatique constitue de fait une sécurité pour les acteurs locaux, celle qu’ils n’auront pas à assumer la responsabilité de risques jugés par eux-mêmes inacceptables.

S’il n’est pas envisagé de conclure sur le niveau de l’état final avant la fin du démantèlement pour autant ceci ne doit pas s’opposer à partager la connaissance et les enjeux très tôt (et continuellement) car 3 mois ne suffiront pas pour se forger une opinion.

Enfin, si démanteler est justifié par la volonté de protéger la nappe phréatique et empêcher ainsi la diffusion des pollutions, la qualité des eaux souterraines devrait contribuer à définir l’état final et donc le niveau d’assainissement.

Propositions 2 et 3 :

En cas de démantèlement, Nous incitons la CLI à s’approprier la problématique de l’assainissement du site dans le but de s’exprimer sereinement le jour de la consultation pour le déclassement.

Les questions suivantes devront être abordées : Quel est l’inventaire et a-t-il évolué ? Quelle a été la nature radiologique & chimique des pollutions de sols traités ? Quel est le niveau de dépollution atteint et pourquoi ? Quelles sont les limites techniques et économiques qui se dessinent pour une éventuelle reprise au moment de l’assainissement final ? Quelles ont été jusqu’à ce jour les conséquences sur les eaux superficielles et souterraines ? Des améliorations sont-elles perceptibles ? Des actions ou des études particulières doivent-elles être envisagées ? Que reste t-il à faire ? Quelles sont la contamination résiduelle des bétons démolis et la conséquence de leur lixiviation ? Enfin, des évènements au cours de l’année ont-ils été à l’origine d’une pollution (ou d’un marquage) des sols et des eaux souterraines ?

v   Pour conserver la mémoire et assurer la transmission des éléments aux membres qui devront s’exprimer à l’horizon 2020, il serait tout à fait indiqué que la CLI demande la production d’un rapport annuel (à la charge du pétitionnaire) traitant de ces questions.                                                                              

 Le futur programme de surveillance des eaux souterraines et les piézomètres sont des outils précieux. C’est pourquoi, Nous incitons la CLI à demander que toutes modifications ou suppressions ne portent pas préjudice à la qualité des futures évaluations en fonction des situations qui peuvent se rencontrer.

v   En conséquence, il conviendrait de demander à maintenir opérationnels les piézomètres, les puits et les forages aussi longtemps que possible (jusqu’à l’évaluation définitive des opérations d’assainissement) et de demander à justifier la pertinence du plan de surveillance en fonction du niveau piézométrique de la nappe. En rapport avec les travaux d’assainissement de la STE, une attention particulière devrait être portée au forage Pz9, situé dans l’angle nord-est.

                        Etat initial
La connaissance de l’état radiologique et chimique initial est indispensable pour appréhender l’impact du chantier, notamment les futurs résultats des contrôles environnement, et les enjeux d’assainissement du site. Cet inventaire a pour but de répondre à une simple question : de quoi partons-nous ?

Un important travail a été réalisé par le pétitionnaire.

Dans les environs du SMA,ce travail se poursuit actuellement sur le plan radiologique. S’il est tentant de demander à conforter l’état de référence, encore faut-il disposer d’une vision synthétique de ce qui a été entrepris depuis 2002 pour orienter les investigations. Le dossier d’enquête publique dresse un panorama intéressant qu’il conviendrait de transformer en une sorte d’outil : un référentiel pratique ayant pour ambition d’appréhender simplement les futurs résultats des contrôles. Une telle démarche confortera la compréhension par tous et offrira également la possibilité d’apporter un éclairage par rapport à certains enjeux identifiés.

Proposition 4 : Dans l’attente de cet outil, en réponse à des préoccupations de certains membres de la CLI, Nous incitons la CLI à demander un élargissement du champ de la connaissance au carbone-14 (en milieu terrestre) et au tritium organiquement lié. Ces aspects ne sont pas suffisamment renseignés dans le dossier alors que des rejets sont affichés.

L’inventaire radiologique des équipements et des bâtiments à démanteler doit s’appréhender comme une indication en l’état actuel de la connaissance au 1er janvier 2008 ; les valeurs rapportées ont pour but « d’envelopper » ce qu’il en est réellement. En l’état du dossier, il n’est pas possible de s’assurer du caractère enveloppe pour la contamination déposée dans les composants du circuit primaire (réseau CO2). De plus, certains ouvrages annexes ne font l’objet d’aucune description.

Toutefois, au fil de la progression, les enseignements retirés des sondages et des contrôles permettront de réduire les incertitudes.

On ne peut qu’inciter le pétitionnaire lors de futurs échanges avec la CLI à expliciter les incertitudes sur l’inventaire radiologique et chimique des équipements et des bâtiments à démanteler et à partager, au fil de la progression, les mécanismes de réduction de celles-ci ainsi que les résultats, particulièrement pour la fraction non modélisable comme les dépôts dans le circuit primaire.       

                        Production de déchets radioactifs et leur transport
Démanteler revient à déplacer la radioactivité sans la réduire : à la stocker pour partie dans des centres spécialisés comme ceux situés dans l’Aube ; à l’entreposer pour partie dans un centre dédié (ICEDA) dans l’attente d’une solution opérationnelle de stockage pour les déchets à vie longue. Ces destinations doivent assurer un meilleur confinement dans des conditions d’emballage et de surveillance plus adaptées.

Dans le cas de Brennilis, le démantèlement devrait conduire à la production de 10 000 t de déchets radioactifs. D’après l’inventaire, plus de 99% de la radioactivité est concentrée dans seulement 375 tonnes. Il s’agit des structures internes du bloc réacteur : la cuve et ses composants.

Dire à quel moment les déchets seront produits et évacués est impossible. Le dossier ne le permet pas, ni pour les déchets conventionnels. Un calendrier prévisionnel de production des déchets en perspective des évacuations aurait constitué un atout pour la compréhension. Dans le cas d’un démantèlement, un tel outil doit être élaboré pour permettre à la CLI d’assurer sa mission d’information et de suivi.

Deux catégories de déchets doivent retenir l’attention : les Faibles Moyennes Activités vie longue et vie courte (FMA vl et FMA vc) à envoi différé. Ils sont destinés à être entreposés sur l’installation ICEDA dans l’Ain, qui n’existe pas pour l’instant. En attendant, ils seront entreposés dans les sous-sols de l’enceinte réacteur. Assainir et démolir l’enceinte réacteur, dernières étapes du démantèlement, ne seront possibles que si ces déchets ont été évacués. La date de mise en service industriel d’ICEDA n’étant pas connue avec certitude, on ne peut qu’inviter la CLI, en cas de démantèlement, à être vigilante quant aux répercussions possibles sur le déroulement des opérations et sur les conditions d’entreposage de ces déchets.

Les FMA vc à envoi différé, nouvelle catégorie de déchets, ne manquent pas d’alimenter les interrogations. D’après le dossier d’enquête publique, ces déchets ne peuvent être acceptés en l’état dans le centre de stockage FMA (à vie courte) de l’Aube mais y sont pourtant destinés après plusieurs décennies de « repos » (décroissance). La gestion des déchets reposant sur une évacuation immédiate, il serait intéressant de connaître les éléments rédhibitoires à leur acceptation en l’état. Les caractéristiques détaillées dans le dossier ne permettent pas de comprendre.

                             Transport

Dès lors que les déchets conventionnels et radioactifs s’apparentent à des matières dangereuses, leur transport par la route doit respecter la réglementation dite ADR qui fait référence à l’Accord européen relatif aux transports internationaux des marchandises Dangereuses par Route. Une description succincte des points forts de cette réglementation pour ce qui concerne les transports spécifiquement liés au démantèlement de Brennilis aurait constitué un atout pour la compréhension. En prolongement, il serait intéressant que le pétitionnaire confirme si le transport des déchets FMA vl et FMA vc à envoi différé va respecter strictement le cadre réglementaire ou si des dispositions particulières sont envisagées.

 Plus généralement, l’incidence des transports sur le trafic routier n’est pas suffisamment explicitée, notamment l’estimation propre au trafic. Des pics d’activité sont prévisibles, mais le dossier ne les mentionne pas.

Proposition 5 : Nous incitons la CLI à solliciter un complément de dossier sur les points évoqués.

                        Protection des eaux superficielles (Ellez)
Aucun déversement d’effluents chimiques et radioactifs n’est prévu dans l’Ellez ou le lac St Michel. En cas de production de ces effluents, des bâches de rétention existent et ceux-ci seront alors transportés par camion citerne en direction d’un centre de traitement.

                             Le réseau pluvial : Seo principal.

Toutefois, la restitution au milieu naturel des eaux de pluie ayant ruisselé sur le site et empruntant le réseau pluvial dénommé SEO PRINCIPAL pourrait s’accompagner d’un transfert de substances chimiques et radiologiques en plus des « classiques » hydrocarbures. Plusieurs causes pourraient en être à l’origine : les sols pollués et leur assainissement ; les entreposages de déchets en extérieur ; la démolition des bâtiments et les opérations de concassage/criblage ; etc.

Profitant de la volonté du pétitionnaire d’améliorer le prétraitement, il est proposé d’adjoindre un bassin de décantation avec by-pass dans le but de réduire le flux de particules en direction de l’Ellez et, incidemment, le flux de toxiques associés du genre métaux lourds, qui ne font pas l’objet de contrôles (projet 12-B du rapport).

Nous persistons à dire que ce bassin aura une utilité dès les premiers instants, au moins en regard des entreposages extérieurs de déchets conventionnels et radioactifs. De plus, son utilisation pourrait être optimisée par la reprise des petites pluies au niveau du pluvial de la STE (qui s’écoule actuellement ailleurs).

Enfin, nous ajoutons un nouvel argument. Dessiné avec une capacité de rétention, ce bassin pourra jouer un rôle tampon en cas de sinistre et permettre un relâchement dans des conditions organisées et maîtrisées. Il ne faut pas oublier qu’en cas d’incendie et de recours à des moyens conventionnels de type lances à eau, les volumes produits sont importants, jusqu’à plusieurs dizaines de mètres cubes ; les eaux produites pourront contenir diverses substances chimiques et radiologiques.

Proposition 6  :    Nous incitons la CLI à  solliciter la création d’un bassin de décantation avec by-pass au niveau du rejet du réseau SEO PRINCIPAL, une reprise partielle des eaux pluviales de la STE et un contrôle radiologique représentatif des eaux rejetées. 

Ancien chenal

Les investigations[4] faites antérieurement dans l’ancien chenal de rejets des effluents radioactifs ont montré l’existence de souillures radiologiques qui sont le fait de l’exploitation passée du réacteur. Le déversement dans ce chenal d’eaux pluviales en provenance du site et de la voirie publique constitue un vecteur d’entraînement de ces pollutions en direction de l’Ellez. De ce fait, la radioactivité artificielle observée dans le cours d’eau, particulièrement dans les sédiments, devrait provenir (au moins en partie) du lessivage de ce chenal par les eaux de pluie qui y sont déversées.

Ce phénomène ne peut que perturber l’interprétation des futurs contrôles environnement réalisés dans l’Ellez en aval. En présence de fortes fluctuations des niveaux observés, il subsistera toujours un doute quant à la cause exacte : chenal ou contribution des opérations menées sur le site ?

Puis, il n’est pas concevable d’améliorer le prétraitement des eaux pluviales comme demandé et de laisser, paradoxalement, une poche de pollution connue relarguer en direction de l’Ellez. Dans tous les cas, amélioration ou pas, juguler l’entraînement des pollutions en direction du cours d’eau est une nécessité.

Proposition 7 :    Nous incitons la CLI à solliciter l’assèchement de l’ancien chenal de rejets des effluents radioactifs et son obturation au niveau de sa confluence avec l’Ellez afin de stopper tout transfert de substances polluantes par suite du lessivage des souillures existantes. 

                         Surveillance de l’environnement

Une surveillance réglementaire de l’environnement est exercée. Elle est détaillée dans le dossier d’enquête publique et le pétitionnaire se propose de la poursuivre. Elle débute en limite du site et porte sur un périmètre qui s’étend jusqu’à plusieurs kilomètres dans les directions principalement influencées. A ce titre, le rayonnement ambiant est contrôlé et des échantillons sont prélevés dans le milieu terrestre et aquatique (l’Ellez). Les analyses portent sur des substances radioactives, des paramètres physico-chimiques supplémentaires pour les eaux superficielles et des paramètres de l’environnement influant sur l’impact des rejets comme les conditions météorologiques.

Les objectifs[5] de cette surveillance réglementaire sont censés être multiples :

1 – contrôler l’application de la réglementation applicable à l’installation. Pour illustration, des limites de concentration sont fixées pour certains indicateurs environnementaux comme l’eau ou l’air, et il convient de s’assurer de leur respect.

2 – assurer la veille et alerter en cas d’augmentation significative

3 – contribuer à l’étude de l’impact (sanitaire, dosimétrique) de l’installation sur son environnement

4 – évaluer le marquage de l’environnement et mettre en évidence d’éventuels phénomènes d’accumulation

La qualité des rejets et leur niveau sont étroitement liés à la progression des opérations, aux situations et aux inventaires (radiologiques & chimiques) rencontrés. C’est pourquoi le plan de surveillance devrait évoluer pour mieux tenir compte des spécificités de l’installation et du phasage des opérations. En prolongement, les objectifs 2 et 4 devraient être confortés.

Dans cette optique, certains moyens devraient être redéployés (ou augmentés) pour appréhender au mieux les zones susceptibles d’être perturbées et donner l’alerte plus tôt. Il conviendrait également, lorsqu’il faut collecter différents paramètres, de chercher à le faire au même endroit, autant que possible, pour tirer profit du recoupement des données. Les limites de détection (sensibilité des mesures) devraient être abaissées pour les paramètres radiologiques. Tenant compte de l’historique de l’installation, il conviendrait dans le cas des eaux superficielles d’améliorer les connaissances de certaines substances chimiques particulièrement nocives comme les PCB et les métaux lourds, lesquelles n’ont jamais été contrôlées.

Enfin, il faut souligner que les études faites en marge du programme réglementaire sont bien souvent le seul moyen d’évaluer correctement le marquage de l’environnement, de mettre en évidence des situations singulières et d’apporter des éléments de compréhension et de réponse. C’est pourquoi, on ne peut qu’encourager les différents acteurs à poursuivre de telles études et à multiplier les échanges avec la CLI pour recueillir les interrogations et partager les objectifs et les résultats des travaux.

Proposition 8 :  Nous incitons la CLI à solliciter une adaptation du programme réglementaire de surveillance pour mieux tenir compte des spécificités de l’installation et du phasage des opérations et à demander une surveillance (circonscrite) des métaux lourds et PCB pouvant être accumulés dans les sédiments et les poissons de l’Ellez.

                          Contrôle des eaux souterraines rabattues

Depuis plusieurs années, la nappe située sous le site fait l’objet d’un rabattement. Les eaux pompées à l’aplomb de l’ancienne station de traitement des effluents (STE) en cours d’assainissement et de l’ancien bâtiment des combustibles irradies (BCI), actuellement déclassé et démoli, sont rejetées dans le lac Saint-Michel. Les volumes extraits représentent quelques centaines de milliers de mètres cubes par an. A terme, ces pompages cesseront. Ils sont organisés pour des raisons de sécurité et constituent probablement un bénéfice pour l’environnement car ils limitent les contacts entre l’eau et les remblais, sièges de pollution de sols encore non assainis.

Un contrôle des eaux rabattues est organisé en réponse à la demande de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Sensibilité des mesures et seuils d’alerte ne faisant l’objet d’aucune prescription ; c’est au pétitionnaire de les définir et d’apprécier les valeurs à partir desquelles il entend examiner la situation et apporter une éventuelle correction.

L’organisation de ce contrôle pose problème car de toute évidence le seuil d’alerte n’est pas défini, l’échantillonnage n’est pas représentatif et le pétitionnaire fait fluctuer la sensibilité des mesures radiologiques, laquelle n’a cessé d’augmenter avec le temps pour être aujourd’hui 50 à 100 fois plus importante qu’initialement.

L’absence de prescriptions radiologiques au niveau du rejet peut se comprendre si les eaux rabattues diffèrent peu des eaux réceptrices (réservoir Saint-Michel) ou des eaux souterraines communes et qu’il n’existe pas de risque apparent de contamination. Nous persistons à dire que le contrôle exercé doit permettre de s’assurer que les eaux rabattues conservent cette caractéristique dans le temps, ce qu’il ne fait pas. On le regrettera d’autant plus que le sujet du rabattement des eaux souterraines a suscité de nombreuses discussions et des polémiques au cours de ces dernières années, lesquelles auraient cessé de facto si ce contrôle avait été correctement dimensionné.

Proposition 9 : Nous incitons la CLI à demander au pétitionnaire de bien vouloir définir des seuils d’alerte et de réaliser un contrôle radiologique adapté dans le but de faire continuellement la démonstration que les eaux souterraines rabattues sont peu différentes de celles du milieu récepteur, ce qui impose une diminution drastique de la sensibilité des mesures radiologiques.

                        Exposition des populations

                             Calcul de l’impact sanitaire des rejets radioactifs gazeux

Dans des conditions normales de démantèlement, l’exposition des populations aux rejets radioactifs devrait être faible selon les évaluations faites dans le dossier d’enquête publique. On soulignera que le pétitionnaire s’est engagé à explorer probablement le cas de figure le plus critique pour construire ses évaluations. L’accumulation des éléments déposés et le rejet potentiel d’émetteurs alpha sont deux paramètres qui n’ont pas été retenus. En réaction, il serait intéressant de savoir si leur prise en compte modifie substantiellement les résultats obtenus. 

                             Emetteurs alpha dans les rejets

Durant les travaux, dans des conditions normales de démantèlement, il pourra être procédé aux rejets gazeux de radionucléides  émetteurs alpha comme les isotopes du plutonium. Les éléments rapportés dans le dossier ne permettent pas de comprendre pourquoi il n’est pas fait mention des activités susceptibles d’être rejetées. Dans tous les cas, il serait intéressant de demander à comptabiliser les émetteurs alpha dans les rejets pour confirmer a posteriori  leur contribution effective à l’exposition du public.

                             Incendie de cuve et ses conséquences.

Parmi les accidents plausibles étudiés, il faut retenir qu’un incendie dans la cuve (au moment de son ouverture) suite à une inflammation de zircaloy/zirconium constituerait le cas de figure le plus critique. Cet évènement pourrait alors conduire à une exposition significative de « riverains » et de salariés ; l’environnement en conserverait les stigmates. Pour autant la simulation faite par le pétitionnaire montre que les conséquences, bien que perceptibles, ne nécessiteraient pas de contre mesure sanitaire en l’état actuel des seuils fixés par la réglementation.

Au fil du dossier d’enquête publique, le pétitionnaire accorde une grande attention à ce risque et à la manière de le diminuer ; des enseignements sont retirés du démantèlement du réacteur nucléaire allemand de Niederaichbach.

Considérant les conséquences d’un tel accident, on ne peut qu’inciter le pétitionnaire à prendre le temps qu’il lui faudra pour conforter ses acquis et ses projections, et à partager avec la CLI les enjeux techniques, les défis. A ce titre, il serait intéressant de mieux comprendre les facteurs influents sur l’apparition du risque incendie zircaloy. L’état intérieur des tubes à découper et la manière de les déposer dans la cuve sont-ils des paramètres influents sur le risque incendie ?

Proposition 10 : Nous incitons la CLI à solliciter un complément de dossier sur ces points

                        Expositions particulières des salariés & plan de démantèlement

Comme nous l’avons souligné, on ne doit pas ignorer l’expérience de l’industrie nucléaire dans les domaines de la radioprotection et de l’intervention en milieu contaminant et irradiant. Le pétitionnaire est engagé depuis 1997 dans des opérations de démantèlement sur le site de Brennilis.

Durant les travaux, les salariés pourront être plus exposés aux extrémités (contact avec des pièces actives, manutention de déchets, etc.) et aux poussières radioactives en suspension dans l’air. Les formulations et les références employées dans le dossier d’enquête publique prêtent à controverse. Il faut lever toute ambiguïté sur ce sujet.

                             Exposition externe aux extrémités

Concernant l’exposition externe des travailleurs aux extrémités, les éléments rapportés dans le dossier ne permettent pas de comprendre quelle va être exactement la surveillance. Nous persistons à dire, au moins pour les mains, que des sondages appropriés devraient être effectués régulièrement et systématiquement si le caractère irradiant des pièces manipulées est avéré.

                             Exposition interne

Concernant le risque d’exposition interne des travailleurs et les parades associées, l’engagement est pris d’éviter toute contamination interne des travailleurs (ch. 3.3.2.2 – pièce 8). Pour ce faire, il y aura recours à une protection individuelle (notamment respiratoire) lorsque la contamination de l’atmosphère est supérieure à un seuil dénommé LDCA (LDCA). Si la situation ne peut être correctement évaluée, garantie ou est inconnue, l’intervention sera faite obligatoirement avec toutes sortes de protection.

Toute incorporation par l’organisme de radionucléides (par suite d’inhalation dans le cas présent) conduit à une exposition interne. La « contamination interne » n’est qu’une expression très connotée se référant à l’exposition interne, irradiation de l’organisme par « l’intérieur ». Elle va être employée pour marquer l’esprit lorsque le niveau (importance) de celle-ci l’impose.

Pour que l’exposition interne soit négligeable, voisine de zéro en quelque sorte,  il faudrait :

v  que le seuil de décision, dénommé LDCA, soit le plus faible possible. Or le dossier ne mentionne aucune référence précise pour la LDCA.

Et/ou que les parades ou les situations rencontrées soient telles que l’atmosphère ne soit jamais contaminée. Or il manque une démonstration dans le dossier.

 

Proposition 11 :  Nous incitons la CLI, à solliciter un complément au dossier d’enquête publique permettant de comprendre comment sont gérés les seuils de décision en rapport avec le risque d’exposition interne et à partir de quelle approche opérationnelle.

Nous persistons à dire que la contamination de l’atmosphère de travail devrait faire autant partie du quotidien du démantèlement que le rayonnement ambiant et continuons à nous interroger sur la justification de l’absence d’évaluation dosimétrique prévisionnelle pour l’exposition interne. Est-il raisonnable de ne pas en afficher dans un dossier d’enquête publique traitant d’un démantèlement sous prétexte qu’une telle exposition est jugée inacceptable et doit être évitée ? Il y a là un point qui mériterait un éclairage. Nous incitons la CLI à saisir l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour recueillir son avis.   

Concernant le plan de démantèlement, le phasage des opérations rapportées dans le dossier d’enquête publique n’est pas imposé au pétitionnaire et n’est donc pas arrêté. On doit donc supposer que la manière exacte de procéder pour chacune des phases pourra être révisée, adaptée. Cette approche n’est pas déroutante, l’ouverture d’une cuve nucléaire et son démantèlement ne sont pas des actions encore inscrites dans la routine comme celles relatives à l’exploitation d’un réacteur nucléaire. En conséquence les décisions sont indissociables de la progression ; le programme et les moyens rapportés doivent donc s’appréhender comme une trajectoire probable.

En rapport avec le plan proposé, le calendrier de la phase n°2 doit retenir l’attention. Au cours de cette étape, il sera procédé à la découpe par l’intérieur des tubes de forces/guidages actuellement logés dans la cuve. Cette action mettra en communication l’air contaminé de la cuve avec celui contenu dans le réseau CO2 encore à démanteler et in fine avec celui du bloc réacteur où il y aura des intervenants. Une contrainte supplémentaire devrait être ajoutée en rapport avec le risque d’exposition au tritium. Le pétitionnaire n’ignore pas cet aspect. Nous incitons la CLI à demander un complément de dossier pour connaître les motivations du pétitionnaire à proposer un tel calendrier.

                        Partage de l’information
L’article 21 de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN, impose à tout exploitant d’une installation nucléaire d’établir chaque année un rapport. A cette occasion, l’exploitant présente à la CLI les résultats saillants. L’ensemble est ensuite versé au domaine public.

Dans l’avenir, chaque année, l’exploitant abordera donc successivement : les dispositions prises en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection ; les incidents/accidents et leurs conséquences ; les rejets de l’installation ; la gestion des déchets radioactifs.

Les conséquences sur l’environnement des futurs rejets radioactifs (ou relâchements) pratiqués dans des conditions normales de démantèlement devront être obtenues via le réseau national de mesure de la radioactivité dans l’environnement. Si un large public y trouvera son compte, il n’est pas garanti qu’il en soit de même pour la CLI en perspective de sa mission de suivi et d’information. Par exemple, où pourront être trouvés les résultats relatifs à des paramètres non radioactifs comme les métaux lourds et PCB ? Les contrôles effectués sur les eaux de rabattement de la nappe et, plus largement, sur les eaux souterraines à l’aplomb du site, seront-ils disponibles ? Quelle sera la qualité des échanges, lorsque les uns diront « c’est sur Internet ! » et les autres répondront « oui, mais où ! ». Etc.

Internet est un formidable outil mais il ne remplace par des échanges fructueux entre la CLI et l’industriel sur cette question sensible.

Proposition 12 : Dans le cas d’un démantèlement, Nous incitons la CLI à demander la production d’un rapport annuel exhaustif (à la charge du pétitionnaire) détaillant les données relatives au contrôle des échantillons de l’environnement.

[1]         Le rapport complet et l’avis de la CLI sont en ligne et accessible depuis notre site internet. Cet article est une version simplifiée.

[2]         Courrier référencé Dép-CAEN-N0666-2009 en date du 7 juillet 2009 disponible en ligne sur le site interne www.asn.fr

[3]         La découverte, lors d’un démantelement, sur le site de Cadarache de plusieurs kilogrammes de plutonium ayant échappé à tout inventaire.

[4]         ACRO / Etude de l’origine des éléments de la famille de l’uranium-235 observés en excès dans les environs du réacteur nucléaire expérimental EL4 en cours de démantèlement – années 2007 – 2008.

[5]         La surveillance environnementale autour des INB, communication de Jean-Luc Pasquier à la SFRP lors du congrès de Strasbourg des 13 et 14 novembre 2002.

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