L’EPR Penly 3 n’est pas justifié

Cahier d’acteur de l’ACRO pour le débat public à propos du projet d’EPR Penly 3


Un argumentaire incohérent

Les priorités de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique [1] sont claires : d’abord la maîtrise de la demande d’énergie, puis la diversification des sources d’énergie pour laquelle, selon l’article 4 [2], « l’Etat se fixe donc trois priorités. La première est de maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020 en disposant, vers 2015, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération opérationnel permettant d’opter pour le remplacement de l’actuelle génération. La deuxième priorité en matière de diversification énergétique dans le secteur électrique est d’assurer le développement des énergies renouvelables. […] Il convient donc d’atteindre l’objectif indicatif d’une production intérieure d’électricité d’origine renouvelable de 21 % de la consommation intérieure d’électricité totale à l’horizon 2010. »

Avec un EPR en construction à Flamanville, la première priorité se concrétise, mais pas la deuxième. Le projet d’EPR à Penly va donc à l’encontre de la politique énergétique définie par la loi, puisqu’il va renforcer la part du nucléaire dans la production d’électricité qui est déjà supérieure à 80%. Seule la France a une part aussi élevée, ce qui est une aberration en soi, les autres « grands pays nucléaires » étant largement en dessous.

Lors du débat public sur le projet d’EPR à Flamanville qui a eu lieu en 2005-2006, EDF écrivait dans son dossier (page 13) : « En tant qu’industriel, EDF a besoin, pour la réalisation d’une éventuelle série de réacteurs, d’un modèle de réacteur éprouvé par plusieurs années d’exploitation. Cette expérience lui permettrait de déployer une organisation industrielle expérimentée, afin d’optimiser, d’une part le prix de revient de cette centrale – et donc les coûts futurs de l’électricité – et d’autre part, la sûreté d’exploitation et l’impact sur l’environnement. De plus, ces années d’exploitation permettraient de disposer de compétences acquises sur l’installation pour garantir une exploitation de qualité en toute sûreté pour les éventuels réacteurs de série à construire. » Et d’insister, page 31, sur l’importance de « l’expérience d’exploitation suffisante d’un EPR avant de mettre en chantier une éventuelle série. Cette expérience ne s’acquiert que sur la durée : pour disposer d’un produit industriel fiable, maîtrisé et optimisé, il faut avoir exploité cette nouvelle unité pendant une durée raisonnable, estimée à 3 ans environ par EDF. »

Le réacteur de Flamanville est loin d’être terminé. L’EPR de Penly ne sera donc pas « fiable, maîtrisé et optimisé » ? S’agit-il d’un nouveau prototype pour essayer de faire mieux que pour les chantiers EPR en France et en Finlande qui accumulent les déboires et les retards ?

Les réacteurs en construction ne sont pas exactement ceux imaginés initialement par EDF et Areva. L’armature métallique a été largement augmentée à la demande de l’autorité de sûreté finlandaise, ce qui a conduit à des anomalies et des suspensions du chantier de Flamanville par l’autorité de sûreté nucléaire française (ASN). Le système de contrôle commande n’a pas été jugé satisfaisant par les autorités de sûreté de trois pays européens qui « ont demandé aux exploitants et au fabricant d’améliorer la conception initiale de l’EPR [3]. » Aujourd’hui, ce problème n’est toujours pas résolu. Alors que la fiabilité de l’EPR est mise en cause, quels impératifs peuvent justifier la construction immédiate d’un deuxième réacteur en France ?

Un réacteur EPR engage la compagnie pour 80 ans minimum si l’on prend en compte la construction et le démantèlement, et la population pour des milliers d’années avec les déchets nucléaires produits. Il est donc étonnant de voir un tel revirement stratégique en moins de quatre ans. En effet, la consommation d’électricité en France stagne depuis 2005. Elle est même en baisse en 2009. Le remplacement prochain de l’usine d’enrichissement de l’uranium, très énergivore, va rendre disponible la production de trois réacteurs nucléaires environ [4]. En outre, la part d’EDF va en diminuant avec l’ouverture du marché.

Ainsi, fin 2007, le PDG d’EDF, Pierre Gadonneix affirmait encore qu’« il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020 » [5]. L’argumentaire pour un nouvel EPR à Penly ne paraît ni sérieux ni acceptable.

  • Pour l’ACRO, la décision d’un éventuel renouvellement du parc électronucléaire doit être prise en 2020 à l’issue d’un grand débat national. Le projet Penly 3 n’est pas justifié.

Pour un respect des engagements en faveur des énergies renouvelables

« L’objectif indicatif d’une production intérieure d’électricité d’origine renouvelable de 21 % de la consommation intérieure d’électricité totale à l’horizon 2010 » de la loi de 2005 n’est pas atteint puisque la part de d’électricité d’origine renouvelable était de 15% de la consommation intérieure brute en 2009. L’engagement du paquet climat énergie de l’Union Européenne d’atteindre 20% de la consommation d’énergie (et non d’électricité) d’origine renouvelable en 2020 risque d’être utopique. Avec la loi Grenelle 1 [6], la France va plus loin et « s’engage à porter la part des énergies renouvelables à au moins 23 % de sa consommation d’énergie finale d’ici à 2020. »

Lors de la réunion de clôture du débat EPR tête de série, Bernard Salha, responsable de l’ingénierie nucléaire d’EDF a rappelé « qu’en ce qui concerne les ENR, donc les énergies renouvelables, le Groupe EDF s’est d’ores et déjà engagé à investir 3 [milliards d’euros], l’équivalent du prix du réacteur EPR de Flamanville, dans des projets éoliens d’ici 2010. » Même si cela n’est pas dit explicitement, cet investissement ne concerne pas uniquement la France. Nous sommes en 2010 : cet engagement a-t-il été respecté ? Le coût de l’EPR a fortement augmenté : l’investissement dans l’éolien aussi ?

Aucun chiffre précis n’est donné dans le dossier d’EDF.

  • L’ACRO demande donc que les engagements en faveur des énergies renouvelables soient respectés et qu’EDF soit contrainte de participer à cet effort.

Pour une autre politique énergétique

L’année 2009 a été difficile en termes d’approvisionnement électrique pour la France car EDF accumule les déboires sur le parc nucléaire actuel dont le taux de disponibilité ne cesse de se dégrader pour atteindre 78%, un des plus mauvais au monde. C’est lors des pics de demande, au moment des grands froids, que la situation est la plus critique. La réponse n’est pas la construction d’un nouveau réacteur nucléaire, mais la fiabilisation des moyens de production actuels et l’investissement dans les moyens de lissage des pointes de production.

EDF est en surproduction la plupart du temps, et doit importer massivement de l’électricité très émettrice de CO2 lors de pics de demande pendant les grands froids. La surcapacité d’électricité d’origine nucléaire, observable depuis 1985, oblige de passer des contrats de fourniture avec les pays voisins, notamment la Suisse, l’Italie, la Belgique et la Grande-Bretagne. Ces contrats, ou « droits à tirer », rendent la production d’environ 8 à 10 réacteurs non disponibles pour les pointes de consommation françaises. Il est paradoxal que l’Allemagne, pays ayant décidé un moratoire sur le nucléaire, nous fournisse l’équivalent de la production annuelle de 1,5 réacteur depuis 2004.

La compagnie justifie le réacteur Penly 3 par « une marge de sécurité en termes de capacités de production » sans expliquer en quoi cela va améliorer la situation actuelle. En clair, cela signifie des surplus électriques supplémentaires qui vont pousser la compagnie à encourager encore plus la consommation d’électricité, pour le chauffage notamment, et donc provoquer des difficultés encore plus grandes lors des pointes.

Le Danemark et certains cantons suisses ont interdit le chauffage électrique car c’est une aberration scientifique. En imposant que les nouveaux bâtiments consomment moins de 50 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an à partir de 2012, la loi issue du Grenelle de l’environnement exclut de facto le chauffage électrique. En effet, avec l’électricité, l’énergie primaire produite est environ trois fois supérieure à celle consommée. EDF espère pouvoir continuer à promouvoir le chauffage électrique grâce aux pompes à chaleur vantées dans son dossier. Or, lors des grands froids, elles ne pompent pas beaucoup de calories dans le sol mais beaucoup de watts sur le réseau électrique.

Quant aux voitures électriques dont l’émergence soudaine justifierait les nouveaux investissements dans le nucléaire, leur développement massif se heurte à des verrous technologiques qui hypothèquent beaucoup l’avenir. Peut-on vraiment engager un tel projet sur une hypothèse aussi peu étayée ?

Avec une technologie beaucoup plus simple qu’une centrale nucléaire et génératrice de beaucoup plus d’emplois, il est possible de réduire drastiquement la consommation électrique des bâtiments. Les engagements du Grenelle de l’environnement, avec comme « objectif de réduire les consommations d’énergie du parc des bâtiments existants d’au moins 38 % d’ici à 2020 »  sont un premier pas en ce sens. La Suisse est allée beaucoup plus loin en se donnant l’objectif d’une « société à 2000 watts [7] », soit trois fois moins que la consommation actuelle.

En cas de surplus, EDF compte exporter l’électricité produite. Lors du débat pour le premier EPR à Flamanville, le chantier devait servir de vitrine à l’exportation du réacteur. Faute de commande, il est maintenant proposé de construire le réacteur en France pour exporter l’électricité…

Malheureusement, les nuisances, parmi lesquelles l’exposition des travailleurs, en majorité des sous-traitants au statut précaire, les déchets nucléaires, les rejets dans l’environnement et les risques d’accident, restent en France.

L’évaluation des volumes de déchets produits par l’EPR dans le dossier EDF est largement sous-estimée. Elle se base sur l’hypothèse d’un retraitement intégral qui permet de classer certains déchets en « matière valorisable », même si elle n’est pas valorisée. Cette hypothèse est contredite par le projet d’utiliser du combustible MOx qui n’est pas retraité. Enfin, tous les déchets produits en amont à partir de la mine et en aval par le démantèlement ne sont pas pris en compte.

  •  En proposant une énergie surabondante sans résoudre les problèmes de pics de demande, l’EPR à Penly va à l’encontre d’une politique de sobriété énergétique et va accroître les volumes de déchets radioactifs pour lesquels aucune solution acceptable n’existe, constituant ainsi un legs éthiquement inacceptable pour les générations futures.

Pour un débat clair et utile

Lors du précédent débat public pour l’EPR, la Commission Particulière de Débat Public (CPDP) avait sollicité plusieurs acteurs afin de rédiger un cahier collectif d’acteurs qui devait apporter un éclairage différent sur le projet. Rien de tel n’est proposé cette fois-ci. Pourquoi ? Certes, ce cahier collectif d’acteurs n’était qu’une juxtaposition d’avis divergents, se basant parfois sur les mêmes données de départ, mais c’était mieux que rien. Comme nous l’avions dit lors de la clôture, il aurait été plus pertinent de mettre les acteurs autour d’une table pour définir ce qui fait consensus  et expliciter les dissensions. Le public aurait pu alors comprendre les choix de société qui se cachent derrière les chiffres et s’approprier le débat.

Les quelques engagements pris par EDF à l’issue du débat précédent sont restés lettre morte. Certes une convention a bien été signée entre la Commission Locale d’Information (CLI) de Flamanville, l’Association Nationale des CLI (ANCLI) et EDF pour permettre un questionnement précis du dossier de sûreté, mais elle n’a jamais été activée. Quant à la transparence dont se félicite le pétitionnaire, elle n’existe pas : l’ACRO a pu constater qu’EDF refuse systématiquement de répondre aux questions lors des réunions de la CLI de Flamanville.

Ce mépris d’EDF pour les consultations du public se retrouve sur d’autres dossiers. A Brennilis, suite à l’enquête publique concernant le démantèlement du réacteur, les commissaires enquêteurs écrivent, dans leur rapport, qu’« EDF, malgré la demande de la commission d’enquête, n’a pas souhaité répondre aux recommandations ou réserves émises par la CLI », qui avaient été formulées suite à une expertise de l’ACRO. « En conséquence, la commission d’enquête n’a aucune garantie que ces réserves et recommandations seront effectivement prises en compte par EDF. » Ils ont donc émis, à l’unanimité, un avis défavorable.

Rappelons que la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, ratifiée par la France [8], impose que « chaque Partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération. »

  • L’ACRO regrette que la CPDP ne prenne pas position pour ou contre l’EPR à l’issue du débat et demande des garanties que les demandes du public soient bien prises en compte, conformément à la convention d’Aarhus.

Conclusions

Nous sommes convaincus, comme beaucoup, que le défi énergétique sera l’un des défis majeurs du 21ième  siècle avec l’épuisement des ressources en pétrole et la menace du réchauffement climatique. En ne produisant que de l’électricité, le nucléaire ne peut avoir qu’un impact mineur sur ces problèmes. Tant que les autorités se limiteront à penser en moyens de production réduits à une « alternative infernale » – nucléaire ou effet de serre – et non en utilisation rationnelle de l’énergie, elles seront incapables de répondre au défi. La priorité de toute politique énergétique doit être la réduction de la consommation. Cela est proclamé par les pouvoirs publics et soutenu par les associations de protection de l’environnement, mais sans effets significatifs. Nous aurions donc préféré un large débat sur les économies d’énergie avec, à la clé, des mesures concrètes et des mesures réglementaires qui ne sont pas forcément populaires. Cela aurait été l’occasion de mettre en œuvre une expérimentation d’un véritable processus de démocratie participative beaucoup plus ambitieux que le débat actuel, afin de trouver une synergie entre les moyens techniques, individuels et collectifs à mettre en œuvre pour une meilleure utilisation de l’énergie qui ne soit pas source de conflit.  Malheureusement, l’EPR est présenté comme la solution qui, en servant d’alibi, va à l’encontre de la nécessité de réduire notre consommation. Il va aussi renforcer la dépendance de la production électrique à une mono-industrie, alors qu’il est plus sûr stratégiquement et économiquement de diversifier les sources.

Un réacteur nucléaire n’est pas un produit industriel banal, c’est une installation à risques. Outre la possibilité d’un accident majeur, y compris suite à une intention malveillante, l’EPR émettra des rejets radioactifs dans l’environnement, contribuera à l’exposition des travailleurs du nucléaire et produira des déchets pour lesquels aucune solution éthiquement et socialement acceptable n’est proposée. C’est aussi un investissement lourd qui obère d’autant d’autres investissements.

Les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité [9], ont un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique [10] stipule le principe de justification institué par la CIPR [11] : « Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. » EDF a omis ce premier principe dans sa présentation de la radioprotection, page 118 de son dossier, ce qui est symptomatique… Nous connaissons les risques engendrés par l’industrie nucléaire pour les travailleurs et l’environnement, mais nous ne sommes pas convaincus par les avantages d’un nouvel EPR à Penly ou ailleurs.

  • C’est pour toutes ces raisons que l’ACRO a pris position contre la construction du réacteur EPR à Penly ou ailleurs et pour une autre politique énergétique
[1]  n°2005-781 du 13 juillet 2005

[2] modifié par la loi n°2006-11 du 5 janvier 2006
[3] Communiqué des autorités de sûreté nucléaire française, britannique et finlandaise du 2 novembre 2009

[4] L’enrichissement de l’uranium par ultracentrifugation, qui sera mis en service prochainement dans l’usine Georges Besse II, consomme environ 50 fois moins d’énergie que la méthode actuelle par diffusion gazeuse. L’électricité produite par trois des réacteurs nucléaires du Tricastin dédiée actuellement à l’enrichissement va être disponible pour d’autres usages.
[5] Challenges, 6 décembre 2007 : « Et pour étayer sa démonstration, il s’appuie sur le dernier bilan prévisionnel du RTE, le gestionnaire des réseaux électriques, qui anticipe « une modération dans la consommation électrique » à cause des efforts d’économie d’énergie, tandis que quatre centrales au gaz à cycle combiné entreront en service et que de nouvelles éoliennes procureront 2000 mégawatts supplémentaires. EDF prévoit d’augmenter la puissance des centrales nucléaires existantes, ce qui produira encore 2 000 mégawatts de plus. Bref, les besoins seront couverts. »
[6] LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (1)

[7] 2000 watts correspondent à la consommation énergétique moyenne par personne sur la planète. Tendre vers une société à 2000 watts (dont seulement 500 watts d’origine fossile) permet un équilibre entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. La Suisse était une société à 2000 watts dans les années 60. Le Conseil fédéral l’a intégrée dans sa stratégie de développement durable et plusieurs cantons ont adopté la société à 2000 watts comme objectif de leur stratégie énergétique.
[8] La loi n° 2002-285 du 28 février 2002 contient un article unique : Est autorisée l’approbation de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), signée à Aarhus le 25 juin 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.

[9]  US National Academy of sciences. 2006. Health risks from exposure to low levels of ionizing radiation. BEIR VII – Phase 2.
[10] Partie Législative [première partie.- Protection générale de la santé – livre III.- Protection de la santé et environnement – titre III.- Prévention des risques sanitaires liés aux milieux – chapitre III . – Rayonnements ionisants]  dans son 1er article

[11] Commission internationale de protection radiologique, www.icrp.org

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AGIR maintenant…

Article paru dans l’ACROnique du nucléaire n°84, mars 2009


Lors de son allocution devant l’Académie Nobel, Jean Marie Gustave Le Clézio s’interroge : « Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas ». N’y-a-t-il que les écrivains dans cette situation ?

Les revendications sont souvent des imprécations aux autres pour qu’ils agissent. Plus l’expression est virulente, plus elle est synonyme d’impuissance. Internet n’a fait qu’amplifier le phénomène. Les problèmes environnementaux et le réchauffement climatique en particulier ont sûrement généré plus de blabla que d’actions concrètes. La classe politique, même au pouvoir, n’échappe pas à ce syndrome. Un problème, une loi. Combien de lois ne sont jamais appliquées ? En matière de réchauffement climatique, les politiques ont pourtant l’aval des populations pour agir, comme le montrent les enquêtes d’opinion [1].

On a un sentiment similaire face à certains textes comme la charte de l’environnement adossée à la constitution française en 2005. Une belle déclaration qui concerne d’abord les autres… En faisant de « la préservation et de l’amélioration de l’environnement » un devoir qui s’applique à chacun, c’est pourtant une invitation à l’action. Mais, quand des citoyens jouent leur rôle de vigie et demandent l’application du principe de précaution également inscrit dans la charte, ils se heurtent souvent à un mur. C’est le cas, par exemple, du projet de ligne THT (Très Haute Tension) dans la Manche et en Mayenne.

Le parallèle avec la déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) dont les 60 ans ont été célébrés dans la plus grande discrétion l’année dernière, est éclairant. Amnesty International, qui agit au quotidien pour le respect de ce texte, a titré sa revue de décembre 2008, « la DUDH l’emmerdeuse ». En effet, cette déclaration donne du crédit aux revendications des ONG, qui ont joué un rôle primordial dans ce domaine. Sans ce texte, les violations des droits humains auraient été encore plus graves.

De nombreuses autres chartes internationales, de plus en plus contraignantes, sont venues compléter la déclaration universelle des droits de l’Homme, mettant ainsi en évidence l’impuissance des puissants à appliquer leurs bonnes résolutions. Un grand pas a été franchi avec la création de la cour pénale internationale qui permet de punir les violations massives des droits humains. En matière d’environnement, le chemin à suivre risque d’être similaire.

Au niveau européen, la convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 2002 [2], va beaucoup plus loin que la charte de l’environnement dans la définition des droits et des moyens des citoyens pour participer au processus décisionnel en matière d’environnement. La pratique est, une fois de plus, encore très éloignée de ces bonnes résolutions. L’ACRO œuvre pour que cette convention ne soit pas qu’un alibi à l’inaction.

Les élus français s’abritent derrière la légitimité de leur statut pour décider sans consulter les populations et ont du mal à accepter la nouvelle donne en matière d’environnement. Les sénateurs français ont été choqués que la suppression partielle de la publicité sur les chaînes de télévision publique ait lieu avant le vote de la loi, mais ils n’ont pas été choqués de voter la loi sur l’énergie engageant la construction d’un réacteur nucléaire EPR avant le débat public sur le sujet. L’articulation entre la démocratie représentative et la démocratie participative reste à construire pour une meilleure politique environnementale. Un vaste chantier, mais malgré de beaux engagements, rien n’est fait.

La décision de construire un deuxième EPR à Penly et de l’attribuer à EdF est prise à l’Elysée sans consultation des assemblées et avant tout débat public. Alors que ni Areva, ni EdF, chacun empêtré dans les difficultés de leurs chantiers respectifs, n’ont fait la preuve de la pertinence technique et économique de cette filière, la décision relève de l’arbitraire de plus total. C’est la victoire des lobbys et il n’y a plus qu’à mettre les engagements démocratiques de la France au musée.

Répéter encore tout le mal que nous pensons de cette politique énergétique est probablement inutile ici. En revanche, rien n’oblige à garder EdF comme fournisseur d’énergie. Enercoop [3] propose de l’électricité 100% renouvelable avec un statut coopératif. En ces temps de crise écologique, financière et sociale, une telle structure constitue une lueur d’espoir salutaire qu’il faut soutenir [4].


[1] Climate change survey gives mandate for action, Newscientist.com, 26 Novembre 2008.
[2] La loi no 2002-285 du 28 février 2002 contient un article unique : Est autorisée l’approbation de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), signée à Aarhus le 25 juin 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.
[3] http://www.enercoop.fr/
[4] Cet appel n’est pas une « incapacité à agir » puisque l’ACRO est sociétaire et client Enercoop…

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Feuilleton EPR2

Parce que le gouvernement a décidé d’autoriser EdF a construire un deuxième EPR, nous allons reprendre notre feuilleton sur l’EPR. Le premier feuilleton écrit avant la construction de “la tête de série” à Flamanville garde toute sa pertinence.

  1. Exportation Peu Rentable

Exportation Peu Rentable

ACROnique du nucléaire n°84, mars 2009

C’est par un communiqué [1] laconique que l’Elysée a annoncé le lancement d’un deuxième EPR, en France : « L’Etat valide le projet d’EDF de réaliser cette centrale sur le site de Penly, en Seine-Maritime. EDF réalisera cet équipement dans le cadre d’une société de projet dont il aura la majorité. GDF SUEZ sera associé à ce projet. D’autres partenaires désireux de partager l’investissement et l’approvisionnement électrique seront invités à y participer. EDF déposera dans les prochaines semaines un dossier sur ce grand projet à la commission nationale du débat public, en vue de commencer la construction en 2012 et de raccorder la centrale au réseau en 2017. Dans la perspective du développement ultérieur de la filière, l’Etat reconnaît la volonté de GDF SUEZ d’assumer la maîtrise d’ouvrage et l’exploitation de l’EPR suivant. »

Cette décision n’est justifiée ni par une nécessité de diversifier la production électrique puisque le nucléaire fournit déjà 84% de l’électricité d’EdF, ni par une nécessité de favoriser la concurrence par rapport à l’opérateur historique, puisque c’est EdF qui gagne le bras de fer contre GdF-Suez. Le président de la république a justifié sa décision lors de son déplacement à Flamanville le 6 février 2009 où un premier EPR est en construction : faire de la France une exportatrice d’électricité. « Il y a le monde à conquérir en énergie » a-t-il déclaré.

Cette décision apparaît comme un aveu d’échec de la part de celui qui voulait vendre des EPR à toute la planète. Faute de pouvoir vendre des réacteurs, on va les construire en France et exporter l’électricité. Or la France est déjà exportatrice d’électricité, comme cela est exposé en encadré et ce n’est pas sans poser de nombreux problèmes.

Dans un appel [2] d’intérêt public pour une diversification urgente du bouquet électrique français, des employés d’EdF soulignent qu’« avec près de 80% de sa production électrique d’origine nucléaire […] la France est le seul pays au monde à dépendre autant de cette source d’électricité peu modulable et donc inadaptée aux pointes de consommation. L’extrême centralisation inhérente à la technologie nucléaire, outre qu’elle entraîne des pertes d’énergie sur le réseau, constitue une cause supplémentaire de vulnérabilité potentielle de l’approvisionnement électrique, dans un contexte de multiplication des incidents et accidents, notamment liés à l’âge du parc et à certaines erreurs de conception. […]

D’une part, ses 58 réacteurs rendent notre pays notoirement excédentaire en moyens de production continue de courant (répondant aux besoins en base). La nécessité technique que ces installations fonctionnent jour et nuit – hors périodes d’arrêt pour maintenance – encourage chez nous la surconsommation électrique. L’électricité ne pouvant se stocker, cette surproduction entraîne aussi des exportations à bas prix de courant à l’étranger, lesquelles ont, dans nombre de pays, un effet de dumping dissuasif sur le développement des énergies renouvelables, qu’elles soient thermiques (biogaz, biomasse…) ou autres. Par ailleurs, le surcroît de plutonium et de déchets radioactifs correspondant à ces exportations restera bien sûr, quant à lui, stocké sur le sol français.

D’autre part, les unités de production thermiques plus souples (utilisables en périodes de pics de demande électrique sans générer le reste du temps de gaspillages ni d’incitations à la surconsommation) commencent en revanche à faire cruellement défaut – d’où les difficultés croissantes de RTE (le Réseau de transport d’électricité) pour faire face à la demande sans discontinuité. Cela oblige, lors des pointes de consommation ou d’incidents sur le réseau, à de coûteuses importations d’électricité produite à l’étranger, y compris à partir de ressources fossiles particulièrement polluantes comme le lignite ; celles-ci sont en outre souvent brûlées dans des centrales de conception dépassée, à mauvais rendement énergétique et ne répondant pas aux normes environnementales les plus récentes.

Autrement dit, au lieu d’apporter au niveau planétaire des économies nettes d’émissions de gaz carbonique (CO2), notre parc électronucléaire surdimensionné amène en pratique la France à externaliser, vers des états comme l’Allemagne ou la Pologne, des émissions massives de CO2 et d’autres polluants liées à l’exploitation ponctuelle de centrales thermiques anciennes, ce qui retarde d’autant la fermeture des plus vieilles centrales étrangères. […]

Le « Grenelle de l’Environnement » vient à juste titre d’insister sur l’impérieuse et urgente nécessité de lutter contre les dérèglements climatiques, en particulier par le biais des économies d’énergie et de l’efficacité énergétique, dont on sait désormais qu’elles ont joué, dans la baisse des émissions de CO2 françaises au cours des années 70 et 80, un rôle au moins égal à celui de la mise en service du parc électronucléaire en remplacement d’unités thermiques classiques. […]

Dès lors, on ne peut plus se contenter de construire – comme le prévoient EDF et le gouvernement – de nouvelles centrales thermiques classiques (gaz, fioul, bois…) pour assurer les pics de demande, sans réduire aussi notre parc nucléaire surdimensionné qui, notamment par les gaspillages qu’il induit, entrave toute réelle politique d’économies d’énergie, non seulement en France, mais aussi indirectement en Europe, voire ailleurs dans le monde par le mauvais exemple qu’il donne. […]

Pour toutes ces raisons, nous demandons à compter d’aujourd’hui une réduction rapide et volontariste de la part du nucléaire dans le bouquet électrique français. Cette part pourrait par exemple passer, en cinq ans, des actuels 80% à 60% de l’électricité consommée, et ce :
– en fermant les réacteurs atomiques les plus anciens, les plus coûteux en maintenance, les plus générateurs de rejets et effluents radioactifs et chimiques, les plus irradiants, démotivants et anxiogènes pour les personnels qui y travaillent et les populations environnantes, tout en assurant le maintien sur site ou la reconversion des travailleurs ;
– en leur substituant des moyens de production électrique moins centralisés, adaptés aux ressources locales (centrales à gaz en cogénération, susceptibles de fonctionner à terme avec du biogaz de méthanisation, et à coupler avec des réseaux de chaleur ; centrales à bois, ou centrales mixtes charbon/biomasse ; photovoltaïque ; éolien ; etc.). Par ailleurs, tout en respectant les normes environnementales et énergétiques les plus modernes, ces moyens de production peuvent, contrairement aux réacteurs nucléaires, répondre aux fluctuations de la demande et être mis à l’arrêt chaque fois que les nécessaires efforts d’économies d’énergie effectués par les industriels, les collectivités et les particuliers le justifieront. »

[1] Publié le 30-01-09
[2] http://www.alecoso.fr/spip.php?article64

2000 à 2007, bilans électriques français

Notes de lecture des bilans annuels publiés par le Gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE)

André Guillemette, juillet 2008

Nucléaire et indépendance énergétique, part de l’électricité nucléaire dans la consommation d’énergie en France

Source : Mémento sur l’énergie, Energy data book, CEA, Ed. 2006

Source : Mémento sur l’énergie, Energy data book, CEA, Ed. 2006

Selon la publication du CEA (CEA, 2006), la consommation totale d’énergie en France en 2005 a été de 276,5 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole), dont 117,5 Mtep en électricité. Sur ces 117,5 Mtep, 78,3 % sont d’origine nucléaire (CEA, 2006). La part de l’électricité nucléaire produite est donc de 33,27 % de l’énergie consommée.

Lors du débat sur l’énergie organisé par le gouvernement français en 2003, l’association Global Chance partant des mêmes consommations de l’année 2000 que “CEA 2001”, mais prenant en compte toutes les données comptables (rendements, pertes en ligne, consommation d’auxiliaires, …), évaluait la part de l’énergie nucléaire consommée à 17%, alors que les données officielles situaient cette contribution à 28% pour cette même année 2000.
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La production d’énergie nucléaire et l’exportation d’électricité

Electricité d’origine nucléaire et exportations d’électricité

Electricité d’origine nucléaire et exportations d’électricité
Sources : EDF et RTE

En 2007, les 58 réacteurs français ont produit 428,7 TWh (TWh = 1000 milliards de Watt par heure). 56,7 TWh soldent le bilan positif des échanges d’électricité avec les pays limitrophes Italie, Suisse, Grande-Bretagne, Espagne, Allemagne. En 2007, comme les dix années précédentes l’exportation était de l’ordre de 83 TWh.
Nous avons exporté en 2007 une quantité d’électricité équivalente à la production de 8 (solde positif des échanges) à 11,5 (production en base, contractuellement exportée) réacteurs.
Ce solde positif des échanges d’électricité apparaît dès 1982, progresse rapidement jusqu’en 1990 pour rester relativement constant jusqu’à aujourd’hui, comme on peut le voir sur le graphe ci-contre.
Bilan détaillé des échanges

L’historique du solde des échanges d’électricité est présenté ci-dessous en nombre de réacteurs dédiés à l’exportation.

Sources : EDF et RTE

Sources : EDF et RTE

Dès 1984 apparaît une surcapacité équivalente à la production de 4 réacteurs. En part de la production d’origine nucléaire, l’électricité exportée varie de 10 à 20 % de cette production. Depuis 1991 le palier d’exportation varie entre l’équivalent production de 8 à 11 réacteurs.

Solde des échanges par pays
(un réacteur produit en moyenne 7,2 TWh/an)

Sources : RTE

Sources : RTE

Depuis 2004, la tendance  est à l’exportation de la production d’environ 3 réacteurs vers la Suisse, 3 réacteurs vers l’Italie, 2 réacteurs vers la Belgique, et un réacteur vers la Grande Bretagne et l’Espagne. Par contre, nous importons l’équivalent de la production d’un réacteur de l’Allemagne, pays connu pour son fort développement des énergies renouvelables … et l’engagement pour l’arrêt de son programme électronucléaire.

Commentaires

Depuis 1990, nous avons  une surcapacité  moyenne de 10 réacteurs nucléaires,  et environ 48 dédiés à l’utilisation hexagonale. De plus, 3 réacteurs sur les 4 du site de Tricastin servent uniquement à l’enrichissement du combustible, dont une grande partie est exportée : Tricastin fabrique plus du tiers de la production mondiale, l’équivalent du chargement de 100 réacteurs, soit encore presque 1,5 réacteurs dédiés à l’exportation. AREVA construit actuellement sur le site de Tricastin une nouvelle usine d’enrichissement par centrifugation (GB2) nettement moins gourmande en électricité que le procédé actuel par diffusion gazeuse : 75 MW contre 3000 MW. La nouvelle usine sera opérationnelle en 2009 (ASN, 2007)… et la production de 3 réacteurs de 900 MWe sera disponible sur le réseau en 2009, 2 ans avant la mise en service prévue (2011) de l’EPR en construction à Flamanville.
Il est aussi notable qu’un réacteur sert en permanence à pomper de l’eau (env. 7 TWh/an) pour la monter dans des réserves d’eau dont l’énergie est restituée en conduite forcée, en fonction des besoins. C’est indispensable pour pouvoir adapter l’offre à la demande.

En conclusion, 12 réacteurs sur 58, soit 20,7 % du parc nucléaire français, sont utilisés à d’autres fins que les seuls besoins énergétiques des Français depuis le début des années 1990. Cela devrait augmenter dans les années à venir de 2009 à 2011 la production de 4 réacteurs (3 x 900 MWe à Tricastin, 1 x 1600 MWe à Flamanville) va être disponible sur le réseau électrique français sans que la consommation ait progressé notablement : elle a régressé entre 2006 et 2007 (RTE, 2006 et 2007). Que faire de ces 4300 MWe disponibles en base, sinon signer là encore des contrats d’exportation pour assurer un débouché fiable à notre production nucléaire ?

Sachant que les 58 réacteurs actuels ont une durée minimale d’activité prévue de 40 ans (60 ans – espérés – pour les mêmes réacteurs nucléaires aux Etats-Unis), soit un premier besoin de remplacement en 2017  au plus tôt, nous ne percevons toujours pas encore pourquoi il a fallu démarrer de toute urgence la construction d’un réacteur EPR à Flamanville, dont la production viendra s’ajouter en 2011 à notre surcapacité chronique. Rappelons que Flamanville et Penly font partie des sites les plus éloignés des frontières suisses et italiennes, limites de résidence des principaux clients d’EDF.

Bibliographie

ASN, 2007. Rapport annuel : La sûreté et la radioprotection en France en 2007
CEA, 2006. Mémento sur l’énergie. CEA, édition 2006.
Global Chance, 2003. Les cahiers de Global Chance. Petit mémento énergétique. Eléments pour un débat sur l’énergie en France. Janvier 2003.
RTE, 2000 à 2007. Résultats techniques du secteur électrique en France. RTE, Gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité. Années 2000 à 2007.

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Le nucléaire est-il soluble dans la démocratie ?

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°82, septembre 2008


En ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus, la France s’est engagée à garantir la « participation du public au processus décisionnel » en matière d’environnement. Avec la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, les autorités ont prétendu avoir tourné définitivement la page de la mauvaise gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl sur le territoire national. Et pour montrer que nous étions vraiment entrés dans une nouvelle ère démocratique, deux débats nationaux furent organisés en France en 2005-2006 sous l’égide de la Commission Nationale de Débat Public (CNDP) sur la gestion des déchets radioactifs et la construction d’un réacteur EPR « tête de série ». Le débat sur les déchets fut très riche car la Commission a élargi les questions mises en jeu : initié pour les seuls déchets de haute et moyenne activité à vie longue, il a pris en compte tous les déchets et toutes les matières radioactives dites valorisables. Des solutions nouvelles ont été proposées comme alternative à l’enfouissement des déchets, à savoir l’entreposage pérennisé qui consiste à transmettre générations après générations les moyens de surveillance de ces déchets les plus toxiques.

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Malheureusement, la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs n’a pas retenu cette option et a consacré comme « solutions de référence » les choix précédents de gestion, que sont le retraitement et l’enfouissement. Les seuls progrès concernent les mesures d’accompagnement de la gestion des déchets : un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs est mis en place et les compétences de la Commission Nationale d’Évaluation sont étendues.

Les décrets et les textes d’application qui ont suivi sont encore plus éloignés des souhaits de la population. Ainsi le gouvernement qui a créé un Ministère de l’Identité Nationale pour faire de la chasse aux étrangers une de ses priorités accepte officiellement le stockage en France de matières radioactives dites valorisables d’origine étrangère, même si elles ne sont pas valorisées… On est encore loin de la Convention d’Aarhus qui stipule que « chaque Partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération. »

En ce qui concerne l’EPR, les autorités ont pris moins de risque puisque la décision de construire le réacteur était prise par la loi sur l’énergie du 13 juillet 2005, bien avant le lancement du débat, ignorant encore la Convention d’Aarhus qui garantit que « chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence. » Qu’a apporté le débat ? Une garantie d’EDF de favoriser une expertise pluraliste de la sûreté du réacteur qui s’est traduite par la signature d’une convention en grandes pompes entre EDF, la Commission Locale d’Information de Flamanville (CLIF) et l’Association Nationale des Commissions Locales d’Information (ANCLI), mais qui est restée lettre morte : Un bien maigre résultat pour une procédure de consultation lourde et ambitieuse. Alors que pour la première fois dans l’histoire du nucléaire français le chantier de construction d’un réacteur nucléaire est arrêté par l’autorité de sûreté pour anomalies répétées, aucun avis tiers basé sur une expertise ouverte et pluraliste n’est disponible. Là encore, le débat n’a concerné que les mesures d’accompagnement, pas le fond du problème. On pourrait aussi citer le cas d’ITER pour lequel le débat n’a eu lieu qu’une fois les conventions internationales signées.

Le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du Territoire, vient de charger l’ANDRA de rechercher un site d’accueil pour les déchets faiblement radioactifs à vie longue en précisant que la procédure doit être conduite de manière « exemplaire et transparente, […] dans le respect de la démocratie locale ». Une précision qui a une valeur d’aveu quant au passé sans être rassurante pour l’avenir. Sans surprise, l’enfouissement à faible profondeur dans une couche argileuse est déjà décidé et seules les mesures d’accompagnement seront débattues. Si vous avez un avis sur la couleur des volets des bâtiments ou la taille du portail, n’hésitez pas à le faire savoir à l’ANDRA, elle est preneuse.

Quant à l’annonce par le Président de la République de la construction d’un deuxième réacteur EPR, elle ne s’encombre, comme à son habitude, d’aucun artifice démocratique et s’apparente une fois de plus au fait du prince. La loi du 13 juillet 2005, signée par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, Nicolas Sarkozy est pourtant claire : les deux premières priorités de l’Etat sont : maîtriser la demande d’énergie et diversifier les sources d’approvisionnement énergétique. Pour ce deuxième point, l’article 4 de la loi précise que « L’Etat se fixe donc trois priorités. La première est de maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020 en disposant, vers 2015, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération opérationnel permettant d’opter pour le remplacement de l’actuelle génération. La deuxième priorité en matière de diversification énergétique dans le secteur électrique est d’assurer le développement des énergies renouvelables. » C’est dans le même esprit qu’EDF justifiait la nécessité de l’EPR actuellement en construction sur des arguments industriels, et non énergétiques. Il y a à peine 6 mois, le PDG d’EDF expliquait encore qu’« il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020 »*. A peine l’annonce présidentielle faite, EDF s’est déclarée candidate à la construction de ce deuxième réacteur de 3ième génération… Comment la compagnie peut-elle paraître crédible ? Est-ce un coup de marketing pour compenser les déboires de l’EPR en France et en Finlande?

* Challenges, 6 décembre 2007, repris dans l’éditorial de l’ACROnique du nucléaire n°80 de mars 2008

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“Il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020”

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°80, mars 2008


EdF construit à Flamanville dans la Manche un réacteur EPR dit « tête de série ». Combien de réacteurs identiques vont suivre ? EdF ne le dit pas. Dans le dossier qui a servi au débat national sur l’EPR, la compagnie explique que la décision sera prise en 2015, après 3 années de fonctionnement du prototype en cours de construction. Lors de ce même débat, les administrations de l’Etat étaient un peu plus loquaces. La réalisation de 4 réacteurs EPR permettrait un équilibre de l’option nucléaire et les études prospectives ont porté sur une série de 10 exemplaires…

Mais, dès que GdF-Suez veut à son tour construire un réacteur EPR, le PDG d’EdF, Pierre Gadonneix estime qu’« il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020 ». Et pour étayer sa démonstration, il s’appuie sur le dernier bilan prévisionnel du RTE, le gestionnaire du Réseau de Transport de l’Electricité, qui anticipe « une modération dans la consommation électrique » à cause des efforts d’économie d’énergie, tandis que quatre centrales au gaz à cycle combiné entreront en service et que de nouvelles éoliennes procureront 2000 mégawatts supplémentaires [1]. Il oublie de dire qu’EdF produit aussi trop d’électricité et exporte l’équivalent de la production d’une dizaine de réacteurs sur 58. Ou dénie-t-il à ses concurrents le droit d’exporter aussi ?

Si l’EPR allait nous sauver de la crise énergétique et du péril climatique, comme ses promoteurs le laissent entendre, ils devraient se réjouir que la concurrence fasse un choix si sensé ! Malheureusement, l’appât du gain prime. Tout le reste n’est que discours.

L’énergie est un bien public trop précieux pour en laisser la responsabilité aux seuls industriels. La primeur donnée aux profits va à l’encontre d’une politique énergétique sobre, seule option viable à long terme. La réduction drastique de la consommation de l’énergie est l’affaire de tous, à tous les niveaux, du simple citoyen au sommet de l’Etat. Une telle synergie n’est réalisable qu’en faisant de la politique énergétique un enjeu de démocratie participative à tous les niveaux de la société et sur le long terme. Un petit débat chaque fois que l’on veut construire un nouveau réacteur ne suffit pas.

Mais, si elle n’est pas accompagnée par un contre-pouvoir adéquat, la gouvernance délibérative a toutes les chances d’échouer [2]. En effet, là où le contre-pouvoir est faible ou inexistant, le processus a tendance à favoriser les intérêts établis, car leurs représentants auront plus de facilité à faire prévaloir leur point de vue. Pire, en l’absence de contre-pouvoirs et de capacités de contre-expertise, on peut craindre que le passage d’une gouvernance verticale, hiérarchique et conflictuelle à une gouvernance délibérative revienne dans la pratique à une réduction des compétences de l’Etat et une déréglementation néfaste ayant une apparence démocratique.

L’ACRO travaille depuis le début de son existence à l’établissement d’un contre-pouvoir citoyen bien ancré dans les territoires concernés par son action. Son travail n’est pas spectaculaire, ni médiatique car il s’inscrit dans le long terme, mais il a besoin de votre soutien et de votre engagement.

[1] Challenges, 6 décembre 2007
[2] Cette analyse sur le rôle des contre-pouvoirs est tirée de Le contre-pouvoir dans la démocratie participative et délibérative par Archon Fung et Erik Olin Wright, in La démocratie participative, sous la direction de Marie-Hélène Bacqué, Henri Rey et Yves Sintomer, éditions La Découverte 2004

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Enquête publique sur la demande d’autorisation d’augmentation de rejets de la centrale nucléaire de Flamanville

Demande d’autorisation ou Demande de CONFUSION de rejets ??

ACRO, communiqué de presse du 12 mars 2007


Le dossier d’enquête publique déposé du 14 février au 17 mars par EDF en mairie de Flamanville et dans les mairies des communes limitrophes demande des autorisations de rejets pour trois scénarios gigognes de fonctionnement du site nucléaire de Flamanville :

– Fonctionnement du site actuel, réacteurs de 1300 MWe n° 1 et 2
– Fonctionnement du site actuel, réacteurs de 1300 MWe n° 1 et 2 avec des nouveaux combustibles dits à haut taux de combustion (HTC), à partir de 2009
– Fonctionnement du site actuel, réacteurs de 1300 MWe n° 1 et 2 chargés en combustibles HTC, plus le réacteur EPR de tête de série « Flamanville 3 » à partir de 2012 (au plus tôt)

La demande simultanée et concomitante d’autorisations de rejets dans les trois situations sert à masquer la demande d’augmentation d’autorisation de rejets liquides de tritium pour les 2 réacteurs actuels de 1300 MWe, comme EDF a été amené  à en faire la demande en 2003 pour les 4 réacteurs de 1300 MWe de Cattenom, ou comme actuellement pour les 2 réacteurs 1300 MWe de Penly.

Les autorisations de rejets radioactifs actuelles avec leur « largesse » par rapport aux rejets potentiels du site en fonctionnement normal sont plutôt des incitations à polluer que des limitations réglementaires visant à la protection de l’environnement.
Ces demandes d’autorisations imbriquées sont effectuées  alors que parmi les radionucléides rejetés par les centrales nucléaires d’EDF, les seuls qui ne font pas l’objet d’un suivi régulier et d’études environnementales annuelles sont le carbone 14 et le tritium,  deux radionucléides qui induiraient à eux seuls 95 % de la dose des populations les plus exposées selon les calculs des experts EDF.

L’exploitant base ses demandes sur la non accumulation du tritium dans la chaîne alimentaire sans prendre en compte que la bioaccumulation du tritium sous sa forme organique constatée par les Anglais auprès de leurs installations nucléaires au moins depuis 1999. Cette bioaccumulation sur les poissons, les mollusques et les crustacés, aussi bien en eau douce qu’en eau de mer, fait l’objet d’études dans l’environnement proche des sites nucléaire en Angleterre et au Canada … pas en France.

Encore une exception culturelle, spécifique au nucléaire français ??

L’ACRO a pu procéder à une étude partielle de ces dossiers d’enquête dans des conditions d’accessibilité (en mairie et en sous-préfecture aux heures ouvrables) qui rendent ce type d’enquêtes purement formelles.

Notre association exprime les demandes fortes suivantes :
que l’exploitant EDF remette gracieusement aux associations de protection de l’environnement qui en font la demande un dossier d’enquête complet (comme d’autres l’ont fait dans un passé récent) et que nous disposions d’un temps d’étude suffisant pour exercer notre action citoyenne ;

  • que la demande d’autorisation de rejets de l’exploitant ne concerne que les réacteurs 1 et 2 actuels et qu’elle n’inclut pas celle du futur EPR qui n’est absolument pas d’actualité en cette année 2007 ;
  • que les niveaux d’autorisation de rejets hors tritium soient revus à la baisse compte tenu de l’écart confortable qui existe avec les rejets effectifs ;
  • qu’aucune augmentation de rejets en Tritium ne soit accordée car, s’il existe un souci concernant ces rejets qui atteignent la limite d’autorisation, des solutions techniques d’entreposage provisoire des effluents les plus actifs doivent permettre une gestion par décroissance partielle sur site ;
  • que l’exploitant engage des études d’impact sanitaire, pour les radionucléides les plus contributeurs à la dose (Tritium et carbone 14), qui reposent sur des mesures effectives dans l’environnement et pas seulement sur une succession de modélisations purement théoriques, comme dans le domaine des rejets chimique.

Le Groupe Radio-écologie Nord Cotentin (GRNC) a proposé (et effectue actuellement) les déterminations environnementales des polluants chimiques rejetés par toutes les installations nucléaires du Nord-Cotentin, pour valider les modèles de calcul d’impact.
Une démarche similaire est hautement souhaitable pour le carbone 14 et le tritium qui représentent à eux seuls 95 % de l’impact théorique des rejets des centrales nucléaires EDF.

Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le dossier technique au format pdf ici.

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L’ACRO ne participera pas à l’enquête publique sur l’EPR

Communiqué de l’ACRO du 15 juin 2006


En ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus, la France s’est engagée à permettre la participation du public aux décisions touchant à l’environnement et surtout à respecter son article 8 qui stipule que « les résultats de la participation du public sont pris en considération dans toute la mesure du possible ». Le projet d’EPR a fait depuis l’objet de deux consultations, l’une à la demande du gouvernement en 2003 et l’autre à la demande d’EdF plus récemment.

Les trois sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie de 2003 avaient conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] En définitive, la question du nucléaire ne peut être tranchée sans des compléments d’études allant au-delà des éléments fournis lors du Débat National. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin a, dans ce même rapport, clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » Cela n’avait pas empêché les élus de voter la loi sur l’énergie du 15 juillet 2005 donnant un feu vert au projet, sans tenir compte du deuxième débat qui a débuté à l’automne 2005.

La Commission Particulière de Débat Public a conclut dans son compte-rendu que « d’une façon générale les raisons, invoquées par le maître d’ouvrage, de réaliser l’EPR, impérieuses selon lui ont été faiblement éclaircies et justifiées ».

EdF n’a depuis, apporté aucune précision nouvelle permettant de justifier sa décision de poursuivre son projet.

La contribution majeure de ce deuxième débat public aura été de faire des propositions concrètes de réforme autour du secret et de l’accès à l’information. Rien dans la loi sur la transparence, récemment votée, ni dans les réactions des autorités ne répond à la problématique. Au contraire, avec l’enquête publique qui démarre aujourd’hui, c’est un passage en force au cœur de l’été avec un accès contrôlé aux dossiers qui est proposé en guise de réponse.

Rappelons aussi que les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité, ont aussi un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique stipule le principe de justification institué par la CIPR : « Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. » Or, la demande d’autorisation de rejet aura lieu plus tard. Comment alors justifier l’installation sans en connaître l’impact sanitaire ?

Les autorités ne semblent pas se préoccuper des règles démocratiques qu’elles se sont elles-mêmes fixées. Très concernée, l’ACRO s’est beaucoup impliquée dans les débats par le passé, mais ne participera pas à cette enquête publique.

Secret défense : Lettre ouverte à l’attention des pouvoirs publics

19 mai 2006

Au moment où le pouvoir politique marque sa volonté de rappeler le respect dû au secret défense en faisant interpeller Stéphane Lhomme, il est regrettable qu’il ignore les conclusions d’un très sérieux groupe de travail mis en place par la Commission Nationale du Débat Public, sur les obstacles à l’accès à l’information dans le domaine du nucléaire et sur les voies possibles pour progresser vers une véritable transparence. Les débats publics sur les déchets nucléaires et le futur réacteur EPR à Flamanville, qui viennent de s’achever, ainsi qu’une enquête menée à cette occasion sur les pratiques en matière de transparence dans divers pays occidentaux, démontrent la nécessité de pouvoir accéder aux documents d’expertise pour permettre une véritable démocratie participative en accord avec la Convention d’AARHUS ratifiée par la France.

Ces travaux ont montré l’intérêt d’une concertation sur ces questions et fait émerger des pistes de réflexions. Cette voie doit être poursuivie pour construire un dialogue argumenté sur des sujets complexes, touchant à un domaine aussi sensible que l’avenir énergétique, et pour éviter la radicalisation des positions à laquelle on assiste.

Il ne suffit pas de ratifier des conventions ou de voter des lois pour que la transparence se fasse.

Des personnalités ayant participé aux débats publics déchets et EPR :

Pierre Barbey – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
David Boilley – Membre de l’Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
Jean-Claude Delalonde – Président de l’Association Nationale de CLI
Benjamin Dessus – CNRS
Danielle Faysse – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Bernard Laponche – Expert indépendant, Global Chance
Yves Marignac – Directeur de Wise-Paris
Jean-Luc Mathieu – Membre de la Commission Nationale du Débat Public et président de la Commission Particulière du débat public EPR
Michèle Rivasi – Présidente du CRIIREM (fondatrice de la CRIIRAD)
François Rollinger – Représentant CFDT au CSSIN
Monique Sené – Présidente du Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie
Annie Sugier – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR
Françoise Zonabend – Membre de la Commission Particulière du débat Public EPR

Après deux débats, l’EPR n’est toujours pas justifié

Communiqué de l’ACRO du 14 avril 2006


 

En ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus, la France s’est engagée à permettre la participation du public aux décisions touchant à l’environnement et surtout à respecter son article 8 qui stipule que  « les résultats de la participation du public sont pris en considération dans toute la mesure du possible ». Le projet d’EPR a fait depuis l’objet de deux consultations, l’une à la demande du gouvernement en 2003 et l’autre à la demande d’EdF plus récemment.

Les trois sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie de 2003 avaient conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] En définitive, la question du nucléaire ne peut être tranchée sans des compléments d’études allant au-delà des éléments fournis lors du Débat National. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin a, dans ce même rapport, clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » Cela n’avait pas empêché les élus de voter la loi sur l’énergie du 15 juillet 2005 donnant un feu vert au projet, sans tenir compte du deuxième débat qui a débuté à l’automne 2005.

La Commission Particulière de Débat Public, qui vient de publier son compte-rendu, conclut que « d’une façon générale les raisons, invoquées par le maître d’ouvrage, de réaliser l’EPR, impérieuses selon lui ont été faiblement éclaircies et justifiées ».

Rappelons que les risques spécifiques liés aux radiations ionisantes, pour lesquelles il est reconnu internationalement qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité, ont aussi un nouveau cadre réglementaire. Le Code de la Santé Publique – Partie Législative [première partie.- Protection générale de la santé – livre III.- Protection de la santé et environnement – titre III.- Prévention des risques sanitaires liés aux milieux – chapitre III . – Rayonnements ionisants]  dans son 1er article, stipule le principe de justification institué par la CIPR : « 1° Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. »

C’est pour ces raisons que l’ACRO maintient sa position contre la construction du réacteur EPR à Flamanville ou ailleurs et s’inquiète de ne rien voir venir de concret concernant les deux priorités de la loi sur l’énergie : « maîtriser la demande d’énergie ; diversifier les sources d’approvisionnement énergétique. »

Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
138, rue de l’Eglise
14200 Hérouville St Clair
tél : 02.31.94.35.34
fax : 02.31.94.85.31
https://acro.eu.org

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Secret et accès à l’information

Conclusions et constats partagés du groupe de travail mis en place par les commissions particulières de débat public sur l’EPR et les déchets nucléaires
Position de l’ACRO
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CONCLUSION  •  CONSTATS PARTAGES

Les difficultés rencontrées sur le thème du secret au cours des deux débats publics sur le nucléaire, concernant le projet de réacteur EPR d’une part et la gestion des déchets nucléaires d’autre part, ont fait de l’accès à l’information un thème majeur du débat, approfondi notamment dans le cadre d’un groupe de travail et de deux réunions publiques, l’une commune aux deux débats le 14 novembre 2005 à Caen et la seconde dans le débat EPR le 30 janvier à Dunkerque.
Les travaux menés au sein du groupe de travail, enrichis des réflexions apportées par d’autres acteurs au cours des débats, font apparaître un certain nombre de conclusions fortes. A travers les constats partagés et les divergences parfois profondes, les points suivants ressortent des échanges :

•    La confiance des citoyens dans la capacité d’accès à l’information sur le nucléaire civil doit être renforcée

1.    Un « conflit d’exigences » existe entre le pluralisme et l’exhaustivité nécessaires au débat public et le respect de secrets liés à la sécurité dans le domaine du nucléaire civil.
Cette question revêt, dans le triple contexte d’un manque de confiance du public, de l’après 11 septembre et de choix à venir sur le renouvellement des équipements nucléaires, une importance majeure. Sa « résolution » passe par une clarification de la délimitation et de la justification de l’ensemble des secrets et par la réflexion sur les mécanismes susceptibles d’apporter l’information au public dans le respect de leurs limites.

2.    La confiance des citoyens dans les informations qui leur sont accessibles est un élément essentiel pour leur participation aux débats sur les risques auxquels ils se sentent exposés.
La faiblesse de la confiance placée par les citoyens dans les informations disponibles, en particulier dans celles données par l’Etat, sur les questions ayant trait aux affaires nucléaires civiles est un obstacle majeur à la démocratisation des choix dans ce domaine.

3.    La démarche de « transparence », comprise comme la mise à disposition du public d’une information choisie par ses détenteurs, apparaît nécessaire mais non suffisante pour résoudre ce problème.
La construction de la « confiance » renvoie à l’existence de dispositifs liant l’accès du public aux informations à sa demande, la capacité d’expertise nécessaire au traitement pluraliste de ces informations et la reconnaissance de ce pluralisme dans les processus de décision – perçue comme un facteur d’amélioration des décisions.

•    L’existence de secrets protègeant les industriels et les intérêts de la Nation apparaît d’autant plus légitime qu’ils sont bien délimités

4.    L’accès à l’information est légitimement borné par la protection d’intérêts privés ou publics. Un consensus existe, dans son principe, sur l’édiction de règles juridiques qui empêchent de livrer au public des informations couvertes :

•    les unes par les secrets industriel et commercial nécessaires à la protection de certains intérêts des entreprises,
•    les autres par le secret de défense nationale, élément parmi d’autres, de la protection d’intérêts vitaux de la Nation.

5.    Ces secrets doivent toutefois, conformément à une évolution très forte du droit international, constituer des exceptions aussi limitées que possibles à une règle d’accès à l’information.
Bien que ce principe soit inscrit dans le droit français, le sentiment de faible information dans le domaine du nucléaire civil tient aussi à la difficulté d’obtenir des informations sur des points qui ne sont pas explicitement couverts par les secrets. L’existence de cette zone grise, ou de secret « par omission », semble un obstacle culturel français rencontré également dans d’autres domaines.

6.    Il importe donc, sur les questions de sûreté et de sécurité (et par extension de risques pour les personnes et pour l’environnement) liées aux activités nucléaires civiles, de distinguer trois questions :

•    la frontière, c’est-à-dire les critères et les procédures délimitant les informations couvertes par un secret des informations en principe publiques;
•    le « dehors », c’est-à-dire les règles et les pratiques rendant réellement disponible l’information théoriquement accessible ;
•    le « dedans », c’est-à-dire les dispositifs de restitution susceptibles d’apporter au public de la confiance dans le degré de protection sans rompre la confidentialité nécessaire des informations.

7.    Il convient par ailleurs de bien distinguer l’analyse du périmètre des secrets selon les domaines d’application, les intérêts protégés et les autorités qui les traitent :

•    dans le domaine de la sûreté, c’est-à-dire de la protection contre les circonstances accidentelles, on rencontre essentiellement :
– le secret industriel, qui s’applique de façon bien délimitée à la protection de la conception et du savoir-faire sur des éléments précis du système technique,
– et le secret commercial, qui s’applique de façon plus subjective à des informations sensibles en termes concurrentiels ;
•    dans le domaine de la sécurité, c’est le secret défense qui s’applique aux dispositions de tous ordres prises pour la protection contre le détournement des matières nucléaires et contre les actes de malveillance en fonction des différents types de menaces considérées;
•    un problème spécifique apparaît sur des questions qui se trouvent à l’intersection des deux domaines, c’est le cas notamment de la résistance des installations aux chutes d’avion.

•    Le respect du secret industriel et commercial ne s’oppose pas à une plus grande ouverture sur les dossiers de sûreté nucléaire

8.    Le périmètre du secret industriel et commercial fait moins question qu’une utilisation extensive qui peut en être faite. La pratique suggère en effet un écart entre l’information réellement couverte par ce secret et l’information réellement mise à disposition du public par les opérateurs et les pouvoirs publics.

9.    L’accès à l’information pourrait dans ce domaine être fortement amélioré par une évolution des pratiques visant à limiter la confidentialité aux seules informations réellement protégées. Il s’agirait par exemple d’établir le rapport de sûreté comme un document public dont certaines parties seulement demeureraient confidentielles.
De même, une évolution vers une attitude plus positive en général des détenteurs de ces informations vis-à-vis de demandes spécifiques du public semble souhaitable.

10.    La voie de l’expertise pluraliste, expérimentée dans le cadre du débat public à travers une première investigation d’éléments du rapport préliminaire de sûreté par des experts indépendants, devrait être confortée. L’élargissement de l’accès d’experts indépendants mandatés par des organismes reconnus, sous accord de confidentialité, aux dossiers des opérateurs est une étape importante à franchir.
D’autres pistes de réflexion sont proposées concernant la composition des groupes d’experts chargés d’appuyer les autorités sur les dossiers de sûreté ou la mise en débat des avis de ces groupes.

11.    Plus largement, de telles évolutions passent probablement par la mise en place de règles elles-mêmes plus transparentes pour l’instruction des demandes d’information, la justification des refus et les procédures de recours. De plus, un rôle renforcé des lieux de dialogues territoriaux que sont les CLI et leur fédération nationale paraît souhaitable.
La loi sur la transparence nucléaire en préparation devrait permettre d’établir un tel cadre, que des décrets d’application pourraient préciser.

•    Le secret de défense est un élément indispensable de la sécurité nucléaire mais son rôle et sa limite restent sujets à débat

12.    Le périmètre du secret défense reste l’objet de débats, voire d’incompréhension. Si sa délimitation thématique est spécifiquement établie par l’arrêté du 26 janvier 2004, il paraît beaucoup plus facile d’avoir une vision concrète de cette limite de l’intérieur que de l’extérieur, ce qui constitue un obstable majeur à la discussion entre personnes « habilitées » ou non. En matière de sécurité nucléaire, le secret est, au même titre que les dispositifs de protection physique, un élément de ce que l’on désigne comme la « défense en profondeur » : de ce fait, caractériser le secret revient pour les autorités à en affaiblir la portée, donc à réduire l’efficacité de la protection qu’il apporte.
Sa fonction même confère au périmètre du secret défense un caractère fluctuant : ainsi, les secrets à préserver peuvent évoluer dans le temps en fonction de l’évaluation des menaces crédibles. De plus, l’agrégation d’informations non secrètes isolément peut constituer une information secrète.

13.    Cette vision du secret défense appliqué à la sécurité nucléaire se heurte à la demande de clarification de son rôle dans l’ensemble des dispositifs de protection. Ce problème se pose particulièrement à la frontière entre sûreté et sécurité : la protection d’une installation nucléaire contre la chute d’avion de ligne (parmi différents scénarios d’attaque terroriste de grande ampleur) recouvre plusieurs aspects, dont la résistance propre de l’installation qui est une problématique de sûreté.
Il existe sur ce plan un conflit entre l’usage extensif du secret comme instrument de réduction de l’efficacité d’actes de malveillance et la possibilité de garantir explicitement pour le public un degré de résistance de l’installation à des scénarios déterminés.

14.    Face à cette difficulté, il apparait d’abord souhaitable que le Gouvernement procède dans ce domaine à une explication plus systématique sur la démarche globale de sécurité, qui reste mal connue. Le document annexe à la lettre du Ministre de l’industrie à la CNDP du 12 octobre 2005, en plaçant la question de la sécurité de l’EPR dans un contexte global, en fournit un premier exemple.
La mise à disposition systématique du public du rapport annuel au Parlement du Bureau sécurité et contrôle des matières nucléaires et sensibles (BSCMNS) du service du Haut fonctionnaire de défense du MINEFI, dont le rapport 2004 a été rendu public dans le cadre du débat, est également un élément très important d’information du public.
Dans le même registre, certains suggèrent que l’édition d’un guide précisant la nature des documents susceptibles d’être classifiés dans le domaine du nucléaire civil et les raisons de cette classification pourrait améliorer la compréhension du rôle du secret dans la sécurité nucléaire. Les divergences sur ce point illustrent la difficulté du sujet : pour certains membres du groupe, un tel guide risquerait, pour englober dans une approche générale l’ensemble des situations envisageables, d’étendre le périmètre du secret au-delà de ce qui est strictement nécessaire ; pour d’autres il constituerait, même dans ce cas, un élément susceptible d’améliorer la confiance.

15.    Au-delà, une réflexion reste à mener, sous l’égide des pouvoirs publics, sur des formes d’expertise collégiale susceptibles de renforcer la confiance du public dans le domaine de la sécurité nucléaire. Il s’agirait notamment d’apporter un éclairage sur les choix de conception qui déterminent les rôles respectifs du secret et d’autres dispositifs dans la protection globale des installations nucléaires, et la garantie que le secret ne couvre pas des défaillances vis-à-vis d’objectifs affichés.
Cette réflexion se heurte à la limitation de l’accès aux informations couvertes par le secret défense aux personnes remplissant la double condition d’être habilitées et de justifier par leur fonction d’un « besoin d’en connaître ».

16.    Les conditions dans lesquelles il peut être fait appel à la Commission consultative du secret de la défense nationale apparaissent très restrictives. L’élargissement des conditions de sa saisine pour renforcer l’accès des citoyens au recours sur l’application du secret de défense dans le domaine du nucléaire pourrait être étudié.

17.    Sur un plan plus large, le Gouvernement pourrait s’interroger sur l’évolution des lois et règlements concernant le secret de défense. Une étude menée par un juriste spécialiste du droit de l’environnement suggère que celui-ci devrait être adapté pour mieux prendre en compte les évolutions du droit français et international. Le Groupe, dont certains membres ne partagent pas cette analyse, ne prend pas position, à ce sujet, sur le fond.

Position de l’ACRO

Communication de l’ACRO à la CPDP-EPR, 16 mars 2006

L’ACRO n’a pu participer qu’en tant que simple spectateur au groupe de travail sur l’accès à l’information, car les méthodes de fonctionnement de ce groupe étaient incompatibles avec la temporalité associative. En effet, il n’est pas possible à un bénévole, qui doit prendre un jour de congé pour se rendre à une réunion à Paris, de décider soudainement d’une réunion pour le lendemain. Nous n’avons donc pas pu contribuer à l’élaboration de la liste des questions. Le bénévole n’a que ses soirées et week-end pour travailler sur les dossiers. Il n’est pas possible de valider pour le soir même la liste de questions reçue le matin par mail. Il est de plus regrettable qu’il ait fallu que le représentant de l’ACRO démissionne pour que les organisateurs de ce groupe de travail acceptent de décaler d’une heure le début des réunions afin qu’il puisse venir de province le matin même.

Sur le fond, le secret défense est supposé constituer la première barrière contre les agressions extérieures. Cette barrière est très fragile : pour les transports, Greenpeace a montré comment, avec un peu d’organisation, on pouvait facilement la contourner. En revanche, le secret pose une limite à l’exercice la démocratie. Nous pensons que l’intérêt démocratique, avec une réelle implication citoyenne sur des sujets qui touchent au bien commun qu’est l’environnement, est supérieur à la prétendue sécurité apportée par le secret. Nous ne sommes donc pas satisfaits par les réponses apportées par le haut fonctionnaire de défense du MINEFI.

Nous retenons que le principal mérite de ce groupe de travail aura été d’éclairer l’état des lieux. L’ACRO fait sienne les conclusions du groupe de travail.

Liens

  • Télécharger le rapport complet du groupe de travail (3,5 Mo)
  • Dossier de l’ACROnique du nucléaire n°72 de mars 2006 sur le sujet

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