L’uranium

Fiche technique de l’ACROnique du nucléaire n°52, mars 2001.


L’uranium naturel est l’élément chimique le plus lourd que l’on trouve dans la nature ; il est constitué de trois isotopes radioactifs, l’uranium 234, l’uranium 235 et l’uranium 238 dans les proportions suivantes : 0,0055%, 0,720% et 99,2745%. L’uranium 235 est le plus fissible et présente donc un intérêt énergétique et militaire. La plupart des réacteurs nucléaires utilisent de l’uranium dit enrichi car il a une proportion d’uranium 235 plus forte que dans l’uranium naturel. Elle est de 3,5% actuellement en France et pourrait monter jusqu’à 5% dans l’avenir. Pour faire une bombe, il faut monter à un taux d’enrichissement supérieur à 90%. Les résidus de ce processus industriel, qui contiennent très peu d’uranium 235 (0,3% en moyenne) sont appelés uranium appauvri. C’est donc un sous-produit de l’industrie nucléaire disponible en très grande quantité et bon marché.

L’enrichissement est un processus complexe car tous les isotopes de l’uranium ont les mêmes propriétés chimiques : seule leur masse diffère légèrement. En France, c’est par diffusion gazeuse que se fait le tri à l’usine Eurodif de Marcoule [1] – opération très coûteuse en énergie, puisque sa consommation en électricité représente l’équivalent de la production de trois réacteurs nucléaires. L’usine alimente une centaine de réacteurs, dont environ la moitié pour l’exportation. L’uranium appauvri issu de la fabrication de ce combustible étranger reste en France. Pour mille deux cent tonnes (métal lourd) de combustible enrichi consommé par an en France, on fabrique près de 8000 tonnes d’uranium appauvri. D’où des stocks importants : plus de 210.000 tonnes en France et dix fois plus aux Etats-Unis pour la filière civile sont classées comme stocks stratégiques et non comme déchets. La conversion chimique de l’uranium après l’enrichissement n’est pas sans danger et a conduit à Tokaï-mura au Japon, en 1999, à un grave accident [2].

L’uranium appauvri qui sort de l’usine d’enrichissement n’est que très partiellement utilisé par l’industrie nucléaire, qui le mélange à du plutonium pour faire du combustible Mox. Pour le reste, les débouchés étant rares, c’est un résidu bien encombrant. Une autre source de résidu d’uranium provient du retraitement des combustibles irradiés.

Dans un réacteur nucléaire, une partie de l’uranium 235 fissionne, il libère de l’énergie et donne alors naissance à de nouveaux éléments chimiques de masse moindre appelés produits de fission. Une faible partie absorbe un neutron pour donner de l’uranium 236. L’uranium 238 fissionne plus difficilement et donne plutôt de l’uranium 239 quand il est heurté par un neutron. Ce dernier se désintègre rapidement par rayonnements bêta en neptunium 239, puis en plutonium 239. Les isotopes plus lourds de l’uranium subissent un processus similaire. La séparation de l’uranium du combustible irradié dans les usines de retraitement n’est pas parfaite et il reste des traces de nombreux autres éléments radioactifs présents dans le combustible, dont du plutonium. Bien que plus riche que l’uranium naturel, l’uranium de retraitement est refusé par l’usine Eurodif en vue d’un ré-enrichissement car trop radioactif. En France, une petite partie de la production de l’usine Cogéma de La Hague est envoyée en Russie pour fabriquer des combustibles très spéciaux destinés à des réacteurs de recherche. Sur 24.000 tonnes d’uranium de retraitement produites (dont 17.000 pour le compte de la France), moins de 10% ont été ” recyclées ” [3]. Le reste est un résidu plus toxique que l’uranium appauvri, mais la distinction entre les deux n’est pas toujours faite. Selon la loi française, l’uranium de retraitement issu des combustibles étrangers ne doit pas être stocké en France au-delà des contraintes techniques, mais à notre connaissance aucun renvoi n’a eu lieu. A Bessine dans le Limousin, la COGEMA a été autorisée à stocker 199 900 tonnes d’oxyde d’uranium appauvri ; la présence d’uranium 236 laisse penser que de l’uranium de retraitement y est aussi stocké.

La double toxicité de l’uranium

Les différents isotopes de l’uranium présents dans ces résidus de l’industrie nucléaire sont tous des émetteurs alpha avec des périodes très longues, données dans le tableau ci-dessous ; ils donnent du thorium qui est lui même radioactif… La chaîne de désintégration de l’uranium 238, le plus abondant, est donnée ci-contre. Lors de l’extraction du minerai, l’uranium est séparé de ses descendants, tous présents dans la nature. C’est surtout en cas de contamination que l’uranium est dangereux. Le rayonnement alpha peut être arrêté par une feuille de papier, il est donc facile de s’en protéger. Par contre, lors d’une contamination (ingestion ou inhalation) les tissus humains sont très affectés par l’importante énergie rayonnée. C’est aussi, comme tous les métaux lourds, un toxique chimique.

isotope U234 U235 U236 U238
période 245.500 ans 73.800.000 ans 23.420.000 ans 4.468.000.000 ans

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ” les effets de l’uranium appauvri sur la santé sont complexes car ils sont liés à la forme chimique du composé qui pénètre dans l’organisme. Les effets peuvent être chimiques et/ou radiologiques. On ne dispose que d’informations limitées sur les effets sanitaires et environnementaux de l’uranium sur la santé et l’environnement. […] En ce qui concerne les effets radiologiques de l’uranium appauvri, le tableau se complique puisque la plupart des données connues concernent les effets sur la santé de l’uranium naturel ou enrichi. Les effets sur la santé dépendent des modalités (ingestion, inhalation, contact ou lésions) et du niveau d’exposition, ainsi que des caractéristiques de l’uranium appauvri (taille et solubilité des particules).” [4]

” L’organisme humain contient en moyenne 90 mg d’uranium provenant de l’absorption naturelle d’aliments, d’air et d’eau. On en trouve environ 66 % dans le squelette, 16 % dans le foie, 8 % dans les reins et 10 % dans les autres tissus.”[5] Afin de rassurer la population, il est souvent affirmé que l’uranium appauvri est environ 40% moins radioactif que l’uranium naturel que l’on trouve partout dans l’environnement. En effet, la période de l’uranium 238 étant beaucoup plus longue que celle de l’uranium 235, il se désintègre moins vite et est donc moins radioactif, mais dans la nature, on ne trouve pas de l’uranium pur. Le minerai extrait des mines françaises ne contient que 0,5% d’uranium et celui des mines canadiennes, les plus riches, entre 4 et 8%. Quant à l’écorse terrestre, elle contient en moyenne 3g d’uranium par tonne. L’uranium appauvri est donc beaucoup plus radioactif que notre environnement. Et l’uranium de retraitement, du fait de la présence d’impuretés radioactives, est encore plus radiotoxique.

L’activité massique de l’uranium 238 pur peut être aisément calculée à partir de sa période : 12.400.000 Bq/kg. Mais le thorium 234 obtenu se désintègre rapidement (24 jours de période) en protactinium 234 puis en uranium 234 (1,2 minute de période) par émissions bêta successives. L’uranium 234 a ensuite une période radioactive très longue, on peut donc estimer dans un premier temps que la chaîne s’arrête là. En fait, pour calculer l’activité de l’uranium appauvri, c’est à dire le nombre de désintégrations par seconde, il faut aussi tenir compte de ces deux descendants, ce qui donne une activité environ trois fois supérieure : 37.300.000 Bq/kg. En ajoutant la contribution des autres éléments présents, on arrive à 39.000.000 Bq/kg pour l’uranium appauvri. Pour calculer la radioactivité du site de Bessine, la Cogéma ne tient compte que de l’uranium et ignore ses descendants, évitant ainsi que le site soit classé en Installation Nucléaire de Base (INB) dont la législation est plus stricte. Ce mode de calcul a reçu la bénédiction du conseil d’Etat, malgré l’avis défavorable de la commission d’enquête publique…[6]

L’ingestion d’un gramme d’uranium 238 conduit à une dose de 0,57 mSv et l’inhalation à 99 mSv [7]. Pour le plutonium dont on trouve des traces dans l’uranium de retraitement, ces doses sont de un à trois million de fois plus élevées. L’ingestion de1,8 g d’uranium 238 par an ou l’inhalation de 0,01 g/an conduit à la limite annuelle pour la population qui est de 1 mSv par an. Dans la pratique, il faut aussi tenir compte d’autres voies d’exposition à la radioactivité du fait qu’il peut y avoir à la fois ingestion et inhalation. Ces chiffres sont donc des limites supérieures à ne pas atteindre.

Pour ce qui est de la toxicité chimique, l’OMS explique que ” l’uranium entraîne des lésions rénales chez l’animal de laboratoire et certaines études font apparaître qu’une exposition à long terme pourrait avoir des conséquences sur la fonction rénale chez l’être humain. Les lésions observées sont les suivantes : modifications nodulaires de la surface des reins, lésions de l’épithélium tubulaire et augmentation de la glycémie et de la protéinurie.”[8]

“Par ingestion orale : Le niveau de risque minimum est lié à cette ingestion par voie orale et pour une introduction de 1 µg d’uranium par kilo de poids et par jour. Autrement dit, pour un individu pesant 70 kg, le risque minimal chronique correspond à une dose de 26 mg par an (ATSDR 1977)[9]. Zamora 1998 [10] a présenté une étude sur les effets chimiques induits par une ingestion chronique d’uranium appauvri dans l’eau de boisson. Ce groupe humain a bu de l’eau contenant de l’uranium appauvri à la dose de 2 à 781 µg/litre (ce qui correspond à une dose comprise entre 0.004 et 9 µg/kg de poids et par jour ). Sa conclusion est: “ces investigations sont en faveur, à condition qu’il s’agisse d’une période chronique importante d’ingestion d’uranium, d’une interférence sur la jonction rénale”.

Par inhalation : Stokinger et al en 1953 [11] ont étudié les inhalations chroniques d’uranium appauvri sur des chiens. Cela a montré qu’une concentration d’uranium de 0.15 mg/m3 dans l’air ne produit pas d’effet observable. C’est à partir de cette expérimentation que l’on a déduit ce que l’on appelle le risque minimal par inhalation chez les humains et qui a été estimé à 1 µg/m3 et à partir duquel on a fait dériver dans un premier temps toutes les valeurs minimales acceptables en ce qui concerne ce radiotoxique.”[12]

 


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Renseignements techniques sur d’autres sites :


[1] A l’origine, l’un des actionnaires de l’usine d’enrichissement Eurodif de Marcoule était l’Iran du Chah, ce qui n’a pas été sans poser de problème quand le pays est passé sous la coupe des Ayatollahs. Le contentieux entre les deux pays a duré de nombreuses années et serait à l’origine d’enlèvements de Français au Liban et de la vague d’attentats à Paris dans les années 1985-1986. Il est difficile de croire que seul un problème financier ait bloqué la résolution du conflit, il est fort probable que la France s’était engagée à fournir de l’uranium suffisamment enrichi pour avoir un intérêt militaire. Elle aurait finalement cédé… Sur cette affaire, voir Dominique Lorentz, Une guerre, mai 1997, et Affaires atomiques, février 2001, édition des Arènes.

[2] ” Tokaïmura : un grave accident qui devait arriver “, l’ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999.

[3] X. Coeytaux, ” Recyclage des matières nucléaires, mythes et réalités “, WISE-Paris, avril 2000.

[4] OMS, Aide-Mémoire N° 257, janvier 2001.

[5] Ibidem

[6] B. et R. Belbéoch, janvier 2001. (ici) Une revue de presse est aussi disponible ici.

[7] Ces chiffres ont été calculés à partir des coefficients de dose pour l’adulte de l’uranium 238 (4,5E-8 Sv/Bq pour l’ingestion et 8E-6Sv/Bq pour l’inhalation) donnés par la directive européenne EURATOM 96/29 publiée au JOCE N° L159 du 29 juin 1996. Pour l’inhalation, ce coefficient dépend de la propention de l’uranium à être éliminé et donc de sa forme chimique. Nous avons retenu ici le coefficient qui correspond aux formes oxydées des poussières produites par les armes. C’est aussi le coefficient le plus pessimiste.

[8] OMS, Aide-Mémoire N° 257, janvier 2001.

[9] ATSDR 1997: US agency for toxic substances and disease registry, toxicological profile for uranium draft for public comment, p350, septembre 1997

[10] Zamora ML Tracy, BL Zieltnski, JM Meyerhof, DP Moss MA Chronic ingestion of uranium in drinking water toxicological sciences, 43, n°1, p68/77, mai 1998.

[11] Stokinger et al 1 953 in Jacob 1 997 Umweltbundesamt texte 43/97 Berlin lO-Henge -Napoli MH, Ansburlo E, Chazel V et al: Interaction uranium-cellule cible, exemple de la transformation de particules d’U04 dans le macrophage alvéolaire – Radioprotection, 32, n°5, p625/636 1997

[12] Dr. A. Behar, Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire, extrait de Médecine et Guerre nucléaire volume 4 n° 4 (1999) (article)

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Précisions techniques sur les modèles d’impact

Fiche technique de l’ACROnique n°47, décembre 1999


Ce texte a été rédigé par l’ACRO afin d’aider à la compréhension du dossier sur les résultats des travaux du Comité Nord Cotentin.


Un individu vivant à proximité d’une installation nucléaire rejetant dans l’environnement des radioéléments subit des rayonnements ionisants qui auront un impact sur sa santé. Les voies d’atteintes sont multiples et la dose reçue par cet individu ne peut pas être mesurée directement et doit donc être reconstituée à partir de modèles mathématiques.

En fonctionnement normal, les doses reçues par la population doivent être inférieures à des limites fixées par la réglementation. Les effets sur la santé sont alors aléatoires[ 1] c’est-à-dire qu’il est impossible de connaître les effets sur un individu, seules les probabilités sur un grand nombre d’individus peuvent être calculées. Cela oblige à n’étudier qu’un impact moyen subi par une « cohorte » d’individus (toute la population, ou seulement les jeunes de 0 à 24 ans, par exemple).

La première étape d’une étude d’impact consiste à « caractériser le terme source », à savoir connaître le plus précisément possible la nature et la quantité de radioéléments rejetés dans lâenvironnement. Puis, en fonction des quantités rejetées annuellement, il faut étudier la dispersion de ces éléments afin dâobtenir une contamination moyenne annuelle de l’environnement.

En mer et en rivière, les effluents seront dilués dans l’eau puis reconcentrés dans les sédiments et les organismes vivants. La modélisation mathématique utilisée est alors très simple (la quantité rejetée x coefficient de dilution x coefficient de concentration) et peut parfois être consolidée par des résultats de mesures dans l’environnement. Le destin des rejets aériens est plus complexe à étudier : après une dilution dans l’air qui dépend de la météo, une partie des radioéléments va retomber sur le sol où il y a accumulation. Les végétaux seront contaminés via les feuilles et les racines et les animaux via leurs aliments. Tous ces transferts sont très mal connus et leur modélisation ne peut pas être validée par des mesures dans l’environnement [ 2]. Aux rejets aériens il faut encore ajouter l’apport de radioéléments du milieu marin via les embruns et l’épandage d’algues.

La population locale est irradiée par le rayonnement ambiant et contaminée par son alimentation, mais aussi en respirant et en se baignant. Il faut additionner toutes ces contributions pour obtenir la dose moyenne reçue sur une année. Pour estimer le nombre de cas de leucémie attendus, il faut sommer toutes les doses reçues au cours de la vie des individus de la cohorte étudiée. Là encore, l’effet des radiations sur la santé est mal connu et est basé sur une extrapolation de ce qui a été observé chez les survivants de Hiroshima et Nagasaki qui ont subi une irradiation forte et soudaine, et non une contamination continue.

On voit donc que la dose reçue dépend de nombreux paramètres parfois mal connus. Jusqu’à présent, les études d’impact des exploitants et des autorités de contrôle étaient basées sur un jeu de paramètres issus de la littérature scientifique internationale et sur des modes de vie moyens nationaux. Un des efforts du Comité a été de tenir compte des spécificités locales. Mais de nombreux paramètres n’ont pas pu être recalés sur des données locales et demeurent entachés d’une grande incertitude qui se reporte sur le calcul de dose final.

Pour étudier l’influence des modes de vie, des scénarii pénalisants ont été étudiés mais pour tous les autres paramètres leur incertitude n’a pas été prise en compte. L’ACRO est à l’origine de nombreux scénarii étudiés par le Groupe.

Les résultats obtenus ont été exprimés en terme de dose moyenne reçue par l’ensemble de la population à laquelle il faut ajouter des doses supplémentaires calculées dans le cadre des scénarii particuliers et d’accidents.

Les doses à la moelle osseuse dues aux rejets de routine et accidents (hors situations pénalisantes) ont été utilisées pour évaluer un nombre de cas de leucémies. Les résultats obtenus sâexpriment en terme de probabilité.

Ainsi, le nombre de cas attendus liés aux installations nucléaires calculé par le Groupe est de 0,0020 et la probabilité (ou le nombre de « chances ») d’avoir un cas est de 0,1 %. Mais en multipliant la dose obtenue par 35 (ce qui n’est pas aberrant compte-tenu des incertitudes), la probabilité d’observer un cas devient supérieure à 5 %, ce qui est généralement considéré comme significatif par les statisticiens.


[ 1] Voir Les rayonnements et la santé, ACROnique du nucléaire n°27, décembre 1994
[ 2] Quelques mesures de krypton 85 dans l’air ont permis de montrer que les modèles utilisés jusqu’alors par les exploitants et les autorités de sûreté n’étaient pas valables localement. Le modèle alternatif utilisé par le Groupe n’a pas pu être validé par des mesures.

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Présentation du Comité Nord-Cotentin et historique

ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999


En 1995, J.F. Viel mène une enquête épidémiologique autour de l’usine de retraitement des combustibles irradiés de La Hague. Il observe une surincidence de leucémies dans un rayon de 10 km autour de l’usine : 4 cas sont observés, alors que 1,4 cas étaient attendus chez les moins de 25 ans. J.F. Viel va ensuite poursuivre ses recherches pour tenter d’identifier une ou des causes de l’apparition de ces maladies. Un financement de l’INSERM, de la Ligue Nationale contre le Cancer et la collaboration de 33 médecins locaux lui permettent de réaliser cette étude. En janvier 1997, les résultats sont publiés : un lien est établi, notamment, avec la fréquentation des plages par les enfants ou la mère lors de la grossesse et la consommation de fruits de mer. Cette publication déclenche une polémique (Pour en savoir plus, voir « l’ACROnique du nucléaire » n°36).

En février 1997, la Ministre de l’Environnement et le Secrétaire d’Etat à la Santé décident la création d’une « Commission pour une Nouvelle Etude Epidémiologique » (dite « Commission Souleau »). Celle-ci est composée uniquement d’épidémiologistes, dont J.F. Viel. Ces spécialistes se sont vite heurtés à une difficulté : le manque de connaissances concernant les rejets des installations nucléaires, le devenir des éléments radioactifs rejetés dans l’environnement, les doses reçues par les habitants de la région et l’action de ces doses sur l’organisme humain.

La « Commission Souleau » a donc décidé de s’adjoindre les compétences d’un groupe de travail baptisé « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin », groupe d’experts, dont un scientifique de l’ACRO, Pierre Barbey, seul représentant du mouvement associatif.
En mai et juin 1997, la « Commission Souleau » remet aux ministres concernés des rapports dont l’un émane du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin ; celui-ci, mis en place fin mai, avait donc eu très peu de temps pour travailler (3 réunions !), ce qui était dérisoire, étant donné l’étendue et la complexité du travail qui lui était imparti.

Et pourtant, lors de la présentation publique de ce rapport à Beaumont-Hague, fin juin 1997, Monsieur Souleau n’hésite par à l’utiliser pour banaliser la question des rejets des installations nucléaires du Nord-Cotentin, et adopter un discours rassurant. Il se permet, de plus, lors de cette réunion publique, de présenter certains chiffres comme étant le résultat de calculs effectués par les experts du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, alors qu’il s’agissait de calculs effectués par la COGEMA !… Pierre Barbey réagit vivement dans un courrier à l’attention des ministres concernés et de Monsieur Souleau. Il rappelle les conditions que l’ACRO avait posées pour sa participation aux travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (travail exhaustif, sur les 30 dernières années, transparence de la part des exploitants, le temps nécessaire…). Monsieur Souleau démissionne. (Nous avons publié, dans « l’ACROnique du nucléaire » n°38, les textes des rapports réunis aux ministres par la « Commission Souleau » ainsi que les documents relatifs aux problèmes apparus lors de la publication.)

En août 1997, les ministres de l’Environnement et de la Santé publient un communiqué : les travaux seront poursuivis, sur la base des recommandations de la « Commission Souleau » : Alfred Spira (INSERM) est chargé de mener les recherches en épidémiologie ; Annie Sugier (IPSN) est nommée pour présider le Groupe Radioécologie Nord-Cotentin.

Pour appuyer le groupe plénier, 4 sous-groupes de travail spécialisés ont été constitués, avec un thème de travail défini pour chacun :
GT1 : examiner les rejets déclarés par les exploitants.
GT2 : rassembler et interpréter les mesures faites dans l’environnement.
GT3 : comparer les différents modèles entre eux et confronter leurs prévisions avec les mesures faites dans l’environnement.
GT4 : identifier des groupes de population exposée,  évaluer le niveau moyen des expositions et estimer le risque.

3 membres de l’ACRO ont participé à ces travaux :
Pierre Barbey : membre du groupe plénier, du GT1 et du GT4
David Boilley : membre du GT3
Gilbert Pigrée : membre du GT1

Pour le volet « épidémiologie » :
En octobre 1997, Alfred Spira, qui a travaillé avec « l’Association du registre des cancers de la Manche », présente aux Ministres de l’Environnement et de la Santé les premiers résultats d’une étude portant sur les années 93-96. Aucun cas de leucémie supplémentaire n’a été enregistré sur cette période (l’étude de J.F. Viel portait sur les années 78-92). En juillet 1998, Alfred Spira remet un rapport intitulé « Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé » où il présente les résultats de ses travaux et des propositions d’action. (La Documentation Française ? A. Spira, O. Bouton ? 1998.)

Pour le volet « radioécologie » :
Après 2 années de travail, le « Groupe Radioécologie Nord-Cotentin » a rendu public le résultat de ses travaux, le 7 juillet 1999. Le document comprend un rapport détaillé par groupe de travail et un rapport de synthèse. (Ces différents rapports peuvent être consultés au siège de l’ACRO ou partiellement sur internet).

Nous publions, ci-après, un extrait de ce document, intitulé « Résumé / Conclusions » ; il présente le mode d’approche qui a été celui du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, et les résultats obtenus, un commentaire du GSIEN et les « réserves et remarques » de l’ACRO. Nous y avons joint un communiqué de presse émanant du collectif « Les mères en colère ». Il faut souligner que l’expression de ces associations indépendantes figure dans le rapport officiel.


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Des armes radioactives au Kosovo

Tiré de l’ACROnique du nucléaire n°46, septembre 1999


Utilisées pour la première fois en Irak lors de la guerre du Golfe, des munitions à l’uranium appauvri ont été tirées au Kosovo, alors que les effets à long terme sont encore mal connus. Comble de l’ironie, pour une guerre dont le but affiché est de permettre aux populations albanophones de pouvoir rentrer chez elles sans danger…


L’uranium, le métal le plus lourd que l’on trouve dans la nature est un matériau très dur qui permet aux projectiles d’être plus pénétrants. L’uranium appauvri (UA), qui est un résidu de l’enrichissement de lâuranium destiné à la fabrication de combustible pour les réacteurs nucléaires, est très bon marché et abondant. Il est donc utilisé pour fabriquer des obus destinés à percer les blindés. Ses propriétés pyrophoriques font qu’il n’explose pas, mais se fragmente et s’enflamme après son passage à travers le blindage sous l’effet de l’énorme température atteinte lors de l’impact. Cela peut entraîner une dispersion sous forme de particules qui peuvent être inhalées, l’uranium appauvri étant à la fois un toxique chimique et radioactif. Il est aussi utilisé comme blindage.

L’uranium naturel ne contient que 0,71% d’uranium 235 (235U) qui est fissible, le reste étant constitué essentiellement d’uranium 238 (238U). La fabrication d’une tonne de combustible nucléaire enrichi à 3,6% d’235U, produit environ 7 fois plus de déchets contenant environ 0,3% d’235U, appelé uranium appauvri. Ces pourcentages permettent de différencier l’uranium appauvri de l’uranium naturel en cas de contamination. Rien qu’aux Etats-Unis, plus de 560 000 tonnes d’uranium appauvri sont accumulées depuis 1993. En France, la Cogéma prévoit d’en stocker 199 900 tonnes sur le site de Bessines sur Gartempes près de Limoges, pour un coût total de 60 millions de francs sur 15 ans. Elle ne le considère pas comme déchet, mais comme “stock stratégique”. A l’origine, la Cogéma voulait en stocker 265 000 tonnes, mais elle avait sous-estimé l’activité de ces résidus en “oubliant” plusieurs radionucléides, dont l’uranium 236. En dépassant les 100 000 curies (3,7 10+15 Bq), le site devait être classé en Installation Nucléaire de Base, ce qui nécessitait une enquête publique, la Cogéma a donc revu à la baisse ses ambitions, sans expliquer la présence d’236U.

Les utilisations civiles sont très rares : comme contre-poids dans les premiers Boeing 747, par exemple. Le cargo israélien de la compagnie El Al qui était tombé en 1992 sur un quartier résidentiel d’Amsterdam, tuant 43 personnes, transportait près de 300 kg d’uranium appauvri. Plus de la moitié a été retrouvé, mais on ne sait pas si le reste a brûlé ou été retiré. Les pompiers, sauveteurs et riverains n’ont pas été prévenus des risques encourus. Les utilisations militaires, quant à elles, ont été connues du grand public après la guerre du Golfe, où les armes à l’uranium appauvri ont été utilisées pour la première fois sur le champ de bataille (Note : Voir par exemple, le Monde Diplomatique dâavril 1995). A noter, qu’un tiers des chars utilisés par les Etats-Unis avaient un blindage à l’uranium appauvri.

Entre deux conflits, ces munitions sont aussi testées, ce qui ne va pas toujours sans poser de problèmes. Ainsi le Japon avait-il protesté contre leur utilisation “accidentelle” par les Etats-Unis sur l’île de Torishima, près d’Okinawa en décembre 1995 et janvier 1996. Plus récemment, la Navy a reconnu avoir tiré “par erreur” 267 obus à l’UA sur l’île de Vieques (Porto-Rico), le 19 février 1999, dont seulement 57 ont été retrouvés, ce qui n’est pas sans inquiéter les 9 300 habitants de l’île (Note : AP et Reuters, 2 juin 1999).

Lors de la guerre du Golfe, environ 300 tonnes d’uranium appauvri ont été larguées sur l’Irak. Aucun des militaires qui a servi dans cette guerre n’avait entendu parler d’uranium appauvri et ne connaissait donc pas les risques encourus, ni les mesures de précaution. Un seul soldat britannique a subi des tests, il avait un taux de radioactivité dans ses urines 100 fois supérieur à la normale et 14 soldats américains sur les 24 testés avaient des urines radioactives. Depuis la guerre du Golfe, trois fois plus d’enfants naissent avec des déformations congénitales, selon les autorités irakiennes. Une enquête menée par le Guardian (Guardian Weekly, 10 janvier 1999) tend à confirmer une augmentation flagrante du nombre de victimes, surtout dans le sud du pays. Dans certains villages, tous les enfants sont nés aveugles. Des anciens combattants britanniques et américains ont aussi un nombre d’enfants malformés élevé, ce qui a conduit le ministère de la défense britannique à commander une étude indépendante sur le sujet dont les résultats sont attendus pour cette année.

La désintégration de l’238U donne un alpha plus du thorium 234Th, avec une période de 4,5 milliards dâannées ; suivent assez rapidement deux désintégrations bêta pour obtenir de l’uranium 234U lequel émet un autre alpha avec une durée de vie très longue. En cas de contamination interne, le risque est donc très grand. Sous forme d’aérosol, l’uranium est insoluble dans l’eau et peut donc être emporté sur des kilomètres par le vent. Les particules inférieures à 2,5 microns peuvent rester piégées dans les poumons pendant des années et passer lentement dans le sang (sous forme d’oxyde, la période biologique dans les poumons est de l’ordre d’une année et est deux fois plus longue sous forme céramique). En toussant, les particules les plus grosses peuvent être éjectées des poumons et avalées. L’uranium peut se concentrer dans certains organes comme les os, le foie, les reins ou se retrouver dans les urines jusqu’à 7-8 ans après la contamination.

A ces risques radiologiques, il faut ajouter les risques chimiques liés au métaux lourds qui concernent surtout le système rénal dans ce cas. Or tous les descendants de l’uranium sont des métaux lourds, sauf le radon qui est un gaz. Si on se limite aux effets radiologiques, la limite annuelle d’incorporation basée sur les nouvelles normes de la CIPR pour le public (1 mSv/an) est de 1,2 mg pour l’uranium 238 et correspond à environ 2,5 fois plus que la quantité d’uranium naturel ingérée.

L’OTAN a reconnu avoir utilisé des munitions à l’uranium appauvri en Serbie à partir de la deuxième semaine de mai, mais il est impossible de savoir combien. Selon un porte-parole de l’OTAN, elles nâont pas été “beaucoup utilisées” ; il a ajouté qu’ “il n’avait jamais été prouvé que l’uranium appauvri était une menace pour la santé. Ce n’est pas plus dangereux que du mercure” (cité par le New Scientist du 5 juin 1999). Lors de la conférence de presse du 14 juin 1999, et disponible alors sur le site Internet de l’organisation, il a été demandé si l’OTAN avait l’intention de procéder à un nettoyage, étant donné les risques de cancers qui semblent être apparus en Irak. Le Major Général Jertz a répondu : “Tout d’abord nous n’avons pas utilisé d’uranium appauvri ces dernières semaines car les munitions à l’uranium sont seulement utilisées contre des cibles où elles peuvent avoir un effet spécial et c’est pourquoi leur utilisation est rare. Vous trouvez de l’uranium appauvri dans toute chose naturelle, comme les pierres, le sol, partout, il ne faut donc pas exagérer ce que vous dites. A propos des plans, comme pour les plans, nous avons des plans bien-sûr pour aider ces gens à retourner en toute sécurité chez eux, mais je ne vais pas détailler ces plans.”


En dehors des références citées, cet article est essentiellement basé sur le rapport de la Fondation Laka à Amsterdam, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.antenna.nl/wise/uranium/dhap99.html

Pour en savoir plus :

Polémiques sur les leucémies à la Hague

COMMENTAIRES A.C.R.O.

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°36, mars 1997


Janvier 1997. Une nouvelle polémique éclate en Normandie sur les risques de leucémies autour des installations nucléaires du Nord-Cotentin. L’origine en est la publication, dans une revue scientifique internationale, des résultats d’une enquête épidémiologique conduite par D. POBEL et J.F. VIEL. L’A.C.R.O., qui ne s’est pas mêlée au concert de déclarations en tout genre, a choisi d’exprimer ses commentaires dans son journal ” l’ACROnique du nucléaire “.


I – LES TRAVAUX DE JEAN FRANCOIS VIEL

J.F. VIEL, professeur de médecine à l’hôpital de Besançon, est un spécialiste en épidémiologie. Auteur de travaux sur le radon  (1), il s’est aussi intéressé aux leucémies chez l’enfant dans la région de La Hague.

  • En 1990, il publie, avec Sylvia RICHARDSON, une première étude  (2) portant sur la mortalité par leucémies (en distinguant 3 groupes d’âge entre 0 et 24 ans) dans un rayon de 35 km autour de lâusine de retraitement. De 1968 à 1986, un seul décès est observé à proximité de l’installation nucléaire. Les auteurs concluent à l’absence de situation anormale. De ce point de vue, ils rejoignent les conclusions de deux autres études de mortalité  (3,4) (même si les périodes et les distances diffèrent). Il est bien évident quâune étude de mortalité (enregistrer des décès) n’est qu’un reflet très limité dâune maladie étudiée au sein dâune population. Même si cet argument est moins fort pour les cancers de l’enfant, il est beaucoup plus informatif de procéder à des études de morbidité (enregistrer une maladie), d’autant plus qu’environ 50 % des leucémies peuvent être soignées actuellement.
  • En 1993, avec plusieurs collaborateurs, J.F. VIEL publie une première étude de morbidité  (5) en s’intéressant à l’incidence des leucémies dans la même population. Pour la période 78-90, les auteurs notent 3 cas de leucémie, dans un rayon inférieur à 10 km, alors que 1,2 cas sont attendus (référence au registre du Calvados). Cependant, les tests statistiques conduisent à considérer cette sur-incidence comme non significative.
  • En 1995, D. POBEL et J.F. VIEL procèdent à une réévaluation de l’incidence des leucémies dans la même région toujours pour les moins de 25 ans  (6). Ils mettent en ?uvre 3 modèles d’approche statistique qui pointent une zone de sur-incidence, cette fois significative, à proximité même de l’usine de retraitement. Pour la période 78-92, dans un rayon de moins de 10 km, 4 cas de leucémie sont observés contre 1,4 attendus soit un rapport 2,8 fois plus élevé (Rapport des Incidences Standardisées). Cette étude, comme toute étude de cohorte, a pour objectif de mettre en évidence des excès de leucémie dans une région donnée, sans préjuger d’un lien éventuel avec les radiations. La suite logique, dans une démarche de recherche en épidémiologie, est de tenter d’identifier un (ou des) facteur(s) étiologique(s) (causes de la maladie) lorsquâun excès significatif est observé.
  • Grâce à un financement de l’Inserm et de la Ligue Nationale contre le Cancer, et à la collaboration de 33 médecins locaux, ce travail a pu être mené par D. POBEL et J.F. VIEL qui viennent de publier les résultats d’une étude ” cas-contrôle ” (7). Dans ce type d’étude, les auteurs procèdent à une même enquête, d’une part, auprès du groupe des jeunes malades (ici 27 cas diagnostiqués entre 78-93) et, parallèlement, auprès d’un groupe témoin étroitement apparié (ici 192 jeunes). Un questionnaire très fouillé (conditions et mode de vie des parents et des enfants, exposition des parents à des facteurs de risques, exposition à des champs électromagnétiques, exposition anténatale ou postnatale à des infections virales, à des rayons X,…..) doit permettre d’identifier d’éventuels facteurs de risque. Les auteurs observent une relation significative avec la fréquentation des plages, soit par les mères lorsqu’elles étaient enceintes (risque multiplié par 4,5) soit par les enfants eux-mêmes (risque multiplié par 2,9). Une 3ième relation significative est observée avec la fréquence de consommation de produits de la mer (risque multiplié par 3,7). Enfin, une 4ième association est établie avec le fait de vivre dans une maison en granit (lien suggéré avec le radon domestique).

II – INCOMPREHENSIONS ET POLEMIQUES INUTILES

La publication des travaux de J.F. VIEL dans le British Medical Journal (B.M.J.) a donné lieu à un déferlement de commentaires, certains utiles au débat, d’autres à la limite de l’insulte. Ceux qui, bien souvent sans avoir lu l’étude, ont participé activement à cette levée de boucliers, ont beaucoup plus contribué à la dramatisation du problème soulevé que la publication de l’étude elle-même. Nous mesurons aujourd’hui l’importance du travail d’information, une des missions de lâA.C.R.O., qui reste à faire. On a ainsi pu voir, sur un plateau de télévision, un représentant des pêcheurs lancer à J.F. VIEL cet argument massue ” mon fils mange dupoisson depuis vingt ans et il n’a pas de leucémie… “. C’est en fait la notion même de risque qui est à expliquer. Dans la tête d’un certain nombre de nos concitoyens, il n’existe que le ” tout ou rien “, le ” blanc ou noir “. Une autre réaction  (8) d’intérêt vient d’un couple ayant eu à répondre au questionnaire et qui s’étonne : ” dans le questionnaire, on ne nous parlait pas du tout du nucléaire “. Contrairement à l’idée reçue par ce couple, il démontre que le questionnaire a été mené correctement car, en dehors de l’exposition professionnelle des parents, établir a priori un lien possible avec le nucléaire aurait constitué un biais qui aurait entaché l’objectivité du questionnaire. Enfin, un certain nombre de déclarations mettent en cause le caractère scientifique de l’étude publiée et réclament une ” expertise “. C’est méconnaître la procédure qui conduit à une publication scientifique et qui impose justement au préalable cette expertise par un comité de lecture (” referees “ ou ” reviewers “). Mais la palme revient sans doute à ceux qui nâont vu là qu’un ” coup médiatique “ visant à attirer les regards sur le départ des déchets nucléaires japonais (sic !).

III – LE DEBAT DE FOND

Mais qu’en pense l’A.C.R.O., nous demande-t-on ? Notre association fait avant tout un travail de terrain. Si nous n’avons pas participé à cette grande messe médiatique à chaud, nous n’en avons pas moins engagé un travail d’explication, de vive voix, auprès de familles légitimement inquiètes. Nous l’avons fait à notre manière, c’est-à-dire sans dramatiser mais aussi sans banaliser. A nos sympathisants et amis, nous avons expliqué que, en dehors d’une situation accidentelle, il n’y avait pas lieu de quitter La Hague. A fortiori, la réponse a été la même auprès de ceux qui, désireux d’y passer des vacances, nous ont téléphoné. En fait, beaucoup de choses peuvent être dites très simplement. 1°) J.F. VIEL est professeur de médecine, spécialiste en épidémiologie. Il a acquis cette fonction (de même que certains de ses collaborateurs) en se présentant à des concours où il a été jugé sur ses ” titres et travaux “. Ainsi, ses compétences sont reconnues par ses pairs.

2°) La récente étude en cause est publiée par un journal de très bon niveau international, après avoir été expertisée de manière anonyme et indépendante par des personnalités scientifiques  (9). Qu’elle donne cependant lieu à une ” controverse scientifique “ est une chose normale et saine  (10), dès lors que les procès dâintention sont exclus. De ce point de vue, l’autocritique publique  (11) présentée par Jacqueline CLAVEL de l’Inserm devrait contribuer à reprendre le débat nécessaire avec plus de sérénité.

3°) La décision des Ministres de l’Environnement et de la Santé de constituer un groupe d’experts indépendants (parmi lesquels J.F. VIEL) dont la mission sera de faire le point sur ces cas de leucémies en Nord-Cotentin et d’établir une sorte de cahier des charges pour la poursuite du suivi épidémiologique est une excellente initiative.

4°) L’épidémiologie, malgré le grand intérêt de cette discipline, n’est pas une science exacte. Ce type d’étude (cas-témoin) conduit à émettre une hypothèse plus ou moins forte d’un lien de causalité entre un ou des facteurs et une maladie. La conclusion de D. POBEL et J.F. VIEL est qu’il existe quelques arguments convaincants pour considérer un lien de causalité entre les leucémies chez les jeunes et l’exposition aux radiations environnementales reçues lors d’activités récréatives sur les plages.

5°) L’excès de leucémies observé dans La Hague n’est pas une exception. D’autres études, principalement en Grande-Bretagne, ont montré également un excès de leucémies :

  • près de l’usine de retraitement de Sellafield (par un facteur 10),
  • près de l’usine de retraitement de Dounreay
  • près des centres atomiques militaires d’Aldermaston et de Burghfield et du centre de recherche nucléaire de Harwell
  • au voisinage de la centrale nucléaire de Hinkley Point (pour les 10 premières années)

Pour être complet, il convient de préciser que d’autres études menées autour de sites nucléaires dans plusieurs pays n’ont pas permis d’observer de situation anormale et, qu’à lâinverse, un excès de décès par leucémie a été enregistré autour de ” sites potentiels ä (12). La recherche des facteurs de risque, là où un excès est observé, ne conduit pas toujours au même résultat. Les résultats de J.F. VIEL rejoignent ceux obtenus par J.D. URQUHART (pour Dounreay) mais diffèrent de ceux de M.J. GARDNER  (13) (risque lié à l’exposition des pères d’enfants malades travaillant dans l’usine de Sellafield).

6°) Dans toute étude épidémiologique de cette nature, des biais sont possibles même si les chercheurs font tout pour les éliminer. Ici, les auteurs reviennent largement dans leur discussion sur ces biais possibles qui ne peuvent, selon eux, affecter leur conclusion. L’A.C.R.O. n’a nullement l’intention (ni les compétences) de rentrer dans ce débat technique et nous attendrons le rapport du groupe d’experts.

7°) Cependant, nous contestons les affirmations de l’exploitant selon lesquelles une relation de cause à effet, entre les radiations environnementales et les cas de leucémies, est impossible et ” absurde” (14). Nous le faisons en nous limitant à quelques remarques là encore très simples.

  • Que des leucémies puissent être induites par des radiations ionisantes est un acquis scientifique aujourd’hui incontestable. On le sait depuis 90 ans quand, en 1906, un premier bilan des cancers radio-induits (essentiellement cancers de la peau et leucémies) a été établi. La relation a été très largement confirmée depuis par de nombreuses études (survivants d’Hiroshima-Nagasaki, patients traités pour spondylarthrite ankylosante, radiologistes anglais et radiologistes américains….).

Tableau n°1

AUTORISATIONS ACTUELLES DE REJETS
Radioéléments 
La Hague
Flamanville
Ratio Hag./ Fla.
Bêta-Gamma (hors [3H])
1 700 000 GBq
1 100 GBq
1545
Tritium ([3H])
37 000 000 GBq
80 000 GBq
462
Alpha
1 700 GBq
Interdit
REJETS EFFECTIFS pour l’année 1994
Radioéléments 
La Hague
Flamanville
Ratio Hag./ Fla.
Bêta-Gamma (hors [3H])
70 200 GBq
8 GBq
8775
Tritium ([3H])
8 090 000 GBq
30 000 GBq
270
Alpha
97,3 GBq
Interdit

 

Nota : Pour le lecteur qui continue à raisonner en Curies (Ci), il convient de diviser chacun de ces chiffres par 37 pour connaître les valeurs en Ci.

  • Une usine de retraitement est une installation très particulière qui génère des rejets bien supérieurs à une installation nucléaire classique telle un réacteur. Le tableau n°1 présente les données comparatives des rejets en mer de l’usine de retraitement et des 2 réacteurs nucléaires de Flamanville (situés à 16 km au sud). Ainsi, pour 1994, comparativement aux 2 réacteurs EDF, les installations COGEMA ont rejeté en mer 8775 fois plus d’émetteurs bêta-gamma, 270 fois plus de Tritium ; les installations Cogéma ont, de plus, rejeté 97,3 GBq d’émetteurs alpha ; les centrales EDF n’ont pas d’autorisation de rejet pour ces émetteurs alpha.
  • L’exploitant COGEMA déclare que ces rejets actuels ont été fortement réduits et qu’ils induisent une contamination de l’environnement qui ne représenterait qu’environ 1% de la radioactivité naturelle  (15). Outre le fait que la radioactivité naturelle ne peut être considérée comme un seuil d’innocuité, et que, par ailleurs, il conviendrait peut-être de considérer des points de reconcentration de la radioactivité (points chauds), acceptons pour lâinstant les données de l’exploitant. Dans ces conditions, on pourra s’interroger dans 5, 10 ou 15 ans sur les effets éventuels de cette contamination actuelle. En effet, le problème doit être pris à rebours, car les leucémies observées par J.F. VIEL portent sur la période 1978 à 1993. Il convient donc (prenant en compte un temps de latence de l’ordre de 5 ans pour les leucémies radio-induites) de savoir quels ont pu être les niveaux de contamination depuis le début des années 70. Le profil chronologique des rejets publié par l’exploitant lui-même montre clairement que durant les années 80, les niveaux de rejets étaient 17 fois supérieurs à ceux d’aujourd’hui pour les émetteurs bêta-gamma et 7,5 fois supérieurs pour les émetteurs alpha.


Tableau n°2

Eléments Sable (02/82) – Moulinets Algues (02/82) – Moulinets Patelles (02/82) – Moulinets Tourteau (3/82) – Herqueville
Ruthénium 106 490 Bq / kg 1085 Bq / kg 530 Bq / kg 217 Bq / kg
Cérium 144 180 205 39 17
Cobalt 60 12 3,0 2,2
Césium 137 58 5,0 2,9 3,3
Césium 134 4,1 0,3 0,3
Antimoine 125 21 0,5 3,4
Argent 110m 2,1 9,1 4,4
Zinc 65 3,5 3,0 1,9
Zirconium 95 1,7
Nobium 95 3,9
Europium 154 1,9
Europium 155 7,8
Potassium 40 340 192 65 53

 

A cette pollution chronique, sont venues s’ajouter des pollutions accidentelles. Sans les reprendre toutes, nous voulons rappeler les ruptures de la canalisation de rejets en mer et tout particulièrement celle découverte en décembre 79. Nous ne disposons que des valeurs du 1er trimestre 82 rapportées à l’époque par l’exploitant auprès de la C.S.P.I.  (16) qui venait d’être constituée. Les mesures effectuées en spectrométrie gamma révèlent la présence de jusqu’à 8 radionucléides artificiels contre un seul naturel (le K40). Le sable de plage, élément connu pour ne retenir que faiblement les corps radioactifs (contrairement aux sédiments fins), montre une contamination artificielle de la plage de Sciotot à l’Anse du Brick avec un maximum dans l’Anse des Moulinets (tableau n°2). Les algues, les patelles, les tourteaux (tableau n°2) et divers coquillages indiquent également des niveaux de contamination élevés de 2 à 10 fois les valeurs de potassium 40 (radioactivité naturelle). A cette date, le commentaire de l’exploitant est le suivant : ” ces anomalies radioactives, propres à l’Anse des Moulinets depuis les fuites de conduite de rejet observées en janvier 1980, se sont considérablement résorbées “. On est en droit de se demander quel était le niveau de contamination 2 ans plus tôt, au 1er trimestre 1980 ! Selon des propos du directeur de l’époque, ces niveaux de contamination atteignaient jusqu’à 100 fois les valeurs enregistrées avant l’accident …. Précisons que les mesures rapportées ici ne portent que sur les émetteurs gamma. Il serait particulièrement utile de connaître les valeurs des émetteurs bêta, comme le Strontium 90, élément très radiotoxique qui se fixe principalement dans les os (c’est-à-dire là où se forment les cellules sanguines) et celles des émetteurs alpha, corps les plus radiotoxiques (dont certains, comme le Plutonium, se fixent aussi de manière privilégiée sur les os).

L’exposition humaine potentielle ne se limite pas au seul milieu marin. Elle doit être appréciée dans sa globalité face à toutes les sources cumulées dâexposition. Soulignons à cet égard que, 1 an après la rupture de la canalisation, c’est l’incendie du silo 130 qui a conduit à une libération importante de radioactivité par voie atmosphérique, notamment en Césium 137 et en Strontium 90. Un an après cet incendie, on observe encore les conséquences à travers les mesures en spectrométrie gamma de l’herbe (tableau n°3) et les mesures de Sr90 relevées dans le lait collecté chez la plupart des sociétaires (tableau n°4). Dans cette même période, rappelons que les nappes phréatiques (profondément contaminées à partir des fuites du Centre de Stockage de l’ANDRA) relarguent du Tritium en grande quantité dans les rivières avoisinantes  (17). On observera le chiffre record de 52 000 Bq par litre dans la Ste Hélène en octobre 1982 ! Ces pollutions, ainsi que celles observées au Nord-ouest du site COGEMA, expliquent en partie les concentrations en Tritium (de 350 à 500 Bq/l), là encore mesurées dans le lait des vaches (tableau n°4).


Tableau n°3

HERBE (01/82) N-O site (ext.)
Ruthénium 106 313 Bq / kg
Cérium 144 405
Césium 137 344
Césium 134 26
Cobalt 60 4
Béryllium 7 93
Potassium 40 34

Tableau n°4

LAIT(02/82) (Bq/L) ramassage

Lieu

Cs137

Sr90

Tritium

K40

S1

<
0,37

1,92

480

54

S2

2,30

2,60

440

37

S3

1,40

2,40

370

55

S4

0,41

1,50

440

32

S5

<
0,37

1,68

410

34

S6

<
0,37

1,90

360

38

 

S’il est clairement établi que des leucémies peuvent être induites par les radiations  (18), du point de vue d’un risque lié à l’environnement il est essentiel de s’interroger sur une possible ” relation dose / effet “. La pollution radioactive chronique et les pollutions accidentelles qui s’y sont ajoutées ont pu conduire, en certains lieux et à certaines périodes, à des niveaux d’équivalent de dose tout à fait significatifs notamment pour les très jeunes enfants plus sensibles à l’action des radiations.

En conséquence, nous ne prétendons pas apporter ici une preuve de relation de cause à effet, mais compte-tenu des données non exhaustives brièvement rapportées et parce que le nombre de cas de sur-incidence est faible, nous considérons que l’existence d’un lien avec ces contaminations radioactives de toutes origines ne peut être a priori écartée.

IV – EN CONCLUSION

  1. Il nous semble essentiel d’appuyer trois orientations fortes.Renforcer la poursuite des études épidémiologiques. La constitution du groupe d’experts est une bonne chose. Il convient que ce travail ait une suite et que le registre des cancers, piloté par l’A.R.C.M  (19), soit pérennisé et étroitement associé.
  2. Les exploitants, COGEMA et ANDRA, se grandiraient en faisant acte de transparence. Il est souhaitable que toutes les mesures effectuées depuis le début du fonctionnement des installations soient confiées à une commission indépendante qui, mettant en oeuvre des modèles établis, emploierait ces données pour établir une estimation des doses intégrées pour divers groupes à risques. La C.S.P.I. pourrait être le siège dâune telle élaboration.
  3. A côté des structures officielles et de celles des exploitants, l’A.C.R.O. a su démontrer qu’elle joue un rôle incontournable et bénéficie d’un grand capital de confiance de la part de la population. Nos moyens d’information et notre potentiel d’investigation doivent être renforcés. L’A.C.R.O. a engagé une mutation profonde pour développer son laboratoire ; il est essentiel que les pouvoirs publics, les collectivités locales et territoriales y apportent un appui conséquent.

Mise à jour de juin 2001 :

L’augmentation du taux de leucémies chez les jeunes observée par J.F. Viel a ensuite été confirmée par d’autres études menées par Alfred Spira de l’INSERM et l’A.R.C.M.. Sur la période 1978-1998, 5 cas ont été observés dans le canton de Beaumont-Hague sur 2,3 cas attendus, soit un ratio de 2,17. C’est chez les 5-9 ans que l’incidence est la plus forte : 3 cas observés pour 0,47 attendus, soit un ratio de 6,4.  (20)


Références

(1) J.F. Viel, International Journal of Epidemiology, 22, 4, 1993
(2) J.F. Viel, S.T. Richardson, British Medical Journal, 300,1990
(3) M. Dousset, Health Physics, 56, 1989
(4) C. Hill, A. Laplanche, Nature, 347, 1990
(5) J.F. Viel et al, Cancer Cause and Control, 4, 1993
(6) J. F. Viel, D. Pobel, A. Carre, Stat Med 1995;14:2459-72 (résumé en ligne). Cet article a été vulgarisé par Sciences et Vie de décembre 1995.
(7) D. Pobel, J.F. Viel, British Medical Journal, 314, 1997 (lire l’article ainsi que les réactions et la réponse de l’auteur)
(8) La Presse de la Manche du 17/01/1997
(9) La rédaction du B.M.J. a rendu publique cette procédure d’expertise (Le Monde du 23/01/1997)
(10) Après la publication (en 1990) de l’étude de Gardner et al, également dans le B.M.J., cette revue s’était fait l’écho pendant de nombreuses semaines de commentaires scientifiques souvent contradictoires, mais toujours enrichissants.
(11) “Je n’aurai sans doute pas dû laisser entendre que la publication de Mr Viel dans les colonnes du B.M.J. n’avait pas fait l’objet d’une relecture scientifique. […] je regrette d’avoir formulé trop vite à la presse française des critiques” déclare Mme Clavel, qui néanmoins maintient certaines de ses critiques. (Le Monde du 23/01/1997).
(12) Il s’agit de sites où la construction d’une centrale a été envisagée, mais non réalisée au moment de l’étude.
(13) Voir l’ACROnique du nucléaire n°13, juin 1991
(14) La Presse de la Manche du 10/01/1997
(15) Le comité de l’Académie des Sciences américaines spécialisé dans l’étude des effets biologiques des radiations (BEIR) estimait que la radioactivité naturelle pourrait être responsable d’environ 6 000 morts par cancers par an (soit grossièrement le double, si on prend en compte les cancers non mortels) parmi la population des Etats Unis. Ces données datant de 1973, elles pourraient être réévaluées en tenant compte les modèles actuels plus pessimistes.
(16) Commission Spéciale et Permanente d’Information près de l’Etablissement de la Hague, placée sous la tutelle du Ministère de l’Industrie et instituée en novembre 1981. L’ACRO y siège.
(17) Voir l’ACROnique du nucléaire n°23, 28, 31 et 32 au sujet du centre de stockage.
(18) A l’exception des leucémies lymphoïdes chroniques.
(19) Association pour le Registre des Cancers dans la Manche.
(20) A-V Guizard et al, Journal of Epidemiology and Community Health n°55, juillet 2001.


Liens

Articles dans l’ACROnique du nucléaire

Articles du British Medical Journal group

Ancien lien

Les rayonnements et la santé

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°27, décembre 1994

INTRODUCTION


Pour beaucoup de gens, les problèmes économiques semblent être fondamentaux pour juger de l’acceptabilité de l’énergie nucléaire. En réalité, ces problèmes devraient être secondaires. Il faut (il aurait fallu) partir de cette question : Quels sont les dangers de l’énergie nucléaire?
C’est le problème de l’acceptabilité qui est posé.

– Si le danger est nul ou très faible, on peut adopter l’énergie nucléaire, et les aspects économiques concernant la rentabilité ou la compétitivité vis à vis des autres sources d’énergie sont essentiels. Le problème de l’acceptabilité ne se pose pas.

– Par contre, si le danger est considérable, c’est à dire s’il affecte des populations entières, des millions de personnes pendant une période très longue (par exemple les déchets, les radioéléments relâchés en Biélorussie qui, pendant quelques siècles vont polluer les terres agricoles et endommager le patrimoine génétique), alors, les problèmes économiques n’ont guère de sens en ce qui concerne l’acceptabilité.

Il faut d’abord envisager les coûts sanitaires avant les coûts économiques. Le coût économique du réacteur détruit à Tchernobyl était acceptable pour l’URSS mais évacuer toutes les personnes qui vivaient en zone contaminée s’est révélé impossible financièrement. De même la perte des terres agricoles qui représentent 20% du territoire de Biélorussie ne peut être assumée économiquement par cette République. Qui va supporter les coûts? les populations. Il est évident que le coût économique tel qu’on le présente généralement masque le vrai problème du nucléaire. Les dangers proviennent essentiellement des effets biologiques du rayonnement: effets cancérigènes et effets génétiques.

Après quelques notions de base sur l’irradiation, la contamination, la concentration organique des radioéléments et leur action biologique, nous vous présenterons 2 exemples de conséquences des radiations sur la santé: les leucémies à Sellafield et la pathologie thyroïdienne radio-induite.


Tout d’abord, que sont les rayonnements ionisants ?

Ils comprennent les rayonnements alpha, bêta et gamma de la radioactivité, les neutrons éjectés lors de
réactions atomiques, les faisceaux d’électrons réalisés dans un accélérateur de particules et, dans un autre domaine, la frange la plus énergétique des rayons x appelés les rayons x “durs”, produit dans un tube cathodique et utilisés en radiologie médicale. Il s’agit donc d’une famille de rayonnements définis ni par leur provenance, ni par leur nature, mais par leurs effets sur la matière.

Le terme de rayonnement ionisant signifie précisément rayonnement capable d’ioniser, ce qui signifie qu’il contient suffisamment d’énergie pour déplacer des électrons dans la matière où il se déplace. Ainsi, par perte ou par gain d’électrons, il transforme des atomes (neutres), en ions (chargés électriquement).
Un ion ainsi créé aura des caractéristiques légèrement différentes de celles de l’atome de départ, et cette modification peut être suffisante pour changer son comportement chimique vis à vis des autres atomes.

I L’IRRADIATION

Définition

L’irradiation est le fait de recevoir des rayons d’une source qui les émet autour d’elle. Ce qui caractérise une source radioactive est qu’il est impossible de l’arrêter. Il n’y a donc que deux manières
de se protéger de ce type de source:

  • La première consiste à placer un écran entre soi et la source pour absorber les rayonnements. C’est très efficace en ce qui concerne les rayonnements alpha et bêta qui peuvent facilement
    être arrêtés complètement. Les rayonnements gamma, en revanche, ne sont jamais arrêtés en totalité. Il
    faut placer un écran de plomb épais ou de béton de largeur considérable pour en arrêter la plus grande partie.
    Mais il en reste toujours un peu au-delà de l’écran. C’est pourquoi, en irradiation externe, les rayons gamma sont les plus dangereux.(Pour mémoire relire Notions de Base )
  • La deuxième manière de se protéger est d’augmenter la distance entre soi et la source. Comme la source irradie dans toutes les directions, l’intensité du rayonnement décroît selon l’inverse du carré de la distance.

Effets des irradiations

L’irradiation touche en général le corps entier. C’est le phénomène le mieux étudié. Ses conséquences sont bien connues en ce qui concerne les fortes doses. Elles peuvent être rapidement mortelles si elles se comptent en dizaine de sievert. Pour les faibles doses, la fréquence des cancers et des malformations en fonction de la dose reçue est encore discutée.  Mais, ce qui est sûr, c’est que même si l’irradiation est totalement terminée, elle peut laisser des traces dans l’ADN (acide désoxyribonucléique) des cellules qui pourront se manifester sous forme de cancer jusqu’à plusieurs dizaine d’années après cette irradiation, ou de malformation d’origine génétique dans les générations suivantes.

Au cours d’une irradiation, on peut mesurer la dose reçue si l’on dispose d’un dosimètre. Mais, une fois l’irradiation terminée, il n’est pas toujours possible de mettre en évidence une irradiation passée. Ainsi, lors d’accidents d’irradiation, les informations déduites des analyses biologiques sont imprécises et les systèmes de modélisation ne sont pas toujours réalisables en pratique.

Par ailleurs, dans de nombreuses autres situations (source inconnue, irradiation chronique, irradiation ancienne non mesurée, etc.), il est évident qu’aucun moyen n’est possible pour quantifier les doses reçues. C’est pourquoi, du fait des temps de latence fort longs, il est souvent impossible de mettre en relation l’apparition d’un cancer ou d’une malformation chez un individu avec une irradiation passée.
Cela n’a été possible qu’à l’échelle collective, de façon statistique, par exemple à l’occasion de “l’expérience grandeur nature” qu’ont représenté les explosions d’HIROSHIMA et NAGASAKI.

Certains tissus de l’organisme sont particulièrement sensibles à l’irradiation; ce sont ceux qui se renouvellent le plus vite, donc, où les divisions cellulaires sont les plus nombreuses. Il s’agit des cellules qui, dans la moelle osseuse, donneront naissance aux cellules sanguines, ou de la muqueuse de l’intestin, par exemple. Il s’agit aussi des cellules sexuelles. Chez l’homme, les cellules souches des spermatozoïdes (qui se forment en près de 2 mois et demi) sont extrêmement radio sensibles. Chez la femme, il n’y a pas de production de nouvelles cellules sexuelles. Celles qui pourront donner des enfants à naître sont toutes présentes dans l’ovaire, à l’état d’ovocytes, depuis le cinquième mois de la vie embryonnaire de la femme. S’il n’y a pas de division cellulaire des cellules sexuelles chez la femme, il faut cependant les considérer comme hautement fragiles, car tous les toxiques susceptibles d’atteindre l’ADN s’additionneront sur la même cellule depuis avant la naissance de la femme jusqu’à l’âge d’une éventuelle grossesse. Les testicules, et tout particulièrement les ovaires, doivent donc être considérés comme des organes à protéger, en priorité, de toute irradiation par des rayonnements ionisants. Cela implique par exemple l’utilisation de caches en plomb placés entre la source et ces organes lors d’irradiations, en radiologie médicale, chaque fois qu’il n’est pas strictement indispensable de voir sur la radio la région de ces organes.

De même, il est nécessaire de veiller à la protection du personnel des hôpitaux contre l’irradiation, d’autant plus qu’il s’agit souvent de femmes jeunes. Il existe des vitres plombées dans les services de radiologie et des tabliers de plomb pour les cas où l’on est obligé de s’approcher de la source. Bien évidemment, le problème se pose également pour les travailleurs du nucléaire.

II LA CONTAMINATION

Définition

La contamination consiste à entrer en contact avec des particules radioactives. On devient alors porteur de la source qui émet ses rayonnements à partir de l’endroit du corps où elle se trouve. Elle peut se situer à la surface du corps, sur la peau; on parle alors de contamination externe. Elle peut se situer à l’intérieur du corps. La particule radioactive pénètre – soit par l’air, dans les poumons – soit par le tube digestif – soit par une plaie. Elle peut ensuite être transportée par le sang jusqu’à tous les organes. Lorsque la source se trouve à l’intérieur du corps on parle de contamination interne. La source continue évidemment à émettre ses rayonnements qui sont reçus en permanence par les tissus environnants. C’est pourquoi certains parlent d’irradiation interne. C’est exact, mais nous pensons que ce terme entretient la confusion entre irradiation et contamination.

La contamination reste en effet très différente de l’irradiation et ceci pour plusieurs raisons:

Tout d’abord les moyens de s’en protéger n’existent pas. On ne peut glisser un écran de plomb à l’intérieur de l’organisme!

Les rayonnements alpha provoquent de nombreuses ionisations dans les tissus voisins et sont alors les plus dangereux. Les rayonnements bêta ont un parcours un peu plus long mais ils transmettent également leur énergie sous forme d’ionisation dans les tissus du corps. Les rayonnements gamma produisent aussi des ionisations, mais ils ne sont pas totalement arrêtés et irradient à l’extérieur du corps. La personne fortement contaminée devient une source d’irradiation pour les autres.

Nous avions vu que la deuxième façon de limiter l’irradiation était de s’éloigner. Si l’on est contaminé; c’est impossible on est porteur de la source. Si la contamination est faible, l’irradiation qu’elle provoque pour les autres est extrêmement faible.
De même la dose reçue par l’ensemble du corps de  la personne contaminée peut être vraiment très faible. Mais, en fait, les effets biologiques sont à étudier à l’échelle des tissus voisins de la source, immédiatement en contact avec elle.

Par ailleurs, à dose globale équivalente, un rayonnement reçu au quotidien semble plus dangereux qu’un flash d’irradiation en ce qui concerne  l’accumulation des lésions cellulaires.
Ces réalités ne sont pas toujours prises en compte dans les discours officiels.

La deuxième grande différence avec l’irradiation externe est que le phénomène reste actif dans le temps. La source continue d’émettre et de provoquer des ionisations autour d’elle.
Une source très faible peut ainsi provoquer des effets importants au bout d’un certain temps. Bien sûr, s’ajoutera ensuite un temps de latence avant l’apparition d’un cancer, par exemple. Pour se protéger, on parle beaucoup de décontamination. Nous allons voir que les résultats que l’on peut en attendre sont souvent très limités. Enfin la notion d’organe cible en contamination mérite que l’on s’y arrête.

La décontamination

La décontamination est un mot qui fait rêver: c’est tout simplement supprimer la contamination. Il s’agit en fait, le plus souvent, de méthodes artisanales et limitées qui ne sont efficaces que dans un nombre restreint de cas et devant des accidents de faible ampleur. Puisque l’on ne peut pas arrêter une source radioactive, l’objectif de la décontamination est de retirer la source de la zone contaminée. Si la contamination est externe c’est possible par lavage, par exemple ou en collant les poussières
à l’aide d’un papier adhésif. Mais il faut savoir que l’eau de lavage ou les autres produits utilisés deviennent alors des déchets radioactifs à gérer comme tels. Si une petite région du corps est contaminée les résultats de ces techniques sont très intéressants, mais, s’il y a une contamination de l’environnement on est très vite dépassé par l’ampleur. Autour de TCHERNOBYL, il s’agissait de décontaminer non seulement les humains mais aussi les maisons, les champs, les arbres… On a lavé des maisons à la lance, mais toute l’eau de lavage aurait du être gérée comme déchet radioactif: c’était impossible.
Dans la campagne, on a déversé par hélicoptère des aérosols collants pour fixer les particules radioactives au sol dans la zone interdite et empêcher que le vent ne les emporte.
Il ne s’agissait pas de supprimer la contamination comme a pu le laisser croire l’information diffusée par les médias, mais d’en limiter la propagation.
Si la contamination humaine est interne on essaie de déplacer les particules radioactives par différents mécanisme chimiques. L’efficacité dépend de la précocité du traitement, mais les résultats sont en règle générale très limités. On n’a pas les moyens d’aller chercher des particules fixées dans les tissus biologiques.

III FIXATION ET CONCENTRATION ORGANIQUE

La circulation d’une particule radioactive dans l’organisme n’est pas laissée au hasard.
Selon la nature chimique de la source, elle est intégrée aux réactions chimiques à l’intérieur des cellules (au métabolisme). Ainsi, l’organisme utilisera l’iode radioactif au même titre que l’iode non radioactif. Comme l’iode est fixé par la glande thyroïde pour entrer dans la composition de l’hormone thyroïdienne, l’iode radioactif se trouvera également fixé par la thyroïde. La thyroïde joue un rôle actif de concentration de l’iode, y compris de l’iode radioactif.
Le phénomène peut se produire de même pour des particules non habituellement présentes dans le corps, mais dont la structure atomique fait qu’elles peuvent être confondues par l’organisme avec des substances présentes habituellement. C’est le cas du césium qui est confondu avec le potassium (et même capté préférentiellement par rapport au potassium) et diffusé à l’intérieur de toutes les cellules, mais est largement concentré dans les muscles. C’est encore le cas du strontium qui est confondu avec le calcium et fixé dans les os.

On est donc amené à définir pour chaque corps une période biologique, indépendante de la période radioactive, qui représente le temps au bout duquel la moitié de la substance qui a pénétré dans l’organisme est rejetée à l’extérieur dans les urines, les selles, la sueur. Cette période biologique peut être courte ou longue, proche ou éloignée de la période radioactive. Vous en trouverez quelques exemples dans le tableau ci dessous.

Période radioactive Période biologique
iode 131 8 jours jusqu’à 120 jours pour l’iode captée par la thyroïde
césium 137 30 ans de 50 à 150 jours
strontium 90 28 ans 8 à 30 ans (selon les auteurs)
plutonium 239 24000 ans 40 ans dans le foie;100 ans dans les os (CIPR, davantage pour certains auteurs)
ruthénium 106 1 an de 20 à 170 jours (modèles animaux)

Les organes fixant la contamination ne correspondent pas nécessairement aux tissus les plus radiosensibles (c’est-à-dire fragiles à l’irradiation) cités plus haut. Toutefois, le cas du strontium 90 est une conjonction frappante: la période radioactive est moyenne et correspond à peu près à la période biologique qui, elle, est longue puisque le strontium est fixé dans un tissu à renouvellement lent, l’os. L’os est en revanche au contact direct de la moelle osseuse, qui, elle, est à reproduction rapide et fabrique les globules du sang particulièrement radiosensibles. Certains se demandent s’il n’y a pas là un facteur des cancers du sang (leucémies) qui prennent une place de plus en plus importante. Il est tout à fait curieux de constater que personne ne s’empresse de faire des recherches sur ce sujet…

Ce phénomène de concentration biologique est retrouvé dans un certain nombre de situations et peut prendre des proportions très importantes: les chaînes alimentaires. Le phénomène de fixation-concentration biologique d’un radio nucléide peut se produire à répétition dans différents organismes pour aboutir finalement dans l’assiette de l’homme. C’est ce que l’on appelle les chaînes alimentaires. Par exemple: terre- plantes- vaches- lait- homme; ou mer- plancton- poisson- poisson carnassier- homme.

Si le phénomène de concentration se répète à chaque étape, les doses présentes en bout de chaîne alimentaire, dans l’assiette de l’homme, n’ont rien à voir avec la dilution de départ de la pollution.
On connaît, par exemple, le phénomène de concentration de l’iode dans le lait. On sait par ailleurs que la Corse a été assez fortement touchée par les retombées de Tchernobyl. En ce qui concerne l’iode 131 radioactif, on aurait pu protéger la population sans inconvénient économique important puisque, du fait de sa courte période (8 jours), il aurait suffit de transformer toute la production du moment en lait UHT à consommer plus tard pour se protéger de l’iode 131 concentré dans le lait. On n’a rien fait pour ne pas affoler la population. On sait aujourd’hui que des enfants corses ont des problèmes thyroïdiens mis en évidence par le Dr Lefauconnier qui, avec la CRII RAD, incrimine le nuage de Tchernobyl.

IV L’ACTION BIOLOGIQUE DES RADIATIONS IONISANTES

Le fait que les radiations sont dangereuses n’est pas discutable.
Les radiodermites dues aux rayons X, la cancérisation de ces lésions et d’autres tissus sensibles, les mutations génétiques ont été découvertes, si l’on peut dire, “à l’épreuve du feu”. En effet le premier Kg de Radium a fait, d’après certaines estimations, une centaine de morts parmi les chercheurs qui l’ont manipulé, dont Marie Curie elle-même; par ailleurs, une grande partie des connaissances sur les effets humains des radiations atomiques est due à l’étude de la mortalité après les explosions d’Hiroshima et de Nagasaki.
Elle a montré, hormis les effets immédiats de l’explosion, une augmentation des cancers et des malformations congénitales chez les survivants, qui se fait encore sentir aujourd’hui.

De même, en Angleterre en 1953, c’est après avoir vu la mortalité par leucémies des enfants de 3 ans augmenter subitement qu’on a pu incriminer la pratique, nouvelle à l’époque, des radios de bassin chez la femme enceinte et interdire celles-ci pour éviter celles-là.

Le débat actuel ne porte donc pas sur le principe de la toxicité des radiations, mais sur les relations dose – effet. Si beaucoup reste à découvrir, il faut reconnaître que, depuis le début du siècle, tous les progrès des connaissances vont dans le sens d’une toxicité plus grande que celle évaluée antérieurement.
Que se passe t’il dans les tissus lors d’une irradiation ?
Dans les tissus vivants, les réactions chimiques sont très nombreuses, constituant le métabolisme cellulaire. Les molécules les plus grosses seront logiquement des cibles privilégiées pour le rayonnement, puisqu’elles occupent davantage d’espace. Parmi elles, une molécule clef de la vie biologique est l’ADN (acide désoxyribonucléique) qui compose le noyau de chaque cellule et qui porte le code génétique définissant l’ensemble des caractéristiques innées de l’individu: c’est le centre de commande de la vie biologique.

Une petite erreur de code produite par l’ionisation d’un atome se traduira par une modification de la réaction déterminée par ce code, pouvant alors modifier des caractéristiques importantes de la cellule. Les effets biologiques de cette transformation seront différents selon que la cellule touchée est une cellule ordinaire de l’organisme:
cellule somatique, ou une cellule sexuelle: cellule reproductrice.
S’il s’agit d’une cellule somatique. Celle-ci peut devenir aberrante et incontrôlable et donner naissance à un tissu étranger, envahissant et dévastateur, qu’on appelle un cancer.
Les cellules les plus sensibles aux rayonnements sont celles qui se multiplient le plus vite, par exemple les cellules de la peau ou celles de la moelle osseuse qui fabriquent les cellules du sang. C’est pourquoi les cancers radio induits sont le plus souvent des cancers de la peau ou des cancers du sang, parmi lesquels les plus connus sont les leucémies.

Pour les effets cancérigènes, les données sont relativement sûres. Des désaccords subsistent dans la polémique scientifique mais ils ne dépassent guère un facteur 3 à 4 sur l’importance de l’effet. Jusqu’à présent les études n’ont porté que sur l’effet des irradiations externes. Pour l’effet des contaminations internes, les données expérimentales fiables sont quasi inexistantes. Tchernobyl nous montre que les effets cancérigènes les plus importantes proviendront de la contamination interne.
Si la cellule touchée est une cellule reproductrice, cellule du testicule ou cellule de l’ovaire, la modification de l’ADN peut être source d’anomalie génétique. Dans le cas où cette cellule est fécondée, l’anomalie génétique (ici aberration chromosomique) peut provoquer un avortement précoce, c’est-à-dire dans les premières semaines de la grossesse, et, du fait de sa précocité, l’avortement peut passer totalement inaperçu, se manifestant éventuellement par des règles un peu tardives et un peu plus abondantes qu’à l’ordinaire. C’est ce qui arrive le plus fréquemment en cas d’anomalie génétique importante, touchant les chromosomes. Mais quelquefois la grossesse peut se maintenir et aboutir à la naissance d’un enfant porteur de malformation congénitale.

Il se peut également que l’anomalie soit très localisée, touchant sélectivement un gène et constituant alors une mutation génétique. Les plus fréquentes de ces mutations sont dites récessives, ce qui signifie qu’elles sont présentes mais, cachées par le gène dominant normal, ne se manifestent pas. Elles constituent cependant une anomalie héréditaire transmise selon les lois de la génétique. Elles sont susceptibles d’apparaître et de provoquer une maladie après une ou plusieurs générations, au hasard des rencontres des stocks génétiques paternels et maternels. Il faut ajouter qu’il existe des possibilités,
encore mal connues, de reconnaissance des gènes anormaux et de réparation de ces gènes par la cellule elle-même.

En ce qui concerne l’effet du rayonnement sur le patrimoine génétique nous ne connaissons presque rien. Essentiellement des expériences faites sur des animaux de laboratoire. Les effets génétiques pourraient bien être la composante majeure des conséquences d’un accident nucléaire grave, mais ce “détriment” est un
détriment vicieux, pervers, parce qu’il peut être relativement faible dans les premières générations et augmenter au cours du temps parce que certains défauts du patrimoine génétique vont se propager dans les générations futures suivant des mécanismes mal connus.

Après avoir étudié l’effet du rayonnement sur les molécules, nous allons nous intéresser aux conséquences sur les populations. Nous n’examinerons ici que le problème des cancers radio-induits.

  1. Ces cancers sont absolument identiques aux cancers “naturels”. Il n’est donc pas possible de les identifier parmi l’ensemble des cancers, de déclarer radio induit  un cancer observé sur un individu donné même si celui-ci a été irradié (et inversement).
  2. Pour la même irradiation, l’induction de cancer dépendra fortement des individus, en particulier du système immunitaire.
  3. Pour un groupe assez important d’individus irradiés, on pourra observer un accroissement de la fréquence des cancers qui dépendra du niveau de l’irradiation.
  4. L’apparition clinique de ces cancers ne se fera qu’après un temps de latence très long, de 2 ans pour les leucémies à plusieurs décennies pour les autres cancers.

Ces propriétés interdisent toute approche individuelle pour l’étude expérimentale des effets cancérigènes du rayonnement, ainsi que pour la fixation du risque par les systèmes de radioprotection. Seule, une approche statistique a un sens, mais à condition de disposer de données de mortalité parmi une cohorte suffisamment importante numériquement, et pendant une très longue période. Dans une société nucléaire, les statistiques de mortalité deviennent des matériaux stratégiques qu’il est dangereux de laisser dans le domaine public !!

Lorsqu’une population a été irradiée, le bilan de la mortalité par cancers radio induits dans cette cohorte ne peut se faire que de deux façons:

  • soit collecter les données de mortalité pendant plus de 30 ans ou mieux, jusqu’à la disparition de la cohorte. Dans ce cas, le risque ne sera connu qu’après la mort de ceux qui l’auront subi;
  • soit évaluer les niveaux d’irradiation et fonder le bilan sur le facteur de risque établi par des études antérieures dont on peut garantir la qualité. Le risque est connu avant l’extinction de la population concernée mais l’estimation des doses reçues (ou qui seront reçues) est difficile et source de controverse quant aux modèles retenus pour l’effectuer, en particulier lorsqu’il s’agit d’une irradiation par contamination interne, par inhalation de poussières radioactives, ou par ingestion d’aliments obtenus sur des territoires contaminés.

Voici deux exemples d’études statistiques sur l’effet des rayonnements.

V LES LEUCEMIES DE SELLAFIELD

En 1983, en Grande-Bretagne, une controverse éclate au sujet de taux de cancers et de leucémies surélevés, chez les enfants, dans le voisinage de SELLAFIELD (une usine de retraitement des combustibles irradiés). Une commission d’enquête officielle confirme les faits sans pour autant fournir une explication précise. En février 1990, Martin GARDNER établit une relation fortement significative entre la sur-incidence de leucémies et l’irradiation (avant la conception) des pères employés à l’usine.
L’auteur suggère que l’irradiation des pères pourrait entraîner des mutations, au niveau de leur cellules reproductrices, responsables de l’apparition des leucémies chez les enfants. C’est la première fois qu’un tel résultat est observé chez l’Homme. Pourtant celui-ci est en parfaite cohérence avec les conclusions des expériences conduites par Taisei NOMURA sur prés de 25.000 souris.

Si les études épidémiologiques formulent l’hypothèse d’une relation de cause à effet sans la prouver, la biologie moléculaire doit pouvoir apporter des réponses aux questions soulevées.
Les mécanismes d’altération du patrimoine génétique par les rayonnements ionisants commencent à être bien connus.
Mais, aujourd’hui, la découverte de “gènes potentiels du cancers” (oncogènes) et de “gènes protecteurs” (anti-oncogènes)nous laisse entrevoir en pointillé le cheminement qui, à partir d’agents physiques (radiations) ou chimiques, pourra conduire à plus ou moins long terme à des dérèglements graves du fonctionnement cellulaire. Si les cellules atteintes sont les cellules reproductrices, c’est alors la descendance qui supportera le fardeau des mutations induites, chez les parents, par l’exposition professionnelle ou par des facteurs de l’environnement.

Pour l’ensemble du dossier voir l’ACROnique du nucléaire n°13.

VI PATHOLOGIE THIROIDIENNE MORPHOLOGIQUE RADIO INDUITE PAR DE FAIBLES DOSES
D’IRRADIATION CERVICALE: APPORT D’UNE ENQUÊTE EPIDEMIOLOGIQUE DE
COHORTE.

L’étude a porté sur une population de 396 patients irradiés pour un angiome cutané (tumeur bénigne d’origine vasculaire) dans l’enfance (recul moyen 22 ans) par de faibles doses de radiations ionisantes (< 1 Gy), à proximité de la thyroïde.
Plusieurs études épidémiologiques ont établique:

  • Le risque de nodule ou de cancer thyroïdien est, pour une même dose, plus important lorsque l’irradiation survient dans l’enfance ou chez une femme; ce risque peut se manifester très longtemps après.
  • Pour des irradiations à fort débit, entre 100µ Gy et au moins 10 Gy, la relation entre le risque et la dose délivréeà la thyroïde est linéaire.
  • Aucune augmentation significative du risque de tumeurs thyroïdiennes
    n’a été observée après administration d’activité diagnostique ou thérapeutique d’iode 131.

En revanche le devenir des sujets irradiés des îles Marshall après l’explosion de Bikini, suggère que les isotopes de l’iode à demi vie brève ont un effet tumorigène plus important que l’iode 131, ce qui est attribué à un débit de dose plus élevé.

Le recrutement.

A l’institut Gustave Roussy plus de 5000 enfants porteurs d’un angiome cutané ont été traités entre 1941 et 1973 par différentes techniques de radiothérapie ayant des débits de dose très variables. Parmi les 1137 patients irradiés qui ont répondu, 396 enfants (305 filles et 91 garçons) ont eu leur thyroïde exposée en raison soit de la proximité de l’angiome (moins de 5 cm pour une irradiation bêta pure), soit
du type d’irradiation (gamma ou x); 95 % d’entre eux ont été irradiés au cours de leur première année.

La dosimètrie.

Disposant pour chaque patient d’un dossier technique de l’irradiation, il a été possible de calculer la dose délivrée à la thyroïde. Il est a noter que ces doses sont faibles puisque 98 % d’entre elles sont inférieures à 1 Gy.
Les traitements ont été regroupés en 2 catégories :

  • courte durée et fort débit, de  quelques secondes à quelques minutes;
  • longue durée et débit plus faible, de 30 mn à quelques heures.

Les résultats

Les 396 patients de cette cohorte ont été surveillés en moyenne 22 ans. Au terme d’un bilan clinique et scintigraphique, 38 patients étaient porteurs d’une anomalie morphologique thyroïdienne.

ANOMALIE MORPHOLOGIQUE OBSERVEE DANS UNE COHORTE DE 396 PATIENTS
IRRADIES DANS L’ENFANCE POUR UN ANGIOME CUTANE
Longue durée
Faible débitN=178
Courte durée
Fort débitN=103
Association des deux types
N=115
SexeGarçon/Fille
45/133
24/79
22/93
Année de traitementMédianeExtrèmes
1962
1943-1972
1968
1955-1973
1964
1946-1973
Dose thyroïdeMoyenneExtrème
0,094
<0,00001-2,01
0,075
<0,00001-2,74
0,084
<0,00001-0,87
Débit de dose thyroïdemoyenne (Gy/s)
5 10-6
138 10-6
5 10-6
Goitre observé
8
8
8
Nodule observé
1
4
9

Chez 24 d’entre eux, il s’agissait d’un goitre simple, soit un taux d’incidence de 30 pour 1000 personnes par an et par gray. Aucune influence du sexe n’a été observée. 14 enfants ont
développé un nodule thyroïdien unique (treize bénins et un cancer papillaire). Le taux d’incidence est de 1,8 pour 1000 personnes par an et par Gy. Le risque de nodule était trois fois plus élevé parmi les femmes. Pour ces deux anomalies morphologiques, le risque augmentait avec la dose : le risque relatif par gray était de 3 pour les nodules et de 4 pour les goitres.
Le débit de dose n’affecte pas le risque de goitre, en revanche le risque de nodule était augmenté dans le groupe de sujets irradiés avec un fort débit.

Conclusion

Cette étude épidémiologique rétrospective
portant sur 396 enfants irradiés pour un angiome cutané apporte
des informations sur les séquelles thyroïdiennes à long
terme de faibles doses de radiation ionisante (< 1 Gy ).

  • Elle souligne le rôle du débit de dose dans l’apparition des nodules thyroïdiens. Il existe une augmentation significative du risque de leur apparition, uniquement pour des irradiations de courte durée et à fort débit.
  • Quant à la relation dose thyroïde / goitre, les auteurs la rapproche des observations effectuées dans les régions à haut niveau de radioactivité naturelle. “Il est intéressant de noter que le contenu en iode de ces thyroïdes irradiées est significativement abaissé et que cette diminution est significativement liée à la dose totale reçue par la thyroïde.
    L’extrême radiosensibilité du tissu thyroïdien de ces enfants, dont la grande majorité a été irradiée
    dans la première année de leur vie, pourrait expliquer l’apparition de ces goitres”.

Source

“Médecine et science” Août Septembre 1993

Les auteurs :  P.Fragu, INSERM-  F.de Vathaire, INSERM –
P.François, service de  radiologie Toulouse -M.F. Avril, dermatologie
– I. Gustave Roussy.


Pour en savoir plus, se reporter à:

  • La Radioactivité et le Vivant.
    les effets biologiques du rayonnement. par Roger Belbéoch.  page 15 à 19  novembre 1990.
  • Santé et Rayonnement.
    Effets cancérigènes des faibles doses de rayonnement. GSIEN/CRII-RAD janvier 1988.

Liens

Articles dans l’ACROnique du nucléaire

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