La fin du retraitement en Grande-Bretagne ?

Extrait de la revue de presse internationale de l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000


Le scandale a commencé l’an dernier (voir notre précédente revue de presse internationale), quand l’Independent a révélé que les données sur la qualité du combustible Mox fourni par BNFL (British Nuclear Fuels Limited) au Japon avaient été falsifiées. Les deux usines Mox de Sellafield sont depuis fermées et c’est l’avenir de toute la filière plutonium qui est maintenant en jeu. Le marché semblait pourtant être porteur, 80 transports vers le Japon étaient prévus, la construction d’une nouvelle usine de fabrication de combustible Mox envisagée, avec à la clé la privatisation de BNFL. Le gouvernement espérait vendre 49% de la compagnie pour un montant de 1,5 milliards de livres avant les prochaines élections. Dans ce but, la compagnie s’est payé un supplément complet à la revue La Recherche. C’est à la suite de ce scandale que l’on a appris que BNFL payait 500.000 livres par an au ministère des affaires étrangères pour avoir un employé avec un passeport diplomatique à l’ambassade de Tokyo. McLaughlan, actuellement en poste avec le statut de conseiller, était directeur de la communication au siège de BNFL avant. cela fait 20 ans que la pratique dure. Selon un conseiller du ministre de l’environnement au moment où a été décidé la construction de l’usine de retraitement Thorp en 1993, les télégrammes diplomatiques du Japon étaient tous rédigés par BNFL, même s’ils étaient signés par l’ambassadeur. Ils annonçaient des perspectives de contrats et de développement très optimistes. Le ministère des affaires étrangères ne voit là aucun conflit d’intérêt… (The Guardian, 8 mars 2000)

Une sûreté minimale pour un profit maximal

Le traitement du Mox consiste en la transformation d’un mélange de poudres d’oxydes d’uranium et de plutonium en pastilles de céramique dont la taille est définie par le client. Chaque pastille est mesurée par laser et celles qui ne satisfont pas le cahier des charges sont rejetées. C’est lors d’un deuxième contrôle, quand 5% des pastilles choisies au hasard sont mesurées à la main, que la falsification a eu lieu. Dans certains cas de larges parties de fichiers anciens ont été copiées et collées dans de nouveaux fichiers. Les autorités japonaises ont été averties par l’Inspection des Installations Nucléaires (NII) que deux lots suspects étaient dans le bateau en route vers le Japon dont le départ avait fait beaucoup de bruit l’été dernier. Le client, la compagnie de production d’électricité du Kansai, a demandé à BNFL de reprendre le chargement et l’utilisation de ce type de combustible remis à plus tard. (ENS, 4 février 2000)

Le NII a publié 3 rapports le 18 février sur le manque de culture de sûreté chez BNFL : le premier sur la gestion de déchets liquides de haute activité ; le deuxième sur l’augmentation du nombre d’incidents en 1999 qui a conduit à un audit complet ; et le dernier sur la falsification des données concernant le combustible Mox. Les inspecteurs menacent de fermer l’usine de retraitement si une solution n’est pas présentée pour l’élimination des déchets liquides très actifs avant 2015. Pendant plus de 40 ans, ces déchets ont été stockés dans des citernes et refroidis continuellement. En 1990, une usine de vitrification a été construite pour convertir les 1300 m3 de déchets contenus dans 21 citernes en 8000 fûts qui devront ensuite être refroidis pendant une cinquantaine d’années. L’usine n’a jamais bien fonctionné et la production limitée à 110 fûts en 2 ans. L’usine a ensuite été modifiée pour atteindre 300 fûts par an, mais cela ne suffit pas pour éponger le passif. Le problème c’est qu’avec le retraitement, BNFL produit plus de déchets liquides qu’elle n’en vitrifie. Par conséquent, les inspecteurs menacent de fermer Thorp. L’Irlande, qui craint l’explosion d’une de ces citernes, fait pression pour qu’une solution soit trouvée rapidement.

La falsification des données sur le Mox remonte à 1996 et est donc bien plus ancienne que ce que l’on pensait initialement. Le rapport dénonce un manque de culture de sûreté et met en avant la facilité avec laquelle il était possible de falsifier les données. Si les employés mis en cause sont bien responsables, il n’est pas normal que cela ait pu durer pendant 3 ans. La direction de l’usine doit donc aussi être tenue pour responsable, pas seulement les cinq employés licenciés. Le rapport souligne cependant que la qualité du combustible n’est pas en cause. BNFL a accepté ces rapports et a promis de suivre les recommandations. (The Guardian et The Independent, 18 février 2000). Il est recommandé que toute l’organisation soit revue et que les cadres intermédiaires qui avaient été licenciés afin de minimiser les coûts de production en vue de la privatisation soient réintégrés. Les objectifs de la compagnie étaient le profit, pas la sûreté, avec en particulier une volonté de réduire de 25% les coûts. Le rapport prétend que le site est sûr, mais que la sûreté est réduite au minimum tolérable. (The Guardian, 19 février 2000).

Un autre rapport de l’Agence de l’Environnement dénonce la falsification des données concernant les rejets de la centrale de Hinkley Point, sur la Manche. Il s’agit de deux des huit réacteurs Magnox, de première génération, encore en activité et gérés par… BNFL. Entre décembre 1997 et décembre 1998, seulement la moitié des rejets de carbone 14 ont été déclarés. Après avoir mesuré de fortes activités en carbone 14, un employé a pensé que la mesure était faussée par la présence de sulfure 35 et a soustrait la quantité de cet élément qu’il pensait être présent. Il avait tort, mais les quantités réellement rejetées ne dépassent pas les autorisations de rejet. La centrale est actuellement à l’arrêt depuis quelques mois car il est apparu que certaines parties de l’acier subissant des compressions n’avaient pas été bien testées il y a 35 ans, quand la centrale a été construite. (The Observer, 20 février et The Guardian, 21 février 2000). BNFL a donc finalement décidé de ne pas la redémarrer. (The Guardian Weekly, 1-7 juin 2000).

Réactions en chaîne en Europe

Le Mox produit en 1996 par BNFL était entièrement destiné à l’Allemagne, ce qui a permis de découvrir que 4 assemblages du réacteur de Unterweser n’avaient pas subit non plus des tests satisfaisants. L’information a fait un tollé en Allemagne. Pour sa défense, BNFL prétend que les pastilles ont bien été vérifiées, mais que le fichier de données s’est perdu à la suite d’un problème informatique et qu’il a donc été remplacé par un faux. La Suisse qui a commandé du combustible Mox en 1997 est aussi inquiète. Une investigation complémentaire a permis de découvrir qu’il en était de même pour le combustible de la centrale de Beznau. Le coup est dur pour BNFL qui avait nié les faits pendant plus de quatre mois et pour les autorités britanniques qui étaient jusque là incapables de répondre aux sollicitations allemandes et suisses. (ENS, 22 février 2000 et The Guardian, 23 février 2000) L’Allemagne a décidé d’arrêter la centrale et de retirer le combustible suspect (BBC, 24 février 2000). Elle demande aussi des compensations pour le manque à gagner et envisage de rompre tous ses contrats. (The Guardian, 25 février 2000) Tous les transports de combustible Mox à destination de l’Allemagne ont été suspendus. (The Independant, 9 mars 2000). La Suisse a suspendu ses envois de combustible irradié vers la Grande-Bretagne et le parlement est en train de débattre sur une nouvelle loi sur l’énergie nucléaire. La Suède a aussi suspendu l’envoi de 4,8 tonnes de combustible irradié provenant d’un réacteur de recherche (ENS, 27 mars 2000)

Le directeur de BNFL a finalement démissionné, capitulant devant les pressions gouvernementales dont il a fait l’objet. Cela faisait quatre ans qu’il dirigeait la compagnie. (ENS, 29 février 2000). Le NII, qui ne s’est pas aperçu pendant 3 ans des falsifications faites par BNFL, est aussi sur la sellette, malgré les rapports sévères qu’il a publiés. Des parlementaires vont donc se pencher sur les relations entre BNFL et la sûreté qui semblent être serrées. (The Observer, 5 mars 2000)

Nouveaux scandales

Les inspecteurs du NII ont recalé 4 lots de combustibles d’uranium provenant de l’usine de Springfields, près de Preston, et destinés à deux centrales car ils ont découvert des fissures. Si ces barres avaient été chargées, des fuites de radionucléides auraient pu contaminer le système de refroidissement primaire des réacteurs. NII ne peut pas garantir qu’il n’y a pas de barre fissurée dans un des réacteurs du pays et va mener une enquête plus approndie sur la production de cette usine. La livraison de combustible vers les 7 réacteurs gaz a été suspendue. (The Observer, 5 mars 2000) Les containers qui servent à transporter l’hexafluorure d’uranium et utilisés pour l’exportation ne résistent pas plus de trois minutes à un feu, selon une nouvelle étude. Cela concerne plus de 2300 convois par, soit 20000 tonnes de matériaux vers la Russie, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et les Pays Bas. Les tests ont été effectués par l’IPSN qui a montré que dans le meilleur des cas, au bout de 175 secondes le container se rompt. En cas d’accident, de grandes quantités d’hexafluorures d’uranium peuvent se répandre et réagir avec l’air pour donner un gaz acide, l’hydrofluorique, qui peut endommager les poumons. L’AIEA recommande que les containers tiennent plus de 30 min dans un feu à 800°C. (The Guardian Weekly, 6-12 avril 2000).

C’est à nouveau The Independent qui révèle que c’est tout le contrôle des pastilles cylindriques de Mox qui est trafiqué. Le diamètre de ces pastilles soit être constant avant de les empiler dans des barres de combustibles. S’il est trop grand, elles peuvent gonfler et déformer les barres. S’il est trop petit, les pastilles peuvent se mettre à vibrer. BNFL est donc supposée mesuere automatiquement le diamètre par laser en trois points : en haut, en bas et au milieu. Mais il est rapidement apparu que les pastilles qui sortaient de l’usine avaient “la forme d’un pot de fleur”. Une extrémité était donc plus large et la pastille était rejetée. BNFL a donc déplacé les 2 points de mesure extrêmes de 2 mm vers l’intérieur afin que les défauts se voient moins et que la pastille passe les tests. Interrogé par le journal, NII a confirmé. BNFL lui aurait dit qu’il n’était pas nécessaire de faire des mesures aux extrémités car les cylindres sont parfaits. Le NII a admis l’explication sans être informé sur le défaut de forme. Il a aussi affirmé qu’il n’avait pas été informé du changement de méthode de contrôle quand cela a eu lieu. La compagnie a démenti avoir voulu diminuer les coûts en réduisant les contraintes, mais a reconnu la position des points de mesure. (The Independent, 7, 8 et 9 mars 2000).

Vers la fin de retraitement ?

C’est toute la filière du retraitement qui a été remise en cause lors de la réunion OSPAR où le Danemark a pris une initiative en vue de son interdiction, soutenu par l’Islande et l’Irlande. Mais, pour prendre effet les motions doivent être approuvées par les deux-tiers des pays représentés au sein de la commission. (ENS et AFP, 27 mars 2000). Le nouveau président de BNFL a envisagé l’arrêt du retraitement devant la chambre des communes et a annoncé qu’il était impensable de privatiser partiellement la compagnie avant 2002. L’ensemble des activités du groupe doivent être révisées, car l’amélioration de la sûreté a un coût qui risque de rendre la privatisation impossible. Le gouvernement aurait accepté l’idée que le retraitement n’a pas d’avenir. Mais la participation dans la gestion des armes nucléaires est maintenue. Le Ministère de la défense a confirmé le consortium AWE ML (Atomic Weapons Establishment, constitué à parts égales de Lockheed Martin, British Nuclear Fuels et SERCo). (ENS, 3 avril 2000 et The Guardian Weekly, 30 mars au 5 avril 2000) British Energy, qui vient de diviser par deux les dividendes versés à ses actionnaires, a annoncé qu’il négociait avec BNFL l’arrêt du retraitement afin de réduire ses charges des deux tiers. Pour le producteur d’électricité, le retraitement est un “non-sens” économique et espère convaincre son partenaire que son arrêt est la seule façon de sauver l’énergie nucléaire. Ce retrait du principal client signifierait la fin du retraitement en Grande-Bretagne. (The Independent et 11 mai 2000 et The Guardian, 19 mai 2000). BNFL a démenti qu’elle serait mencée de faillite comme l’a rapporté le Sunday Telegraph qui dit citer un rapport interne confidentiel qui révèle les coûts inattendus portant le passif de la firme à 36 milliards de livres (54 milliards de dollars). BNFL s’est refusée à commenter ces chiffres, car un étude à ce sujet est encore en cours. (AFP, 28 mai 2000).

Le gouvernement allemand a lancé une enquête auprès des centrales nucléaires ayant acheté du combustible recyclé Mox à la Cogema. Un problème de qualité lui a été signalé par l’Etat régional de Basse-Saxe où une centrale utilise du Mox produit par le site de Caradache. La Cogema a répondu à cette mise en cause en assurant que les problèmes viennent de logiciels et que ce n’est pas la la qualité du Mox qui est en cause “mais l’enregistrement de la qualité”… (Ouest-France, vendredi 31 mars 2000)


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Ancien lien

Tôkaï-mura : un grave accident qui devait arriver

Revue de la presse internationale de l’ACROnique du nucléaire n°47, décembre 1999


Devant l’importance de l’évènement, la revue de presse internationale ne sera consacrée qu’à cet accident. Les autres informations seront reprises dans les revues de presse suivantes.


Un sentiment d’apocalypse

Le jeudi 30 septembre, vers 15h30, une cinquantaine de familles ont été évacuées dans un rayon de 200m autour de l’usine de traitement de l’uranium de Tôkaï-mura, à 120 km au Nord-Est de Tôkyô, suite à une fuite de radioactivité survenue à 10h15 le matin même. 150 personnes sont concernées par cette mesure et la zone a été fermée à la circulation. En outre, environ 320 000 habitants résidant dans un rayon de 10 km avaient été avisés par hauts parleurs, à partir de 12h30, de demeurer chez eux et de fermer leurs fenêtres. Trois employés de l’usine ayant été exposés aux radiations ont été transportés par hélicoptère à l’hôpital. Deux des trois ouvriers ont dû être portés sur des brancards par des secouristes portant des masques et des combinaisons anti-radiations avant d’être placés dans un département stérile. Le troisième homme a pu marcher jusqu’à l’institut et est soigné dans un service normal. Les dépêches d’agence suivantes feront état d’un nombre grandissant de personnes irradiées, pour atteindre finalement 69 personnes, dont des riverains et des secouristes. Le même jour, une autre dépêche AFP, rappelle les accidents nucléaires les plus graves de l’histoire, laissant présager la gravité de ce dernier. A 19h, plus de 5 000 familles étaient encore confinées chez elles. Un responsable de la ville de Tôkaï-mura a indiqué le même jour que la pluie maintenait le niveau de radiation élevé à proximité du site de l’accident.

Voici les règles diffusées à la radio et à la télévision le lendemain de l’accident, selon une dépêche AFP :
— Vous pouvez empêcher totalement les effets des substances radio-actives en vous calfeutrant chez vous.
— Le niveau des radiations autour du site peut changer en raison du vent et de la pluie mais ailleurs il est extrêmement bas et ne représente pas de menace pour la santé.
— A tout hasard, abstenez-vous d’aller dehors. Fermez portes et fenêtres, n’utilisez pas les ventilateurs ou la climatisation.
— Si vous devez absolument utiliser un véhicule, fermez les fenêtres.
— Abstenez-vous de moissonner jusqu’à nouvel avis de la préfecture.
— Abstenez-vous de boire l’eau de puits ou l’eau de pluie mais l’eau du robinet est potable.
Rues désertes, magasins et écoles fermées, fenêtres closes malgré la chaleur : Tôkaï-mura ressemblait vendredi matin à une ville fantôme. Des policiers, dont le visage est protégé par des masques, limitaient les entrées et les sorties. Les autorités tentaient de calmer les inquiétudes des habitants. ” Il n’y a plus de risque de nouvelles émissions de radiation “, a expliqué un responsable municipal, dont la voix était relayée par les haut-parleurs accrochés dans les rues. La circulation des trains locaux a été suspendue.

Selon l’Agence pour la Science et la Technologie, la dose à la limite du site était de 0,84 mSv par heure alors que la norme pour la population est de 1 mSv par an. A 17h, le jour de l’accident, la dose mesurée au sud du centre a atteint 4 mSv par heure. (Yomiuri Shimbun, 1/10/1999)

Les deux ouvriers, Husachi Ouchi, âgé de 35 ans, et Masato Shinohara, âgé de 39 ans, présentent des symptômes, dus à de fortes radiations, qui sont difficiles à soigner. Le troisième ouvrier, Yutaka Yokokawa (54 ans), est également dans un état sérieux. Environ la moitié des personnes ayant subi des radiations d’un tel niveau sont menacées de mort dans les trente jours suivants (AFP, 1/10/1999). Ils affirment avoir vu une lueur bleue et selon une estimation de l’Agence pour la Science et la Technologie (STA), la dose qu’ils auraient reçue atteint 17 000 mSv pour l’un d’entre eux,  10 000 et 3 000 pour les deux autres. Ces chiffres ont été obtenus en mesurant le taux de sodium 24 dans leur sang, car ils ne portaient pas de badges (qui de toute façon auraient été illisibles car surexposés). A l’heure où nous bouclons le journal, ils sont toujours en vie grâce à un effort thérapeutique extraordinaire, mais le premier d’entre eux est dans un état très grave. 109 employés étaient présents sur le site au moment de l’accident et ils vont tous subir des tests médicaux (Yomiuri, 4/10/1999).

Un accident de criticité

Le village de Tôkaï abrite un complexe nucléaire important, avec une usine de retraitement des combustibles irradiés, une usine de traitement de l’uranium et des réacteurs expérimentaux. La majeure partie de la population y travaille. L’usine où a eu lieu l’accident appartient à la Japan Nuclear Fuels Conversion Company (JCO), filiale du trust Sumitomo. ” Elle effectue la conversion d’hexafluorure d’uranium (UF6) enrichi en uranium 235, en oxyde d’uranium (UO2), en vue de la fabrication de combustible nucléaire. La conversion est réalisée par un procédé en ” voie humide ” : l’uranium, sous forme d’UF6 gazeux à l’origine, est transformé en présence d’eau, puis d’ammoniaque avant d’être calciné dans un four pour obtenir de la poudre d’oxyde d’uranium ” précise l’IPSN le soir de l’accident. Il s’agit d’une opération à risque : les neutrons émis lors de la fission d’un noyau d’uranium 235 peuvent déclencher d’autres fissions et provoquer ainsi une réaction en chaîne qui est difficilement contrôlable et qui s’accompagne d’un fort dégagement d’énergie et de rayonnement. Lorsqu’une masse suffisante de matériau fissible est rassemblée, une telle réaction peut démarrer toute seule. On parle alors de masse critique et d’accident de criticité. C’est l’accident le plus redouté par l’industrie nucléaire. Le Yomiuri ajoute que, le jour de l’accident, l’uranium était importé de France et destiné au surgénérateur expérimental Jôyô (1/10/1999). Cela signifie que le taux d’enrichissement est supérieur à la normale (18,8 % d’U235 au lieu de 5 %) et que l’uranium devait être mélangé à du plutonium pour en faire du MOx par la suite. Dans ce cas la masse est beaucoup plus faible. D’après les responsables, l’usine produit habituellement 718 tonnes par an de combustible nucléaire enrichi à 5%. Une ou deux fois par an environ, ce taux est plus élevé et l’usine n’est pas équipée pour prévenir et arrêter une réaction en chaîne (Asahi, 1/10/1999).

Une quantité de 16 kg d’uranium a été versée dans une cuve de décantation, habilitée à n’en recevoir que 2,3 kg. La masse critique ayant été dépassée, cette mise en présence de matière nucléaire fissile a déclenché une réaction nucléaire en chaîne incontrôlée avec une émission intense de rayons gamma et de neutrons. La réaction nucléaire a tendance à disperser l’uranium et donc la réaction s’arrête, mais dans une cuve, l’uranium se remélange et la réaction repart. Ce cycle s’est répété plusieurs fois pendant des heures. La réaction est favorisée par l’eau dans la solution qui a tendance à ralentir les neutrons, comme dans un réacteur nucléaire, et par l’eau de refroidissement qui entoure la cuve et qui a tendance à réfléchir les neutrons vers la cuve. (New Scientist, 9/10/1999). Les autorités japonaises estiment à 22.5 kilowatt-heure l’énergie dégagée par la réaction (Yomiuri, 5/11/1999)

” La conversion de l’UF6 en UO2 dans les usines françaises de fabrication de combustible est effectuée par un procédé en ” voie sèche ” : l’UF6 gazeux est transformé directement en poudre d’UO2 dans un four en température, par action de vapeur d’eau et d’hydrogène gazeux. Quel que soit le procédé de conversion d’uranium enrichi en uranium 235, des dispositions doivent être prises à l’égard des accidents de criticité. ” ajoute l’IPSN.

Des employés sacrifiés

Ce n’est que vers 3 h du matin, le vendredi, que des employés ont tenté d’arrêter la réaction en pompant l’eau de refroidissement entourant le récipient et en versant du borate de sodium pour absorber les neutrons. 16 d’entre eux ont alors été sérieusement irradiés. 6 auraient reçu des doses supérieures à 50 mSv et même jusqu’à 91 mSv pour l’un d’entre eux. (Asahi, 1/10/1999) Un membre de la commission gouvernementale de sécurité nucléaire a confirmé la fin de la ” criticité ” sur le site à 6H15 vendredi matin, près de vingt heures après son déclenchement, mais les mesures de confinement de la population ont été maintenues. 29 heures après le déclenchement de la réaction, le gouvernement a finalement levé la mesure de confinement. Seuls les habitants à moins de 350 mètres du site n’ont pu retrouver leur logis et les alentours proches de l’usine sont restés interdits d’accès. (AFP, 1/10/1999) La commission de sûreté nucléaire a alors pris le risque d’exposer 16 employés à plus de 100 mSv, qui est la dose maximale en cas d’accident, pour arrêter la réaction. Après l’accident de Tchernobyl, la CIPR avait recommandé d’augmenter cette limite à 500 mSv, mais le Japon n’avait pas suivi (Yomiuri, 8/10/1999). Les ouvriers qui sont intervenus ont pris des doses bien supérieures à ce qui avait été estimé auparavant car leur dosimètre n’avait que 2 chiffres ! Ainsi la personne qui est allée la première pour photographier la cuve avant d’intervenir a pris une dose de 120 mSv et non 20 mSv comme annoncé. Cela a été reconnu par la STA le 15 octobre. (Magpie News report n°20, 16/10/99)

L’environnement contaminé

Le gouvernement japonais a levé le samedi la dernière mesure de sécurité : quatre-vingt trois habitants ont été autorisés en fin d’après-midi à retrouver leur foyer, plus de deux jours après en avoir été évacués dans l’urgence. Tout est donc officiellement retourné à la normale à l’extérieur immédiat du site, mais la récolte de riz qui s’annonce va être placée sous surveillance. (AFP, 2/10/1999) Il a, en outre, reconnu que la réaction des pouvoirs publics avait été trop lente. (AFP, 1/10/1999) Ces retards auraient pu être extrêmement graves pour la santé publique. La cinquantaine de familles qui vivaient dans un périmètre de 350 mètres autour de l’usine n’a reçu l’ordre d’évacuer les lieux que… cinq heures après l’accident. Or, selon les experts, les rayonnements radioactifs émis par la matière en fission pouvaient passer à travers un mur de béton de 2 mètres d’épaisseur. (Libération 6/10/1999)

” Nous n’avons détecté aucun signe de contamination qui pourrait affecter (la population) au delà des zones situées à proximité (de l’usine où s’est produit l’incident) “, a affirmé un responsable du département de sécurité nucléaire de l’Agence des Sciences et Technologies du gouvernement. Le gouvernement a classé l’incident survenu à l’usine de Tokaï-mura dans la ” catégorie 4 “, ce qui signifie pourtant, selon les normes internationales, qu’il y a eu une fuite d’une faible quantité de matériau radioactif. L’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) a précisé que cette classification était provisoire. (Reuters, 1/10/1999). Cet accident, considéré comme le pire de l’histoire nucléaire du pays, est le plus ” significatif ” depuis celui de Tchernobyl (Ukraine) en 1986, a estimé le porte-parole de l’AIEA mais, contrairement à l’accident de Tchernobyl, ” ceci n’est pas un accident qui laissera de la contamination résiduelle dans l’environnement “. (AFP, 2/10/1999) La STA hésite à classer au niveau 5 cet accident, ce qui signifie qu’il a fait courir d’énormes risques à la population des environs. L’accident de Three Miles Island était aussi classé 5. (Yomiuri, 7/10/1999)

Le taux de radioactivité autour du complexe nucléaire japonais de Tôkaï-mura était en baisse mais toujours à un niveau anormal en dépit des assurances gouvernementales, quatre jours après l’accident, a affirmé Greenpeace. L’organisation a ainsi constaté un taux de 0,4 millisieverts par heure lundi, contre 0,54 dimanche, sur une route située à trente mètres du complexe. Avant l’explosion nucléaire, le taux moyen était de 0,1 millisieverts. Ils sont normaux à une distance de 200 mètres de l’usine (AFP, 4/10/1999).

Selon un calcul fait par les scientifiques du CNIC (Citizens’ Nuclear Information Center), la quantité de radioéléments rejetés dans l’environnement est de l’ordre de 1016 à 1017 Bq (soit 10 à 100 TBq). Ce chiffre est basé sur une analyse du contenu de la cuve qui laisse présager que 1018 fissions ont eu lieu, ce qui correspond à environ 1 mg d’uranium. Mais comme l’échantillon provient du haut de la cuve, il sous-estime probablement la réalité.

D’après une estimation faite par des universitaires, les habitations situées à 100 m du site auraient subi une dose neutron totale de 100 mSv. Ces résultats sont basés sur des analyses de zinc dans des pièces de 5 yens. Pour des habitations à 150 m cette dose est de 40 mSv. Les habitants ayant été évacués, la dose reçue est donc inférieure. (Yomiuri, 4/10/1999).
Douze jours après l’accident, des matières radioactives continuaient à se répandre dans l’atmosphère en raison d’un ventilateur défectueux. Les responsables de l’usine se sont aperçus la semaine précédente, lors de l’ouverture du ventilateur défaillant, que le niveau de radioactivité y était deux fois supérieur à la limite de sécurité. JCO a scellé depuis toutes les portes et fenêtres de l’usine. (AP, 11 octobre 99) Neuf jours après l’accident, de l’iode 131, 132 et 133 y a été détecté à des taux atteignant 21 Bq/m3 pour l’iode 131 alors que la limite d’autorisation de rejet est de 1 Bq/m3. De l’iode 131 a été mesuré jusqu’à 70 km au sud de l’usine, mais à 0,044 Bq/m3. Les autorités ont présenté leurs excuses pour n’avoir pas fait les mesures plus tôt. (Yomiuri, 13/10/1999). Greenpeace a aussi trouvé du sodium 24 dans le sel de cuisine d’une habitation, laissant penser qu’il a été irradié par des neutrons.
Selon une première étude, 8 personnes sur 150 examinées semblent montrer des dommages au niveau de leur ADN. Il s’agit de tests effectués sur les urines de 27 employés et 123 résidents situés à moins de 350m de l’accident. (Yomiuri, 10/11/99)

Le site a été entouré de sacs de sable contenant de la poudre d’aluminium pour arrêter les neutrons et du béton pour arrêter le rayonnement gamma. Le sort de l’usine n’est pas connu car on ne sait pas quand il sera possible de démanteler la zone sans faire courir de risques trop grands aux travailleurs. (Informations complémentaires issues de source associative)

Chercher l’erreur humaine

L’accident est vraisemblablement dû à une erreur humaine d’employés du site, a indiqué le directeur-général du groupe Sumitomo Metal Mining, son propriétaire. ” Honnêtement, je n’avais jamais pensé qu’une telle chose puisse survenir “, a-t-il ajouté. ” Je présente mes profondes excuses pour le trouble immense causé aux habitants ” proches du site, a-t-il poursuivi. (AFP 1/10/1999) Mais la compagnie a reconnu, par la suite, avoir opéré selon des normes de production illégales au cours des quatre dernières années, en changeant la procédure d’exploitation sans l’accord des services gouvernementaux (AFP, 3/10/1999). La thèse de ” l’erreur humaine ” sera néanmoins souvent mise en avant par la presse française.

Des employés de l’usine ont été interrogés par la police et au terme de l’enquête, les responsables de JCO pourraient être poursuivis sur le plan pénal pour négligence professionnelle. Au lieu d’utiliser une colonne de dissolution, les employés versaient la solution d’uranium à l’aide de récipients en acier inoxydable, similaires à des seaux, puis remuaient à la main la cuve de mélange. Pour chauffer la cuve, les ouvriers utilisaient une plaque électrique de cuisine, afin d’accélérer la dissolution. La veille de l’accident, les employés avaient déjà versé 4 seaux dans la cuve, soit environ 9,2 kg, dépassant la masse critique de 1,2 kg, mais la réaction en chaîne n’a démarré que quand ils ont versé les 3 seaux restants.

Pour les employés, ces procédures, c’était ” devenu une routine ” car cela durait depuis 4 ou 5 ans ” pour aller plus vite “. Ils suivaient ainsi les recommandations d’un manuel illégal, rédigé au siège de JCO à Tôkyô et signé par 6 ” responsables “. L’enquête menée par la police tend à montrer que la direction de l’usine a encouragé les employés à simplifier les procédures pour gagner du temps car la compagnie faisait face à des difficultés financières depuis 5 ou 6 ans, l’oxyde d’uranium importé étant moins cher. Le nombre d’employés est passé de 180 en 1984 à 110 actuellement. Une enquête du Asahi (7/10/1999) auprès des employés révèle que des manuels d’instruction secrets et illégaux étaient utilisés depuis plus de dix ans (Yomiuri des 4 et 11/10/1999, 5/11/1999, Asahi des 4, 7 et 20/10/1999).
Deux des trois employés gravement irradiés n’avaient aucune expérience de ce genre de manipulation et le troisième n’avait travaillé que quelques mois dans cette unité. Il a admis qu’il ne connaissait pas la signification du mot ” criticité “. (Libération, 04/10/99)

Cet accident souligne les risques encourus par l’emploi massif de personnes non qualifiées et d’intérimaires dans l’industrie nucléaire, souvent traités comme des ” esclaves du nucléaire “. Plus de 5 000 personnes seraient employées en CDD par an. Récemment, un nombre croissant de SDF, attiré par les salaires élevés, ont été employés pour faire le ” sale boulot “. Matsumoto-san, vivant dans un parc de Tokyo, a raconté qu’il a été embauché 3 mois pour balayer dans une autre usine de Tokai-mura et que ses chefs lui disaient de ne pas s’inquiéter quand son badge sonnait. Depuis, il se sent malade et la compagnie refuse de lui payer des compensations. Le sujet est peu abordé par la presse japonaise qui craint des représailles de la mafia (yakuza) qui organise le recrutement des intérimaires. (BBC, 29/10/1999)

Un accident jamais envisagé

L’accident n’avait pas été prévu, non plus, par la direction de l’usine et aucune mesure d’urgence n’était en place pour faire face à une réaction en chaîne. Il n’y a aucune structure pour arrêter la réaction et pour contenir la radioactivité en cas d’accident. Comment de telles lacunes ont-elles pu échapper à la vigilance des autorités de sûreté japonaises ? Les visites d’inspection sont pourtant les mêmes que pour une usine de retraitement où l’on extrait du plutonium, ce qui laisse présager le pire, avec des risques bien plus grands. (Yomiuri, 4/10/1999)
Par exemple, il n’y avait pas assez d’appareils pour mesurer le taux de neutrons et les autorités ont mis beaucoup de temps avant de réaliser qu’il s’agissait d’un accident de criticité. Une véritable surveillance n’a pu commencer que 6h après l’accident à l’aide de détecteurs prêtés par un institut de recherche. Les neutrons sont pourtant très nocifs et les taux mesurés ont atteint 4,5 mSv/h autour de l’usine. Les 21 stations de surveillance du village de Tôkaï gérées par les autorités ne sont équipées que de détecteurs gamma. Les autorités locales ont deux détecteurs de neutrons portables, mais n’ont pas de personne qualifiée pour s’en servir… Les mesures de rayonnement gamma, quant à elles, n’ont débuté qu’une heure après l’accident. (Asahi et Yomiuri, 4/10/1999)

Le gouvernement japonais n’a mené aucune inspection du complexe nucléaire de Tôkaï-mura depuis 1992, a reconnu un responsable de l’Agence des Sciences et des Techniques. Il a précisé que ces inspections n’étaient pas légalement obligatoires et qu’elles avaient été stoppées ” par manque de main d’œuvre “. ” La réglementation nucléaire oblige le gouvernement à inspecter la sécurité des sites nucléaires chaque année mais la mesure ne s’appliquait pas à proprement parler à JCO parce que cette société était considérée comme une entreprise de production de combustible ” pour les centrales. (AFP, 9/10/1999)

Les autorités japonaises de l’énergie ont annoncé la mise en oeuvre d’un plan national de vérification de toutes les installations nucléaires du pays. Le gouvernement est la cible de critiques croissantes de l’opinion publique qui lui reproche d’avoir fait preuve de laxisme dans le contrôle des installations nucléaires. (Reuters, 4/10/1999) Les autorités locales ont refusé le redémarrage de l’usine de retraitement expérimental de Tôkaï-mura, ce qui pourrait entraîner la fermeture du réacteur expérimental Fugen, dans la préfecture de Fukui, dont les piscines d’entreposage de combustible irradié sont pleines. Des centrales nucléaires commerciales pourraient aussi avoir des problèmes similaires. L’usine de retraitement avait été arrêtée en 1997 à la suite d’un incendie et d’une explosion qui irradia trente-sept employés. Les autorités locales devaient donner leur feu vert le 30 septembre, mais l’accident dans l’usine JCO qui a eu lieu le matin même les a fait revenir sur leur décision. (Asahi, 6/10/1999)

La poursuite du programme nucléaire civil…

La compagnie JCO s’est vue retirer son autorisation de faire fonctionner son usine. C’est la première fois que cela arrive dans l’industrie nucléaire japonaise (Yomiuri, 7 oct). Une inspection rapide de 20 usines nucléaires (autres que des centrales) entre le 4 et le 30 octobre 1999 a montré que les règles de sécurité en matière de criticité n’étaient pas respectées sur 17 sites. (Yomiuri, 09/11/1999) Dans l’usine de retraitement des combustibles irradiés voisine, cela fait 17 ans que le système supposé prévenir les réactions en chaîne est défectueux. Au lieu de réparer, des procédures alternatives manuelles ont été mises en place.

Mais, la ligne officielle ne change pas, le Japon va poursuivre son programme nucléaire. Le ministre de la Science et de la Technologie, Hirofumi Nakasone, a réaffirmé que  “l’énergie nucléaire est nécessaire au développement du Japon” et que  “le gouvernement fera tout pour rétablir la confiance de la population”. Mais l’accident risque de peser sur les choix futurs du pays : le chargement de réacteurs commerciaux avec du Mox, un mélange d’uranium et de plutonium, pourrait par exemple être retardés. Deux navires transportant du MOx produit en France et en Grande-Bretagne sont arrivés au Japon, juste avant l’accident de Tôkai-mura. Ils ont été accueillis par des manifestations hostiles d’une poignée de militants antinucléaires japonais. Ce combustible doit être brûlé dans des réacteurs japonais pour la première fois dans quelques mois. A terme, le Japon a prévu de consommer du MOx en grande quantité. Mais l’opinion est de plus en plus critique sur ce sujet. Prenant les devants, la compagnie d’électricité du Kyushu a décidé de geler son programme d’utilisation de ce combustible. (Libération, 6/10/1999)
NDLR : L’accident a reporté de quelques jours un remaniement ministériel. Le nouveau ministre de la Science et de la technologie est Monsieur Nakasone, ancien premier ministre qui, il y a 40 ans environ, avait fait voter un budget pour le développement de l’industrie nucléaire au Japon. Une nomination significative… L’ancien ministre était Monsieur Arima, physicien nucléaire de renommée internationale.

… et militaire ?

Le nouveau vice-ministre de la Défense a, quant à lui, déclaré, dans une interview à Playboy, que le Japon devait se doter de l’arme nucléaire. Face au tollé provoqué par ses propos, il a dû démissionner le jour même, mais maintient son point de vue. L’arme nucléaire demeure un tabou au Japon. (Mainichi 20/10/1999 et Yomiuri 21/10/1999) Selon des documents déclassifiés du pentagone, l’armée américaine a maintenu des éléments d’armes nucléaires au Japon de 1954 à 1965, officiellement à l’insu des autorités japonaises. Des  armes nucléaires complètes étaient en état d’alerte à Okinawa jusqu’en 1972. Il y en a eu jusqu’à 1200 en 1967, de 19 sortes, ce qui a correspondu à un tiers de la force de frappe américaine en Asie. C’est la première fois que les Etats-Unis reconnaissent ces faits. (Yomiuri, 21/10/1999)

Le ministre japonais de la Planification économique, Taichi Sakaiya, a déclaré qu’il ne pensait pas que l’accident nucléaire survenu la veille dans l’usine de Tôkaï-mura aurait des conséquences négatives sur l’économie, la Bourse ou les marchés des changes du Japon. (Reuters, 1/10/1999) Nous voilà rassurés !


Note 1 : Le Yomiuri, Asahi et Mainichi sont trois quotidiens japonais qui ont aussi une édition en anglais.

Note 2 : Le jour même de l’accident, l’ACRO a proposé ses services à de nombreuses associations japonaises et à une université avec qui nous avons des contacts, car il n’y a pas de laboratoire indépendant au Japon. Il semblerait que les associations ont pu faire faire des analyses auprès des laboratoires universitaires japonais.


Compléments

• publié dans l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000 :

Le nombre de personnes irradiées en septembre lors de l’accident nucléaire à l’usine de retraitement de Tôkaï-mura a été officiellement relevé de 70 à 439. Le nouveau bilan prend en compte les personnes habitant non loin de l’usine, située à 140 km au nord-est de Tôkyô, et les employés de l’usine non protégés contre la radioactivité au moment de l’accident. Parmi les personnes irradiées, 207 habitaient dans un rayon de 350 mètres de l’usine et les autres étaient des employés de l’usine ou du personnel de secours. (Reuters, 1/2/2000) Le Président de la compagnie (JCO) a annoncé qu’il allait démissionner. (AP, 25/2/2000). Un ouvrier qui avait été gravement irradié est décédé. Masato Shinohara avait 40 ans. Il s’agit du deuxième décès. Le troisième ouvrier gravement touché, Yutaka Yokokawa, a quitté l’hôpital en décembre. (AP, 27/4/2000)

• publié dans l’ACROnique du nucléaire n°52, mars 2001 :

Six anciens cadres et employés de la société JCO ont été arrêtés par la police dans le cadre de l’enquête sur l’accident de Tôkaï-mura il y a un an, le plus grave de l’histoire du nucléaire civil au Japon. Les six hommes sont soupçonnés de négligence professionnelle mais les enquêteurs souhaitent également inculper JCO en tant que société car ils estiment que toute une série de règles de procédure ont été enfreintes. (Reuters, mercredi 11 octobre 2000) Le nombre de personnes irradiées lors de cet accident a été revu officiellement à la hausse. 229 personnes, des chauffeurs, journalistes, des officiels… ont été ajoutés à la liste qui comporte maintenant un total de 667 personnes. (CNIC Report [39] Oct.16 2000)

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Appel à l’aide de Hidaka Yuzo

Yuzo Hidaka est libre depuis le 16 juin


Yuzo Hidaka était emprisonné depuis bientôt un an au Japon pour avoir aspergé de spray, pendant la cérémonie de signature, un document autorisant la création d’un centre de stockage de déchets nucléaires de haute activité. Ses amis nous ont appellé à l’aide, comme en témoigne la lettre reçue par l’ACRO et traduite ci-dessous.

Merci à tous ceux qui ont écrit pour demander sa libération.

Afin d’assurer sa défense, il cherche à être en contact avec des Français qui ont du faire face à des problèmes similaires. Vous pouvez lui ecrire directement en anglais ou japonais ou nous ecrire, nous transmettrons.


Tokyo, le 10 mai 1999

Monsieur,

Je vous écris à propos de Yuzo Hidaka qui est un ami. Yuzo a été arrêté le 30 juillet 1998 et mis en examen. Trois charges ont été retenues contre lui pour son action montrant sa forte opposition à l’accord conclu entre le gouvernement local de la province d’Aomori, la municipalité de Rokkasho et la compagnie Gen-nen. L’accord devait faire du village de Rokkasho un centre de stockage pour des déchets radioactifs de haute activité provenant de France. Yuzo Hidaka est toujours en prison.

Il est accusé

  1. d’avoir assisté à la cérémonie de signature de l’Accord en se déguisant en journaliste ;
  2. d’avoir aspergé de spray la couverture du document après qu’il ait été signé par les trois parties, exprimant ainsi son objection à l'”Accord de Sûreté” qui apparaît comme une conspiration.

Il n’a blessé personne. Les charges retenues contre lui sont

  1. intrusion dans un bâtiment (pas de force pourtant),
  2. destruction d’un document officiel (seule la couverture, pourtant) et
  3. obstruction du travail des autorités.

La sûreté du stockage n’a pas été prouvée et de fortes suspicions et inquiétudes ont été exprimées par les habitants de Rokkasho et de la province d’Aomori. La cérémonie de signature, qui était organisée secrètement, signifiait la supression unilatérale du dialogue entre les habitants et les autorités locales.

Yuzo Hidaka est placé en isolement. Il ne peut rencontrer ou communiquer avec personne, sauf son avovat et sa mère depuis plus de cinq mois. La durée de sa détention est anormalement longue et non justifiée. Il a exprimé clairement qu’il n’avait pas l’intention de s’enfuir ou de dissimuler des preuves de son crime. La police a entièrement fouillé sa maison après son arrestation, il n’a plus rien à cacher. Les audiences ont eu lieu une fois par mois à la Cour du district depuis décembre 1998. Il a toujours affirmé que son acte avait un but légitime et était justifiable. Vous trouverez ci-joint quelques coupures de presse en japonais.

Etant donné que des actions similaires en Europe ou en Corée du Sud ont conduit à l’acquitement des militants anti-nucléaires, nous avons le sentiment que Yuzo a été lourdement puni, avant même d’avoir été condamné.

Nous serions très reconnaissants si vous pouviez aider Yuzo Hidaka de quelque façon. Vous pouvez m’ecrire m’écrire si vous avez des questions ou des messages pour Yuzo. Vous pouvez lui écrire directement en japonais à l’adresse suivante : 88-2 Arakawa Fujito, Aomori 030-0111, Japon.

Amicalement,
Yuriko Moto.

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Tchernobyl : une catastrophe en devenir

timbres commémoratifs du Bélarus
timbresPar Laurent Bocéno, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand du Laboratoire d’Analyse Sociologique et Anthropologique du Risque (LASAR) de l’Université de Caen. ACROnique du nucléaire n°41, juin 1998.


Ayant effectué récemment, en décembre 1997, un voyage en Bélarus dans le cadre d’un contrat de recherche européen sur les conséquences de Tchernobyl, il nous apparaît important d’évoquer ici la situation des populations les plus affectées par l’explosion du réacteur n°4 de la centrale ukrainienne, au moment où des informations sur les répercussions, en France, du passage du “nuage” nous rappellent l’incidence planétaire de cet évènement.


Loin d’être un accident circonscrit dans le temps et dont on pourrait aujourd’hui dresser un bilan définitif, il convient au contraire de le considérer comme une tragédie sans fin dont les effets proporement catastrophiques commencent seulement à se manifester. Reconnaître que “les populations du Bélarus, de l’Ukraine et de la Russie, dans une certaine mesure, se ressentent encore de ces conséquences”, comme s’y résolvent les experts de l’OCDE [ 1], est un doux euphémisme pour signifier la durabilité et la gravité des séquelles engendrées par l’accident survenu il y a douze ans.

L’observation de la situation d’une région contaminée du Bélarus laisse penser qu’on a bien là affaire à une bombe à retardement dont les effets se déploient dans tous les registres de la société. “La catastrophe est un arbre qui pousse”, telle est l’image employée par certaines personnes interrogées pour signifier l’aggravation qu’elles perçoivent de la situation. L’absence de limites spatiales, et surtout temporelles, aux effets de l’accident ne permet pas d’établir et d’évaluer le moment qui en marquera la fin, la capacité du nucléaire à coloniser l’avenir trouvant dans les conséquences à long terme des catastrophes une de ses manifestations les plus douloureuses. Face à la banalisation dont fait l’objet cette catastrophe, il nous semble nécessaire de livrer dans ce journal quelques témoignages et analyses relatifs à notre expérience de terrain, alors même que la centrale de Tchernobyl continue de constituer une menace pour les populations, l’état du sarcophage ainsi que celui du dernier réacteur encore en fonctionnement étant jugés fortement préoccupants par les spécialistes en sûreté nucléaire.

Complexité de la situation post-catastrophique

Les retombées radioactives dues à l’accident survenu le 26 avril 1986 en Ukraine ont contaminé durablement un territoire essentiellement rural, équivalent à un quart de la France. Environ quatre millions de personnes vivent aujourd’hui en zone contaminée, en Russie et dans les nouveaux États indépendants (N.E.I.) du Bélarus et d’Ukraine. Le cas du Bélarus est particulièrement révélateur du caractère véritablement catastrophique de la situation dans la mesure où de toutes les Républiques de l’ancienne Union Soviétique, c’est celle qui est proportionnellement la plus touchée avec 23% de son territoire contaminé, où vivent plus de deux millions de personnes, soit un cinquième de la population totale. Par ailleurs, l’ensemble des problèmes que connaissent à des degrés divers ces Républiques s’y trouve concentré. Les conséquences sanitaires et psychiques de l’irradiation et de la contamination [ 2] se combinent en effet avec l’existence de nombreuses sources de pollutions d’origines agricole et industrielle, mais aussi avec la crise politique et idéologique qu’a entraîné le démantèlement de l’URSS, l’effondrement des secteurs industriel (diminution de 80% des marchés liés à l’industrie de l’armement soviétique) et agricole (abandon de nombreuses productions, baisse de 50% de la main d’œuvre agricole, gel des terres les plus contaminées), l’inflation des problèmes économiques et sociaux (non paiement des salaires par l’État, décompositions familiales, suicides, alcoolisme, carences alimentaires…), la dégradation générale de la santé des personnes et surtout, l’instauration d’un régime totalitaire depuis 1994, basé sur la coercition, la menace et la peur.

Tous ces problèmes sont étroitement intriqués et il est impossible de rendre compte des conséquences de Tchernobyl sans les appréhender simultanément. Le découpage de la réalité post-catastrophique en fonction des multiples disciplines concernées et de la division du travail entre les chercheurs s’avère sans réel fondement pour les ” victimes de Tchernobyl “, les habitants des zones contaminées qui subissent en bloc ces conséquences dans leurs multiples dimensions : le territoire dans lequel ils vivent est contaminé, leur santé et celle de leurs enfants est atteinte ou menacée, et aux problèmes psychologiques – stress et anxiété – qu’ils éprouvent s’ajoute l’accumulation des pénuries liées à la crise sociale, politique et économique que traverse le Bélarus.

Faire face à la contamination

La présence durable de la contamination radioactive dans une large partie du pays confronte les habitants à un risque résiduel et persistant. Que le risque associé à la présence de radionucléides dans l’environnement et l’alimentation soit dénié ou occulté, qu’il soit pris en compte et favorise éventuellement l’adoption de mesures protectrices ou qu’il soit exacerbé et suscite une inquiétude profonde chez certaines personnes, la contamination apparaît comme une donnée de la vie quotidienne, une présence qui conditionne les rapports pratiques et symboliques que les personnes entretiennent avec le milieu ” naturel “. Toutefois, le caractère permanent, tout au moins à l’échelle d’une génération, de la contamination et les difficultés éprouvées tant par les scientifiques que par la population à identifier précisément ses effets sur la santé contribuent à atténuer la vigilance de personnes qui disent s’être habituées, sinon physiquement du fait d’une immunisation de leur organisme, du moins psychologiquement en raison même de la durabilité de la situation radiologique due à l’accident. Nous avons en effet pu constater, au cours de notre enquête, que les pratiques de radioprotection étaient extrêmement limitées et en régression, ceci pour de multiples raisons dont on ne citera ici que les principales.

Tout d’abord, la réalité du danger n’a été révélée aux populations de la région où nous nous sommes rendus (district de Kastiokovitchi, à 250 Km au nord de Tchernobyl), au travers des mesures de relogement, que quatre ans après l’accident. Ensuite, les insuffisances des dispositifs publics de gestion post-accidentelle mis en oeuvre à partir de 1991, après l’accès du Bélarus à l’indépendance, et l’absence de moyens disponibles pour mettre en pratique des solutions viables et durables témoignent de l’impuissance des responsables politiques et scientifiques à ” liquider ” les conséquences de l’accident, objectif irréalisable et par ailleurs incompatible avec le caractère irréparable et irréversible que revêt, pour les populations touchées, la situation post-catastrophique qui les contraint à vivre dans un environnement irrémédiablement dégradé. Enfin, il existe actuellement une volonté politique de réhabilitation des territoires contaminés qui rejoint le désir d’une partie de la population de vivre ” normalement “, comme avant l’accident. Cette volonté politique, en ce qu’elle vise essentiellement le redéploiement de l’activité économique et le redémarrage de la production agricole, conduit à une relativisation de la problématique de radioprotection qui risque de s’avérer dommageable à long terme sur le plan sanitaire. La reprise, par les habitants des zones contaminées, de leurs anciennes habitudes de vie et l’adoption de comportements de déni de réalité répondent à l’aspiration globalement partagée d’en finir avec plusieurs années d’efforts et de sacrifices consentis et de retrouver des conditions de vie moins contraignantes sur le plan de la protection radiologique. La politique de l’actuel gouvernement conforte ces attitudes en tentant de banaliser la catastrophe et de nier la réalité des risques encourus.

L’alimentation comme premier souci

On assiste en fait, au milieu des ruines des bâtiments abandonnés suite à la contamination et aux mesures de relogement, dans des villages aux allures parfois fantomatiques, à la réémergence de pratiques paysannes qui constituent pour les habitants une condition sine qua non de la survie collective. La grave récession économique que connaît le pays depuis quelques années amène la population à se détourner du circuit public d’approvisionnement, la nourriture étant excessivement chère et souvent peu abondante dans les magasins d’État. Nous avons ainsi rencontré une jeune femme médecin qui, pour combler le déficit du salaire qu’elle perçoit de l’État [ 3], cultivait un jardin potager, possédait une vache, deux porcs, et des volailles. Ceci ne procédait pas, comme en France, d’un choix esthétique ou d’un quelconque désir de nature, mais bien d’une impérieuse nécessité économique. Une autre personne interrogée nous a avoué parcourir tous les mois jusqu’à 1000 Km en autocar pour s’approvisionner auprès de ses parents, à l’autre bout du pays. Le recours au mode de production domestique, aux solidarités locales et, en particulier, familiales, se révèle en effet indispensable à la survie quotidienne dans un contexte de pénurie. En milieu urbain, les difficultés sont d’autant plus importantes que les individus ne disposent pas de parcelle cultivable ou de parents résidant en zone rurale et susceptibles de leur procurer un complément, voire parfois l’essentiel de leurs besoins alimentaires. Ainsi, loin d’avoir un comportement suicidaire, des personnes restent dans les territoires contaminés où elles possèdent des lopins de terre et les cultivent pour nourrir leurs familles qui résident en zone ” propre “.

Le problème de l’autoproduction

La préoccupation quotidienne consiste ainsi, pour beaucoup, à se procurer de la nourriture qui provient donc en grande partie de l’autoproduction. La limite première de cette dynamique tient dans le fait que les habitants consomment des denrées alimentaires issues de leurs jardins et des forêts, et sont donc contaminées. Ils se chauffent, en outre, avec du bois contaminé et amendent leur terre avec de la cendre radioactive. Ils nourrissent aussi les chevaux, qui constituent bien souvent leur seul moyen de locomotion, avec du foin contaminé, le crottin contaminé étant intégralement utilisé. Le cycle de l’autoconsommation constitue donc un facteur aggravant dans la mesure où la contamination y est sans cesse ” recyclée “. C’est donc l’impossible mise en pratique d’une théorie selon laquelle on pourrait vivre sur un territoire contaminé pour autant qu’on ne s’alimente qu’avec des produits sains, alors qu’une part importante de l’alimentation de la population bélarusse provient de sols contaminés, comme les champignons qui constituent un mets très prisé dans une alimentation de survie.

Il n’est de toute façon plus question, pour ceux qui sont restés, de mobilité, de voyage, de fuir, de penser une quelconque trajectoire sociale ou professionnelle car ils sont assignés à (sur)vivre dans une zone contaminée : la politique de relogement a été stoppée et ils n’ont pas les moyens de partir [ 4]. Les relations familiales et de voisinage constituent, dans ce sens, l’ultime condition d’une vie sociale, tous les espaces intermédiaires entre l’individu et l’État ayant été liquidés : l’association n’existe pas, pas plus que les lieux de rencontre.

Discrédit des autorités

Le silence mensonger, évoqué plus haut, des autorités soviétiques les premières années qui ont suivi l’accident a durablement, sinon définitivement, ébranlé la confiance de la population envers les responsables politiques, aujourd’hui encore soupçonnés de subordonner la protection des habitants à la faisabilité économique des mesures envisageables. Les décisions en matière de radioprotection résultent de fait autant de choix politiques que de considérations d’ordre strictement scientifiques. On en donnera simplement deux exemples : le choix, d’abord, de la définition de zones très fortement contaminées (plus de 40 Ci/km) à faiblement contaminées (entre 1 et 5 Ci/km) et l’élaboration de cartes de contamination qui prennent en compte un élément radioactif (le césium 137) alors que les spécialistes reconnaissent l’existence de divers cocktails de radioéléments irrégulièrement répartis sur le territoire ; ou encore le choix du déplacement de populations de zones très contaminées vers d’autres zones moins contaminées.

De la même façon il n’est accordé aucune crédibilité aux contrôles et informations officiels. Ainsi, le recours aux services des laboratoires de contrôle radiologique de l’environnement et de l’alimentation, pourtant gratuits, est quasiment inexistant. Même si la pénurie alimentaire ne permet pas aux familles de se débarrasser des vivres dont la contamination est supérieure aux normes bélarusses, c’est surtout parce qu’ils ne font pas confiance aux responsables scientifiques, trop liés aux autorités, que les habitants ne contrôlent plus la nourriture issue de la production privée ou des activités de cueillette et qu’ils ne respectent plus les nombreuses interdictions qui régissent aujourd’hui encore la vie en zone contaminée. Dès lors, il apparaît indispensable de diversifier et décentraliser la production des informations concernant la situation radiologique dans la mesure où certaines sources sont systématiquement tenues en suspicion. Assurer et promouvoir la pluralité des activités de contrôle et d’expertise se révèle alors vraisemblablement comme un moyen incontournable, pour les autorités, de retrouver la confiance des populations – problème qui n’est pas, loin s’en faut, spécifique aux pays de l’ex-URSS – et semble en tout cas un élément essentiel pour une démocratisation effective des dispositifs de gestion du risque radiologique. La fiabilité des informations constitue donc une condition liminaire à l’accès des habitants des zones contaminées à l’autonomie et à la responsabilité, afin qu’ils puissent exercer réellement leur capacité de choix.

Sortir de l’impasse

La mise en place de stratégies de développement local qui visent à favoriser la possibilité, pour ces personnes, de vivre une vie dans des conditions satisfaisantes et qui ne soit pas simplement une survie surveillée, nécessite que le risque encouru ne soit pas dénié et que les conséquences actuelles et à venir de l’accident ne fassent pas l’objet d’évaluations qui ne sont trop souvent que des dissimulations. Aussi convient-il, si l’on veut contribuer un tant soit peu à la ” régénération ” de la vie dans les territoires contaminés et à l’autonomie des personnes qui y résident, de dénoncer systématiquement les tentatives de minimisation de l’appréciation des conséquences de ce qui apparaît pourtant bien comme la plus grave catastrophe industrielle et technologique qu’a connue le monde moderne, pour l’instant. Que la vérité quant à l’impact de l’accident de Tchernobyl ne soit pas réduite à la clandestinité constitue le préalable indispensable à une gestion démocratique des risques nucléaires, tant en Bélarus que dans les pays occidentaux.

Les scientifiques et autres intervenants dans l’appréhension et la gestion des conséquences de Tchernobyl doivent par ailleurs être attentifs à l’expression et l’invention des savoirs sociaux, ainsi qu’aux singularités culturelles et aux formes d’intégration de la catastrophe dans l’ordre de l’imaginaire et du symbolique. C’est en cela que l’approche socio-anthropologique peut se révéler féconde. Et si l’acceptabilité d’un risque présumé est liée, entre autre, à la légitimité scientifique des normes, celles-ci ne peuvent se prescrire sans s’articuler à une philosophie du devenir.


Résultats d’analyses de la radioactivité effectuées par l’ACRO pour le compte du LASAR dans le cadre de son étude  

Produit Césium 134 Césium 137 Expression
Miel
3,6 ± 0,8
280 ± 50
Bq/kg frais
Plat cuisiné :
Champignons + gras de porc
10,5 ± 1,3
830 ± 93
Bq/kg frais
Tourbe de chauffage
1,8 ± 0,5
132 ± 18
Bq/kg frais
Lait de ferme
25,9 ± 2,4
Bq/L
Lait UHT
4,4 ± 0,6
Bq/L
Gras de porc
0,8 ± 0,3
Bq/kg frais
Pommes
10 ± 2
Bq/kg frais
Vodka

Seuls les isotopes du Césium (134 et 137) ont été recherchés.Les prélèvements ont été effectués par le LASAR lors de leur étude en Bélarus (décembre 1997). Tous les aliments (sauf la vodka) sont contaminés en 137Cs. Quand le 134Cs est aussi présent, le rapport 137Cs / 134Cs est proche de 80, c’est une signature de l’accident de Tchernobyl. Les activités en césium 137 retrouvées dans le plat cuisiné (830 ± 93Bq/kg frais) (gras de porc + champignons) sont supérieures aux normes d’importation. Cette préparation culinaire ne pourrait donc pas être vendue en France. On s’aperçoit que le gras de porc seul a une activité très faible par rapport au plat cuisiné. On peut donc en conclure que ce sont les champignons qui ont un taux de radioactivité élevé. En ce qui concerne l’activité retrouvée dans l’échantillon de miel (280 ± 50 Bq/kg frais) elle est importante pour un tel produit.


[ 1] Cf Agence pour l’Energie Atomique de l’OCDE, Tchernobyl, Dix ans déjà, Impact radiologique et sanitaire, Paris, 1996.
[ 2] Il est impossible, de ce point de vue, d’obtenir des données officielles fiables. Il convient par ailleurs d’être circonspect quant aux estimations proposées par les agences internationales selon lesquelles, rappelons-le, seuls 31 morts sont attribuables à l’accident. Nous avons pu constater qu’environ un enfant sur deux, dans les écoles que nous avons visitées sur un mode aléatoire et sans prévenir, souffrait de problèmes de santé graves (affections thyroïdiennes, problèmes cardio-vasculaires,…). Tous les habitants de la zone, et en particulier les enfants, souffrent, globalement, d’un affaiblissement de l’organisme et des défenses immunitaires qui engendre de multiples pathologies.
[ 3] Les salaires (en moyenne 300 FF par mois) ne permettent pas de nourrir une famille de quatre personnes plus de 10 à 15 jours. Les compensations dérisoires (environ 6 FF par mois) octroyées pour vivre en territoire contaminé ne sont plus versées. L’inflation a en outre englouti toute l’épargne populaire.
[ 4] Le problème consiste à trouver simultanément un emploi et un logement, devenus rares aujourd’hui. La pénurie de logements permet à l’État de gérer les flux de populations entre les régions. Il faut attendre en moyenne dix ans pour se voir attribuer un véritable logement, soit l’équivalent, en France, d’une H.L.M. C’est par ce biais, et celui de la création programmée d’emplois dans la région où nous nous sommes rendus, que les autorités incitent la population à retourner vivre en zone contaminée. Signalons aussi que les jeunes cadres achevant leur formation, médecins ou enseignants, sont mutés d’office dans les territoires contaminés.

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