Le nouveau visage de la dissuasion, 10 ans après la fin des essais nucléaires

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°72, mars 2006


Le 19 janvier 2006, dans un discours à l’Ile Longue, le président de la république a étendu les « intérêts vitaux » de la France qui devaient être défendus par l’arme nucléaire : « L’intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté constitueront toujours le coeur de nos intérêts vitaux. Mais ils ne s’y limitent pas. […] Par exemple, la garantie de nos approvisionnements stratégiques… ». L’arme nucléaire pour garantir l’accès au pétrole ? Avec une telle logique, chaque pays va légitimement vouloir se doter de cette arme. Mais le président veut aussi utiliser l’arme nucléaire pour convaincre les autres pays de s’en passer. Sont aussi visés, les « Etats qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d’utiliser, d’une manière ou d’une autre, des armes de destruction massive ».

De plus, l’arme nucléaire passe du statut d’arme absolue à celui d’arme ultime. « L’ultime avertissement restaure le principe de la dissuasion, indique-t-on de source militaire. On ne peut pas offrir le choix au chef de l’Etat entre l’apocalypse et rien du tout. [1] » Ce changement vise à rendre crédible la détermination et signifie des armes plus petites, avec un pouvoir de destruction plus limité. Devant les députés de la Commission de la défense, Michèle Alliot-Marie expliquait, le 25 janvier, qu’«un adversaire potentiel pourrait penser que la France, compte tenu de ses principes, hésiterait à utiliser l’entière puissance de son arsenal nucléaire contre des populations civiles. Notre pays a assoupli ses capacités d’action et a désormais la possibilité de cibler les centres de décision d’un éventuel agresseur». En cas d’utilisation en Iran par exemple, pays implicitement visé, la riposte terroriste serait telle que cette option est difficilement envisageable.

La nouvelle doctrine vient de donner raison a posteriori à tous ceux qui dénonçaient le programme de recherche lancé en 1991 : sous couvert d’étude du vieillissement des armes nucléaires, il s’agissait bien de mettre au point de nouvelles armes nucléaires en violation du traité de non-prolifération [2]. Selon Libération du 9 février 2006, « il s’agit de rechercher une «amélioration dans le domaine des frappes», indique-t-on de source militaire. De deux façons : des bombes pourraient être tirées à haute altitude pour créer une «impulsion électromagnétique» et détruire les systèmes de communication et les ordinateurs de l’adversaire ; et le nombre des têtes nucléaires à bord des missiles a été réduit pour augmenter leur portée et leur précision. ».

Certes, le président a réaffirmé qu’« en aucun cas, il ne saurait être question d’utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d’un conflit », mais l’évolution de notre doctrine tend à légitimer celle des Etats-Unis et l’accès à la bombe de pays sentant leurs intérêts vitaux menacés comme l’Iran. Au lieu de concourir à la réduction des arsenaux nucléaires, en accord avec le traité de non-prolifération, la France vient de donner des arguments à tous les pays proliférants.

Avec la fin de la guerre froide, la dissuasion nucléaire a fait son temps : les scénarios de crise sont essentiellement d’ordre économique et les terroristes hors d’atteinte. La principale menace militaire est la prolifération. Et cela prolifère partout ! Les grandes puissances soucieuses d’interdire le nucléaire des autres ne seront légitimes à le faire qu’après avoir abandonné leur propre nucléaire.

Depuis la fin de la guerre froide, les occasions n’ont pas manqué de parvenir à un programme de désarmement nucléaire, mais les grandes puissances ont manqué le coche. Il est temps de retirer ce dossier des seules mains du président de la république.

[1] Libération, 9 février 2006
[2] Voir à ce sujet le dossier l’ACROnique du nucléaire n°46, de septembre 1999 : «Vers une quatrième génération d’armes nucléaires ? »

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Alerte à la grippe contestataire

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°71, décembre 2005


Dans une interview au “Point” du 13 octobre 2005, Christian Frémont, préfet de région chargé par le premier ministre de coordonner l’action des pouvoirs publics pour accueillir le projet de réacteur ITER, explique que : « d’éventuelles oppositions doivent être traitées le plus en amont possible ». Comme on traiterait une maladie ou des parasites… Et en guise de traitement pour ce qui concerne la route à grand gabarit nécessaire à l’acheminement des pièces du réacteur depuis le port de Fos, « le gouvernement envisage une loi permettant d’alléger certaines procédures. » On ne s’attaque qu’aux symptômes en les rendant moins voyants, mais avec un risque certain de radicalisation. Il faut plus qu’une aspirine pour soigner le pays de la grippe contestataire.

Pour l’EPR, les autorités ont essayé de traiter les oppositions bien en amont. Dès 2003, elles ont organisé un grand débat national sur l’énergie pour relancer le nucléaire. Un traitement miracle pour Nicole Fontaine, alors ministre de l’industrie, qui se félicitait dans son discours de clôture le 24 mai à Paris, du « grand dialogue démocratique, inédit à ce jour sur un sujet essentiel pour notre avenir commun » qu’elle avait organisé. Et d’ajouter qu’elle se réjouissait « que cette expérience de démocratie participative ait tenu ses promesses ». Mais les trois Sages chargés de piloter le Débat National sur l’énergie ont conclu : « qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. » Et l’un des sages, le sociologue Edgar Morin, a dans ce même rapport clairement tranché : « Les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu’en 2020, il semble inutile de décider d’une nouvelle centrale EPR avant 2010 [car rien] ne permet pas d’être assuré qu’EPR, conçu dans les années quatre-vingt, serait la filière d’avenir. » La maladie semble contagieuse en atteignant même le soignant, malgré le boycott d’associations anti-nucléaires.

Le 8 octobre 2003, le député du Rhône, Jean Besson, chargé de relayer le Débat auprès de la représentation nationale publie un rapport où il estime que « l’époque où les décisions étaient prises dans un cercle restreint sur la base de rapports d’experts est révolue ». « Il faut prendre le temps d’expliquer, d’écouter les arguments opposés et, si possible, d’emporter l’adhésion. » S’exposer ainsi à l’opposition est priori très risqué. Qu’on se rassure, le député, prétendument représentant de la population, n’a consulté, en dehors des débats, que des élus, officiels et industriels (à la seule exception de Greenpeace), pour finalement conclure « qu’il est raisonnable d’envisager le démarrage d’un démonstrateur ».

La population, toujours pas convaincue, a encore besoin d’un traitement et donc un nouveau débat imposé par la loi est organisé. Mais plus question de prendre des risques ! Le gouvernement, soutenu par la majorité de la représentation nationale, a déjà inscrit l’EPR dans la loi sur l’énergie du 13 juillet 2005, tout comme ITER. Pour que les choses soient claires, le Premier Ministre, Dominique de Villepin, a déjà conclu, avant même que le débat ne démarre : « Conformément à la loi du 13 juillet dernier et au vu des conclusions du débat public en cours, EDF construira le premier réacteur EPR à Flamanville. »

Pourquoi débattre alors, si tout est décidé ? Pour Bernard Bigot, Haut Commissaire à l’Energie Atomique, sur France Culture le 22 octobre 2005, il s’agit de « construire progressivement une relation de confiance », après avoir expliqué que pour les déchets nucléaires, « il est légitime que l’opinion publique nationale puisse prendre connaissance de ces différentes options et éventuellement exprime sa faveur en direction de l’une ou l’autre d’entre elles. » Aucune place à l’opposition.

Lors des préparatifs, la Commission du Débat Public a su se mettre à l’écoute des associations, même les plus opposées au nucléaire en leur permettant de s’exprimer équitablement. C’en était trop pour le fonctionnaire de défense qui a censuré l’affirmation par le Réseau Sortir du Nucléaire qu’il possède « un document confidentiel défense […] interne à EdF qui reconnaît que le réacteur EPR est aussi vulnérable que les réacteurs actuels à un crash suicide style 11 septembre 2001. » L’évocation même de ce document est donc interdite. Le compromis proposé par la commission du débat d’autoriser un panel d’experts indépendants à accéder à l’ensemble des documents pouvant permettre de répondre aux questions exprimées lors des débats publics a reçu une fin de non-recevoir. Conséquence logique, toutes les associations indépendantes de l’industrie nucléaire se sont retirées des débats en cours.

Est-ce par peur d’une épidémie d’opposition que le gouvernement a bloqué un débat sans enjeu ? Il semble vouloir affaiblir les débats publics et la Commission Nationale chargée de les organiser.

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Sortir du sentiment de guerre

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°70, septembre 2005


Les autorités françaises semblent prises au dépourvu face à l’augmentation régulière des prix du pétrole. C’est à se demander à quoi a pu servir le débat sur les énergies qu’elles se sont enorgueillies d’organiser. Pour la plupart des politiciens, il ne s’agit que d’un problème de taxation. Mais pour le Premier Ministre faisant face à des problèmes budgétaires, le défi est d’éviter la grogne des automobilistes en concertation avec les seuls industriels. En revanche, c’est une aubaine pour les promoteurs du nucléaire qui profitent du sentiment de rareté pour promouvoir une énergie prétendument abondante, voire illimitée avec ITER, mais qui ne permet pas de remplacer les hydrocarbures. Tant que les autorités se limiteront à penser en moyens de production réduits à une « alternative infernale » [1] – nucléaire ou effet de serre – et non en utilisation de l’énergie, elles seront incapables de répondre au défi.

C’est malheureusement un classique dans nos sociétés de surabondance que d’entretenir le sentiment de rareté et de guerre, maintenant économique, pour maintenir un statu quo. Alors que la richesse atteinte permettrait à tous de mener une vie harmonieuse avec une organisation sociale différente, les défis écologiques imposent de mener une vie plus sobre, mais plus épanouie, car libérée de nombreuses peurs. Il n’est question que de « parts de marché à conquérir », « retard français » ou « maintien de notre avance dans la compétition internationale » entraînant une surproduction et un gaspillage. En face, de nombreuses associations de protection de l’environnement raisonnent en service public de l’énergie pour satisfaire les besoins primordiaux de l’humanité. L’incompréhension est totale. Le cahier collectif d’acteurs publié à l’occasion du débat sur l’EPR est éloquent à cet égard. Au-delà de l’EPR et du nucléaire, et même du défi énergétique, la question est de savoir « comment récuser la fuite en avant insensée qui voit […] la science soumise à la technique, la technique au marché et le marché à la volonté de puissance de ces nouveaux maîtres du monde incapables de maîtriser leur propre maîtrise ? » [2].

« Changer de vie et changer la vie » pour répondre aux grandes questions systémiques de nos sociétés, à la fois locales et globales, requiert des compétences pluridisciplinaires et des niveaux d’action différents. C’est le cas en particulier de la réduction drastique de la consommation d’énergie dans les pays riches dont tout le monde – ONG et pouvoirs publics – souligne l’urgence. Plutôt qu’un débat sur l’EPR, nous aurions préféré l’expérimentation de processus de démocratie participative afin de trouver une synergie entre les moyens techniques, individuels et collectifs à mettre en œuvre pour une meilleure utilisation de l’énergie qui ne soit pas source de conflit. « L’enjeu, pour les acteurs, n’est pas seulement de s’exprimer ou d’échanger, ou encore de passer des compromis ; il n’est pas seulement de réagir, mais de construire. » « Démocratiser la démocratie » [3] en tirant le meilleur parti de la diversité de nos sociétés est une « approche difficile à entendre dans un pays comme la France où toute l’histoire est habitée par le désir de la légitimité unique d’un pouvoir fort incarnant l’inverse de cette mixité de la société civile ». [2] Quant à l’industrie, elle tire une partie de ses profits de l’externalisation de ses nuisances et n’est pas prête à accepter des processus pouvant remettre en cause cet acquis. Les quelques exemples de tentative d’auto-régulation que sont les agences d’évaluation, comités de sages, etc, ont rarement réussi à répondre aux attentes des usagers. Au contraire, elles contribuent à renforcer la démocratie délégative là où plus de démocratie participative est nécessaire.

« Changer de vie et changer la vie » passe aussi par le refus des logiques guerrières et identitaires de nos sociétés et malheureusement aussi parfois du mouvement alter mondialiste et antinucléaire. Au-delà du discours guerrier souvent utilisé par ces militants, on assiste parfois à des dérives dont la logique n’est pas sans rappeler les pages les plus noires de notre histoire. Ainsi, pour un notable de la lutte anti-nucléaire, le seul fait de côtoyer en Biélorussie des « nucléocrates » (comme les Juifs, Arabes ou Communistes à d’autres époques…), est synonyme de fourberie sans limite : l’action de l’ACRO consisterait à « aller dans les zones contaminées autour de Tchernobyl, expliquer aux gens comment vivre heureux en bouffant du césium, à la plus grande satisfaction du lobby nucléaire et de la dictature biélorusse » [4]. A l’heure où il s’agit de modifier des décisions importantes qui sont déjà quasiment prises par les pouvoirs publics sur l’EPR et les déchets nucléaires à vie longue et haute activité, ce genre de dérives sectaires est regrettable et déshonore la cause anti-nucléaire. A plus long terme, elles sont contre-productives car elles entretiennent ce sentiment identitaire et guerrier dont il faut se débarrasser.

[1] Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste – Pratiques de désenvoûtement, La Découverte, février 2005.
[2] P. Viveret, Pourquoi cela ne va pas plus mal ?, Fayard 2005.
[3] Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain – Essai sur la démocratie technique, Seuil, septembre 2001.
[4] Message diffusé sur un forum Internet.

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Faut-il sauver l’ACRO ?

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000


L’ACRO a fini l’année 1999 avec un déficit de trésorerie important. Les dépenses de cette année ont été très nettement supérieures aux recettes. Des études en passe d’être terminées devraient permettre une rentrée d’argent à court terme, mais l’année 2000 s’annonce difficile. Nos recettes proviennent essentiellement de la vente d’analyses et de contrats d’étude. Elles sont très irrégulières et donc difficiles à gérer. A l’exception notable d’une subvention géréreuse du Ministère de l’environnement en 1999, nous n’avons eu aucun soutien public en 13 ans d’existence. Ni la région, ni le département, ni la Communauté Urbaine de Cherbourg n’ont répondu à nos sollicitations.

Les problèmes d’organisation structurelle auquels nous devons faire face sont équivalents à ceux d’une PME. L’équipe de bénévoles qui gère l’association, très impliquée et dévouée, se réduit d’années en années et commence à se fatiguer très sérieusement. Il n’est pas sûr qu’elle ait la force de gérer l’association pendant de nombreuses années encore. Embaucher un responsable de laboratoire, un coordinateur scientifique, un commercial et un financier demande des fonds que nous n’avons pas. Rechercher des contrats, répondre à des appels d’offre, solliciter des subventions demande des forces que nous n’avons pas.

L’ACRO a-t-elle un avenir ? Il semble qu’elle possède un capital de sympathie dans la population et elle est très fréquemment sollicitée par des particuliers, des associations et les pouvoirs publics. D’une manière générale, nous pensons que dans une société de plus en plus dominée par la technoscience, des structures d’expertise scientifique indépendante sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. En effet, utilisées à des fins productivistes, certaines technologies peuvent devenir des menaces pour l’environnement et la santé publique. Par exemple, pour faire face à la crise qui a fait suite à la mise en évidence d’une augmentation du nombre de leucémies chez les jeunes à La Hague, nous avons assumé nos responsabilités en tant que structure associative compétente pour participer à une expertise pluraliste. La population compte sur notre vigilence lors des enquêtes publiques qui y ont lieu actuellement dans le Nord-Cotentin.

C’est la structure associative de l’ACRO, ouverte à tous, qui est la garantie de son indépendance et fait originalité par rapport aux structures d’expertise officielles. Avec de faibles moyens, mais en contact direct avec la société civile, l’association a mis en évidence de nombreux disfonctionnements qui avaient échappé aux autorités de sûreté. Longtemps méprisée par les pouvoirs publics et les autorités, l’association est maintenant reconnue et le laboratoire est considéré comme fiable. Si nécessaire, ils n’hésitent plus à avoir recours à l’ACRO.

Malheureusement, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Comme c’est souvent le cas, de nombreuses structures d’initiative citoyenne ne sont viables à long terme qu’avec le soutien des pouvoirs publics. La pérénité de l’ACRO nécessite que ceux-ci prennent leurs responsabilités. La survie de l’association passe aussi par le maintien de son indépendance qui ne sera garantie que si des citoyens s’impliquent.

Nous sommes donc à un tournant et l’avenir de l’association doit être discuté lors de sa prochaine assemblée générale qui aura lieu le 1er avril dans la Manche. Nous sommes obligés de trouver de nouveaux soutiens et de revoir notre organisation. Convaincus de la nécessité de continuer l’aventure, nous comptons sur votre collaboration.

Le bureau de l’ACRO.

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Le climat dans La Hague

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°45, juin 1999

Les faits divers et variés concernant le nucléaire dans le Nord Cotentin ont marqué les esprits ces dernières années. Ils ont agi comme un révélateur qui fait apparaître une nouvelle photo du paysage local. Ces événements, qu’ils soient liés au site de stockage de l’ANDRA, à la canalisation de rejets en mer ou au transport des déchets, ont été lus avec toujours comme toile de fond, l’étude de Jean-François Viel.

Ce dernier a déchiré un tabou dont tout le monde parle mais que personne ne veut entendre : santé et nucléaire dans le Nord Cotentin. Les réactions violentes montrent que la population était intéressée et concernée par le sujet. Pour l’essentiel, ce fut une réaction de défense qui a conditionné toutes les appréciations et prises de position liées aux “affaires du nucléaire”.

Le discours ambiant est symptomatique de ce climat défensif. Les commentaires ne font état que “d’attaques”, “d’agressions”, “de complots” contre la région. Il est marquant que très peu de monde, en particulier chez les responsables politiques, a pris du recul par rapport à ces événements pour les analyser et les relativiser. Ces faits sont toujours présentés comme des découvertes et traités comme telles. Ils ne sont que rarement appréhendés avec l’éclairage du passé et de l’histoire pourtant fondamentalement pour bien comprendre la situation.

Cet argumentaire défensif met toujours en avant une région blessée, meurtrie dans son image par des agressions extérieures. Celui qui révèle le problème est présenté comme le responsable de la situation, celui qui “désinforme”, qui “veut du mal”. Les élus et décideurs ont beaucoup utilisé cette argumentation. Leur nouveau chantier, partant de ce schéma, somme tout simpliste, consiste à reconstruire l’image et quelque part l’histoire de la région. Mais cette démarche est, là encore, trop superficielle et ne fait quâentretenir le doute et la confusion. Un climat lourd et pesant s’est installé à la pointe du Cotentin et il faudra une toute autre approche pour le dissiper. Cela se traduit par de l’agressivité et du rejet chez certains, par le silence et le refoulement chez d’autres. Le dialogue et le débat n’ont que peu de place dans ce contexte. Les efforts dans ce sens, l’ACRO en fait l’expérience, ont rencontré souvent opposition ou l’ignorance chez la grande majorité des décideurs locaux. Les vociférations haineuses lors de la venue de Cohn Bendit en début d’année, ont fermé encore plus la porte au débat public indispensable.

Si réhabilitation il doit y avoir pour la région, elle ne peut se faire quâen réactivant le débat démocratique. La priorité n’est pas tant l’image que les forces vives de La Hague et ses environs. Si la région va mal, c’est qu’elle est minée de l’intérieur. La peur, le doute et la fatalisme ont souvent accompagné le développement de l’activité nucléaire dans La Hague. Les réactions lors des derniers événements, notamment de la part des responsables locaux y ont ajouté la honte. C’est de cette image là dont on est peu fier en définitive. Il existe néanmoins quelques points positifs qui ne manquent pas de nous faire espérer. Espérer une circulation dâair frais. L’ACRO est un de ces petits courants dâair où peuvent passer les informations.

L’antenne Nord Cotentin est de plus en plus sollicitée par des informateurs et des demandes en provenance des milieux marins et agricoles. C’est bon signe. Des contacts se nouent à nouveau dans La Hague où il n’est pas facile de connaître la situation tant le mutisme est grand.

Les travaux du comité radioécologique Nord-Cotentin, présidé par Annie Sugier (“commission Sugier”), sont également un pas important car les commissions ont connu des débats contradictoires ; des associations représentant la société civile y participent. De plus, l’expertise concerne le passé et questionne des domaines qui ne l’avaient guère été. Mais il faut redoubler de vigilance car , là encore, les risques de récupération pour de petits profits politiciens sont nombreux. L’exploitation médiatique de ces travaux sera un test pour mesurer si la maturité gagne la région dans sa capacité à assumer cette présence nucléaire.

Pierre Paris

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Déchets nucléaires transparents

L’ACROnique du nucléaire n°44, mars 1999

La décision est tombée le 9 décembre 1998 de Matignon : “le Gouvernement décide de poursuivre les recherches dans deux laboratoires souterrains sur deux sites, l’un dans l’argile, à Bure dans la Meuse et l’autre dans le granit. Il décide donc de rechercher un nouveau site granitique susceptible d’accueillir un laboratoire souterrain. La recherche de ce site commencera dès le début de 1999.” Le choix du site de l’Est n’est une surprise pour personne. “Après vérification scientifique, un entreposage (en subsurface) dans le Gard sera envisagé.” Chaque département candidat est donc servi.

L’article 6 de la loi du 30 décembre 1991 sur les déchets nucléaires est pourtant très clair : “Tout projet d’installation d’un laboratoire souterrain donne lieu, avant engagement des travaux de recherche préliminaires, à une concertation avec les élus et les populations des sites concernés, dans les conditions fixées par décret“. La concertation avec les populations se fait attendre. Il y a bien eu une enquête publique, mais elle était présidée par Monsieur Jean Pronost, célèbre pour sa partialité et son incompétence. Lors de manifestations, son effigie a été brûlée, c’est dire si la concertation fût sereine… Des associations ont donc déposé un recours auprès du Conseil d’Etat qui a répondu qu’on pouvait renoncer aux “consultations des populations concernées” prévues par la loi et ne consulter que leurs “représentants” et que l’action du médiateur (le député Christian Bataille) avait permis “une expression de l’opinion des populations”. Une action devant la Commission Européenne des Droits de l’Homme a été déposée pour atteinte à la liberté d’expression par le CDR55.

Les “représentants de la population“, cela doit être les élus qui n’ont pas tous eu le courage de résister aux 10 millions de francs par an distribués pour “favoriser le développement économique de la zone concernée“… Là encore, la loi du 30 décembre 1991 n’évoque les mesures d’accompagnement qu’à propos de l’installation et de l’exploitation de chaque laboratoire souterrain, pas avant. Mais une lettre de mission ministérielle datée du 6 janvier 1994, a donné instruction à l’ANDRA de mettre à la disposition des départements qui auront été retenus pour les travaux préliminaires, un crédit d’environ 5MF. Le 30 avril 1996, dans une circulaire interministérielle (Industrie, Décentralisation, Budget), le Gouvernement a prévu de porter la dotation annuelle à 10 MF à compter de l’année suivant le dépôt des demandes d’autorisation et d’exploitation des laboratoires, c’est à dire au moment où les instances locales devaient se prononcer… Le texte de loi de 1991 est largement diffusé par l’ANDRA, ces circulaires ou lettres de missions ministérielles sont plus “discrètes”. Certains élus locaux parlent de corruption légale. Pendant l’installation et l’exploitation ce sont 60 MF par an qui tomberont. Au moment du choix de transformer l’unique laboratoire en centre de stockage, ce sera combien ?

Le Gouvernement insiste sur son attachement à l’esprit et à la lettre de la loi du 30 décembre 1991” tient à préciser Matignon dans son communiqué de presse du 9 décembre 1998 ! Le même jour, le Gouvernement prétend retrouver la confiance de la population en matière de nucléaire en réformant les instances de contrôle. Ses propositions se basent sur le Rapport Le Déaut (voir le précédent numéro de l’ACROnique) qui ne va pas assez loin. C’est la nouvelle autorité indépendante de contrôle des installations nucléaires qui “sera garante d’une information complète et transparente“. Pour “promouvoir une réflexion citoyenne […] le gouvernement souhaite s’appuyer sur les organismes existants, à savoir le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaires (CSSIN) et les Commissions Locales d’Information (CLI) […] qui auront un rôle renouvelé de débat public et de transparence des décisions prises.” La population ne sera donc qu’informée, dans la transparence, promis juré, mais ne sera pas consultée, ni associée aux décisions prises.


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Superphénix devient Phénix

Editorial de l’ACRonique du nucléaire n°40, mars 1998

Superphénix a été arrêté le 24 décembre 1996 pour être transformé en ” laboratoire de recherche pour étudier la transmutation des déchets nucléaires ” bien que le rapport Castaing (96) estimait qu’il n’y avait pas beaucoup à attendre de sa transformation en ” incinérateur “. Le combustible devait être changé et un nouveau cœur est prêt. Il s’agissait d’une décision importante car tout espoir de production d’énergie à partir du plutonium était abandonné ; mais pour les associations locales, cette fonction de recherche pour Superphénix n’était pas prévue par l’enquête publique qui avait eu lieu quelques années auparavant. Elles saisissent donc le Conseil d’Etat qui, le 28 février 1997, annule le décret du 11 juillet 1994 permettant son redémarrage. Doit-on refaire l’enquête ? Cette question va déchirer l’ancienne majorité et le changement de gouvernement permet une réponse claire le 19 juin 1997, Superphénix ne redémarrera pas. Il s’agit d’une décision courageuse mais très fragile, même si elle est confirmée par un comité inter-ministériel le 2 février 1998. Faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). La mise hors service du réacteur est très compliquée et n’a jamais été prévue, il y en a pour plusieurs années.  Pourtant faire tourner encore un peu le réacteur n’apportera pas grand chose et l’arrêter ne peut que diminuer les risques (il est symptomatique qu’aucune commission indépendante n’ait eu à se pencher sur la sûreté du réacteur). Pour que cet arrêt soit irrévocable, même à la suite d’un changement de gouvernement, il faudrait détruire immédiatement le cœur de remplacement, comme le suggère le GSIEN.

L’abandon de Superphénix ne plaît pas à tout le monde. Nous comprenons les sentiments des employés directs et indirects de la centrale. Car même si le démantèlement doit générer plus d’emplois, ce n’est pas pour tout de suite. Mais à entendre certains commentateurs, c’est comme si c’était la fin de l’énergie nucléaire en France, alors qu’au fond, EDF doit être bien contente d’en finir avec Superphénix qui ne lui apportait que des ennuis et une mauvaise image. Le remplacement par Phénix permet d’étudier la transmutation afin de faire croire à une solution alternative au stockage des déchets et rend les laboratoires souterrains plus acceptables pour la population. Alors pourquoi tant de pleurs ? La décision très proche de renouveler le parc électronucléaire français et de continuer ou non le retraitement n’a pas encore été prise. Le démantèlement risque de nuire à l’image de ce type d’énergie. Pour Brennilis, la partie la plus difficile des opérations – qui a entraîné des pollutions – s’est passée sans regard extérieur, et les parties moins radioactives sont maintenant démantelée à grand renfort de publicité. Pour Superphénix, cela risque de se passer autrement.

Le réacteur, utilisé comme producteur de courant ou consommateur de plutonium servait aussi l’alibi au retraitement du combustible irradié. Les contrats étrangers de l’usine de la Hague se terminent en 2000. Vont-ils être renouvelé ? Le dernier transport de combustible irradié en provenance du Japon vient d’avoir lieu. Si le retraitement du combustible étranger s’arrête, jusqu’à quand va-t-on continuer à retraiter le combustible français ? Ces questions, ne sont malheureusement pas apparues durant le débat car les enjeux sont beaucoup plus importants.

Lors du comité inter-ministériel du 2 février 1998, il a été aussi décidé de créer une instance de contrôle indépendante. Enfin ! Sa composition, type de fonctionnement… ne seront connus que durant l’été 1998. Nous espérons qu’il sera tenu compte des laboratoires indépendants comme l’ACRO dans le nouveau paysage nucléaire français.

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