Le climat dans La Hague

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°45, juin 1999

Les faits divers et variés concernant le nucléaire dans le Nord Cotentin ont marqué les esprits ces dernières années. Ils ont agi comme un révélateur qui fait apparaître une nouvelle photo du paysage local. Ces événements, qu’ils soient liés au site de stockage de l’ANDRA, à la canalisation de rejets en mer ou au transport des déchets, ont été lus avec toujours comme toile de fond, l’étude de Jean-François Viel.

Ce dernier a déchiré un tabou dont tout le monde parle mais que personne ne veut entendre : santé et nucléaire dans le Nord Cotentin. Les réactions violentes montrent que la population était intéressée et concernée par le sujet. Pour l’essentiel, ce fut une réaction de défense qui a conditionné toutes les appréciations et prises de position liées aux “affaires du nucléaire”.

Le discours ambiant est symptomatique de ce climat défensif. Les commentaires ne font état que “d’attaques”, “d’agressions”, “de complots” contre la région. Il est marquant que très peu de monde, en particulier chez les responsables politiques, a pris du recul par rapport à ces événements pour les analyser et les relativiser. Ces faits sont toujours présentés comme des découvertes et traités comme telles. Ils ne sont que rarement appréhendés avec l’éclairage du passé et de l’histoire pourtant fondamentalement pour bien comprendre la situation.

Cet argumentaire défensif met toujours en avant une région blessée, meurtrie dans son image par des agressions extérieures. Celui qui révèle le problème est présenté comme le responsable de la situation, celui qui “désinforme”, qui “veut du mal”. Les élus et décideurs ont beaucoup utilisé cette argumentation. Leur nouveau chantier, partant de ce schéma, somme tout simpliste, consiste à reconstruire l’image et quelque part l’histoire de la région. Mais cette démarche est, là encore, trop superficielle et ne fait quâentretenir le doute et la confusion. Un climat lourd et pesant s’est installé à la pointe du Cotentin et il faudra une toute autre approche pour le dissiper. Cela se traduit par de l’agressivité et du rejet chez certains, par le silence et le refoulement chez d’autres. Le dialogue et le débat n’ont que peu de place dans ce contexte. Les efforts dans ce sens, l’ACRO en fait l’expérience, ont rencontré souvent opposition ou l’ignorance chez la grande majorité des décideurs locaux. Les vociférations haineuses lors de la venue de Cohn Bendit en début d’année, ont fermé encore plus la porte au débat public indispensable.

Si réhabilitation il doit y avoir pour la région, elle ne peut se faire quâen réactivant le débat démocratique. La priorité n’est pas tant l’image que les forces vives de La Hague et ses environs. Si la région va mal, c’est qu’elle est minée de l’intérieur. La peur, le doute et la fatalisme ont souvent accompagné le développement de l’activité nucléaire dans La Hague. Les réactions lors des derniers événements, notamment de la part des responsables locaux y ont ajouté la honte. C’est de cette image là dont on est peu fier en définitive. Il existe néanmoins quelques points positifs qui ne manquent pas de nous faire espérer. Espérer une circulation dâair frais. L’ACRO est un de ces petits courants dâair où peuvent passer les informations.

L’antenne Nord Cotentin est de plus en plus sollicitée par des informateurs et des demandes en provenance des milieux marins et agricoles. C’est bon signe. Des contacts se nouent à nouveau dans La Hague où il n’est pas facile de connaître la situation tant le mutisme est grand.

Les travaux du comité radioécologique Nord-Cotentin, présidé par Annie Sugier (“commission Sugier”), sont également un pas important car les commissions ont connu des débats contradictoires ; des associations représentant la société civile y participent. De plus, l’expertise concerne le passé et questionne des domaines qui ne l’avaient guère été. Mais il faut redoubler de vigilance car , là encore, les risques de récupération pour de petits profits politiciens sont nombreux. L’exploitation médiatique de ces travaux sera un test pour mesurer si la maturité gagne la région dans sa capacité à assumer cette présence nucléaire.

Pierre Paris

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