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Historiques des Acroniques

Derniers numéros :

N°140 : D’où vient l’uranium importé en France ? – Nucléaire, un cycle du combustible grippé (mars 2023) Note d’information de l’ACRO

N°139 : Projet de construction de six EPR2 dont une première paire à Penly – Pollution au plutonium à La Hague révélée par l’ACRO (décembre 2022)

N°138 : Surveillance de la contamination de l’eau potable et de légumes autour de Valduc (septembre 2022)

N°137 : Résultats 2021 de la surveillance radiologique de l’environnement autour des installations nucléaires de la Loire et de la Vienne (juin 2022)

N°136 : Suivi du projet de la piscine nucléaire EDF à La Hague / Enquête publique sur la poursuite du démantèlement de la centrale de Brennilis (mars 2022)


La contre-expertise vue par EdF

Lettre ouverte au président de la CLI de Flamanville du 13 novembre 2009


La Commission Locale d’Information (CLI) de la centrale nucléaire de Flamanville a été saisie d’un projet de protocole visant à encadrer strictement la réalisation de prélèvements et de mesure dans l’environnement que pourrait commander la CLI. Ce texte pourrait bien avoir été rédigé par EdF et proposé à d’autres CLI.

L’ACRO a donc réagit très vite en alertant la CLI et les instances nationales garantes de la « transparence » en matière de nucléaire car ce texte va à l’encontre de notre conception de la transparence. En effet, l’exploitant veut contrôler complètement la surveillance « indépendante » que pourrait effectuer la CLI.

Vous trouverez, ci-dessous, le projet de protocole et la lettre de réponse de l’ACRO :

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Espionnage : le vrai visage d’EdF

Editorial ACROnique n°86 de septembre 2009


EdF vient d’être prise la main dans le sac : une copie du disque dur de l’ordinateur de l’ex-directeur des campagnes de Greenpeace a été retrouvée dans ses bureaux. Les révélations se sont bousculées et l’espionnage concernant Greenpeace dans plusieurs pays d’Europe et d’autres associations anti-nucléaires a fait scandale. Les soupçons de certains membres de la Commission Nationale de Débat Public sur l’EPR sont devenus plausibles et les dénégations du PDG d’EdF n’ont convaincu personne[1].

Cette affaire d’espionnage montre le pouvoir des associations. Une grande compagnie comme EdF va jusqu’à utiliser des moyens illégaux, par sous-traitant interposé, pour se protéger, afin d’avoir en avant-première des informations qui sont destinées à être rendues publiques. Ces pratiques ne se limitent pas à l’industrie nucléaire et au secret défense. Ainsi Nestlé a fait infiltrer un groupe d’ATTAC, à Lausanne, qui travaillait à la rédaction d’un livre sur la multinationale[2]. McDonald’s a fait de même avec une petite association londonienne et l’industrie pétrolière n’est pas en reste… Les exemples sont malheureusement nombreux[3].

L’arme judiciaire est souvent utilisée pour faire taire les associations. Il est fort probable que l’espionnage a aussi pour but de dénicher des informations dérangeantes afin de tenter de compromettre les opposants. En quoi une petite association peut-elle être aussi menaçante pour une multinationale ?

EdF, tout comme Areva, dépensent beaucoup en publicité et sponsoring. Ce qui compte, c’est de verdir leur image : le « recyclage » pour Areva et l’électricité sans CO2 pour EdF. Areva, qui n’a rien à vendre au public, va jusqu’à tenter de séduire les enfants à travers la presse jeunesse. Une information négative rendue publique par une association et reprise par les médias coûte alors très cher pour tenter de rétablir une bonne image.

Face aux associations critiques, il ne s’agit pas pour ces multinationales, de corriger des accusations éventuellement erronées, de donner leur point de vue… bref de débattre démocratiquement pour convaincre, voire améliorer leurs pratiques. Non, il s’agit de faire taire toute critique, d’éliminer toute opposition, afin de maîtriser leur image.

Mais est-ce le public qui est réellement visé in fine ? Certes, EdF est maintenant dans le secteur concurrentiel et doit séduire les clients. Mais, Enercoop n’a que 3000 sociétaires privés, une goutte d’eau. Les particuliers qui ont rejoint les autres concurrents d’EdF l’ont plutôt fait avec une motivation financière. Y-a-t-il vraiment de quoi espionner les associations et séduire les enfants ? Ce sont plutôt les décideurs qui sont la cible. Si EdF ou Areva ont une bonne image, il sera plus facile à un homme politique de les soutenir. Et que craignent surtout le plus ces compagnies ?

La réglementation !

Pour un monde viable, nos sociétés doivent pouvoir fonctionner avec 2000 watts en moyenne par personne, toutes énergies confondues, c’est-à-dire environ trois fois moins que la consommation énergétique actuelle en Europe. Ce concept de société à 2000 watts[4] est actuellement débattu en Suisse, jusqu’au niveau du gouvernement fédéral et certains cantons, comme celui de Genève ont déjà adopté cet objectif. Et ce qui fait débat, ce n’est pas le fait qu’il faille aller vers une société trois fois plus sobre en énergie, mais la vitesse à laquelle cet objectif sera atteint, sachant que les technologies sont déjà presque toutes disponibles. Est-ce pour dans une cinquantaine d’années avec une politique très ambitieuse imposant la sobriété par la réglementation et orientant les investissements massifs vers les économies d’énergie ou dans 150 ans environ avec, seulement, des mesures incitatives[5] ?

Le réchauffement climatique et les déchets nucléaires, c’est maintenant ! Il est trop tard pour tergiverser : les pouvoirs publics doivent réglementer pour diminuer drastiquement la consommation d’énergie. Mais, cette option n’est pas favorable à EdF et Areva qui s’enrichissent grâce à la gabegie énergétique et l’externalisation de leurs nuisances. Leur but est donc de faire croire que la population pense comme eux. Et tout est permis pour verdir son image afin d’éviter que l’évidence devienne évidente !


[1] Voir la revue de presse

[2] Voir par exemple le reportage de la télévision suisse romande dans Temps Présent du jeudi 12 juin 2008 : http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=370501&sid=9209396

[3] Lire par exemple, Battling Big Business, countering greenwash, infiltration and other forms of corporate bullying, édité par Evelyne Lubbers, Green Books, Royaume Uni.

[4] http://www.societe2000watts.com/

[5] Voir par exemple le reportage de la télévision suisse romande dans Temps Présent du jeudi 23 août 2007 : http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=370501&sid=8027943

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n°86, septembre 2009

L'ACROnique du nucléaire

Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M)

Gestion des déchets radioactifs : les leçons du Centre de Stockage de la Manche (C.S.M) Version 2009

Bioaccumulation – bioamplification – bio-indicateur

Fiche technique parue dans l’ACROnique du nucléaire n°85 de juin 2009


On retrouve parfois certaines substances chimiques de façon plus concentrée dans les organismes vivants que dans le milieu qui les entoure (eau, air…). On parle alors de « bioaccumulation ». Ce phénomène est utile à la vie quand il s’agit d’oligo-éléments (fer, calcium…) et néfaste quand il s’agit de polluants (métaux lourds, PCB …).

La bioaccumulation a parfois tendance à augmenter le long d’une chaîne alimentaire. On parle alors de « bioamplification ». Ainsi, dans un même milieu, la concentration en PCB ou en mercure augmente du plancton au poisson et du poisson au mammifère marin ou à l’homme en bout de chaîne. Dans le cas du mercure, cette propriété a créé une catastrophe sanitaire à Minamata au Japon.

Chez un même organisme, l’ampleur de la bioaccumulation peut dépendre de l’organe, de l’âge et de la substance chimique.

Le phénomène peut être de grande ampleur. Pour une surveillance de l’environnement, on choisit généralement des organismes accumulant les polluants recherchés : on parle alors de « bio-indicateurs ». Ainsi, certains polluants présents sous forme de traces ne peuvent pas être détectés directement dans l’air ou l’eau, mais leur présence peut être détectée et quantifiée en utilisant des bio-indicateurs. Les lichens sont connus pour être d’excellents bio-indicateurs de la qualité de l’air pour de nombreux polluants.

Les phénomènes de bioaccumulation et de bioamplification s’expliquent par les propriétés chimiques de certaines substances qui se lient plus facilement à des molécules organiques qu’à l’eau. Lors de échanges entre l’organisme vivant et le milieu, elles s’accumulent donc dans l’organisme. Ce phénomène peut aller en s’amplifiant le long de la chaîne alimentaire.

Le fait d’avoir des polluants radioactifs ne change rien à l’affaire. Ce sont leurs propriétés chimiques qui font qu’ils peuvent s’accumuler dans certains organismes vivants. Ainsi, l’iode radioactif s’accumule de la même façon que l’iode non radioactif dans les algues.

Qu’en est-il du tritium, qui est de l’hydrogène radioactif ? L’atome d’hydrogène lié à une molécule d’eau s’échange facilement et fait que le tritium présent dans de l’eau s’équilibre rapidement. Les organismes primaires peuvent convertir rapidement le tritium de l’eau (appelé tritium libre) en tritium organique. Et tous les modèles d’impact sanitaire des radioéléments dans l’environnement supposent que la proportion de tritium sur l’hydrogène total est la même dans l’eau et dans les organismes vivants.

Or des données tendent à mettre en évidence les phénomènes de bioaccumulation et de bioamplification du tritium chez certains organismes aquatiques, contredisant ainsi les modèles d’impact. Dans la baie de Cardiff en Grande-Bretagne, cela peut s’expliquer facilement par le fait que ce sont des molécules organiques tritiées rejetées en mer, pour lesquelles l’hydrogène est moins mobile que celui de l’eau. Il s’accumule facilement dans la matière organique des organismes vivants, mais est transféré difficilement vers l’eau de mer.

En revanche, c’est de l’eau tritiée qui est rejetée des installations nucléaires. On observe pourtant de la bioaccumulation du tritium chez des espèces vivant dans les fonds marins au large de l’usine de retraitement de Sellafield en Grande-Bretagne. En France, au large de l’usine de La Hague, il n’y a pas assez de mesures pour pouvoir conclure. L’ACRO réclame donc une meilleure surveillance du tritium dans l’environnement proche des installations nucléaires.

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Le Tritium : un risque sanitaire sous-estimé

Pierre BARBEY, ACROnique du nucléaire n°85, juin 2009


Le Tritium [3H] ou [T] est l’isotope radioactif de l’hydrogène [H]. A ce titre, il peut se substituer aux atomes d’hydrogène qui constituent l’un des quatre éléments fondamentaux (avec le carbone, l’azote et l’oxygène) de la matière organique, donc des corps vivants.
Le Tritium rejeté dans l’environnement, sous forme d’eau tritiée [HTO] ou sous forme de gaz (tritium et méthane), sera incorporé par les espèces vivantes de plusieurs façons.
– par inhalation,
– par transfert cutané,
– par ingestion.
En dehors des expositions professionnelles, c’est la voie ingestion qui est le mode d’exposition nettement dominant pour le public.
L’eau tritiée incorporée par un organisme vivant se comporte de manière identique à l’eau constitutive de cet organisme (un peu plus de 70% chez l’homme à plus de 90 % dans certaines espèces végétales et animales) et se répartit dans tout le corps.
Parmi les espèces végétales, plantes en milieu terrestre et phytoplancton en milieu aquatique, l’activité de photosynthèse conduit à l’incorporation d’eau tritiée [HTO] dans des molécules organiques [OBT] (Organically Bound Tritium ou tritium organiquement lié).
Ensuite, par ingestion, les espèces vivantes (et l’homme en bout de chaîne alimentaire) incorporent du Tritium sous forme d’eau tritiée mais également sous forme de tritium organique.

Les effets biologiques

Les radiations ionisantes agissent sur le vivant à travers deux modes d’action :

–    l’effet direct qui se traduit par des ruptures dans les liaisons covalentes, ce qui signifie qu’elles « cassent» des molécules. Ainsi de telles cassures sur des molécules d’ADN conduiront soit à des altérations de gènes, soit à des délétions ou aberrations chromosomiques (pouvant entraîner la mort de la cellule).

–    l’effet indirect qui conduit à la production de radicaux libres (espèces chimiquement toxiques) à partir de la radiolyse de molécules d’eau. L’action prépondérante de ces espèces radicalaires sur l’ADN constituera des lésions chimiques potentiellement mutagènes et/ou cancérogènes.

Les rayonnements ionisants agissent au hasard. Aussi, au sein d’une cellule, toute molécule peut être la cible de leur action. Cependant, en raison du rôle central du patrimoine génétique dans le fonctionnement cellulaire, les lésions portées sur l’ADN seront responsables de l’essentiel des dégâts biologiques observés. Ils induisent dans la matière irradiée des événements initiaux (ionisations, excitations) pratiquement instantanés (de l’ordre de 10-15 sec.) mais dont les conséquences pathologiques éventuelles peuvent n’apparaître que plusieurs années ou décennies plus tard (risque cancérogène), voire dans la descendance (risque génétique).

Certes, des mécanismes de réparation existent et une cellule altérée peut « se débarrasser» d’anomalies radio-induites. Dans d’autres situations, l’anomalie n’est pas réparée ou elle est mal réparée ce qui conduira à une cellule toujours vivante mais comportant une (ou des) mutation(s) susceptible(s) de s’exprimer tardivement : risque de cancers ou d’effets génétiques qui définissent les « effets stochastiques [1] ».

Enfin, lorsque les doses sont élevées, les dégâts induits dans une cellule sont tels qu’ils entraînent la mort de la cellule par nécrose. Quand, dans un tissu ou un organe, un grand nombre de cellules sont ainsi atteintes, c’est le tissu même ou l’organe qui est alors gravement affecté : on parle alors « d’effets déterministes [2] ».

Les atomes radioactifs [3H] se désintègrent en émettant des rayonnements particulaires bêta (β-) qui se caractérisent par l’énergie cinétique qui leur est associée. Comme toutes radiations ionisantes, les rayonnements β- du tritium ionisent la matière (arrachent des électrons) et c’est ce phénomène qui, fondamentalement, explique les dégâts biologiques qui en découlent. Par conséquent, la description des effets biologiques potentiels dus au tritium ne se distinguent pas des effets radio-induits dus à d’autres corps radioactifs.
La compréhension globale de ces lésions induites à l’échelle moléculaire et de leurs conséquences biologiques possibles sont résumés dans l’encadré ci-contre.

Compte-tenu de la nature des rayonnements émis par le tritium (bêtas de faible énergie), il n’y a aucun risque d’exposition externe. Aussi, en-dehors d’expositions professionnelles accidentelles, le risque pour le public exposé à des rejets de tritium dans l’environnement est un risque d’exposition interne à des doses faibles mais reçues de façon chronique. C’est donc le risque d’effets stochastiques qui est à considérer ici.

Le système de radioprotection

En tant qu’isotope de l’hydrogène, le tritium est bien un élément toxique en raison exclusivement de sa nature radioactive. N’en déplaise à ceux qui, inlassablement, cherchent à le distinguer des autres substances radioactives pour mieux le banaliser. En fait, le débat qui s’est instauré depuis plusieurs années dans une partie de la communauté scientifique viserait plutôt à réévaluer à la hausse le risque radio-induit qui est affecté au Tritium [3].

Dans le système de radioprotection actuel, le risque radio-induit est construit pour l’essentiel à partir des conséquences observées sur les survivants de Hiroshima et de Nagasaki qui ont subi une exposition externe à des rayonnements (principalement des photons) de façon aigüe. Quelques cohortes de patients et de travailleurs exposés ont permis de préciser le modèle de risque.

Lorsqu’il s’agit d’une contamination interne chronique, le système de radioprotection (développé par la CIPR [4]) vise à quantifier le dépôt d’énergie (dû aux substances radioactives incorporées) en le moyennant par tissu ou par organe. Il intègre en outre un coefficient de correction (appelé facteur de pondération, WR) pour tenir compte de la nature du rayonnement, essentiellement de la densité d’ionisation qu’il produit dans la matière. Par analogie (portant sur les doses équivalentes aux tissus ou aux organes), les coefficients de risques radio-induits issus d’Hiroshima-Nagasaki sont appliqués de la même façon aux situations de contaminations internes.

Le risque lié au tritium est sous-estimé

Cette approche simplificatrice ne tient pas compte de l’hétérogénéité, en particulier à l’échelle cellulaire, du dépôt d’énergie produit par les rayonnements bêta du tritium du fait de son faible parcours dans la matière vivante. Ce parcours de l’ordre du micron (0,6 µm en moyenne et 6 µm au maximum), nettement inférieur au diamètre moyen d’une cellule, peut conduire à ce qu’une quantité d’énergie importante soit déposée dans l’ADN si l’atome de tritium est localisé au niveau de la chromatine. Cette question est en outre accentuée par une densité d’ionisation élevée due aux bêtas du tritium [tableau n°1] comparativement aux rayonnements de référence (gamma du cobalt-60 ou rayons X de 250 kV) censés représenter le rayonnement externe produit lors des explosions nucléaires.

Tableau n°1 : Dépôt d’énergie par unité de parcours dans la matière
Bêtas
[3H]
Ray. X (250
kV)
Gammas [60Co]
Transfert linéique
d’énergie (keV/µm)
4,7 1,7 0,22

Il s’agit là, sans doute, d’une des raisons principales qui expliquent la toxicité particulière du tritium.
En effet, de nombreux travaux scientifiques ont été réalisés pour évaluer les effets biologiques du tritium par comparaison à ceux obtenus à partir des rayonnements de référence. Ils sont très largement concordants pour exprimer, à dose absorbée égale, une radiotoxicité clairement plus élevée du tritium par rapport aux rayonnements de référence. A travers ces expérimentations, les auteurs calculent un coefficient d’efficacité biologique (EBR) qui est le rapport des dégâts biologiques induits par les bêtas du tritium sur ceux induits par les photons (X ou gamma). Ce rapport est souvent voisin de 1,5 à 2 (par comparaison aux rayons X) et de l’ordre de 2 à 4 (par comparaison aux rayons gamma). De tels résultats sont cohérents avec une approche biophysique qui conduit à un EBR théorique de 3,75.

Parmi ces expérimentations, celles qui présentent un intérêt prépondérant sont celles qui étudient des cibles biologiques telles que l’induction de cancers ou des anomalies chromosomiques car elles correspondent aux effets stochastiques. Dans ce cas-là, les EBR servent à construire les facteurs de pondération WR. Or, la CIPR a fixé arbitrairement un WR = 1 pour les rayonnements bêta quels qu’ils soient. Concrètement, de ce seul point de vue, cela signifie que le risque radio-induit dû au tritium est sous-évalué d’au moins un facteur 2 à 4.

Par conséquent, toujours pour ce seul argument évoqué ici, les coefficients de dose par unité d’incorporation (CDUI) établis pour le Tritium [tableau n°2] devraient être corrigés à minima par ce même facteur. Ces coefficients permettent de calculer la dose efficace reçue par un individu (en Sv mais plus souvent en mSv ou µSv) à partir de la connaissance de l’activité incorporée (en Bq de tritium).

Tableau n°2 : Coefficient de dose efficace engagée par unité incorporée par ingestion (Sv.Bq-1) pour la population (Directive 96/29/Euratom du 13 mai 1996)
Forme chimique ≤ 1 an 1-2 ans 2-7 ans 7-12 ans 12-17 ans adulte
Eau tritiée 6,4.10-11 4,8.10-11 3,1.10-11 2,3.10-11 1,8.10-11 1,8.10-11
OBT 1,2.10-10 1,2.10-10 7,3.10-11 5,7.10-11 4,2.10-11 4,2.10-11

Incorporation de produits organiques tritiés et modèle biocinétique CIPR

D’autres questions relatives à la toxicité du tritium laissent suggérer que la sous-estimation du risque lié à ce radioélément pourrait être plus importante encore.
Le modèle biocinétique pour l’eau tritiée et les composés organiques tritiés est décrit pour le travailleur dans la Publication 78 de la CIPR (1997). Il est représenté par 2 compartiments représentant l’eau totale du corps (A) et l’ensemble de la matière organique (B). Il suppose que 97% de l’eau tritiée [tableau n°3] est en équilibre avec l’eau du corps et est retenu avec une demi-vie de 10 jours, le restant étant incorporé dans les molécules organiques et retenu avec une demi-vie de 40 jours. Pour les composés organiques du tritium [tableau n°4], 50% de l’activité est retenu avec la période biologique de l’eau libre (10 jours) et 50% avec la période biologique du carbone organique (40 jours).

Tableau n°3 : DonnéesTableau n°3 : Données biocinétiques pour l’eau tritiée (HTO) selon la CIPR
Compartiment Fraction
incorporée (%)
Période
biologique (jours)
A 97 10
B 3 40
Tableau n°4 : Données biocinétiques pour le Tritium organiquement lié (OBT) selon la CIPR
Compartiment Fraction
incorporée (%)
Période
biologique (jours)
A 50 10
B 50 40

Le modèle CIPR est mis en défaut par de récentes expérimentations où des rats ont été nourris avec du poisson prélevé dans la Baie de Cardiff (fort marquage en tritium libre et organique). De même des volontaires, ayant consommé des soles de cette région et qui ont été suivis pendant 150 jours, ont globalement confirmé les résultats. Le modèle CIPR sous-estime l’incorporation dans la matière organique et sa rétention dans le corps comme l’indique le tableau suivant :

Tableau n°5 : Données biocinétiques pour le Tritium organiquement lié (OBT)
Compartiment Fraction
incorporée (%)
Période
biologique (jours)
A 30 10
B 70 100

D’autres auteurs, qui proposent un modèle alternatif multicompartimental, considèrent également que le modèle de la CIPR sous-estime la concentration en tritium organique présente dans le corps après incorporation.
L’ingestion de produits organiques tritiés est un facteur aggravant qui peut être parfois très élevé. Ainsi des auteurs ont pu montrer que la thymidine tritiée est environ 10.000 fois plus radiotoxique que l’eau tritiée. D’autres ont observé que l’arginine tritiée, qui est très rapidement incorporée dans l’embryon de souris, est encore plus radiotoxique pour cet élément (au stade de blastocyste).

La transmutation du tritium et l’effet isotopique

Deux autres raisons théoriques viennent renforcer les raisons plausibles qui peuvent expliquer l’existence de EBR presque toujours supérieurs à 1 avec le tritium.
Tout d’abord, lorsqu’un atome [3H] se désintègre en émettant une particule bêta, il se transforme en [He] (hélium). Pour le tritium organique, cette transmutation conduit à la formation d’un carbone ionisé. Des expérimentations portant sur l’incorporation de bases pyrimidiques [5] tritiées dans différents types de cellules ont démontré un rôle mutagène de cette transmutation. Des auteurs utilisant de la thymidine tritiée sur des cellules humaines ont pu établir que 31% des ruptures monocaténaires produites sur l’ADN seraient associées à ce phénomène de transmutation.
Par ailleurs, la différence de masse atomique entre des isotopes d’une même famille conduit à ce qui est communément appelé un « effet isotopique ». La différence de masse entre le tritium et l’hydrogène (un facteur 3) est susceptible de produire un effet discriminant entre ces deux éléments. Des données scientifiques plus récentes suggèrent une concentration renforcée de tritium au niveau de la couche d’hydratation intimement liée à l’ADN. Sans être du tritium organiquement lié au sens usuel, Baumgartner et collaborateurs ont clairement montré un enrichissement d’eau tritiée liée à des macromolécules (par comparaison à l’eau libre dans la cellule). Cet enrichissement en tritium est d’un facteur 1,4 pour l’eau d’hydratation des protéines et d’un facteur 2 pour l’eau d’hydratation de l’ADN.

En conclusion

Il y a 10 ans déjà, lors d’un colloque de la SFRP [6] centré sur le tritium, l’ACRO était intervenue pour demander que soit réévalué le risque associé au tritium notamment en prenant mieux en compte les EBR définis expérimentalement. Nous n’avons pas cessé de porter sur la place publique les nouvelles données de la littérature scientifique et d’interpeler les pouvoirs publics face aux tentatives de banalisation des rejets de tritium dans l’environnement. Depuis l’ASN a créé deux groupes de travail sur ce thème. L’ACRO a accepté d’y participer et se bat pour une réévaluation du risque radio-induit lié au tritium. L’histoire nous donnera raison.


[1] Effets aléatoires (expression probabiliste) qui apparaissent tardivement et dont la probabilité d’apparition augmente avec la dose de façon linéaire et sans seuil. Habituellement, ce type d’effet est mis en évidence à travers des études épidémiologiques.

[2] Effets obligatoires au-delà d’un seuil de dose (propre à chaque effet observé), d’apparition généralement précoce et dont la gravité dépend de la dose reçue.

[3] Radiation protection n°152. Emerging issues on Tritium and low energy beta emitters. 2008.
Report of AGIR. Review of risks from Tritium. 2007.

[4] Commission Internationale de Protection Radiologique. Groupe d’experts internationaux qui produit régulièrement des recommandations en matière de radioprotection.

[5] Base azotée dérivant de la pyrimidine, qui entre dans la composition des nucléotides, des acides nucléiques.

[6] Société Française de Radioprotection

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Le tritium dans le Nord Cotentin

ACROnique du nucléaire n°85, juin 2009


Depuis 20 ans, l’ACRO s’est dotée de moyens de mesure pour contrôler les niveaux de tritium dans l’environnement des sites nucléaires du Nord Cotentin. Grâce à cette action de surveillance citoyenne, notre association a pu notamment alerter sur les fortes contaminations en tritium qui perdurent dans les nappes phréatiques situées sous le Centre de Stockage de la Manche et que l’on retrouve dans des exutoires du plateau de la Hague. Dans les eaux du littoral, les niveaux mesurés sont jusqu’à cent fois supérieurs aux niveaux naturels.
Cette préoccupation forte s’explique par le fait que l’industrie nucléaire produit des quantités très importantes de ce produit radioactif et parce qu’il est entièrement libéré dans l’environnement. Alors que la tendance va vers une augmentation des rejets de tritium dans l’environnement, des incertitudes demeurent sur son transfert dans la chaîne alimentaire et sur son niveau de radiotoxicité pour l’homme.

Des rejets en tritium en constante augmentation

Les rejets en tritium des installations nucléaires ont fortement augmenté ces dernières années.
Si l’on regarde l’évolution des rejets liquides des installations nucléaires sur les 15 dernières années (figure1), on constate que les rejets en tritium ont augmenté d’un facteur 3 alors que l’on note une tendance à la baisse en ce qui concerne les autres éléments radioactifs rejetés. Il s’agit, sur ce graphique, des rejets de l’ensemble de la filière électro-nucléaire (fabrication et enrichissement du combustible, exploitation des centrales, retraitement et recherche) des pays signataires de la convention OSPAR , regroupant les pays côtiers de l’Europe de l’ouest. A noter que les usines de retraitement (La Hague, pour la France et Sellafield pour la Grande Bretagne) sont les principaux contributeurs de ces rejets.

L’augmentation des rejets liquides en tritium est en totale contradiction avec les accords de Sintra, signés en juillet 1998 par les 15 gouvernements européens de la convention OSPAR, dont la France, qui stipule la volonté commune de réduire les rejets radioactifs en mer afin de parvenir à des teneurs dans l’environnement proches des niveaux naturels d’ici 2020.

Figure 1 : Evolution des rejets liquides des installations nucléaires des pays signataires de la convention OSPAR.

Figure 1 : Evolution des rejets liquides des installations nucléaires des pays signataires de la convention OSPAR.

Les sources de tritium dans La Hague

L’un des principaux contributeurs des rejets de tritium dans l’environnement du Nord Cotentin est l’usine de retraitement AREVA La Hague. Ses autorisations de rejets annuels pour le tritium sont de 18500 TBq (18500 milliers de milliards de Becquerels) pour les rejets liquides et de 150 TBq en ce qui concerne ses rejets gazeux.

Si l’on compare avec d’autres installations (figure 2), on constate que ses rejets liquides en tritium sont 200 fois plus importants que ceux produits par les deux réacteurs de la centrale de Flamanville, soit environ plus de 10 fois l’ensemble des rejets liquides du parc électronucléaire français. Les rejets gazeux des usines de retraitement sont, quant à eux, 30 fois plus importants que ceux de Flamanville, soit approximativement équivalents à l’ensemble des rejets des 58 réacteurs français. A titre de comparaison, les rejets d’autres installations, réputées pour émettre du tritium, sont également présentés sur le graphique, comme l’usine de retraitement britannique de Sellafield, le site CEA de Valduc et les prévisions de rejet de la future installation ITER, dédiée à la fusion nucléaire.

Figure 2 : comparaison des quantités de tritium rejetés

Figure 2 : comparaison des quantités de tritium rejetés

Intéressons-nous, maintenant, au deuxième gros contributeur d’émission de tritium dans l’environnement du Nord-cotentin que constitue la centrale nucléaire de Flamanville avec ses deux réacteurs de 1300 MWe. La figure 3 présente la chronologie de ses rejets liquides et gazeux sur les 22 dernières années.
Ses rejets gazeux en tritium oscillent autour de 2 TBq avec une tendance à la baisse, actuellement. Concernant les rejets liquides, on constate une importante augmentation depuis l’année 2000 qui amène la centrale à frôler son autorisation annuelle de 60 TBq ces dernières années.

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Figure 3 : Evolution des rejets tritiés gazeux (haut) et liquides (bas) du CNPE de Flamanville de 1985 à 2008

Cette augmentation des rejets liquides est due à l’utilisation de nouveaux combustibles (dits GEMMES) plus enrichis et produisant d’avantage de tritium. Il est à noter que Flamanville, comme d’autres centrales en France, comme la centrale de Penly, a demandé une augmentation de ses autorisations de rejets en prévision de l’utilisation d’un nouveau combustible, dit à « Haut taux de combustion (HTC) » et de la mise en route du futur réacteur EPR.

Le Centre de Stockage de la Manche (CSM), exploité par l’ANDRA, qui jouxte le site AREVA, a été le premier centre de stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité en France. Il n’a obtenu que tardivement une autorisation de rejet (arrêté du 10 janvier 2003), alors que, depuis son ouverture (en 1969), du tritium a été régulièrement relâché vers l’environnement.
Sur le site, le mode de gestion des eaux a évolué au cours des années. Actuellement, seules les eaux pluviales sont rejetées dans la rivière Sainte Hélène via le bassin d’orage commun avec le site AREVA. Les effluents à risques, issus du réseau de drainage des ouvrages du site, sont rejetés en mer via l’établissement AREVA. Deux autorisations encadrent les rejets : une limite maximale de 0,125 TBq basée sur le cumul des rejets annuels en ce qui concerne les rejets en mer et une limite en concentration moyenne hebdomadaire de 100 Bq/L et annuelle de 30 Bq/L en ce qui concerne les rejets dans la rivière Sainte Hélène.

Enfin, concernant l’arsenal militaire de Cherbourg où s’effectuent la construction et la maintenance des sous-marins à propulsion nucléaire, peu d’information est disponible. L’inventaire des rejets radioactifs réalisé par le Groupe radioécologie Nord cotentin (GRNC), à la fin des années 90, présente qualques valeurs de rejets annuels liquides concernant l’élément tritium, comprises entre 50 et 1800 MBq (1800 million de Becquerel) pour la période comprise entre 1993 et 1997.

Comment mesure t-on le tritium dans l’environnement ?

Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, il en possède donc les mêmes propriétés chimiques. Dans l’environnement, on peut le trouver sous la forme d’eau tritiée où l’atome de tritium remplace un atome d’hydrogène dans la molécule d’eau. C’est sous cette forme que le tritium est mesuré à l’ACRO par une méthode dite, directe, où son rayonnement bêta est mis en évidence à l’aide d’un compteur à scintillation liquide. On utilise pour cela un solvant que l’on mélange à l’échantillon d’eau, qui a la particularité de « scintiller », c’est-à-dire, d’émettre des photons lumineux lorsqu’il est traversé par les rayonnements bêta.
Mais de la même façon, l’atome de tritium peut également se lier à la matière organique en se substituant aux atomes d’hydrogène. Sa mesure est alors plus difficile puisqu’il est nécessaire de l’extraire de la molécule organique pour pouvoir le mesurer. C’est pourquoi, le tritium lié à la matière vivante n’est pas ou très peu suivi dans l’environnement. Pourtant des incertitudes demeurent sur son transfert dans la chaîne alimentaire. Des études britanniques montrent que, contrairement à ce qui est admis actuellement en France, le tritium rejeté dans l’environnement tendrait à s’accumuler dans la matière vivante.

La surveillance menée par l’ACRO

Depuis 20 ans, l’ACRO surveille le tritium dans les cours d’eau du plateau de La Hague, et depuis plus de 10 ans, sur l’ensemble du littoral normand et dans les principales rivières du bassin Seine Normandie.
Le suivi du littoral couvre environ 600 km de côtes avec 11 sites répartis de Granville à Dieppe, suivis deux fois par an, à l’occasion des grandes marées. En ce qui concerne les eaux douces, les principales rivières du bassin Seine Normandie sont concernées chaque semestre. Une attention plus poussée est portée sur les cours d’eau du plateau de la Hague où des prélèvements mensuels sont effectués le long des cours d’eau influencés par la présence des installations nucléaires, comme la Sainte Hélène, le Grand Bel et la rivière des Moulinets.
D’autres prélèvements sont réalisés au titre d’investigation, par exemple sur des eaux de résurgence, des puits chez des particuliers, des abreuvoirs ou même sur des eaux de pluie. Ces investigations permettent de compléter les mesures régulières.

Figure 4 : Localisation des sites de prélèvement le long du littoral et des principaux cours d’eau du bassin Seine Normandie

Figure 4 : Localisation des sites de prélèvement le long du littoral et des principaux cours d’eau du bassin Seine Normandie

Concernant le suivi du tritium sur les côtes normandes, si l’on regarde les résultats sur les 3 dernières années (graphique présenté sur la figure 5 ci-dessous), on constate que les valeurs les plus importantes (de 11 à 16 Bq/L), se situent au niveau de la pointe de la Hague (site de la baie d’Ecalgrain), juste en face de la sortie de la canalisation en mer de l’usine AREVA. Les concentrations mesurées décroissent ensuite à mesure que l’on s’éloigne avec, au niveau de la Haute Normandie, une augmentation sensible des niveaux de tritium due aux rejets des deux centrales nucléaires situées à Paluel et Penly. A titre de comparaison les niveaux naturels dans l’eau de mer sont d’environ 0,2 Bq/L.

Figure 5 : synthèse des niveaux de tritium (minimum et maximum) mesurés le long du littoral normand de 2005 à 2007

Figure 5 : synthèse des niveaux de tritium (minimum et maximum) mesurés le long du littoral normand de 2005 à 2007

En ce qui concerne les principales rivières, aucune contamination en tritium n’est mise en évidence en dehors de la Seine, en aval de Nogent sur Seine, où le tritium est systématiquement mesuré avec des valeurs comprises entre 70 et 80 Bq/L, conséquences des rejets de la centrale nucléaire présente en ce lieu.

Figure 6 : niveaux de tritium (min et max) mesurés dans les principales rivères du bassin Seine Normandie de 2005 à 2007

Figure 6 : niveaux de tritium (min et max) mesurés dans les principales rivères du bassin Seine Normandie de 2005 à 2007

Intéressons nous maintenant aux résultats du suivi du plateau de La Hague. Pour commencer, regardons le suivi d’un lieu sensible puisqu’il s’agit de la rivière Sainte Hélène qui prend sa source sous les installations nucléaires d’AREVA et du Centre de Stockage de la Manche, constituant l’exutoire des rejets issus du bassin d’orage. On constate, en regardant les résultats du suivi (figure 7), que l’eau de la Sainte Hélène est marquée par le tritium de sa source jusqu’à 2km en aval, c’est-à-dire, quasiment sur toute sa longueur. Les niveaux oscillent de la source jusqu’à 400 mètres en aval de 60 à 250 Bq/L et de 70 à 150 Bq/L plus loin, à 2 km en aval. Les variations saisonnières sont généralement synchrones mais elles présentent parfois des niveaux en tritium plus importants en aval de la source. Il existe donc des contributions en tritium qui alimentent la rivière après sa source. En effet, des résurgences, analysées, révèlent des apports supplémentaires de tritium, confirmant la contamination des nappes phréatiques sous-jacentes.

Figure 7 : Suivi des niveaux de tritium dans la rivière sainte Hélène sur le plateau de la Hague.

Figure 7 : Suivi des niveaux de tritium dans la rivière sainte Hélène sur le plateau de la Hague.

La contamination des nappes phréatiques provient majoritairement des nombreux relâchements en tritium vers les aquifères du centre de stockage de 1976 à 1996, que l’exploitant évalue à 35 TBq (35 milliers de milliards de Becquerels) de tritium relâché ainsi dans les sous-sols, dont 5 TBq pour la seule année 1976. Ce tritium provenait en majeure partie d’un entreposage précaire de déchets tritiés. En 1986, l’ANDRA a mesuré jusqu’à 6 millions de becquerels par litre dans l’aquifère sous le centre, et mesure encore aujourd’hui des concentrations pouvant aller jusqu’à 180 000 Bq/L.
Dans le cadre d’une campagne menée par Greenpeace en 2006, de l’eau souterraine puisée en zone publique au nord du site a été mesurée par notre laboratoire à 20 600 Bq/L.

Cette situation est préoccupante car la pollution des nappes continue à dépasser largement les normes de potabilité définies par l’OMS (10 000 Bq/L) et le niveau d’intervention défini par l’Union Européenne (100 Bq/L). La surveillance des nappes phréatiques reste un enjeu majeur et on peut regretter que l’accès aux puits de contrôle soit réservé au seul exploitant. Les sous-sols relèvent bien pourtant du domaine public…

Maintenant, si l’on considère comme anciens les relâchements en tritium et autres incidents, on devrait s’attendre à une amélioration de la situation radiologique de l’environnement. Ce qui n’est pas le cas. Si l’on regarde les niveaux mesurés dans la rivière le Grand Bel, depuis 10 ans, on constate une stagnation des concentrations en tritium autour de 700 Bq/L au niveau de sa source et autour de 200 Bq/L plus loin à un kilomètre en aval (voir figure 8). Le Grand Bel, prend sa source à quelques centaines de mètres au nord du CSM et c’est un affluent de la Sainte Hélène. La contamination quasi stable, au cours du temps, des eaux de cette rivière va à l’encontre de ce que l’on devrait attendre. En effet, comme tout élément radioactif, le tritium s’élimine en fonction de sa période physique, appelée aussi demi-vie. Celle-ci est de 12,3 ans pour le tritium, c’est-à-dire qu’après ce délai la moitié de sa quantité initiale doit avoir disparu. Or on voit bien que cela n’est pas le cas ici et on peut donc soupçonner un apport régulier en tritium vers la nappe phréatique.

Figure 8 : Evolution des concentrations en tritium des eaux de la rivière du Grand Bel de 1999 à 2007

Figure 8 : Evolution des concentrations en tritium des eaux de la rivière du Grand Bel de 1999 à 2007

Ancien lien

Novlangue radioactive

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°85, juin 2009


EdF vient d’ouvrir 7 boutiques « Bleu Ciel » à travers la France. Il devrait en avoir 69 dans les grandes villes d’ici 4 à 5 ans. Le concept a visiblement séduit le journaliste : « L’espace se veut aussi facilement accessible à tous les publics, avec un espace plat et vaste pour faciliter les déplacements, un service e-sourd permettant d’échanger avec un conseiller en langage des signes via un écran ainsi qu’une « douche sonore » permettant aux non-voyants de se voir délivrer des informations [1]. » Ah, EdF nous étonnera toujours par son vocabulaire, même si la novlangue est très développée dans l’industrie nucléaire. Les « déchets » sont devenus des « colis ». L’extraction du plutonium des combustibles usés, du « retraitement », voire du « recyclage ». Ou le « zéro impact sur l’environnement » pour caractériser les rejets de l’usine de La Hague qui sont parmi les plus élevés au monde….

Ce vocabulaire plait aux politiques qui le recyclent en langue de bois. Quand Areva abandonne une technologie complètement dépassée pour l’enrichissement de l’uranium, et importe la méthode par centrifugation utilisée par les autres pays depuis de nombreuses années, cela devient dans la bouche du Premier ministre de « l’innovation technique [qui] signe une nouvelle fois les grands projets d’Areva. […] Il faut que la France conserve la tête de la recherche et de l’innovation dans le domaine nucléaire [2]. »

Parmi les nouveautés de la novlangue, il y a « la relance du nucléaire », fétu de paille auquel se raccrochent tous les politiques en période de crise car c’est une des rares industries françaises qui n’est pas délocalisable à cause des risques de prolifération. Cela permet de cacher leur impuissance face aux autres secteurs économiques. Or pour l’AIEA, « la plupart des Etats qui déclarent vouloir du nucléaire ne se rendent pas compte de la lourdeur du processus, car il est impensable d’envisager la moindre centrale sans s’assurer de l’existence d’une réelle autorité de sûreté, capable et indépendante. […] Et quoi qu’en disent des acteurs du nucléaire, vendre une installation clefs en main est dangereux, il faut d’abord bâtir une culture nucléaire nationale [3] ». Le collège de l’Autorité de Sûreté Nucléaire française est en phase : « Parlons clair. L’apprentissage de la sûreté nucléaire est une longue marche. […] On aboutit ainsi à un délai minimum d’une quinzaine d’années avant que puisse démarrer l’exploitation dans de bonnes conditions d’un réacteur nucléaire de puissance [4]. »

Cette novlangue embrume tellement les esprits, qu’il suffit qu’un journaliste utilise un langage normal pour qu’il soit accusé de salir une industrie ou une région. Cela a été particulièrement flagrant avec l’émission de France 3, Thalassa du 8 mai, qui a osé mentionner les rejets des usines de retraitement de La Hague et de Sellafield. Immédiatement, une partie des populations locales a crié au complot et insulté les journalistes.

Dans un tel brouhaha lénifiant, l’engagement du Président américain de parvenir à un monde sans arme nucléaire a créé un électrochoc salutaire. Alors, écoutons-le longuement : « L’existence de milliers d’armes nucléaires est l’héritage le plus dangereux de la guerre froide. […] Certains prétendent que la prolifération de ces armes ne peut pas être arrêtée, pas être contrôlée – que nous sommes destinés à vivre dans un monde où plus de nations, plus de peuples possèdent l’outil de destruction ultime. Un tel fatalisme est un adversaire mortel, car si nous croyons que la prolifération des armes nucléaires est inévitable, alors, d’une certaine façon, nous admettons que l’utilisation des armes nucléaires est inévitable. […] Et, en tant que puissance nucléaire – en tant que puissance nucléaire, en tant que l’unique puissance nucléaire à avoir utilisé l’arme nucléaire, les Etats-Unis ont une responsabilité morale à agir. Nous ne pouvons pas réussir cet effort seul, mais nous pouvons en être à la tête, nous pouvons le démarrer. Ainsi aujourd’hui, je proclame clairement et avec conviction l’engagement des Etats-Unis à œuvrer en faveur de la paix et la sécurité d’un monde sans armes nucléaires. Je ne suis pas naïf. Ce but ne sera pas atteint rapidement – peut-être pas durant mon existence. Je serai patient et persévérant. Mais nous aussi, nous devons ignorer les voix qui nous disent que le monde ne peut pas changer. Nous devons insister : yes, we can [5] ».

Pour Tadatoshi Akiba, le maire de Hiroshima parlant à la tribune de l’ONU au nom des « maires pour la paix », une organisation non gouvernementale qui regroupe 3 000 municipalités : « le discours du Président Obama à Prague nous a assuré que la grande majorité du monde a absolument raison en affirmant que des armes nucléaires devraient être supprimées [6] ». Cet enthousiasme est largement partagé, même si ce sont les actes qui marqueront le monde. Les premiers effets se sont fait sentir lors du comité préparatoire à la conférence qui doit renouveler le Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP), qui s’est tenu à New York en mai dernier, où les 189 membres se sont mis d’accord sur l’ordre du jour de la conférence de 2010. Et, dans cet ordre du jour, il est prévu que les cinq Etats nucléaires “officiels” revoient leurs engagements en matière de désarmement prévus par le TNP, malgré l’opposition de la France qui a finalement cédé, car elle était isolée. Rendez-vous l’année prochaine pour cette échéance importante pour le désarmement nucléaire.

Les nouvelles technologies de l’information qui marquent le 21ième siècle ne décryptent pas la novlangue. Au contraire, car elles favorisent l’information instantanée, faite de « copié-collé » sans recul et sans réflexion. Le travail d’analyse critique et de vulgarisation de l’ACRO, souvent considéré comme lent et fastidieux, n’en est que plus pertinent.

[1] Les Echos, 30/04/09
[2] Usine Georges-Besse II Tricastin, Intervention du Premier ministre, 18-05-2009
[3] Philippe Jamet, en charge de la Direction de la sûreté des installations nucléaires, in Les Echos 01/04/09
[4] Note d’information. Position du collège de l’ASN : « Il faut assurer la sûreté des nouveaux projets de construction de réacteurs nucléaires dans le monde », 16 juin 2008
[5] Discours de Barack Obama, Prague, 5 avril 2009 (traduit par nos soins)
[6] The Japan Times, 7 mai 2009

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