Fierté française, le « recyclage » des combustibles nucléaires usés, affiche une piètre performance après 56 ans de développements industriels. En effet, seul le plutonium, soit moins de 1% de la masse des combustibles usés, repasse en réacteur sous forme de combustible Mox. Et ces combustibles Mox ne sont pas retraités après irradiation et s’entassent dans les piscines de La Hague proches de la saturation. Comme le plutonium a une forte valeur énergétique, cela permet de réduire d’un peu moins de 10% la consommation de combustibles à l’uranium naturel enrichi.
Mais, ces dernières années, un changement de procédé à l’usine Mélox a grippé le « cycle » car les pastilles de combustibles Mox qui y sont produites n’ont pas l’homogénéité requise. Les rebuts sont renvoyés à La Hague, sans solution pour le moment. Et là aussi cela sature.
Une étude des données publiées tous les ans par l’ANDRA dans ses inventaires de déchets et matières radioactifs permet d’avoir une idée de l’ampleur du problème. Plongeons-nous dans les chiffres.
Depuis 2001, année de la fermeture de sa dernière mine, la France importe tout son uranium. Pour savoir d’où il vient et en quelle quantité, il faut prendre en compte toute la chaîne de transformations chimiques et nucléaires entre la mine et le réacteur, qui est complexe, et retracer ensuite les échanges commerciaux. Car l’uranium voyage beaucoup et change de pavillon en cours de route. Et le manque de transparence n’aide pas…
Depuis 2001, année de la fermeture de sa dernière mine, la France importe tout son uranium. D’où vient-il ? Difficile de répondre car, entre les mines et les réacteurs, l’uranium voyage beaucoup pour subir un ensemble de transformations chimiques et nucléaires, et change alors de pavillon. Aux Etats-Unis, l’administration publie un rapport annuel complet sur les flux d’uranium et les coûts associés. Euratom publie des données au niveau européen. Mais rien de tel en France et il faut fouiller sur internet pour trouver des données, malheureusement incomplètes.
L’uranium naturel est composé essentiellement de deux isotopes, l’uranium-238 et l’uranium-235 auxquels s’ajoutent des traces d’uranium-234. Seul l’uranium-235 est fissible, mais sa teneur naturelle n’est que de 0,72%. Or, la grande majorité des réacteurs nucléaires de production d’électricité utilisent un combustible dont la teneur en uranium-235 a été enrichie entre 3 et 5%. Il faut donc séparer physiquement les deux principaux isotopes de l’uranium naturel après une série de conversions chimiques, pour obtenir, d’un côté, de l’uranium enrichi à partir duquel le combustible est fabriqué et de l’uranium appauvri qui a très peu de débouchés. L’enrichissement est donc une étape stratégique pour l’industrie nucléaire avec seulement 4 acteurs majeurs : Rosatom en Russie couvre 46% de la production mondiale ; Urenco, avec des usines au Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas et Etats-Unis, détient 30% des parts de marché ; Orano, avec une usine en France, 12% et CNNC en Chine, 11%. Ce dernier ne fournit que la Chine, dont le marché est fermé. Le marché russe est aussi fermé aux enrichisseurs occidentaux, mais Rosatom fournit aussi l’occident, en plus du marché national.
In fine, les assemblages de combustible utilisés par EDF sont fabriqués par sa filiale Framatome, dans ses usines françaises et allemandes et par Westinghouse, dans ses usines en Suède et au Royaume-Uni.
Orano, exploite des mines d’uranium situées au Canada, Kazakhstan, Niger et Ouzbékistan et a des participations dans d’autres mines dont il n’est pas l’exploitant. Mais la compagnie enrichit de l’uranium provenant de presque tous les pays producteurs d’uranium et fournit une soixantaine de clients dans le monde. D’après Le Monde, quatre pays, à savoir le Kazakhstan (20,1 %), l’Australie (18,7 %), le Niger (17,9 %) et l’Ouzbékistan (16,1 %), lui ont fourni les trois quarts de l’uranium naturel importé entre 2005 et 2020.
Entre 1956 et 2003, le parc nucléaire français a eu besoin de 173 837 tonnes d’uranium naturel, soit 11,5% de la demande mondiale, selon le « Red book » de l’OCDE. EDF s’approvisionne auprès d’Orano, qui lui fournit actuellement 40 % de son combustible, d’Urenco et de Tenex, la filiale de Rosatom. Entre 2009 et 2012, années pour lesquelles des données précises sont disponibles, Tenex a enrichi 28% de l’uranium consommé par EDF. Même après l’invasion de l’Ukraine, EDF continue ses achats en Russie, selon le Canard Enchaîné (7/12/2022), alors qu’elle pourrait se fournir ailleurs.
Sans la Russie, impossible de réutiliser une partie de l’uranium récupéré lors du retraitement des combustibles usés. Et, pour sauver le mythe du recyclage, l’industrie nucléaire est prête à s’assoir sur la résolution du parlement européen qui « invite les États membres à mettre un terme à toute collaboration avec la Russie dans le domaine nucléaire, en particulier avec Rosatom et ses filiales ».
Mise à jour du 13 mars 2023
Le 11 mars, Greenpeace a publié un rapport sur les flux d’uranium entre la Russie et la France qui vient compléter notre travail. Il a eu un plus grand impact médiatique que le nôtre…
Dans sa réponse aux médias, EDF ne nie pas l’importation d’uranium enrichi en provenance de Russie tout en opposant le “caractère confidentiel” du détail de ses approvisionnements. Elle précise cependant qu’elle n’a pas “augmenté sa part d’enrichissement de son uranium naturel non russe réalisé en Russie en 2022 par rapport à 2021”.
Et comme l’uranium n’est pas concerné par les sanctions européenne, la compagnie a beau jeu d’affirmer appliquer “strictement toutes les sanctions internationales et/ou les restrictions liées à la non-obtention d’autorisations administratives requises, tout en respectant les engagements contractuels pris”. Et donc elle ne va pas rompre ses contrats avec la Russie, même si son partenaire occupe la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia. Les 16 engagements Responsabilité Sociétale d’Entreprise d’EDF, qui incluent « l’éthique et les droits humains », ne pèse pas bien lourd, comme nous l’avions déjà souligné.
Exploitation d’une mine déguisée en carrière située sur une anomalie uranium d’origine géologique (témoignage de J. Avendano, Présidente de Tournai-Villedieu_environnement (61)
Contrôles radiologiques au voisinage de la carrière de la Garenne de Villedieu
Explosion d’un missile au nord de la Russie en mer Blanche le 08/08/19
Première mise en ligne : lundi 12 août 2019 – Dernière mise à jour : lundi 13 janvier 2020
Une explosion dans un centre d’essai militaire
Le jeudi 8 août 2019 à 9h, une forte explosion a eu lieu sur le site Nyonoksa (Ненокса), dans l’Oblast d’Arkhangelsk (Архангельск). Le site d’essai est situé au bord de la Baie de Dvina, de la Mer Blanche, au Nord de la Russie. (Voir sur Openstreetmap).
Cette explosion a été détectée par le réseau de surveillance de l’Organisation du traité d’interdiction des essais nucléaires (OTICE) :
In response to media queries, and to meet civil society expectations on applications of #CTBTO data beyond the Treaty, we confirm an event coinciding with the 8 Aug explosion in #Nyonoksa, Russia, was detected at 4 #IMS stations (3 seismic, 1 infrasound). pic.twitter.com/bMWdze2vl0
A noter que l’organisation norvégienne NORSAR, désignée pour surveiller les essais nucléaires, a publié, le vendredi 23 août 2019, un communiqué dans lequel elle explique avoir détecté deux explosions, séparées de 2 heures. La première secousse a eu lieu à 9h, heure locale (6:00 TU), comme annoncé par les autorités russes. La deuxième secousse a été enregistrée par infrasons à la station de Bardufoss, dans le comté de Troms (voir sur openstreetmap). Et comme l’accès aux balises russes du traité d’interdiction des essais nucléaire est coupé, il n’est pas possible d’avoir des données supplémentaires.
Dans un second communiqué daté du mardi 27 août, NORSAR explique que la première explosion, qui correspond aux informations russes, a aussi été détectée par des ondes sismiques, ce qui signifie un couplage au sol, c’est à dire en contact avec le sol. Ce peut être via de l’eau.
Quant à la deuxième explosion, détectée 2 heures plus tard, elle a été confirmée par d’autres stations en Norvège et en Finlande. Son signal est plus faible, avec la signature d’une explosion. Il y aurait un à deux degrés d’écart dans sa localisation par rapport à la première explosion. Elle pourrait être due à un tir de mine en Finlande, selon le communiqué.
Voici une image satellite du site d’essai prise sur googlemap :
La première communication du Ministère de la défense russe a fait état d’une explosion lors d’un test sur un nouveau combustible pour missile balistique qui a fait plusieurs victimes. (Voir le live du 8 août d’un média local).
Les autorités de la ville de Severodvinsk (Северодвинск), commune de 190 000 habitants située à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau du site d’essai, vers l’Est, ont fait état, d’une augmentation brève de la radioactivité ambiante, entre 11h30 et 12h30 (heure de Moscou). L’annonce a rapidement disparu du site Internet (le lien n’aboutit plus), mais on trouve des copies. Voir, par exemple, cette copie d’écran. Greenpeace Russie l’a mise en ligne et demande des éclaircissements (copie du document). On peut y trouver cette carte, avec des niveaux de radiation ambiants exprimés en µSv/h :
La valeur la plus élevée est de 2 µSv/h. De tels niveaux sont supérieurs au bruit de fond naturel (0,11 µSv/h), mais n’impliquent pas de mesure de protection. La dose totale reçue aurait été de 1 à 2 µSv selon le communiqué.
A noter que les autorités norvégiennes ont indiqué, le lendemain, qu’elles n’avaient pas enregistré de hausse de la radioactivité. Voir leur communiqué en anglais.
Ces informations, associées à l’affirmation du ministère de la défense russe que les niveaux de radioactivité sont restés “normaux” (voir la dépêche de l’agence Tass du 9 juillet), auraient, selon les médias, provoqué une forte inquiétude et les habitants de la région auraient épuisé le stock d’iode dans les pharmacies.
Le centre de recherche militaro-industriel nucléaire de Sarov impliqué
Le samedi 10 août, la compagnie Rosatom, en charge du complexe militaro-industriel nucléaire russe, a reconnu que 5 de ses scientifiques étaient décédés lors de l’explosion (lire son communiqué en anglais). Elle parle de héros pour lesquels elle a demandé une médaille posthume qui a été accordée (source). L’agence de presse Tass a repris les noms des victimes en précisant qu’elles venaient du centre de recherche nucléaire Sarov où un deuil a été déclaré (Voir la déclaration officielle du deuil). Ils viennent s’ajouter aux deux militaires décédés et aux blessés.
Portrait des 5 scientifiques décédés (source). Aucune information n’est disponible sur les autres victimes militaires.
La ville de Sarov (Саров), située dans l’Oblast de Nijni Novgorod, est située à moins de 400 km à l’Est de Moscou (Voir sur Openstreetmap). Elle abrite depuis 1946, sous le nom de code Arzamas-16 (Арзамас-16), un site de recherche secret sur les armes nucléaires. Selon Wikipedia, l’existence même de la ville restera secrète jusqu’en 1989. Il s’agit d’une indication forte que l’expérience qui a entraîné l’explosion est liée à l’armement nucléaire.
Dans son communiqué, Rosatom indique qu’il s’agissait d’un essai effectué sur une plateforme au large sur un nouveau liquide de propulsion impliquant des isotopes radioactifs. Toute la presse avance un projet de missile nommé 9M730 Burevestnik par la Russie et SSC-X-9 Skyfall par les Etats-Unis et l’OTAN. La BBC mentionne aussi la possibilité d’un drone sous-marin, appelé Poseidon ou d’un autre missile appelé Zircon. Le gouvernement russe s’est refusé à commenter.
Dans cette vidéo d’une télévision locale de Sarov, on voit quelques images du centre d’essai, des équipes d’urgence, ainsi qu’une déclaration du directeur scientifique du centre de Sarov qui parle d’utilisation d’isotopes et de matières fissibles :
A noter que toutes navigation et baignade ont été interdites dans une partie de la baie.
Le jeudi 21 novembre 2019, le président Vladimir Putin a remis les médailles de l’ordre du courage aux veuves des employés décédés. Les veuves militaires ne semblent pas décorés. Le communiqué du Kremlin en anglais est sans intérêt.
Et les blessés ?
Vendredi 16 août 2019,le Moscow Times révèle que le personnel médical qui a pris en charge les trois blessés à l’hôpital régional d’Arkhangelsk (Arkhangelsk Regional Clinical Hospital) n’a pas été informé que les patients étaient radioactifs. Aucune mesure de protection n’a donc été prise. Les blessés seraient arrivés nus, emballés dans un sac en plastique transparent.
Le FSB serait venu, dès le 9 août, à l’hôpital, faire signer au personnel médical un engagement de confidentialité. Mais d’autres médecins non directement concernés ont parlé au journal. Le personnel de l’hôpital serait furieux et ne comprend pas pourquoi les blessés n’ont pas été envoyés vers un hôpital militaire.
Pour calmer la colère, une soixantaine d’employés de l’hôpital se sont vus proposer des examens à Moscou. Un des médecins examinés aurait une contamination au césium-137 sans qu’il sache en quelle quantité. Tous ne sont pas allés à Moscou. En revanche, des spécialistes auraient été envoyés à hôpital d’Arkhangelsk.
Le service où les trois blessés ont été pris en charge aurait été fermé jusqu’au 13 août. Il a rouvert après une inspection.
Suite à ses révélations, le ministère de la santé a déclaré, le lundi 19 août, que 91 médecins spécialistes auraient été auscultés et qu’aucun n’aurait une contamination qui dépasse les limites établies. Selon le site 29.ru, qui relate l’information, 20 auraient subi des examens supplémentaires : une anthropogammamétrie au Burnazyan Medical Biophysical Center de Moscou, selon l’agence Tass.
Il s’agit d’une reconnaissance officielle que des médecins étaient bien contaminés, mais légèrement, sans indication précise, comme d’habitude.
Mercredi 21 août 2019, le média russophone en ligne Meduza, basé à Riga en Lettonie, publie des témoignages anonymes des équipes médicales qui ont transporté et soigné les blessés. Novaya Gazeta aussi. Les témoins confirment l’absence d’information relative à la contamination des victimes et l’absence de mesures de protection spécifiques. De plus, le véhicule de secours équipé du matériel de décontamination aurait été envoyé à Severodvinsk au lieu de prendre en charge les blessés.
Trois blessés auraient été envoyés à l’hôpital régional d’Arkhangelsk, qui n’est pas équipé pour traiter des patients contaminés, et trois autres à un autre hôpital de la ville, appelé Semashko, qui lui est équipé. Dans ce deuxième hôpital, les médecins auraient immédiatement pris des précautions après avoir détecté la contamination. Pas dans le premier.
Un médecin anonyme raconte qu’il aurait demandé si les blessés étaient contaminés et on lui aurait répondu qu’ils avaient déjà été décontaminés, ce qui n’était pas vrai. Comme les blessures étaient très graves, ils ont été immédiatement pris en charge. Des dosimétristes seraient entrés dans la salle d’opération pour contrôler les patients et se seraient éloignés en courant à cause du niveau de contamination du patient. Le lendemain, des militaires seraient venus décontaminer les salles où les patients contaminés ont été soignés. Certains équipements auraient été retirés.
Dans la salle d’accueil des urgences, il y avait de nombreux autres patients, dont des enfants et des femmes enceintes, qui ont donc aussi été exposés à la radioactivité. Quant au jeune médecin chez qui la contamination au césium-137 a été trouvée, on lui aurait dit qu’il avait mangé un crabe de Fukushima lors de ses vacances en Thaïlande…
Tous les documents médicaux relatifs aux blessés et à la contamination de l’équipe médicale auraient été saisis par l’armée russe…
Selon Novaya Gazeta, deux blessés seraient décédés lors de leur transfert à Moscou, des suites de leur forte contamination radioactive.
Jeudi 22 août, la BBC (la version en russe est plus longue) publie des témoignages qui confirment ceux de la veille. Les équipes médicales ont continué à soigner les blessés, sans interruption, même après avoir appris qu’ils étaient fortement contaminés. Elle ajoute qu’il n’y a aucune information disponible sur l’état des scientifiques blessés après leur transfert à Moscou.
Pour le Kremlin, cité par Meduza, ces témoignages n’ont aucun fondement. Il n’y a pas de problème.
Vendredi 23 août, les autorités régionales ont communiqué à propos des contrôles qui ont été effectués sur le personnel qui a pris en charge les blessés. Voir le communiqué officiel. Plus de 110 personnes ont été contrôlées et aucun dépassement des niveaux autorisés n’a été observé (aucune indication sur le niveau). Parmi eux, 20 auraient subi un contrôle à Moscou, au centre Burnazyan. Mais, y envoyer 110 personnes s’est révélé compliqué, et donc un appareil mobile a été envoyé à Arkhangelsk. L’équipement serait le même que celui utilisé à Moscou. Outre des contrôles de la radioactivité, une échographie de la thyroïde aurait aussi été faite.
Selon les autorités, aucune contamination de la peau, des vêtements n’a été détectée. Il n’y aurait pas eu non plus de contamination interne. Elles confirment que des traces de césium-137 ont bien été découvertes dans les muscles d’une personne, mais elles ne seraient pas dues à l’explosion. Les autorités soupçonnent la consommation d’aliments contaminés.
Ces informations ne concernent que l’hôpital régional et pas l’hôpital Semashko, qui n’a pas été contrôlé, selon 29.ru. Ce média local explique aussi qu’il n’y aura finalement pas d’examens médicaux des habitants de Nenoksa, village situé à proximité du site d’essai où a eu lieu l’explosion, contrairement à ce qui avait été dit.
Le Moscow Times, quant à lui, a trouvé le témoignage d’Igor Semin, un chirurgien cardiovasculaire de l’hôpital régional d’Arkhangelsk sur les réseaux sociaux, qui confirme, à visage découvert, que les médecins n’ont pas été informés de la contamination radioactive des patients. Le post, daté du 14 août, critique les autorités.
Le Kremlin, cité par Meduza, avait refusé de réagir à des témoignages anonymes (cf 22 août, ci-dessus). Le lundi 26 août, il a déclaré à la BBC que les autorités compétentes vérifieront le témoignage à visage découvert d’Igor Semin.
Au 30 décembre 2019, le personnel médical qui a traité les blessés contaminés et eu droit à des anthropogammamétries pour contrôler leur éventuelle contramination interne, n’ont toujours pas reçu les résultats officiels, selon le site Meduza repris par 29.ru. Une vingtaines de personnes s’étaient rendues à Moscou pour être contrôlées.
Peu d’informations sur le rejet radioactif
Le mardi 13 août, l’agence Tass signale que des échantillons de sol et d’eau ont été analysés à Severodvinsk et que les niveaux relevés ne dépassaient pas le bruit de fond naturel pour les émissions bêta et alpha (aucune valeur n’est donnée dans le communiqué). La dépêche confirme que le niveau de radiation ambiant est bien monté à un niveau de 4 à 16 fois plus élevé que le bruit de fond (0,11 µSv/h) le jeudi 8 vers 12h (0,45 à 1,78 µSv/h). Ces dernières données sont disponibles sur le site Internet de l’agence météorologique russe (copie, point 4).
Selon le Guardian et The Barents Observer, les autorités russes ont recommandé aux habitants de Nyonoksa de quitter temporairement le village, mercredi 14 août, entre 5 et 7h du matin, à cause de travaux sur le site d’essai où a eu lieu l’explosion. Un train spécial va les éloigner de la zone. En revanche, les autorités se refusent à parler d’évacuation, car il n’y aurait pas de lien avec l’explosion. Cela arriverait régulièrement. Puis, le média local 29.ru a finalement rapporté que cet éloignement était annulé…
Le jeudi 15 août 2019, Greenpeace Russie publie un communiqué signalant qu’une hausse de la radioactivité a aussi été relevée à Arkhangelsk (Архангельск). Il n’y a toujours aucune indication sur la nature des éléments détectés. Ce même jour, la Norvège annonce avoir détecté des traces d’iode radioactif dans sa station du Finmark, tout au Nord du pays, près de la frontière avec la Russie. Le communiqué précise que de l’iode radioactif est détecté environ 6 fois par an et que rien ne permet de dire si ces traces sont liées à l’explosion ou pas.
Comme le rapporte RBC, le vendredi 16 août, l’agence météo russe (Roshydromet) qui a détecté la radioactivité, aurait conclu que le rejet devait être composé de gaz nobles radioactifs puisqu’il n’y a pas eu de retombées sur les sols (point 5 du communiqué de Roshydromet, copie). L’argument est un peu léger et il faudrait publier toutes les données disponibles… Le média russe donne la parole à un écologiste qui mentionne une batterie au plutonium-césium. Le plutonium ne se disperse pas sur de grandes distances. Quant au césium, il y en a déjà partout dans l’environnement et une légère augmentation passe inaperçue.
Dimanche 18 août 2019, le Wall Street Journal (l’article est en accès payant, mais The Barents Observer reprend l’information) révèle que deux balises de mesure de la radioactivité ne répondaient plus, deux jours après l’explosion. Il s’agit des stations de surveillance du traité d’interdiction des essais nucléaires les plus proches du site d’essai, situées à Dubna, dans l’oblast de Moscou (voir sur openstreetmap) et à Kirov (voir sur openstreetmap), qui ont cessé de transmettre leurs données. Elles connaîtraient des “problèmes de réseau”… et l’Organisation du traité d’interdiction (OTICE) ne peut plus les interroger, selon son directeur, Lassina Zerbo. Ces deux stations de surveillance, qui appartiennent au ministère de la défense, devraient détecter la contamination radioactive atmosphérique (voir la carte avec toutes les stations) et se trouvaient sur la trajectoire du “nuage radioactif” :
To requests on #IMS detection beyond #CTBT, data in, or near the path of potential plume from the explosion are being analyzed . We’re also addressing w/station operators technical problems experienced at two neighboring stations. All data are available to our Member States. https://t.co/pHL4WrHU23pic.twitter.com/9aO5cQTlls
Le lundi 19 août, le Wall Street Journal précise que ce sont en fait quatre stations russes qui ne répondent plus, selon le directeur de l’OTICE. Les deux autres sont à Bilibino et Zalesovo et sont très éloignées de la zone de test. Elles auraient cessé de transmettre des données le 13 août.
Le mardi 20 août, le vice-ministre des affaires étrangères, Sergei Ryabkov, a déclaré, selon l’agence Interfax, que la transmission des données des balises à l’OTICE n’était pas obligatoire et que cela se faisait de façon volontaire. Par ailleurs, cette organisation n’a, dans son mandat, que l’interdiction des essais nucléaires, et tout le reste ne la regarde pas. Et comme l’explosion n’était pas un essai nucléaire, la Russie n’a rien à ajouter à ce qui a déjà été dit.
Ce n’est pas tout à fait exact : les données des balises sont transmises automatiquement. Bref, la panne de réseau invoquée ne serait donc pas une panne…
Ces stations permettent de connaître la nature des radioéléments transportés par les masses d’air, si la concentration est suffisante. C’est une information utile pour comprendre ce qui a explosé. La Russie a bénéficié de vents qui soufflaient vers l’Est. S’ils avaient soufflé vers l’Ouest, les balises occidentales auraient détecté le rejet et on en saurait un peu plus.
Vendredi 23 août, selon l’agence Tass, le responsable du Kremlin en charge de l’environnement a déclaré qu’aucune station de mesure n’a détecté de pic de radioactivité, ni en Russie, ni à l’étranger… Le média local 29.ru a rapporté que la population s’interroge sur la consommation de champignons et de baies, et que le nombre de touristes a baissé. Il n’est pas sûr que la communication officielle rassure.
Lundi 26 août 2019, l’agence météo russe (Roshydromet) a fini par lâcher des bribes d’information sur la nature du rejet radioactif (copie, point 3). Elle ne mentionne que des éléments à vie courte présents dans des échantillons d’aérosols à Severodvinsk : du strontium-91 qui a une demi-vie de 9,3 heures, du barium-139 avec une demi-vie de 83 minutes, du barium-140, de demi-vie de 12,8 jours et son descendant, le lanthane-140 (40 heures). Aucune indication n’est donnée sur les concentrations. Il est juste dit que l’air n’est plus contaminé.
Cette information est cohérente avec leur première information relative à un rejet de gaz inertes. Si c’est du Krypton-91 la source, il décroît avec une demi-vie de 8,6 s en rubidium-91, qui lui décroît avec une demi-vie de 58 s en strontium-91 présent dans les aérosols. Les xénons-139 et -140 décroissent (demi-vies de 39,7 s et 13,6 s), quant à eux, en césium-139 et -140 (demi-vies de 9,3 min et 63,7 s), puis en barium-139 et -140 présents dans les aérosols.
Cette information est contradictoire avec l’affirmation de Rosatom d’une batterie isotopique détruite lors de l’explosion, car elle n’est pas composée de gaz inertes à vie courte. Des radioéléments à vie si courte ne peuvent qu’avoir été créés sur place par une réaction nucléaire comme la fission.
Si l’explosion a eu lieu sous l’eau, de nombreux autres radioéléments ont pu rester dans l’eau de mer et ce sont les gaz qui se sont échappés et se sont déplacés avec les vents avant d’être détectés. Cette information sur la composition des rejets indique donc une réaction en chaîne impliquant la fission. Il n’y a aucune information relative à la contamination de l’eau de mer. Il est difficile de croire qu’aucune analyse n’ait été effectuée sur place. La “glasnost” a encore beaucoup de marges de progrès…
Lundi 2 septembre 2019, la chaîne de télévision TV29.ru a mis en ligne un reportage de l’agence de presse Belomorkanal où l’on voit les barges accidentées qui ont été abandonnées sur le rivage et des mesures de débit de dose effectués sur des débris trouvés sur le rivage. Les images et les mesures auraient été prises le 31 août 2019 :
Les images ont été prises par Nikolai Karneevich, un journaliste, guidé par des habitants de la région, vers l’embouchure de la rivière Verkhovka, pas loin du village Nyonoksa (Ненокса) :
Selon les habitants, une barge serait arrivée sur la berge le 9 août, et l’autre 5 jours après l’explosion. Une est fortement endommagée. Le reportage mentionne des débits de dose de 70 à 150 microrœntgen par heure au contact de débris et 750 microrœntgen par heure au moment de l’apparition des barges. Le rœntgen est une ancienne unité : à titre de comparaison, le bruit de fond ailleurs dans le village ne dépasse pas 14 microrœntgen par heure. Il n’y aurait aucun signe ou barrière de protection empêchant l’accès aux barges et aux débris contaminés. En revanche, la pêche serait toujours interdite dans la Baie.
Selon Radio liberté, financée par les Etats-Unis, explique que le site était gardé, mais que les gardes sont partis car Rosatom et l’armée russe ne se sont pas mis d’accord sur la prime de risque… Ils n’ont pas fourni non plus de vêtements de protection.
Les habitants du village sont très inquiets. Que faut-il faire si les essais de missiles se poursuivent ? Faut-il quitter la région ? Radio liberté, précise que l’accès au village est interdit au quidam à cause de la proximité du site d’essai, malgré la présente d’une église magnifique et d’un musée du sel et que le seul moyen d’accès est un train. En revanche, on peut accéder aux barges sans permis… Une réunion d’information aurait eu lieu le 28 août dernier et la plupart des habitants se seraient résignés à accepter les messages rassurants des autorités.
Le mardi 3 septembre 2019, le média local en ligne 29.ru rapporte qu’une autre réunion a eu lieu le 31 août en présence d’Alexey Klimov, un écologiste connu localement. Il aurait expliqué avoir procédé à des mesures de radioactivité avec un radiamètre dans la région et que les niveaux relevés ne dépassaient pas le bruit de fond habituel. Selon lui, les habitants peuvent manger des champignons et des baies, mais devraient éviter de pêcher. Le 29.ru ajoute que les autorités locales ne veulent pas nettoyer la plage avec les barges et les débris radioactifs car cela n’entrerait pas dans leurs compétences. Les barges seraient sur le territoire du ministère de la défense.
Mercredi 4 septembre, TV29.ru a mis en ligne une autre vidéo filmant un détecteur sur la corde contaminée. La personne qui a transmis les images veut rester anonyme et dit que la mesure a eu lieu le 15 août. Voici les images :
Le premier instrument de mesure, un radex, indique jusqu’à 712 microrœntgen par heure au contact de la corde. Un autre, un quartex, indique 27 juste à côté. Ce ne doit pas être les mêmes unités qui sont utilisées par les deux appareils.
Si ces images ont pu être prises, c’est que le site n’était pas ou peu gardé.
Les images des barges et des débits de dose qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias étrangers ont fait réagir Mme Anna Y. Popova, directrice du Rospotrebnadzor, le service fédéral de protection des consommateurs et du bien-être : selon l’agence Interfax, elle a appelé à se méfier des mesures effectuées par des “amateurs”. Mais elle ne donne aucune donnée officielle pour satisfaire les demandes des populations du Nord de la Russie. Les débris radioactifs de l’explosion sont accessibles : pourquoi aucun contrôle officiel n’est effectué ? Ou, s’il a été fait, puisque la directrice explique qu’il n’y a aucun danger pour la population, pourquoi les données ne sont pas publiques, alors que l’explosion a eu lieu il y a presque un mois ?
La loi russe, adoptée après la catastrophe de Tchernobyl, interdit de cacher les données environnementales. Elle semble oubliée… ou ne servir que quand cela arrange le pouvoir. Le secret militaire ne saurait justifier l’absence d’information pour les populations.
Dans une interview à radio liberté, Andrei Ozharovsky, un scientifique, explique : “Rosatom et le ministère de la Défense savaient dès le départ ce qui a explosé et quels radioéléments ont été rejetés dans l’environnement. La tâche pour eux ce jour-là, le 8 août, était très simple: en parler à la société. Mais ils ne l’ont pas fait. Les raisons … Je pense qu’elles sont évidentes. Notre société civile est faible, les autorités se considèrent supérieures aux citoyens et certaines entreprises aussi. Rosatom, par exemple, a un journal appelé “Le pays de Rosatom”, comme s’ils ne vivaient pas dans le même pays que tout le monde. Les scientifiques nucléaires continuent de cultiver leur image de peuple surhumain – et cela vient de Laurent Beria, qui, comme vous le savez, a été le premier chef du projet atomique soviétique…”
Le missile endommagé par l’explosion, quant à lui, doit être toujours au fond de l’eau, en libérant les radioéléments restants…
Le jeudi 5 septembre, les habitants locaux ont invité Mme Anna Y. Popova, la directrice du Rospotrebnadzor, selon la télévision TV29.ru : elle pourra profiter de l’été indien en mangeant des champignons et des baies sauvages, pêcher depuis les barges, manger du poisson frais et finir ses journées par un bain de vapeur en bord de mer. Elle peut venir avec des collègues. Ainsi, si elle ne croit pas aux intrigues des résidents relayées par les services de renseignement étrangers, qu’elle vienne constater par elle même ! Elle découvrira aussi que les habitants ont appris à se méfier des affirmations officielles.
Le vendredi 13 septembre, Alexander Sergeev, Président de l’Académie des Sciences de Russie a déclaré à l’Agence Interfax que des mesures doivent être prises pour éliminer les déchets radioactifs et qu’elles seront prises. Il a aussi indiqué que le niveau de radioactivité est revenu à la normale sans donner aucune valeur. Il pense que Rosatom va prendre en charge ces déchets. Le gouverneur de la région a déclaré à l’agence Tass que le démantèlent des barges en vue de leur enlèvement avait commencé. Il a ajouté que “le gouvernement de la région d’Arkhangelsk, en collaboration avec des représentants des structures compétentes et de la communauté scientifique, a organisé et effectué tous les tests de laboratoire nécessaires sur l’eau de mer, le sol et la végétation, confirmant sans équivoque qu’il n’y avait aucune menace pour la santé publique et l’environnement.” Evidemment, aucun résultat n’est rendu public. Voir aussi son message sur les réseaux sociaux :
Le média local tv29.ru explique n’avoir reçu aucune réponse aux questions envoyées la semaine dernière à l’administration régionale à propos de ces barges, qui selon ses informations, seraient toujours dans le même état. En revanche, deux gros hélicoptères auraient survolé la zone et des préparatifs auraient lieu sur place. Les riverains craindraient que le découpage sur la plage entraîne d’autres pollutions et que les morceaux soient enterrés en secret dans la forêt.
Par ailleurs, la dépêche Interfax mentionne que la navigation n’est plus interdite depuis le 10 septembre dernier dans la Baie de Dvina. Mais, les réseaux sociaux signalent que l’interdiction de la baignade a été prolongée jusqu’au 9 octobre et que la navigation demeure interdite à devant le village de Nyonoksa.
Un rassemblement en faveur de l’environnement est prévu le 22 septembre prochain :
Dimanche 15 septembre, les habitants de la région ont diffusé une photo sur les réseaux sociaux (reprise par TV29.ru) où l’on voit une pelleteuse sur la plage près des barges :
Ils se demandent si les déchets vont être enterrés sur place. Et comme l’accès à la zone est désormais interdit, impossible d’aller vérifier plus près.
Mercredi 18 septembre, le média local TV29.ru a finalement obtenu une réponse des autorités locales à propos de la contamination radioactive. Elles auraient “envoyé des demandes à la Société d’État “Rosatom”, à la marine de la mer Blanche, à l’unité militaire 09703, à Roshydromet, au département territorial du Rospotrebnadzor de Severodvinsk pour la région Arkhangelsk, afin obtenir des informations sur la situation de deux barges métalliques sur la côte du Golfe de Dvina en mer blanche. Toutes les informations seront fournies dans leur intégralité après réception des réponses.” Bref, elles ne savent rien non plus…
La veille, le gouverneur de la région, dans son intervention filmée pour les réseaux sociaux (à partir de 9:40), a tenu, de nouveau, à rassurer la population. Vêtu d’un polo où il est écrit “no fear” et “response team”, il a calmement précisé que les experts ont conclu qu’il n’y avait aucun danger. Soit il a caché des choses à son administration, soit il se contente d’affirmations. A noter que la situation près de Nyonoksa arrive tout à la fin de l’intervention du gouverneur, après le foot en salle, l’armée, l’école, l’église…
Un autre média local, 29.ru, publie un long reportage dans le village de Nyonoksa. Les habitants se plaignent du manque d’information relatives à l’explosion qui a eu lieu le 8 août dernier. Ils sont tous inquiets. Certains n’ont rien changé dans leurs habitudes et continuent à consommer des produits locaux et d’autres veulent quitter le village, ou évitent les produits de la cueillette (baies et champignons) ou de la pêche. Pas de panique dans les propos des habitants, mais de l’indignation.
Les habitants de Nyonoksa ont publié sur les réseaux sociaux plusieurs photos d’hélicoptère militaire utilisé pour le transport de lourdes charges. Comme celle-ci, reprise de ce site :
Cela signifie que le démantèlement des barges a commencé. Mais le missile endommagé par l’explosion, quant à lui, doit être toujours au fond de l’eau, en libérant les radioéléments restants…
Samedi 21 septembre, region29.ru a diffusé une vidéo où l’on voit des opérations de démantèlement des barges radioactives. A part ces images, aucune information n’est fournie, si ce n’est que les personnes sur place semblent être habillées de combinaisons de protection :
L’agence météo russe publie un bulletin mensuel avec ses données de contrôle de la radioactivité dans l’atmosphère. Les données sont généralement mise en ligne le 20 du mois suivant. Nous sommes le 28 septembre 2019, et il n’y a toujours rien pour le mois d’août 2019 sur la page regroupant les données :
Le secret militaire continue de primer sur le droit à l’information des populations riveraines.
Le 1er octobre 2019, selon le média local, 29.ru, l’écologiste Alexei Klimov a constaté que les deux barges et tous les débris ont été retirés de la plage. On ne sait pas où sont les déchets.
Il y a fort à parier que si ces barges n’avaient pas été filmées et que les images n’avaient pas fait le tour de la planète, elles seraient encore là. Ce que craignaient le plus les militaires, ce n’est pas la pollution de l’environnement, ni la santé des riverains, mais que quelqu’un vienne faire des prélèvements et obtienne des informations sur ce qui a explosé…
Fin septembre, tous les équipements auraient été retirés, mais les barges sont toujours sur la plage.
L’agence météo russe, quant à elle, n’a toujours pas publié son bulletin mensuel avec ses données de contrôle de la radioactivité dans l’atmosphère pour le mois d’août…
Mardi 29 août, le bulletin mensuel de l’agence météo russe, avec ses données de contrôle de la radioactivité dans l’atmosphère, est paru pour le mois de septembre 2019, mais toujours rien pour août…
Vendredi 8 novembre, le bulletin du mois d’août de l’agence météo russe est enfin paru ! Le document (lien direct, copie) contient deux passages dédiés à l’explosion près du site de Nyonoksa et l’élévation de radioactivité ambiante :
A 12h00 heures, le 8 août 2019, une courte augmentation des niveaux de radioactivités ambiants ont été enregistrés au niveau de 6 balises de contrôle situées à Severodvinsk, de l’oblast d’Arkhangelsk. Les niveaux indiqués vont de 0,45 μSv/h à 1,78 μSv/h. L’agence précise que ce serait lié à des gaz inertes radioactifs. A 14h30, les niveaux ambiants correspondaient au bruit de fond.
L’agence fait aussi état d’une augmentation de la concentration en aérosols radioactifs les 8 et 9 août à Severodvinsk (les valeurs affichées vont de 16,5×10-5 Bq/m3 à 431×10-5 Bq/m3) et des dépôts sur le sol. Il n’y avait pas que des gaz inertes, comme on le savait suite à la contamination du personnel médical.
L’Agence ne donne aucune information sur la composition des aérosols contaminés. Rien ne justifie qu’il ait fallu si longtemps pour publier ces quelques données, même si elles contredisent ses premiers propos qui ne mentionnaient que des gaz inertes et prétendaient qu’il n’y avait pas de dépôts sur le sol.
Quatre mois après l’explosion, Rospotrebnadzor, l’agence de protection des consommateurs, a fini par indiquer que la contamination des poissons pêchés au Sud de l’île de Mudyug ne dépasse pas les normes (source). Le site est assez éloigné du lieu de l’explosion et il n’y a pas de données publiées !
Qu’est-ce qui a explosé ?
Mardi 14 août, le média local en ligne 29.ru rapporte qu’un petit sous-marin d’exploration équipé d’un sonar est arrivé sur le site où a eu lieu l’explosion. Sa mission ne serait pas connue. Il pourrait être là pour retrouver des débris de la plateforme offshore.
Jeudi 15 août, les Izvestia, citant des sources militaires, expliquent que ce n’était pas un missile Burevestnik qui était testé, mais un nouveau système de propulsion liquide avec des batteries radioactives, ou source d’énergie isotopique, qui servent à l’allumage de la combustion. Ces batteries ont été développées au Centre nucléaire de Sarov. Malgré l’échec, les développements vont continuer.
Des batteries utilisant des sources radioactives sont déjà utilisées dans des satellites par ou ailleurs (voir Wikipedia). Les caractéristiques de celles utilisées lors du test sont secrètes.
Comme pour le rejet de ruthénium à l’automne 2017, les autorités russes se caractérisent par leur opacité et secret. Et, faute de laboratoire indépendant sur place, il est difficile d’obtenir des informations.
L’information du lundi 26 août sur la composition des radioéléments détectés par l’agence météo (Roshydromet) indique clairement qu’une réaction en chaîne impliquant la fission est à l’origine du rejet radioactif, comme expliqué précédemment. Selon l’agence Tass, Alexey Karpov, le représentant de la Russie auprès des instances internationales basées à Vienne, a déclaré que ce n’était pas un essai nucléaire lors d’une réunion de l’organisation du traité d’interdiction des essais nucléaires. L’essai raté n’entre donc pas dans le champ du traité et il n’a pas d’information à transmettre. Lire son discours en russe.
Jeudi 29 août 2019, CNBC rapporte que selon les services secrets américains, l’explosion n’a pas eu lieu lors d’un essai de missile mais lors d’une tentative de récupération au fond de la mer d’un missile échoué. Il y aurait eu une explosion dans un des bâtiments envoyés sur place pour les opérations qui aurait entraîné une réaction nucléaire dans le missile. L’article ne donne aucune information sur le missile et sa partie nucléaire : mini réacteur pour la propulsion comme cela a été avancé par la presse au tout début de cette affaire ou batterie à base de plutonium servant à l’allumage comme suggéré par les Izvestia.
Selon la chaîne de télévision américaine, ce ne serait pas la première fois que la Russie tente de récupérer un missile échoué.
On voit des containers bleus généralement utilisés pour le transport de déchets et matières radioactifs. Il n’y aurait pas eu d’évacuation du village de Nyonoksa, proche du site d’essai, le 8 août 2019, comme c’est habituellement le cas lors d’un test de missile.
Les journalistes sont convaincus que le missile est un Burevestnik équipé d’un petit réacteur nucléaire pour la propulsion, sans le démontrer. Le scénario proposé par cet article est qu’il y aurait eu un début de réactions nucléaires lors du lancement qui se seraient arrêtées. Lors du repêchage, une explosion non nucléaire aurait entraîné une fuite de la partie nucléaire et ce sont surtout les gaz inertes qui seraient sortis de l’eau.
Le mardi 3 septembre, Radio liberté a publié en russe et en anglais des photos de haute résolution barges échouées sur la plage. Un agrandissement permet de voir des détails, comme sur cette photo :
On peut voir une grue qui aurait servi à repêcher le missile et qui est retombée sur le container bleu. Ce serait une grue italienne “Fassi” qui pourrait soulever entre 4,5 et 5,5 tonnes. Il y aurait aussi un générateur diesel. Le container jaune, à gauche, pourrait être un fût de marque allemande pour y mettre des déchets radioactifs, selon la radio. Enfin, tout devant, on voit une échelle qui aurait pu servir à des plongeurs.
Sur l’autre barge, un zoom permet de lire le numéro du container bleu.
Pour en savoir plus sur ces barges, leur origine et leurs caractéristiques, voir cette enquête publiée le 12 septembre 2019.
Le 1er octobre 2019, selon le média local, 29.ru, l’écologiste Alexei Klimov a constaté que les deux barges et tous les débris ont été retirés de la plage. On ne sait pas où sont les déchets.
Il y a fort à parier que si ces barges n’avaient pas été filmées et que les images n’avaient pas fait le tour de la planète, elles seraient encore là. Ce que craignaient le plus les militaires, ce n’est pas la pollution de l’environnement, ni la santé des riverains, mais que quelqu’un vienne faire des prélèvements et obtienne des informations sur ce qui a explosé…
Jeudi 10 octobre, comme le rapporte Radio Liberté, le représentant des Etats-Unis, a déclaré à l’ONU : “Les États-Unis ont déterminé que l’explosion près de Nyonoksa, en Russie, était le résultat d’une réaction nucléaire survenue lors de la récupération d’un missile de croisière russe à propulsion nucléaire. Le missile est resté sur le lit de la mer Blanche depuis l’échec de son essai au début de l’année dernière, à proximité immédiate d’un grand centre de population.” (source).
Jeudi 31 octobre, la Deutsche Welle (radio-télévision internationale allemande), a publié, en russe, un long article sur l’explosion près de Nyonoksa. Il y aurait désormais consensus que la tragédie a eu lieu lors d’une tentative de repêchage. Selon les experts américains consultés, qui surveillent la zone à l’aide d’images satellites, aucune activité n’a été repérée.
Quant au gouvernement allemand, il semble privilégier la piste d’un mini réacteur, dans sa réponse à Sylvia Kotting-Uhl, présidente du comité environnemental au Bundestag. Il aurait aussi plus confiance en Roshydromet qu’en Rosatom ou le gouvernement russe. L’explosion aurait été de 75 à 750 kg de TNT. Comme le précise le Spiegel, le gouvernement allemand estime qu’il y aurait eu de 1019 à 1020 fissions, ce qui serait de la même ampleur que l’accident de criticité qui a eu lieu à Tôkaï-mura au Japon en 1999.
En revanche, il n’est pas possible de conclure sur la nature du projectile qui a explosé lors de la tentative de repêchage.
Pour Anne Pellgrino, du James Martin Center for Nonproliferation Studies aux Etats-Unis, citée par la Deutsche Welle, le missile contenait peut-être un mini-réacteur à neutrons rapide au sodium. Une fuite de sodium aurait pu entraîner l’explosion au contact de l’eau et provoquer une petite réaction nucléaire en chaîne.
Le 7 décembre, les autorités régionales ont prolongé jusqu’au 7 janvier 2020 l’interdiction de navigation dans la baie de Dvina (source). Cette interdiction a été mise en place juste après l’explosion. Sera-t-elle prolongée tant que le missile gît au fond de l’eau ?
Le 13 janvier 2020, les autorités ont prolongé l’interdiction de navigation et de baignade dans la baie de Dvina (source) jusqu’au 6 février 2020. Cela risque d’être prolongé tant que le missile est au fond de l’eau. La principale raison semble être de contenir l’information.
L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) vient d’annoncer (en français et en anglais) que les traces de ruthénium-106, élément radioactif, détectées en Europe occidentale en septembre dernier, étaient probablement dues à un rejet massif, de l’ordre de 100 et 300 térabecquerels, quelque part “entre la Volga et l’Oural sans qu’il ne soit possible, avec les données disponibles, de préciser la localisation exacte du point de rejet.”
L’Institut ajoute que “les conséquences d’un accident de cette ampleur en France auraient nécessité localement de mettre en œuvre des mesures de protection des populations sur un rayon de l’ordre de quelques kilomètres autour du lieu de rejet.”
Toujours selon l’IRSN, le rejet aurait eu lieu au cours de la dernière semaine du mois de septembre 2017 et serait terminé.
Le ruthénium-106
Le ruthénium 106 est un produit de fission radioactif issu de l’industrie nucléaire qui n’existe pas à l’état naturel. Sa demi-vie est d’un peu plus d’un an (373 jours), ce qui signifie que la quantité présente est divisée par deux tous les ans. En se désintégrant, le ruthénium-106 se transforme en rhodium-106, qui est lui aussi radioactif avec une demi-vie de 30 secondes. Chaque désintégration de ruthénium-106 est accompagnée, peu de temps après, de la désintégration du rhodium-106. Ainsi, il faudrait considérer le couple ruthénium-rhodium et multiplier par deux la quantité rejetée de 100 et 300 térabecquerels annoncée par l’IRSN.
C’est au rhodium-106 que l’on devra l’essentiel de la dose provoquée par l’incorporation de couple inséparable d’isotopes radioactifs.
Origine du rejet
En cas de rejet provenant d’un réacteur nucléaire, divers radioéléments sont détectés. Ici, comme le ruthénium-106 et le rhodium-106 sont les seuls radioéléments à avoir été mis en évidence, l’origine ne peut pas être un réacteur nucléaire. En revanche, ce peut être le rejet accidentel d’une installation de traitement des combustibles usés ou de fabrication de sources radioactives.
L’ACRO détecte parfois le couple ruthénium-rhodium autour des usines Areva de La Hague. En 2001, deux incidents dans ces usines avaient conduit l’association à démontrer que l’exploitant, qui s’appelait encore Cogéma, sous-estimait ses rejets de ruthénium-rhodium dans l’atmosphère. En mai, puis en octobre 2001, les quantités effectivement rejetées étaient environ 1 000 fois plus élevées que ce qui avait été annoncé (voir notre note technique). Les travaux menés à la suite de cette alerte de l’ACRO ont montré que les rejets atmosphériques en ruthénium-rhodium avaient été systématiquement sous-estimés.
En février 2016, l’ACRO avait de nouveau détecté ce couple de radioéléments autour des usines de La Hague, ce qui témoignait d’un rejet atmosphérique plus important qu’en routine, indiquant peut-être un dysfonctionnement non déclaré.
Quantité rejetée
L’IRSN annonce un terme source en Russie de 100 et 300 térabecquerels pour le seul ruthénium-106, et donc le double en prenant aussi en compte le rhodium-106. Un térabecquerel, c’est 1 000 milliards de becquerels.
A titre de comparaison, l’autorisation de rejets atmosphériques des usines Areva de La Hague est de 0,001 térabecquerel (1 GBq) par an pour les émetteurs bêta-gamma (dont les ruthénium-rhodium) autres que le tritium, gaz rares et iodes. Concernant les rejets liquides, pour le seul ruthénium-106 rejeté en mer, la limite est de 15 térabecquerels par an.
Lors des incidents de 2001, c’est de l’ordre de 10 GBq qui a été rejeté à chaque fois, pour le seul ruthénium. Le rejet accidentel de septembre 2017 estimé par calcul par l’IRSN est 10 000 à 30 000 fois plus élevé.
La quantité rejetée lors de l’incident rapporté par l’IRSN est donc considérable et cet évènement devrait être classé au niveau 5 de l’échelle internationale INES. Tchernobyl et Fukushima étaient au 7, qui est le niveau maximal. Pourtant, aucune information n’est disponible sur le site de l’AIEA, qui est plus préoccupée par la promotion du nucléaire que par son contrôle.
Conclusion provisoire
60 ans après la catastrophe de Kychtym dans l’Oural et plus de 30 ans après celle de Tchernobyl, qu’un évènement de cette ampleur puisse rester secret plus d’un mois est incroyable. C’est particulièrement grave pour les populations locales qui ont été exposées sans bénéficier de la moindre protection, comme en 1957 et 1986.
A noter que dès le 11 octobre dernier, le Bundesamt für Strahlenschutz en Allemagne pointait du doigt le Sud de l’Oural (communiqué en allemand et en anglais), affirmant que l’IRSN partageait ce point de vue. Il n’y a donc pas eu de progrès en un mois dans l’identification de l’origine de ce rejet.
Un tel secret s’explique-t-il par le fait qu’une installation militaire est en cause ? La Russie a nié être à l’origine de ce rejet. Elle devrait publier toutes ses données de mesure dans l’environnement.
Sans laboratoire indépendant, ni surveillance citoyenne, rien n’a changé sur place. Parce qu’il est important que l’ACRO puisse survivre en France, vos dons sont indispensables.
Mayak ?
Plusieurs sites Internet ciblent le complexe nucléaire de Mayak, situé dans l’oblast de Tcheliabinsk, comme origine de cette contamination, sans que nous soyons en mesure de valider ces affirmations. À l’origine, ce complexe militaro-industriel secret est conçu afin de fabriquer et raffiner le plutonium pour les têtes nucléaires et est devenu tristement célèbre pour ses accidents nucléaires graves, dont celui de Kychtym (Wikipedia). Le site est toujours actif et sert de centre de traitement des combustibles usés (site Internet de l’exploitant).
La Russie reconnaît une contamination au ruthénium, mais dément être à l’origine de la fuite
Mise à jour du 20 novembre 2017
A la demande de Greenpeace Russie, c’est l’agence météorologique russe qui a fini par admettre que l’origine de la fuite est bien en Russie (communiqué en russe). Elle titre son communiqué : pollution extrêmement élevée et élevée. L’entreprise d’Etat Rosatom, quant à elle, nie toujours en être à l’origine (communiqué en anglais).
Dans son communiqué, l’agence météo ne donne pas la contamination en ruthénium-106, ni en rhodium-106, mais plutôt la contamination bêta total des aérosols. Mais on peut supposer que l’excès est essentiellement dû à ce couple de radio-éléments. La concentration la plus forte a été détectée à Argayash (Аргаяш), dans l’Oblast de Tcheliabinsk, qui inclut Mayak et Kychtym entre le 26 septembre et le 1er octobre derniers : 7 610×10-5 Bq/m3, soit 986 fois plus que ce qui est généralement mesuré dans cette station. A Novogorny, toujours dans l’Oblast de Tcheliabinsk, c’était, ces mêmes jours, 5 230×10-5 Bq/m3, soit 440 fois plus que les valeurs habituelles. Des valeurs excessives en aérosols radioactifs ont aussi été détectée dans le Caucase du Nord, jusqu’à 2 147×10-5 Bq/m3, soit 230 fois le bruit de fond, et au Tatarstan. D’autres données sont disponibles dans ce document en russe.
Il est donc maintenant confirmé qu’un rejet grave a eu lieu sur une installation nucléaire russe qui est encore secret. Mais l’agence météorologique n’a, semble-t-il, pas lancé d’alerte et ce sont les populations locales, qui vivent dans un environnement déjà fortement pollué, qui ont été exposées. A quoi servent ses balises ?
L’agence météorologique explique que les niveaux relevés sont très inférieurs aux limites locales fixées à 4,4 Bq/m3. Un non-évènement en Russie, donc…
Ces concentrations sont très élevées au regard de ce qui est mesuré habituellement et c’est la signature non ambigüe d’un rejet anormal. En revanche, les concentrations atmosphériques annoncées ne nécessitent pas la mise à l’abri ou l’évacuation, même au regard des normes françaises. La station de mesure de Argayash (Аргаяш), où la concentration la plus forte a été mesurée, est à une trentaine de kilomètres du complexe nucléaire de Mayak. A proximité du point de rejet, la pollution peut être plus élevée. Des mesures environnementales indépendantes sont indispensables.
L’agence météorologique russe mentionne aussi des retombées allant de 10 à 50 Bq/m2 et par jour, par endroits.
A noter que l’agence météo mentionne aussi une pollution à l’iode radioactif dans la région d’Obnisk (Обнинск), située à environ 100 km au Sud-Est de Moscou. Les concentrations ont atteint 1,85×10-3 Bq/m3 les 18 et 19 septembre et seraient due à un centre de recherche local.
Le 21 novembre, l’IRSN précise dans l’Obs que les résultats de sa modélisation donnaient des valeurs beaucoup plus élevées dans les environs immédiats du point de rejet. Mais, si les balises dont les résultats ont été publiés ne sont pas sous les vents au moment du rejet, cela reste compatible. Et l’Institut d’ajouter : “On peut dès lors se poser la question du rôle de l’AIEA. Ce n’est pas normal d’arriver à cette situation. Ce n’est pas normal d’observer du ruthénium dans l’air de toute l’Europe, sans jamais en connaître la source.”
La Russie tente de rassurer
Mise à jour du 24 novembre 2017
L’agence de régulation des produits agricoles Rosselkhoznadzor a diffusé un communiqué (en russe uniquement) démentant la contamination des produits agricoles russes. Elle parle de panique sur le marché des céréales qui ne serait due qu’à des rumeurs et aux spéculations médiatiques, mais ne donne aucun résultat de mesure.
L’Institut de sécurité nucléaire de l’Académie des sciences russe (IBRAE RAS), quant à lui, a annoncé la création d’une commission d’enquête dans un communiqué (en russe uniquement) dont le but est de déterminer l’origine de la pollution au ruthénium et rhodium. Il se veut aussi rassurant en affirmant que les niveaux relevés en Russie sont largement dans les normes et a déjà conclu que Rosatom, la compagnie nationale russe, n’est pas en cause. Et c’est Rosatom qui informera le public des résultats de l’enquête.
Faute de laboratoire indépendant sur place, il y a encore des progrès à faire en termes de transparence et de radioprotection du public en Russie.
Les données de l’AIEA ont fuité
27 novembre 2017
L’ACRO met en ligne les données récoltées par l’AIEA concernant la pollution au ruthénium détectée en Europe que l’agence de l’ONU refuse de rendre publiques. Ce tableau, daté du 13 octobre 2017, ne contient aucune donnée russe…
Quant à Rosatom, l’entreprise d’Etat russe, elle invite, sur sa page Facebook, les journalistes et les blogueurs à venir faire un tour à Mayak, qui, d’après les journalistes occidentaux, est devenue le berceau du ruthénium… Au programme, “alphabétisation” sur le ruthénium. La compagnie ferait mieux de publier ses données environnementales, si elle en a.
Résultat de l’enquête “indépendante” pilotée par Rosatom
8 décembre 2017
La compagnie nucléaire d’Etat, Rosatom, a tenu une conférence de presse pour communiquer les conclusions de l’enquête “indépendante” sur la contamination au ruthénium-rhodium relevée fin septembre dans toute l’Europe : elle n’est pas responsable de cette pollution ! Rien sur son site Internet pour le moment… A suivre !
Seule une enquête indépendante internationale permettra de faire la lumière sur ce rejet. La Russie pourrait commencer par publier toutes ses données environnementales dans la zone suspectée.
Rosatom reconnaît rejeter du ruthénium-106 dans l’environnement, en routine
14 décembre 2017
Selon l’Agence de presse AP, Yuri Mokrov, conseiller du directeur général du centre nucléaire de Mayak, a reconnu que le traitement des combustibles usés conduit à des rejets de ruthénium-106 dans l’environnement. Et d’ajouter que l’usine de Mayak n’est pas à l’origine du rejet anormalement élevé qui a été détecté dans toute l’Europe en septembre dernier. Les rejets seraient minimes et des centaines de fois inférieurs aux limites autorisées. Les niveaux autorisés ne sont pas donnés dans l’article.
On résume :
La Russie n’a d’abord pas détecté le ruthénium radioactif détecté dans toute l’Europe ;
Puis, suite aux calculs faits en Allemagne et en France qui pointaient vers l’Oural, elle a fini par reconnaître l’avoir détecté à des niveau extrêmement élevés, mais sans danger. De fait, les niveaux annoncés sont très supérieurs à ce qui est mesuré en routine, mais ne nécessitent pas de mesure de protection particulière. La mesure d’une pollution atmosphérique se fait en filtrant l’air pendant plusieurs jours. Il s’agit peut-être d’une moyenne sur longue période qui atténue le pic de pollution. La période de mesure n’est pas donnée.
Rosatom, l’industrie nucléaire d’Etat en Russie nie toute implication dans le rejet. Elle met en place une commission “indépendante” qui conclut dans le même sens et qui ressort la thèse de la chute d’un satellite. Et là, tout d’un coup, Rosatom reconnaît rejeter régulièrement du ruthénium-106 dans l’environnement et que ses rejets sont dans les limites admissibles. Et donc pas d’incident particulier à signaler… La limite doit être très élevée !
La Russie n’a pas beaucoup changé depuis Tchernobyl. Sans laboratoire indépendant sur place, la glasnost n’a pas touché le secteur nucléaire.
Du ruthénium-103 était aussi présent dans les rejets
5 février 2018
Une réunion avec des experts internationaux a eu lieu en Russie fin janvier 2018 à propos de cette affaire de ruthénium, dont l’IRSN. Voir le compte-rendu en anglais. Il en ressort que dans certains pays du ruthénium-103 était aussi présent dans le nuage radioactif. Étonnamment, aucune communication officielle n’en parlait jusqu’à présent, alors que cela donne des indications sur la source potentielle de cette contamination. Le 22 janvier dernier, le Bundesamt für Strahlenschutz en Allemagne disait encore qu’il n’y avait que du ruthénium-106.
La demi-vie du ruthénium-103 est de 39,26 jours, ce qui signifie qu’il disparaît beaucoup plus vite que le ruthénium-106 qui a une demi-vie de 373,6 jours. Et donc le combustible nucléaire à l’origine du rejet ne doit pas être sorti depuis longtemps du réacteur : 3 à 4 ans maximum. Or, en général, le traitement des combustibles usés se fait sur des combustibles plus anciens.
La presse russe en déduit que cela disculpe le site de Mayak. En effet, cela permet d’exclure a priori la vitrification fortement soupçonnée jusqu’à présent, sauf, si pour une raison obscure, du combustible jeune a pu être traité et les résidus vitrifiés. En revanche, la fabrication de sources radioactives se fait généralement sur du combustible usé « jeune ». Et Mayak fabrique des sources…
Le Figaro évoque la commande par le CEA et l’INFN en Italie au complexe nucléaire de Mayak d’une source de cérium-144 destinée à une expérience de physique. Or, la production de cette source nécessite le traitement de combustibles “jeunes”, âgés de moins de 5 ans. Le quotidien parle de coïncidence troublante…
Décidément, ce rejet est suffisamment mystérieux pour que tout soit mis sur la table et l’on espère une communication officielle des experts internationaux présents en Russie.
Le 6 février, l’IRSN a mis en ligne une note d’information en français et en anglais et un rapport en anglais uniquement qui résument ses investigations qui confirment la détection de ruthénium-103 et étudient l’hypothèse de la fabrication d’une source de cérium-144. Le rapport est riche d’informations.
2ième réunion internationale sur l’affaire du ruthénium : rien de neuf
13 avril 2018
Le groupe international d’experts qui tente de faire la lumière sur cette affaire de ruthénium s’est réuni pour la deuxième fois le 11 avril dernier et un résumé succinct de leurs conclusions est en ligne. Etaient présents, des représentants des organismes d’expertise officiels de France, Finlande, Suède, Allemagne, Norvège, Grande Bretagne et Russie.
Des mesures additionnelles de la radioactivité auraient été effectuées sur place, en Russie, et toutes les données ont été collectées dans une base qui devrait être rendue publique. Cependant, les experts n’ont, semble-t-il, pas réussi à s’entendre et ils n’ont pas décidé s’il y aurait une suite à ces rencontres.
La presse allemande rapporte l’avis de Florian Gering de l’Office fédéral de radioprotection. Après avoir rappelé les faits déjà connus : ses calculs pointent vers le Sud de l’Oural et l’usine de traitement de Mayak est la seule installation connue dans cette zone pour pouvoir être à l’origine de ce rejet. La source de cérium-144 mentionnée précédemment pourrait être une explication possible. Il est aussi fait mention que, selon des images satellite, un toit a été réparé sur place, juste après la découverte du ruthénium dans l’atmosphère de plusieurs pays européens.
On espère que la recommandation de rendre publiques toutes les données sera suivie. Des mesures indépendantes sur places sont indispensables.
L’incident vu par la littérature scientifique
31 juillet 2019
Plusieurs articles scientifiques sont parus sur ce rejet de ruthénium-rhodium détecté à l’automne 2017. Qu’y apprend-on ?
• Sur la composition du rejet : Dès le début, la présence du seul couple ruthénium-rhodium 106 permettait d’exclure un accident dans une centrale nucléaire. La présence du ruthénium-103, qui a une durée de vie courte, détecté par quelques stations a orienté la piste vers la fabrication de la source de cérium-144 dans le site de Mayak. Cet article en libre accès rapporte le résultat d’études chimiques menées sur des filtres à air de Vienne en Autriche contaminés par le rejet suspect. Aucune anomalie n’a été découverte dans la composition et la morphologie des particules, par rapport à ce qui est généralement présent dans les aérosols.
• Sur la dose engendrée : cette étude internationale, en accès payant, a calculé la dose engendrée par inhalation en Europe due à ce rejet. L’article commence par une longue introduction pédagogique sur le ruthénium-rhodium et cite les travaux de l’ACRO sur les rejets de ruthénium-rhodium à La Hague. Les doses calculées sont inférieures à 0,3 µSv, alors que la limite pour le public est de 1000 µSv par an. Cet article ne calcule pas les doses à proximité d’un point de rejet supposé.
• Point de vue d’une cinquantaine d’institutions de recherche : Les hypothèses avancées par l’IRSN sur un incident lors de la fabrication de la source de cérium-144 à Mayak sont reprises et confortées par cette publication en libre accès signée par 69 experts appartenant à une cinquantaine d’institutions de recherche en Europe, Ukraine, Biélorussie et Canada. Cette liste de signatures est impressionnante et donne du poids aux affirmations. Comment les autorités russes, qui nient être à l’origine du rejet, vont-elles réagir ?
L’article, accompagné d’une annexe en libre accès, a pour but de synthétiser ce que l’on peut dire sur l’origine de ce rejet, en réaction à la réponse officielle russe qui nie toute responsabilité. Il rejette l’hypothèse de la combustion accidentelle d’une source radioactive. En effet, de telles sources utilisées en ophtalmie font 10 MBq. Il aurait fallu en brûler une grande quantité à la fois pour arriver à expliquer une contamination au dessus de presque toute l’Europe. Ce n’est pas crédible. L’hypothèse de la chute d’un satellite avec une source radioactive est aussi rejetée, car il n’y aurait pas eu de ruthénium-103 avec une durée de vie courte. La seule hypothèse plausible est donc un incident lors de la tentative de production de la source de cérium-144 à l’usine de retraitement de Mayak. L’article conclut que rien, dans l’analyse effectuée, ne permet de rejeter cette hypothèse. Par ailleurs, l’annonce, quelque jours après la date calculée de l’incident, que la fabrication de cette source était abandonnée est un argument de plus.
L’étude précise que le combustible retraité devait avoir environ 2 ans. La quantité de ruthénium-106 rejetée est estimée à 250 TBq. Cela représenterait 7 à 10% de la quantité de ruthénium-106 contenue dans le combustible retraité pour fabriquer la source de cérium-144.