Définition des zones de contamination en Biélorussie (loi de 1991)

Zones Densité de contamination des sols en Ci/km2 et kBq/m2
Césium 137 Strontium 90 Plutonium 238, 239 et 240
Zone 1 : contrôle radiologique périodique 1 – 5 Ci/km237 – 185 kBq/m2 0,15 – 0,5 Ci/km2 5,55 – 18,5 kBq/m2 0,01 – 0,02 Ci/km20,37 – 0,74 kBq/m2
Zone 2 : droit de migration 5 –  15 Ci/km2185 – 555 kBq/m2 0,5 – 2 Ci/km218,5 – 74 kBq/m2 0,02 – 0,05 Ci/km20,74 – 1,85 kBq/m2
Zone 3 : droit au relogement 15 –  40 Ci/km2555 – 1480 kBq/m2 2 – 3 Ci/km274 – 111 kBq/m2 0,05 – 0,1 Ci/km21,85 – 3,7 kBq/m2
Zone 4 : relogement obligatoire et immédiat > 40 Ci/km2>1480 kBq/m2 > 3 Ci/km2>111 kBq/m2 > 0,1 Ci/km2>3,7 kBq/m2
Note : 1 Ci / km2 (1 Curie par kilomètre carré) = 37×109 Bq / km2 (37 milliards de becquerels par kilomètre carré)1 kBq/m2 = 1 kilobecquerel par mètre carré soit 1 000 becquerels par mètre carré.

Du rôle de la pectine dans l’élimination du césium dans l’organisme

ACROnique du nucléaire n°67, décembre 2004


Nous présentons ici les analyses faites sur des enfants biélorusses avant et après leur séjour en Normandie à l’invitation de l’association “Solidarité Biélorussie-Tchernobyl”. Les analyses d’urine ont été effectuées par l’ACRO, alors que les analyses anthropogammamétriques ont été faites sur le corps entier à l’Institut Belrad de Minsk.

A trois exceptions près, tous les enfants sont contaminés par du Césium 137 du fait de la contamination de leur environnement par l’accident de Tchernobyl.

Les analyses sur les urines ne sont pas corrélées aux analyses anthropogammamétriques sur le corps entier. La contamination des urines, bien qu’utilisant une méthode de mesure plus précise, fluctue beaucoup d’un cas à l’autre. Cela peut s’expliquer par la différence entre les urines du matin ou celles de la journée par exemple. Mais aussi par la prise de pectine qui peut accélérer l’élimination pendant un laps de temps donné. Les urines ne sembleraient pas, a priori, être un indicateur fiable de l’évolution de la contamination de l’enfant, sauf si on arrivait à corriger l’incertitude par un autre indicateur. Mais cela dépasse nos compétences et pour le moment, les urines ne sont qu’un témoin de la contamination de l’enfant.

Habituellement, lors de leur séjour en Normandie, les enfants biélorusses reçoivent un traitement à la pectine pour accélérer l’élimination du césium. Cette année, faute de fonds suffisants, seule une partie des enfants a pu être traitée. Cela va nous permettre d’étudier l’importance du rôle de la pectine.

En moyenne, les enfants ayant reçu un traitement à la pectine ont vu leur contamination au Césium 137 baisser de 37% contre 15% en moyenne pour les enfants non traités. Il apparaît donc que la pectine accélère bien l’élimination du césium. A noter que pour deux cas, on constate une baisse de 100%, ce qui est peu plausible et est probablement lié au fait que la limite de détection n’était pas atteinte. Si on retire ces deux cas litigieux, on obtient alors une baisse moyenne de 31% pour les enfants traités à la pectine.

Dans la littérature scientifique, c’est la période de décroissance qui est généralement utilisée. Elle correspond au temps nécessaire à une diminution de moitié de la contamination par élimination biologique et décroissance radioactive. Pour les enfants n’ayant pas reçu de pectine, on trouve qu’il faut 119 jours pour que leur contamination moyenne diminue de moitié. Alors que pour les enfants ayant reçu de la pectine, il ne faut plus que 42 jours (52 jours si on enlève les deux cas litigieux avec une décroissance de 100%). La contribution de la pectine se traduit donc par une période d’élimination de 65 jours (ou 92 jours si on enlève les deux cas litigieux). Cette valeur est plus longue que les 20 jours annoncés par le Pr. Nesterenko qui commercialise la pectine [1]. De même, sans pectine, la période est plus longue que les valeurs retenues par la CIPR-56 pour des enfants. La CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) considère plusieurs périodes en fonction de la partie du corps considérée (plasma, muscle…). Notre résultat s’approche de la plus longue période retenue pour les adultes qui est de 110 jours pour la partie musculaire.

Les anthropogammamétries sont réputées surestimer les résultats pour des valeurs inférieures à 1000 Bq (ou 33 Bq/kg pour un enfant de 30 kg) [2]. Il y a là un biais qui pourrait conduire à un allongement artificiel des périodes déduites des mesures car à la fin du séjour en Normandie de nombreuses valeurs sont sous ce seuil.

Les périodes de décroissance permettent de calculer la contamination des enfants en fonction de scénarios de consommation de produits contaminés. En supposant, par un exemple, simpliste que les enfants incorporent quotidiennement la même quantité de césium notée Q, alors, leur contamination sera égale à Q.T/ln2. Ainsi leur contamination sera d’autant plus faible que la quantité incorporée sera faible ou que la période d’élimination, T, sera faible. D’après nos résultats, cette période est de 2 à 3 fois plus faible avec un traitement à la pectine que sans. La contamination des enfants sera donc aussi 2 à 3 fois plus faible avec ce scénario qui implique une ingestion quotidienne de pectine. Cependant, la pectine n’est distribuée que lors de 3 cures par an pour des raisons médicales (effets secondaires) et de coûts. Dans de telles conditions, son effet sera donc beaucoup plus réduit.

Une politique de prévention est donc une démarche efficace. L’action de l’ACRO en Biélorussie vise plutôt à tenter de diminuer à la source l’ingestion de césium en favorisant la mise en place d’un réseau de mesure directement en lien avec la population. Nous espérons ainsi mettre en place des comportements alimentaires issus de stratégies efficaces de réduction de l’ingestion de césium 137.

En conclusion, ces résultats font apparaître que le césium 137 serait éliminé moins vite que ce qu’a retenu la CIPR dans ses modèles. Nous notons aussi que la pectine accélèrerait effectivement l’élimination du césium, mais moins vite que ce qui est annoncé par ses promoteurs. D’autres stratégies de réduction de la contamination à la source sont donc tout à fait pertinentes. Les deux approches sont complémentaires et contribuent à la diminution de la contamination des enfants.

D’un point de vue politique, la pectine est ignorée par les milieux officiels de la médecine et de la radioprotection sous prétexte que son efficacité n’est pas prouvée. Mais aucune étude n’est menée… De l’autre côté, certaines associations qui font la promotion de la pectine critiquent avec virulence toute autre démarche basée sur la prévention. Dans un tel contexte, nos résultats sont importants, mais malheureusement pas assez robustes pour pouvoir tirer des conclusions définitives. Ils montrent plutôt la nécessité d’études plus poussées sur le sujet.

Références :
[1] V.B. Nesterenko et al, Reducing the 137Cs-load in the organism of « Chernobyl » children with apple-pectin, Swiss Med wkly, 134 (2004) p. 24
[2] M. Schläger et al, Intercalibration and intervalidation of in-vivo monitors used for whole-body measurements within the framework of a German-Belarussian project, IRPA 11 (May 2004), Madrid, paper ID 839 (on CD ROM)

Anthropogammamétrie
réalisée par Belrad
Dosage du Cs137 dans les urines par l’ACRO
numéro pectine 02/06/2004Bq/kg 30/06/2004Bq/kg 07/06/2004Bq/L 27/06/2004Bq/L
1 non 29,16 28,43 <2,8 2,9±1
2 non 31,96 25,81 9,3±4 <2,8
3 oui 65,40 30,13 40,0±6,6 31,3±5,6
4 oui 29,07 24,80 13,8±3,3 8,8±3,5
5 oui 15,40 10,52 8,0±2,7 4,9±2,1
6 oui 26,15 17,12 13,0±2,8 11,0±3,5
7 oui 0,00 0,00 <2,4 /
8 oui 33,52 20,16 <2,4 /
9 oui 33,55 24,05 5,5±2,3 <4,0
10 non 34,13 28,85 10,4±2,9 9,1±3,8
11 non 54,30 31,20 29,6±4,1 14,6±3,5
12 oui 31,10 19,60 15,4±3,3 4,3±2,1
13 oui 46,83 30,57 20,13,2 20,0±4,4
14 non 34,46 20,55 10,5±2,8 3,6±1,8
15 oui 41,00 37,30 18,5±4,7 <4,4
16 oui 38,23 0,00 7,2±2,5 <4,4
17 oui 47,36 32,85 <6,0 /
18 oui 52,69 28,56 40,2±6,9 5,4±1,5
19 oui 38,71 0,00 <3,2 /
20 oui 31,50 20,41 16,3±4,7 <2,8
21 oui 91,52 62,58 64,4±7,9 36,8±6,8
22 oui 23,07 13,21 <3,6 /
23 oui 51,04 40,98 25,1±4,2 17,3±4,7
24 non 0,00 0,00 <2,4 /
25 non 32,98 29,30 <14,0 /
26 oui 25,16 18,95 <5,2 <2,8
27 oui 25,21 18,59 <5,6 /
28 oui 29,97 21,27 7,0±2,7 5,3±2,5
29 non 35,63 33,19 <3,2 6,5±3,0
30 non 12,89 10,22 <4,8 /
31 non 12,48 10,88 6,2±2,2 <5,2
32 non 27,69 26,42 18,6±4,7 <3,2
33 non 21,04 17,81 <3,2 /
34 oui 65,56 51,52 37,6±6,4 31,4±5,5
35 non 29,54 28,15 <5,2 /
36 non 30,91 26,21 6,6±2,1 8,3±2,7
37 oui 87,81 56,73 61,9±7,3 23,2±4,1
38 non 10,45 10,36 <5,2 /
39 oui 0,00 0,00 <5,2 /
40 non 37,83 37,57 8,0±2,2 4,7±2,1
41 non 46,84 29,40 7,9±3,2 12,2±3,0
42 oui 44,08 35,15 33,4±6,2 17,3±3,8
43 non 37,90 35,40 12,3±3,4 <2,0
44 non 29,25 25,20 6,4±3,0 /
45 non 18,80 15,50 8,5±2,6 /
46 non 49,51 37,22 13,5±4,5 8,7±2,6
47 non 39,03 35,49 19,6±4,2 15,1±3,4

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Comment un autocrate, le Pr Aurengo, a trahi une démarche participative

Communiqué du 5 mai 2006 sur « le rapport sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France »
Rapport rédigé par André Aurengo et transmis, le 18 avril 2006, aux Ministres de la Santé et des Solidarités et de l’Écologie et du Développement durable.


Le groupe de travail, présidé par André Aurengo, avait été constitué à la demande des Ministres chargés de l’Environnement et de la Santé, de deux gouvernements successifs : tout d’abord Messieurs Yves Cochet et Bernard Kouchner puis confirmé par Monsieur Jean-François Mattei et Madame Roselyne Bachelot en 2002. Ce groupe de travail était chargé, principalement, d’établir à partir des données existantes une cartographie de la contamination du territoire français, suite à l’accident de Tchernobyl, et devait réunir « de la manière la plus ouverte possible les experts et les acteurs intéressés par cette question ».

De fait, M. Aurengo, dont les positions en faveur du nucléaire sont notoires, (tendant toujours à minorer les effets des radiations en général, et, en particulier les conséquences de Tchernobyl) avait réussi à composer un groupe de travail relativement pluraliste : si des institutionnels tels que l’IRSN étaient représentés, étaient également présents des médecins, des représentants d’associations et des journalistes.

En réalité, ce groupe a toujours eu un fonctionnement scandaleux ; quelques réunions ont eu lieu en 2003, une en 2004, aucune en 2005… En 2006, un certain nombre de participants croyaient la commission morte et enterrée. Ces réunions organisées de façon totalement aléatoires n’étaient pas, pour la plupart, précédées d’ordre du jour ni ne donnaient lieu à un compte rendu. Elles étaient totalement soumises au bon vouloir de M. Aurengo qui a profité de cette commission pour régler ses comptes avec l’IRSN. Il l’accusait d’avoir, dans sa dernière carte, donné une vision trop pénalisante de la contamination post Tchernobyl en France. Un comble !

Les membres de la commission n’ont jamais donné aucun mandat à M. Aurengo.

C’est après les dernières réunions qui furent houleuses qu’il a renoncé à réunir cette commission. M. Miserey, journaliste, avait donné sa démission. L’ACRO avait également menacé de le faire devant l’inanité des travaux, la partialité affichée par M. Aurengo et le manque de moyens donnés à la commission : là où il aurait fallu un travail de contre-expertise d’envergure, il n’y avait même pas de quoi payer les frais de route des participants !

M. Aurengo a donc œuvré, seul, au sein de l’IRSN, sous prétexte d’agir dans le cadre des travaux du groupe de travail. Pourtant il n’avait aucun mandat particulier pour agir ainsi, ni gouvernemental ni de son groupe. L’argumentaire selon lequel, il aurait été pris par le temps nous paraît totalement fallacieux. La commission existait depuis 3 ans, mais elle est devenue fantôme par la volonté de son président, seul habilité à la convoquer. Souhaitait-il avoir les mains libres et s’en servir comme paravent pour produire un énième rapport personnel sur les conséquences de Tchernobyl ? Probablement, et ce serait une grave imposture.
La mission gouvernementale a été totalement trahie : Le sens de ce travail reposait sur sa pluralité. Un des objectifs recherché par les pouvoirs publics était, entre autres, d’avoir un rapport sur Tchernobyl, un peu moins contesté que d’habitude.

Le Pr Aurengo a donc rédigé seul ce rapport. Il a été remis aux Ministres le 18 avril 2006. Les membres de la commission n’en ont eu connaissance que le 24 avril au matin par un courrier électronique accompagné du dit rapport. Le courrier du Pr Aurengo, aux membres de la commission explique que ce rapport a été rédigé « en son nom propre, […] avec l’accord des Ministres et dont j’assume toute la responsabilité ». Or, comble de la malhonnêteté cela n’apparaît aucunement dans le rapport qui est voué à être rendu public.

Nous sommes associés de fait à ce rapport remis aux Ministres par M. Aurengo. Ainsi l’amalgame entre ce document et le travail de la commission paraît évident au public. Nous apparaissons comme coauteurs, bien malgré nous. Seule une lettre privée, qui par ailleurs nous congédiait, explique notre non-implication dans ce travail. La fourberie est manifeste.

Pour une démarche participative de qualité : La pluralité, la transparence, la tolérance d’opinions divergentes sont nécessaires. M. Aurengo n’en a que faire ! Du mandarinat à l’autocratie, il a largement franchi le pas et dans ses certitudes n’a que faire de l’avis d’autrui. Ce n’est pas avec ce genre de conduite que la parole publique retrouvera un minimum de crédibilité quand il s’agit de nucléaire, en général et de Tchernobyl en particulier.

Nous sommes scandalisés et tenons à dénoncer les manœuvres honteuses orchestrées par le Pr Aurengo.
Nous demandons au gouvernement de ne pas tenir compte de ce rapport.

Ce communiqué est signé par les membres, du groupe de travail « sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France », suivants :
Pierre-Jacques Provost, journaliste
Michel Deprost, journaliste
Pour l’ACRO : Sibylle Corblet Aznar, Jean-Claude Autret

Ancien lien

L’ACRO en Biélorussie : point sur les actions menées depuis un an

ACROnique du nucléaire n°70, septembre 2005
Vous pouvez télécharger la version avec illustrations.


 Depuis plus d’un an, l’ACRO s’est engagée, avec d’autres partenaires, aux côtés des habitants des territoires contaminés biélorusses. L’objectif est d’accompagner des projets visant à améliorer les moyens de surveillance et d’information sur le volet radiologique et d’y apporter notre expérience de laboratoire citoyen, en travaillant « avec » la population locale.

La situation en Biélorussie
La Biélorussie est le territoire qui a subi la plus grande partie des retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl (70 % du terme source). Cette contamination concerne un quart de son territoire et près de 2 millions de personnes. Les territoires contaminés sont classés suivant 4 niveaux en fonction des densités de contamination des sols. La gestion nationale des conséquences de l’accident de Tchernobyl (aide financière, politique de relogement, etc.) dépend ensuite du statut d’appartenance du territoire considéré.

Tableau
1 :
Définition des zones de contamination (loi
Biélorusse de 1991)

Zones Densité
de
contamination des sols en Ci/km2
Cs-137 Sr-90 Pu-238,
239,
240
Zone 1 : contrôle
radiologique périodique
1 –  5 0,15 – 0,5 0,01 – 0,02
Zone 2 : droit de migration 5 –  15 0,5 – 2 0,02 – 0,05
Zone 3 : droit au relogement 15 –
40
2 – 3 0,05 – 0,1
Zone 4 : relogement obligatoire
et immédiat
> 40 > 3 > 0,1

Note : 1 Ci / km2 (1 Curie par kilomètre carré) = 37 109 Bq / km2 (37 Milliards de Becquerels par kilomètre carré)

L’évolution de la situation radiologique des sols dépend de la nature des radionucléides présents, de leurs périodes de décroissance radioactive, de leur mobilité dans l’écosystème et des caractéristiques du sol. Actuellement, sur l’ensemble des radionucléides rejetés par la centrale de Tchernobyl, le césium 137 (Cs-137) est l’élément radioactif majoritairement présent sur le territoire biélorusse. Le strontium 90 (Sr-90),
également rejeté, reste plus localisé  dans la zone proche de la centrale de Tchernobyl, au sud de la Biélorussie (région de Gomel). Présent en plus faible quantité que le césium, cet isotope radioactif pose cependant des problèmes du fait de sa radiotoxicité élevée et de la difficulté à le mesurer.

Note: le strontium 90 est un élément radioactif, émetteur
de rayonnement Bêta pur. Sa période radioactive est de 28,5 ans. Sa mesure est plus difficile que pour le césium et nécessite une séparation chimique préalable et un appareillage adapté. Compte tenu de ses caractéristiques chimiques et physiques, le strontium est un contribuant majeur de l’impact sanitaire. Proche du calcium, le strontium se fixe préférentiellement sur les os.

Les isotopes du plutonium (Pu-238, 239 et 240) ont été localisés essentiellement dans la zone proche de la centrale de Tchernobyl. Ces isotopes fortement toxiques chimiquement et radiologiquement sont heureusement peu mobiles et entrent peu dans la chaîne alimentaire. Leur mesure est encore plus difficile que celle du strontium et nécessite de posséder des appareillages sophistiqués.

Les principales zones de contamination touchent les régions du sud du pays (régions de Gomel et Brest) et l’est du pays (région de Mogilev). Les forêts, très nombreuses en Biélorussie, sont fortement contaminées du fait de leur propriété à concentrer les polluants déposés sur le sol. La caractéristique des sols, les événements climatiques (inondations, sécheresse …) sont autant d’éléments qui peuvent faire fluctuer les cartes de contamination d’un secteur. Du fait de la particularité physique des polluants radioactifs, l’échelle de temps apporte également des changements sur la répartition des éléments radioactifs sur le territoire. Ainsi, l’iode 131 majoritairement présent dans les premiers jours qui ont suivi l’accident, et responsable des maladies de la thyroïde, a-t-il maintenant quasiment disparu compte tenu de sa période de décroissance radioactive relativement courte (8 jours). A l’inverse, de nouveaux radioéléments apparaissent. C’est le cas de l’américium 241 issu de la désintégration du Plutonium 240 ; sa présence maximale est prévue pour 2060.

Même si l’on ne doit pas négliger l’irradiation externe dans certains endroits, ou l’inhalation de poussières dans les zones les plus touchées, l’impact sur les hommes se fait essentiellement au travers des produits d’alimentation.

La Biélorussie, comme ses pays voisins (Russie et Ukraine), a mis en place une surveillance et des normes concernant les circuits officiels de commercialisation (cf tableau 2).

Tableau 2 : Exemples des concentrations maximales admissibles pour le Cs137 établies en  Biélorussie pour les produits alimentaires et l’eau de boisson (norme RDU-99 de 1999, en cours actuellement).

Produits Concentration
maximale
admissiblepour le Cs-137 (Bq/Kg)
Eau de boisson 10
Lait et produits laitiers 100
Viande de bœuf et de mouton 500
Viande de porc 180
Poisson 180
Pommes de terre 80
Fruits 40
Champignons frais / secs 370/2500
Pain 40

Note : Bq/kg = becquerel par kilogramme

Mais l’essentiel des produits consommés dans les régions rurales est issu de l’autoproduction et échappe donc au contrôle officiel. A cela, s’ajoute les produits de la cueillette, de la pêche ou de la chasse qui contribuent fortement à l’ingestion de radioactivité. En effet, les produits « sauvages » sont souvent fortement contaminés. Même si ces habitudes traditionnelles sont déconseillées ou même interdites dans le pays, les consignes ne sont bien souvent pas respectées par nécessité (il faut bien se nourrir), par lassitude (comment rester vigilant après deux décennies ?), par fatalisme et enfin tout simplement par goût (la soupe aux champignons est un plat traditionnel).

Les zones d’exclusion (> 40 Ci/km2) sont, en principe, interdites à la population. Dans le périmètre interdit des 30 Km autour de la centrale de Tchernobyl, 119 villages ont ainsi été évacués. Une fois par an, une autorisation est donnée pour retourner au village abandonné afin de pouvoir fleurir les tombes de ses proches. Une politique de relogement permet encore à des familles installées avant 1986 de quitter les zones contaminées (statut des zones 3) ; On note par contre l’arrivée dans les territoires de nouveaux occupants (issus des républiques de l’ex-URSS, Kazakhstan, Azerbaïdjan, etc.). Ainsi le village de Strevitchi (statut entre 15 et 40 Ci/Km2) dans le district de Khoyniki compte actuellement plus de 13 nationalités différentes. Après 1986, les deux tiers de la population sont partis et maintenant seul un quart de sa population actuelle est originaire du village.

La situation du district de Bragin
La région où nous intervenons se trouve à l’extrême sud-est du pays, auprès de la frontière ukrainienne. La population du district est actuellement de 17 000 habitants ; plus de la moitié (56%) ont quitté le district après la catastrophe de Tchernobyl. Le district est bordé au sud et à l’ouest par les limites de la zone d’exclusion ; après la catastrophe, 18% du territoire a été relégué en zone interdite (zone > 40 Ci/km2).
La population, essentiellement rurale, vit majoritairement dans des territoires contaminés de 5 à 15 Ci/km2. Les ressources économiques du district sont faibles, avec peu d’entreprises locales et une agriculture d’état (kolkhozes) terriblement marquée par la contamination (Cs-137, Sr-90). L’exploitation des forêts pose également des problèmes, du fait de la contamination du bois ; les chaufferies collectives des villages ont ainsi dû renoncer à cette ressource énergétique peu onéreuse et abondante, les alternatives restant faibles dans une région où les hivers sont rudes et longs. La peur des incendies de forêt, dont les conséquences radiologiques peuvent être très graves, oblige cependant un entretien des zones sylvestres à l’intérieur et à l’extérieur de la zone d’exclusion. De nombreux villages connaissent des problèmes en eau potable avec des taux importants en fer, issus, en partie, des canalisations mises en place après l’accident alors que les puits collectifs n’étaient plus exploitables car contaminés. Sur le volet sanitaire, les taux de morbidité sont en hausse chez les enfants et on note un « rajeunissement » de certaines maladies, comme par exemple des cas de cataracte chez des jeunes. Les services médicaux souffrent d’un manque de personnel compétent et d’infrastructures adaptées pour le soin et la prévention. Comme dans les autres districts des territoires contaminés, les enfants scolarisés sont envoyés un mois en sanatorium deux fois par an. Une aide économique pour le transport est attribuée aux familles en fonction du statut du village (en fonction de la densité de contamination établie par l’administration).

Les objectifs du projet
Le projet a pour but de mettre en place une surveillance radiologique au service de la population et de favoriser l’accès à la mesure et à l’information sur la situation locale au niveau des villages.

Concrètement, il s’agit d’ouvrir ou de remettre en service des postes de mesures dans les principaux villages du district, de lancer des campagnes de mesures de la contamination interne des enfants scolarisés (anthropogammamétrie), de mettre en place un observatoire de la situation radiologique au niveau des villages, de favoriser l’organisation de lieux d’échanges (réunions publiques,  cercles de rencontre), et d’information (affichage public des résultats des mesures) et de développer des actions pédagogiques dans les écoles.

Dans quatre écoles du district la mise en place d’ateliers permet aux élèves d’acquérir, par la pratique, les connaissances nécessaires pour développer une culture pratique de protection radiologique, exploitable au quotidien. Au-delà de l’acquisition de connaissances et de savoir faire, la question de la transmission d’une « mémoire » de l’accident est également abordée.

La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux mêmes, via l’association « Rastok Gesni » (Pousse de Vie), créée récemment et qui regroupe maintenant une vingtaine de bénévoles actifs : mères de famille, personnel de santé, enseignants.

Cette  initiative se développe dans le cadre du programme international, CORE qui fédère les projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie (voir la présentation du programme en fin d’article).

Participent à ce projet : Rastok Gesni (ONG Biélorusse locale), BELRAD (Institut Biélorusse de mesure radiologique indépendant), BB-RIR (Institut National Radiologique Biélorusse, filiale de Brest, basée a Pinsk), Hôpital de Bragin, CEPN (Centre d’Etude sur l’évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire) qui a travaillé pendant plusieurs années dans le cadre du projet ETHOS en Biélorussie sur le district de Stolyn, PSF (Patrimoine Sans Frontière) qui travaille sur le volet « mémoire » de l’accident (projets « villages perdus », « contes : raconte moi ton nuage »), le LASAR (Laboratoire d’Analyse Socio-Anthropologique du Risque) laboratoire universitaire de Caen, qui mène depuis plusieurs années des travaux sur la Biélorussie, coordinateur de l’ouvrage « les silences de Tchernobyl » et organisateur de la première université d’été sur Tchernobyl à Kiev.

Les financeurs :
Le volet « mise en place d’une surveillance radiologique sur le district de Bragin » est financé par le Ministère des Affaires Etrangères Suisse, via le SDC (Agence Suisse pour le Dévelopement et la Coopération, financeur du projet) qui travaille depuis plus de deux ans maintenant dans les territoires contaminés de Biélorussie sur le volet essentiellement sanitaire (www.chernobyl.info). Le financement, ici, est destiné à la dotation de matériel, mise à niveau des locaux, formation et salaire des dosimétristes, campagnes de mesures anthropogammamétriques, soutien de l’association locale et coût des missions.
Le volet « éducatif » sur le district de Bragin est financé par le Ministère des Affaires Etrangères français, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). Les financements sont destinés à l’achat de matériel et de fournitures pour les écoles, matériel de détection, salaire des animatrices locales, et coût des missions.

Etat d’avancement des actions

Mise en place de centres locaux de mesures ouverts à la population
Le projet a concrètement débuté en février 2004 avec l’organisation d’une table ronde réunissant les partenaires du projet, les professionnels locaux de la santé et de l’enseignement ainsi que les autorités du district.
Les centres locaux de mesures ont été installés ou rénovés à partir d’avril 2004 jusqu’à novembre 2004 dans les localités de : Bragin (au centre épidémiologique), Krasnoye (au dispensaire du village),  Mikoulitchi (dans la maison du conseil de village), Dublin (dans l’école),  Krakovitchi (dans l’école) et à Komaryn (au centre vétérinaire). L’équipement comprend un spectromètre gamma qui permet le dosage rapide du césium 137 dans les produits, des dosimètres pour la mesure du rayonnement gamma et bêta ambiant, et un ordinateur avec imprimante. Le personnel affecté à ces centres, choisi localement, a suivi une formation spécialisée à l’institut BELRAD au cours des premiers mois du lancement du projet. Afin de se conformer à la législation nationale, une demande d’accréditation a été déposée et obtenue au mois d’avril 2005 pour chacun des centres. Certains problèmes d’ordre « technique » (sécurisation des locaux, délai d’arrivée du matériel) ont retardé l’avancement du travail. Malgré cela, plus de 200 mesures ont déjà été réalisées dans les localités de Krasnoye et Komaryn.

Comment fonctionnent les centres de mesures ? Il est important que les centres soient facilement accessibles à l’ensemble de la population du village. Les gens apportent leur produit (pommes de terre, lait, baies, gibier, etc.) au radiamétriste qui effectue aussitôt la mesure. Le résultat rendu est toujours accompagné d’explications sur sa signification en termes de contamination interne si le produit est consommé, le danger sanitaire potentiel, en apportant une comparaison avec les valeurs habituellement observées au niveau du village ou du district. Les produits « sensibles » nécessitant un contrôle régulier sont les produits laitiers, la viande, dont la contamination dépend directement de l’état radiologique des fourrages (en hiver) et des pâturages (en été), les produits de la cueillette, de la pêche ou de la chasse.

Notre accompagnement, consiste essentiellement en une aide technique, et avec la collaboration de nos partenaires, nous menons une réflexion avec les dosimétristes sur les moyens à mettre en place pour favoriser la diffusion de l’information et faire comprendre à chacun l’intérêt d’apporter ses produits à mesurer. Le travail avec les écoles reste, certainement, le meilleur moyen de toucher une large partie de la population. Les enfants sont, en effet, de bons vecteurs de diffusion de l’information et représentent, de surcroît, la cible la plus sensible aux problèmes d’exposition radiologique. C’est pour cette raison, qu’il nous est apparu essentiel de mener en parallèle des actions pédagogiques dans les écoles du district. Deux radiamétristes travaillent déjà avec les écoles de Komaryn et de Krasnoye en ouvrant leur centre de mesure aux élèves qui apportent et mesurent eux-mêmes des produits recueillis dans leur voisinage.

Campagnes de mesures anthropogammamétriques sur l’ensemble des enfants scolarisés dans le district, réalisées en avril et en novembre 2004.
Trois campagnes de mesures ont déjà été réalisées par l’Institut BELRAD (mars et novembre 2004 et avril 2005). La mesure est réalisée à l’aide d’un fauteuil derrière lequel est fixé un détecteur (cristal d’Iodure de sodium) qui permet de quantifier le taux de Césium présent dans l’organisme. La mesure dure quelques minutes et l’enfant repart avec le résultat et une information sur ce qu’il signifie. Tout l’équipement (fauteuil anthropogammamétrique, ordinateur) est déplacé d’école en école afin de limiter les déplacements des enfants et de toucher le maximum de personnes.

Les données anthropogammamétriques sont essentielles à chacun pour pouvoir connaître sa contamination interne ou celle de ses enfants. Ces résultats sont également importants pour évaluer la situation radiologique des villages et cerner en premier lieu les situations alarmantes. Après la première campagne réalisée en avril 2004, Tatiana, la Présidente de Pousse de Vie, a beaucoup travaillé avec les familles dont les enfants présentaient des taux de contamination élevés. L’objectif est de comprendre l’origine principale de la source de contamination, puis de voir avec les parents comment trouver un moyen de remédier au problème en trouvant une solution durable. Les cas les plus difficiles sont souvent les familles les plus socio économiquement défavorisées où il n’existe que peu d’information et où les marges de manœuvre sont excessivement réduites. Les champignons ou le gibier braconné, présentant souvent des taux en césium importants sont bien souvent les causes des fortes contaminations internes, surtout à l’automne. Cependant, la contamination étant cumulative, l’ingestion quotidienne de quantités plus réduites peut également amener un taux de contamination interne final important. Lorsque le lait de la vache est incriminé, la solution peut consister à changer son lieu de pâturage afin de réduire sa contamination.

Les résultats des campagnes de mesures montrent une contamination généralisée de l’ensemble des enfants du district. Majoritairement le taux mesuré se situe en dessous de 30 Bq/kg (soit un total de 900 Becquerels pour un enfant pesant 30 Kg). Des cas plus critiques ont été mesurés avec des taux de contamination dépassant les 100 Bq/kg jusqu’à 2700 Bq/kg dans un cas. Il est important de préciser qu’il n’existe pas de seuil d’innocuité et toute présence, même minime de radioactivité d’origine anthropogénique dans l’organisme a une probabilité non négligable d’engendrer de graves conséquences sur l’organisme et sur la santé.

Note : Pour un résultat d’anthropogammamétrie de 2000 Becquerels en césium 137 dans le corps entier plusieurs scénarios d’intoxication sont possibles. L’origine de la contamination peut être due, par exemple : soit à l’ingestion de 200 g de champignons contaminés à 10 000 Bq/kg , quelques jours avant la mesure ; soit à l’ingestion quotidienne d’un demi-litre de lait contaminé à 80 Bq/L (cas d’un enfant).

Parrainage et accompagnement de l’association locale « Rastok Gesni » (Pousse de vie).
La création d’une association est peu courante en Biélorussie. Pousse de Vie, représente en quelque sorte notre homologue en Biélorussie et nous sommes fiers de parrainer cette nouvelle organisation. Notre accompagnement s’effectue principalement sur le volet méthodologique même s’il reste important  de prendre en compte toutes les spécificités locales et le manque d’habitude de ce type d’engagement bénévole en Biélorussie. L’association Pousse de Vie compte une vingtaine de membres actifs, issus essentiellement du milieu médical et enseignant. Un système de parrainage a été mis en place pour accueillir les nouvelles recrues. L’action de Pousse de Vie s’effectue également dans le cadre du projet « Mother & Child » lancé par l’office de coopération suisse (SDC) et visant a réaliser des réunions ouvertes aux futures et jeunes mères pour donner une information sanitaire préventive. Ainsi dix cercles de rencontre sont menés par 10 membres de l’association et tournent de village en village. Même si Tatiana reconnaît qu’il est difficile de motiver les gens sur du bénévolat, la présidente de Pousse de Vie a beaucoup d’espoir sur l’existence et la mission de son association. Elle reconnaît qu’au travers de son ONG, son discours a plus d’impact auprès des gens et des autorités. Sa légitimité est également essentielle puisque son discours provient du « terrain » ; comme la plupart des gens avec qui Tatiana travaille, avec qui elle partage la vie, elle a vécu dans sa « chair » la catastrophe de Tchernobyl, et a « choisi » de rester dans son village avec son mari et ses deux enfants. Infirmière de  métier, son combat quotidien est d’améliorer les conditions de vie des gens autour d’elle. « C’est à nous de définir les critères pour vivre ici et créer les conditions de notre survie ». Après une année de visites régulières de notre part nous avons été heureux d’accueillir Tatiana chez nous au mois d’avril dernier. La rencontre avec les autres membres de l’ACRO fut, bien entendu, riche dans les deux sens.

Lancement de cercles de travail (ateliers) avec les élèves de 4 écoles du district.
Depuis septembre 2004 et dans le cadre du programme CORE, quatre écoles ont lancé des ateliers ouverts aux élèves permettant l’acquisition des notions de base et des connaissances nécessaires sur la radioactivité, ses conséquences sur la santé et sur les principes de la radioprotection. Chaque atelier est dirigé par un ou deux enseignants et accueille une quinzaine d’enfants.
Chaque école a établi son propre programme d’activité. En général, le travail a débuté par une approche théorique, basée sur l’étude des cartes de contamination dans le district, l’apprentissage des notions de base de physique avec l’aide des plus grands élèves et l’utilisation des supports pédagogique existant sur le sujet.

Dans l’école de Mikoulichi, le travail s’est ensuite porté sur l’étude des résultats des anthropogammamétries réalisées par l’institut BELRAD. La particularité de cette école est d’accueillir des enfants de trois villages différents. On aurait constaté que certains élèves des villages considérés comme « propres » présentaient une contamination interne plus importante que d’autres. Le travail des élèves a donc consisté à essayer de comprendre cette situation par une double approche : celle de l’analyse des produits consommés (connaissance des régimes alimentaires, de la provenance des produits, du taux de contamination des produits, etc.) puis celle, plus pratique, de la réalisation de cartes de contamination. Pour réaliser ce dernier travail, certains parents travaillant dans les services forestiers ont proposé leur aide. Les enfants ont effectué des mesures de radioactivité ambiante à l’aide des dosimètres. L’école, elle-même, est située sur une zone de 15 à 40 Ci/km2, et il existe des taches de contamination relativement importantes autour de l’établissement. Une synthèse des résultats a permis de réaliser un « passeport » de la situation de l’école. Les détecteurs ont également été prêtés aux enfants afin qu’ils réalisent des mesures chez eux. La responsable de l’atelier note un problème principalement chez les familles défavorisées.

Dans l’école de Komaryn, le travail des élèves s’est centré principalement sur les aspects de la « mémoire » de l’accident de Tchernobyl, basé sur le recueil des témoignages des aînés. La responsable de l’atelier a été très surprise du degré de motivation des jeunes enfants, l’intérêt qu’ils ont montré à s’impliquer dans ce travail révélant une réelle envie de leur part de connaître l’histoire de l’accident au travers de ceux qui l’ont vécu. Ce travail a été réalisé en collaboration avec la maison de la culture de Komaryn impliquée sur un autre projet lié à la mémoire de Tchernobyl avec l’association française Patrimoine sans Frontière.

Après un an de fonctionnement, le bilan du travail réalisé dans les quatre écoles est positif. Les enseignants responsables des ateliers reconnaissent l’intérêt d’un tel travail avec les élèves. Les enfants sont motivés et même plutôt enthousiastes à mener ce travail, essentiellement dans les activités pratiques. L’utilisation de l’ordinateur, la valorisation de leur travail est une motivation supplémentaire pour eux.

Le bilan, plus global, sur le fonctionnement des cercles semble plus difficile à faire du fait du manque de recul. Le travail est basé sur une implication bénévole des enseignants, et la charge de travail est souvent très importante pour mener a bien les actions. Les problèmes de financement (retard des versements prévus pour soutenir les actions), de logistique, ont constitué autant d’éléments qui ont pu rendre difficile le lancement des ateliers cette année. Les enseignants ont également souligné un besoin en supports pédagogiques, ressources d’information (carte locale de la contamination en césium). Selon l’avis général il faut poursuivre l’expérience à condition que les moyens soient mis en place pour soutenir le travail. C’est pour cette raison que l’ACRO a répondu à un appel d’offre de la Commission Européenne dans le cadre des projets TACIS. Le projet, visant à promouvoir ce travail dans les écoles va ainsi bénéficier, nous l’espérons, dès la rentrée prochaine (septembre 2005), d’un soutien financier qui devrait permettre une dotation plus importante en matériel et des moyens supplémentaires permettant un meilleur accompagnement des enseignants dans leur tâche.

Commentaires sur notre action

Le travail que nous menons en Biélorussie nous semble utile et porteur de sens pour une association comme la nôtre née des conséquences de Tchernobyl. Notre engagement est cependant difficile car il n’est bien évidemment pas « normal » d’habiter dans un territoire si contaminé. Le fait, bien réel, est pourtant que des gens (2 millions de personnes) vivent là bas et qu’il n’est pas réaliste de déporter une telle population  (pour aller où  et avec quels moyens ?). Doit-on pour autant les ignorer ?

18 ans après la catastrophe, il nous est apparu important de nous engager aux cotés des habitants des territoires contaminés de Biélorussie, dont le sentiment d’abandon est grand et de leur apporter notre expérience de laboratoire citoyen, en travaillant « avec » la population et en accompagnant leurs projets pour tenter d’améliorer leurs conditions de vie. De plus, il nous parait essentiel, au moment où la communauté internationale semble avoir oublié Tchernobyl, de témoigner de la situation rencontrée là-bas. A l’heure où le nucléaire est présenté comme la solution « écologique » aux problèmes énergétiques, que l’on vient de décider de prolonger la durée de vie de nos centrales, il est certainement bon de rappeler les risques encourus. Quelle démocratie survivrait à un nouveau désastre comme celui-ci, économiquement et politiquement parlant ? Quel parent peut souhaiter vivre cette crainte permanente pour la santé de ses enfants, de recevoir régulièrement les résultats de son anthropogammamétrie, et de devoir deux fois par an l’envoyer en cure dans un sanatorium ? Quel habitant accepterait de quitter sa maison, son village, sa région ? Quel pays accepterait à nouveau d’abandonner une partie de son territoire en no man‘s land ? C’est, bien évidemment, la question de l’acceptabilité du risque qui apparaît ici, et toutes ces questions, en connaissance de cause, devraient aider à guider un choix citoyen, à condition que la question soit véritablement posée.

Présentation du programme CORE
Le programme international CORE regroupe des projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie et basés sur 4 thèmes :
•    la santé,
•    la mise en place de moyens de mesure de la radioactivité,
•    l’éducation et la transmission intergénérationnelle et internationale de la mémoire,
•    l’aide économique sur le volet essentiellement agricole.

L’idée est de permettre une synergie et une complémentarité entre les différentes actions menées. Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la vie dans les territoires contaminés mais de contribuer à améliorer les conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle-même. Ainsi, pour être retenus et labellisés, les projets doivent prendre en compte les dimensions locales, nationales et internationales. Concrètement, la demande doit être locale, l’habilitation nationale et les partenariats internationaux.

Une déclaration de principe a été signée par 23 institutions internationales gouvernementales et non gouvernementales comme les Nations Unies (PNUD), l’UNESCO, la Commission Européenne, les états français, italien, allemand, suisse, britannique, suédois, tchèque, lituanien (liste non exhaustive). En France une douzaine d’organisations sont partenaires de l’un des projets.

Le programme CORE ne possède pas de fonds de financement et chaque projet doit chercher un financement propre.

Pour en savoir plus : http://www.core-chernobyl.org.

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Tchernobyl : les malades imaginaires de l’AIEA

Communiqué de presse du 14 septembre 2005


Dans des rapports qui viennent d’être rendus publics, le Forum Tchernobyl, regroupant l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) et d’autres agences de l’ONU, a la prétention de faire un bilan de « l’ampleur réelle » de la catastrophe de Tchernobyl : « une cinquantaine de membres des équipes d’intervention décédés des suites du syndrome d’irradiation aiguë, neufs enfants morts d’un cancer de la thyroïde et 3940 décès en tout dus à un cancer radio-induit. » L’AIEA, qui a longtemps limité à 31 morts le nombre total des victimes se surpasse…

Pour obtenir des chiffres aussi bas, les organisations internationales ont limité à « 200 000 [les] membres des équipes d’intervention entre 1986 et 1987 » alors que le nombre de liquidateurs est estimé par elles à 600 000. De même, seulement « 270 000 habitants des zones les plus contaminées » sont pris en compte alors que 5 millions de personnes vivent officiellement dans des territoires contaminés. Radiés des listes d’irradiés pour un tour de passe-passe comptable ? Pas seulement.

« La plupart des travailleurs chargés d’assurer le retour à la normale et ceux qui vivent dans les zones contaminées ont reçu des doses d’irradiation à l’organisme entier relativement faibles, comparables aux niveaux du fond naturel de rayonnement et inférieures aux doses moyennes que reçoivent les gens qui vivent dans certaines parties du monde où le fond naturel de rayonnement est élevé. […] Pour la majorité des cinq millions d’habitants des zones contaminées, les expositions se situent dans la limite de dose recommandée pour le public. » Ils ne sont donc pas pris en compte dans les études, même si les normes internationales considèrent qu’il y a pas de seuil d’innocuité aux effets sur la santé des radiations ionisantes. L’AIEA vient donc d’introduire subrepticement un seuil et met la barre très haut en considérant les « doses moyennes que reçoivent les gens qui vivent dans certaines parties du monde où le fond naturel de rayonnement est élevé. » C’est inacceptable, car en toute logique le Forum Tchernobyl conclut que « dans les zones où l’exposition des êtres humains est faible, aucune mesure corrective n’est nécessaire. » Autant supprimer les normes de radioprotection !

Prétendre donner « des réponses définitives » sur « l’ampleur réelle de l’accident » relève de l’escroquerie. Tchernobyl est une catastrophe en devenir. L’ACRO, née à la suite de cette catastrophe en réponse à la dissimulation et aux mensonges institutionnels, œuvre actuellement en Biélorussie auprès des personnes vivant dans les territoires contaminés : nous pouvons témoigner que la santé de nombreux enfants est gravement altérée. Les conséquences sur la santé des radiations ionisantes sont encore mal connues car les seules connaissances se basent sur les survivants de Hiroshima et Nagasaki qui ont subi une irradiation forte et brève, pas une contamination continue. Les estimations de l’AIEA limitées aux personnes les plus exposées pourraient très bien être complètement erronées.

Ces études ignorent la dégradation générale de l’état de santé des populations vivant dans les territoires contaminés, rabaissées au rang de malades imaginaires : « l’impact de Tchernobyl sur la santé mentale est le plus grand problème de santé publique que l’accident ait provoqué à ce jour. […] Les personnes concernées ont une perception négative de leur état de santé, sont convaincues que leur espérance de vie a été abrégée. » L’ACRO, pourtant habituée à la propagande de l’industrie nucléaire, avait rarement lu des propos aussi abjects. « Cela a suscité chez elles […] des réactions totalement irresponsables se manifestant […] par l’abus d’alcool et de tabac et par le vagabondage sexuel non protégé. » On est en plein délire réactionnaire pour tenter de concilier une croyance idéologique en l’innocuité de la radioactivité et le délabrement sanitaire des territoires contaminés que même l’AIEA ne peut plus ignorer.

« Au final, le message du Forum Tchernobyl est rassurant ». C’était là le but recherché, au mépris des victimes de la catastrophe. Les bombardements de Hiroshima et Nagasaki ont incité l’humanité à réfléchir sur la prolifération de l’arme nucléaire et à tenter d’en limiter la prolifération. De même, les conséquences de Tchernobyl questionnent sur le développement de cette industrie à haut risque.

«  Tchernobyl » est un mot que nous aimerions effacer de notre mémoire. […] Pourtant, il y a deux raisons contraignantes pour lesquelles cette tragédie ne doit pas être oubliée. Premièrement, si nous oublions Tchernobyl, nous augmentons le risque de telles catastrophes technologiques et environnementales dans l’avenir. […] Deuxièmement, plus de sept millions de nos semblables n’ont pas le luxe de pouvoir oublier. Ils souffrent encore, chaque jour, de ce qui est arrivé il y a quatorze ans. Ainsi, l’héritage de Tchernobyl est pour nous, pour nos descendants et pour les générations futures. » Ces mots sont de Kofi Annan, il y a 5 ans…

Références :
•    « Tchernobyl : l’ampleur réelle de l’accident. 20 ans après, un rapport d’institutions des Nations Unies donne des réponses définitives et propose des moyens de reconstruire des vies », communiqué de presse commun de l’AIEA, OMS et PNUD du 5 septembre 2005
•    « Chernobyl a continuing catastrophe », United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, March 2000

Note :
Depuis presque 2 ans l’ACRO, s’est engagée au côté des habitants des territoires contaminés, avec d’autres partenaires, locaux et internationaux, à accompagner des projets émergeants ayant pour but d’améliorer la prévention contre les risques qu’engendrent les contaminants radioactifs encore présents comme le césium-137, le strontium-90 ou le plutonium. La particularité de son approche, qui fait également sa force, est de travailler directement avec les populations concernées, adultes et enfants. Les ressources déployées s’articulent autour de la surveillance des niveaux de la radioactivité chez l’homme et dans son environnement mais également de l’information. Des membres de l’ACRO séjournent régulièrement, de Stolin à Bragin en passant par Tchécherks ; parfois non loin de la zone d’exclusion.

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Un conte sur de petits radionucléides pour de petits enfants

Ecrit par Valentina Nikolayevna Koverda (de Komaryn – région de Gomel – République Bélarus). ACROnique du nucléaire n°69, juin 2005.


Un jour, d’une grande cheminée d’une centrale nucléaire sortirent en trombe de petits radionucléides. Ils étaient si nombreux dans cette cheminée et si serrés qu’ils se disputaient et se bagarraient sans cesse. Alors, quand enfin ils quittèrent leur cheminée, ils partirent dans tous les sens. Le vent, qui souflait fort ce jour là, les emporta et les dispersa partout aux alentours de la centrale nucléaire et même bien au-delà, sur toute la terre.

Les uns furent dispersés au-dessus des forêts, d’autres au-dessus des champs, et certains se noyèrent en tombant dans les rivères. C’est à partir de ce moment, que chacun commença à vivre sa propre vie.

Ces êtres étaient petits, mais d’une nature très méchante, car ils avaient vécu dans les sous-sols pendant très longtemps sans lumière et sans soleil. Une fois libérés, ils pouvaient donner libre cours à leur méchant caractère et se venger des hommes qui les avaient retenus au tréfonds de la terre.

Les petits radionucléides qui étaient tombés dans les forêts se faufilèrent dans les champignons et les baies, ceux dispersés par dessus les champs choisirent les tiges du blé  et se glissèrent dans les épis, pour se cacher à l’intérieur des grains. Ceux qui avaient atterri dans les potagers pénétrèrent directement dans les têtes des choux. Enfin, ceux qui  étaient tombés dans l’eau descendirent profondément dans la vase pour s’y cacher. Ils attendaient la venue d’une jolie carpe, et lorsque celle ci ouvrait sa bouche, ils sautairent aussitôt dans ses ouïes et ses entrailles.

« Eh bien – diras-tu – qu’ils y restent ».

Mais non, mon cher petit ami, le malheur c’est que si ces petits radionucléides méchants se sont installés dans les champignons et les baies, dans les grains de blé, s’ils se sont cachés dans les choux et les carottes, c’est pour attendre :
– Que tu viennes dans la forêt pour récolter des baies et des champignons dans ta corbeille, pour en manger à la maison ;
– Que tes parents rentrent le blé, et les légumes du potager et fassent de bons gâteaux que tout le monde en mange avec du lait de la vache revenant des pâturages ;
– Que ta mamie fasse frire la jolie carpe et la donne a manger à ses petits-enfants bien-aimés.

Les petits radionucléides vont alors sauter dans ta bouche, et après ils vont pénétrer à l’intérieur de ton corps. Et ils se mettront à creuser-bêcher :
– dans l’estomac ils feront des creux,
– dans les intestins ils perceront de petits trous,
– dans la thyroïde ils se rouleront en petits boules

C’est comme ça qu’ils veulent voler tes forces, ta mémoire et te blanchir les joues.

Quel malheur, mon petit ami !

Les médecins vont te prescrire des potions amères, les infirmières vont te piquer avec des aiguilles bien pointues, tes parents ne te laisseront plus sortir au grand air et ils te coucheront dans le lit sous un tas de couvertures.

Alors, ça te plaît ?

Je vais te dire un secret pour que tu saches comment faire  avec ces petits radionucléides méchants et ils n’auront que ce qu’ils méritent.
– Premièrement, souviens toi bien que ces radionucléides sont tes pires ennemis,
– Deuxièmement, ne les laisse pas s’approcher de toi et évite d’aller dans les endroits où ils sont installés.
– Troisièmement, chaque fois que tu veux manger une pomme ou une carotte du jardin, chaque fois que tu veux boire du lait de vache ou te régaler avec des baies des bois, n’oublie surtout pas de vérifier si les radionucléides ne se sont pas cachés à l’intérieur,
– Enfin, avant de te mettre à table, lave toi les mains avec du savon.

Je sais que tu es bien sage, mon petit ami et que tu as bien retenu mes conseils. A toi, d’être le plus malin afin que ces petits radionuléides si méchants ne fassent de mal ni à toi ni à tes parents. Et maintenant, va vite raconter à tes amis, tes proches, ce que je t’ai conté aujourd’hui afin qu’ils le sachent et qu’ils fassent controler plus souvent les aliments dans un laboratoire pour voir si il n’y a pas de méchants radionucléides dans ce qu’ils mangent.

Ancien lien

L’ACRO dans le paysage nucléaire français

ACROnique du nucléaire n°68, mars 2005


Le réseau Sortir du nucléaire a publié un texte intitulé « la désinformation nucléaire » où il prétend que les timides ouvertures vers la société civile ont pour : « seul objectif de faire accepter par les populations le nucléaire et ses risques. » Il y voit là une menace : « Nous devons déjouer les pièges tendus par le lobby nucléaire – en particulier, ne surtout pas collaborer à ses pseudos concertations – et organiser la résistance citoyenne ». L’ACRO qui participe à de nombreuses instances de concertation est directement visée par ce texte qui a reçu de nombreuses autres  critiques. Une deuxième version, publiée en janvier 2005, met encore en cause l’ACRO, pour sa participation au programme CORE en Biélorussie sous la rubrique explicitement intitulée « MANIPULER ET INSTRUMENTALISER DES ASSOCIATIONS ».  Ces attaques étant offensantes, il nous a paru important de faire une mise au point.


 

L’ACRO et ses missions

L’ACRO a été fondée dans une région fortement nucléarisée, en réponse à la désinformation et à la carence en moyens de contrôle indépendant et fiable de la radioactivité. Ces problèmes locaux ont pris une importance nationale suite à la catastrophe de Tchernobyl qui a fait de tous les Européens des riverains d’une installation nucléaire. La volonté de minimiser l’impact sanitaire des rejets dans l’environnement des installations nucléaires et des retombées de Tchernobyl apparu comme délibéré à de nombreux citoyens. Ainsi, l’ACRO a pour but principal de permettre à chacun de s’approprier la surveillance de son environnement au moyen d’un laboratoire d’analyse fiable et performant et de s’immiscer dans un débat techno scientifique par l’accès à l’information. En effet, un discours basé sur un état de conscience, une intuition ou même le simple bon sens ne suffit pas pour être entendu par les décideurs, qu’ils soient technocrates ou élus. C’est pour cela que l’association utilise les mêmes outils scientifiques que la techno-science officielle pour faire avancer le débat. 18 ans plus tard, l’association est encore présente, ce qui représente une prouesse permanente. En effet, il nous est impossible de dire si les finances permettront à l’ACRO d’exister dans 6 mois. La gestion au jour le jour occupe une grande part de l’activité des élus de son conseil d’administration.

Nous avons brisé un monopole d’Etat sur la surveillance de la radioactivité dans l’environnement. Même si le paysage nucléaire français a changé, et l’association aussi, les principes qui régissent nos actions sont toujours les mêmes. Nous sommes le seul laboratoire d’analyse français à rendre accessible au public tous ses résultats de mesure de radioactivité dans l’environnement. Ce qui caractérise cette démarche par rapport à la surveillance institutionnelle et réglementaire, c’est notre travail « avec » la population et non « pour » elle. Ainsi, l’ACRO effectue une surveillance citoyenne des installations nucléaires du Nord-Cotentin : c’est la population locale qui organise et effectue les prélèvements qui sont analysés dans le laboratoire. Le but est d’arracher aux seuls experts les questions qui nous concernent pour en faire un enjeu politique.

L’expertise citoyenne

Pour pouvoir fonctionner, nous faisons, entre autres, appel à des soutiens financiers publics car un laboratoire incontestable avec cinq permanents compétents coûte cher, même si ceux-ci ne sont pas rétribués à leur juste valeur. Les ressources sont diversifiés afin de maintenir une indépendance et sont toujours insuffisants. Outre une trentaine de mairies qui nous subventionnent sans contre-partie, la plupart des soutiens sont liés à un ou plusieurs contrats d’étude particuliers où souvent, un co-financement est exigé. La motivation des bailleurs est variée : certains élus préfèrent l’ACRO en se disant que les résultats ne seront pas contestés par la population ; certaines administrations sont plutôt attirées par le coût des analyses (comme pour le radon) ; d’autres, comme le Ministère de l’Ecologie, voient dans notre action une mission de service public qu’ils veulent soutenir. Ces financements ne sont pas pérennes et doivent être régulièrement renégociés. Surtout, ils ne suffisent pas à couvrir tous les coûts engendrés par l’activité associative : sans un engagement bénévole important, il y a longtemps que l’ACRO aurait cessé d’exister. Mais c’est aussi cette dimension citoyenne qui fait peur aux pouvoirs publics. Le soutien est donc réduit au strict minimum. Le laboratoire effectue des analyses pour des particuliers (moins d’une dizaine par an, hélas), des associations et des études pour des associations ou des collectivités locales. Ce travail nous permet de faire fonctionner le laboratoire, d’accroître nos compétences et surtout d’aller investiguer des zones qui échappent aux contrôles officiels.

Les compétences du laboratoire sont reconnues officiellement par un agrément obtenu à la suite d’un essai inter-laboratoires annuel auquel nous nous soumettons. C’est important, car, contrairement aux exploitants, l’ACRO n’a pas droit à l’erreur. C’est surtout par l’expérience accumulée au long des années que nous pouvons étayer nos arguments et être entendus car on ne s’improvise pas expert. Ainsi, notre action se situe dans le long terme, même si la gestion de l’ACRO se fait souvent au jour le jour. Malheureusement, nos capacités de mesures sont encore limitées et plusieurs radio-éléments importants en termes de santé publique échappent à notre vigilance.

Toutes nos études font l’objet d’un article dans notre revue, « l’ACROnique du nucléaire » et sont mises en ligne sur notre site Internet : https://www.acro.eu.org. Nous sommes intransigeants sur le respect de ces conditions de diffusion, ce qui nous vaut parfois de perdre des contrats. De plus, nous ne travaillons pas pour les exploitants nucléaires. L’information, et non la communication, occupe également une part importante de notre activité. Nous essayons de rendre accessible tous nos travaux et de vulgariser les débats techno-scientifiques liés au nucléaire. L’enjeu est de s’approprier les problèmes, de ne pas subir les termes dans lesquels ils sont généralement posés, mais de parvenir à les formuler plus lisiblement. Néanmoins, nous devons toujours fonder nos arguments pour dépasser les simples slogans, même si cela n’est pas médiatique. Ainsi, c’est à la demande d’associations riveraines de projets d’enfouissement de déchets nucléaires que nous avons beaucoup travaillé sur cette thématique. Nous sommes fréquemment sollicités pour des interventions publiques par d’autres associations ou collectifs, mais aussi par les pouvoirs publics. Dans ce dernier cas, il n’est pas toujours facile de savoir, a priori, si l’invitation sert à donner une apparence démocratique à un débat ou s’il y a une réelle volonté d’entendre un son de cloche différent. D’autant plus que c’est souvent les deux ! Mais dans tous les cas, il nous apparaît important d’apporter notre point de vue à une audience qui parfois peut déboucher sur des prises de décision. Il en est de même pour les articles écrits dans des revues officielles.

Le réseau national de mesure

La mise en place récente d’un réseau national de mesure assorti d’une obligation à rendre public ses résultats d’analyse pour être agréé nous apparaissait comme un grand pas en faveur de la transparence, si effectivement toutes les données recueillies sont accessibles, et pas seulement des valeurs moyennes. Nous avons donc accepté la demande du Ministère de l’Ecologie de siéger dans la commission qui délivre les agréments et comptons transmettre nos résultats à ce réseau.

Malheureusement, cet arrêté imposant la publication des résultats d’analyse a été attaqué par la CRII-Rad qui y a renoncé depuis longtemps. Elle a eu gain de cause et les exploitants ne sont plus soumis qu’à la publication des résultats d’analyses réglementaires. Outre la situation étrange où se retrouve la CRII-Rad, en devenant le seul laboratoire à garder ses résultats d’analyse confidentiels, le réseau se trouve amputé de toutes les données faites hors du cadre réglementaire comme à la suite d’incidents ou accidents. Lors des travaux du Groupe Radioécologie Nord Cotentin qui a fait une analyse rétrospective de 30 années de rejets radioactifs dans l’environnement, il est apparu que les accidents ou incidents passés représentaient environ la moitié de la dose moyenne reçue par la population locale et que leur impact était difficile à évaluer avec les seules données réglementaires. De même, sans les quelques données ACRO, il n’aurait pas été possible d’évaluer la dose liée à l’ingestion de produits marins péchés à proximité de l’émissaire de rejet.

La démarche participative

D’une manière plus large, l’ACRO accepte les gestes d’ouverture des autorités en participant à de nombreuses instances de concertation. Nous ne sommes pas dupes de la volonté gouvernementale qui n’arrive pas à sortir des limbes son projet de loi sur la transparence sur le contrôle des installations nucléaires. Mais, parfois, des efforts en faveur d’une prise en compte des questions de la population méritent d’être soutenus. Bien sûr, ces instances de concertation mises en place ne sont pas toutes utiles. La Commission de Surveillance du Centre de Stockage de la Manche, par exemple, ronronne doucement. Il est quasiment impossible de modifier l’ordre du jour qui consiste essentiellement à écouter le rapport annuel de l’ANDRA et de la DRIRE. Heureusement, d’autres CLI fonctionnent mieux : certaines d’entre-elles commandent des expertises indépendantes et donnent la parole à tous leurs membres. On peut aussi citer le cas de la commission Tchernobyl présidée par le Pr. Aurengo dont le fonctionnement est catastrophique et dont il ne sortira très probablement rien. En aurait-il été autrement en l’absence de l’ACRO ? Nous pourrons au moins témoigner de l’incurie et de l’inanité de cette commission ! En revanche, nous pensons que notre participation au Groupe Radio-écologie Nord Cotentin a été très profitable. Outre le fait que toutes les mesures réglementaires dans l’environnement et les modèles d’impact sanitaire soient devenus publics, nous y avons acquis des compétences nouvelles qui nous ont permis de mettre en évidence la défaillance des contrôles de Cogéma pour le ruthénium radioactif. Nous avons obtenu que les modes de vie locaux soient pris en compte dans l’évaluation, ainsi que les produits les plus contaminés. Les travaux du GRNC ont conduit à une réévaluation des autorisations de rejet pour Cogéma qui sont devenues beaucoup plus précises et contraignantes.

Parce que nous nous battons pour plus de transparence sur l’impact des activités liées au nucléaire et de démocratie sur les choix technologiques, nous avons pour principe d’étudier et souvent d’accepter les ouvertures faites dans ce sens par les autorités en participant à de nombreux groupes pluralistes, même si elles nous apparaissent souvent bien timides et que le fonctionnement des commissions reste à améliorer. Cette prise en compte du tiers-secteur scientifique est encore nouvelle en France et nous devons expérimenter les procédures de consultation mise en place avant de les rejeter. C’est un travail bénévole difficile et délicat que nous assumons du mieux que nous pouvons, même s’il comprend le risque de faire des erreurs ou de voir notre position mal interprétée.

Notre participation aux instances de concertation nous a valu de nombreuses attaques : « le lobby nucléaire tenterait  d’associer des associations à la gestion du nucléaire pour désamorcer la vigilance ou la colère des populations mises en danger. » Il est vrai que toutes ces structures sont là pour accompagner des installations nucléaires en place ou ayant un travail rétrospectif à faire. Comme souvent pour les activités à risque, la justification même de l’activité ne peut y être débattue.  Penser que l’on peut y obtenir la remise en question du nucléaire serait très naïf. Faut-il pour autant ne pas y aller ? La décision est prise au cas par cas par le conseil d’administration de l’ACRO et l’expérience montre que nous y acquérons des informations et compétences qui permettent de renforcer notre vigilance. Sans notre participation au GRNC (Groupe radioécologie Nord-Cotentin) nous n’aurions jamais pu montrer que Cogéma sous-estimait d’un facteur 1000 ses rejets en ruthénium radioactif.

A contrario, deux exemples récents de concertation concernaient la justification d’une nouvelle installation. Il s’agit de la « mission granite » qui avait pour but de trouver un site d’implantation d’un « laboratoire » souterrain pour l’enfouissement des déchets nucléaires et le débat sur l’énergie pour l’EPR. Dans les deux cas, le débat était biaisé. Pour ce qui est de la mission granite, son échec était évident car le « débat » était limité aux seuls sites concernés. Comment dialoguer sereinement avec comme épée de Damoclès l’implantation du projet près de chez soi ? Ce n’est qu’une fois que l’échec de la mission granite était patent que nous avons accepté de participer à deux réunions avec comme thème : Non pas le sauvetage de la mission, mais, quel débat mettre en place pour la gestion des déchets nucléaires (les principales conclusions sont reprises dans l’encadré en fin d’article). Il nous paru important que cet échec ne puisse pas être imputé à la population souvent qualifiée d’irresponsable par les pouvoirs publics et à ses prétendues peurs irrationnelles, mais bien aux initiateurs du débat. A noter qu’à contrario, le débat sur l’énergie lancé pour justifier le projet de réacteur EPR, qui est loin d’être un modèle à suivre, a abouti à la conclusion : « Qu’il est difficile, […] de se faire une opinion claire sur son degré de nécessité et d’urgence. […] Il a semblé que si le constructeur potentiel de l’EPR milite pour sa réalisation immédiate, c’est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. »

Les territoires contaminés par Tchernobyl

Récemment, nous avons débuté un projet humanitaire en Biélorussie, où la situation sanitaire des populations est désastreuse, dans le cadre d’un programme international CORE. Notre projet a pour but de mettre en place une surveillance, par la population, de la contamination et de développer la promotion d’une culture radiologique pratique. L’action est essentiellement tournée vers les enfants, les mères de famille et les femmes enceintes. Il s’agit concrètement de mettre du matériel de mesure (dosimètres et radiamètres) à la disposition des citoyens et de pratiquer des mesures régulières (2 fois par an) de la contamination interne des enfants scolarisés dans les écoles du district. Le soutien logistique est assuré par l’institut indépendant BELRAD dirigé par le Professeur Nesterenko (mise en service ou rénovation des postes de mesure et formation des dosimétristes). L’institut assure également les opérations de mesures anthropogammamétriques avec des laboratoires ambulants. La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux-mêmes, via une toute jeune association locale « Pousse de Vie » qui regroupe des personnels de santé, des enseignants et de simples citoyens préoccupés par la situation sanitaire de leur district. Encore une fois, notre travail ne consiste pas à  travailler « pour » les habitants  mais « avec » eux afin qu’ils puissent poursuivre ce projet en toute autonomie.

Le programme international CORE regroupe des projets menés sur quatre des districts les plus contaminés de Biélorussie. Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la réhabilitation des territoires contaminés mais de contribuer à l’amélioration des conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle-même. Il est utile de préciser que CORE ne possède aucun fonds propre et que chaque projet doit trouver son propre financement. Pour notre action dans le district le plus isolé et le plus contaminé de Biélorussie, le financeur est le ministère des affaires étrangères suisse, qui mène déjà sur place des actions humanitaires tournées vers la santé. Les dépenses concernent essentiellement les achats de matériel (achats de dosimètres, de postes de mesure pour doser le césium dans les aliments, achats d’ordinateurs, salaires des dosimétristes, campagnes de mesure de la contamination interne des enfants…). A l’exception de nos frais de mission qui sont pris en charge par les autorités Suisses et le ministère des affaires étrangères français, notre participation génère un coût non négligeable pour l’ACRO avec la mise à disposition d’un salarié qui prépare et part quatre fois par an en mission avec un bénévole, ainsi que le coût des analyses diverses réalisées sur des échantillons prélevés sur place. Nous avons donc sollicité un financement européen pour pouvoir continuer cette activité dans de meilleures conditions et pour diversifier nos soutiens.

Nos actions en Biélorussie nous valent des critiques virulentes. Certaines organisations qui officient sur le terrain comme l’ACRO, dans le cadre du programme CORE, sont accusés de : « Rester finalement sourdes et aveugles devant la gravité sanitaire causée par la radioactivité, surtout chez les enfants, les victimes les plus vulnérables. Ce Programme refuse d’appliquer un moyen simple et peu coûteux pour protéger les centaines de milliers d’enfants malades et mourants dans les territoires contaminés du Belarus […] : distribuer à grande échelle aux enfants contaminés les adsorbants prophylactiques à base de pectine préconisés par le professeur Nesterenko, » Et d’expliquer que « des mesures, réalisées [sur des enfants qui séjournent en sanatorium à l’extérieur des territoires] par l’Institut Belrad du Pr Nesterenko, ont montré qu’avec 3-4 cures [de pectine] dans l’année, on obtient une diminution de la charge en Césium-137 au-dessous de la limite que le Pr Bandajevsky considère comme cause de dommages tissulaires irréversibles, soit 30 Bq/kg de poids. » Pourtant ce texte est ambigu car il rendrait la catastrophe presque acceptable puisqu’un traitement permettrait aux enfants d’être en dessous d’un prétendu seuil. Malheureusement pour ces enfants, dès que la cure cesse et qu’ils retournent chez eux, ils se rechargent en césium au-dessus de cette limite. C’est pourquoi la prévention qui tend à limiter l’ingestion d’aliments contaminés est indispensable. De plus, il n’est pas sûr que la pectine élimine les autres contaminants.

Conclusion

En conclusion, il est important de rappeler que l’ACRO est entre les mains de ses adhérents par le fonctionnement démocratique inhérent à toute structure associative avec une voix par personne. Alors que de nombreuses associations se contentent de donateurs qui n’ont pas le droit de vote, l’ACRO estime important d’avoir des adhérents qui exercent un contrôle de ses activités. L’association s’est donné comme mission première de tenter de répondre aux préoccupations de la population ou le plus souvent de ses représentants que sont les associations ou parfois les élus qui nous sollicitent. Nos actions peuvent donc apparaître opportunistes du fait de l’évolution des demandes qui nous sont faites, mais nous y répondons toujours avec rigueur scientifique et transparence.

Nous sommes sur un chemin qui n’est pas balisé. C’est par la pratique que nous organisons une démarche originale pour apprendre à vivre dans une société du risque en transformant en enjeu politique et citoyen des problèmes posés en termes uniquement technoscientifiques. L’engagement du citoyen dans la vie de la société revêt diverses formes qui peuvent être syndicale, politique, associative. Toutes ont des atouts et des limites. Une société démocratique implique la pluralité des opinions et des actions.

 


Encadré : Conclusions  de la rencontre de la mission Granite avec quelques associations, une fois son échec patent

•    Le groupe de travail considère que l’implantation de laboratoires de qualification est « prématurée dans la mesure où le processus de recherche scientifique et technique, de réflexion et de concertation préalable à la définition d’une politique nationale de gestion des déchets radioactifs n’est pas terminé »
•    « Le statut de laboratoire souterrain est considéré comme ambigu » dans la mesure où rien n’indique s’il s’agit d’un laboratoire de recherche ou d’un laboratoire de qualification dont la vocation est d’être transformés en site de stockage définitif. Il observe que : « la loi du 30 décembre 1991 ne comporte aucune précision concernant le rôle exact de la collectivité territoriale, des associations locales de riverains et de la population concernée dans l’éventuel processus de décision pouvant conduire à qualifier le site de recherche comme site de stockage. »
•    Concernant la question de la concertation, le groupe de travail note que la loi prévoit une concertation préalable à l’installation d’un laboratoire souterrain avec les élus et la population des sites concernés.  Il observe que cette forme de concertation est insuffisante, qu’il est « nécessaire de mener une concertation avec la population à l’échelle nationale sur la politique de gestion des déchets radioactifs dans son ensemble, en resituant celle-ci dans le contexte de la politique énergétique, ceci préalablement au réexamen de cette question par le Parlement en 2006. »
•    Le groupe de travail observe que : « la participation des citoyens au débat démocratique suppose la construction, la validation et la diffusion d’une base d’information crédible et d’origine pluraliste concernant les déchets radioactifs et leur gestion qui puisse être partagée entre tous les acteurs du débat au plan national et territorial. Il est donc proposé que soit prise en charge par une instance nationale crédible une mission de concertation à l’échelle de la collectivité nationale avec la population, les élus et les associations sur la politique de gestion des déchets radioactifs en replaçant celle-ci dans le contexte de la politique énergétique ».
•    Il recommande la création des conditions d’existence et de pérennité d’une expertise associative forte et diversifiée qui participe au développement et à la validation d’une base d’information scientifique et technique commune entre les acteurs du débat tant au niveau national qu’au niveau local. Cette pérennité passe par l’instauration de sources durables de financement locales et nationales de l’expertise associative qui lui permette de préserver son indépendance. Il recommande le renforcement du recours à l’expertise indépendante et contradictoire dans le cadre des instances locales de concertation et la diversification des pôles d’expertise par l’ouverture des budgets de recherche engagés dans la loi de 1991 pour mobiliser les compétences universitaires et internationales notamment.

Ancien lien

Réponse de l’ACRO aux attaques de la CRII-Rad

6 mai 2004
mise à jour du 12 juillet 2004

La CRII-Rad a récemment mis en ligne et diffusé sur des listes de discussion des documents où l’ACRO est tour à tour qualifiée de “collabo” et de “révisionniste”. Nous ne pouvons que regretter ce genre de polémiques stériles, mais comme la diffamation est source de soupçon, il nous faut répondre.

Derrière ces insultes, la CRII-Rad reproche à l’ACRO de participer à un ouvrage collectif, “Les silences de Tchernobyl” publié aux éditions Autrement, au programme humanitaire CORE et de siéger dans des commissions officielles. Il nous parait plus sain de demander des précisions sur ce genre d’implication que de jeter l’anathème. Si nous respectons le travail de la CRII-Rad sur l’impact de la catastrophe de Tchernobyl sur le territoire français, nous ne pouvons que déplorer ses méthodes inquisitoires qui la décrédibilisent.

“Collabo”

Couverture du livre "Les silences de Tchernobyl"Une attaque est venue suite à la parution du livre “Les silences de Tchernobyl, l’avenir contaminé”, ouvrage collectif paru aux éditions Autrement en avril 2004 et dirigé par Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand, sociologues au Laboratoire d’Analyse et Socio-Anthropologie du Risque (LASAR) de l’université de Caen Basse-Normandie. Ce qui est reproché au livre, c’est d’être coordonné par deux personnes qui auraient participé à un programme humanitaire en Biélorussie, programme lui même coordonné par J. Lochard du Centre d’Etude sur l’Evaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire (CEPN), association administrée et financée partiellement par l’industrie nucléaire.

Malgré la proposition qui lui était faite, la CRII-Rad a refusé de participer à l’ouvrage qui comprend une partie sur l’émergence de l’expertise citoyenne et a harcelé les éditeurs pour qu’ils ajoutent un texte à l’insu de tous où ils traitaient de “collabos” les coordinateurs et les membres du programme CORE. L’éditeur a bien entendu refusé. Ce genre de méthode est totalement effarente. Nous n’osons pas imaginer la réaction de la CRII-Rad si quelqu’un s’était essayé à faire de même à l’un de ses ouvrages. L’attaque a pourtant été renouvellée sans vergogne sur des listes de discussion mentionnant l’ouvrage.

Sur le fond, pourquoi ne pas appliquer ce même type de critiques à la CRII-Rad quand elle fait des études payées par des Commissions Locales d’Information (CLI) avec l’accord des représentants du nucléaire qui y siègent et l’argent de l’industrie ? Seule la CRII-Rad resterait vertueuse dans ce genre de situation ? Ironiquement, c’est exactement le même genre de sophisme qu’utilise l’industrie nucléaire pour désavouer des résultats dérangeants: sous prétexte que l’ACRO ou le LASAR ont des liens avec les associations anti-nucléaires, leurs études ne seraient pas honnêtes.

Les habitants de Biélorussie et d’Ukraine touchés par la catastrophe de Tchernobyl sont abandonnés. Le projet CORE est quasiment le seul projet humanitaire sur place. Si l’ACRO participe, c’est de manière entièrement bénévole, seuls les frais de mission étant pris en charge par le gouvernement suisse. Nous allons aider un groupe de mères de famille qui veut mettre en place un réseau de surveillance de la radioactivité, à se constituer, à organiser sa surveillance et comprendre les résultats pour lui permettre de changer ses habitudes et ses relations avec l’environnement. La démarche est avant tout humanitaire et citoyenne, dans une région extrêmement pauvre et sous informée, où la notion d’association n’existe pas. Les analyses seront faites, bien évidemment, avec l’aide du laboratoire Belrad dirigé par le prof. Nesterenko, tant pour les aspects métrologiques que formateurs.

Aider une population à gérer au quotidien une situation grave et complexe ne signifie pas cautionner cette situation, mais la comprendre et agir. Ce travail s’inscrit dans la continuité de celui que l’ACRO mène depuis des années dans le cadre de sa surveillance citoyenne de l’environnement des installations nucléaires. En effet, nous avons toujours eu le soucis d’orienter notre démarche pour travailler “avec” la population et non pas “pour” celle-ci. Evidemment, d’autres approches sont possibles, comme la promotion de la pectine. Mais nous pensons que l’appropriation d’un savoir par les populations a l’avantage de ne pas pouvoir être récupéré par quiconque.

Révisionniste

L’autre critique concerne la participation de membres de l’ACRO à un groupe de travail pluraliste chargé d’établir un bilan de l’impact de la catastrophe de Tchernobyl sur le territoire français et présidé par le très controversé professeur Aurengo. La CRII-Rad accuse ce dernier de publier des articles tendant à minimiser les conséquences des retombées de Tchernobyl et les études effectuées par l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) sur ce sujet. Ce qui est vrai. Elle “alerte donc le gouvernement sur l’opération révisionniste qui se développe en France et fait obstacle à l’instruction conduite par Mme Bertella Geffroy sur le dossier Tchernobyl.” (communiqué de presse CRII-Rad du 26 avril 2004)

Plus précisement, dans le document CRII-Rad qui critique l’article d’Aurengo, p3, on peut lire que selon le professeur Aurengo, “La carte IRSN 2003 “suscite une controverse car les valeurs auxquelles il aboutit sont très significativement différentes de celles usuellement admises auparavent”. Affirmation CONTESTABLE. Il serait en effet exact de dire “usuellement admises par les laboratoires officiels” mais certainement pas par celui de la CRIRAD, ni par les scientifiques du GSIEN, ni de façon générale par le milieu associatif (si l’on excepte le cas particulier de l’ACRO).” Sans aucune autre explication.

Cette accusation implicite de complicité de révisionnisme est d’autant plus surprenante que nous n’avons jamais rien écrit sur le sujet. Est-ce parce que nous siégeons dans cette commission que nous cautionnerions tous les écrits de son président ? Que dire alors de l’IRSN qui y siège aussi ? Notre participation nous avait déjà valu une diatribe par le passé, à laquelle nous avons répondu (voir l’ACROnique du nucléaire 61 de juin 2003). Cela n’empèche pas la CRII-Rad de publier le document sur son site Internet sans corriger les erreurs factuelles.

Ce genre d’accusation est complètement ridicule. Ce n’est pas parce que nous participons à un groupe de travail que nous cautionnons les propos de son président ou des autres membres. La commission, en tant que telle, n’a encore jamais rien publié. Le moment venu, nous déciderons de notre attitude vis-à-vis du rapport. La CRII-Rad, pourra alors nous juger sur les faits et non sur de prétendues intentions.

ConclusionDevise Shadok :"Il vaut mieux mobiliser son intelligence sur des conneries que mobiliser sa connerie sur des choses intelligentes"

L’engagement de l’ACRO et son action sont relatés dans son journal, l’ACROnique du nucléaire, où sont “tracées” dix huit années inlassablement consacrées à la mesure, l’analyse, la recherche et l’information en faveur non pas d’un lobby, mais de tous ceux qui désirent savoir. Libre à chacun de se faire une opinion.

Nous nous battons pour plus de transparence sur l’impact des activités liées au nucléaire et de démocratie sur les choix technologiques. Nous avons pour principe d’accepter les ouvertures faites dans ce sens par les autorités en participant à de nombreux groupes pluralistes, même si elles nous apparaissent souvent bien timides et que le fonctionnement pourrait être amelioré. Cette prise en compte du tiers-secteur scientifique est encore nouvelle en France et nous devons expérimenter les procédures de consultation mise en place avant de les rejeter en bloc. C’est un travail bénévole difficile et délicat que nous essayons d’assumer du mieux que l’on peut, même s’il comprend des risques de se tromper ou de voir notre position mal interpretée. La CRII-Rad a fait d’autres choix que nous respectons. Il faut qu’elle apprenne à respecter d’autres méthodes de travail.

Au-delà de la polémique stérile engagée par la CRII-Rad, nous estimons que les questions sur le fonctionnement de l’ACRO sont légitimes, nous sommes prêts à répondre à toute question sur nos actions.

La CRII-Rad continue ses attaques

Mise à jour du 12 juillet 2004

Enfin un interlocuteur valable dit la CRII-Rad en ce regardant dans un miroir.
Dans une lettre envoyée au Réseau Sortir du Nucléaire datée du 15 mai 2004, le président de la CRII-Rad écrit à propos du livre “Les silences de Tchernobyl, l’avenir contaminé” : “Aussi surprenant que cela puisse paraître à certains, nous pensions également que les textes rédigés par ceux qui apportent régulièrement leur caution au lobby nucléaire ne seraient guère critiquables. Il est clair, en effet, que pour conserver sa domination,  le lobby nucléaire ne peut agir à visage découvert […]. Il a donc besoin de couvertures (ce que nous avons appelé les « sociétés écrans »). […] Les milieux universitaires et associatifs sont des cibles de choix. ” Explicitement visés à la fin de la lettre : MUTADIS, le LASAR et l’ACRO sans la moindre preuve, précision ou texte. Qu’est ce qui nous vaut d’être classé dans l’axe du mal, puisque nos écrits sont qualifiés de “guère criticables” ?

Dans une lettre envoyée à ses adhérents, datée du 21 juin 2004, le président de la CRII-Rad renouvelle ses accusations acerbes en explicitant ses critères : “Aujourd’hui, nous ne comptons plus les laboratoires associatifs, privés ou publics qui se proclament indépendants. […] Lorsque l’on accepte, pour pouvoir survivre, l’argent de l’Etat ou des exploitants, on peut toujours clamer son indépendance mais ce ne sont plus que des mots”. Visée, entre autre, l’ACRO puisqu’il n’y a que 2 laboratoires associatifs en France. Pourtant, comme l’ACRO, la CRII-Rad reçoit un soutien de l’Etat via une Convention Pluriannuelle d’Objectif (CPO) signée avec le Ministère de l’Ecologie, ainsi que pour ses emplois jeunes. Ce qui ne l’empèche pas de proclamer que “la CRIIRAD a choisi de rester du côté des loups” alors que l’ACRO serait tenue en laisse par le lobby nucléaire. Comment disent les enfants ? “C’est çui qui dit qui y est” ?

Les courriers en question ne contiennent pas la moindre preuve pour appuyer les accusations très graves qu’ils contiennent et relèvent de la colomnie, voire du délire paranoïaque. Mais, c’est sans vergogne que le président de la CRII-Rad conclu sa lettre aux adhérents en menaçant : “ceux qui pratiquent la calomnie doivent savoir qu’ils ne le feront pas impunément”.

Ancien lien

L’ACRO en Biélorussie : nos premières missions

ACROnique du nucléaire n°65, juin 2004


Dans le cadre d’une action humanitaire, axée sur la santé, menée dans le sud-est de la Biélorussie par L’Agence pour le Développement et la Coopération Suisse, s’est clairement identifié la nécessité de mettre en place une surveillance de la radioactivité avec des moyens locaux de mesure. Ce besoin, exprimé à l‘origine par quelques habitants de la région, s’est accompagné d’une volonté de se regrouper afin d’unir collectivement leurs efforts en fondant une association. Un tel regroupement de citoyens sous un statut légal constitue une nouveauté dans un pays où toute initiative personnelle a longtemps été considérée d’un mauvais œil. Après avoir franchi les barrières administratives, Rastok Gesne, en français « pousses de vie », est née en octobre 2003. L’association regroupe maintenant une vingtaine de bénévoles : mères de famille, personnel de santé, enseignants…

 « Travailler avec les gens et non pour eux… »

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La participation de l’ACRO à ce projet, dans l’une des régions les plus contaminées de Biélorussie, vise à accompagner cette toute nouvelle association sur le volet méthodologique et organisationnel. Le projet a pour but de mettre en place une surveillance de la contamination et de développer la promotion d’une culture radiologique pratique, essentiellement tournée vers les jeunes enfants, les mères de famille et les femmes enceintes. Il s’agit concrètement de mettre du matériel de mesure (dosimètres et radiamètres) à la disposition de la population et de pratiquer une mesure régulière (2 fois par an) de la contamination interne  des enfants scolarisés dans les écoles du district. Les problèmes logistiques sont assurés par l’institut indépendant de mesure BELRAD dirigé par le professeur Nesterenko : mise en service des postes de mesure et formation des dosimétristes. L’institut assure également les opérations de mesure anthropogammamétriques (dosage du césium 137 dans le corps entier à l’aide de simple siège muni de détecteurs) avec des laboratoires ambulants. La particularité de ce projet est de confier la coordination aux habitants eux mêmes, via l’association « pousses de vie ». Il ne s’agit donc pas de mesurer « pour » eux mais « avec » eux pour qu’ils puissent poursuivre ce projet en toute autonomie.

Le projet

Cette initiative se développe dans le cadre du programme international, CORE (COopération pour la Rehabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés de Biélorussie) qui regroupe des projets menés sur 4 des districts les plus contaminés de Biélorussie et basés sur 4 thèmes :
– la santé,
– la mesure,
– l’éducation et la transmission intergénérationnelle et internationale de la mémoire,
– l’agriculture.
Il ne s’agit en aucun cas de promouvoir la vie dans les territoires contaminés mais de contribuer a améliorer les conditions de vie au travers de projets impliquant la population elle même.
Ainsi, pour être retenus et promus, les projets doivent prendre en compte les dimensions locale, nationale et internationale. Concrètement, la demande doit être locale, l’habilitation nationale et les partenariats internationaux.
Une déclaration de principe a été signé par 23 institutions internationales gouvernementales et non gouvernementales comme les Nations Unies (PNUD), l’UNESCO, la Commission Européenne, les états français, italiens, allemands, suisse, de Grande Bretagne, suédois, de république tchèque, de Lituanie (liste non exhaustive). En France une douzaine d’institutions gouvernementales et non gouvernementales sont partenaires de l’un des projets : l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le ministère de l’agriculture, le centre d’études pour l’évaluation de la protection dans le domaine de protection nucléaire (CEPN), Mutadis, cabinet de conseil dans la gestion du risque, Médecins du Monde, l’ACRO, la Formation pour l’Epanouissement et le Renouveau de la Terre (FERT), Patrimoine Sans Frontières (PSF), Graine Environnement, le Lycée du Bois d’Amour de Poitiers etc. Faute de financement suffisant mais aussi de demande locale identifiée, les quatre volets ne sont pas actuellement tous mis en place dans les quatre districts, leur complémentarité est pourtant évidente et essentielle. La plupart des projets, prévus pour cinq ans, ne sont pour l’instant financés que pour trois ans. Dans le cas de notre projet « mesure », mis en place dans le district le plus isolé et le plus contaminé de Biélorussie, le financeur est le Ministère des affaires étrangères Suisse. Les dépenses concernent essentiellement les achats de matériels (dosimètres, postes de mesure pour doser le césium dans les aliments, achats d’ordinateurs, salaires des dosimétristes, campagnes de mesure de la contamination des enfants…). A l’exception de nos frais de mission, notre participation est bénévole. Notre intervention génère même un coût pour l’ACRO : mise à disposition d’une salariée, analyses diverses sur des échantillons prélevés sur place.

 Si près de la zone d’exclusion

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Le district de Bragin située au sud-est de la Biélorussie constitue le territoire le plus contaminé du pays. Il est délimité à l’est et au sud par la frontière avec l’Ukraine et à l’ouest avec la zone d’exclusion des trente kilomètres autour de la centrale de Tchernobyl. Les principales communes de la région sont : Bragin (2400 habitants dont 700 enfants scolarisés), Komaryn (2500 habitants, dont 850 scolaires), Krasnoyé (450 habitants dont 160 scolaires), Dublin (390 habitants dont 80 scolaires), Krakovichi (530 habitants et 180 scolaires), Mikulichi (220 habitants et 80 scolaires). La ville de Bragin, que la situation géographique plaçait sous les vents dominants le jour de la catastrophe est la plus contaminée du district. On y relève par endroits un débit de dose ambiant de cinq à sept fois le bruit de fond ordinaire.
Près de la moitié du district initial de Bragin se retrouve classée dans la zone d’exclusion. Une fusion regroupe, depuis l’exode, Bragin et Komarin qui étaient auparavant deux entités séparées

Cette promiscuité avec le « No man’s Land », la zone d’exclusion, est ce qui nous a le plus marqué lors de notre  première mission en février 2004. Comment vivre si près d’une zone invivable ? Munis d’un laissez-passer en bonne et due forme, nous avons eu l’occasion de visiter la zone interdite. Avec la neige, épaisse à cette époque hivernale, l’impression d’abandon, de désolation était encore plus forte : villages fantômes, objets abandonnés çà et là comme si l’on  était partis en pensant revenir… Les ressorts d’un sommier dépassaient de la neige, à proximité des traces de loups. La neige ne nous a pas permis de réaliser des mesures de débit de dose ambiant acceptables. Nous avons quand même réussi à prélever avec les moyens du bord un peu de terre gelée pour l’analyser en laboratoire. De toutes façons, nous sentions bien que l’essentiel à ce moment là n’était pas de mesurer ni même de prélever. Devant nos yeux s’élevait la vision terrible d’un gâchis écologique, résultat de la folie de l’homme et de sa croyance aveugle envers la technologie. Le retour à Bragin fut difficile. Là, des enfants jouaient dans la rue, à proximité de l’aire de jeux. Nous n’avions pourtant parcouru que cinq kilomètres !

 « Si nous voulons décider de vivre ici, c’est à nous de définir les critères pour le faire »

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Notre rencontre avec Tatiana, la présidente de l’association « pousses de vie », nous a révélé le sens de notre action dans ce projet. Même si la notion de « choix » est discutable, la réalité reste que des gens habitent et vivent dans ces territoires contaminés. Certains sont restés, d’autres n’ont pas pu partir, d’autres encore sont revenus. Ceux que nous avons rencontrés se préoccupent de leur sort et de l’état de santé de leurs enfants. Nous avons appris que des personnes issues des flux d’immigration fuyant la guerre, la famine (réfugiés Tchétchènes, Kazaques…, gitans) viennent de plus en plus nombreux s’installer jusque dans la zone d’exclusion, squattant des maisons laissées à l’abandon. Comment dans ce cas, faire prendre conscience des dangers à moyen terme à des populations préoccupées par leur survie au jour le jour et qui ignorent cependant pour la plupart la nature et les effets du danger qui les entoure ? Nous avons pu mesurer l’illusion qui consiste à penser qu’on peut faire se déplacer des populations entières. Qu’ils soient restés ou revenus, que leur décision relève ou non d’un choix et que celui-ci soit éclairé ou non, des gens habitent ces territoires et doivent gérer leur vie dans un environnement hostile où le danger est imperceptible par les sens. Une telle situation semble certes inacceptable ; certains l’ont choisie, la plupart veulent apprendre à la gérer. L’ACRO n’a pas les moyens de provoquer une évacuation autoritaire ni de proposer des zones de vie alternatives. Avec nos faibles moyens nous tentons d’aider la population à prendre son destin en main.

Tatiana est infirmière chef au dispensaire de son village de Krasnoyé. Pour elle, la naissance de l’association résulte de l’émergence d’une volonté d’individus qui, comme elle, veulent prendre en charge leurs destins et comprendre la situation afin d’en limiter les conséquences. « Nous ne pensons pas assez à la Terre que nous allons laisser à nos enfants ! Si nous avons décidé de vivre ici, il nous faut établir nous-mêmes les critères pour le faire et créer les conditions de notre survie ». Nous avons longuement discuté ce soir là, jusque tard dans la nuit. Le rapprochement était facile à faire entre ce que nous percevions ici et ce qui avait provoqué la naissance de l’ACRO en France. Produit de la désinformation et d’une prise de conscience citoyenne des dangers que font peser l’industrie nucléaire, l’ACRO est en effet née de la catastrophe de Tchernobyl et voilà que dix-huit ans après, nous retournons, avec notre expérience, accompagner la création d’une structure similaire, fondée sur les mêmes racines et orientée vers les mêmes buts : le droit pour les gens d’accéder à la connaissance afin de pouvoir éclairer ses propres choix et décider de ses actions.

Lors de notre premier séjour, nous avons vu beaucoup de visages inquiets, des interrogations « à quoi bon savoir, s’il n’y a pas de solution, si on ne peut rien faire ». Néanmoins, l’accueil chaleureux qui nous était partout réservé tranchait avec les températures hivernales (jusqu’à – 25°C) et le « confort » pour le moins précaire du petit hôtel de Bragin dans lequel le chauffage était quasi-inexistant et l’eau définitivement glaciale.

Premières actions concrètes

Dès notre premier voyage en février, nous avions apporté six radiamétres, achetés en Biélorussie, pour la mesure du rayonnement ambiant. Nous les avons confiés à la présidente de « Pousses de vie » afin qu’elle les distribue et qu’ils soient mis à la disposition des gens dans les villages.
Lors de notre deuxième mission en avril, deux postes de mesures ont été installés par les personnels de l’institut BELRAD à l’hôpital de Bragin et au dispensaire de Krasnoyé. Piotr, le nouveau dosimétriste venait de recevoir une formation à l’institut du Professeur Nesterenko . C’est lui qui, à Krasnoyé, se chargera des mesures sur les produits apportés par les villageois. Dés le premier jour, du lait de vache, du lait de chèvre, des carottes, des pommes de terre et des champignons, de la cendre, ont été apportés dans le nouveau laboratoire du dispensaire pour être mesurés. L’opération dure environ dix minutes par échantillon et chacun repart avec les résultats des mesures et une appréciation de la qualité sanitaire des produits. La mesure est effectuée sur les produits locaux de consommation. Elle permet un classement des produits sensibles : lait, viande, produits du potager, gibier, champignons, baies…, qui doivent être suivis régulièrement. Ainsi, par exemple la qualité du lait, produit de consommation courante, va dépendre de la saison et de la qualité des près où ira paître la vache. Il arrive ainsi que, par manque de réserve suffisante de fourrage propre pour l’hiver, du foin très contaminé soit coupé dans la zone d’exclusion. Il faut alors conseiller de donner le foin propre à la vache laitière plutôt qu’au cheval de trait. L’idée du projet est de faire progresser la connaissance de l’état radiologique de l’environnement et des produits alimentaires aux niveaux individuel et collectif. En effet, Les analyses radiotoxycologiques réalisées par l’ACRO (cf ACROnique n°64) auprès des enfants biélorusses en séjour à Caen et originaires d’un même village ont mis en évidence une grande disparité prouvant l’importance de limiter à la source l’ingestion de radioéléments artificiels. Pour ce faire, il est important de mesurer la contamination qu’il y a dans son lait, ses légumes pour ensuite se situer par rapport à son village puis sa région. L’objectif premier de l’association est de susciter, chez les habitants, l’envie et le besoin de faire mesurer les produits avant de les consommer. Tous semblent convaincus que le succès de cette opération de promotion d’une culture radiologique pratique ne pourra être obtenu qu’à partir d’une connaissance précise des niveaux de contamination et d’une mise en lien étroit avec les professionnels de la santé et de l’éducation.

Pour qu’une association touche une population la plus large possible, il lui faut tisser des liens. « Pousses de vie » y contribue en créant et animant des rencontres d’information mais aussi de formation à « la vie saine ». Ces interventions sont proposées aux mères et aux femmes enceintes du district. En février un séminaire de lancement de l’opération qui réunissait les porteurs de projet, les autorités politiques et administratives et les financeurs s’est tenu à l’hôpital de Bragin. Les discussions ont fait apparaître que pour tisser une toile plus grande et plus solide, il serait intéressant de travailler avec les écoles et les services sociaux afin d’initier des projets où les enfants pourraient prendre en charge eux-mêmes les actions : mesures des aliments, réalisation de cartographies présentant les niveaux de rayonnement ambiant à l’échelle de leur école, de leur hameau, du village. L’objectif viserait à favoriser la formation directe des enfants qui représentent la population la plus exposée d’un point de vue sanitaire. Par ailleurs, on peut penser que de telles actions contribueraient à la sensibilisation et à l’apprentissage des adultes qu’ils côtoient au quotidien. Les premières discussions que nous avons eues avec les équipes d’enseignants de deux écoles que nous avons visitées ont révélé une réelle volonté de mener de telles actions avec les élèves et un besoin de formation transversale pour les mener en équipe pluridisciplinaire. Nous avons également évoqué des possibilités de jumelages avec des écoles françaises où les thèmes du risque ou l’initiation au contrôle de la radioactivité ont été abordés de cette manière. Les premiers contacts pris avec les écoles correspondantes en Basse-Normandie ont abouti à des déclarations d’intention favorables à la mise en place de tels jumelages. Les échanges entre les enfants français et les biélorusses serait alors doublement enrichissants. Nous avons proposé de part et d’autre de poursuivre cet axe de projet afin de tester concrètement l’idée avec les écoles de Basse-Normandie qui se sont déclarées intéressées par ces actions.

Pendant notre dernière mission, l’institut BELRAD de Minsk démarrait la campagne de mesures anthropogammamétriques sur l’ensemble des enfants des écoles du district. Grâce à ses laboratoires mobiles, l’institut parvient à mesurer l’état de contamination interne d’une soixantaine d’élèves par matinée. Un siège, embarqué dans un véhicule automobile, mis au point par le professeur Nesterenko, permet de mesurer la quantité de césium 137 dans le corps entier. Des réunions, organisées le soir même, ont permis de discuter des résultats avec les familles dont les enfants présentent les seuils les plus élevés. La contamination de l’organisme provient essentiellement de l’ingestion quotidienne d’aliments moyennement contaminés (par exemple du lait à 50 Bq/L en césium 137), ou de la consommation occasionnelle de produits de la forêt, très fortement contaminés. Ces derniers, champignons à plus de 10 000 becquerels par kg sec, baies sauvages…, sont encore récoltés par tradition dans la région. On voit ici l’importance, pour comprendre la situation et pour répondre aux interrogations des familles, de pratiquer aux mesures des produits quotidiennement consommés par le foyer. Pour le professeur Nesterenko, et d’après les travaux du professeur Bandajevski, une concentration supérieure à 20 Becquerel par kilogramme de son poids doit déjà être considérée comme une situation préoccupante chez un enfant.

Il est difficile d’imaginer que, 18 ans après la catastrophe, il soit toujours nécessaire de faire attention aux produits que l’on mange, aux lieux où l’on se promène. Un examen des mesures pratiquées sur les enfants pendant la campagne d’automne a clairement montré que les trois enfants qui présentaient les taux de contamination les plus élevés, plus de 200 Bq/kg, appartenaient à une famille socialement défavorisée.

Nous avons emporté, au retour de février, des échantillons de lait et de pommes de terre afin de faire réaliser des dosages de strontium. En effet, ce contaminant, rejeté avec le césium au moment de l’accident, est plus difficile à mesurer car non détectable avec des compteurs classiques. Le strontium 90 (90Sr) est un émetteur bêta pur, il ne peut être mesuré avec des détecteurs classiques et doit être isolé chimiquement afin d’être dosé avec un compteur spécifique.  Faute de moyens, notre laboratoire  ne pratique pas cette mesure. Pourtant du fait de la similitude de ses propriétés chimiques avec le calcium, le strontium peut contribuer fortement à l’impact sanitaire lié à la contamination de l’organisme.

 Des boutures ?

Nous sommes fiers d’accompagner l’association « pousses de vie » et d’en favoriser le développement et peut être ses boutures et ramifications. Des souhaits ont été formulés dans d’autres districts de la Biélorussie pour fonder des associations de ce type afin de pérenniser des dispositifs qui, après avoir fonctionné quelques années et faute d’appui de la part d’un collectif, se sont épuisés ou n’ont pu faire face aux problèmes de maintenance du matériel ou du remplacement des dosimétristes. Le contexte politique Biélorusse ne facilite pas ces créations mais nous espérons que de nouvelles initiatives vont voir le jour. La première association a rédigé des statuts qui devraient permettre la création d’antennes au cas où les nouvelles initiatives seraient empêchées. Notre implication dans ce projet est avant tout humanitaire, dans un domaine qui nous est propre. La notion d’échange est cependant celle qui gouverne avant tout cette action car avons beaucoup de chose à apprendre, afin de transmettre et témoigner de la situation et des conditions de vie rencontrées là-bas, autour de nous, dans notre région, identifiée par les chercheurs du LASAR (Laboratoire d’Analyse Sociologique et Anthropologique du Risque de l’Université de Caen) comme la plus nucléarisée au monde.

Tableau 1 : Concentrations en césium 137 mesurées sur place dans les produits apportés par les villageois de Krasnoyé ; district de Braggin ; Biélorussie.

Nature  Concentration
en Cs137
 Champignons
secs
 10 000
Bq/kg sec
 Lait
de vache
 48 Bq/L
 Lait
de vache
 36 Bq/L
 Lait
de chèvre
 < 7
Bq/L
 Carottes  < 7
Bq/kg frais
 Pommes
de terre
 < 7
Bq/kg frais
 Cendres
de cheminée
 5 200
Bq/kg

 

Tableau 2 : Concentrations (Bq/kg sec) en radionucléides émetteurs gamma mesurées par l’ACRO dans la terre prélevée au mois de février 2004 en zone interdite, en frontière du district de Braggin ; Biélorussie.

Lieu Zone
interdite
Distance/émissaire <30 km
Direction/émissaire Nord Est
Pays Bélarus
Date 16
février 2004
Nature Sol
Poids sec / poids frais 65%
Densité analysée 1,1
Quantité analysée 530g
Radionucléïdes
artificiels
Bq/kg
sec
134 Cs 4,9 ±
0,9
137 Cs 2278
± 265
154 Eu 4,4 ±
1,5
155 Eu < 4,1
241 Am 14 ± 3
Radionucléïdes
naturels
Bq/kg
sec
214 Pb 14 ± 4
228 Ac 17 ± 4
212 Pb 16 ± 3
40 K 350 ±
44

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