De la fuite dans les idées

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°94


A 3 heures du matin, le mardi 15 mars, 3 jours et demi après le séisme et le tsunami qui ont enclenché la catastrophe nucléaire de Fukushima, le ministre de l’industrie alerte le premier ministre : TEPCo veut évacuer complètement la centrale et l’abandonner[1]. Si TEPCo était passée à l’acte, une grande partie du Japon serait définitivement inhabitable.

C’est une révélation effroyable. Qu’en serait-il chez-nous dans une situation similaire ? L’exploitant aurait-il la force de rester ? Trouverait-il des employés prêts à risquer leur vie pour éviter le pire ?

Ce n’est pas la première fois que TEPCo fuit devant ses responsabilités. Par le passé, elle a falsifié des rapports de sûreté au lieu d’engager les travaux nécessaires. Les autorités ont aussi fui leurs responsabilités et n’ont pas su imposer un contrôle plus strict et efficace de leurs installations nucléaires. Le Japon le paye au prix fort.

Les populations originaires des territoires fortement contaminés par les retombées radioactives de Fukushima n’ont pas eu d’autre choix que la fuite pour sauver leur peau. Certains sont restés malgré tout. Surtout des éleveurs qui n’ont pas voulu abandonner leurs animaux.

La limite de dose fixée par les autorités pour aider les gens à partir est trop élevée. Certains sont partis quand même ou ont éloigné les enfants. D’autres n’ont pas le choix et restent. Et TEPCo continue à promettre un retour prochain alors que l’on sait qu’il y a des zones où les gens ne retourneront jamais.

Quel que soit le lieu de vie, les Japonais, comme tous les citoyens de la planète n’ont pas d’autre choix que de repenser individuellement et collectivement leur société.


[1] Grave accusation confirmée par le premier ministre Naoto Kan dans une interview parue dans le Asahi du 7 septembre 2011 (version anglaise).

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Les becquerels ne sont pas bavards

Le Canard Enchaîné, 7 septembre 2011


Alors, Fukushima, c’est fini ? A en croire la discrétion des médias, oui. Mais en réalité, ça vient juste de commencer. Les Japonais continuent d’arroser en permanence les réacteurs, dont la température est stabilisée : aux alentours de 100°, quand même. Rappelons que, lorsque le tsunami a frappé, les réacteurs se sont arrêtés automatiquement, mais ont aussitôt commencé à chauffer dangereusement, car ils exigent d’être refroidis en permanence, même à l’arrêt. Or, l’alimentation en eau et en électricité ayant été coupée, et les générateurs de secours ayant failli, les combustibles des réacteurs 1, 2 et 3 ont atteint de telles températures qu’ils ont fondu et tout percé. Arroser jour et nuit est le seul moyen d’éviter que cela s’aggrave…
Mais à force d’arroser, plus de 120 000 tonnes d’eau contaminée ont fui et se sont accumulées dans les sous-sols des réacteurs, pas prévus pour faire office de piscines. Cette eau, il faut la pomper, la décontaminer, afin de l’utiliser pour arroser à nouveau, sans trop de rejets alentour. Environ 1500 personnes travaillent sur le site… « Il y en a pour des années, note le physicien nucléaire David Boilley, président de l’ACRO (1), qui revient du Japon où il effectue des séjours réguliers. Et cela pose de sérieux problèmes : si on n’arrose pas assez, ça chauffe. Si on arrose trop, ça inonde… ».
S’il n’y avait que ça ! Mais il y a aussi le combustible usé entreposé dans les piscines (du Mox, notamment), où il continue d’irradier et de chauffer (température stabilisée à 40°) : Tepco envisage d’aller le récupérer, l’an prochain si tout va bien, pour l’entreposer dans un endroit plus sécurisé. Quant au combustible fondu, le corium, « il est déjà évident que cela prendra au moins une vingtaine d’années avant de pouvoir le retirer », note David Boilley. Tout cela sous réserve, évidemment, qu’un nouveau séisme ne vienne pas infliger des dégâts qui pourraient réduire à néant ces bricolages de secours…
Et à part ça ? A part ça, on remarquera que les quatre cinquièmes des réacteurs nucléaires japonais sont à l’arrêt, mais que, curieusement, le pays ne s’est pas effondré : les Japonais ont réduit leur consommation, non sans mal, certes, mais ils ne sont pas revenus pour autant à la bougie. Et, comme c’est curieux, ils se sont mis à se poser des questions, laissant exploser leur colère, notamment sur les blogs : comment avons-nous pu croire aux promesses de ces « gens arrogants » ? Comment avons-nous pu nous laisser berner par les élus ? Les trois convictions sur l’énergie nucléaire – qu’elle est stable, raisonnable et sans danger – se sont effondrées, a constaté un pédégé lors d’un débat public (Japan Times, 9/8). Chez nous, tout va bien.

Jean-Luc Porquet

(1) Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest, sur le site de laquelle on trouvera le meilleur suivi quotidien de l’actualité de Fukushima (chronologie, synthèses, etc) : acro.eu.org

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Catastrophe de Fukushima – Nouvelles données sur la contamination des enfants japonais

Communiqué de presse et résultats

福島県の災害 – 日本の子供の汚染に関する新たなデータ

Version anglaise

Fukushima disaster – New data on the contamination of Japanese children

Fukushima disaster – New data on the contamination of Japanese children

福島県の災害 – 日本の子供の汚染に関する新たなデータ

French version

福島県の災害 – 日本の子供の汚染に関する新たなデータ

福島県の災害 – 日本の子供の汚染に関する新たなデータ

Version française

Fukushima disaster – New data on the contamination of Japanese children

Fukushima’s kids treated as nuclear workers

ACRO, July 2011

All the children of Fukushima City that had their urine samples tested at ACRO’s laboratory were contaminated with radioactive fallout from the nuclear accident located approximately 60 km away.

ACRO analysed the urine of 10 children to answer to the questions of the parents about internal contamination and the results are without any ambiguity: all samples are tainted by cesium 134 and cesium 137 at concentrations ranging from 0.4 to 1.3 becquerel per liter.

This means that all these children have internal contamination by cesium 134 and 137 and were most probably also contaminated by other short-lived radionuclides like iodine 131. As they all live in a town 60 km from the NPP and eat food from the local supermarkets, other children living closer to the NPP or eating vegetables from the garden might be more contaminated.

At this stage, it is difficult to evaluate the internal contamination and the health consequences from these data. We should learn how and when these children were contaminated. By the food? By breathing?

But these results should encourage the Japanese authorities to systematically measure the internal contamination of people who have been exposed to the radioactive plume and those living in contaminated territories and are therefore probably subjected to chronic contamination. This can be accomplished without technical difficulty. However, only external exposure is taken into account now.

Let me explain. All matter around us, water, air, earth … and we are made up of atoms. Some of these atoms are called “radioactive”. They can emit radiation which can be seen as the firing of a small shell, even smaller than the atom itself. These small shells are dangerous because they can penetrate the human body as when you go to an X-ray.

A radioactive atom has no target. If it is next to us, it is likely that the shells go far away. But if you eat contaminated vegetables, drink polluted water and breathe air polluted by radioactive atoms, the shells fired by the atoms in the body will do damage every time! Thus, contaminated food may not be dangerous if it is on the plate before us and become dangerous if swallowed.

To define evacuation zones, the Japanese authorities only take into account the soil contamination that cause external radiation, ie the shells fired on the outside of the body. But we must add the internal contamination which is currently completely omitted from the calculations of radiation exposure. As soil and vegetables grown on site are also contaminated, this internal contamination might continue.

This also reinforces the idea that the limit set by the Japanese authorities to determine evacuation areas is too high. It is fixed at 20 millisieverts per year, which is strongly criticized by many organizations including ACRO. The sievert is the unit used to measure the damage caused by radiation on the body. This limit is two times more than the French one in case of nuclear accidents and twenty times higher than the maximum allowable limit for the public under normal circumstances.

The limit of 20 millisieverts is the one that applies to the most exposed nuclear workers. Their exposure doses would be monitored and be entitled to medical care. As nuclear workers, children of Fukushima would have a limit of 20 millisieverts. As nuclear workers, school children would be equipped with dosimeters to measure external radiation dose they receive. But unlike these workers, the children did not choose to be in that environment.

For a worker’s nuclear internal contamination must be exceptional. For some of the children in Fukushima, this may be routine…

It is therefore imperative that families have access to the measurement of radioactivity. This is why ACRO has launched a subscription to open an independent laboratory for analysis of radioactivity in Japan.

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Extraits du “Six – Sept” du 31 mai 2011

France-Inter

Frédéric Charles, correspondant au Japon, à 47’43 :

“Il faut se référer plutôt à une association française, pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, ACRO par exemple, elle est plus indépendante que les officines du gouvernement japonais. L’ACRO affirme que la pollution radioactive à Fukushima est comparable à celle que l’on trouve aujourd’hui autour de Tchernobyl. Et cette pollution s’étend bien au-delà de la préfecture de Fukushima, ce que refuse d’admettre le gouvernement. Dans les légumes analysés à Sendai, au Nord de Fukushima, et plus au Nord encore, dans la préfecture de Miyagi, les teneurs en césiums 134 et 137 relevées dans les légumes sont supérieures aux limites fixées par la réglementation japonaise, ce qui les rend impropre à la consommation. Mais le gouvernement japonais se contente d’interdire la vente de produits agricoles cultivés dans un rayon seulement de 30 à 40, voire 50 km autour de la centrale, alors que la contamination, elle, est détectée à 270 km de la centrale, au Nord comme au Sud, jusqu’à Tokyo, dans des plantations de thé ou des stations de retraitement de l’eau.

Par ailleurs, le gouvernement ne dit pas aux habitants du Tohoku des zones sinistrées, “cessez de manger les légumes que vous cultivez”. De nombreux habitants ou des agriculteurs continuent d’en manger. Et la radioactivité relevée dans le sol des cours d’écoles primaires de cette région est aussi très élevée.”

Les enfants de Fukushima sont contaminés

Communiqué de presse du 30 juin 2011
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A la demande de citoyens japonais, l’ACRO a analysé les urines d’une dizaine d’enfants vivant dans la ville de Fukushima, à environ 60 km de la centrale nucléaire. Les résultats sont sans ambiguïté : toutes les urines sont contaminées en césium 134 et césium 137 à des concentrations allant de 0,4 à 1,3 becquerels par litre.

Cela signifie que ces enfants, âgés de 6 à 16 ans, sont tous contaminés en césium 134 et césium 137 et qu’ils l’ont probablement aussi été en iode 131. Ce dernier élément disparaît plus vite et l’on ne le détecte plus.

Il est difficile à ce stade, d’évaluer la contamination du corps entier à partir de ces données. Mais ces résultats devraient inciter les autorités japonaises à mesurer systématiquement la contamination interne des habitants qui ont été exposés aux panaches radioactifs et de ceux qui vivent dans les territoires contaminés et qui sont donc vraisemblablement soumis à une contamination chronique. Cela peut se faire sans difficulté technique (par anthropogammamétrie).

Les résultats de la mesure de la contamination interne devront ensuite être pris en compte dans l’évaluation des doses reçues par la population.

Cela nous conforte aussi dans l’idée que la limite fixée par les autorités japonaises pour déterminer les zones d’évacuation est trop élevée. Elle est de 20 millisieverts pour la première année, ce qui est fortement critiqué par de nombreuses organisations dont l’ACRO. En effet, elle est deux fois plus élevée que la limite française en cas d’accident et 20 fois plus élevée que la limite maximale admissible pour le public en temps normal.

Or, le calcul de dose effectué par les autorités japonaises pour déterminer les zones d’évacuation ne prend pas en compte cette contamination interne qui est due à l’exposition directe au panache radioactif et/ou à l’alimentation contaminée. Et cette contamination interne vient s’ajouter aux autres voies d’exposition aux radiations dues à la pollution radioactive. Il est donc impératif d’abaisser la limite due aux autres voies d’exposition.

L’ACRO a reçu de nouveaux échantillons du Japon qu’elle continue d’analyser gracieusement en attendant de pouvoir ouvrir un laboratoire sur place dès qu’elle aura rassemblé les fonds nécessaires. Toute aide financière est la bienvenue.

Les résultats sont en ligne ici

Version anglaise

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The children of Fukushima are contaminated

Press release, June 30th, 2011 (Download pdf)


ACRO has analyzed urine of children living in Fukushima-city located at about 60 km of the Fukushima NPP. There is no ambiguity on the results: all samples are tainted by cesium 134 and cesium 137 at concentrations ranging from 0.4 to 1.3 becquerels per litre.

This means that these children between 6 and 16 years old are all contaminated by cesium 134 and cesium 137. There were also probably contaminated by iodine 131 that disappears quickly and cannot be detected now.

It is difficult to evaluate the contamination of the whole body from these data. It is a strong incitation for the Japanese authorities to systematically measure the internal contamination of the people exposed to the radioactive plumes and of the people living in the contaminated territories. This can be easily done (by anthropogammametry).

The results of the measurement of the internal contamination should then be taken into account in the evaluation of the dose absorbed by the population.

 This reinforces our opinion that the evacuation threshold fixed by the Japanese authorities is too high. Many NGO’s, including ACRO, have criticized this limit that is fixed at 20 millisieverts for the first year. It is 2 times larger that limit fixed by the French authorities in case of an accident and 20 times larger than the usual maximum permissible dose for the public.

 This internal contamination is due to the exposition to the radioactive plume and/or to the tainted food. It should be added to the other ways of exposition of the population due to the radioactive pollution. The limit of the permissible dose due to these other ways of exposition should be decreased.

Results online here

French version

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