Etude pour Greenpeace Belgique
Résumé
La catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi (FDI), classée au niveau 7 de l’échelle internationale INES – le niveau le plus élevé – est largement reconnue comme étant d’origine humaine. Elle a contaminé un grand territoire au Japon et est responsable du déplacement de 160 000 personnes environ, selon les statistiques officielles. Les territoires contaminés qui n’ont pas été évacués sont aussi fortement affectés.
Les rejets radioactifs de la centrale accidentée perdurent, parfois à des niveaux anormalement élevés. Cela a été caché pendant plusieurs mois, générant ainsi une forte confusion. De mauvaises pratiques ont ainsi conduit à des rejets importants de poussières radioactives et à une contamination significative à des dizaines de kilomètres de la centrale. TEPCo peine à réduire les fuites en mer et l’eau contaminée continue à s’accumuler dans des cuves sans solution en vue.
La compagnie en est toujours à tenter de stabiliser la centrale et de réduire les menaces. Le démantèlement à proprement parler n’a pas encore commencé. Alors que les territoires qui entourent la centrale ont été évacués, il y a une crainte de reprise des rejets massifs en cas de nouvelle catastrophe naturelle. Les personnes déplacées se demandent s’il est raisonnable de rentrer une fois l’ordre d’évacuation levé. En effet, les réacteurs accidentés de la centrale de FDI sont plus fragiles que des réacteurs normaux et leur enceinte de confinement fuit. Ils pourraient ne pas tenir en cas de séisme et tsunami, entraînant ainsi de nouveaux rejets radioactifs massifs.
Les évacués
De nombreuses personnes ont dû évacuer pendant la phase d’urgence, suivies par d’autres durant les premiers mois à cause de la contamination radioactive. De nombreuses autres personnes sont parties d’elles-mêmes pour se protéger ou protéger les enfants. Cinq ans plus tard, la plupart restent évacuées et ont du mal à imaginer leur avenir.
Le nombre total de personnes déplacées n’est pas bien connu. Cependant, selon les données officielles, environ 160 000 personnes ont fui les territoires contaminés. Cinq ans plus tard, le nombre de personnes déplacées est toujours de 100 000 environ alors que l’ordre d’évacuer n’a été levé que dans trois communes. Celles qui se sont réinstallées ailleurs ne sont plus comptées bien qu’elles souffrent encore.
Au-delà de ces chiffres, il y a de nombreux individus dont la vie a été fortement perturbée. Les catastrophes nucléaires majeures sont d’abord des catastrophes humaines qui conduisent au déplacement de nombreuses personnes qui perdent tout : le logement, la vie de famille, le lien social, jusqu’à leur avenir. L’évacuation génère de grandes difficultés et de la souffrance pour les populations affectées, mais elle était nécessaire. Les personnes qui n’ont pas été évacuées et qui vivent toujours en territoire contaminé s’inquiètent aussi beaucoup pour leur santé ; leur vie quotidienne est aussi fortement perturbée.
Pour définir le devenir des territoires évacués, les autorités japonaises les ont divisé en trois zones en fonction du débit de dose ambiant : les zones où l’exposition externe annuelle devrait dépasser vingt millisieverts (20 mSv) pendant cinq ans et là où elle dépasse 50 mSv actuellement sont classées en « zones de retour difficile ». L’ordre d’évacuation ne sera pas levé avant plusieurs années et la réinstallation des résidents est aidée. Les zones où l’exposition externe sera sûrement inférieure à 20 mSv par an sont classées en zones où l’ordre d’évacuer est prêt à être levé. Entre les deux, là où l’exposition externe est comprise entre 20 et 50 mSv par an, les résidents ne peuvent pas rentrer, mais la décontamination devrait pouvoir la faire passer sous la limite de 20 mSv par an.
La protection contre les radiations
Aussi bien la politique d’évacuation que celle de retour des populations est basée sur une interprétation laxiste des recommandations internationales de radioprotection qui ne sont pas très contraignantes. 20 mSv par an correspond à la valeur la plus haute des niveaux de référence introduits par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) pour ce qu’elle appelle les « situations existantes » qui incluent le post-accident. La CIPR recommande de baisser ce niveau à 1 mSv par an. Les autorités japonaises ont donc adopté cette valeur comme un objectif à long terme, sans calendrier d’application. Pour le moment, elles maintiennent un niveau de référence de 20 mSv par an qui est trop élevé pour nombre de Japonais.
En ce qui concerne la contamination de l’alimentation, la stratégie est complètement différente : les niveaux de contamination maximaux admissibles ont été fixés en dessous des recommandations internationales pour retrouver la confiance des consommateurs et soutenir l’agriculture dans les territoires contaminés.
Le contraste entre la protection contre l’exposition externe liée au rayonnement ambiant et l’exposition interne liée à l’alimentation est saisissant. Dans le premier cas, les autorités refusent de baisser les niveaux de référence qui sont au plus haut des recommandations internationales et dans l’autre, les niveaux maximum admissibles sont divisés par un facteur 5 après un an.
Une telle différence montre que le souci premier des autorités concerne les conséquences économiques de la catastrophe nucléaire. La diminution des niveaux dans l’alimentation avait pour but de rassurer les consommateurs qui évitent les produits de Fukushima. Inversement, l’indemnisation des personnes évacuées représente un lourd fardeau économique et les autorités n’envisagent rien d’autre que le retour des populations déplacées.
Afin d’obtenir l’assentiment des citoyens, les autorités répètent à l’envi que des cancers radio-induits n’apparaissent pas, ou s’ils apparaissent ils sont indétectables, en dessous d’une dose cumulée de 100 mSv, bien que les recommandations internationales soient basées sur l’hypothèse que le nombre de cancers et les effets héréditaires sont proportionnels à la dose reçue, sans seuil. Avec une limite à 20 mSv par an, 100 mSv cumulés peuvent être rapidement atteints.
Ainsi, les autorités japonaises ont changé leur politique et ont introduit une nouvelle façon de mesurer la dose. Les zones d’évacuation ont été définies à partir du débit de dose ambiant qui peut être mesuré simplement à l’aide de différents appareils, dont de simples radiamètres. Puis, pour estimer la dose annuelle, il est supposé que chaque individu passe en moyenne 8 heures par jour à l’extérieur et qu’à l’intérieur, l’exposition est réduite de 60%. Mais, pour le retour des populations, les autorités vont fournir des dosimètres individuels, appelés glass-badges au Japon, pour enregistrer les doses reçues par chacun, sans mentionner que ce type d’appareil donne une valeur globale 30 à 40% inférieure à l’autre méthode de mesure avec des radiamètres.
Cette nouvelle politique repose aussi sur un changement de paradigme : chacun devient responsable de sa propre protection contre les rayonnements ionisants. A l’inverse des travailleurs du nucléaire qui doivent être contrôlés, personne ne va vérifier que la population utilise bien ce dosimètre individuel. C’est particulièrement problématique pour les enfants qui sont plus sensibles aux radiations. Contrôler sa vie au quotidien, apprendre à minimiser la dose reçue, constituent des fardeaux qui ne sont pas acceptés, surtout quand il y a des enfants car ce n’est pas un avenir à leur proposer.
Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, les règles de radioprotection définies au niveau international ne sont pas adaptées aux personnes qui vivent dans les territoires contaminés. Elles sont particulièrement confuses pour les populations et difficiles à mettre en œuvre. Cela permet aux autorités de les adapter à leur propre avantage plutôt qu’à celui des population concernées. Les règles devraient être plus contraignantes en terme de limites, d’évolution temporelle et de mise en œuvre opérationnelle.
Contamination de l’alimentation
En ce qui concerne la contamination de l’alimentation, les autorités japonaises ont d’abord sous-estimé l’ampleur des problèmes et ont été fréquemment prises par surprise dans les premiers mois. Par conséquent, la confiance envers les autorités et le gouvernement s’est érodée et les populations préoccupées par la sécurité alimentaire ont reconsidéré leur relation à l’Etat et à l’alimentation.
Mais les citoyens japonais, les producteurs, les vendeurs et les consommateurs ont mesuré la radioactivité dans les aliments, forçant ainsi les autorités à introduire des contrôles systématiques. La situation s’est donc rapidement améliorée et, à l’exception des plantes sauvages, du gibier, des poissons et des potagers, la contamination de l’alimentation vendue sur les marchés reste faible. La contamination interne des enfants contrôlés par anthropogammamétrie est suffisamment faible pour considérer que l’exposition externe est le problème principal dans les territoires contaminés. Ce succès a un coût : de nombreux agriculteurs ne peuvent pas reprendre leurs activités et certaines productions traditionnelles pourraient disparaître.
Le cas japonais montre l’intérêt d’un processus ouvert dans lequel chacun peut contrôler la contamination et adapter son régime alimentaire à ses propres critères. Cependant, les consommateurs rechignent toujours à acheter des aliments en provenance des territoires contaminés. Les producteurs et les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, forestiers… en particulier souffrent encore cinq ans plus tard.
La politique gouvernementale s’est focalisée sur la sécurité alimentaire (anzen en japonais), sans se préoccuper de la dimension culturelle et du climat de confiance vis à vis des aliments (anshin, en japonais). Imposer des standards ne suffit pas à surmonter la défiance des consommateurs et le défi est de garantir la sécurité alimentaire et la tranquillité qui va avec.
Quel avenir pour les territoires évacués ?
Le gouvernement japonais a décidé de lever tous les ordres d’évacuation avant mars 2017 et d’arrêter les indemnisations avant mars 2018, sauf dans les zones dites de retour difficile. Même J-Village, un ancien centre d’entraînement de football transformé en base pour les travailleurs à la centrale de FDI, va être rendu aux sports avant les jeux olympiques de 2020.
Les autorités japonaises rêvent d’une catastrophe réversible et les recommandations internationales sur la gestion post-accidentelle se préoccupent surtout de retour à la normale. Avec une demi-vie de 30 ans, le césium-137 décroît trop lentement. Le gouvernement japonais a donc lancé un vaste chantier de décontamination aussi bien dans les territoires évacués que dans ceux qui n’ont pas été évacués, partout où l’exposition externe pourrait dépasser 1 mSv par an, à l’exception, une fois encore, des zones de retour difficile. Cela consiste à gratter la terre, couper les herbes, émonder les arbres et les buissons et laver les toits des habitations, les routes, trottoirs… dans les environs immédiats des zones de vie, transformant ainsi les villes et villages en oasis au milieu d’un vaste territoire contaminé. Pour les zones évacuées, les plans prévoient la décontamination de 24 800 ha et rien n’est prévu au-delà, dans les forêts et montagnes qui couvrent 70% de la province de Fukushima.
La décontamination n’est pas très efficace et engendre une grande quantité de déchets radioactifs pour lesquels les solutions envisagées sont des échecs à cause de l’opposition des populations. De fait, la gestion des déchets radioactifs est très complexe dans tous les pays qui en ont accumulé une quantité significative. Mais après un accident grave, c’est encore plus complexe et les volumes sont gigantesques. Dans la seule province de Fukushima, environ 20 millions de mètres cubes sont attendus et le centre d’entreposage prévu va couvrir une superficie de 16 km2. Pour le moment, les projets de stockage sont bloqués à Fukushima et dans les autres provinces, mais les autorités s’accrochent à leur approche autoritaire qui est un échec : Décider, Annoncer et Défendre (DAD). Pendant ce temps là, les déchets s’accumulent dans des sacs qui se détériorent rapidement.
La décontamination s’est révélée être très décevante alors que le niveau de dose ambiant n’a pas baissé de façon significative par rapport à ce que l’on a pu observer dans les forêts où aucun travaux n’ont eu lieu. Mais les autorités continuent à favoriser le retour des populations.
Les résidents sont réticents à rentrer
Jusqu’à présent, les ordres d’évacuation ont été levés dans des parties de Tamura et de Kawauchi en 2014, et à Naraha en 2015. Tous ces territoires sont dans les parties les moins contaminées de la zone d’évacuation de 20 km. Les recommandations à l’évacuation autour de nombreux points chauds répartis çà et là ont toutes été levées. Mais les habitants rechignent à rentrer et les territoires contaminés font face aux problèmes de dépopulation et de vieillissement.
La commune de Hirono, par exemple, qui est entre 20 et 30 km de la centrale de FDI a été incluse dans la zone dite de préparation à l’évacuation d’urgence en 2011. Les habitants peuvent rentrer, mais selon le dernier recensement de 2015, une grande partie des résidents est engagée dans les travaux à la centrale accidentée : la population masculine a augmenté de 2,3% depuis 2010 et la population féminine, au contraire, a baissé de 42,3%. A Minami-Soma, la population a baissé de 66% depuis l’accident et l’âge moyen des habitants a augmenté de 14 années, un niveau attendu pour 2025.
Un retour à la normale est impossible après un accident nucléaire de grande ampleur comme ceux de Tchernobyl et de Fukushima. Les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays enjoignent les autorités à associer pleinement ces personnes à la planification et à la gestion de leur retour et de leur réinstallation. Mais au Japon, cette participation est réduite à des « réunions d’explication » (seitsumeikai) à huis clos, sans la présence de médias, d’associations, ou d’experts, laissant ainsi les populations désarmées.
Les communautés ne voient pas la fin des difficultés auxquelles elles font face et en souffrent. Rester ou partir, rentrer ou se réinstaller sont autant de choix difficiles sans solution satisfaisante. Le nombre de personnes souffrant de troubles psychologiques, comme le stress post-traumatique ou la dépression, est plus élevé que la normale, aussi bien chez les personnes évacuées que chez les personnes non-évacuées. Le nombre de suicides liés à la triple catastrophe est plus élevé à Fukushima que dans les provinces de Miyagi et d’Iwate, sévèrement touchées par le tsunami.
Conclusions
Les conséquences de l’accident nucléaire sont toujours présentes et des réponses acceptables pour les populations sont indispensables. Les personnes affectées sont toujours en train de se battre pour s’en remettre. Elles continuent à faire face à de fortes inquiétudes relatives à leur santé, à la séparation de leur famille, aux ruptures dans leur vie et à la contamination de l’environnement sur de vastes territoires. Et comme une catastrophe nucléaire dure pendant des décennies, les populations ne voient pas la fin des difficultés auxquelles elles font face.
Après un tel accident, de nombreuses personnes ne croient plus en la parole des autorités et des experts qui n’ont pas réussi à les protéger. Mais les chemins vers la résilience requièrent une bonne coordination entre les autorités et les populations. Les solutions envisagées et expérimentées ne peuvent pas ignorer les besoins et demandes spécifiques des personnes concernées, ainsi que leurs suggestions. Cela implique de trouver aussi de nouvelle méthode de délibération et de prise de décision. Les solutions peuvent différer d’une famille à l’autre ou d’une communauté à l’autre. Comme il n’y a pas de bonne solution, chaque décision doit être évaluée et adaptée. En plus de la souffrance engendrée, un accident nucléaire remet en cause les fondements de la démocratie.
Les citoyens japonais ont fait montre d’initiative à propos de la mesure de la radioactivité. Une cartographie de la pollution radioactive a été effectuée partout et la surveillance des aliments a poussé les autorités, producteurs et vendeurs à renforcer leurs propres contrôles pour finalement conduire à une baisse significative de l’ingestion de radioéléments. Pourquoi un tel processus ouvert qui a fait ses preuves ne peut pas être mis en place pour décider de l’avenir des territoires contaminés et de leurs populations ?