L’ANCCLI vient de publier son septième livre blanc intitulé “entreposage du combustible nucléaire : les piscines et leurs enjeux” auquel l’ACRO a participé (document).
Nous publions l’avis des associations ACRO, FRAPNA Drôme Nature Environnement, GSIEN et Sortir du Nucléaire Bugey :
Saturation des piscines de combustible : l’irresponsabilité d’EDF
L’énergie nucléaire est généralement présentée d’une manière simpliste comme étant abondante, stable, propre car ne produisant pas de carbone, et donc bonne pour le climat. Si les problématiques liées aux déchets sont débattues, le combustible, de son origine depuis les mines d’uranium (Niger, Kazakhstan, Canada, …) jusqu’au réacteur nucléaire, puis après sa sortie du réacteur, est ignoré. Prétendument recyclable à l’envi, il s’accumule sans solution dans des piscines.
Ce livre blanc sur les piscines nécessaires à ce combustible en aval des réacteurs lève un peu le voile sur cet élément fondamental de l’énergie nucléaire. Il contribue à montrer la complexité de cette énergie, qui avec ses rejets d’effluents chimiques et radioactifs, ses déchets qui doivent être isolés de la biosphère pendant des siècles et ses combustibles usés qui doivent séjourner longtemps en piscine d’entreposage, est loin d’être une énergie propre.
La saturation, à l’horizon 2030, des piscines d’entreposage de combustibles irradiés est anticipée depuis 2010, mais, à quelques années de l’échéance, EDF n’a pas encore déposé de demande d’autorisation de création de nouvelles capacités d’entreposage. Même le calendrier, déjà tendu, imposé par voie réglementaire [1] n’est pas respecté. Une telle situation fait poindre un risque d’occlusion pour l’ensemble de la filière. Plus l’échéance approche, plus il sera difficile pour EDF de garantir l’approvisionnement électrique du pays. Aucune explication n’est apportée quant aux raisons de ce retard et aux parades prévues.
La saturation prévue est due à l’accumulation du combustible MOx (rebuté et usé). Ainsi, si quelques réacteurs parmi les plus anciens, les seuls habilités à consommer du MOx, ne sont pas autorisés à poursuivre leur fonctionnement au-delà de 40 ans, il faudra diminuer la part du retraitement afin de ne pas séparer plus de plutonium que nécessaire. En retirant moins de combustibles des piscines de la Hague, la saturation arrivera encore plus vite que prévu. Et une fois la saturation atteinte, il faudra arrêter 10% du parc nucléaire, soit 5 à 6 réacteurs non Moxés.
C’est en cas d’aléa entraînant un arrêt prolongé du retraitement, de la fabrication de MOx ou du transport que la situation pourrait devenir problématique. L’engorgement des piscines entraînerait l’arrêt de tout le parc nucléaire en quelques mois, menaçant ainsi l’approvisionnement électrique du pays. Avec la pénurie d’entreposages, l’industrie nucléaire impose la poursuite du retraitement et l’exploitation des réacteurs les plus anciens qui consomment le plutonium extrait. Mais cette politique est dangereuse : les autorités de contrôle, face à un dilemme insoluble, devront trancher entre la sûreté et l’approvisionnement électrique. Elles pourraient alors être obligées d’accepter des manquements graves à la sûreté pour permettre la poursuite de l’exploitation des réacteurs nucléaires. Une telle situation est inacceptable et montre l’irresponsabilité d’EDF.
Tout est fait pour garder le secret sur cette situation alarmante. L’IRSN avait censuré tout le chapitre « aléas » et presque tous les chiffres de son rapport d’expertise sur le sujet. L’ACRO a dû saisir la CADA pour que la partie « aléas » soit dévoilée. Quant au rapport rédigé par EDF, Orano et l’ANDRA, il reste entièrement couvert par le « secret des affaires » !
EDF annonce désormais une nouvelle piscine « centralisée » pour 2034, mais cette échéance sera-t-elle tenue ? En parallèle, l’industrie nucléaire bricole pour essayer de reporter de quelques années supplémentaires l’occlusion inévitable : elle veut densifier les piscines de La Hague en réduisant ainsi les marges de sûreté, mettre des assemblages dans des châteaux prévus pour le transport… sans aucune garantie que cela sera suffisant.
Cette nouvelle piscine est annoncée à La Hague qui a déjà la plus forte concentration au monde de combustibles usés. Prévue avec une protection renforcée, elle y côtoierait les piscines existantes, densifiées, moins bien protégées contre les agressions extérieures. Ces évolutions dans les exigences de sûreté soulignent les vulnérabilités des piscines existantes, à La Hague et près des réacteurs nucléaires.
Ironiquement, cet engorgement est dû à des matières prétendument valorisables mais sans solution de gestion à long terme. Pour une industrie qui a l’ambition de sauver la planète du péril climatique, cela ne fait pas sérieux. Parviendra-t-elle seulement à alimenter le pays en électricité dans une dizaine d’années ?
En conclusion, il est impératif :
- de renforcer la résistance des piscines existantes à La Hague et près des réacteurs nucléaires face aux agressions extérieures grâce à une coque à la place du simple bardage métallique existant ;
- de trouver des parades au retard de la piscine en projet en misant notamment sur l’entreposage à sec, plus rapide à mettre en place ;
- de réduire la dépendance du pays à l’énergie nucléaire qui fragilise l’approvisionnement électrique ;
- et d’assurer la plus grande transparence sur le taux d’occupation des piscines et les risques liés à leur saturation.
[1] Selon l’Arrêté du 23/02/17 relatif au Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, « EDF dépose avant le 31 décembre 2020 auprès du ministre chargé de la sûreté nucléaire une demande d’autorisation de création pour une nouvelle installation d’entreposage de combustibles usés, ou une demande de modification substantielle s’il s’agit de l’extension d’une installation existante ».