Déchets nucléaires : quand le gouvernement enterre la démocratie participative

Critique de l’ACRO et du GSIEN concernant le projet de loi en discussion au Sénat

Communiqué du 23 mai 2006


 

Le projet de loi actuellement en discussion semble ignorer le débat public qui vient d’avoir lieu. Il prolonge de dix ans les trois axes de recherche de la loi précédente de 1991. Mais il impose que l’autorisation de stockage en couches géologiques profondes puisse être instruite d’ici 2015, ce qui transforme de facto le laboratoire de recherche de Bure en futur centre de stockage, par une simple décision du Conseil d’Etat. Si un débat public a été introduit par les députés avant de prendre une décision définitive, cela n’engage à rien, au vu du mépris des autorités envers les résultats d’une telle procédure.

Par ailleurs, nous pensons que les efforts de recherche sur l’axe séparation-transmutation sont trop onéreux par rapport aux espoirs potentiels de cette solution. Comment justifier l’exposition des travailleurs du nucléaire et les populations du présent siècle à un détriment certain sans protéger pour autant les populations futures dans 100.000 à des millions d’années ? En effet, « la CNE considère, dans son dernier rapport, que finalement la séparation-transmutation répond au principe de précaution de la charte de l’environnement plutôt qu’à la recherche d’une diminution du risque réel dû à la présence en profondeur des déchets. » Surtout, cette voie nécessite de prendre pour option de continuer le nucléaire sans prendre la mesure sur la quantité de déchets qui en résultera.

Si nous saluons la création d’un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, nous déplorons les orientations imposées par la loi :
–    Ni le traitement, ni le conditionnement des combustibles usés ne réduisent la quantité de déchets radioactifs. Généraliser le traitement est absurde car le plutonium s’accumule actuellement « sur les étagères », comme presque la totalité de l’uranium de retraitement. Par ailleurs, la vitrification en fin de procédé est irréversible dans le sens où elle interdit toute reprise ultérieure des verres. Ce choix technologique est en contradiction avec la continuation des recherches sur la séparation-transmutation.
–    Il est prématuré de faire du stockage en couches géologiques profondes la solution pour les déchets ne pouvant être stockés en surface. Dans son dernier rapport, la Commission Nationale d’Evaluation précise que « les conditions d’une éventuelle décision finale de réalisation d’un stockage [souterrain] ne sont pas encore réunies. » Par ailleurs, le débat national sur les déchets a montré un fort rejet de cette solution par la population et avait conclu à la nécessité de la réalisation d’un « prototype d’entreposage pérennisé » pouvant éventuellement servir d’alternative. Cette voie est ignorée par ce projet de loi.
Nous pensons que la loi devrait plutôt fixer des objectifs à atteindre à ce plan, et non des moyens, afin de ne pas trop restreindre les choix. Surtout, ces plans successifs devraient faire l’objet d’une véritable concertation publique imposée par la loi comme s’y est engagée la France en ratifiant la convention d’Aarhus.

Nous saluons aussi le fait que le stockage en France de déchets étrangers soit toujours interdit, même si nous espérons que le stockage à l’étranger de déchets français le soit aussi. Malheureusement, la pratique depuis 1991 n’est pas satisfaisante et il conviendrait d’être plus précis. La définition de « déchets radioactifs [qui] sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée » est trop restrictive et ouvre la porte à de nombreux abus. En effet, sous prétexte que certaines matières sont hypothétiquement recyclables, elles ne sont pas considérées comme déchets, même si dans les faits, elles ne sont pas recyclées et ne le seront jamais. C’est le cas en particulier d’une partie du plutonium et de l’uranium extrait dans les usines de retraitement, ou de l’uranium appauvri. Nous proposons donc plutôt de définir comme déchet radioactif, toute matière radioactive non utilisée dans un délai à fixer et de considérer, les déchets ultimes, les déchets potentiellement valorisables et les matières valorisées.

Le public est le grand oublié de ce projet de loi. Certes, la Commission Nationale d’Evaluation a constitué un énorme progrès, et nous saluons l’extension de ses compétences à tous les déchets. La création d’une commission nationale d’évaluation du financement est aussi une bonne initiative si ses rapports sont rendus publics, ce qui n’est pas imposé par le projet de loi actuel. Nous regrettons cependant qu’aucune structure ne permette de prendre en compte l’avis de la population. Nous soutenons donc l’initiative de l’ANCLI de créer une commission nationale permanente et pluraliste de débat qui devrait être inscrite dans la loi. Quant à la Commission Locale d’Information et de Suivi de Bure, nous demandons que la loi s’appuie sur sa motion concernant son fonctionnement.

ACRO
Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest
138, rue de l’Eglise
14200 Hérouville St Clair
https://acro.eu.org
tél : 02 31 94 35 34
GSIEN
Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire
2 rue François Villon
91400 Orsay
tél : 01 60 10 03 49

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