Enquêtes publiques au Centre de retraitement de la Hague : commentaires de l’ACRO

Rapport complet

Extrait de l’ACROnique du nucléaire n°49, juin 2000


La Cogéma a fait une demande d’autorisation de modification de ses usines de retraitement de La Hague qui a été soumise à enquête publique du 2 février au 17 mai 2000. L’ACRO a remis un rapport avec ses commentaires dont nous reprenons ici l’introduction et les conclusions. Le rapport complet a été publié dans l’ACROnique du nucléaire n°49 de juin 2000 ou peut être directement téléchargé au format pdf.


 

Introduction

Devant faire face à une baisse de ses commandes, la COGEMA souhaite augmenter la capacité de retraitement de ses deux usines afin de pouvoir en fermer une momentanément si nécessaire. Elle demande aussi à être autorisée à retraiter des combustibles plus irradiés, combustibles MOx ou provenant de réacteurs de recherche (MTR). La demande formulée par l’exploitant pourra surprendre car il ne s’agit pas, de façon spécifique, d’une nouvelle demande d’autorisation de rejet, en vertu du décret de 1995, mais bien d’une demande de modification de l’arrêté du 12 mai 1981 visant à étendre le fonctionnement actuel des installations (INB 116-117-118) et, tout particulièrement, à autoriser le retraitement de nouveau combustibles dont les caractéristiques sont éloignées de celle pour lesquelles ces installations ont été conçues. Ces demandes doivent être accompagnées d’une étude de danger et d’impact environnemental de ces nouvelles activités. En outre, le gouvernement a affirmé vouloir réduire autoritairement les autorisations de rejet à l’issue des enquêtes publiques. Nous allons donc donner aussi notre avis sur le sujet.

L’ACRO a participé pendant deux ans au travaux du Groupe Radioécologie du Comité Nord Cotentin (GRNC dans la suite), ce qui lui permet d’avoir un regard critique sur le dossier d’impact déposé par l’exploitant. L’étude de danger soumise à enquête est très maigre et peu détaillée ; elle repose sur un rapport préliminaire de sûreté auquel nous n’avons malheureusement pas accès. Ce fait rend l’examen critique plus difficile.

Les principes de radioprotection de la publication n°60 de la CIPR, qui ont été repris par la législation européenne concernant l’exposition des travailleurs et de la population sont :

  1. Le principe de justification : une pratique induisant une exposition aux rayonnements ionisants n’est acceptable que si elle procure un bénéfice aux personnes exposées ou à la société ;
  2. Le principe d’optimisation : si cette pratique est justifiée, le détriment subit doit être aussi faible que possible ;
  3. Le principe de limitation de dose et de risque : l’ensemble des doses reçues par les individus doit conduire à un risque inférieur aux limites jugées comme socialement acceptables.

C’est au regard de ces trois principes que nous avons étudié les dossiers d’enquête publique déposés par COGEMA.

Au risque radiologique s’ajoute le problème des rejets chimiques qui fait l’objet d’un chapitre particulier.

[…]

En résumé et conclusion

Nous pensons que l’étude de danger devrait être plus détaillée, comporter des développements relatifs à divers scénarios d’accidents envisageables et tenir compte des effets combinés des modifications demandées par l’exploitant. Par ailleurs, bien que cette pratique (retraitement de nouveaux combustibles et matières) nous apparaisse non justifiée, si l’autorisation était donnée, il nous semble nécessaire d’imposer des limites précises aux quantités totales et relatives de combustibles MOx et MTR retraitées. Nous demandons que le retraitement des nouveaux combustibles soit justifié, conformément à la directive européenne.

L’article 6.2 de la directive EURATOM stipule : ” La justification des catégories ou types de pratiques existants peut faire l’objet d’une révision chaque fois que des connaissances nouvelles et importantes concernant leur efficacité ou leur conséquences sont acquises “. Nous estimons que le travail fait par le GRNC constitue une connaissance nouvelle des conséquences du retraitement. Nous demandons par conséquent que le retraitement des combustibles irradiés soit justifié, conformément à la directive européenne.

Concernant les rejets nominaux, il apparaît que la marge (différence nominal – réel) dont l’exploitant souhaite disposer est tout à fait conséquente. Compte tenu, d’une part, du niveau actuel très élevé des rejets des installations de retraitement et, d’autre part, des projets développés ici qui contribueront à l’évidence à une augmentation de ces rejets, l’ACRO considère très clairement que l’acceptation des rejets nominaux irait à l’encontre de la convention OSPAR signée par la France. En outre, le projet présenté par COGEMA ne satisfait pas le principe d’optimisation de la directive européenne : il est tout à fait envisageable à l’exploitant de réduire d’avantage ses rejets.

Pour ce qui est de la réduction de l’impact sanitaire pour les populations voisines, la démonstration de l’exploitant n’est pas convaincante compte-tenu des projets exposés et de leurs conséquences en matière d’augmentation de rejets. Dans ce contexte, il doit être souligné que la valeur de 30 microSv retenue par COGEMA comme seuil d’impact sanitaire nul est en contradiction avec l’hypothèse de la “linéarité sans seuil” admise par les comités scientifiques internationaux (CIPR, BEIR…).

Le choix des groupes de référence retenus par l’exploitant est éminemment contestable. Tout particulièrement, COGEMA devrait, à l’instar du Comité radioécologie Nord-Cotentin, considérer que des pêcheurs exercent dans la zone des Huquets. Par ailleurs, les régimes alimentaires des groupes de référence choisi par la COGEMA ne permettent donc pas de s’assurer que toute la population est soumise à des doses inférieures aux chiffres annoncés.

Les éléments contestables de la partie du dossier consacrée aux rejets chimiques, ainsi que l’évolution des dispositions réglementaires, ne font que renforcer la nécessité d’une réelle étude d’impact suivie d’une enquête publique qui ont fait défaut de façon surprenante au début des années 80. Par conséquent, la position de l’exploitant, qui estime que la mise en oeuvre de ses demandes d’accroissement de la capacité de retraitement et l’élergissement de la gamme des produits à traiter, ne nécessiterait pas de réviser les rejets chimiques en mer, n’est pas acceptable. Pour l’ACRO, il est indiscutable, à la lecture du décret du 5 mai 1995 et de la Circulaire DSIN-FAR/SD4 n°40676/98 du 20 mai 1998, qu’une nouvelle demande d’autorisation airait dû être formulée par l’exploitant pour les raisons suivantes :

  • demande d’augmentation des rejets de TBP de 6,7 t/an à 10 t/an (soit bien plus de 10% d’augmentation…),
  • demande de rejets de nouveaux polluants chimiques (nitrites, soufre, mercure, cadmium…)
  • adjonction de nombreux radionucléïdes nouvellement identifiés par le GRNC (+53%).

En conclusion, l’ACRO demande :

  1. que les rapports de sûreté censés éclairer l’étude des dangers cessent d’être classés “confidentiels” et deviennent accessibles à la contre-expertise non institutionnelle et aux mouvements associatifs concernés par le sujet,
  2. que le principe de justification soit appliqué au retraitement et tout particulièrement aux pratiques nouvelles que l’exploitant souhaite mettre en oeuvre,
  3. que les autorités de l’Etat, comme elles s’y sont engagées publiquement, promulguent des autorisations de rejets liquides et gazeux clairement revues à la baisse,
  4. que les futures autorisations soient basées sur les niveaux de rejets réels actuels et non sur les rejets nominaux défendus par l’exploitant,
  5. que soient clairement réaffirmés les fondements de la Convention OSPAR visant à tendre vers les rejets zéro d’ici à 2020,
  6. que, dans cet objectif (Convention OSPAR), les autorisations de rejet ne soient attribuées que pour une période limitée (elles sont actuellement illimitées…) à l’instar de la situation anglaise où les autorisations pour Sellafield sont revues tous les 3 ans ; cette méthode permettrait d’assurer la planification de l’objectif à atteindre,
  7. que soit pérennisée l’existence d’un outil d’expertise indépendant permettant d’évaluer régulièrement l’impact de ces installations sur les populations du Nord-Cotentin,
  8. que l’action citoyenne et indépendante de contrôle de l’environnement en Nord Cotentin reçoive un soutien appuyé de la part des pouvoirs publics et des collectivités territoriales et locales marquant une volonté politique d’ouverture vers une démarche plurielle dans le domaine de la surveillance et du contrôle.

Ancien lien

Cherche commissaire enquêteur

ACROnique du nucléaire n°48, mars 2000


C’est une lettre anonyme envoyée à l’ACRO et au CRILAN qui nous a mis la puce à l’oreille : Pierre Boiron, ingénieur du nucléaire à la retraite, nommé président de la commission d’enquête qui a débuté le 2 février à La Hague, a été directeur chez Framatome, maintenant filiale de la Cogéma, et a été embauché par l’ANDRA en 1995 comme assistant technique pendant l’enquête publique sur la fermeture du centre de stockage Manche (CSM). Sa nomination est donc en violation de la loi Bouchardeau du 12 juillet 1983, décret du 23 avril 1985, qui interdit que des personnes ayant été rétribuées par l’entreprise concernée puissent être commissaires enquêteurs dans un délai de 5 ans. En effet, il est maintenant commissaire pour des enquêtes publiques sollicitées par Cogéma concernant la modification du fonctionnement de ses usines et par l’ANDRA concernant l’entrée en phase du surveillance du CSM et une demande d’autorisation de rejets dans l’environnement.

Le CRILAN a déposé une demande de “recours gracieux” au Tribunal Administratif (TA) le 24 janvier qui a reçu une fin de non recevoir : “En réalité, la rémunération versée par l’ANDRA à Monsieur Pierre Boiron en 1995 s’avère correspondre à une prestation temporaire accomplie par ce dernier en qualité de personne qualifiée, d’expert, à la demande du Président de la Commission d’enquête, à destination de celle-ci, prise en charge directement par le maître d’ouvrage […] cet élément ne concerne que les deux enquêtes sollicitées par l’ANDRA et de ce fait, il ne peut être fait droit à la demande du CRILAN”. L’association a donc “déposé une demande, en référé, de sursis à exécution des arrêtés du Préfet de la Manche concernant les enquêtes publiques” le 31 janvier.

Pour que l’argumentation du TA soit valable, il faut qu’il y ait eu, prise par “le Président du Tribunal Administratif ou le magistrat qu’il délègue” une ordonnance désignant Pierre Boiron comme expert chargé d’assister la commission d’enquête (art. 2 de la loi 83-360 du 12 juillet 1983, dite loi Bouchardeau qui précise “Le coût de cette expertise est à la charge du maître d’ouvrage”). Ce qui n’a pas été fait. De plus, dans l’annexe 4 du rapport de la Commission d’enquête publique de 1995 concernant la modification du CSM qui regroupe les compte-rendus de réunions, le nom de Pierre Boiron apparaît clairement du côté de l’ANDRA et non des enquêteurs.

Monsieur Boiron n’est pas un novice en matière d’enquête publique et sa carrière semble liée à celle de Monsieur Pronost, bien connu des lecteurs de l’ACROnique (cf n°36, 37 et 39, 1997) :

  • Lors de l’enquête publique de 1993 concernant Superphénix, la commission d’enquête, présidée par Monsieur Pronost, s’est adjointe Monsieur Pierre Boiron, ingénieur à la retraite, comme soutien technique, sans qu’il soit nommé par le Préfet. (cf La Gazette nucléaire n°129/130, déc. 1993).
  • Lors de l’enquête publique de 1995 concernant le CSM, dont il est question plus haut, l’ANDRA embauche Monsieur Boiron comme assistant technique pour servir d’interlocuteur à la commission d’enquête présidée par Monsieur Pronost.
  • Lors de l’enquête publique de 1997 concernant l’installation d’un laboratoire souterrain pour préparer l’enfouissement des déchets radioactifs, la commission d’enquête est présidée par Monsieur Pronost ; Monsieur Boiron, commissaire, est président par interim en cas de vacance.

L’enjeu de la décision finale à La Hague concerne aussi le laboratoire souterrain à Bure dont l’enquête peut aussi être rendue caduque pour les mêmes raisons. En effet, un nouveau grief a été introduit dans le recours déposé par le CDR55 auprès du Tribunal Administratif de Nancy.


CRILAN : Comité de Réflexion, d’Information et de Lutte Anti-nucléaire, 10 route d’Etang-Val, 50340 Les Pieux
CDR55 : Collectif contre les Déchets Radioactifs, 33 rue du Port   55000 Bar-Le-Duc (http://altern.org/bure)