La relance du vieux nucléaire, en toute sûreté ?

Editorial ACROnique du nucléaire n° 87 (décembre 2009)


Fini le traumatisme de Tchernobyl, notre survie face au défi climatique passerait par la relance du nucléaire. La France, leader mondial, allait rafler la mise grâce à sa technologie de pointe. Et c’est ainsi qu’à Flamanville, dans la Manche, la vitrine du savoir faire national est en construction. Et puis, on a vu ce qu’on a vu : la France a vendu un deuxième EPR à… la France malgré les problèmes à répétition sur les deux premiers chantiers.

La Belgique, quant à elle, vient de décider de prolonger de dix ans la durée de vie de ses centrales nucléaires, alors que la loi actuelle prévoit l’arrêt des 7 réacteurs à l’âge de 40 ans[1]. Ce sont les trois plus anciens, Doel 1 et 2 et Tihange 1, fonctionnant depuis 1974-75, qui sont concernés. Et le ministre de l’énergie d’indiquer que ce report renforce la décision de la Belgique de sortir du nucléaire et de ne pas construire de nouvelle centrale. Parmi les cinq conditions requises, « le prélèvement d’une part significative de la marge nucléaire, au profit du budget de l’État, via un mécanisme structurel. »[2] La sûreté des centrales vieillissantes n’en fait pas partie. Ce n’est pas un enjeu important ?

La contrainte actuelle est la garantie que la sûreté du système soit au moins aussi élevée que celle du système d’origine. Les réacteurs font l’objet, tous les dix ans, d’une révision en profondeur. Et si « l’opérateur décide d’arrêter les frais d’une centrale trop coûteuse à sécuriser et ferme tout simplement le réacteur. Le gouvernement sera alors pris au piège, sans solution de rechange, » dit-on chez Ecolo.

La nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne a annoncé qu’elle allait faire de même, en repoussant au-delà de 2020 la fermeture programmée. En France, EdF rêve tout haut de prolonger la vie de ses centrales jusqu’à 60 ans. Pourtant l’autorité de sûreté nucléaire est catégorique sur ce sujet, les autorisations de prolongement d’exploitation seront données par période de 10 ans. En Russie, les deux premiers réacteurs de Koursk, du même type que ceux de Tchernobyl, viennent d’être autorisés pour quinze ans de plus. Les numéros 3 et 4 devraient suivre[3].

Le matériel vieillit, surtout si la maintenance est réduite à son strict minimum pour faire baisser les coûts de production. Le personnel aussi doit être remplacé et les jeunes ingénieurs et techniciens qui n’ont pas été formés aux technologies développées dans les années 60 rechignent à travailler sur du matériel ancien. Le parc nucléaire vieillissant n’est donc pas à l’abri de pannes qui peuvent mettre en péril la sécurité de l’approvisionnement dans un pays qui a tout misé sur le nucléaire. Cette année, à l’entrée de l’hiver, jusqu’à 18 réacteurs sur 58 – près d’un tiers – ont été arrêtés simultanément en France et RTE craint des coupures d’électricité en cas de vague de froid.

Mais, le plus inquiétant est, bien entendu, l’accident grave, qui n’a pas de frontière. Les autorités belges, qui ont un intérêt financier direct dans le fonctionnement des centrales, seront-elles assez sévères en cas d’anomalie ou d’incident ? La vigilance citoyenne est indispensable pour renforcer la sûreté, mais n’est pas suffisante. Les autorités de sûreté nucléaire nationales en Europe devraient avoir un droit de regard sur le fonctionnement des installations nucléaires des autres pays, avec un pouvoir coercitif en cas de manquement grave à la sûreté. Plus particulièrement, leur avis serait le bienvenu pour toute nouvelle installation et lors des visites décennales.

L’exemple de l’EPR est là pour soutenir cette idée : lors du débat public sur la « tête de série » à Flamanville, toutes les administrations de l’Etat étaient unanimes sur les qualités du réacteur. Pas le moindre défaut, la moindre critique ou le moindre doute. Puis, le désastre du chantier finlandais a fissuré l’image digne d’un calendrier suisse. Sans les exigences de l’autorité de sûreté finlandaise, l’armature métallique de l’EPR de Flamanville, construit par EdF, aurait-elle été renforcée de 25% pour renforcer sa solidité en cas de chute d’avion ?

Areva n’est pas en reste. Le combustible MOx, que la France a envoyé au Japon dernièrement, est, pour un quart, inutilisable selon le client, pour des problèmes de qualité. Et à Cadarache, où le CEA s’est trompé d’une trentaine de kilogrammes sur les stocks de plutonium – quantité suffisante pour faire plusieurs bombes -, il a fallu attendre les travaux de démantèlement de l’installation pour s’en rendre compte. Le problème est-il le même dans l’usine Mélox qui a pris le relais ? Comment aurait réagi la France, si cela était arrivé en Corée du Nord ou en Iran ? Elle aurait réclamé un droit de regard ! Il est donc urgent de contrôler les activités du haut fonctionnaire à la défense chargé de la comptabilité des matières proliférantes. Il est fort probable que nous n’aurons jamais les réponses à toutes ces questions, malgré la transparence proclamée par la loi.

Les prédécesseurs de l’EPR construits à Civaux et à Chooz – le palier N4 pour les intimes – ont eu plusieurs années de retard, en partie à cause du nouveau système de contrôle commande numérique, le « cerveau » du réacteur. EdF et Areva viennent à nouveau se faire retoquer leur système de contrôle commande pour l’EPR par les trois autorités de sûreté nucléaire européennes concernées. Il est assez effarant que les compagnies ne se soient pas rendu compte par elles-mêmes que leur système n’était pas sûr. Sont-elles à ce point irresponsables ? La garantie de la sûreté semble donc reposer entièrement sur la qualité contrôle. Inquiétant. Et si le réacteur finlandais avait été fini dans les temps, il serait actuellement en fonctionnement, avec un système de contrôle commande peu sûr ?

La Grande-Bretagne, qui a donné la première l’alerte sur les défauts du système de contrôle commande de l’EPR, a commencé par expertiser cet aspect essentiel du réacteur avant de donner un avis, à l’inverse de la France. Si, à l’époque de la prise de décision, il avait été transparent que le projet présenté ne tenait pas la route et qu’il faudrait renforcer de nombreux aspects cruciaux pour sa sûreté, que cela aurait un coût qui pourrait conduire à doubler la facture et le temps du chantier, la décision aurait-elle été la même ? La population, consultée lors du débat public, a le sentiment de s’être fait bernée.

Les centrales vieillissent plus vite que la démocratie et la qualité du contrôle ne progressent. Le sujet du vieillissement et du contrôle afférant mériterait un débat national.


[1] Ainsi, on fermera Doel 1 le 15 février 2015, Tihange 1 le 1er octobre 2015, Doel 2 le 1er décembre 2015, Doel 3 le 1er octobre 2022, Tihange 2 le 1er février 2023, Doel 4 le 1er juillet 2025 et Tihange 3 le 1er septembre 2025.

[2] Le Soir, 2 octobre 2009.

[3] Le Monde, 19 octobre 2009.

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