Suspension des agréments des laboratoires d’EDF

Article paru dans l’ACROnique du nucléaire n°84, mars 2009


Le 16 décembre dernier, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) décidait de suspendre les agréments de l’ensemble des laboratoires d’EDF pour la mesure de certains paramètres de radioactivité dans l’environnement. Cette décision s’inscrit dans le nouveau cadre réglementaire[1] qui impose aux exploitants des sites nucléaires de faire réaliser leur surveillance par des laboratoires agréés et d’en transmettre les résultats pour diffusion au réseau national de mesures de la radioactivité dans l’environnement. Les conditions à respecter pour bénéficier d’un tel agrément sont notamment de se conformer à des exigences organisationnelles et techniques normalisées (ISO/CEI 17025) et de réussir les essais de comparaisons inter laboratoires mis en place au niveau national par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Les campagnes d’essai, programmées chaque année par type d’échantillon (eaux, sols, biologiques, aérosols, gaz, milieu ambiant) et par catégories de mesures radioactives, ont pour but d’évaluer la compétence technique des laboratoires. Il s’agit de tests d’aptitude où les résultats obtenus par les laboratoires sur des échantillons identiques sont comparés à une valeur de référence.

Dans ce cas précis, c’est la capacité de mesure des laboratoires d’EDF qui a été pointée du doigt pour ce qui concerne la mesure du tritium et de l’indice d’activité bêta globale dans l’eau et dans l’air. L’étude des dossiers d’agrément et, notamment, l’analyse des résultats des derniers exercices inter laboratoires, ont montré des écarts techniques incompatibles avec la qualité requise pour assurer la surveillance de la radioactivité de l’environnement autour des centrales nucléaires. La commission d’agrément a ainsi constaté pour la mesure du tritium, un défaut de maîtrise d’étalonnage et, en ce qui concerne l’indice d’activité bêta globale, une mauvaise discrimination entre les rayonnements bêta recherchés et les rayonnements alpha émis par d’autres radionucléides présents. D’après la commission d’agrément, ces écarts aux normes de mesure présentent un risque de surévaluation systématique de 10 à 15% pour la mesure de l’indice bêta total et, ce qui est plus gênant, de sous-estimation de l’activité du tritium d’environ 10%.

Ces refus d’agrément confortent le rôle du réseau national de mesure (RNM), mis en place récemment, dont les objectifs majeurs sont d’assurer la transparence des informations sur la radioactivité en mettant à la disposition du public les résultats de la surveillance en France et de poursuivre le développement d’une politique de qualité des mesures. Encourageant les actions qui permettent d’améliorer la transparence et l’information du public, l’ACRO a salué la création du RNM et a accepté de participer à son comité de pilotage. Cependant, nous pouvons regretter ici que ni les Commissions Locales d’Information, directement concernées, ni même le comité de pilotage du RNM n’aient été prévenus de cette annulation d’agréments. Il aura fallu la curiosité d’un riverain de la centrale de Fessenheim, puis de sa commission locale de surveillance pour dénicher les décisions[2] de l’ASN discrètement mise en ligne sur son site Internet. L’information sera ensuite médiatisée par le Réseau Sortir du Nucléaire avec un écho retentissant.

Les laboratoires d’EDF, privés d’agréments, c’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé. A l’origine de l’ACRO, chacun se souvient des féroces critiques des exploitants mettant en doute nos capacités d’analyse. Considérée, au départ, comme le « vilain petit canard » l’ACRO ne recevra une reconnaissance officielle qu’à la suite d’une confrontation des mesures réalisées, à sa demande, avec les laboratoires officiels ainsi que ceux des exploitants (Cogéma à l’époque). C’est cette première comparaison inter laboratoire, en 1993, qui confirmera notre capacité de mesure et permettra d’acquérir notre légitimité d’intervention. Depuis, l’aptitude du laboratoire de l’ACRO est vérifiée chaque année dans le cadre des campagnes nationales d’intercomparaisons. Celles là même auxquelles ont récemment échoué les laboratoires d’EDF…
Cette affaire montre combien la pluralité de l’expertise est essentielle. Aucun laboratoire ne peut prétendre seul assurer une surveillance fiable de l’environnement et encore moins lorsqu’il s’agit de l’exploitant. Favoriser les sources d’informations indépendantes reste le seul gage pour le public d’obtenir une information crédible. C’est cette démarche que défend l’ACRO depuis sa création en se dotant des outils nécessaires à un contrôle rigoureux indépendant et citoyen et en jouant pleinement son rôle de vigie. C’est enfin cette approche que doivent soutenir les commissions locales d’information en usant pleinement des possibilités d’intervention que leur confèrent maintenant leurs nouveaux statuts.


[1] Arrêté du 8 juillet 2008 portant sur l’organisation du réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement et fixant les modalités d’agrément des laboratoires.

[2] Décisions n°2008-DC-0122, 0123 et 0124 consultables sur le site de l’ASN (www.asn.fr) ainsi que sur le site du Réseau national de mesure (www.mesure-radioactivité.fr).