Tant qu’il restera des abeilles…

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°83, décembre 2008


« Quand l’explosion a eu lieu, les abeilles ont interrompu leur vol, bien que le temps était beau et ensoleillé. Ne sachant pas encore ce qui s’était passé à Tchernobyl, nous nous demandions pourquoi les abeilles se cachaient dans leur ruche. Elles entouraient leur reine de près, battant constamment des ailes pour minimiser la pénétration de la contamination [1] ».

Depuis, la population d’abeilles n’a cessé de diminuer et la situation est devenue alarmante. Véritables sentinelles de l’environnement, les abeilles sont utilisées comme bio indicateurs de diverses pollutions. La coupe semble pleine, même si les causes de cette hécatombe ne sont pas connues. Les pesticides, les ondes électromagnétiques liées aux téléphones mobiles ou un virus ont été incriminés, avec, peut-être, une combinaison de divers facteurs. Aucune explication ne fait consensus.

La disparition des abeilles et des autres pollinisateurs est une menace majeure pour l’humanité. Aux Etats-Unis, cela a déjà entraîné une diminution de la production agricole. En Chine, des arbres fruitiers sont pollinisés à la main… Parce qu’elle nous touche directement, cette longue agonie des abeilles n’est que la partie immergée de l’iceberg et témoigne d’une grave perte de la biodiversité.

Les préleveurs volontaires de l’ACRO, sentinelles de la radioactivité, ne peuvent plus butiner librement non plus. Alors qu’ils allaient profiter allègrement des grandes marées, c’est la marée chaussée qui les attendait sur la plage pour vérifier leurs papiers. En cette époque de fichage systématique, ce genre de rencontre est des plus désagréables. Bien qu’il y ait déjà le fichier CRISTINA pour prévenir le terrorisme, les fichiers STIC et JUDEX pour les délits, le fichier FNAEG pour les empreintes génétiques, le fichier ELOI pour les étrangers en situation irrégulière, qui contiennent déjà des millions de noms et de nombreuses erreurs, le fichier EDVIGE recensera, de manière systématique et généralisée, toute personne « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Sans exception, toutes les personnes engagées dans la vie de la cité sont donc visées et c’est intolérable [2].

Le travail patient et obstiné de l’ACRO a déjà conduit à une réduction des rejets radioactifs dans le Nord-Cotentin. La disparition des préleveurs volontaires ne serait pas simplement le signe d’une érosion de la citoyenneté et de la démocratie. La surveillance citoyenne des installations nucléaires est un impératif de sûreté et de sécurité en cette époque d’explosion des coûts de l’énergie qui conduit les industriels à rogner leurs coûts d’exploitation. Le sociologue Ulrich Beck note que « le plus influent opposant à l’industrie nucléaire est l’industrie nucléaire elle-même » [3], en faisant référence aux nombreux incidents et accidents qui ont entraîné l’arrêt temporaire ou complet d’installations nucléaires. Ce qui s’est passé à Tricastin vient confirmer ce point de vue. Mais aussi, les problèmes technologiques qui freinent ou retardent le démarrage de nouvelles installations. C’est le cas par exemple de l’EPR en France et en Finlande, ou de l’atelier de vitrification de la toute nouvelle usine de retraitement au Japon.

Tant qu’il restera des abeilles, nous continuerons inlassablement notre travail de surveillance citoyenne de l’environnement.

Les jardiniers de l’ACRO

[1] Témoignage d’un apiculteur polonais paru dans The Times du 14 février 1987
[2] Pour signer la pétition contre le fichier EDVIGE : http://nonaedvige.ras.eu.org/
[3] « Le danger nucléaire escamoté », Le Monde 07/08/2008

Ancien lien