Nuage de sable du Sahara : une pollution radioactive qui revient comme un boomerang ; mis à jour au 17.03.2022

Mise à jour le 22 mars 2022 :

L’ACRO a effectué une nouvelle mesure suite à un épisode survenu en mars 2022 en France et les niveaux détectés sont comparables. Lire le communiqué.

Communiqué du 24 février 2021 :

Alors que les vents chargés de poussières en provenance du Sahara, survolent à nouveau l’Europe cette semaine, des analyses réalisées par l’ACRO montrent que celles-ci contiennent des résidus de pollution radioactive datant des essais de la bombe atomique pratiqués par la France dans les années 60.

Une pollution radioactive qui revient comme un boomerang

Entre 1945 et 1980, les Etats-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni, la France et la Chine ont réalisé 520 essais nucléaires atmosphériques atteignant des niveaux stratosphériques et dispersant de grandes quantités de produits radioactifs à la surface du globe, principalement dans l’hémisphère nord. Au tout début des années 60, la France a procédé à des essais nucléaires atmosphériques dans le Sahara algérien (Reggane) exposant aux radiations ses propres soldats mais aussi les populations sédentaires et nomades de la région. Depuis ce premier essai au Sahara en 1960 jusqu’à l’ultime expérimentation de 1996 en Polynésie française, la France aura procédé à 210 tirs nucléaires.

Pourquoi parler aujourd’hui – 60 ans plus tard – de ces essais nucléaires du Sahara ?
Le 6 février dernier, une large partie de la France a été l’objet d’un phénomène météorologique apportant des vents chargés de sable et de fines particules en provenance du Sahara.
Pour illustration, dans le massif du Jura, le ciel est demeuré orange toute la journée et ces particules atmosphériques se sont déposées au sol. La neige bien blanche le matin est devenue orange à son tour.

Photos prises le 6 février 2021 dans le massif du Jura © ACRO

Photos prises le 6 février 2021 dans le massif du Jura © ACRO

 

 

 

 

 

 

 

Toutes les surfaces étaient, le soir, recouvertes d’une fine couche de ces particules. L’ACRO a alors fait un prélèvement sur toute la surface d’une voiture à l’aide de multiples frottis.

Photo des dépôts de fines particules de sable © ACRO

Ces frottis ont été transférés au laboratoire de l’ACRO pour une analyse de radioactivité artificielle par spectrométrie gamma (sur un détecteur GeHP).

Le résultat de l’analyse est sans appel. Du césium-137 est clairement identifié.
Il s’agit d’un radioélément artificiel qui n’est donc pas présent naturellement dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire.

Considérant des dépôts homogènes sur une large zone, sur la base de ce résultat d’analyse, l’ACRO estime qu’il est retombé 80 000 Bq au km2 de césium-137.

L’épisode du 6 février constitue une pollution certes très faible mais qui s’ajoutera aux dépôts précédents (essais nucléaires des années 60 et Tchernobyl).
Cette pollution radioactive – encore observable à de longues distances 60 ans après les tirs nucléaires – nous rappelle cette situation de contamination radioactive pérenne dans le Sahara dont la France porte la responsabilité.

Photo du spectre de résultat de l’analyse des poussières en provenance du Sahara par spectrométrie gamma Haute résolution (GeHP). L’analyse radiologique permet d’identifier la présence de césium-137 (Cs-137) matérialisée ici par son pic caractéristique (en rouge) © ACRO.

Version du communiqué en PDF

Le césium dans l’alimentation en Europe : quels sont les niveaux de référence ?

L’addition délibérée de radioactivité dans l’alimentation est interdite. Cependant, après un accident nucléaire, on n’a pas le choix, la nourriture peut se trouver contaminée pour des décennies. On trouve encore du césium-137 dans certains aliments suite aux essais nucléaires atmosphériques et à l’accident de Tchernobyl. Quels sont les niveaux de référence en Europe ? Force est de constater qu’il y en a pour tous les goûts !

La limite guide du Codex Alimentarius est de 1 000 Bq/kg pour la nourriture, y compris celle des nourrissons. Il s’agit d’une « limite indicative » qui s’applique aux denrées alimentaires faisant l’objet d’un commerce international suite à un accident nucléaire.

Le règlement (CE) n°733/2008 du Conseil du 15 juillet 2008 relatif aux conditions d’importation de produits agricoles originaires des pays tiers à la suite de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl stipule que « la radioactivité maximale cumulée de césium 134 et 137 ne doit pas dépasser :

  • a) 370 becquerels par kilogramme pour le lait et les produits laitiers énumérés à l’annexe II et pour les denrées alimentaires qui sont destinées à l’alimentation particulière des nourrissons pendant les quatre à six premiers mois de leur vie et qui répondent à elles seules aux besoins nutritionnels de cette catégorie de personnes, qui sont conditionnées au détail en emballages clairement identifiés et étiquetés en tant que « préparations pour nourrissons » ;
  • b) 600 becquerels par kilogramme pour tous les autres produits concernés. »

Ce règlement précise que « la tolérance applicable aux produits concentrés ou déshydratés est calculée sur la base du produit reconstitué prêt pour la consommation ».

Suite à la catastrophe de Fukushima, l’Europe a fixé d’autres restrictions sur les produits alimentaires en provenance du Japon. Ainsi, le dernier règlement en date, le règlement d’exécution (UE) n°322/2014 de la Commission du 28 mars 2014 imposant des conditions particulières à l’importation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux originaires ou en provenance du Japon à la suite de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima stipule que « tous les produits, à l’exception de ceux figurant à l’annexe III, doivent respecter la limite maximale applicable à la somme de césium-134 et de césium-137 telle qu’elle figure à l’annexe II. » Cette annexe II donne les « limites maximales (en Bq/kg) prévues par la législation japonaise pour les denrées alimentaires » qui sont :

– Aliments pour nourrissons et enfants en bas âge, lait et boissons à base de lait : 50 Bq/kg ;
– Autres aliments, à l’exception de l’eau minérale et des boissons similaires, du thé obtenu par infusion de feuilles non fermentées : 100 Bq/kg ;
– Eau minérale et boissons similaires; thé obtenu par infusion de feuilles non fermentées : 10 Bq/kg.

Pour les aliments déshydratés comme les champignons qui concentrent le césium, il est précisé que « la limite maximale s’applique au produit reconstitué prêt à être consommé. Pour les champignons déshydratés, un coefficient de reconstitution de 5 est appliqué. Pour le thé, la limite maximale s’applique à l’infusion obtenue à partir des feuilles de thé. Un coefficient de transformation de 50 est appliqué pour le thé déshydraté; ainsi, une limite de 500 Bq/kg applicable aux feuilles de thé séchées permet de garantir que le niveau de radioactivité dans l’infusion ne dépasse pas la limite maximale de 10 Bq/kg. »

En Norvège et Suède, la forte contamination de certains animaux et plantes après la catastrophe de Tchernobyl, a conduit à l’adoption de limites plus élevées. Selon l’Autorité de Radioprotection Norvégienne (NRPA), pour les poissons de rivière, le gibier et la viande de renne, la limite est actuellement de 3 000 Bq/kg en Norvège depuis 1994. C’était deux fois plus, à partir de 1987, juste après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. La Suède a adopté une limite 1 500 Bq/kg en 1987. Pour les autres aliments, c’est comme le reste de l’Europe.

En cas de nouvel accident nucléaire, d’autres niveaux seront adoptés « en mode réflexe immédiatement après un accident » et deviendront alors les limites réglementaires sur le marché communautaire. D’autres radioéléments sont pris en compte, mais focalisons nous sur le césium. L’Europe a adopté les standards fixés juste après la catastrophe de Tchernobyl (règlement EURATOM n°3954/87 modifié par le règlement EURATOM n°2218/89) : les niveaux maximaux admissibles pour le césium radioactif seront de 1 000 Bq/kg dans les produits laitiers et 1 250 Bq/kg pour la plupart des autres aliments. La limite sera dix fois plus élevée pour les aliments de « moindre importance » dont la liste est donnée dans le règlement EURATOM n°944/89. Elle sera de 400 Bq/kg pour les aliments destinés aux nourrissons.

Parmi les aliments de « moindre importance », on trouve, les truffes, l’ail, de nombreuses épices, les levures, le cacao et sa pâte…

Ces valeurs préétablies sont valables pour une durée limitée de 3 mois au maximum, un nouveau règlement devant être proposé par la Commission dans un délai d’un mois après la mise en vigueur du règlement initial, confirmant ou adaptant les niveaux en fonction de l’événement particulier.

Au tout début de la catastrophe nucléaire, le Japon a adopté d’autres standards. La limite maximale admissible pour le césium radioactif dans les produits laitiers était de 200 Bq/kg et de 500 Bq/kg pour les autres aliments. Ces limites ont été baissées au bout de presque un an. Les nouvelles règles de sûreté japonaises préconisent d’adopter les mêmes limites lors d’un prochain accident.

Après le précédent japonais, il est peu probable que les consommateurs européens acceptent les limites retenues. A l’instar de ce qui s’est passé au Japon, ils adopteront leur propres limites en se donnant les moyens de contrôler la nourriture.

Le 10 janvier 2014, la Commission européenne a adopté un nouveau projet de règlement qu’elle présente comme une refonte des textes en vigueur. De fait, bien que la commission prétende tenir compte, d’une part, des enseignements de la catastrophe de Fukushima et, d’autre part, des nouvelles connaissances scientifiques acquises sur le risque radio-induit, elle considère que les valeurs établies depuis 1987 restent toujours valables. En conséquence, ce projet de pseudo-refonte ne fait que reconduire les anciennes valeurs de concentrations maximales admissibles de contaminations radioactives des denrées alimentaires établies depuis plus d’un quart de siècle. Voici le seul changement : « Afin de tenir compte des variations considérables possibles dans le régime alimentaire des nourrissons au cours des six premiers mois de leur vie, ainsi que des incertitudes concernant le métabolisme des nourrissons âgés de six à douze mois, il y a lieu d’étendre à toute la période des douze premiers mois de vie l’application de niveaux maximaux admissibles réduits pour les aliments pour nourrissons. »
En France, le Plan National de Réponse « Accident nucléaire ou radiologique majeur » de février 2014 aborde la contamination des aliments. Il précise que « pour des populations vivant à distance du site accidenté et ne consommant qu’une part faible de denrées contaminées provenant du pays affecté par l’accident, les Niveaux Maximaux Admissibles du règlement EURATOM ne sont pas stricto sensu des normes sanitaires. Ce sont des indicateurs, à un instant donné, de la qualité radiologique des productions alimentaires […].
Le respect des NMA au sein de l’Union Européenne assure ainsi à tout citoyen européen une exposition du fait de la consommation de denrées provenant de territoires contaminés bien inférieure aux limites de dose […].
Toutefois, si un accident nucléaire ou une situation d’urgence radiologique survenait dans un pays européen, une gestion du risque alimentaire élaborée uniquement sur une comparaison aux NMA ne serait appropriée que pour les populations nationales vivant à distance du site accidenté.
En effet, plus les populations à protéger seraient proches du site accidenté et plus la proportion de denrées contaminées issues de circuits de commercialisation courts pourrait être importante. La part des autres voies d’exposition, notamment l’irradiation externe, serait également croissante.
Ces considérations ont amené le CODIR-PA à proposer une démarche plus globale pour la gestion du risque alimentaire au niveau national à la suite d’un accident. Cette démarche repose sur un triple dispositif visant à concilier protection de la population et préservation de la qualité des productions et du potentiel économique des territoires.
-> Dans l’environnement proche de l’installation accidentée, où la contamination des denrées alimentaires est la plus forte, une gestion spécifique du risque radiologique lié à l’alimentation est nécessaire. Dans la zone correspondante, un contrôle des denrées alimentaires par comparaison aux NMA ne permettrait pas d’assurer une protection sanitaire suffisante de la population. A cette fin, une Zone de Protection des Populations (ZPP) serait définie à partir de valeurs guides exprimées en doses prévisionnelles ; du point de vue du risque alimentaire, la commercialisation et la consommation de toute denrée alimentaire, quel que soit son niveau de contamination, serait d’interdire dans cette zone ;
-> Dans les territoires où la contamination est significative sans toutefois imposer des contraintes de radioprotection à la population comme en ZPP, l’enjeu n’est plus une gestion sanitaire de la situation mais davantage un maintien de la qualité radiologique des denrées susceptible d’intégrer les marchés nationaux et européens et la préservation du potentiel économique des territoires. Ces territoires seraient regroupés dans la Zone de Surveillance renforcée des Territoires (ZST). La commercialisation des denrées produites dans cette zone serait conditionnée à la réalisation de contrôles libératoires sur la base des NMA européens. Outre la protection économique, la définition de cette zone participerait également à la protection des consommateurs français et européens en évitant des doses inutiles.
-> Sur le reste du territoire national, au-delà de la ZST une surveillance serait à exercer pour détecter d’éventuelles concentrations de contamination pouvant induire des dépassements ponctuels des NMA.
La ZPP et la ZST seraient élaborées à partir d’une modélisation prédictive afin de gérer par anticipation les conséquences prévisibles des dépôts de radioactivité dans l’environnement. Ces zones seraient ensuite réévaluées au cours du temps en tenant compte de l’amélioration de la connaissance réelle de la contamination des
territoires. »

Références :

Ancien lien.