Le tritium dans l’environnement, un élément radiotoxique de plus en plus présent

Communiqué de presse du 20 avril 2009

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En 2007, un groupe d’experts scientifiques britannique (AGIR) recommandait de réévaluer la radiotoxicité du tritium en la multipliant par deux. Le tritium est de l’hydrogène radioactif rejeté dans l’environnement en grande quantité par les installations nucléaires. Un autre groupe d’experts au niveau européen (groupe de l’article 31 d’Euratom) est allé dans le même sens. En 2008, les autorités britanniques entérinaient ces conclusions. Certains experts (CERRIE) vont plus loin et proposent de multiplier par un facteur allant de 10 à 30 cette radiotoxicité.

Parallèlement, les rejets contrôlés ou non en tritium des installations nucléaires de la Hague augmentent et la surveillance du tritium dans l’environnement est très insuffisante. Cette augmentation est en contradiction avec la réévaluation de la radiotoxicité. Revue de détail.

Centre de Stockage de la Manche

Les nappes phréatiques sous le Centre de Stockage de la Manche sont fortement polluées en tritium. Il s’agit officiellement des conséquences de fuites survenues dans les années 1970. Ce tritium se retrouve dans la Sainte Hélène et le Grand Bel, ainsi que dans des sources et résurgences du plateau de La Hague.

Selon l’exploitant, depuis la mise en place de la couverture sur le site, en 1996, les fuites auraient cessé et la pollution devrait disparaître par décroissance radioactive et dilution. Ce n’est pas le cas !

A la source du Grand Bel, l’ACRO mesure constamment environ 700 Bq/l depuis plus de 12 ans, soit environ une période radioactive du tritium (T1/2 = 12,3 ans), alors que la contamination aurait dû être divisée au moins par deux (plus si l’on prend en compte la dilution due au renouvellement de l’eau).

Dans certains piézomètres, qui permettent un accès direct à la nappe phréatique, la pollution en tritium ne décroît pas, et augmente même parfois ! C’est le cas, par exemple, des piézomètres n°113, 702, 120, 131 … et 358 en annexe.

 L’ACRO soupçonne fortement l’apport continu de fuites issues du centre Manche. Le tritium, très mobile, annonce-t-il des fuites futures de radioéléments moins mobiles ?

 L’ACRO n’a pas accès directement à la nappe phréatique et doit se contenter des mesures des exploitants, sauf quand Greenpeace effectue le prélèvement…

Pour le piézomètre 113, plusieurs analyses effectuées par l’ACRO à la demande de Greenpeace en mai 2006 ont révélé des teneurs variant de 13000 à 17000 Bq/l en tritium, alors que la valeur maximale ANDRA pour cette même période est de 7700 Bq/l. Environ deux fois moins !

L’ANDRA et AREVA NC prélèvent « à la cuillère », c’est-à-dire à la surface de l’eau dans le puits du piézomètre, alors que la norme ISO 5667-11 impose de pomper 3 à 5 hauteurs d’eau afin d’être sûr de prélever l’eau de la nappe. Peut-on avoir confiance dans les données des exploitants ?

L’ACRO a fait une proposition d’étude à la CLI du CSM il y a plus de deux ans pour estimer l’importance de la divergence due à la méthode de prélèvement, mais cette proposition est restée lettre morte. Pendant ce temps-là, les exploitants continuent à ignorer la norme.

 Considérant que les nappes phréatiques sont un bien commun et relèvent du domaine public, l’ACRO maintient sa demande de libre accès aux piézomètres pour son laboratoire indépendant.

En outre, l’ACRO continue à demander la réalisation d’une étude sur la fiabilité de la méthode de prélèvement utilisée par les exploitants.

 Rappelons que  cette situation est préoccupante car la pollution des nappes dépasse largement les normes de potabilité définies par l’OMS (10 000 Bq/l). L’Union Européenne a défini un niveau d’intervention à 100 Bq/l.

 OSPAR

A Sintra au Portugal en 1998, les pays signataires de la convention OSPAR (pour OSlo – PARis) se sont engagés à une « réduction des rejets radioactifs afin de parvenir à des teneurs dans l’environnement proche de zéro d’ici 2020 »

Pourtant…

A la centrale nucléaire de Flamanville, avec l’introduction de nouveaux combustibles à plus hauts taux de combustion, EdF a fait une demande d’autorisation pour augmenter ses rejets en tritium. A Penly, en Haute Normandie, c’est 25% de rejets en plus qui ont été autorisés (50 TBq par an et par réacteur pour les nouveaux combustibles à hauts taux de combustion, contre 40 avant). Flamanville va-elle suivre ?

A l’usine de retraitement de La Hague, avec des autorisations de rejet en tritium en mer qui s’élèvent à 18 500 TBq par an, AREVA est un des plus gros émetteurs de tritium de la planète, et ces rejets ne diminuent pas.

Le long des côtes de la péninsule de La Hague, l’ACRO mesure régulièrement une concentration en tritium d’une dizaine de becquerels par litre, alors que la concentration naturelle est environ 50 fois inférieure (0,2 Bq/l). Compte tenu du volume de dilution considérable que constitue le milieu marin, ces mesures traduisent l’importance quantitative de ces rejets.

Les exploitants, avec l’aval des autorités, tentent de réécrire la convention d’OSPAR en raisonnant en terme de dose, alors que le texte est bien clair : il s’agit de concentrations dans l’environnement, seule grandeur réellement mesurable. Un vrai tour de passe-passe : il suffira de dire que les doses (résultat d’un calcul discutable) sont négligeables (donc acceptables) pour faire oublier la radioactivité réellement présente.

 L’ACRO demande l’application stricte de la convention d’OSPAR et que les exploitants réduisent leurs rejets tritiés dans l’environnement.

 Tritium dans l’environnement

 Le tritium dans l’environnement marin ne semble pas se comporter comme les modèles le prévoient : autour de Flamanville, des poissons, des mollusques et des crustacés avaient en 1981 d’après EdF des teneurs en tritium organique de l’ordre de 120 à 180 Bq/l d’eau de combustion, alors que les teneurs en tritium dans l’eau de mer se situaient autour de quelques dizaine de Becquerel par litre, comme aujourd’hui. Cette « bioaccumulation » du tritium chez les animaux marins a déjà été observée au large des côtes britanniques et vient contredire les modèles d’impact sanitaire. Le terme même de “bioaccumulation” contesté en France, est pourtant employé par les autorités britanniques.

Notons que, pour la période 1973 – 2003, EdF fait état de moins d’une dizaine de mesures de tritium chez les poissons, mollusques et crustacés. Et les prélèvements n’ont pas lieu dans la zone la plus contaminée ! Pour un radioélément rejeté en grande quantité, cela relève d’une surveillance très insuffisante.

Par comparaison, les autorités britanniques surveillent systématiquement le tritium dans la faune des fonds marins devant chaque installation nucléaire en bord de mer. Dans la zone proche de la canalisation de rejets en mer de Sellafield, plus de 140 analyses dans la faune marine ont été effectuées depuis 1999 (16 par an) alors que dans la zone proche de la canalisation de rejets en mer de la Hague, aucune analyse similaire n’est réalisée.

 L’ACRO demande une surveillance plus complète de l’impact environnemental du tritium (en particulier dans la zone de rejets) et la prise en compte de la bioaccumulation dans les modèles d’impact sanitaire si elle était confirmée.

Annexe technique


Pollution sous le CSM

 Synthèse des mesures effectuées par l’ACRO et l’ANDRA à la source du Grand Bel. La courbe de décroissance prend en compte la disparition du tritium par la seule décroissance radioactive.

image002Synthèse des données de la contamination en tritium dans la nappe phréatique au niveau du puits d’accès du piézomètre n°358 :

image004

Norme internationale pour la qualité des eaux

 Extrait de la norme ISO 5667 concernant les prélèvements d’eau dans les nappes phréatiques

La norme internationale ISO 5667-11 relative à l’échantillonnage des eaux souterraines constitue un guide pour la surveillance générale de la qualité des eaux souterraines. Dans ce guide, il est rappelé la nécessité que « les échantillons soient issus de liquides turbulents » du fait de la possible stratification verticale à l’intérieur de la colonne. Ceci implique un contrôle de la profondeur d’échantillonnage et une connaissance des caractéristiques techniques de chaque ouvrage. En ce qui concerne la technique d’échantillonnage, il est mentionné qu’ « il convient de purger les forages avant de procéder à l’échantillonnage, en pompant et rejetant un volume d’eau, au moins égal à 4 à 6 fois le volume intérieur de la colonne ».

En ne suivant pas ces deux recommandations, l’ANDRA ne peut garantir la représentativité des échantillons collectés et donc la qualité de sa surveillance.

 OSPAR

 « La préoccupation d’OSPAR sur la possibilité de préjudice à l’environnement marin et à ses utilisateurs (y compris les consommateurs de produits de l’environnement marin) par les apports en radionucléides provoqués par les activités humaines est abordée par la stratégie substances radioactives. L’objectif de la stratégie est que d’ici à 2020, la Commission s’assurera que les rejets, les émissions et les pertes de substances radioactives soient réduits aux niveaux où les concentrations additionnelles dans l’environnement marin au-dessus des niveaux historiques, résultant de tels rejets, émissions et pertes, soient proches de zéro. »

http://www.ospar.org/content/content.asp?menu=30220306000000_000000_000000

Données EdF

Mesures de tritium libre
(Bq /l d’eau libre) dans quelques échantillons marins :

Période

1973 – 1985

1997 – 2003

Algues

nm

1,4 – 7,7 (9/11)

Mollusques

26 – 174 (3/3)

non
mesuré

Crustacés

152 – 185 (2/2)

non
mesuré

Poissons

non
mesuré

non
mesuré

Mesures de tritium
organique (Bq /l d’eau de combustion) dans quelques échantillons marins :

Période

1973 – 1985

1997 – 2003

Algues

24 – 41

5,0 – 20

Mollusques

26 – 174 (8/8)

non
mesuré

Crustacés

152 – 185 (4/4)

non
mesuré

Poissons

126 – 174 (2/2)

non
mesuré

Pour plus d’informations, vous pouvez consulter nos dossiers techniques et rapports disponibles sur notre site Internet : www.acro.eu.org

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