Le nucléaire est-il soluble dans la démocratie ?

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°82, septembre 2008


En ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus, la France s’est engagée à garantir la « participation du public au processus décisionnel » en matière d’environnement. Avec la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, les autorités ont prétendu avoir tourné définitivement la page de la mauvaise gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl sur le territoire national. Et pour montrer que nous étions vraiment entrés dans une nouvelle ère démocratique, deux débats nationaux furent organisés en France en 2005-2006 sous l’égide de la Commission Nationale de Débat Public (CNDP) sur la gestion des déchets radioactifs et la construction d’un réacteur EPR « tête de série ». Le débat sur les déchets fut très riche car la Commission a élargi les questions mises en jeu : initié pour les seuls déchets de haute et moyenne activité à vie longue, il a pris en compte tous les déchets et toutes les matières radioactives dites valorisables. Des solutions nouvelles ont été proposées comme alternative à l’enfouissement des déchets, à savoir l’entreposage pérennisé qui consiste à transmettre générations après générations les moyens de surveillance de ces déchets les plus toxiques.

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Malheureusement, la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs n’a pas retenu cette option et a consacré comme « solutions de référence » les choix précédents de gestion, que sont le retraitement et l’enfouissement. Les seuls progrès concernent les mesures d’accompagnement de la gestion des déchets : un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs est mis en place et les compétences de la Commission Nationale d’Évaluation sont étendues.

Les décrets et les textes d’application qui ont suivi sont encore plus éloignés des souhaits de la population. Ainsi le gouvernement qui a créé un Ministère de l’Identité Nationale pour faire de la chasse aux étrangers une de ses priorités accepte officiellement le stockage en France de matières radioactives dites valorisables d’origine étrangère, même si elles ne sont pas valorisées… On est encore loin de la Convention d’Aarhus qui stipule que « chaque Partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération. »

En ce qui concerne l’EPR, les autorités ont pris moins de risque puisque la décision de construire le réacteur était prise par la loi sur l’énergie du 13 juillet 2005, bien avant le lancement du débat, ignorant encore la Convention d’Aarhus qui garantit que « chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence. » Qu’a apporté le débat ? Une garantie d’EDF de favoriser une expertise pluraliste de la sûreté du réacteur qui s’est traduite par la signature d’une convention en grandes pompes entre EDF, la Commission Locale d’Information de Flamanville (CLIF) et l’Association Nationale des Commissions Locales d’Information (ANCLI), mais qui est restée lettre morte : Un bien maigre résultat pour une procédure de consultation lourde et ambitieuse. Alors que pour la première fois dans l’histoire du nucléaire français le chantier de construction d’un réacteur nucléaire est arrêté par l’autorité de sûreté pour anomalies répétées, aucun avis tiers basé sur une expertise ouverte et pluraliste n’est disponible. Là encore, le débat n’a concerné que les mesures d’accompagnement, pas le fond du problème. On pourrait aussi citer le cas d’ITER pour lequel le débat n’a eu lieu qu’une fois les conventions internationales signées.

Le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du Territoire, vient de charger l’ANDRA de rechercher un site d’accueil pour les déchets faiblement radioactifs à vie longue en précisant que la procédure doit être conduite de manière « exemplaire et transparente, […] dans le respect de la démocratie locale ». Une précision qui a une valeur d’aveu quant au passé sans être rassurante pour l’avenir. Sans surprise, l’enfouissement à faible profondeur dans une couche argileuse est déjà décidé et seules les mesures d’accompagnement seront débattues. Si vous avez un avis sur la couleur des volets des bâtiments ou la taille du portail, n’hésitez pas à le faire savoir à l’ANDRA, elle est preneuse.

Quant à l’annonce par le Président de la République de la construction d’un deuxième réacteur EPR, elle ne s’encombre, comme à son habitude, d’aucun artifice démocratique et s’apparente une fois de plus au fait du prince. La loi du 13 juillet 2005, signée par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, Nicolas Sarkozy est pourtant claire : les deux premières priorités de l’Etat sont : maîtriser la demande d’énergie et diversifier les sources d’approvisionnement énergétique. Pour ce deuxième point, l’article 4 de la loi précise que « L’Etat se fixe donc trois priorités. La première est de maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020 en disposant, vers 2015, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération opérationnel permettant d’opter pour le remplacement de l’actuelle génération. La deuxième priorité en matière de diversification énergétique dans le secteur électrique est d’assurer le développement des énergies renouvelables. » C’est dans le même esprit qu’EDF justifiait la nécessité de l’EPR actuellement en construction sur des arguments industriels, et non énergétiques. Il y a à peine 6 mois, le PDG d’EDF expliquait encore qu’« il n’y a pas de place pour du nucléaire supplémentaire avant 2020 »*. A peine l’annonce présidentielle faite, EDF s’est déclarée candidate à la construction de ce deuxième réacteur de 3ième génération… Comment la compagnie peut-elle paraître crédible ? Est-ce un coup de marketing pour compenser les déboires de l’EPR en France et en Finlande?

* Challenges, 6 décembre 2007, repris dans l’éditorial de l’ACROnique du nucléaire n°80 de mars 2008

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