Le catastrophisme fait-il recette ?

Editorial de l’ACROnique du nucléaire n°81, juin 2008


La centrale de Kashiwazaki-Kariwa au Japon a tenu le choc lors du tremblement de terre qui l’a fortement secouée l’été dernier. Les réacteurs en fonctionnement se sont immédiatement arrêtés, comme prévu. Pourtant, la secousse était beaucoup plus forte que ce qui avait été envisagé lors de sa conception. C’est grâce aux marges de sécurité que la catastrophe a été évitée. Alors que l’on s’attend à de nouveaux séismes de forte magnitude dans l’archipel japonais, tout le parc nucléaire a une résistance théorique en dessous de ce qu’a subi la centrale de Kashiwazaki-Kariwa. Il n’est maintenu en activité qu’en comptant sur les marges de sécurité, qui sont, par définition, difficiles à estimer. Personne ne peut dire avec certitude que la prochaine fois, cela tiendra encore.

La catastrophe de Tchernobyl qui se prolonge depuis plus de vingt ans n’a pas arrêté le nucléaire. Les exploitants et les autorités sont confiants, et promettent des études pour rassurer la population. Les opposants pensent qu’ils jouent à la roulette russe. En cas de séisme accompagné d’un accident nucléaire, la catastrophe risque d’être plus grave que tout ce que l’on peut imaginer. Lors d’un séisme, la consigne est de sortir de chez soi pour se protéger. En cas de fuite radioactive, elle est de rester calfeutré chez soi. Que faire quand il y a les deux ? Comment organiser les secours quand les infrastructures sont détruites ? Ni la population, ni les secours, même parmi les mieux préparés au monde en cas de séisme, ne sauront faire face. Des études prospectives ont montré que les rues de Tokyo seraient aussi bondées qu’un train aux heures de pointe si tout le monde sortait en même temps et qu’il faudrait des heures pour parcourir quelques kilomètres à pied.

Même au Japon, pays le mieux préparé aux séismes au monde, le tremblement de terre peut entraîner une catastrophe nucléaire. Que penser d’autres pays, notamment les pays en voie de développement, qui souhaitent désormais se nucléariser ? Les réacteurs chinois étaient suffisamment éloignés cette fois ci. L’Egypte, la Turquie, la Bulgarie, l’Iran se trouvent tous sur des failles sismiques. Les graves séismes provoquent chaque fois des dizaines, des centaines voire des milliers de victimes dans ces territoires. Il est impossible d’imaginer l’ampleur de telles catastrophes lorsqu’elles sont aggravées par une catastrophe nucléaire.

Les promoteurs du nucléaire utilisent les changements climatiques pour justifier le risque nucléaire, même si l’on sait que l’électricité d’origine nucléaire ne représente qu’une toute petite partie de l’énergie consommée sur Terre. La catastrophe climatique à venir, que plus personne ne conteste, n’a pas non plus conduit aux changements de paradigmes nécessaires des sociétés occidentales. Nous sommes pourtant tous concernés directement. Il y a bien un fléchissement de la consommation d’hydrocarbures responsables de l’effet de serre, mais c’est dû à l’augmentation rapide de leurs coûts. Et ce sont les plus pauvres qui trinquent. Parce que nous n’avons pas voulu anticiper l’adaptation à un nouveau monde, nous allons subir les évènements avec, en plus, une crise sociale et toutes les conséquences néfastes que cela induit.

Nous avons acquis les moyens de détruire la planète, mais nous n’avons pas changé notre façon de penser. Une fois de plus, les principes de précaution et de responsabilité ne pèsent pas lourd. L’imminence d’une catastrophe nous plongerait-elle dans un tel effroi qu’il ne nous est plus possible de penser et d’agir ? Nos modes de vie seraient-ils à ce point non-négociables? Les sociétés occidentales semblent avoir une attitude fataliste face à la catastrophe : « le risque zéro n’existe pas », « le progrès vaut bien quelques sacrifices ». Et puis, alors que nous sommes saturés de messages plus ou moins catastrophiques par la publicité et les médias, nous avons survécu jusqu’à maintenant. Il est donc difficile d’être audible et un langage catastrophiste, même justifié, ne fait pas recette.

Pourtant, l’homme a les moyens de changer son destin : sans y être préparé et avec un minimum d’efforts, le Japon a pu faire face à la pénurie d’électricité. En pérennisant ces efforts et en menant une politique structurelle d’économie d’énergie, il est possible d’aller beaucoup plus loin. Un autre monde est accessible.

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