AGIR maintenant…

Article paru dans l’ACROnique du nucléaire n°84, mars 2009


Lors de son allocution devant l’Académie Nobel, Jean Marie Gustave Le Clézio s’interroge : « Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas ». N’y-a-t-il que les écrivains dans cette situation ?

Les revendications sont souvent des imprécations aux autres pour qu’ils agissent. Plus l’expression est virulente, plus elle est synonyme d’impuissance. Internet n’a fait qu’amplifier le phénomène. Les problèmes environnementaux et le réchauffement climatique en particulier ont sûrement généré plus de blabla que d’actions concrètes. La classe politique, même au pouvoir, n’échappe pas à ce syndrome. Un problème, une loi. Combien de lois ne sont jamais appliquées ? En matière de réchauffement climatique, les politiques ont pourtant l’aval des populations pour agir, comme le montrent les enquêtes d’opinion [1].

On a un sentiment similaire face à certains textes comme la charte de l’environnement adossée à la constitution française en 2005. Une belle déclaration qui concerne d’abord les autres… En faisant de « la préservation et de l’amélioration de l’environnement » un devoir qui s’applique à chacun, c’est pourtant une invitation à l’action. Mais, quand des citoyens jouent leur rôle de vigie et demandent l’application du principe de précaution également inscrit dans la charte, ils se heurtent souvent à un mur. C’est le cas, par exemple, du projet de ligne THT (Très Haute Tension) dans la Manche et en Mayenne.

Le parallèle avec la déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) dont les 60 ans ont été célébrés dans la plus grande discrétion l’année dernière, est éclairant. Amnesty International, qui agit au quotidien pour le respect de ce texte, a titré sa revue de décembre 2008, « la DUDH l’emmerdeuse ». En effet, cette déclaration donne du crédit aux revendications des ONG, qui ont joué un rôle primordial dans ce domaine. Sans ce texte, les violations des droits humains auraient été encore plus graves.

De nombreuses autres chartes internationales, de plus en plus contraignantes, sont venues compléter la déclaration universelle des droits de l’Homme, mettant ainsi en évidence l’impuissance des puissants à appliquer leurs bonnes résolutions. Un grand pas a été franchi avec la création de la cour pénale internationale qui permet de punir les violations massives des droits humains. En matière d’environnement, le chemin à suivre risque d’être similaire.

Au niveau européen, la convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 2002 [2], va beaucoup plus loin que la charte de l’environnement dans la définition des droits et des moyens des citoyens pour participer au processus décisionnel en matière d’environnement. La pratique est, une fois de plus, encore très éloignée de ces bonnes résolutions. L’ACRO œuvre pour que cette convention ne soit pas qu’un alibi à l’inaction.

Les élus français s’abritent derrière la légitimité de leur statut pour décider sans consulter les populations et ont du mal à accepter la nouvelle donne en matière d’environnement. Les sénateurs français ont été choqués que la suppression partielle de la publicité sur les chaînes de télévision publique ait lieu avant le vote de la loi, mais ils n’ont pas été choqués de voter la loi sur l’énergie engageant la construction d’un réacteur nucléaire EPR avant le débat public sur le sujet. L’articulation entre la démocratie représentative et la démocratie participative reste à construire pour une meilleure politique environnementale. Un vaste chantier, mais malgré de beaux engagements, rien n’est fait.

La décision de construire un deuxième EPR à Penly et de l’attribuer à EdF est prise à l’Elysée sans consultation des assemblées et avant tout débat public. Alors que ni Areva, ni EdF, chacun empêtré dans les difficultés de leurs chantiers respectifs, n’ont fait la preuve de la pertinence technique et économique de cette filière, la décision relève de l’arbitraire de plus total. C’est la victoire des lobbys et il n’y a plus qu’à mettre les engagements démocratiques de la France au musée.

Répéter encore tout le mal que nous pensons de cette politique énergétique est probablement inutile ici. En revanche, rien n’oblige à garder EdF comme fournisseur d’énergie. Enercoop [3] propose de l’électricité 100% renouvelable avec un statut coopératif. En ces temps de crise écologique, financière et sociale, une telle structure constitue une lueur d’espoir salutaire qu’il faut soutenir [4].


[1] Climate change survey gives mandate for action, Newscientist.com, 26 Novembre 2008.
[2] La loi no 2002-285 du 28 février 2002 contient un article unique : Est autorisée l’approbation de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), signée à Aarhus le 25 juin 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi.
[3] http://www.enercoop.fr/
[4] Cet appel n’est pas une « incapacité à agir » puisque l’ACRO est sociétaire et client Enercoop…

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